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Des peines à prononcer contre les Ministres.
La nature de la loi sur la responsabilité implique la nécessité d'investir les juges du droit d'appliquer et même de choisir la peine. Les crimes ou les fautes sur lesquelles cette loi s’exerce ne se composant ni d'un seul acte ni d'une série d'actes positifs, dont chacun puisse motiver une loi précise, des nuances que la parole ne peut désigner, et qu'à plus forte raison la loi ne peut saisir, aggravent ou atténuent ces délits. La seule conscience des Pairs est juge de ces nuances, et cette conscience doit pouvoir prononcer en liberté, sur le châtiment comme sur le crime.
La loi doit tout au plus déterminer entre quelles peines la Chambre des Pairs aura le droit de choisir. Trois seulement sont admissibles, la mort, l'exil et la détention. Elles ne doivent être accompagnées d'aucune circonstance aggravante. Aucune idée d'opprobre ne doit s'y attacher.
Les peines infamantes ont des inconvénients généraux qui deviennent plus fâcheux encore, [p.62] lorsqu’elles atteignent des hommes que le monde a contemplés dans une situation éclatante. Toutes les fois que la loi s'arroge la distribution de l'honneur et de la honte, elle empiète maladroitement sur le domaine de l'opinion, et cette dernière est disposée à réclamer sa suprématie. Il en résulte une lutte qui tourne toujours au détriment de la loi. Cette lutte doit surtout avoir lieu, quand il s'agit de délits politiques, sur lesquels les opinions sont nécessairement partagées. L'on affaiblit le sens moral de l’homme lorsqu'on lui commande, au nom de l’autorité, l'estime ou le mépris. Ce sens ombrageux et délicat est froissé par la violence qu'on prétend lui faire, et il arrive qu'à la fin un peuple ne sait plus ce qu'est le mépris ou ce qu'est l’estime.
Dirigées même en perspective contre des hommes qu'il est utile d'entourer, durant leurs fonctions, de considération et de respect, les peines infamantes les dégradent en quelque socle d'avance. L'aspect du Ministre qui subiroit une punition flétrissante aviliroit dans l'esprit du peuple le Ministre encore en pouvoir.
Enfin, l'espèce humaine n'a que trop de penchant à fouler aux pieds les grandeurs tombées. Gardons-nous d'encourager ce penchant. Ce qu'après la chute d'un Ministre on appelleroit haine [p.63] du crime, ne seroit le plus souvent qu'un reste d'envie et du dédain pout le malheur.
Lorsqu'un Ministre a été condamné, soit qu’il ait subi la peine prononcée par sa sentence, soit que le Monarque lui ait fait grâce, il doit être préservé pour l'avenir de toutes ces persécutions variées que les partis vainqueurs dirigent sous divers prétextes contre les vaincus. Ces partis affectent pour justifier leurs mesures vexatoires des craintes excessives. Ils savent bien que ces craintes ne sont pas fondées, et que ce seroit faire trop d'honneur à l'homme que de le supposer si ardent à s'attacher au pouvoir déchu. Mais la haine se cache sous les dehors de la pusillanimité, et pour s'acharner avec moins de honte sur un individu sans défense, on le présente comme un objet de terreur. Je voudrois que la loi mît un insurmontable obstacle à toutes ces rigueurs tardives, et qu'après avoir atteint le coupable elle le prît sous sa protection. Je voudrois qu'il fut ordonné qu'aucun Ministre après qu'il aura subi sa peine, ne pourra être exilé, détenu, ni éloigné de son domicile. Je ne connais rien de si honteux que ces proscriptions prolongées. Elles indignent les nations ou elles les corrompent. Elles réconcilient avec [p.64] les victimes toutes les âmes un peu élevées. Tel Ministre dont l'opinion publique avoit applaudi le châtiment, se trouve entouré de la pitié publique lorsque le châtiment légal est aggravé par l'arbitraire.