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De la formation du Pouvoir Exécutif, & réflexions sur la marche suivie à cet égard par l'Assemblée Nationale de France.
Nous venons de montrer que la formation du Pouvoir Exécutif étoit la principale & peut-être l'unique difficulté d'une Constitution politique, & nous avons rappelé, en même temps, que le bien de l'État & les plus grands intérêts d'une Nation dépendoient de la sage & prudente solution de cette difficulté.
Si donc l'Assemblée Nationale de France, examinant avec une longue & sérieuse attention, une question d'une si haute importance, se fût cependant méprise dans ses résultats, & que cherchant à établir le plus parfait équilibre entre la sureté de l'ordre public & le maintien de la liberté, la balance eût [p.25] penché par mégarde en ses mains, on eut rangé cette foiblesse au nombre des erreurs dont le titre de Législateur n'affranchit pas des hommes. Mais comment pourra-t-elle se justifier d'un reproche plus grave, d'un reproche qui, s'il étoit fondé, répandroit un grand doute sur sa science politique, & pourrait ternir la gloire à laquelle elle aspire le plus, celle de l'esprit & du génie ? Oui, c'est sur les hauteurs où elle s'est placée ; c'est au milieu des hommages dont son ombre est environnée, que j'ose lui demander compte d'une faute ou d'une distraction, la source des maux & des troubles de la France, & dont on ne trouve aucun exemple dans l'histoire des législations politiques.
Cette faute dont les conséquences ont été si grandes, c'est d'avoir absolument oublié le Pouvoir Exécutif, lorsqu'il étoit temps encore de s'en occuper, c'est de s'être méprise sur son essence & d'avoir imaginé que la loi suffisoit pour le créer, c'est d'avoir présumé de même que pour avoir un Roi, [p.26] il suffisoit de déclarer sa couronne héréditaire & sa personne inviolable & sacrée.
Nous jetterons un premier jour sur ces propositions, si nous suivons quelques momens la marche de nos Législateurs, & si nous nous reportons d'abord à l'origine de leurs travaux. Cette direction donnée à nos réflexions aura d'autant plus de convenance, que l'Assemblée Nationale entraînée par les attraits de la méthode, ou se fiant à l'autorité plénière de ses volontés, a soumis ses pensées à une sorte d'hiérarchie, très-propre, sans doute, à soulager sa méditation, mais qui ne pouvoit point s'accorder avec la situation parallèle de toutes les idées morales.
Ainsi donnant la primauté à l'examen & à la reconnoissance des droits de l'homme, l'Assemblée a procédé ensuite au choix & à l'adoption des articles constitutionnels de son nouveau systême politique ; & après avoir assigné la troisième place dans le rang de ses travaux à la confection des loix régénératrices de toutes les parties du Gouverne [p.27] nient, elle a mis en dernière ligne l'institution du Pouvoir Exécutif.
Elle a cru sans doute que c'étoit-là son rang; mais s'il est vrai que dans l'ordre des actions le Pouvoir Exécutif vienne après le Pouvoir Législatif, dont il doit faire exécuter les Décrets, il n'en est pas de même dans l'ordre des pensées créatrices du systême social, il n'en est pas de même lorsqu'on se transporte au moment où les divers Pouvoirs doivent être constitués, & recevoir les propriétés nécessaires à leur existence & à leur durée. Nulle suprématie ne peut alors être admise, & puisque le mouvement dans un systême politique n'est pas en dehors de ce même systême, mais inhérent à toutes ses parties, c'est s'exposer à devenir l'auteur d'un ouvrage imparfait, d'un ouvrage caduque dès sa naissance, que de séparer la formation du Pouvoir Exécutif de toutes les autres combinaisons constitutionnelles.
Les vents & les ondes n'agissent sur un vaisseau qu'au moment où il est achevé, au [p.28] moment où les ancres sont levées, au moment où les voiles sont tendues; mais si le constructeur en dessinant les diverses parties de son savant édifice, n'avoit pas calculé le degré de pression de toutes les forces qui doivent le mouvoir ou résister à sa marche, le vaisseau resteroit dans le port & ne pourrait jamais faire route.
