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Dans la monarchie de la Charte, la Chambre élective doit-elle être prépondérante?
La chambre élective peut avoir, dans certains cas donnés, une grande influence morale sur le gouvernement; je ne le conteste pas. Cela dépend des circonstances, des [p.44] hommes, des événements politiques. Il est bien évident que, dans certaines conditions, si elle émet de grandes vues, si elle produit de grands hommes, ils lui donneront une prépondérance relative. Mais ce n'est pas de celle-là qu'il s'agit ici ; car ce genre d'influence est naturellement mobile, variable; il n'a rien d'organique ni de législatif; il ne dépend pas de la constitution de le créer ou de le détruire. Le génie, la vertu, l'éloquence, existent par eux-mêmes. — Si les grands talents, les grandes vues, émanent de la pairie, c'est dans la pairie que la prépondérance morale résidera. S'il y a un grand homme sur le trône, c'est lui qui exercera, la prépondérance sur le mécanisme gouvernemental. Si, au lieu de cela, le roi est un homme médiocre, et qu'un grand génie occupe le ministère, c'est le ministère qui sera l'influence prépondérante.
Mais la question soulevée est celle-ci : — En cas de dissentiment entre la royauté et la chambre élective, celle-ci a-t-elle le droit constitutionnel d'imposer sa volonté à la couronne, en lui refusant son concours, jusqu'à ce que la couronne ait cédé ?
Or, je dis que la chambre élective ne doit pas avoir cette prépondérance coërcitive, pour trois raisons, dont une seule suffirait.
1° La charte lui interdit expressément le droit d'imposer sa volonté à la couronne, de même qu'elle interdit à la couronne d'imposer sa volonté à la chambre.
2° La chambre élective ne peut pas avoir, en matière de gouvernement, une majorité à priori, spontanée, durable, homogène; par conséquent, elle est incapable de gouverner.
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3° Si, malgré l'impossibilité organique d'une majorité homogène et durable dans la chambre, et malgré les stipulations expresses de la charte, la chambre se déclarait prépondérante, elle prendrait ainsi la direction exclusive du gouvernement, la constitution serait détruite, l'État serait bouleversé et perdu.
Je vais démontrer successivement ces trois vérités.
Je répète d'abord, avant de commencer cette démonstration, pour laquelle je demande la plus grande attention à mes lecteurs, que je n'entends nullement contester l’influence morale de la chambre élective sur le gouvernement. Je n'entends nullement dire qu'un ministère incapable, qui présenterait des lois mauvaises que la chambre repousserait comme mauvaises, ne fût pas profondément ébranlé dans son pouvoir; et que, dans certains cas, il ne fût pas dans l'intérêt bien entendu de la royauté de changer de ministère pour se trouver en harmonie avec la chambre.
Je ne suis pas si fou que de nier cette vérité. Mais je dis que la libre appréciation du fait appartient au Roi : que c'est à lui de juger si, d'après la nature des lois présentées et des votes émis, il doit changer de ministère et de système, et que la chambre n'a pas le droit de lui forcer obligatoirement la main par un refus de concours. Je dis même que la folie de l'opinion contraire est d'autant plus dangereuse, que l'influence morale de la chambre, en pareil cas, est déjà un levier plus que suffisant pour agir sur la couronne, quand il y a une majorité réelle sérieusement opposée au ministère. D'où il suit que le refus de concours est superflu, s'il y a réellement une majorité homogène, et qu'il est horriblement dangereux, [p.46] s'il n'y a pas de majorité homogène, parce qu'il tend sans cesse à favoriser la naissance d'une majorité de coalition, qui devient alors le but de toutes les fractions dissidentes. Or, voilà la ruine du gouvernement représentatif.
Procédons par ordre.