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DE L A REFORME PARLEMENTAIRE
La question de savoir jusqu'à quel point les fonctions de député sont compatibles avec d'autres fonctions publiques est aussi vieille que le gouvernement représentatif, et, soit en France, soit en Angleterre, a été souvent débattue. D'un corps électoral corrompu, l'histoire est là pour le prouver, il peut quelquefois sortir une Chambre libre, indépendante, qui fasse noblement et grandement les affaires du pays ; d'un parlement asservi, avili, il ne sort rien que la honte, l'esclavage, la ruine. Le gouvernement représentatif alors, au lieu d'être un bienfait, devient, comme le disait Pulteney, en 1740, « un instrument pour toutes les oppressions, un manteau pour tous les crimes. » Mieux vaudrait cent fois le gouvernement absolu, dans sa franchise et dans sa nudité.
La faculté de donner aux députés des places ou de l'avancement n'est pas sans doute le seul moyen de corruption dont les ministres disposent; il en est un des principaux, et l'Angleterre n'a jamais cessé de s'en préoccuper, bien que le nombre des fonctions [p.114] rétribuées y soit beaucoup moins considérable qu'en France. On a, dans la dernière discussion est dans les discussions précédentes, énuméré les lois nombreuses qui, depuis 1688 jusqu'à nos jours, ont, chez nos voisins, réglé la matière ; mais on n'a pas pu, dans les étroites limites d'un discours ou d'un rapport, faire ressortir suffisamment l'esprit qui a présidé à tous ces débats. Je vais tâcher, par une courte analyse et par quelques citations, d'en donner une idée : on verra que toutes nos hardiesses sont bien peu de chose auprès de celles de nos devanciers.
Sous les derniers Stuarts la corruption parlementaire avait été largement pratiquée, et Guillaume III, bientôt après son accession, ne se fit pas faute d'y recourir. Mais, par des raisons diverses, la Chambre des communes était peu disposée à lui complaire. En 1692, un bill fut donc proposé « pour assurer la liberté et l'impartialité du Parlement, » en vertu duquel un grand nombre d'emplois publics, si ce n'est tous, étaient déclarés incompatibles avec les fonctions de député. A ce bill le parti du gouvernement opposa précisément les raisons qui, depuis, ont été si souvent reproduites. C'était attenter au droit des électeurs, restreindre la prérogative royale, déconsidérer les fonctionnaires. Néanmoins, vivement soutenu par les whigs et par Harley, le bill passa, à une forte majorité ; mais la Chambre des lords le rejeta. En 1694, il fut, au contraire, adopté par les deux Chambres, mais Guillaume refusa nettement sa sanction ; alors eut lieu une scène étrange [p.115] et qui fait comprendre quels étaient, cinq ans après la révolution, l'esprit et l'attitude de la Chambre élective. A peine la détermination royale était-elle connue, qu'un soulèvement général éclata dans tous les partis, dans toutes les opinions. « Sans doute, s'écria-t-on à l'envi, le veto est un droit de la couronne ; mais ce droit lui a été conféré pour qu'elle en fit bon usage. Si elle s'en sert contre les intérêts du peuple, il faut que quelqu'un en soit responsable. Or, comment comprendre qu'on veuille empêcher la Chambre des communes de se purifier, de s'honorer aux yeux du pays et de prouver qu'elle donne ses votes au lieu de les vendre? Si le roi et ses conseillers secrets préfèrent un Parlement corrompu, un Parlement asservi à un Parlement pur et libre, ce n'était pas la peine de changer de prince. » Tel fut le langage de sir Thomas Clarges, de sir John Thompson, de Hutchinson, de Harley et de plusieurs autres.
A la suite de ce débat, la Chambre déclara, à l'unanimité moins deux voix, que « quiconque a conseillé au roi de ne pas donner sa sanction à l'acte destiné à assurer un vote libre et impartial dans le Parlement, et à détruire ainsi un abus scandaleux et manifeste, est un ennemi du roi et du royaume. » Puis, se fondant sur cette résolution, elle adressa au roi une représentation nette et hardie, pour « l'inviter à user très-rarement du veto royal, et à s'en fier aux avis du Parlement plutôt qu'aux conseils secrets de certaines personnes, dont les [p.116] intérêts particuliers peuvent être différents de ceux du roi et du peuple. »
Le roi ayant répondu à cette représentation d'une manière affectueuse, mais évasive, quelques membres, Harley entre autres, proposèrent qu'une nouvelle adresse fût faite pour demander une réponse plus claire. Mais ce procédé peu respectueux fut écarté, et l'on convint de regarder la réponse du roi comme une promesse implicite de se conformer désormais au vœu du Parlement.
Cependant le conflit continua, et, soit que la persévérance du roi l'emportât sur celle des Communes, soit que d'autres questions fissent un peu oublier celle des incompatibilités, les choses, jusqu'à 1700, restèrent à peu près dans le même état. Seulement, chaque fois que les Communes votaient un nouvel impôt, elles avaient soin d'y mettre pour condition que les percepteurs de cet impôt ne pourraient être membres de la Chambre. Mais, en 1700, sous une Chambre tout récemment élue, et qui, pour premier acte, venait d'appeler Harley à la présidence, la mort du fils de la princesse de Danemark imposa à Guillaume et au Parlement l'obligation de régler de nouveau la succession à la couronne. Plus libre alors et maîtresse de son vote, la Chambre des communes introduisit dans l'acte d'établissement un article qui déclarait incapable de servir comme membre de la Chambre des communes « toute personne ayant un office ou charge rétribués sous le roi, ou recevant une pension de la couronne. » Il [p.117] n'y avait aucune exception, pas même pour les ministres ; et, si cette mesure eût définitivement prévalu, elle eût, comme le remarque justement Halam, dénaturé le gouvernement représentatif et institué un conflit permanent entre la couronne et la Chambre des communes. Mais l'article dont il s'agit, comme tous les autres articles de l'acte d'établissement, n'était applicable qu'à l'avènement de la maison de Hanovre. On avait donc le temps de le rectifier, et c'est ce qu'on fit en 1706, sous la reine Anne, dans l'acte dit de sécurité. Ce ne fut pourtant point sans une vive résistance que la Chambre des communes abandonna une clause qu'elle regardait comme une conquête, et, pour la mettre d'accord avec la Chambre des lords, une conférence devint indispensable. La Chambre des communes reconnaissait bien que, dans l'acte d'établissement, le principe avait été posé d'une manière trop absolue ; et, tout en le maintenant, elle consentait volontiers à quelques exceptions. La Chambre des lords voulait, au contraire, que la compatibilité, devînt la règle et que l'incompatibilité fût purement exceptionnelle. En définitive, la Chambre des lords l'emporta, quant au principe ; mais la Chambre des communes fit passer, en retour, deux clauses importantes : l'une, qui soumettait à réélection tout membre de la Chambre acceptant un emploi de la couronne; l'autre, qui rendait inéligible toute personne recevant une pension révocable ou occupant un emploi créé depuis 1705. Cette dernière clause [p.118] avait pour but d'empêcher qu'à l'avenir, comme par le passé, on ne créât des emplois inutiles, uniquement pour en gratifier des membres du Parlement.
Je passe sur les débats qui eurent lieu sur le même sujet, en 1708, 1710, 1711, 1712, et dont il reste peu de traces. Ces débats prouvent que le bill de 1706 n'avait pas mis fin aux abus et que la corruption continuait son œuvre. Chaque année, d'ailleurs, la Chambre des communes adoptait un bill restrictif, qui, chaque année, était rejeté par la Chambre des lords. En 1712, la majorité, dans cette dernière chambre, ne fut que de cinq voix, et il n'est pas douteux, si la reine Anne eût vécu, que le parti de la réforme n'eût fini par l'emporter. Mais la reine Anne mourut en 1714, et l'avènement de la maison de Hanovre, ainsi que les graves événements qui suivirent, donnèrent une autre direction aux esprits.
En 1716, Stanhope, secrétaire d'État, compléta pourtant la mesure de 1706, en plaçant les pensions données pour un certain temps dans la même catégorie que les pensions révocables à volonté. Ce fut d'ailleurs en 1730, quand Walpole et son système étaient au comble de la puissance, que la question fut sérieusement reprise par Sandys, un des membres les plus actifs de l'opposition whig. Néanmoins les quatre bills qui, de 1730 à 1734, furent successivement présentés par Sandys, avaient pour but, non de rien ajouter aux lois précédentes, mais d'en assurer l'exécution. Ainsi, les lois précédentes [p.119] excluaient de la Chambre des communes quiconque avait une pension révocable ou temporaire ; les mêmes lois déclaraient inéligibles certains fonctionnaires salariés. Or, on trouvait le moyen d'éluder la loi, d'une part, en recevant de la couronne des cadeaux au lieu de pensions ; de l'autre, en faisant mettre la place dont on touchait les appointements sous le nom d'un parent ou d'un ami. C'est cet abus que Sandys voulut atteindre en imposant à tous les membres des Communes le serment « qu'ils ne recevaient, directement ou indirectement, de la couronne aucune gratification, et que personne n'occupait pour eux une place quelconque en fidéicommis. » Quatre fois la proposition passa, presque sans débat, aux Communes; quatre fois Walpole la fit rejeter par la Chambre des lords, malgré lord Winchelsea, lord Bathurst, lord Carteret, lord Strafford, qui la soutinrent avec ardeur. Du côté ministériel, elle fut surtout combattue par lord Falmouth, le duc de Newcastle et l'évêque de Bangor. Un jour, celui-ci déclara naïvement qu'il fallait « se garder d'assurer l'indépendance de la Chambre des communes, de peur de lui donner une trop grande supériorité sur les autres pouvoirs et de détruire ainsi l'équilibre de la constitution. » On comprend quel parti l'opposition tira de ce discours, qui, réimprimé, à ses frais et répandu par toute l'Angleterre, parut à tout le monde une apologie audacieuse de la corruption politique.
En 1734, à la veille des élections, l'opposition prit [p.120] un parti plus net, plus décidé, et proposa, à quelques exceptions près, l'exclusion de tous les fonctionnaires civils et militaires. Ce fut encore Sandys qui se trouva chargé de cette proposition. Elle eut pour adversaires M. Campbell, M. Winnington, Horace Walpole, Henri Pelham et Robert Walpole lui-même, qui dénoncèrent le bill comme contraire au droit des électeurs, comme déshonorant pour les fonctionnaires, comme attentatoire à la prérogative de la couronne. « La loi, selon eux, en soumettant à la réélection les membres des communes qui devenaient fonctionnaires, avait fait tout ce qu'il était possible de faire ». A cela, Sandys, Pulteney, Digby, Thomas Wyndham répondirent avec un grand avantage et par des arguments qui ne sont pas moins applicables en 1846 qu'en 1734. « Il est absurde, dit Sandys, de prétendre que le bill porte atteinte au droit des électeurs. Si cela était, il faudrait supprimer toutes les conditions d'éligibilité et toutes les restrictions précédemment adoptées. Quant aux fonctionnaires eux-mêmes, déjà la loi exclut les employés des douanes et de l'excise, ainsi que les ministres du cuite. Cela diminue-t-il leur considération? Il faut ajouter que la considération des fonctionnaires s'accroît très-rarement dans la Chambre. Cela n'arrive guère que le jour où on les destitue à cause de leur indépendance. Il est d'ailleurs fort aisé de dire qu'un emploi n'exerce aucune influence sur celui qui le possède. Tant que les hommes sont hommes, il y en aura [p.121] beaucoup qui voteront au gré du premier ministre, plutôt que de perdre une place lucrative. Que les choses restent sur le même pied, et bientôt la Chambre deviendra aussi méprisable que le sénat romain, quand les empereurs en eurent fait leur instrument servile. Personne ne demande que les hauts fonctionnaires, les secrétaires d'État notamment, cessent d'être membres de la Chambre. Il s'agit d'en exclure ceux que leurs fonctions doivent absorber tout entiers et ceux qu'elles placent dans la dépendance des ministres... »
« L'influence de la couronne, dit Digby, a beaucoup augmenté, et l'on peut craindre qu'elle n'asservisse les deux autres branches de la législature. Il est vrai que l'intérêt du peuple et l'intérêt de la couronne devraient toujours être le même; mais cela n'est pas, et la couronne s'est montrée quelquefois la plus dangereuse ennemie du peuple. C'est contre un tel péril qu'il faut se prémunir, en empêchant le Parlement de se laisser corrompre. »
« Jamais le bill, s'écria Pulteney, ne fut plus nécessaire, plus indispensable. Grâce à la corruption parlementaire, électorale, l'Angleterre touche au moment où le premier ministre aura la majorité des deux Chambres dans sa poche. Qui songera alors à l'accuser devant une majorité vendue et toujours prête à l'acquitter, quelque coupable qu'il puisse être? »
« A la vérité, dit Thomas Wyndham, on objecte qu'en soumettant les membres promus à la nécessité [p.122] de se faire réélire, la loi a fait assez, et on se vante que la réélection a presque toujours lieu. Comment en serait-il autrement, par la corruption qui court? Le membre promu ne reparaît-il pas avec un double crédit devant ses commettants, qui voient en lui le favori du ministre?... Autrefois il y avait peu de places à donner ; aujourd'hui il y en a beaucoup, et l'on commence à croire que, pour les obtenir, il est nécessaire, indispensable d'être membre du Parlement. Au train dont vont les choses, la Chambre sera bientôt remplie de serviteurs de la couronne, tandis que, d'après la constitution, nous devrions être les serviteurs du pays. »
Quand Thomas Wyndham parlait ainsi, il y avait, d'après les calculs de l'opposition, un peu moins de 200 fonctionnaires dans une Chambre de 540 membres. Nous en avons autant dans une Chambre de 459.