Ç'étoit donc dès le temps où l'assemblée Nationale s'occupoit de la Déclaration des Droits, c'étoit dès le temps où elle fixoit les articles constitutifs de son systême politique qu'elle aurait dû faire les études & les recherches nécessaires, non-seulement pour connoître les conditions générales d'où dépendoit la solide existence d'un Pouvoir Exécutif, mais encore les conditions particulières qu'exigeoit cette institution dans un Royaume tel que la France.
Elle aurait vu d'abord que l'utilité d'un pareil Pouvoir étoit proportionnée à l'importance de l'ordre public ; elle aurait vu ensuite que le maintien de cet ordre, la [p.29] garantie des propriétés, & le vœu commun des hommes pour jouir en paix du sentiment habituel d'une parfaite sureté personnelle, formoient l'esprit & le but de toutes les associations politiques ; & cherchant à nous assurer tous ces biens, cherchant en même temps à défendre la liberté contre l'influence dangereuse des autorités inutiles, l'Assemblée eut connu de bonne heure le point de conciliation entre des intérêts opposés en apparence; & fixant, au moins, son opinion sur les élémens divers dont le Pouvoir Exécutif de la France devoit être composé, & sur les lois d'équilibre absolument nécessaires à l'action du Gouvernement, l'Assemblée auroit eu ce résultat présent à son esprit dans le cours de ses travaux & de ses pensées, & dès ses premières démarches elle en eut apperçu l'application.
Alors, & si elle avoit jugé qu'il étoit impossible dans un Royaume de vingt-six millions d'âmes, & avec une Nation ardente & mobile de se préserver des dangers de [p.30] l'anarchie en exaltant outre mesure l'imagination du peuple, elle eut évité de lui dire sans aucune utilité réelle, que les hommes naissoient & demeuraient égaux en droits; elle eut évité surtout de le lui dire en maximes législatives & proverbiales, en maximes faciles à retenir & à transmettre ; elle eut évité d'égarer encore son esprit en comprenant parmi ces droits, & sous le nom d'imprescriptibles, toutes les résistances à l'oppression, idée vague, incertaine & toujours dangereuse quand l'explication en est abandonnée à l'ignorance éternelle de la multitude.
Enfin au moment où l'Assemblée Nationale est passée de la Déclaration des Droits à l'examen des articles constitutionnels, elle marchoit au hasard dans cette discussion lorsqu'elle n'avoit pris aucune connoissance des conditions nécessaires pour l'établissement du Pouvoir Exécutif, lorsqu'elle ignoroit absolument, & comment ces conditions pourroient s'amalgamer à telle ou telle partie des articles constitutifs, & comment on [p.31] les accorderoit avec le degré mesuré d'autorité que l'assemblée voudroit confier au Chef de l'État; ainsi, même le plus simple & le plus raisonnable de tous les articles déclarés constitutionnels, avoit encore un rapport avec les questions préalables que je viens d'indiquer & dont on ne s'est jamais occupé. Appliquons ces observations à quelques exemples.
On a mis avec raison au premier rang parmi les articles constitutionnels, que le Gouvernement François étoit Monarchique. Je suis loin de penser que l'assemblée Nationale auroit eu le droit & le pouvoir de changer une disposition fondamentale, consacrée dans toutes les instructions & revêtue du sceau de l'opinion publique ; mais considérant ici cette question d'une manière spéculative, & supposant l'assemblée Nationale investie, comme elle l'a prétendu, d'une faculté illimitée de tout détruire & de tout réédifier, n'auroit-elle pas agi prudemment, si avant de déclarer Monarchique [p.32] le Gouvernement François, elle se fût enquise du degré de considération, d'ascendant & d'autorité qu'il étoit nécessaire d'assurer au Monarque, pour le mettre en état de remplir les fonctions du Pouvoir Exécutif, dans un Royaume tel que la France ; car en admettant que cette recherche & cette connoissance lui eussent inspiré des craintes sur l'étendue des moyens dont un homme seul deviendroit dépositaire, obligée cependant d'assurer & l'ordre public & la défense de l'État & l'action générale de l'administration, elle auroit été amenée à considérer, si ses alarmes, bien ou mal fondées, dévoient ou non l'engager à préférer au Gouvernement Monarchique le Gouvernement Républicain, & de cette manière elle n'auroit pas conduit elle-même une partie de la Nation à traiter, encore à prêtent, une question qui devoit être placée la première dans l'ordre des discussions politiques.
