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Convocation & durée du Corps Législatifs.
Nous remarquerons encore, en traitant ce sujet, de quelle manière la majesté du Trône & la suprématie du Monarque, ont été constamment ménagées chez un peuple libre. Les Anglois ont cru, que l'action du Pouvoir Exécutif en dépendoit, & ils n'ont jamais oublié que cette autorité étoit destinée à garantir l'ordre public & la régularité du mouvement social. Ainsi, tout ce qu'ils ont pu accorder à ces grandes considérations, sans mettre en danger les principes Constitutionnels, ils n'ont pas hésité de le faire. Voilà les véritables vues politiques, tandis que les nôtres ont consisté à composer les trophées de la liberté, de la dépouille entière du Gouvernement, en [p.130] abandonnant au hasard le maintien de l'harmonie générale.
En France, le Corps Législatif doit s'assembler, de lui-même, à une époque fixe, & les Assemblées primaires, où l'élection des Députés nouveaux se commence, doivent être convoquées, tous les deux ans, par les Départemens, sans aucun avertissement ni aucune autorisation de la part du Monarque. Enfin, le Corps Législatif, une fois assemblé, la suspension & la reprise de ses séances dépendent uniquement de sa volonté.
En Angleterre, un Parlement ne peut pas subsister plus de sept ans, mais la Constitution donne au Monarque le pouvoir d'en abréger la durée. Les nouvelles élections sont mises en mouvement par une Proclamation Royale, & l'autorité du Monarque apparoit encore, avec la même solemnité, pour fixer l'ouverture du Parlement, & pour suspendre ses séances.
Ces augustes prérogatives ne donnent point d'ombrage au peuple Anglois, n'excitent [p.131] point ses appréhensions. Une Nation sage ne compose pas son système de Gouvernement, de tous les genres de soupçons ; ils doivent s'arrêter, lorsque la plus parfaite prudence a rempli sa tâche ; or, comment peut-on douter que le Monarque d'Angleterre ne convoque à temps le Parlement, lorsque le consentement du Corps Législatif est indispensable pour la levée des impôts, pour le payement des dépenses d'administration, & pour la continuation des lois qui assurent la discipline de l'armée, & lorsque ce consentement n'est jamais donné que pour un an ? Le droit de convocation, attribué au Roi, n'est plus alors qu'une prérogative honorable, & elle lui laisse uniquement le choix du moment dans un petit espace, liberté q u i , circonscrite de cette manière, peut être souvent essentielle à l'intérêt public. De quel appui seroit à la Constitution, la faculté, donnée au Parlement de s'assembler sans Proclamation, si jamais un Roi d'Angleterre avoit la [p.132] puissance & la volonté de lever des impôts de sa propre autorité ! Le Royaume seroit alors en pleine révolution, il ne seroit ni sauvé ni perdu par une forme, son destin dépendroit de la réunion de tous les citoyens, amis de la liberté & des lois de leur pays. C'est en voulant cumuler précautions sur précautions, c'est en y sacrifiant légèrement la Majesté Royale, qu'on s'engage dans un systême de défiance dont on ne peut plus revenir, & qui finit par devenir nécessaire, en multipliant inconsidéremment les offenses & les motifs d'irritation. C'est ainsi qu'on a voulu fonder, en France, un ordre social, sans égards mutuels, sans convenances réciproques ; mais les chaînes de fer, dont on s'est servi pour soutenir un pareil systême, n'égaleront pas en durée les doux liens qui unifient ensemble toutes les parties de la Constitution d'Angleterre.