Plusieurs membres ministériels ayant, dans cette circonstance, voté avec l'opposition, la proposition ne fut rejetée qu'à 230 voix contre 191.
Les élections de 1734, sur lesquelles l'opposition comptait, n'ayant pas changé la force relative des partis, l'opposition perdit courage et, pendant quelques années, abandonna le bill des places. Mais des circonstances contraires, notamment les démêlés avec l'Espagne, ayant ébranlé Walpole, l'opposition résolut, en 1740, de reprendre le débat et de livrer, sur ce terrain, au premier ministre un combat [p.123] décisif. Sandys proposa donc de nouveau le bill de 1737 et le défendit à peu près par les mêmes raisons. Parmi ceux qui appuyèrent Sandys, il faut citer en première ligne Littleton, Pulteney, William Wyndham. Après avoir établi que les nations soupçonneuses sont les dernières asservies et que la confiance n'est point une vertu parlementaire ; après s'être demandé s'il n'arrivait jamais que les conversations particulières des membres du Parlement fussent en contradiction manifeste avec leur conduite publique, Littleton pénétra au cœur même de la question et signala énergiquement les dangers que la corruption fait courir au gouvernement représentatif. « La forme actuelle du gouvernement anglais, dit-il, si on la garde de la corruption, a tous les avantages d'une république, sans en avoir les inconvénients. Mais, si la corruption l'envahit et si le contrôle du Parlement est acheté par la couronne, c'est précisément le contraire. La forme actuelle du gouvernement aurait alors tous les vices, tous les inconvénients des monarchies absolues, sans en avoir les avantages. Il y aurait plus de dépenses et moins de chances d'une bonne administration. »
Passant de la théorie à l'application, Pulteney fit un tableau animé de la situation actuelle du Parlement et prédit le moment où la Chambre, remplie des instruments les plus bas et des plus vils sycophantes du pouvoir ministériel, serait une honte et un désastre pour le pays.
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« Assurément, ajouta-t-il, personne ne pense que les libertés de cette nation consistent à avoir le semblant d'un Parlement. On peut avoir un Parlement ; ce Parlement peut être élu tous les sept ans et siéger tous les ans, comme cela se fait aujourd'hui ; il peut passer des lois, voter de l'argent, recevoir des comptes, même faire des enquêtes, et pourtant on peut n'avoir ni liberté ni constitution. Qu'il soit jamais au pouvoir de l'administration de se faire, à l'aide des fonctionnaires et des pensionnaires, une majorité toujours prête à obéir au ministre, et, de ce moment, il devient inutile de détruire la forme de la constitution ou de supprimer directement les libertés publiques. Sans en venir à cette extrémité, le roi régnant serait aussi absolu et pourrait être aussi despote que le grand-seigneur lui-même. Un tel Parlement lui accorderait autant de spahis et de janissaires qu'il lui en faudrait pour tenir ses esclaves en respect; il lui donnerait toutes les lois, tout l'argent qu'il demanderait, et l'oppression se trouverait ainsi protégée par les formes même de la loi... Sans doute il y a, dans la Chambre actuelle, des fonctionnaires fort honorables; mais il y en a d'autres qui, en venant ici, n'ont d'autre but que de faire leurs affaires privées. Il faut, si l'on veut sauver la constitution, diminuer le nombre de ces mercenaires. »
Enfin, dans un discours d'une grande élévation, le chef des tories, William Wyndham, fit ressortir l'inconvénient qu'il y a de placer le pouvoir exécutif [p.125] tout entier sous le contrôle d'une majorité dévouée à ce pouvoir par intérêt et par position.
« Prenez-y garde, Messieurs, s'écria-t-il, l'esprit et les habitudes de la corruption font parmi nous des progrès effrayants. C'est cet esprit détestable, ce sont ces habitudes honteuses que le bill de M. Sandys est appelé à combattre. Quand la couronne n'avait que peu d'emplois lucratifs à donner, l'administration la plus perverse était à peu près impuissante. Mais ces emplois sont si nombreux aujourd'hui que, si l'on s'en sert pour corrompre la Chambre et le corps électoral, bientôt c'en sera fait de toute liberté et de toute honnêteté en Angleterre. On commence dans cette Chambre, puis le mal se propage par l'exemple. La corruption du premier autorise celle du second, et celle-ci autorise la corruption du troisième, de telle sorte que bientôt la majorité doit être atteinte. Une fois bien établie dans cette Chambre, comment la corruption ne descendrait-elle pas parmi les électeurs? Si nous voulons que le ruisseau soit pur, commençons par purifier la source. »
Les arguments des adversaires du bill peuvent se résumer en peu de mots : « Le mal n'existe pas ; s'il existait, le bill n'y remédierait pas, puisque les » membres disposés à se vendre pourraient toujours obtenir soit des gratifications secrètes, soit des places pour leurs familles. Enfin, si les fonctionnaires ne faisaient plus partie de la Chambre, il y viendrait plus de républicains et de jacobites. » [p.126] On voit qu'il n'y a pas un sophisme nouveau sous le soleil. Quelques-uns, Henri Pelham entre autres, furent plus sincères, et ne craignirent pas d'avouer que « la libre disposition des emplois lucratifs est nécessaire pour limiter le pouvoir des Parlements et pour les empêcher de devenir factieux. Quant à Walpole, qui, comptant sur la Chambre des lords, laissait d'ordinaire ces sortes de bills passer sans mot dire, il rompit le silence pour lancer contre l'opposition une récrimination vive et mordante. M. Duchâtel, qui, on le sait, a pour cette sorte d'arguments un goût tout particulier, ferait bien de lire avec soin le discours de Walpole et de s'en pénétrer.
Le bill ayant été rejeté à 16 voix de majorité (222 contre 206), la Chambre des lords n'eut point à s'en occuper. Mais un autre bill, celui des pensions, passa presque sans difficulté à la Chambre des communes et donna aux lords opposants une occasion toute naturelle d'exprimer leur opinion. Ils la saisirent avec empressement, et l'on vit les hommes les plus considérables de l'aristocratie anglaise, lord Talbot, lord Halifax, lord Carlisle, lord Carteret, lord Chesterfield, le duc d'Argyle flétrir à l'envi les corrupteurs et les corrompus. « Quand les ministres, dirent-ils, ne peuvent obtenir la majorité par les influences morales, ils la demandent aux influences matérielles, et toujours il se trouve quelques misérables prêts à vendre leur vote pour une place ou pour une pension. C'est cette corruption que les Communes ont aperçue; et, quand elles [p.127] refusent de se laisser souiller par la prostitution ministérielle, convient-il à la Chambre des lords de les en empêcher? Ce serait encourir gratuitement et justement l'indignation du pays. Qui ignore d'ailleurs que la corruption est le plus grand danger auquel soient exposées les institutions des pays libres? Souvent, en Angleterre, les princes et leurs ministres ont essayé d'établir le gouvernement absolu contre les Parlements ou sans leur assistance. Ils ont échoué et payé quelquefois de leur vie cette audacieuse tentative. Qu'on laisse faire la corruption, et d'autres rois, d'autres ministres pourront, sans courir les mêmes risques, arriver à la même fin. Qu'on laisse faire la corruption, et le Parlement ne sera bientôt plus qu'un divan turc. »
De tous les discours prononcés dans le débat, le plus, remarquable sans contredit est celui de lord Chesterfield. En voici quelques passages :
« Notre constitution se compose de deux Chambres, qui limitent le pouvoir de la couronne et qui se limitent entre elles. Supposez maintenant que, par certains moyens de corruption, par des places, par des pensions, par des pots-de-vin, la couronne devienne maîtresse des deux Chambres ; n'est-il pas évident que la Constitution sera détruite? La couronne alors n'aurait pas besoin de briser la forme même du Parlement. Sous cette forme, en effet, sous cette apparence, le roi pourrait être plus absolu et gouverner plus arbitrairement que si le nom même de Parlement se trouvait aboli. Remarquez d'ailleurs [p.128] que nos hommes riches et bien nés ne voudraient peut-être pas, pour une pension ou pour une place, abolir la forme du gouvernement. C'est à cette forme qu'ils doivent l'avantage de recevoir le prix infâme de leurs infâmes services, et cet avantage, ils le perdraient le jour où la constitution périrait. Tant qu'ils sont membres du Parlement, il est, au contraire, loisible et commode à nos hommes riches et bien nés d'approuver les mesures les plus détestables, de consentir aux dépenses les plus inutiles, de voter les lois les plus tyranniques, de sanctionner les comptes les plus faux, d'acquitter les hommes les plus coupables, de condamner les hommes les plus innocents, sur l'ordre du ministre qui leur donne leur place ou qui leur paye leur pension. Il leur est loisible et commode de réunir ainsi les profits de tous les régimes et de constituer, sous l'apparence de la liberté, la plus ignoble des tyrannies. »
Malgré ce discours et ceux des autres membres de l'opposition, le bill fut encore rejeté à 51 voix contre 40.
En 1741, l'étoile de Walpole pâlissait, et le vent soufflait du côté de l'opposition. Le bill des places, reproduit par Sandys, passa donc aux Communes, mais la Chambre des lords le rejeta de nouveau. C'est après ce rejet que 21 pairs, usant de leur droit, firent consigner sur le registre des délibérations une protestation très-fortement motivée, et dont le quatrième considérant est ainsi conçu :
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« Parce que nous ne pensons pas que la liberté du Parlement soit assurée le moins du monde par l'obligation imposée à tous les membres des Communes qui acceptent un emploi de se faire réélire, l'expérience ayant démontré que cette prétendue garantie est presque toujours inefficace et que très-rarement les membres promus échouent dans de telles élections, quelque étrangers qu'ils soient aux électeurs; et parce qu'il est naturel de supposer qu'au moment où les moyens de corruption augmentent, le succès des candidats qui se recommandent par la corruption ne peut pas diminuer. »
Ne semble-t-il pas que ce considérant ait été rédigé non en Angleterre, mais en France ; non en 1740, mais en 1846?