L'hérédité du Trône n'étoit pas non plus sans [p.33] sans relation avec la constitution du Pouvoir Exécutif & avec le degré de force qu'il seroit nécessaire de lui attribuer ; car si cette hérédité semble, au premier aspect, un sujet d'ombrage & un motif pour réduire l'autorité du Monarque, cette même condition qui soumet au hasard les qualités du Prince, & l'influence attachée à sa considération personnelle, entraine la nécessité de fonder l'autorité Royale sur des prérogatives réelles, sur des prérogatives suffisantes pour suppléer à l'affoiblissement inévitable des sentimens de respect, lorsque, dans le cours des nombreuses chances de la nature, le temps amène sur le Trône un Prince dénué des divers dons qui en imposent aux hommes.
Je jette encore un coup-d'œil sur d'autres articles constitutionnels. L'assemblée Nationale en déterminant d'abord tacitement & ensuite d'une manière formelle, l'indivisibilité du Royaume, ne pouvoit se former, à cet égard, une opinion parfaitement éclairée, avant d'avoir approfondi, avant d'avoir [p.34] parcouru du moins la question du Pouvoir Exécutif ; car l'indivisibilité du Royaume étant une proscription du Gouvernement fédérant, l'Assemblée s'engageoit ainsi à investir le Monarque de l'autorité nécessaire pour gouverner, d'un centre unique, un immense Royaume ; & les dangers, ou les inconvéniens de cette autorité, dévoient entrer à temps en ligne de compte dans la délibération décisive de l'Assemblée Nationale.
Il n'étoit pas indiffèrent, aussi, que l'Assemblée Nationale s'occupât des difficultés attachées à la composition du Pouvoir Exécutif, avant de décréter constitutionnellement la formation du Corps Législatif en une seule Chambre ; car si elle avoit reconnu qu'entre les divers moyens propres à constituer ce Pouvoir, l'un des plus convenables, & l'un des plus doux, étoit la conservation du respect irréfléchi, du respect d'instinct & d'habitude que le peuple de tous les pays rend au Chef de l'État, l'assemblée auroit, sans doute, examiné comment ce genre de [p.35] respect pourroit se soutenir sans aucune gradation de rang, & cette recherche morale & philosophique n'auroit pas été étrangère à la délibération sur la réunion du Corps Législatif en une seule Chambre.
L'Assemblée Nationale, en décrétant aussi constitutionnellement la permanence des Législatures, sans leur imposer l'obligation d'aucune interruption de séances, ne pouvoit être sûre de la convenance de cette disposition, dès qu'elle négligeoit d'examiner, en même temps, s'il existoit des moyens propres à balancer l'affaiblissement inévitable de la considération d'un Monarque, placé continuellement en présence d'un Corps nombreux & puissant, & vers lequel toutes les espérances, toutes les craintes & tous les regards seroient sans cesse tournés.
Il me seroit encore aisé de montrer comment la grande question du Pouvoir Exécutif avoit également une relation directe avec les autres articles constitutionnels, décrétés au mois de Septembre 1789, mais [p.36] il serait superflu d'étendre plus loin ces réflexions.