Le droit de dissoudre le Parlement, pour ordonner de nouvelles élections, ce grand privilège dont jouit encore le Monarque [p.133] Anglois, n'étoit pas essentiellement applicable à la Constitution Françoise, puisque cette Constitution a borné la durée des Législatures à deux ans, & pendant un espace si court, on ne pourroit attendre avec vraisemblance aucun changement essentiel, dans l'esprit des Assemblées Électorales ; ainsi, ce seroit inutilement qu'on auroit recours à de nouveaux choix, si, dans le cours d'une Législature, la conduite répréhensible de ses Membres conseilloit une pareille mesure; mais on ne peut pas considérer du même œil, la liberté laissée à chaque Législature, de continuer ses séances sans interruption ; car, dès que cette interruption dépendra uniquement de leur volonté, il n'y en aura jamais. Comment imaginer, en effet, qu'elles veuillent quitter un théâtre où elles ne doivent figurer que deux ans? Cet éclat leur semblera trop attrayant, pour y renoncer un moment. Vingt-quatre mois de séance suffisent à peine, pour laisser le temps à chaque Député d'avoir place dans le [p.134] Logographe, & pour faire arriver, dans leur District ou leur Municipalité, quelques paroles d'eux un peu remarquables. Il y aura constamment sur les 745 Députés, 740, peut-être, absolument neufs à la gloire. Il faudra bien qu'ils s'essayent à cette conquête, il faudra bien qu'ils jouissent, les uns de leur succès, les autres de leurs espérances, les autres de leur part au triomphe commun. Deux ans ne seront rien pour tant de jouissances. Ajouterons-nous que les dix-huit francs par jour, exactement payés, seront aussi peut-être un lien imperceptible ; c'est un simple soupçon, mais la chose est possible. Et quel plaisir encore, pour tous ces Messieurs, de donner des ordres chaque jour à leur premier Commis, le Roi de France! Quel plaisir, pour certains d'entr'eux, de s'en aller quatre à quatre se faire ouvrir les deux battans chez un descendant de Hugues Capet ! Quel plaisir encore, de faire apparoitre, au coup de sifflet, tous les Ministres à la barre ! [p.135] Ah! jamais on ne pourra quitter de plein gré ces fonctions enivrantes.
Cependant, si les séances d'une Législature ne sont interrompues, en aucun temps, & si, selon la loi constitutionnelle, les Législatures doivent se succéder immédiatement, leur permanence, de fait & de droit, sera déclarée, & à telle condition le Pouvoir Exécutif demeurera sans force & sans considération ; car il sera constamment éteint, par la présence habituelle d'une autorité plus efficace que la sienne. Et comme les affaires vont chercher la puissance réelle quand l'accès vers cette puissance est toujours ouvert, c'est à l'Assemblée Nationale que tout le monde s'adressera, & cette Assemblée, en se résignant facilement à l'accroissement de sa domination, deviendra, chaque jour davantage, le point de réunion de tous les genres de volontés & de tous les genres de pouvoir. Elle réservera seulement au Gouvernement les objets d'une décision épineuse ou désagréable, & se [p.136] ménagera le moyen de le censurer à coup sûr, en prenant poste avec prudence derrière les événemens.
Le Roi d'Angleterre, malgré ses éminentes prérogatives, ne pourroit, je n'en doute point, conserver la considération essentiellement nécessaire à ses fondions politiques, si la Constitution ne lui avoit pas attribué le droit de suspendre les séances du Parlement. Il juge ainsi du moment, où la discussion des affaires publiques étant terminée, il seroit à craindre que l'activité d'une Assemblée nombreuse, ne dégénérât dans un mouvement dangereux, & ne fit naître insensiblement l'esprit d'intrigue & de faction. Un ordre social est un ouvrage de sagesse & de proportion : nos Législateurs n'ont pu le voir, parce qu'ils ont tiré toutes leurs lignes hors d'un principe abstrait, & les ont conduites ensuite, aussi loin qu'elles pouvoient aller. Voilà leur grande faute, voilà la source de tous nos malheurs ; on retrouve à chaque pas cette [p.137] vérité. Ils ont dit, la Nation est Souveraine, le Corps Législatif est composé de ses Représentans, donc on doit lui laisser la liberté de discourir, délibérer & décréter tout aussi long-temps qu'il lui plaît ; mais la Nation n'est Souveraine que d'une certaine manière, le Corps Législatif n'est son Représentant que d'une certaine manière, & son pouvoir, par conséquent, ne doit exister que d'une certaine manière. Voilà ce que les Anglois, ces philosophes en pratique, ces philosophes respectueux envers l'expérience, ont su voir, ont su connoître. Leurs méditations, leurs épreuves, avoient préparé notre tâche. Nos amours-propres & nos vanités, n'ont pas voulu de cet aide; c'est au commencement de tout, que nos Législateurs ont eu la prétention de se placer, & en partant de si loin, les forces leur ont manqué dans la route, & à une grande distance du but.
