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Le Pouvoir Judiciaire.
L'Assemblée Nationale a porté le même esprit dans toutes ses institutions, & en voulant tout attirer à son principe de prédilection, elle a fait des sacrifices continuels à une seule idée. La liberté, garantie par le pouvoir du Peuple, a formé l'unique objet de ses spéculations, & l'ordre public, garanti par l'autorité du Gouvernement, ne l'a jamais occupée que par accident. On retrouve l'application de cette remarque jusques dans l'organisation de l'Ordre Judiciaire.
Les Juges, selon la nouvelle Constitution, doivent être nommés par des Électeurs au choix du Peuple ; la désignation particulière de l'Accusateur public dépend encore de leur suffrage, & le renouvellement des élections se sera tous les six ans.
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Les Juges, en Angleterre, sont nommés par le Roi, & ils ne peuvent être révoqués que pour cause de forfaiture.
La différence est grande, & sous le rapport de l'ordre public, & sous le rapport de la majesté du Trône.
L'indépendance, ce premier caractère que l'on demande dans un Juge, appelé à réprimer le crime & à venger l'innocence ; ce caractère sacré, & l'impartialité, le courage, qui en sont une fuite, toutes ces qualités ne peuvent exister dans leur plénitude, lorsqu'on a besoin du suffrage des mêmes hommes, envers lesquels on doit exercer une autorité sévère, lorsqu'on a besoin de ce suffrage, & pour être continué dans les fonctions dont on est revêtu, & pour obtenir d'autres places encore plus recherchées.
Il est des Juges, sans doute, qui, par leur caractère, auront toujours droit à des exceptions, mais je considère la question, sous les rapports généraux de la nature humaine, & je vois qu'en plaçant les arbitres de nos plus [p.145] plus précieux intérêts, entre la crainte & l'espérance, on a soumis aux impressions de l'intérêt personnel, les hommes dont on a toujours dit qu'ils devoient être impassibles comme la loi.
Cependant, fut-il jamais Constitution, où la vertueuse fermeté d'un Magistrat parut plus nécessaire? la justice sera rendue en public, au milieu d'un Peuple instruit de sa force & enivré de sa puissance, au milieu d'un Peuple, entretenu dans l'irritation, par le spectacle habituel des disparités de partage, inhérentes au vieil âge d'une Nation, & à l'accroissement journalier des richesses ; au milieu d'un Peuple, naturellement passionné, & qu'on affranchit chaque jour davantage du joug de la morale ; au milieu d'un Peuple, enfin, qui aborde aujourd'hui ses chefs, en tenant d'une main le fer de la vengeance, & de l'autre, la liste enluminée de toutes les places honorifiques & profitables, auxquelles, seul, il a le droit de nommer. Ce sera donc les regards fixés sur leurs maîtres & [p.146] sur leurs rémunérateurs, que, dans les causes civiles, les Juges, élus par le Peuple, rendront à eux seuls des arrêts définitifs, & que, dans les affaires criminelles, ils auront à diriger les Jurés, & à prononcer des sentences. Réduits, cependant, au nombre de trois, quatre, ou cinq au plus, lorsqu'ils seront tous présens au Tribunal, leur responsabilité deviendra presque personnelle ; & qui ne fait avec quelle facilité les Magistrats ont toujours la faculté de dissimuler leur foiblesse, en la déguisant sous les apparences de cette justice, dont ils sont les seuls interprêtes? j'ai dit qu'en Angleterre, les Juges étoient nommés par le Roi, & qu'à moins d'une preuve de forfaiture, ils étoient inamovibles; c'est ici le moment d'ajouter qu'ils ne peuvent pas être élus membres de la Chambre des Communes ; ainsi la Nation Angloise a pris autant de loin de leur indépendance, que nous avons négligé cette importante considération, dans toutes les circonstances de notre Constitution Judiciaire.