On remarquera d'ailleurs, avec plus d'étonnement encore, la conduite de l'Assemblée Nationale, à l'époque où les articles fondamentaux de la Constitution furent arrêtés. Il étoit naturel de présumer, qu'après avoir absolument oublié la formation du Pouvoir Exécutif dans les discutions qui précédèrent l'adoption de ces divers articles, l'Assemblée s'en occuperoit au moins d'une manière générale, avant de se livrer aux travaux de la Législation ; mais loin de le faire, loin de chercher, au moins, à fixer ses idées sur les prérogatives absolument nécessaires au Chef suprême du Gouvernement, elle suivit une marche tout-à-fait propre à l'égarer. Elle avoit divisé l'examen & la préparation de toutes les lois d'administration entre ses divers Comités, & chacun d'eux, dans leur département, firent la part du Monarque à leur volonté. Ils la firent sans penser, le plus souvent, à se raccorder préalablement [p.37] avec le Comité de Constitution, sans s'informer s'il avoit ou non un plan général pour la composition du Pouvoir Exécutif, & de quelle manière chaque partie de l'administration devoit y concourir. Les divers Comités encore, avant de faire leurs rapports à l'Assemblée, ne s'enquéroient point, si les membres du Comité de Constitution assisteroient à la séance, & jamais l'Assemblée n'a songé à demander à ce Comité principal son avis sur les réformes que tous les autres Comités proposoient, à leur guise, & toujours en réduction des anciennes prérogatives du Monarque ; aussi le Pouvoir Exécutif, en résultat, s'est-il trouvé composé de la partie de ces prérogatives, échappée à la destruction des divers Comités de l'Assemblée Nationale qui délibéroient & agissoient tous séparément & sans aucune espèce de concert.
Ainsi le Comité des affaires ecclésiastiques, guidé par l'opinion que le peuple est en état de bien choisir les Evêques & les Curés, ne réserve aucune part au Roi dans ces élections, [p.38] ni même aucun droit de consentement ou d'approbation. Le Comité de judicature adopte la même idée pour la nomination des Juges civils & criminels, & ses plans sont formés suivant ce principe. Le Comité des contributions croit que le choix des agens du fisc, sera mieux fait s'il est fixé par une promotion invariable, & il exclut comme inutile toute influence & toute nomination libre de la part du Gouvernement. Le Comité militaire en établissant aussi, pour l'avancement des Officiers de l'armée, des règles auxquelles le Monarque doit être rigoureusement astreint, lui ménage cependant une petite part dans les nominations, & ce n'est pas en souvenir de la considération nécessaire au Pouvoir Exécutif, mais afin d'ouvrir aux talens distingués une espérance indépendante des règles de l'ancienneté. Le Comité de marine fuit à-peu-près les mêmes principes; mais pour la Gendarmerie nationale où l'on ne croit aucune exception nécessaire, l'on resserre encore [p.39] davantage la prérogative Royale. Le Comité des pensions, persuadé que les graces de tout genre seront distribuées plus régulièrement par l'Assemblée Nationale, que par le Gouvernement, étend ce principe jusques à interdire au Roi la faculté de donner cent francs de gratification sans le consentement du Corps Législatif. Enfin le Comité de Constitution lui-même, lorsqu'il s'est occupé de l'organisation particulière des Départemens, des Districts & des Municipalités, a oublié, comme un autre, la nécessité de ménager au Pouvoir Exécutif quelque moyen d'influence & de considération, & ne lui a réservé aucune part, dans les nominations des personnes appelées, à exercer dans l'intérieur du Royaume les fondions de police & d'administration, à diriger les contributions, à les répartir, à les recouvrer & à veiller sur toutes les parties de l'ordre public. L'organisation des Gardes nationales a été réglée de la même manière, & je pourrois étendre ces exemples encore plus [p.40] loin, mais c'en est assez pour montrer que chaque Comité, ne songeant qu'à l'objet d'administration dont il devoit former le plan, ne s'est jamais occupé de la part qu'il falloit faire au Pouvoir Exécutif, pour l'environner de la considération nécessaire à son existence. Les Comités n'avoient pas reçu cette mission de l'Assemblée, ainsi l'on ne peut leur reprocher la conduite qu'ils ont tenue : comment d'ailleurs auroient-ils apperçu d'eux-mêmes le degré d'influence qu'ils dévoient conserver au Monarque ? ils dirigeoient chacun séparément leur travail, & nul d'eux n'auroit pu déterminer dans quelle mesure il devoit concourir à la formation du Pouvoir Exécutif ; ils ont regardé ce Pouvoir comme une faculté surnaturelle & préexistente, contre laquelle chacun, indifféremment & sans règle, étoit appelé à se soulever, tandis qu'en réalité le Pouvoir Exécutif, au milieu de la destruction complète du Gouvernement, devoit recevoir le mouvement & la vie, des moyens d'influence & [p.41] d'ascendant qui lui seroient ménagés, & ces moyens dépendoient de la manière dont on feroit paroître l'autorité du Roi, dans chaque partie de l'administration publique.