Il me reste à présenter quelques observations sur le terme fixé à la durée des [p.138] Assemblées Législatives. Ce terme en France est de deux ans, il peut s'étendre jusques à sept en Angleterre ; or, sous le rapport de l'ordre public, il n'est pas douteux que le renouvellement des Députés, tous les deux ans, ne réunisse de grands inconvéniens. L'unité des principes en Législation & leur stabilité, ont toujours formé la plus sûre garantie de l'obéissance des Peuples, & de leur respect pour les lois. Comment attendre cette fuite & cette harmonie ? comment en concevoir l'espérance, avec le changement continuel des Législateurs ? Le premier effet d'une autorité trop passagère, c'est d'inspirer l'empressement d'agir, & l'impatience de se signaler ; & comme il faut nécessairement du temps, pour jouir des honneurs de la prudence & de la sagesse, lorsqu'on refuse ce temps à des hommes investis d'un grand pouvoir, il est dans la nature qu'ils courent après le genre de gloire dont la moisson est plus accélérée; cette gloire consiste, pour l'ordinaire, en des exagérations de [p.139] principes, en des mouvemens prononcés, en de faux héroismes, & ces développemens, dangereux dans tous les temps, le sont bien davantage au moment où il ne reste plus rien à faire en révolution, & où l'esprit de perfection, l'esprit de conservation, deviennent les seuls nécessaires.
Qu'on prenne garde aussi à cette répétition continuelle d'études & de noviciats, qu'entraîne le renouvellement trop fréquent des Législateurs. Combien de temps perdu ! combien d'apprentissages à supporter! combien d'épélemens à endurer ! car ce n'est pas des lois, uniquement, dont les Assemblées Nationales s'occupent ; leur pouvoir, & leur goût pour l'autorité les associent promptement à l'Administration ; leurs Comités se divisent le Gouvernement du Royaume, & au moment où leur science est formée, ils cèdent la place à leurs successeurs, qui reprennent, à leur tour, les affaires par le commencement, & qui ont besoin de cette méthode, afin de ne pas s'égarer sur une terre inconnue.
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Enfin, c'est une faute contre l'ordre social, que de rassembler trop souvent le Peuple pour des élections, & de le rappeler ainsi continuellement au sentiment de sa force. Que dites-vous là? n'est-ce pas notre Sou[ve]rain, ce Peuple? n'est-ce pas notre maître? & pouvons-nous trop multiplier les occasions de connoître ses volontés ? Voilà ce que répéteront, sans le penser, les hommes qui espèrent le gouverner ce maître; qui se flattent de le gagner avec leurs lâches flatteries, & de fonder, de cette manière, leur tyrannique autorité ; je les renvoye à leur propre conscience, j'aurois honte de disputer contre leur hypocrisie.
C'est de bonne foi qu'on fait un autre raisonnement. On dit, qu'en renouvellant tous les deux ans les membres des Législatures, on les met davantage à l'abri des séductions ; mais un Législateur de passage, & qui voit de près son retour à l'état d'homme privé, ne sera-t-il pas de plus facile composition, que s'il avoit une plus [p.141] longue existence d'homme public ? Ne sera-t-il pas de plus facile composition, s'il a peu de temps à cacher sa honte, que s'il est forcé de l'endurer, ou de la dissimuler pendant plusieurs années ? Je ne suis pas expert en calculs de corruptibilité, mais je ferois encore celui-ci. Supposons un Gouvernement, occupé dans tous les temps de gagner, par ses bienfaits, les Députés aux Législatures, il auroit, sous un rapport très-essentiel, un plus grand nombre de moyens pour les séduire, si leur autorité se bornoit à deux ans, que si elle s'étendoit beaucoup davantage ; car, dans un si court passage, les hommes corruptibles ne peuvent rejetter les promesses vagues, puisque le temps manque visiblement pour les effectuer, & du moment qu'on peut employer la monnoie des illusions, on a des trésors inépuisables ; mais lorsque les mêmes Députés restent six ou sept ans en fonction, comme au Parlement d'Angleterre, le moment des réalités arrive nécessairement, & le nombre en est partout infiniment circonscrit.
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Mais que ces calculs soient justes, que d'autres soient meilleurs, ou moins bons, dédaignons les tous également ; & nous arrêtant à des idées plus nobles & plus grandes, disons que l'homme moral est à l'abri des atteintes de la corruption, & que l'homme, préparé par son caractère, à ce genre de réduction, y cède en un moment comme en un jour. Soignons donc constamment les principes d'honneur & de vertu, & ne croyons jamais pouvoir suppléer à leur assistance ; eux seuls agissent dans tous les sens, eux seuls combattent pour nous, & protègent notre foiblesse; eux seuls, aussi, quand ils deviennent un objet de culte, assurent aux Nations leur bonheur & leur tranquillité, & servent à marquer la trace des véritables Législateurs.