Chapitre XV - Administration intérieure


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CHAPITRE XV.

Administration intérieure.

J'ai montré dans les Chapitres précédens, que les moyens, confiés au Pouvoir Exécutif, étoient infiniment plus foibles en France qu'en Angleterre. Que seroit-ce, si, dans le même temps, les résistances avoient été rendues beaucoup plus considérables ! L'on auroit ainsi altéré, dans les deux sens, le principe de l'ordre & de la subordination.

Examinant cette question, & certain d'avance du résultat, je ferai d'abord observer, qu'en Angleterre, il n'y a qu'un seul Pouvoir Exécutif; & jusques à nos jours, on n'avoit jamais pensé que ce Pouvoir pût être constitué différemment, soit qu'il fût remis, dans un Gouvernement Monarchique, entre les mains d'un Roi, soit qu'il fût [p.293] confié, dans une République, à un Corps collectif, formant toujours une seule volonté, déterminée par la majorité des suffrages.

Les Législateurs de la France se sont écartés, visiblement, de ce principe d'unité si nécessaire à l'action du Gouvernement; car ils ont divisé réellement le Pouvoir Exécutif entre tous les Conseils Provinciaux, qu'ils ont établis, sous le nom de Départemens, de Districts, de Municipalités, & ils ont attaché ces Conseils à l'autorité du Prince, par un lien si subtil & si cassant, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que la suprématie du Monarque est purement nominale.

Examinons d'abord la consistance particulière de cette série de Pouvoirs, distribués sur toute la surface du Royaume. Le premier dans l'ordre de la Constitution s'appelle le Département, & les Députés, dont ce Conseil est composé, de même que les Membres des Districts & des Municipalités, ne doivent leur élection, qu'au choix libre du Peuple ; le Monarque n'y intervient d'aucune [p.294] manière, & son approbation formulaire n'est pas même requise ; ainsi, dès l'existence de ces Députés en Corps d'Administration, ils sont avertis de leur indépendance de l'autorité Royale; & comme ils composent, dans l'exercice de leurs fonctions, un être collectif, cette qualité abstraite les rend moins accessibles à l'empire de l'imagination, & à cette impression de respect, qu'imposoit autrefois la Majesté du Trône. Enfin, ils sont, informés, que le Monarque ne tient plus en ses mains aucune récompense, & les papiers de nouvelles, les instruisent du genre de familiarité, dont il est loisible à chacun d'user avec le Gouvernement. En même temps, ils ont été rendus dépositaires absolus, des fonctions les plus importantes ; ils font la répartition des impôts directs, ils en dirigent le recouvrement, ils jugent les plaintes des contribuables, ils décident des soulagemens individuels qui leur sont dûs, ils nomment les Trésoriers & les Receveurs, & les tiennent sous leurs ordres ; ils règlent [p.295] les dépenses de leur Administration, ils en touchent les fonds sur une caisse, dont ils ont seuls la gestion, & c'est de la même manière qu'ils reçoivent les appointemens dévolus à leurs places. Ils ont la surintendance des chemins, des édifices publics, des hôpitaux, des prisons ; ils ordonnent toutes les dispositions extraordinaires qui s'effectuent dans l'étendue de leur ressort ; enfin, ils réunissent à eux la grande police, ils l'exercent, ou directement ou indirectement, par la médiation des autorités qui leur sont subordonnées, & à l'appui de tous leurs commandemens, ils peuvent requérir l'assistance d'une Gendarmerie, dont ils ont la nomination, & provoquer encore, s'il le faut, le déployement de toutes les forces armées.

Voyons maintenant le lien qui suspend leur puissance à celle du Monarque : une loi qui a déclaré le Roi Chef suprême de l'Administration ; une loi qui a dit des Départemens & des Districts, qu'ils exerceroient [p.296] leurs fonctions, sous la surveillance & l'autorité du Monarque ; une loi qui donne au Roi, le droit d'annuller par une Proclamation, les Actes de leur Administration, contraires aux Décrets Législatifs & à ses ordres; toujours une loi, mais qu'est-ce qu'une loi, sans la réunion de tous les moyens qui assurent l'obéissance ? Qu'est-ce qu'une loi, si on ne la place pas au milieu d'un systême général de subordination, où toutes les proportions sont observées, & où les forces réelles, & les forces morales, combinées avec sagesse, concourent à un même but ? Enfin, qu'est-ce qu'une loi, & que peut-on attendre de son empire abstrait, si l'on néglige d'investir celui qui doit la faire observer, de toutes les prérogatives & de toutes les décorations propres à relever la dignité de son rang, & à rappeler habituellement son autorité & sa puissance ?