Un an après, le 3 février 1742, Walpole tombait, et l'orateur le plus éloquent de la coalition, le chef des whigs dissidents, Pulteney, était chargé par le roi de former un cabinet. On sait par quelle faute étrange Pulteney refusa lui-même le pouvoir, et, dupe de Walpole et du roi, maintint aux affaires, à la grande colère de son parti, plusieurs des anciens ministres, entre autres le duc de Newcastle. Le cabinet nouveau avait néanmoins, pour chancelier de l'Échiquier, l'auteur persévérant du bill des pensions et du bill des places, Sandys, qui, peu de jours auparavant, venait de les faire passer tous les deux à la Chambre des Communes; et, pour secrétaire d'État, lord Carteret, qui les avait toujours [p.130] défendus. Il était difficile que ces deux ministres abandonnassent subitement leur œuvre, bien que leurs nouveaux alliés les gênassent, et qu'ils eussent peu de scrupules. Mais il restait la Chambre des lords, qui les tira d'embarras pour le moment, en rejetant les deux bills. Ce fut alors que, par une transaction telle quelle, le ministère fit passer un bill beaucoup plus restreint, et qui se bornait à exclure nominativement certains petits fonctionnaires. Ce bill est encore celui qui régit la matière, avec les bills de 1694, 1706 et 1716.
Ceux qui ont étudié l'histoire d'Angleterre savent dans quelle confusion, dans quelle anarchie tombèrent les partis, depuis la chute de Walpole jusqu'au jour où un patriote éloquent, le premier Pitt, en réunit les éléments dispersés. Ils savent aussi qu'au moment même où ce grand ministre, maître d'une majorité considérable dans le Parlement et dans le pays, venait d'accroître sur tous les points du globe la gloire et la puissance de l'Angleterre, un roi qui voulait gouverner monta sur le trône, et que, livrée pendant vingt ans, presque sans interruption, aux courtisans et aux favoris, l'Angleterre perdit l'Amérique, et vit décliner à la fois sa puissance et sa liberté. Pendant cette triste période, la corruption politique, un moment suspendue sous William Pitt, fit de tels progrès, que les anciens remèdes parurent trop faibles, et que l'idée d'une réforme complète s'empara des esprits les plus modérés. On vit alors (en 1770) William Pitt, devenu lord Chatham, déclarer [p.131] nettement « que la corruption était la grande cause du mécontentement du peuple, des usurpations de la couronne, du dépérissement de la constitution, et que, pour y porter remède, il était nécessaire d'augmenter la représentation des grandes villes. » On vit, un an après (en 1771), le même lord Chatham, après avoir accusé la couronne « d'exercer dans le Parlement une influence corruptrice », et les membres des Communes « d'obéir, comme des esclaves, à l'homme qui tient la clef d'or de la trésorerie, s'écrier que la constitution était perdue si on n'élevait pas un fort boulevard pour la défendre, et qu'il se déclarait converti aux Parlements triennaux. » C'est vers la même époque (de 1777 à 1779) que Fox et Burke, dans la Chambre des communes, le marquis de Rockingham, lord Shelburne, le duc de Grafton, le duc de Richmond, dans la Chambre des lords, dénonçaient, chaque jour, à l'indignation publique « le vaste système de rapine dont le pays était à la fois complice et victime. Il est notoire, disaient-ils, que la corruption la plus effrontée ravage et dévore le pays. Il est notoire que son pouvoir est devenu irrésistible et que, de la vieille liberté britannique, il reste à peine le nom. Trouverait-on aujourd'hui dans l'État un seul homme possédant un droit politique, et qui ne songe pas à le vendre pour le prix qu'il en peut trouver? L'action du Parlement n'a point été abrogée ; mais elle a été indirectement détruite par la corruption. »
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En 1780, l'Amérique était perdue, et, devant l'émotion produite par un si grand désastre, la corruption redoublait en vain ses efforts. Le ministère était donc ébranlé, la majorité chancelante, l'opposition ralliée, pleine d'ardeur, déterminée à frapper les grands coups. Le pays aussi s'agitait; et de nombreuses, d'énormes pétitions venaient, chaque jour, demander le renvoi des ministres et la réforme des abus. Dans cette situation, un vaste plan de réforme fut conçu par l'opposition, et lord Shelburne, à la Chambre des lords, Burke, à la Chambre des communes, proposèrent en même temps certaines réformes financières, dans le but avoué d'annuler, de diminuer au moins les influences illégitimes qui pervertissaient le Parlement. - « Ces influences, disait lord Shelburne, ont pénétré partout, dans les services militaires comme dans les services civils. Ce sont elles qui dictent tous les choix, au détriment des bons serviteurs de l'État. » - « Mon but, disait Burke, est moins de diminuer les dépenses publiques que de détruire, que de restreindre au moins l'influence corruptrice de la couronne, cette source éternelle de tous les désordres et de tous les désastres ; ce chancre qui ronge les entrailles de la constitution, sans qu'extérieurement le corps paraisse moins robuste ; ce mal redoutable qui ôte toute vigueur à nos bras, toute sagesse à nos conseils, toute moralité à notre conduite. » Il n'est pas sans intérêt de remarquer que Burke ayant repris, en 1781, le bill de 1780, le second Pitt, qui [p.133] venait d'entrer dans la Chambre, à l'âge de vingt-deux ans, choisit cette question pour son début et signala, comme Burke et comme Fox, les dangers que faisait courir au pays l'influence excessive de la couronne.
De toutes ces attaques à la corruption politique, la plus vive, la plus directe, la plus significative fut celle de M. Dunning, qui, en 1780, d'accord avec l'opposition tout entière, proposa à la Chambre de déclarer « que l'influence de la couronne avait augmenté, augmentait et devait être diminuée. » M. Dunning, comme conséquence de cette déclaration, demanda en outre que la Chambre des communes frappât d'inéligibilité un certain nombre de fonctions, surtout dans la maison royale, comme incompatibles avec l'indépendance du Parlement. La motion de M. Dunning était hardie et fut hardiment soutenue. Ainsi M. Thomas Pitt, neveu de lord Chatham, cousin germain de William Pitt, alla jusqu'à dire « qu'il voyait dans lord North la preuve, une preuve vivante de l'influence démesurée de la couronne. Comment, sans cette influence, lord North resterait-il ministre, lui qui a abaissé, dégradé, flétri l'honneur de la Grande-Bretagne ; lui par qui le nom d'Anglais, jadis l'envie du monde entier, est tombé au-dessous du mépris ; lui qui a rendu ses compatriotes et son pays un sujet de risée pour » les peuples étrangers ? — Au reste, ajoutait Thomas Pitt, c'est à sa mauvaise politique même que le noble lord doit sa durée. Il est bien connu que, [p.134] s'il avait conseillé une politique plus honorable et plus sage, il ne serait plus ministre. La ligne qu'il a suivie est la seule qui, dans une certaine région, pût lui concilier la faveur. » Le débat fut d'ailleurs fertile en incidents curieux, en révélations instructives. Ainsi, M. Dunning ayant dit « qu'il était dans la Chambre, à sa connaissance personnelle, plus de cinquante membres qui votaient toujours avec le ministère et qui, au dehors, parlaient comme l'opposition. » lord Nugent releva vivement cette assertion et s'indigna à la seule pensée que de tels misérables, que de si effrontés coquins pussent siéger à ses côtés. M. Dunning reprit alors et déclara qu'en disant cinquante, il était loin d'avoir dit assez, « Je sais, ajouta-t-il, qu'il est peu convenable de citer des noms propres : mais j'affirme sur l'honneur que je connais dans la Chambre plus de cinquante membres, dont la plupart m'écoutent en ce moment, et qui, hors de la Chambre, réprouvent et condamnent les mesures mêmes qu'ils soutiennent et qu'ils votent. Bien que personne plus que moi ne regarde les conversations particulières comme une chose sacrée, je suis prêt à nommer ces membres, si la Chambre le désire et si l'issue du débat peut en dépendre. » Comme on savait M. Dunning homme à tenir sa parole, personne n'accepta le défi.
Malgré la vive opposition des ministres et de leurs amis, les résolutions de M. Dunning, soutenues par Fox et par Burke, passèrent, l'une à seize voix, [p.135] l'autre à deux voix de majorité. Il restait à les convertir en lois et à compléter ainsi l'œuvre de 1740. Mais le président de la Chambre tomba malade : les séances furent suspendues pendant quinze jours, et lord North, à l'aide des moyens mêmes qu'on prétendait lui enlever, profita de l'intervalle pour reconquérir la majorité. Alors ce fut, au sein du parlement, une des scènes les plus dramatiques dont fasse mention l'histoire parlementaire. Au moment où la Chambre se réunit de nouveau, l'opposition savait tout. Pour que la question se vidât tout de suite, M. Dunning proposa donc une adresse au roi, fondée sur les résolutions précédentes, et cette motion fut appuyée par Fox, dans un de ses discours les plus éloquents. « Voilà, dit-il, onze ans que je suis dans la Chambre, et j'ai la douleur de voir tous les principes qu'on m'a enseignés, abandonnés, trahis par ceux-là mêmes qui me les enseignaient jadis ; n'est-ce pas du noble lord (lord North) que j'appris que la Chambre des communes est le palladium de la liberté britannique, et que ses privilèges doivent être maintenus à tout prix ? Avec quelle lâcheté le noble lord déserte aujourd'hui ce terrain ! Avec quelle bassesse il laisse fouler aux pieds les privilèges de la Chambre ! Il ne faut pas s'en étonner, au surplus, car c'est le sort de tous les autres principes que le noble lord a professés. » M. Fox termina en faisant un appel chaleureux aux 233 membres qui avaient adopté la glorieuse motion de M. Dunning, et en les suppliant [p.136] de ne pas se déshonorer par un vote en sens contraire, Malgré cela, la proposition fut rejetée par 254 voix contre 203.
C'est alors que Fox se leva, l'œil ardent, la voix émue, et qu'il dirigea contre les déserteurs, contre les traîtres la plus puissante, la plus sanglante des invectives. «Le vote, dit-il, qui vient d'avoir lieu est un vote honteux, scandaleux, déshonorant, non pour ceux qui, le 6 avril, ont voté avec le ministère, mais pour ceux qui ont voté contre et qui viennent de se démentir honteusement. Ce qui m'afflige le plus, c'est que ces misérables siègent de mon côté et qu'ils m'entourent, au moment même où je parle ! Personne ne tient en plus grand mépris que moi ceux qui sont habituellement à la discrétion des ministres ; ce sont des esclaves de la pire espèce, parce qu'ils se vendent eux-mêmes. Cependant, si basse que soit leur condition, ils ont une vertu : celle de la fidélité, de la reconnaissance, de la persévérance. A leurs autres vices ils n'ajoutent pas l'absurdité et la trahison de déclarer, aujourd'hui, qu'une chose est vraie, et, demain, qu'elle est fausse. Ils ne trompent pas leurs patrons et leurs amis par de fausses espérances, par des promesses fallacieuses... On peut, dans leur état d'abaissement, les voir avec quelque indulgence, avec quelque pitié, quand ils se courbent, quand ils rampent au lever du prince ou du ministre. Comment voir, au contraire, sans horreur ceux qui ont d'autres idées et qui n'en [p.137] votent pas moins pour le ministre contre leurs idées ? Il n'est pas un cœur honnête qui, en présence d'une telle effronterie, ne doive ressentir le ressentiment le plus ardent et le mépris le plus poignant. »
Parmi les nombreuses mesures que l'opposition produisit à cette époque, une seule trouva grâce devant la majorité : celle qui excluait de la Chambre toute personne intéressée directement ou indirectement dans un marché avec l'État. En 1778 et 1779, ce nouveau genre de corruption avait été signalé dans les deux Chambres, notamment par lord Shelburne. En 1780, le bill qui tendait à la réprimer, adopté sans division par les Communes, vint échouer devant la Chambre des lords, malgré un admirable discours de lord Cambden ; rejeté de nouveau en 1781, il fut repris par Fox, en 1782, pendant son court ministère, et devint loi de l'État. C'est, sur cette grave matière, le dernier acte important, bien qu'en 1801, 1812 et 1817, quelques incompatibilités nouvelles aient encore été prononcées.