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Observons encore, que les Juges en France, soumis à de nouvelles élections, tous les six ans, ne pourront pas même obtenir cet attendant, qui naît d'une longue considération. La réputation s'acquiert lentement dans l'exercice des fonctions de la Magistrature, car la pureté du cœur, & la justesse de l'esprit, n'éclatent pas avec la même promptitude que le talent; ainsi le temps seul, attire vers ces précieuses qualités les hommages des hommes. Cependant, toutes les fois qu'on prive les Magistrats des moyens nécessaires pour obtenir une considération personnelle, on les rend plus accessibles à l'intérêt, & il ne faut jamais désespérer l'amour de la réputation, ce sentiment, rival de tant d'autres passions plus dangereuses.
Enfin, on doit aux habitans d'un pays de leur donner, pour arbitres de leur fortune & de leur honneur, non pas seulement des hommes dignes d'une pareille fonction, non pas seulement des hommes, qu'un petit nombre d'Électeurs, guidés par [p.148] différens motifs, y auront appelés ; mais des hommes qui, par un long exercice des vertus judiciaires, parviennent à fonder & à élever, d'une manière éclatante, la réputation d'un Tribunal ; précieuse renommée, qui répand le calme dans l'intérieur de la vie civile, & qui nous avertit bien avant le temps, où nous aurons besoin de justice, qu'au jour où nous pourrons la requérir, elle nous sera faite, par des Magistrats en état de la connoître, & environnés de la confédération nécessaire pour la soutenir & pour la défendre.
L'état actuel de l'Ordre Judiciaire, en France, ne nous présente rien de semblable, & ne sauroit nous l'offrir. Qui de nous, en effet, même en vivant au milieu de Paris, seroit instruit, par la voix publique, de l'opinion qu'il doit avoir des juges, du premier, du second, du troisième, & jusques au sixième arrondissement de la Capitale ? & quand on commenceroit à acquérir des lumières à cet égard, c'est [p.149] alors, peut-être, que ces mêmes Tribunaux seroient renouvellés. La distinction par numéros, adoptée pour les désigner, sert encore à rendre notre attention plus vague & plus pénible; c'est la même qu'on a suivie pour les Régimens des troupes de ligne ; on a voulu, je crois, en décolorant tout, établir l'égalité jusques dans le domaine de l'imagination.
Les Juges d'Angleterre sont choisis entre les hommes qui jouissent de la plus haute considération, & par leur science, & par leur caractère moral, & il est rare que la désignation du public, ne précède la nomination du Monarque. Sans doute, ces choix distingués sont plus faciles, lorsque douze Magistrats suffisent, comme en Angleterre, aux fonctions supérieures de l'Ordre Judiciaire. L'ambulance des Juges, établie par les lois, dispense d'en avoir un plus grand nombre ; mais en France, où cette forme n'est point introduite, & où les Tribunaux Sédentaires ont été multipliés, en proportion [p.150] des différentes sections du Royaume, il n'eut pas été raisonnable d'attribuer au Gouvernement la nomination absolue de tous les Membres de ces Tribunaux, & le Monarque auroit approuvé lui-même, que son choix eut été circonscrit de quelque manière. Mais, loin d'adopter, à cet égard, un systême de sagesse & de déférence, on a rabaissé, jusques dans les formes, la dignité Royale, & voici les propres termes de l'Article Constitutionnel. « La justice sera rendue gratuitement, par des Juges élus à temps par le Peuple, & institués par Lettres Patentes du Roi, qui ne pourra les refuser. »
Qui ne pourra les refuser! Ainsi, l'on n'introduit le Monarque dans cette partie importante de l'ordre politique, qu'à titre d'Expéditeur ou de Prête-nom, & le Roi des François, sera obligé de donner des Lettres d'installation, à tel Juge qui lui sera indiqué, n'importe que le Gouvernement eût des preuves certaines, de l'immoralité [p.151] de ce nouvel arbitre de notre honneur & de notre fortune. Une telle contrainte a quelque chose de tyrannique, & les expressions seules d'une pareille loi, sont incompatibles avec la majesté du Trône, & avec la considération essentiellement nécessaire au Chef suprême de l'Administration. C'est une étrange contradiction remarquée à chaque instant dans les innovations systêmatiques de l'Assemblée Constituante, que d'avoir voulu attacher l'obéissance des Peuples & l'action du Gouvernement à l'autorité du Monarque, & d'avoir, en même temps, séparé le Chef de l'État de tous les grands intérêts de la Nation. Nos Législateurs ont imaginé, que l'opinion se prêteroit à toutes leurs consignes ; mais accoutumée à réunir les principes de Soumission, avec les sentimens de respect & de confiance, elle s'est trouvée déroutée par nos analyses philosophiques, & la confusion s'est partout introduite.