Ce n'étoit ni aux divers Comités de l'Assemblée Nationale, ni a aucun de ses Députés en particulier, que l'appréciation des mesures nécessaires pour l'institution du Pouvoir Exécutif devoit être confiée; une si grande discussion appartenoit à l'Assemblée elle-même, & non-seulement cet examen auroit dû précéder tous les travaux de la Législation, mais il méritoit encore d'être approfondi concurremment avec la détermination des principaux articles de Constitution.
L'Assemblée détruisant de fond en comble toutes les obligations, tous les principes, tous les usages, toutes les habitudes & tous les genres de respect qui avoient élevé & soutenu le Pouvoir Exécutif, sous le Gouvernement précédent, il n'étoit plus suffisant de déclarer que ce Pouvoir résideroit dans les mains du Monarque, il falloit, après [p.42] une mûre méditation, & à l'aide de tous les genres d'esprit, former le tableau des prérogatives nécessaires pour donner au Roi le moyen d'exercer l'Auguste fonction qui lui étoit confiée ; il falloit en présence, pour ainsi dire, de l'ordre public & de la liberté, étudier soigneusement le point de conciliation entre deux intérêts également chéris, & s'efforcer d'atteindre par la réflexion à cette mesure, à cette proportion, qui peuvent échapper aux vagues recherches des esprits systématiques, mais dont le discernement est réservé au calme de la raison ou aux regards du génie.
Cette formation raisonnée du Pouvoir destiné à maintenir, sans usurpation, l'ordre public & l'observation des lois, cette formation grande par son objet, & par sa nécessité, auroit pu élever la pensée à ce moment où le Souverain auteur de la nature, après avoir créé l'homme, eut à déterminer, dans sa profonde sagesse, le degré de force & d'action qu'il devoit unir au premier de ses dons, au don de la liberté.
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L'Assemblée Nationale ayant une fois fixé son opinion sur le choix des moyens nécessaires pour assurer, au Pouvoir Exécutif, l'ascendant & la considération qui dévoient composer son essence, chacun des Comités, loin d'imaginer que ce Pouvoir avoit son complément par la seule volonté de la loi, loin d'imaginer que ce Pouvoir étoit déjà trop grand lorsqu'il n'existoit pas encore, auroit rapproché des principes établis par l'Assemblée Nationale, la constitution de la partie d'administration générale dont le travail lui avoit été confié, & de cette manière le Pouvoir Exécutif auroit été formé, non pas au hasard & sans aucun systême, mais par un plan suivi, & modelé sur le premier résultat des pensées du Législateur.
Ainsi, que l'on soit divisé d'opinion, si l'on veut, sur l'insuffisance du Pouvoir Exécutif, tel qu'il s'est trouvé composé par le concours fortuit des idées particulières de chaque Comité, tel qu'il s'est trouvé composé par le résultat de la Législation qu'ils ont [p.44] faite, chacun à part, de toutes les parties essentielles de l'administration publique, il ne fera pas moins certain que l'Assemblée Nationale s'est écartée de la marche dont ses fonctions lui imposoient la loi; il ne sera pas moins incontestable qu'elle a commencé les travaux de la Législation, sans s'être formée aucun plan des moyens nécessaires pour composer le Pouvoir Exécutif, & que privée ainsi de la faculté de juger, dans leur ensemble, des prérogatives nécessaires à l'essence de ce Pouvoir, elle a dû écouter, comme elle l'a fait, les rapports de ses Comités, sans être en état de connoître s'ils avoient eu raison, ou s'ils avoient eu tort d'écarter, autant qu'il leur étoit possible, l'influence du Monarque dans les nominations aux divers emplois de l'Église, de l'Armée, de la Flotte, de la Police, de la Magistrature, des Finances & de l'Administration.