De cette analyse et de ces citations je tire deux conséquences : la première, c'est que, depuis 1688, la question de la corruption parlementaire a été constamment regardée, en Angleterre, comme une question essentielle, vitale, comme une question de laquelle dépend la vie ou la mort de la Constitution ; la seconde, c'est que, dans les grands débats auxquels elle a donné lieu, l'influence excessive de la couronne n'a cessé d'être attaquée par les premiers [p.138] hommes d'État, par les premiers orateurs du Parlement avec une franchise, avec une audace que personne, en France, n'a jamais égalées. Et pourtant, il faut le répéter encore, l'état social et politique de l'Angleterre est loin de donner à la couronne tous les moyens d'influence, tous les moyens de séduction dont, en France, elle dispose librement.
Laissons maintenant l'Angleterre, et voyons si, en France même, il n'y a pas quelques précédents curieux à recueillir.
L'idée fondamentale de la Constitution de 1791, c'était, on le sait, la séparation absolue des pouvoirs. Tout le monde comprend aujourd'hui à quel point cette idée méconnaît, altère la nature et les conditions véritables du gouvernement représentatif ; mais elle avait alors toute la puissance d'un axiome, et c'est à peine si on osait la contester. Aussi, par une conséquence logique, bien que détestable, la Constitution de 1791 établit-elle entre les fonctions de législateur et toutes les autres fonctions révocables, même celles de ministre, une incompatibilité radicale. Au lieu d'être les chefs de la majorité, les ministres en devinrent ainsi les adversaires ou les subordonnés ; et la lutte, une lutte inévitable et permanente, se trouva instituée par la Constitution même au sein du gouvernement. A d'autres époques, le pouvoir législatif eût peut-être succombé dans cette lutte. Ce fut, pour cette fois, le pouvoir exécutif qui périt; et, pendant quelques années, à la séparation absolue des pouvoirs succéda, du moins en [p.139] fait, leur confusion complète. En l'an III, quand la crise révolutionnaire touchait à son terme, l'idée de la Constituante reparut, et l'incompatibilité de 1791 devint de nouveau partie intégrante de la Constitution. Elle fut implicitement maintenue dans la Constitution de l'an VIII, ainsi que dans les sénatus-consultes de l'an x et de l'an XII ; mais c'était alors en vertu d'un tout autre principe. Sous le Consulat et sous l'Empire, les membres du Corps Législatif, déchus de toute participation réelle au pouvoir, étaient de purs fonctionnaires salariés, que la règle administrative, à défaut de la règle politique, devait tenir éloignés des autres fonctions publiques. Par la Charte de 1814, aussi bien que par l'acte additionnel de 1815, cet état de choses changea, et tous les citoyens, fonctionnaires ou non, furent admis, pourvu qu'ils réunissent certaines conditions d'âge et de cens, à faire partie de la Chambre élective. Il est pourtant bon de remarquer qu'en interdisant l'élection des comptables, ainsi que celle des préfets et sous-préfets, dans leurs départements ou leurs arrondissements, l'acte additionnel entra, bien qu'avec beaucoup de timidité, dans la voie des incompatibilités.
Ainsi, de 1791 à 1814, hormis pendant la tourmente révolutionnaire, aucun fonctionnaire public salarié et révocable ne put être membre du Corps Législatif. Tous le purent, au contraire, depuis 1814. C'était, comme il arrive trop souvent, passer d'un extrême à l'autre et remplacer un danger par un autre danger. Aussi, plusieurs écrits en font foi, ne [p.140] tarda-t-on pas à se préoccuper de la crainte que la Chambre élective, envahie par les fonctionnaires, ne devînt, un jour, une annexe du conseil d'Etat, une succursale de l'administration. C'est à cette crainte que répondaient M. Barthe-Labastide, en 1816, M. Cornet d'Incourt, en 1817, M. Méchin, en 1820, quand ils proposaient d'exclure de la Chambre certaines catégories de fonctionnaires. Leurs propositions furent rejetées ; mais on reconnut en même temps qu'il y avait quelque chose à faire, et, reprenant une disposition de l'acte additionnel, on déclara, en 1817, les préfets, en 1820, les sous-préfets, inéligibles dans les départements ou dans les arrondissements qu'ils administraient.
Cependant l'invasion des fonctionnaires continuait, augmentait, et deux faits importants se produisaient simultanément dans les collèges électoraux et dans la Chambre : d'une part, les collèges électoraux nommaient, à chaque élection, un nombre plus grand de fonctionnaires : d'autre part, d'une élection à l'autre, un nombre plus grand de députés briguaient ou acceptaient des fonctions publiques. De ces deux faits, le dernier frappait surtout l'opinion et provoquait de vives réclamations. De là, à la tribune et dans la presse, des plaintes amères sur la servilité chaque jour croissante, chaque jour plus manifeste de la Chambre élective. C'est pour un article où ces plaintes étaient rudement exprimées que le Journal du Commerce, en 1826, fut traduit à la barre de la Chambre des députés. A cette occasion, plusieurs membres [p.141] de la Chambre et M. Barthe, défenseur du journal incriminé, signalèrent énergiquement le danger qui menaçait l'indépendance de la Chambre. Mais personne ne le fit avec plus d'autorité, avec plus d'effet que M. Royer-Collard.
« L'article incriminé, dit M. Royer-Collard, fait allusion à deux faits : l'un, qu'il y a beaucoup d'émigrés dans la Chambre ; l'autre, qu'il y a beaucoup de fonctionnaires. Ces deux faits sont de notoriété publique, et personne ne se défend de l'application. Les émigrés tiennent à honneur de l'avoir été, et les fonctionnaires, ce me semble, consentent parfaitement à l'être.
Mais, de ce qu'il y a beaucoup d'émigrés dans la Chambre, le journaliste conclut que l'indemnité a été votée dans des intérêts personnels et que la Chambre protège les courtisans ; de ce qu'il y a beaucoup de fonctionnaires, le journaliste conclut que le crédit de la Chambre est singulièrement affaibli, et qu'elle protège surtout les commis...
Je crois, moi, que les émigrés qui siègent dans cette Chambre ont été mus, dans le vote de l'indemnité, par des considérations fort supérieures à leur intérêt personnel ; mais il me plaît de le croire, ni la raison ni la morale ne m'en font un devoir. » De même, je crois que les fonctionnaires apportent dans la Chambre et qu'ils y conservent une parfaite indépendance ; mais je ne suis pas obligé de le croire ni de le dire.
La prudence commune, cette prudence aussi [p.142] vieille que le genre humain, enseigne que la situation particulière des hommes détermine leurs intérêts, et qu'il faut s'attendre trop souvent que leurs intérêts déterminent leurs actions. Là où le contraire arrive, il y a de la vertu : elle seule opère ce miracle. Je le dis donc hautement, je le dis avec l'autorité de l'expérience universelle : il a fallu de la vertu aux émigrés pour se dégager de leurs intérêts dans le vote de l'indemnité ; il faut de la vertu aux fonctionnaires pour rester indépendants. Quel est maintenant le crime du journaliste? D’avoir jugé la Chambre vulgairement, comme juge la prudence commune, comme juge l'histoire, et d'avoir cherché et trouvé l'esprit qui l'anime dans les lois ordinaires du cœur humain plutôt que dans les lois extraordinaires de la vertu. Je vous le demande, Messieurs : quel serait le degré de servitude d'un peuple provoqué à parler et qui serait condamné à trouver toujours de la vertu à ceux qui gouvernent? »
Ce discours, d'une ironie si puissante, n'empêcha pas la condamnation du Journal du Commerce; mais le trait resta dans la blessure, et la cause des députés fonctionnaires fut, à partir de ce jour, perdue devant le tribunal de l'opinion publique.
Cependant une idée avait surgi qui, sans prononcer aucune incompatibilité nouvelle, semblait devoir porter au mal un remède efficace et diminuer notablement le nombre des députés fonctionnaires. Celle idée, produite pour la première fois en 1817, par [p.143] M. de Villèle, et, depuis, reprise annuellement, tantôt par la gauche, tantôt par la droite indépendante, consistait à renvoyer devant le corps électoral, comme on le fait en Angleterre, tout député qui accepterait soit de l'avancement, soit une fonction rétribuée. Jusqu'en 1828, la question, ainsi posée, était restée au nombre de celles que l'on discute, mais sans espoir d'un résultat sérieux et prochain. En 1828, aussitôt après la chute de M. de Villèle, l'opposition, victorieuse, s'en empara et entreprit de la conduire à bonne fin. Dans ses termes, la proposition nouvelle n'allait d'ailleurs pas plus loin que celles de M. de Villèle, en 1817, de M. Legraverend, en 1820, de M. Jankowitz et de M. Boucher, dans les sessions subséquentes. Mais, dans son esprit, elle était bien plus large ; et, pour en comprendre toute la portée, il suffit de lire, d'une part, le développement de M. de Conny, auteur de la proposition, de l'autre, le rapport de M. de Chantelauze. L'abus que M. de Conny attaque, il le déclare nettement, c'est l'envahissement de la Chambre par les fonctionnaires publics, c'est la prodigalité scandaleuse avec laquelle les emplois sont distribués aux députés par les ministres. La proposition a donc pour but de diminuer le nombre des fonctionnaires députés, et (ce sont les propres termes du développement) « d'établir une barrière qui rende les députés étrangers à toute promotion de places, pendant la durée de leurs fonctions. » M. de Conny veut, en un mot, « que la carrière des places ne s'ouvre plus que rarement [p.144] et à de très-grandes distances pour les membres de la Chambre. » M. de Chantelauze, au nom de l'unanimité de la commission, ne va pas aussi loin ; mais, tout en déclarant que l'incompatibilité des fonctions publiques avec les fonctions de député serait contraire à la Charte et au bon sens, il reconnaît « qu'il est urgent d'empêcher que les députés ne spéculent sur leur mandat et ne fassent de leur élection un moyen de parvenir aux honneurs et d'accroître leur fortune. » Selon lui, la proposition de M. de Conny doit avoir ce résultat, et c'est pourquoi il en propose l'adoption.
La proposition fut, en effet, adoptée par la Chambre des députés; mais la Chambre des pairs la rejeta, après une discussion longue, approfondie, et qui ne laisse aucun doute sur le but que l'on voulait atteindre. Qu'on lise cette discussion, à laquelle prirent part les premiers orateurs de la Chambre, et qu'on dise si, aux yeux de tous, aux yeux de ses défenseurs comme de ses adversaires, la proposition ne devait pas réduire notablement le nombre des députés fonctionnaires. Je ne veux point réimprimer le discours de M. de Broglie, discours si souvent cité à la tribune, et dans lequel cet homme d'État attaquait avec tant de verve, avec tant d'énergie « la prodigalité des emplois publics vis-à-vis de la Chambre élective. » Je ne veux point reproduire le tableau si vrai, si frappant qu'il présentait de toutes les profusions à l'aide desquelles des ministres peu scrupuleux s'appliquaient, selon lui, à corrompre, à pervertir [p.145] à la fois le gouvernement représentatif et l'administration. Je veux seulement constater qu'en soutenant la proposition, M. de Broglie espérait y trouver un remède efficace au mal qu'il signalait. Je veux constater qu'il s'agissait pour lui, non pas de faire prévaloir un principe et d'obtenir une satisfaction théorique, mais de réformer en fait, dans la pratique, un abus réel, un abus qui, disait-il, « était devenu énorme, monstrueux, intolérable ». Réformer l'abus, tel était le but. Soumettre les députés à réélection, tel était le moyen; et, ce moyen, on n'avait gardé de penser qu'il pût être insuffisant; la seule crainte que l'on eût, c'était, au contraire, qu'il ne fût trop violent, trop radical, et qu'en fait il n'exclût tous les fonctionnaires de la Chambre. Ainsi, M. Pasquier, rapporteur de la commission, ne niait pas l'abus ; mais il fallait, selon lui, « prendre garde, en le supprimant, de tomber dans un abus plus dangereux et de revenir indirectement au principe de la Constituante. » M. Pasquier, si l'on entrait dans cette voie, préférait qu'on étendît le cercle des incompatibilités.