Il n'est aucune loi dont le caractère soit plus imposant, que les dix commandemens, consacrés par une opinion religieuse ; & [p.297] cependant la subordination des enfans envers leurs pères seroit mal assurée, si tout ce qui frappe leurs regards, si tout ce qui saisit leur imagination, si tout ce qui parle à leur raison, ne leur représentoit pas, de diverses manières, la supériorité de leurs parens, & le besoin qu'ils ont de plaire à ceux qui peuvent les récompenser ou les punir.

Enfin, si en soustraisant les autorités Provinciales à la direction efficace du Monarque, on les avoit constituées de telle manière, on les avoit soumises entr'elles à un tel systême d'ordre & d'équilibre, que l'action régulière de l'Administration eût été maintenue, on eut pu justifier la dégradation de la suprématie Royale, en montrant par l'expérience, qu'on n'en avoit retranché que le superflu ; mais, entre ces diverses autorités, établies dans l'intérieur du Royaume, il existe une insubordination, qui les affoiblit toutes, & cette insubordination est l'effet inévitable de leur organisation. Ce sont [p.298] des égaux par leur éducation, des égaux par leur état, des égaux par leur fortune, des égaux par la durée de leur Administration, enfin des égaux en tout genre, qui, sur le dire seul de la loi, doivent s'entr'obéir, se commander tour-à-tour, selon la chance des scrutins. Et, comme nos Législateurs, dans la combinaison de leur systême politique, ont toujours négligé le moral de l'autorité, ce moral qui sert à compenser la puissance du nombre, il se trouve que, dans la série des commandemens, la force de résistance va toujours en croissant. L'Assemblée Constituante a bien ordonné à quatre millions deux à trois cents mille Gardes Nationales, armées de toutes pièces, d'obéir aux Officiers Municipaux, revêtus de leur côté d'une écharpe à trois couleurs ; elle a bien commandé à ces Officiers, la même soumission envers les Districts ; & pareille consigne a été donnée à ces derniers, envers les quatre-vingt-trois Départemens, qui doivent, à leur tour, recevoir [p.299] le mot du guet, ou prendre l'ordre du Chef suprême de l'Administration, mais nul intérêt personnel, nulle gradation de crainte & d'espérances, n'entretient cette subordination, & nul Pouvoir dominant, nulle autorité imposante ne maintient, par son ascendant, toute cette discipline. L'on a bien réservé au Roi, la faculté de suspendre momentanément les Directoires de Départemens, mais il faut auparavant que d'autres Administrateurs veuillent prendre leurs places, & qu'ils le veuillent avec l'incertitude du jugement de l'Assemblée Nationale, désigné Tribunal d'appel de l'action administrative du Monarque, & devant lequel le Ministre responsable, fera tenu de comparoître. Hélas ! le pauvre Ministre, se gardera bien de courir le hasard de cette querelle, & à moins d'une insurrection bien notoire & bien scandaleuse, il ne se fâchera de rien, ne fût-ce que pour cacher, de son mieux, l'indifférence de tout le monde à son mécontentement. C'est véritablement une sorte de plaisanterie, que [p.3oo] d'avoir placé, dans l'Ordonnance générale de l'Administration, d'un côté cette sorte & noueuse contexture de Départemens, de Districts, de Municipalités & de Gardes Nationales, & de l'autre, à titre de Pouvoir suprême, un Prince sans prérogatives, un Monarque sans Majesté, & représenté, dans ses volontés obligées, par des Ministres qui craignent tout, & qui ne peuvent faire ni bien, ni mal à personne; par des Ministres, sur qui chacun fait son noviciat d'héroïsme, en se permettant de parler d'eux très-légèrement, & de degrés en degrés, très-insolemment ; par des Ministres, en faveur desquels on a composé un Code pénal tout exprès, en décrivant avec mignardise les divers modes de châtiment qu'on peut leur infliger, tantôt la prison, tantôt les fers, tantôt la gêne, tantôt la dégradation civique, précédée, je crois, du pilori, & pour lesquels on réserve encore, en habitude, un petit dédain continuel. Ce sont eux, cependant, qui, dévoués un à un, aux censures les plus dérisoires, [p.301] doivent, séparément, & jamais d'une manière collective, agir comme les Chefs suprêmes, de cette réunion formidable de Corps subordonnés, dont la force de résistance en auroit imposé à Louis XIV, après soixante ans de règne & de gloire. Quelle opposition ! Quel contraste ! & fût-il jamais en Législation politique, un plus grand défaut d'équilibre ! L'Assemblée Nationale sera contrainte à venir, sans cesse, au secours de l'Administration, &, par cette nécessité, la considération du Gouvernement s'affoiblira de plus en plus.

