Chapitre IX. De la mise en accusation des Ministre, et de la publicité de la discussion


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CHAPITRE IX.

De la mise en accusation des Ministre, et de la publicité de la discussion.

J'ai voulu d'abord parler des juges, pour calmer toute inquiétude: parlons maintenant des accusateurs.

Ces accusateurs ne peuvent se trouver, comme je l'ai dit plus haut, que dans les assemblées représentatives. Aucun particulier n'a, sur les affaires du Gouvernement, les connaissances de fait nécessaires, pour décider si un Ministre doit être accusé. Aucun particulier n'a un intérêt assez pressant pour braver les périls et s'exposer aux embarras inséparables de l'accusation d'un Ministre, si ce Ministre n'est coupable qu'envers le public. S'il l'est envers un individu, j'ai montré que le recours devoit être ouvert à cet individu, devant les Tribunaux ordinaires. Mais il ne s'agit pas alors de la responsabilité.

En attribuant aux Représentants de la nation l'accusation exclusive des Ministres, considérés comme responsables, je ne veux pas néanmoins repousser les dénonciations rédigées sous la forme [p.50] de pétitions individuelles. Tout citoyen a le droit de révéler aux mandataires du peuple les actes ou des mesures qui lui paraissent condamnables, dans les dépositaires de l'autorité. Le Roi seul est inviolable dans le poste sacré qu'il occupe. Modérateur auguste de l’action sociale, il n'agit jamais par lui-même. Mais les dénonciations des individus contre les Ministres, pour les objets qui sont de la compétence de 1a responsabilité, ne prennent un caractère légal que, lorsqu'examinées par les assemblées représentatives, elles sont revêtues de leur sanction.

C'est donc à ces assemblées qu'il appartient de décider quand l'accusation doit être dirigée contre un Ministre. Mais dans cette délibération importante, faut-il permettre la publicité ?

On allègue, contre bette publicité, trois objections spécieuses. Les secrets de l'État, dit-on, seront mis à la merci d’un orateur imprudent. L’honneur des Ministres sera compromis par des accusations hasardées. Enfin, ces accusations, lors mêmes qu’elles seront prouvées fausses, n’en auront pas moins donné à l’opinion un ébranlement dangereux.

Les secrets de l’État ne sont pas en aussi grand nombre, qu’aime à l’affirmer le charlatanisme, ou que l’ignorance aime à le croire. Le secret [p.51] n’est guère indispensable que dans quelques circonstances rares et momentanées, pour quelque expédition militaire, par exemple, ou pour quelque alliance décisive, à une époque de crise. Dans tous les autres cas, l’autorité ne veut le secret que pour agir sans contradiction, et la plupart du temps, après avoir agi, elle regrette la contradiction qui l’auroit éclairée.

Mais dans les cas où le secret est vraiment nécessaire, les questions qui sont du ressort de la responsabilité ne tendent point à le divulguer. Car elles ne sont débattues, qu’après que l’objet qui les a fait naître est devenu public.

Le droit de paix et de guerre, la conduite des opérations militaires, celles des négociations, la conclusion des traités, appartiennent au pouvoir exécutif. Ce n’est qu’après qu’une guerre a été entreprise, qu’on peut rendre les Ministres responsables de la légitimité de cette guerre[1]. Ce n'est [p.52] qu'après qu'une expédition a réussi ou manqué, qu'on peut en demander compte au Ministre. Ce n'est qu'après qu'un traité a été conclu, qu'on peut examiner le contenu de ce traité.

Les discussions ne s'établissent donc que sur des questions déjà connues. Elles ne divulguent aucun fait. Elles placent seulement des faits publics sous un nouveau point de vue.

L'honneur des Ministres, loin d'exiger que les accusations intentées contre eux soient enveloppées.de mystère, exige plutôt impérieusement que l'examen se fasse au grand jour. Un Ministre, justifié dans le secret, n'est jamais complètement justifié. Les accusations ne sauraient être ignorées. Le mouvement qui les dicte porte inévitablement ceux qui les intentent à les révéler; Mais, révélées ainsi dans des conversations vagues, elles prennent [p.53] toute la .gravité que la passion cherche à leur donner. La vérité n'est pas admise à les réfuter. Vous n'empêchez pas l'accusateur de parler, vous empêchez seulement qu'on ne lui réponde. Les ennemis du Ministre profitent du voile qui couvre ce qui est pour accréditer ce qui n'est pas. Une explication publique et complète, ou les organes de la nation auroient éc1airé la nation entière, sur la conduite du Ministre dénoncé, eut prouvé peut-être à la fois leur modération et son innocence. Une discussion secrète laisse planer sur lui l'accusation qui n'être poussée que par une enquête mystérieuse, et peser sur eux l'apparence de la connivence, de la faiblesse ou de la complicité.

Les mêmes raisonnements, s’appliquent à l'ébranlement que vous craignez de donner à l'opinion. Un homme puissant ne peut être inculpé sans que cette opinion s'éveille, et sans que la curiosité ne s’agite. Leur échapper est impossible. Ce qu'il faut, c'est rassurer l'une, et vous ne le pouvez qu'en satisfaisant l'autre. On ne conjure point les dangers, en les dérobant aux regards. Ils s’augmentent, au contraire, de la nuit dont on les entoure. Les objets se grossissent au sein des ténèbres. Tout paroît dans l'ombre hostile et gigantesque.

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C'est faute de bien apprécier notre situation actuelle que nous nous épouvantons en France des déclamations inconsidérées, et des accusations sans fondement. Ces choses s'usent d'elles-mêmes, se décréditent, et cessent enfin, par le seul effet de l'opinion qui les juge et les flétrit. Elles ne sont dangereuses que sous le despotisme, ou dans les démagogies, sans contrepoids constitutionnel : sous le despotisme, parce qu'en circulant malgré lui, elles participent de la faveur de tout ce qui lui est opposé; dans les démagogies, parce que tous les pouvoirs étant réunis et confondus comme sous le despotisme, quiconque s'en empare, en subjuguant la foule par la parole, est maître absolu. C'est le despotisme sous un autre nom. Mais quand les pouvoirs sont balancés, et qu'ils se contiennent l'un par l'autre, la parole n'a point cette influence rapide et immodérée.

Il y a aussi en Angleterre, dans la Chambre des Communes, des déclamateurs et des hommes turbulents. Qu'arrive-t-il ? Ils parlent; on ne les écoute pas, et ils se taisent. L'intérêt qu'attache une assemblée à sa propre dignité, lui apprend à réprimer ses membres, sans qu'il soit besoin d'étouffer leur voix. Le public se forme de même à l'appréciation des harangues violentes et des accusations mal fondées. Laissez-lui faire son [p.55] éducation. Il faut qu'elle se fasse. L'interrompre, ce n'est que la retarder. Veillez, si vous le croyez indispensable, sur les résultats immédiats. Que la loi prévienne les troubles: mais dites-vous bien que la publicité est le moyen le plus infaillible de les prévenir. Elle met de votre parti la majorité nationale, qu'autrement vous auriez à réprimer, peut-être à combattre. Cette majorité vous seconde. Vous avez la raison pour auxiliaire. Mais pour obtenir ce puissant auxiliaire, il ne faut pas le tenir dans l'ignorance, il faut au contraire l'éclairer.

Voulez-vous être sûr qu'un peuple sera paisible ? Dites-lui sur ses intérêts tout ce que vous pouvez lui dire. Plus il en saura, plus il jugera sainement et avec calme. Il s'effraie en ce qu'on lui cache, et il s'irrite de son effroi.