Ainsi, en 1828, la question était celle-ci : on trouvait le nombre des fonctionnaires députés trop considérable pour que la Chambre pût être ou paraître indépendante. On trouvait en outre que les emplois publics avaient servi trop souvent à payer certains services parlementaires, à récompenser certains votes, à faciliter certaines conversions, et que, dans l'intérêt du Parlement comme dans l'intérêt de [p.146] l'administration, il était temps de mettre un terme à ces scandales. Puis, cela établi, on croyait qu'en soumettant les députés fonctionnaires à la nécessité d'une réélection, en cas de promotion, les abus et les scandales cesseraient aussitôt. C'est cette pensée, c'est cette conviction qui dicta le paragraphe 3 de l'article 69 de la Charte et la loi du 14 septembre 1830.
Ou je m'abuse fort, ou ce sont là des faits démontrés. La question dès lors, se réduit aux termes les plus simples : la loi de 1830 a-t-elle, comme on l'espérait, réduit notablement le nombre des députés fonctionnaires? La même loi a-t-elle prévenu ou puni les abus, les scandales dont on se plaignait? Qui peut nier que la question, ainsi posée, ne soit résolue par la notoriété publique ? « Malgré mon respect pour la chose jugée, dit M. le duc Pasquier, dans la dernière édition de ses discours, je ne puis m'empêcher de remarquer que le système adopté depuis 1830 n'a point arrêté le cours des abus auxquels ceux qui l'ont fait prévaloir espéraient remédier. » C'est une opinion grave, et que ne récusera pas sans doute le parti conservateur. Voyons pourtant si l'on ne peut pas y ajouter l'autorité irrésistible de quelques chiffres.
Toutes les fois que ce débat s'est élevé dans la Chambre des députés, les adversaires de la proposition ont fait grand bruit d'un calcul de M. le duc de Broglie, en 1828, calcul duquel il semble résulter que, sur 1,400 députés, nommés de 1814 à 1828, [p.147] 1,200 à peu près avaient accepté des fonctions publiques. Si les adversaires de la proposition avaient pris la peine de lire le débat tout entier, ils auraient vu que, dans son calcul, M. de Broglie faisait entrer beaucoup de fonctionnaires gratuits, les maires, par exemple, et les membres des conseils généraux. Ils auraient vu aussi que M. de Broglie évaluait à 130 le nombre des vrais fonctionnaires qui faisaient alors partie de la Chambre, et que ce nombre de 130 lui paraissait démesuré. Si, aujourd'hui, il y a plus de 130 fonctionnaires députés, il faut donc reconnaître que la loi de 1830, défendue, en 1828, par M. de Broglie, a complètement manqué son but. Or, voici comment, depuis la loi de 1830, les choses se sont passées : en 1831, au lendemain de la révolution, quand presque toutes les fonctions publiques avaient changé de mains, quand tout naturellement on avait dû choisir les fonctionnaires nouveaux parmi les hommes notables de la majorité libérale, une Chambre des députés fut élue. Dans de telles circonstances, il était naturel, presque inévitable, que beaucoup de fonctionnaires y prissent place. Ils atteignirent, en effet, le chiffre de 142, douze de plus qu'en 1828. Mais, je le répète, ce chiffre pouvait paraître exceptionnel, et l'on avait lieu de croire qu'il irait en diminuant, surtout après une loi qui déclarait absolument inéligibles les préfets, les sous-préfets, les comptables, et qui appliquait aux procureurs-généraux et aux commandants militaires le principe de l'incompatibilité relative. Or, depuis 1831, le chiffre [p.148] des députés fonctionnaires a-t-il diminué? Tout au contraire. Ainsi, des tableaux rédigés avec soin et distribués à la Chambre constatent que ce chiffre était, au 1er mars 1842, de 167 ; au 1er mars 1846, de 184. Il est aujourd'hui de 193 clans une Chambre incomplète, et avant que certaines ambitions nouvelles aient eu le temps de se produire.
Ces chiffres sont significatifs par eux-mêmes. Ils le sont plus encore si on les décompose. Ainsi, la liste des fonctionnaires, aux trois époques de 1832, 1842, 1846, se subdivisait ainsi qu'il suit :
1832. — Administration centrale…8
Corps diplomatique…2
Conseil d'État.…8
Cour des comptes…3
Magistrature inamovible…36
Magistrature amovible…19
Administrations diverses…19
Armée et marine…40
Maison civile et militaire du roi…4
1842. — Administration centrale…18
Corps diplomatique…4
Conseil d'État…18
Cour des comptes…5
Magistrature inamovible…44
Magistrature amovible…18
Administrations diverses…23
Armée et marine…26
Maison civile et militaire du roi.…11
[p.149]
1846.— Administration centrale…20
Corps diplomatique…5
Conseil d'État…24
Cour des comptes…7
Magistrature inamovible. …48
Magistrature amovible…20
Administrations diverses. …20
Armée et marine…29
Maison civile et militaire du roi…11
Quant au chiffre actuel, de 193, en voici les éléments :
1847. — Administration centrale…24
Corps diplomatique… 5
Conseil d'État…24
Cour des comptes. …10
Magistrature inamovible…47
Magistrature amovible…20
Administrations diverses. …17
Armée et marine…31
Maison civile et militaire du roi. …14
Ainsi, de 1832 à 1846, le chiffre de l'armée et de la marine a diminué, celui de la magistrature est resté presque stationnaire ; celui de l'Administration centrale, de la Cour des comptes, du Conseil d'État, de la maison civile et militaire du roi a notablement augmenté. La conséquence, ce me semble, n'est pas difficile à tirer. Il peut être curieux de placer à côté de ce tableau [p.150] celui des fonctionnaires publics qui font partie de la Chambre des communes d'Angleterre. Le voici, d'après le Parliamentary companion de 1846 :
Ministres et sous-secrétaires d'État. …10
Lords et secrétaires de la trésorerie. …6
Lords et secrétaires de l'amirauté…5
Artillerie, bureau de commerce, bureau de contrôle…6
Attorneys et avocats-généraux…5
Maison de la reine et du prince Albert. …10
Armée…52
Marine…22
Emplois divers…5
Il faut remarquer que les 42 fonctionnaires des six premières catégories sont tous des fonctionnaires politiques qui changent chaque fois que le cabinet change, et qui forment, en quelque sorte, le ministère. Il ne reste donc, à vrai dire, que l'armée et la marine, dont, en Angleterre, l'indépendance absolue n'est contestée par personne. En déduisant des deux côtés l'armée et la marine, on arrive, pour les autres catégories, aux résultats que voici.
En Angleterre, sur une Chambre de 658 membres, il y a 47 fonctionnaires, presque tous politiques, et qui suivent le sort du parti auquel ils appartiennent.
En France, sur une Chambre de 459 membres, il y a, en dehors de l'armée et de la marine, 161 [p.151] fonctionnaires, dont 12 ou 15 tout au plus se croient obligés de quitter leur place quand le ministère est renversé.
Ce n'est pas tout, et voici qui parle plus clairement encore : en 1832, sur les 142 fonctionnaires-députés, il y en avait 66 qui votaient avec l'opposition. En 1842, il y en avait 48 sur 167 ; et, en 1846, 44 sur 184. Il y en a, aujourd'hui, 33 sur 193. II résulte de là que, la majorité absolue restant fixée au chiffre de 230, on compte dans cette majorité : en 1832, 76 fonctionnaires ; en 1842, 121 ; en 1846, 140 ; aujourd'hui, 160. Que dit-on de la progression? N'est-elle pas tout à fait rassurante, et n'est-ce pas fort à tort que l'opposition s'alarme pour l'indépendance de la Chambre et pour l'avenir du gouvernement représentatif?
Ce chiffre, tout énorme qu'il est, n'est d'ailleurs pas le chiffre véritable. Je citais tout à l'heure le bill par lequel Fox, en 1782, fit assimiler aux fonctionnaires salariés tous ceux qui avaient un intérêt direct ou indirect dans des marchés passés avec l'État. Croit-on que cette assimilation soit fausse, ou qu'en France, l'abus dont il s'agit soit moins à craindre qu'en Angleterre? Qu'aux 160 députés fonctionnaires on ajoute ceux que le bill de Fox exclurait, et qu'on dise si, en définitive, plus des deux tiers des membres de la majorité ne se trouvent pas, soit par leurs fonctions, soit par leurs intérêts privés, en rapport direct, étroit, avec les ministres. Je ne parle point de certaines faveurs plus secrètes, qui, malheureusement, [p.152] ont souillé, dans tous les temps, les assemblées représentatives, et dont rien n'autorise à croire que l'époque actuelle soit plus pure que les époques précédentes.
Je le demande : en présence de tels chiffres, la démonstration n'est-elle pas complète, et quelqu'un peut-il soutenir de bonne foi que la loi de 1830 ait atteint son premier but, celui de ramener à des proportions plus modestes le nombre des députés fonctionnaires? Encore les choses n'ont-elles pas été jusqu'où elles iront, si la législation n'y met ordre. Avant les élections, on a publié dans les journaux une liste de 100 à 120 fonctionnaires, qui, en sus des 184 déjà membres de la Chambre, se présentaient aux électeurs. On peut prédire qu'en 1850 il y en aura plus encore. Ce n'est pas sérieusement d'ailleurs qu'on imagine répondre à tout, en disant que l'opposition choisit, comme la majorité, un certain nombre de ses candidats parmi les fonctionnaires. Les lois, même mauvaises, sont les mêmes pour tous tant qu'elles existent, et le premier devoir d'un parti, c'est de prendre, parmi les candidats qui représentent ses opinions, celui qui paraît avoir les meilleures chances.
Déclarer, par le fait, les fonctionnaires de l'opposition inéligibles, tandis que ceux de la majorité resteraient éligibles, ce serait le comble de l'absurdité, le comble de la duperie. Il était en 1831, bon nombre de conservateurs qui voulaient maintenir le cens électoral à 300 francs et qui ont vivement regretté [p.153] qu'il fût abaissé à 200 francs. Je ne sache pas que, pour rester fidèles à leur opinion, ils se soient abstenus de solliciter les suffrages des électeurs qu'ils voulaient exclure, ou qu'ils leur aient conseillé l'abstention. Tant que certains fonctionnaires seront éligibles et tant que les électeurs paraîtront disposés à les nommer, ils figureront donc sur les listes de l'opposition comme sur celles de la majorité, sans qu'il soit possible d'en faire un reproche soit à l'opposition, soit à la majorité. Cela prouve-t-il que l'invasion des fonctionnaires ne soit point à craindre et que la loi doive rester muette ? A mon sens, cela prouve précisément tout le contraire. Si le corps électoral repoussait les fonctionnaires, la législation n'aurait point à s'en occuper. Il faut que la législation s'en occupe, parce que, malgré tous les avertissements, le corps électoral leur est, chaque année, plus favorable. Il faut que la législation s'en occupe, parce que les intérêts particuliers tendent ainsi à dominer les intérêts généraux et à créer une Chambre qui représente les ministres, au lieu de représenter le pays.