Ici, pourtant, j'entends dire à des Écrivains, à des Orateurs, à des Ministres même : on peut faire la critique de la Constitution tant qu'on voudra, tout iroit bien, tout iroit à merveille, si l'on vouloit seulement obéir à cette Constitution. Vous avez parfaitement raison, mais de grands politiques comme vous, Messieurs, devroient savoir, que si l'obéissance est le soutien d'une ordonnance sociale, la volonté, la [p.302] nécessité d'obéir, doivent être l'effet de cette organisation. L'obéissance est un moyen, l'obligation d'obéir est un résultat. Réflechissez, si vous le voulez bien, à cette distinction. Et s'il faut m'expliquer encore plus clairement, je dirai qu'un jeune homme, au sortir du collège, seroit un bon systême de Gouvernement, un systême, au milieu duquel on se plairoit à vivre, si l'on garantissoit seulement, la soumission aux lois qui émaneroient des principes de morale de l'enfant Législateur. C'est dans la formation de l'obéissance, c'est dans la combinaison des moyens nécessaires pour assurer la subordination générale, sans despotisme & sans tyrannie, que reposent toute la science politique & toute la difficulté de l'ordonnance sociale. Ainsi, lorsque, pour justifier l'épithète de sublime, si ridiculement accordée à la Constitution Françoise, on entend dire & répéter, aux Augustes Représentans [p.303] de sa Nation, qu'avec de l'obéissance, cette Constitution seroit parfaite, les Augustes Représentans de la Nation disent & répètent une véritable niaiserie.

J'aurois pu compter, parmi les résistances auxquelles l'action du Gouvernement se trouve aujourd'hui soumise, cette multitude d'autorités éparses dans le Royaume, autorités qui ne sont pas établies par la Constitution, mais qui dérivent de son imperfection. Chacun connoît ces Clubs, devenus si célèbres, & par leur affiliation étendue, & par leur bisarre intervention dans les affaires publiques. Nos premiers Législateurs ont voulu réprimer l'influence d'une société, qui commençoit à les incommoder, mais ils l'ont voulu trop tard, & l'on ne gardera le souvenir que de la longue association des principaux d'entr'eux, à une dictature qu'ils avoient eux-mêmes créée.

Que l'on joigne encore à ce tableau sans modèle, à cet amas confus de tant d'autorités, l'usage immodéré des Pétitions, au milieu d'un Peuple raisonneur, familier, & tout composé maintenant, de pareils & de [p.304] camarades. Qu'on y joigne la liberté de la presse, contenue par un seul article de loi, auquel on peut se soustraire de tant de manières ; la liberté encore de faire parler les murailles, en les remplissant de placards de tout genre, les uns dans les limites tolérées, les autres avec toutes les extensions inévitables, au milieu des craintes habituelles de la Police. Que l'on y joigne encore le relâchement des mœurs, & cet affranchissement de tous les genres d'égards, suite naturelle d'une égalité systématique, & l'on verra que tant de libertés, réunies à l'indépendance politique, introduite par la Constitution, doivent opposer une continuelle résistance à l'établissement de l'ordre, & à l'exercice régulier de l'autorité suprême.

Enfin, & cette dernière réflexion me semble désespérante, il est telle autorité irrégulière, élevée au milieu de nous, il est telle autorité, dont on se plaint avec juste raison, qui peut-être est devenue nécessaire à une Constitution sans ressort ; il faut à un tel genre de [p.305] Gouvernement une passion pour le soutenir, & si cette passion vient à se calmer, on verra la Constitution Françoise tomber en défaillance, comme un corps languissant, après le terme de sa fièvre.