L'Assemblée & les Comités se sont ainsi vus contraints à prendre pour guide une maxime de Montesquieu, développée par [p.45] Rousseau dans le Contrat Social, c'est que le peuple doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, & ce qu'il ne peut pas bien faire il faut qu'il le fasse faire par ses Ministres ; mais l'un & l'autre de ces philosophes parloient expressément des Démocraties, & dans ces sortes de Gouvernement même, un pareil principe ne peut être admis d'une manière absolue. Une Démocratie ne sauroit se passer non plus d'un Pouvoir Exécutif; & pour le former ce Pouvoir, il faut bien l'investir des prérogatives qui peuvent lui assurer le degré de considération nécessaire pour être respecté ; & comme les Démocraties pures n'existent & ne peuvent exister que dans les petits États, l'opinion publique y assiste de si près le Pouvoir Exécutif, qu'il peut, avec de foibles moyens, maintenir l'ordre public & remplir sa destination. Mais, appliquer à un Royaume tel que la France, la maxime de Montesquieu, c'est une des grandes fautes que puisse commettre un Législateur.
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Certainement, si dans une Constitution politique, on avoit imaginé le Pouvoir Exécutif, pour le délassement ou les menus plaisirs de celui qui doit l'exercer, on auroit bien fait de le composer uniquement des prérogatives qui auroient été délaissées par le peuple ; car toute préférence appartenoit à la Nation, ou en raison de sa souveraineté, ou en raison de l'immensité représentée par son existence collective. Mais une distribution absolument inverse deviendroit raisonnable, si l'on considéroit le Pouvoir Exécutif comme la pierre de l'angle de toutes les sociétés politiques, si on le considéroit, ainsi qu'on doit le faire, comme le protecteur, le garant de l'ordre public, comme le mobile de l'Administration générale. Alors, au nom du bien de l'État, au nom de l'intérêt national, il faudroit commencer par examiner, connoitre & régler la mesure des prérogatives nécessaires pour rendre ce Pouvoir habile à remplir sa destination ; & après les avoir fixées avec la défiance qu'inspire [p.47] l'amour de la liberté, tout l'excédent, s'il m'est permis de parler ainsi, composeroit la part du peuple dans les élections & dans les autres associations indirectes à l'administration générale. C'est d'une autorité inutile dont il doit concevoir de l'ombrage, jamais de celle qui est instituée pour son propre avantage. Voila ce qu'on auroit dû lui dire, & ce qu'il auroit entendu, si l'on n'avoit pas été plus occupé de lui plaire que de le servir, & si l'on n'avoit pas voulu que les dépouilles du Pouvoir Exécutif fussent consacrées à le séduire.
Cependant les intérêts particuliers, les projets personnels, la marche obscure de l'intrigue, les manières hardies de l'ambition dévoilée, la folle passion des nouveaux systêmes & la chevalerie errante de la métaphysique, toutes ces ligues contre la saine raison, tantôt unies & tantôt séparées, n'auroient eu qu'un pouvoir limité sur la masse des bons esprits & des cœurs droits, si l'Assemblée Nationale, par une discussion [p.48] préliminaire, s'étoit mise en état de connoître & de déterminer, avant le commencement de la Législation, le degré de force qu'il étoit nécessaire d'accorder au Pouvoir Exécutif pour constituer son essence. Elle auroit eu alors une instruction propre à lui servir de guide, elle auroit eu une sorte de modèle avec lequel elle se seroit constamment raccordée, & certainement elle n'auroit jamais consenti à composer ce Pouvoir de prérogatives éparses, ouvrage absolu du hasard. Alors aussi les Directeurs de cette Assemblée, ces guides si hautains & si impérieux, n'auroient pas eu la témérité d'imaginer que le Pouvoir Exécutif, au milieu d'un Royaume tel que la France, se créeroit à leur seule volonté, à leur seule parole ; & dans un moment de modestie, ils auroient pensé peut-être qu'il n'appartenoit pas à des hommes de dire au paralytique, surge & ambula, lève-toi & marche.