Je le répète : la loi de 1830 n'a pas atteint son premier but, celui de diminuer le nombre des députés fonctionnaires. A-t-elle atteint le second, celui d'empêcher les nominations, les promotions abusives et de mettre un terme à ce que M. Thiers appelait si justement, dans la séance du 17 mars 1846, « le régime du passe-droit? » Ici j'éprouve quelque embarras. Il est plus facile, surtout quand on a [p.154] l'honneur d'être membre de la Chambre, de toucher aux chiffres qu'aux personnes. Je me borne, comme M. de Broglie, en 1828, à invoquer la notoriété publique et à poser en fait qu'il y a eu, depuis quinze ans, des abus énormes, monstrueux, intolérables. Nous avons dans la Chambre des premiers présidents et des maîtres des comptes, des procureurs généraux et des directeurs des finances, des conseillers d'État et des ministres plénipotentiaires, des officiers supérieurs et des référendaires, dont plusieurs ont fait leur chemin assez aisément, assez vite, sans quitter les bancs de la Chambre. Pense-ton qu'ils l'eussent fait également si les électeurs ne leur eussent pas mis une boule blanche et une boule noire dans la main? Je ne serai point assez indiscret pour répéter là-dessus tout ce que j'ai entendu dire dans la salle des Conférences, non par l'opposition, mais par les membres les plus dévoués, les plus honorables de la majorité. Je me contente d'affirmer, sans crainte d'être démenti, que de tristes nominations ont eu lieu et que ces nominations ont, sur presque tons les bancs, rencontré le même sentiment. Qu'on sorte, au reste, de la Chambre et qu'on interroge, non publiquement, mais à part, un des innombrables fonctionnaires non députés auxquels les députés font concurrence. En est-il un qui ne sache, qui ne dise que, pour faire son chemin aujourd'hui, les services parlementaires valent incomparablement mieux que les autres services ? En est-il un qui ne plie tristement, douloureusement sous le poids [p.155] de cette fâcheuse conviction? C'est là, qu'on le sache bien, ce qui pousse vers la Chambre tant de fonctionnaires qui, dans d'autres circonstances, se tiendraient sagement à l'écart. Ils veulent devenir députés, non pour entrer dans la carrière politique, mais pour avancer dans leur carrière administrative. Ce n'est point à eux qu'il faut en faire un reproche ; c'est au système dont la partialité corruptrice leur en fait presque une nécessité.
M. Thiers avait donc mille fois raison quand, dans la dernière session, il disait qu'il venait défendre le pouvoir en même temps que la Chambre, les fonctionnaires non députés en même temps que les députés non fonctionnaires, la justice administrative en même temps que l'indépendance parlementaire. Maintenant, si la loi de 1830 n'a point prévenu les abus, les a-t-elle du moins punis, non toujours, mais quelquefois, mais une fois sur dix? Pour en juger, que l'on compte parmi les députés soumis à la réélection combien n'ont pas été réélus : deux ou trois tout au plus ! Je sais qu'on présente gravement ce fait comme une preuve de l'excellence des choix faits, depuis quinze ans, par tous les ministères. C'est précisément ainsi que raisonnait Walpole, en 1741, et c'est à ce beau raisonnement que les premiers hommes de la Chambre des lords répondaient par le considérant que j'ai déjà cité. Quand les électeurs attendent de leur député non des votes indépendants, mais des faveurs personnelles, pourquoi, comment ne le rééliraient-ils pas au moment où son [p.156] crédit augmente, où son pouvoir s'affermit? Ce serait rompre son bail à la veille d'une récolte abondante, abandonner sa propriété quand elle est en pleine valeur. Tout ce que l'on peut demander, c'est une part proportionnelle au produit, et, dans certains moments, cela ne se refuse guère.
Est-il besoin d'en dire davantage pour prouver que la loi de 1830 n'a point diminué le nombre des députés fonctionnaires, qu'elle n'a prévenu aucun scandale, qu'elle n'a réprimé aucun abus, et que les paroles si sévères de M. de Broglie, en 1828, sont aujourd'hui aussi vraies, plus vraies qu'elles ne l'étaient à cette époque ? Maintenant, à ceux qui, pour se dispenser de rien faire en 1847, se retranchent sans cesse derrière ce qu'on a fait en 1830, j'adresse cette seule question : quand à une maladie bien constatée, bien définie la médecine a opposé un remède qu'elle croyait efficace, mais qui a complètement échoué, que lui reste-t-il à faire ? Doit-elle s'en tenir au remède qui a échoué, ou en chercher un autre ? Laisser mourir le malade ou avouer qu'elle s'est trompée ?
Il faut, d'ailleurs, en convenir : si l'opposition tout entière est d'accord sur le mal, elle ne l'est pas au même point sur le remède ; et tout naturellement ceux qui croient la loi de 1830 suffisante profitent de ses dissentiments. Il est donc utile d'examiner par avance si, sur quelques points au moins, on ne pourrait pas s'accorder. Parmi les remèdes proposés, il en est d'abord un qui trancherait dans le vif : [p.157] c'est celui qui, ainsi que le voulait la majorité des Communes, en 1706 et 1740, poserait en principe l'exclusion absolue des fonctionnaires, tout en exceptant de la règle commune certains emplois politiques. De cette façon, on limiterait strictement le nombre des fonctionnaires, et on fermerait la porte à toute nomination, à tout avancement scandaleux. Si la constitution sociale de la France ressemblait à celle de l'Angleterre, j'inclinerais fort vers ce remède, tout radical qu'il est. Mais le législateur, s'il est sensé, doit tenir compte des faits et ne pas bâtir dans le vide. Or, il faut reconnaître que la France ne possède pas, comme l'Angleterre, une classe élevée pour la vie publique, et qui se destine, dès l'enfance, non aux emplois, mais au gouvernement. La Chambre des députés doit donc se recruter indistinctement, dans les diverses professions dont la société se compose ; et, parmi ces professions, celle de fonctionnaire est incontestablement une des plus nombreuses, une des plus honorables, une des plus éclairées, peut-être même une de celles où l'idée de; l'intérêt public s'efface le moins devant celle de l'intérêt privé. Comment sans injustice, sans dommage pour le pays, exclure de la Chambre cette profession tout entière? Comment admettre l'avocat, non le magistrat, le commerçant, non le militaire? M. de Rémusat et M. Thiers l'ont parfaitement démontré : la Chambre doit être la représentation fidèle, exacte, sincère de la société, dans toutes ses parties et dans ses proportions véritables. Le serait-elle, si une [p.158] classe influente et considérable se trouvait absolument écartée?
La solution radicale mise de côté, il s'en présente plusieurs qui se sont successivement produites, et qui, après une épuration nécessaire, ont abouti, en définitive, aux deux idées que voici : selon les uns, pour atteindre le mal sûrement et promptement, il faut, sans déclarer aucune fonction incompatible avec la fonction de député, interdire aux députés, une fois nommés, toute promotion et tout avancement ; selon les autres, il vaut mieux, à l'exemple de l'Angleterre, suivre la voie ouverte par la loi de 1831 et ajouter aux incompatibilités établies d'autres incompatibilités. En 1840, M. de Remilly, au nom de plusieurs conservateurs, proposa la première solution ; tandis que M. Thiers, au nom du ministère, qu'il présidait, déclarait sa préférence pour la seconde. Plus tard, en y regardant de près, on s'est aperçu que, dans une certaine mesure, toutes deux étaient bonnes, et qu'au lieu de les opposer l'une à l'autre, il convenait de les réunir et de les associer. De là le projet présenté par M. Ganneron, repris par M. de Rémusat, complété par M. Odilon Barrot. De là le projet qui, dans la dernière Chambre, a provoqué un si grand débat et qui, soutenu par une minorité de 184 voix, a succombé devant une majorité de 232 conservateurs, dont 133 fonctionnaires.
Quand, au lieu d'écarter la proposition par une fin de non recevoir, la Chambre voudra bien la [p.159] discuter, il sera temps d'en apprécier les détails et d'examiner les objections secondaires qu'elle soulève. Je veux seulement aujourd'hui poser quelques principes et montrer que, pour atteindre le double but que la loi de 1830 a marqué, les deux parties de la proposition sont absolument nécessaires. Je commence par la partie la plus importante, selon moi, celle qui tend à élargir le cercle des incompatibilités.
La question générale de savoir quels sont dans le gouvernement représentatif, tel qu'il existe en France, ceux des fonctionnaires publics qui ont un caractère vraiment politique et qui doivent s'associer à la pensée ministérielle, est une des questions les plus sérieuses, les plus difficiles, les plus délicates qu'il y ait, une de celles dont la solution implique les plus graves conséquences. Je prends tout de suite un exemple, le plus simple et le plus frappant de tous : on semble généralement admettre que les préfets et sous-préfets sont les collaborateurs politiques des ministres, et qu'il leur est non-seulement permis, mais imposé de faire prévaloir, au moyen de leur influence, tel ou tel système, telle ou telle opinion. La conséquence logique de cette théorie, c'est que les préfets et sous-préfets, s'ils ne sont pas de pures machines, doivent être changés chaque fois que la politique change. Je discutais, un jour, cette question avec un sous-préfet qui n'entendait point se réduire à un rôle purement administratif. « Qu'aurais-je à faire dans ma sous-préfecture, [p.160] me disait-il, si je ne m'occupais pas de prouver que le Journal des Débats a raison contre le Siècle? — C'est à merveille, lui répondis-je ; mais alors vous êtes bien résolu à quitter votre sous-préfecture, le jour où le ministère tombera? — Pourquoi cela? — Parce que, d'après votre doctrine, vous vous verriez dans la nécessité de prouver que le Siècle a raison contre le Journal des Débats, et que cela devrait vous être fort pénible. » A mon argument le sous-préfet en question objecta que la politique reste souvent la même, bien que le ministère change. Cela s'est vu en effet ; mais il faut espérer que cela ne se verra plus, et, dans tous les cas, ce n'est point l'état normal du gouvernement représentatif.
Plus on approfondit cette question, plus on se persuade que, dans un pays de centralisation, comme la France, il est impossible, sans avilir l'administration ou sans la désorganiser périodiquement, d'attribuer le caractère politique à un grand nombre de fonctions publiques ; plus on se persuade qu'après deux ou trois changements sérieux de cabinet, tout le monde sentira la nécessité de réduire l'action politique de la plupart des fonctionnaires, même des préfets et sous-préfets, à la défense de la dynastie et des institutions constitutionnelles. En attendant, il est nécessaire de prendre les choses telles qu'elles sont. Or, quand on soumet à une analyse rigoureuse les diverses classes de fonctionnaires, on découvre bientôt qu'ils sont de trois sortes : 1° ceux dont les [p.161] fonctions sont complètement, incontestablement politiques, et qui, collaborateurs obligés des ministres, ne peuvent, sans un trouble profond, se séparer d'eux dans la Chambre ou hors de la Chambre ; 2° ceux qui occupent des emplois auxquels la politique est ou doit rester étrangère, et qui peuvent, sans dommage pour l'État, partager ou ne pas partager les opinions ministérielles ; 3° ceux enfin qui, intermédiaires entre les uns et les autres, ont un caractère semi-politique, semi-administratif, un caractère qui, sans les associer entièrement au système ministériel, ne leur permet pas de s'en faire ouvertement les contradicteurs. Il est sans doute telle ou telle fonction qu'on peut hésiter à ranger dans l'une ou l'autre de ces catégories. On ne peut nier qu'elles n'existent toutes les trois et qu'il ne soit possible, sinon facile, de les distinguer les unes des autres.
Maintenant, en supposant cette classification faite, rien de plus simple que de déterminer, non pas arbitrairement, mais d'après une règle positive, quels fonctionnaires doivent ou ne doivent pas être éligibles. Point de difficulté d'abord pour la première classe, celle des fonctionnaires vraiment politiques, des fonctionnaires qui, dans tous les systèmes, même dans le système radical, peuvent et doivent rester membres de la Chambre. Quand leurs amis arrivent au pouvoir, ils y arrivent avec eux. Ils en sortent avec eux, quand la majorité les abandonne. A vrai dire, ils font partie du ministère, dans des situations [p.162] inférieures à celle de ministre, mais avec les mêmes devoirs comme avec les mêmes droits.