Je dois, maintenant, rapprocher de l'état actuel de l'Administration, en France, les instituts d'une Nation qui malgré son amour ardent pour la liberté, & deux fois, depuis un siècle, maîtresse d'imposer des conditions à une nouvelle dynastie de Rois, qu'elle attiroit du Continent dans son Isle, n'a jamais perdu de vue, l'importance de cette harmonie civile & politique, qui assure la tranquillité de l'État, & donne aux lois la force nécessaire, pour garantir à tous les citoyens, le bonheur qu'ils ont cherché dans leur union sociale.

Je l'ai déjà dit, il n'y a qu'un seul Pouvoir Exécutif en Angleterre, & cette unité n'est pas seulement déterminée, comme en France, par quelques phrases législatives ; on a pris soin, en réglant l'exercice de ce [p.306] Pouvoir, de maintenir attentivement un principe, dont l'importance étoit universellement reconnue. Les lois, une fois consacrées avec la maturité & la sagesse qu'on doit naturellement attendre de la réunion de trois volontés, le soin d'exécuter les unes, le soin de faire observer les autres, font confiés au Chef de l'État, & nul partage de cette partie de son autorité, n'est établi par la Constitution ; nulle résistance n'est préparée par elle. Est-il question de l'assiette & du recouvrement des impôts, ces grandes branches de l'Administration publique, ce n'est point, par la médiation d'une longue chaîne de Conseils collectifs & délibérans, de Conseils surtout, élus par le Peuple, que le Roi s'acquitte de ses fonctions. Un Bureau de Trésorerie, institué par le Monarque, & dont tous les Membres, nommés par lui, sont révocables à sa volonté, conduit, avec son approbation tacite ou formelle, toutes les parties d'exécution relatives aux finances. Un Prince ne peut pas tout faire par lui-même ; [p.307] mais toutes les fois qu'il choisit ou gradue, selon sa volonté, les intermédiaires dont il se sert pour remplir les devoirs de la Royauté, le Pouvoir Exécutif est conservé dans son unité.

Les Commissaires qui doivent asseoir l'impôt sur les terres, les Commissaires qui doivent diriger le recouvrement des droits de Douane, des droits d'accise, & de tous les impôts indirects, sont choisis par le Bureau de Trésorerie, & la nomination des Receveurs, des Trésoriers & de tous les Commis subalternes, dépend également de son autorité. Les refus opposés au payement des contributions légales, & les difficultés contentieuses auxquelles leur recouvrement peut donner naissance, ont pour arbitres, les Juges de Paix en première instance, & ces Juges sont à la nomination Royale ; l'appel est porté au Tribunal de l'Échiquier, dont les Membres inamovibles ont dû leur installation à l'opinion publique, & à la préférence du Gouvernement ; enfin ce sont les Shérifs, [p.308] Officiers publics au choix du Roi, qui sont chargés, par le Bureau de la Trésorerie, de faire exécuter les jugemens. Ainsi, l'autorité du Monarque apparoit d'une manière plus ou moins directe, dans tous les détails de la partie principale de l'Administration publique, la levée des contributions établies sur le Royaume.

On est ramené de même à cette autorité, par les dispositions adoptées en Angleterre, pour le maintien de l'ordre public, puisque les fonctions de Police sont confiées aux Juges de Paix, & que ces Juges, comme je l'ai déjà dit, sont choisis & mis en activité par le Gouvernement. Les Constables, sortes d'Officiers de Police inférieurs, sont nommés par eux. Enfin, les grands Juges du Royaume, ceux qui dirigent les Jurés, ceux qui ouvrent le Livre de la loi après les jugemens criminels, sont tous à la nomination du Monarque.

Il y a de plus, dans chaque Comté, un Lord-Lieutenant, institué par le Prince & [p.309] recevant de lui ses Pouvoirs ; il doit commander les milices, lorsqu'elles sont rassemblées, & veiller sur leur organisation régulière. Les Officiers de ce Corps, destiné au maintien de la sureté intérieure, doivent avoir une mesure de propriété, fixée en raison de leur grade, depuis cinquante louis de revenu jusques a quatre cent, & le Roi d'Angleterre choisit tous les principaux, soit par une nomination formelle, soit par l'approbation qu'il accorde aux désignations du Lord-Lieutenant.