Pour la seconde classe, il est, ce me semble, une distinction à faire. Puisque les fonctionnaires dont cette classe se compose sont étrangers à la politique et maîtres de leur opinion, il est naturel, il est juste qu'ils puissent siéger dans la Chambre, à condition que leur indépendance soit bien reconnue, bien garantie, et que, dans aucun cas, un ministre quelconque ne puisse, directement ou indirectement, leur demander compte de leur vote. Mais, à défaut de l'intimidation, la séduction pourrait encore avoir prise. On ne craint pas d'être destitué, mais on désire avancer; et, si l'avancement n'est pas interdit aux députés, on peut, devant ce désir, pour peu qu'il soit vif, abaisser son indépendance. Je suis donc porté à croire que, dans cette classe de fonctionnaires, il serait utile de placer l'éligibilité à une certaine hauteur. On prétend qu'on établirait ainsi entre les grands et les petits fonctionnaires une distinction absurde et odieuse. Pas plus absurde, pas plus odieuse que celle qui est établie par la loi actuelle entre les citoyens qui payent 500 fr. d'impôt et ceux qui payent 490 fr. Quand il s'agit d'élection ou d'éligibilité, il faut toujours s'arrêter à un certain point et déterminer une certaine limite, limite plus facile à critiquer qu'à justifier, mais qui n'en est pas moins le produit de l'observation et de la réflexion combinées. Pour échapper à cette nécessité, pour éviter cet inconvénient, il n'est qu'un moyen : c'est [p.163] de supprimer absolument les droits politiques ou de les donner à tous.
Reste la dernière classe, celle des fonctionnaires que la politique et l'administration revendiquent à la fois. Pour assigner à ces fonctionnaires leur vrai caractère et pour faire, en ce qui les concerne, la part de l'indépendance parlementaire, tout en maintenant celle de l'autorité ministérielle, M. Guizot, depuis dix ans, a inventé successivement deux ou trois théories. C'étaient d'abord le vote silencieux, distingué du vote ostensible ; puis le vote sur les questions spéciales, distingué du vote sur la politique générale. Les fonctionnaires dont il s'agit étaient libres, quant à l'un, et dépendants, quant à l'autre. Qui ne comprend que ce sont là des distinctions puériles et de vaines subtilités? Qui ne comprend que la liberté du vote est indivisible, qu'elle est tout entière, ou n'est pas? Au lieu de s'égarer, de se perdre dans cette logomachie, qu'on veuille bien tout simplement se placer au milieu de la Chambre et examiner quel est, quel peut être, le lendemain d'une révolution ministérielle, le rôle de certains fonctionnaires. Hier, pour sauver l'ancien ministère, on leur a fait déclarer par leur vote que telle ou telle politique est digne et ferme au dehors, honnête et modérée au dedans. Aujourd'hui, pour consolider le ministère nouveau, on leur demande de déclarer que la même politique est faible et basse au dehors, violente et corruptrice au dedans. Que feront-ils? Ce n'est point là une question [p.164] spéciale ; et, depuis l'abolition du scrutin secret, il n'y a plus guère de vote silencieux. Encore une fois, que feront-ils? L'alternative est claire. Ou bien, fidèles à leur parti, à leurs précédents, on les verra sacrifier leurs places, renoncer à leur carrière, et, s'ils sont nombreux, jeter dans plusieurs branches de l'administration le désordre et l'instabilité ; ou bien, transportant d'un parti, d'un système, d'un ministère à l'autre la banalité de leur dévouement, ils donneront le triste et honteux spectacle de trente à quarante députés sans opinion, sans conscience politique, que toute majorité possède, que tout ministère transmet à ses successeurs, comme un troupeau ou comme un mobilier ! Croit-on que cela soit bon pour la Chambre, pour le gouvernement, pour les fonctionnaires eux-mêmes? Croit-on qu'il ne vaille pas cent fois mieux, en leur fermant les portes du Parlement, mettre à la fois à couvert leur existence et leur dignité?
Des fonctions politiques et des fonctions non politiques, compatibles avec les fonctions de député, mais à condition : pour les premières, de rester soumises à toutes les vicissitudes ministérielles; pour les dernières, d'assurer à ceux qui les occupent l'entière liberté de leur vote ; puis, entre les unes et les autres, le principe d'incompatibilité rigoureusement appliqué à toutes les fonctions qui participent assez de la politique pour ne pas laisser une indépendance complète, assez de l'administration pour qu'il ne soit pas nécessaire de les quitter chaque [p.165] fois que le ministère change, voilà, ce me semble, la pensée qui doit dominer tout le projet. Maintenant, la proposition de M. de Rémusat correspond-elle exactement à cette pensée? C'est, je le répète, ce qu'on pourra examiner, quand la Chambre voudra bien passer à la discussion des articles. Il suffit, quant à présent, que le principe soit nettement établi.
J'arrive à la catégorie qui, soit dans la Chambre même, soit au dehors, a fait le plus de bruit et excité l'émotion la plus vive : celle de la maison civile et militaire du roi. Pour qu'une proposition aussi simple, aussi légitime, aussi respectueuse ait rencontré tant de résistance et soulevé tant de colère, il faut que, depuis quelques années, en France, l'esprit courtisan ait fait de notables progrès. Pour ma part, je suis convaincu que, de toutes les incompatibilités, celle dont il s'agit est la plus juste et la plus nécessaire. On peut repousser le principe des incompatibilités ; on ne peut pas l'admettre sans que la maison du roi y prenne la première place.
La question de principe est facile à vider. D'après la Charte, il y a trois pouvoirs, dont chacun a ses droits et ses devoirs, ses prérogatives et ses attributions régulières et constitutionnelles. L'esprit de la Charte permet-il qu'un de ces pouvoirs vienne, par délégation, siéger ostensiblement au sein de l'autre, et qu'il exerce ainsi sur ses délibérations intérieures une influence directe et positive? L'esprit de la Charte permet-il en outre qu'entre la couronne et le [p.166] Parlement il y ait d'autres intermédiaires que les ministres? A mon sens, cela n'est pas plus tolérable dans l'hypothèse du roi qui gouverne que dans l'hypothèse du roi qui ne gouverne pas, dans la théorie du gouvernement consultatif que dans la théorie du gouvernement représentatif véritable. Élevez le pouvoir royal, abaissez le pouvoir parlementaire autant qu'il vous plaira ; toujours faudra-t-il qu'il existe entre eux certaines limites et que ces limites soient respectées. Elles ne le sont pas, quand la couronne peut parler et voter au sein du Parlement.
J'ai déjà montré combien, en ce qui touche les rapports de la couronne avec le Parlement, les grands parlementaires anglais se sont toujours montrés jaloux et susceptibles. En voici un exemple qui va plus droit encore à la question : en 1783, quand le bill de l'Inde fut rejeté par la Chambre des lords, on apprit que le roi George III s'était servi de lord Temple pour faire savoir aux gentilshommes de la Chambre qu'il désirait le rejet du bill en question. Alors la Chambre des communes prit feu, et, par la voix de M. Baker, de lord Maitland, de M. Fox, de lord North, revendiqua avec la dernière énergie les droits méconnus du Parlement. « La Constitution, dirent-ils, a sagement établi l'indépendance mutuelle des grands pouvoirs de l'État ; or, que deviendra cette indépendance, si l'un de ces pouvoirs peut exercer sur les autres une influence mystérieuse ? Que deviendra-t-elle, si le roi, sans cesser d'être inviolable, intervient, directement [p.167] ou indirectement, dans les délibérations parlementaires? Que deviendra-t-elle, s'il peut porter la majorité d'un côté ou de l'autre, au moyen de ses gentilshommes de la Chambre, instruments passifs et dévoués d'une volonté supérieure, véritables janissaires, toujours prêts à étrangler quiconque déplaît au maître? Il faut le dire avec franchise : dans un tel système il n'y a plus de Parlement, plus de Constitution, plus de liberté. » Ce débat se termina par une résolution adoptée à une grande majorité, et par laquelle l'exercice de toute influence secrète sur les votes parlementaires fut déclaré « contraire à l'honneur de la couronne, attentatoire aux privilèges du Parlement, subversif de la Constitution établie ». En outre, pour éviter une accusation qui le menaçait, lord Temple, tout récemment nommé ministre, fut obligé de donner sa démission.
Ainsi, sur la question de droit point de doute. Quant à la question de fait, il faut reconnaître que, si la théorie du roi qui ne gouverne pas était si bien reconnue, si exactement pratiquée qu'aucune déviation ne pût même être soupçonnée, la question de fait perdrait beaucoup de son importance. Mais c'est là l'idéal du gouvernement représentatif, un idéal qui jamais n'a été complètement réalisé. Or, quand le roi a une opinion, il est difficile que sa maison l'ignore; et, quand elle la connaît, il est difficile qu'elle en adopte une contraire. Quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse, on n'empêchera pas [p.168] que dans certaines paroles, dans certains votes, tout le monde ne croie trouver un écho, un reflet de la pensée royale ; on n'empêchera pas qu'aux yeux de tous, la royauté elle-même, la royauté non couverte par ses ministres ne paraisse siéger au milieu du Parlement. Qui, parmi les députés de 1831, ne se souvient d'avoir vu Casimir Périer s'étonner, s'indigner hautement quand, dans quelque circonstance importante, un membre de la maison civile ou militaire du roi se levait avec l'opposition? Qui, parmi les députés de 1836, ignore que plusieurs ministres du 11 octobre, le jour où ils perdirent la majorité, attribuèrent leur chute à trois ou quatre défections de même origine, et qu'ils en conçurent un vif ressentiment? Qui enfin, parmi les députés de 1845, a oublié l'interprétation qui, à la veille de l'adresse, fut donnée à quelques votes peu prévus, et l'effet qui s'ensuivit? Nier que cela soit ou que cela doive être, c'est vraiment nier l'évidence.
Aujourd'hui d'ailleurs, il faut l'avouer, la situation de la maison du roi est fort simple et fort commode. La politique du roi est celle des ministres, celle de la majorité ; de sorte qu'en votant avec la majorité, avec les ministres, la maison du roi peut à la fois suivre ses penchants et se conformer à ses instructions. Mais si le gouvernement représentatif, en France, est autre chose qu'un vain mot, cette situation cessera. La presse royale et ministérielle le reconnaît elle-même quand, tout en maintenant pour le roi le droit d'avoir une politique, elle déclare [p.169] qu'il doit céder, le jour où cette politique cesse d'être celle de la majorité. Quelle peut être alors, dans la Chambre, l'attitude de la maison civile et militaire du roi ? J'estime trop les honorables députés qui en font partie pour croire qu'ils portent au ministère nouveau, si ce ministère contrarie leur opinion, l'appui d'un vote forcé. Ils iront donc à l'opposition, et l'antagonisme des pouvoirs aura, au milieu de la Chambre même, un signe visible. Et ce n'est pas seulement dans leurs votes ou dans leurs discours qu'on cherchera l'expression vraie de la politique royale, de cette politique vaincue, mais toujours menaçante ; c'est dans leurs conversations, dans leurs gestes et dans les exclamations les plus fugitives qui leur échapperont sur leurs bancs. Ce sera entre la majorité de la Chambre et la couronne un état permanent, apparent de méfiance et d'hostilité ; ce sera pour l'une comme pour l'autre un affaiblissement et un danger.
Remarquez que je m'en tiens aux inconvénients naturels, nécessaires d'une telle situation. J'aurais bien autre chose à dire si je supposais la couronne travaillant dans l'ombre, comme George III, contre son ministère, et les députés qui l'entourent devenant, comme en 1783 les gentilshommes de la chambre, les complices et les instruments de cette manœuvre mystérieuse. Puisque cela s'est vu dans un pays, cela peut se voir dans l'autre ; et ce n'est point, je pense, faire injure aux rois constitutionnels de la France que de les comparer à George III.
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Pour prévenir ces désordres, il n'est que deux moyens : l'un, de mettre tous les emplois de la maison civile et militaire du roi à la discrétion des ministres ; l'autre, de les laisser à la disposition du roi, mais en fermant à ceux qui les occupent l'entrée de la Chambre. C'est entre ces deux moyens que nous sommes obligés de choisir.
Le premier, on le sait, est celui qu'a choisi l'Angleterre. Quelques emplois inférieurs de la maison du roi sont exclus de la Chambre ; mais les emplois supérieurs y sont admis, et les ministres, quand ils arrivent au pouvoir, en disposent librement en faveur de leurs amis. Tel est le principe établi, consacré par une longue suite de précédents. A une époque toute récente, en 1839, la question se posa sur une des conséquences les plus singulières, les plus excessives de ce principe : sir Robert Peel, appelé par la reine et chargé de former un cabinet, avait obtenu d'elle sans difficulté le renvoi de tous les officiers de sa maison qui faisaient partie des deux Chambres ; mais il exigeait en outre la destitution des dames d'honneur, et la reine, froissée dans ses affections, contrariée dans ses habitudes, refusait d'aller jusque-là. Sir Robert Peel, par une lettre ferme et respectueuse, déclina alors les fonctions de premier ministre, et une explication s'ensuivit dans les deux Chambres. A la Chambre des lords, ce fut le duc de Wellington qui porta la parole. Il déclara nettement que, « selon lui, il était impossible de se charger du gouvernement sans avoir sur la maison [p.171] royale l'influence et le contrôle dont les cabinets précédents avaient toujours joui. » Il ajouta que, « lorsqu'une reine était sur le trône, on ne pouvait dire que les fonctions de dames d'honneur ne fus sent pas des fonctions politiques. L'histoire offrait une foule d'exemples d'influences pernicieuses qui s'étaient ainsi exercées, au grand détriment de la chose publique. » A la Chambre des communes, sir Robert Peel entra dans de plus grands détails. Il reconnut que, pour les officiers de la maison royale, la reine n'avait rien refusé à ses ministres. Mais le ministre ne pouvait renoncer au droit de faire, parmi les dames d'honneur, les changements qui lui paraîtraient nécessaires. « Les fonctions de premier ministre, dit sir Robert Peel, sont les plus hautes et les plus difficiles qu'il y ait. Il serait peu raisonnable de les accepter sans obtenir tout l'appui nécessaire. Or, n'est-il pas évident que, si les premières charges de la maison royale étaient occupées par les parents, par les amis des adversaires et des rivaux du ministère nouveau, celui-ci ne paraîtrait pas investi de la confiance de la couronne?... Que l'on remonte à d'autres temps, que l'on prenne Pitt, Fox ou tout autre ministre de ce noble pays, et qu'ils disent s'ils auraient souffert que la femme ou la sœur de leurs principaux adversaires entourassent la personne royale. L'intérêt public ne souffrira pas de l'avortement du ministère. Il souffrirait gravement si j'abandonnais mes devoirs envers moi-même, envers le pays, envers [p.172] la reine ; il souffrirait si je consentais à garder le pouvoir à des conditions incompatibles, selon moi, avec l'autorité et les devoirs de premier ministre. »
Lord John Russell, qui répondit à sir Robert Peel, lui donna raison en droit, mais lui reprocha d'avoir, en fait, dépassé la juste mesure. Il lut ensuite l'avis écrit du ministère whig. Voici les termes mêmes de cet avis :
« Le cabinet pense que, pour donnera une administration un caractère suffisant d'efficacité et de stabilité, il est raisonnable que les grands offices de la couronne et les emplois de la maison du roi, s'ils sont occupés par des membres du Parlement, soient compris dans les arrangements politiques qui ont lieu à chaque changement de ministère, mais que ce principe ne doit pas être étendu aux emplois des dames de la maison royale. »
On sait que sir Robert Peel, quand, en 1841, il vint au pouvoir, appuyé par une majorité nombreuse, persista dans son opinion, et que, pour cette fois, les dames d'honneur furent changées.
Ainsi, entre les deux grands partis constitutionnels de l'Angleterre, accord parfait, hormis en un seul point. Quant aux membres du Parlement qui font partie de la maison royale, c'est l'avis de lord Melbourne comme du duc de Wellington, de lord John Russel comme de sir Robert Peel, que l'opposition ne leur est pas permise et que, par conséquent, ils doivent être, à chaque changement de ministère, [p.173] choisis par les nouveaux ministres. J’ajoute que, l'an passé, ce principe a reçu une nouvelle sanction par la démission du marquis de Granby et de plusieurs autres officiers de la maison royale ou de la maison du prince Albert, quand ils ont voulu, dans la question des céréales, voter contre sir Robert Peel.
Qu'on n'équivoque donc pas. En Angleterre, ce n'est point la couronne qui envoie ses délégués au Parlement, c'est le Parlement qui envoie les siens à la couronne ; c'est la majorité qui veut, en quelque sorte, tenir garnison dans la maison royale. On peut juger, d'après cela, de ce qu'il y avait de sérieux, de sincère dans l'argumentation de MM. Guizot et Duchâtel, quand à l'amendement de M. Odilon Barrot ils opposaient l'exemple de l'Angleterre.Des deux moyens qui peuvent empêcher un contact direct et une lutte visible entre la couronne et le Parlement, l'Angleterre a choisi le plus dur, le plus blessant, le plus radical; nous proposons le plus doux, le plus respectueux, le plus modéré, et l'on nous objecte l'Angleterre ! Eh bien ! Soit. Qu'il reste bien entendu que, le jour où l'opposition aura la majorité, elle disposera de tous les emplois civils et militaires de la maison royale, comme des emplois ministériels ! Qu'il reste bien entendu qu'elle choisira, parmi ceux qui partagent ses principes, l'intendant de la liste civile, comme les secrétaires des commandements, les aides-de-camp et les officiers d'ordonnance, comme les bibliothécaires! Qu'il reste bien entendu que, fermant ainsi tout accès aux opinions [p.174] qui ne sont pas les siennes, elle placera la personne royale, quelle qu'elle soit, dans une atmosphère toute libérale ! A ce prix, l'amendement peut disparaître, et M. Odilon Barrot, j'en suis convaincu, en fera volontiers le sacrifice. MM. Guizot et Duchâtel se chargent-ils d'obtenir ailleurs le même assentiment et de terminer ainsi le débat ?
En attendant la solution radicale, il faut s'en tenir à la solution modérée et comprendre la maison civile et militaire du roi dans les incompatibilités.
Supposons, à présent, que la liste des incompatibilités soit faite et que, sous une forme ou sous une autre, certaines classes de fonctionnaires aient été exclues de la Chambre élective : tout est-il fini, et ne reste-t-il aucune précaution à prendre ? Tout le monde en convient : s'il est un exemple déplorable, funeste, contagieux, c'est celui d'hommes choisis par leurs concitoyens pour défendre les intérêts généraux, et qui cherchent dans leurs fonctions non l'honneur, mais le profit, non l'avantage de servir une cause, mais celui de faire leurs affaires personnelles. Toutes les fois qu'un député obtient, pour prix de sa complaisance, une place à laquelle il n'est pas naturellement appelé, c'est un mal qui, loin de s'arrêter là, descend de proche en proche dans toutes les régions, dans toutes les classes où s'agitent, où fermentent l'ambition et la cupidité. M. de Remilly obéissait à cette pensée quand, en 1840, il proposa d'interdire absolument aux députés l'accès des fonctions publiques et toute espèce d'avancement. Ainsi [p.175] se trouvaient coupés dans leur racine, taris à leur source les abus et les scandales dont l'honnêteté publique se préoccupe. Il faut néanmoins reconnaître que le remède est aussi rude qu'efficace. Interdire aux députés non fonctionnaires tout accès dans la carrière des fonctions non politiques, rien de plus simple et de plus juste ; mais admettre certaines classes de fonctionnaires et les priver de tout droit à l'avancement, même légitime, même hiérarchique, n'est-ce pas retirer d'une main ce qu'on donne de l'autre et tenir la porte de la Chambre à la fois ouverte et fermée ? Dans la proposition de M. de Rémusat cette considération a prévalu ; et, pour les députés, fonctionnaires au moment de leur nomination, l'avancement hiérarchique n'a point été interdit.
Je sais que ce système soulève, à son tour, de graves objections et qu'on y voit, entre les députés fonctionnaires et les députés qui ne le sont pas, une inégalité tout à fait choquante. On peut répondre à cela : d'une part, que les fonctions politiques resteront toujours ouvertes aux députés non fonctionnaires ; de l'autre, que, si les fonctionnaires d'un rang peu élevé sont frappés d'inéligibilité, l'inégalité dont on parle sera plus nominale que réelle. Je reconnais pourtant la force de l'objection, et je désire que, par quelque combinaison habile, on puisse concilier les deux systèmes. Ce qui importe surtout, c'est que les difficultés secondaires ne, fassent pas oublier le but vers lequel on doit tendre et dont on est si loin encore. Ce qui importe, c'est que la pureté [p.176] de la Chambre soit mise à l'abri de toute atteinte, et que, cent ans après Walpole, les doctrines et le langage de Walpole ne revivent pas au sein d'un autre Parlement.
Il est curieux, d'ailleurs, qu'aujourd'hui comme alors on veuille défendre la corruption parlementaire par son étendue même et par la multitude de ses ressources. A quoi bon, dit-on, empêcher les députés de solliciter pour eux-mêmes, puisqu'on ne les empêchera pas de solliciter pour leurs parents, pour leurs amis, pour leurs électeurs? A quoi bon fermer une des issues de la corruption, puisqu'on ne peut pas les fermer toutes? A ce compte, on devrait proposer de supprimer toutes les garanties, parce qu'elles ne préviennent pas tous les abus ; d'abolir toutes les constitutions, parce qu'elles ne sont pas efficaces contre toutes les tyrannies ; de déchirer le Code pénal, parce qu'il ne prévient pas tous les crimes. On devrait proposer aussi de rétablir les jeux publics et la loterie, puisque la suppression de la loterie et des jeux publics n'a pas éteint une funeste passion. Ce sont là des sophismes dont l'école doctrinaire a fait cent fois justice, lorsqu'elle était jeune et qu'on la croyait austère. Faut-il, quand elle les exploite à son tour, que ses anciens disciples lui disent ce que Fox disait à lord North, en 1780 : « De tous les principes que vous nous avez enseignés, il n'est est pas un seul que vous n'ayez trahi? »
En résumé, une des conditions essentielles du gouvernement représentatif, c'est que la Chambre [p.177] élective soit toujours indépendante et pure. Elle ne saurait être indépendante tant que les fonctionnaires formeront les deux tiers de la majorité. Elle ne saurait être pure tant que les députés pourront exploiter leur position au profit de leurs intérêts particuliers. Or, dans l'état actuel de la législation, ces deux choses sont non-seulement possibles, mais probables, si ce n'est certaines. De là la nécessité d'une réforme qui réduise considérablement le nombre des fonctionnaires et qui enlève à la corruption parlementaire ses moyens les plus puissants. Sans regarder comme infaillible le remède que l'opposition propose en vain depuis quatre ans, je le crois bon et je désire qu'on en essaie. Si l'on en imagine un meilleur, je suis d'ailleurs tout prêt à m'y rallier. Mais qu'on ne croie pas tromper le pays, soit en niant le mal, soit en refusant les uns après les autres tous les remèdes proposés. Ce qu'il y a de pis, c'est de ne rien faire; et quiconque aboutit à cette conclusion donne à croire qu'au fond, la corruption n'a rien qui lui déplaise, et qu'il est bien près de devenir, s'il ne l'est déjà, corrupteur ou corrompu.