Enfin, on ne voit point en Angleterre un Corps Municipal dans chaque village, un Corps délibérant & voulant, sans avoir aucune des connoissances nécessaires pour s'unir avec harmonie à l'administration générale. C'est là, cependant, ce qu'on a conçu pour la France, où l'on remarque aujourd'hui quarante-quatre mille conciliabules, avec tout, l'attirail de l'autorité Municipale, & qui forment autant d'anneaux de la vaste chaîne du Gouvernement.

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Les Villes & les Bourgs d'Angleterre, ont seuls des Officiers Municipaux, & ces Officiers sont nommés par le Peuple, mais leurs devoirs, renfermés dans les bornes que j'ai déjà désignées, sont distincts des fonctions de Police attribuées aux Juges de Paix, & ce sont ces derniers Magistrats, & non les Officiers Municipaux, qui, dans les attroupemens séditieux, provoquent l'asistance de la force armée, & qui avertissent le Peuple, par la lecture du Riot Bill, du danger auquel l'exercice des rigueurs de la loi va l'exposer. Ces Juges de Paix, toujours choisis parmi les citoyens les plus estimés, sont en très-grand nombre dans chaque Canton, & l'on n'est pas réduit, comme en France, à confier le maintien de l'ordre dans les campagnes à des Municipaux de Village, obligés encore à céder leurs places à d'autres, après deux ans de règne ou d'apprentissage.

Les explications abrégées, que je viens de donner, suffisent pour faire connoître [p.311] combien on a rendu plus facile en Angleterre, l'action du Pouvoir Exécutif; & cependant, tel est le frein, imposé par les lois à toutes les autorités, que, malgré les secours accordés au Gouvernement, il ne parvient qu'imparfaitement au maintien de l'ordre public. Sa tâche seroit encore plus pénible, & le succès plus traversé, si le Peuple Anglois n'étoit pas aussi heureux qu'il l'est, & si plusieurs contradictions, plusieurs moyens de résistance, dont nous faisons l'épreuve, existoient en Angleterre de la même manière.

Remarquons, par exemple, qu'en Angleterre, les armes des miliciens sont déposées sous la garde d'un Officier principal, dans chaque Canton, & que tous les particuliers, pour obtenir la licence d'avoir un fusil chez eux, sont obligés de payer une Guinée par an.

La liberté de la presse, soit par le sens de la loi, soit par la vigilance des gardiens de l'ordre public, soit par l'empire des [p.312] mœurs & de l'opinion publique, est contenue en des bornes qui préviennent les funestes excès, dont nous sommes les témoins.

L'idée aussi d'une communication journalière de tous les bons & les mauvais esprits, avec les dernières classes du Peuple, par des placards affichés dans les rues ; cette idée aussi bisarre que dangereuse, n'a point encore été apportée en Angleterre, ni dans aucun pays policé, & très probablement, elle y seroit mal accueillie. Mais, dans notre nouveau systême politique, on a posé pour principe, on a mis en maxime, que même cette partie du Peuple, dénuée d'instruction, & condamnée, par son indigence, à n'en jamais acquérir, pouvoit également tout entendre, & qu'elle avoit la faculté de discerner la vérité des mensonges les mieux colorés, cette faculté que les hommes d'un état supérieur, ont si rarement. Indigne & lâche flatterie, qui surpasse en bassesse toutes celles des courtisans ! On verra, même après l'établissement des écoles primaires, qu'il [p.313] est plus aisé d'égarer ce Peuple, par une phrase incendiaire, qu'il n'est au pouvoir de la parole, de le ramener au bon chemin, ou par des adresses raisonneuses du Corps Législatif, ou par des homélies Ministérielles.

Enfin, l'on ne connoit pas non plus, en Angleterre, l'usage immodéré des Pétitions, ni la domination violente des sociétés républicaines ; on y pense, avec raison, que la liberté est, de toutes les idées morales, celle dont l'échelle de graduation est la plus étendue, & que, selon le point où l'on se fixe, on se rend heureux ou malheureux.