Il est une autre sorte de Magistrats, en [p.152] France, comme en Angleterre, & dont la nomination a lieu pareillement, d'une manière différente dans les deux Royaumes : ce sont les Officiers publics, chargés de veiller à l'entretien journalier du bon ordre. Ces fonctions sont divisées, par notre nouvelle Constitution, entre les Juges de Paix, les Commissaires de Police, & les Officiers Municipaux, & en Angleterre, elles sont déférées aux seuls Juges de Paix. Les Villes & les Bourgs, ont bien des Officiers Municipaux, mais leur inspections se borne aux grandes parties de la Police, telles que l'allignement des rues, leur clarté, leur propreté, la surveillance sur tous les approvisionnemens d'une nécessité absolue, &c. Quelquefois, cependant, le Chef Municipal d'une ville est en même temps Juge de Paix, soit par une Commission du Monarque, soit en vertu d'une ancienne prérogative attachée à sa place.
Ainsi donc les Magistrats de Police, à peu d'exceptions près, sont tous à la nomination [p.153] du Roi d'Angleterre ; ils ne peuvent être destitués de leur office que pour forfaiture jugée, ou sur la demande de l'une ou l'autre Chambre du Parlement. Les Commissions de Juges de Paix sont données aux hommes les mieux famés dans les Provinces, & à ceux qui, par leur état ou par d'autres circonstances, ont plus de moyens naturels pour être respectés.
Le Monarque en France n'a pas plus d'influence sur le choix des Juges de Paix & des commissaires de Police, que sur l'élection des autres Magistrats, leur nomination est faite par le Peuple, sans aucune espèce d'intervention de la part du Roi, & les choix sont renouvelles tous les deux ans.
Ces différences, entre les usages de France & d'Angleterre, sont susceptibles des mêmes observations que j'ai déjà faites, en parlant des Juges civils & criminels. Le Pouvoir Exécutif sera toujours faiblement affilié, par des Magistrats de Police dans la main du Peuple, & continuellement amovibles ; une [p.154] grande timidité doit être le résultat d'une telle organisation, & l'expérience sert de preuve à cette vérité. La ligne de démarcation, qui doit séparer l'utile usage des autorités de Police, de l'abus de ces mêmes autorités, est une des plus difficiles à fixer & à observer ; & au milieu des gênes salutaires, imposées par les lois, aux Officiers publics chargés de pareilles fonctions, la succession continuelle de ces Magistrats rendra le maintien de l'ordre impossible, dans les villes d'une grande étendue ; & de temps à autre alors, l'empire des circonstances obligera de recourir à des moyens de rigueur ou d'inquisition, incompatibles avec les principes de la liberté.
Fixons maintenant notre attention sur la nomination des Jurés.
Les Anglois instruits, & par l'expérience, & par leurs réflexions, de l'importance du Pouvoir Exécutif, & des difficultés auxquelles la formation de ce Pouvoir est assujettie, n'ont négligé aucun des moyens [p.155] propres à le consolider sans risque. Conduits par cette pensée, ou par l'espèce d'instinct politique, qui fait souvent l'office du raisonnement, ils ont fait paroître l'autorité du Monarque, toutes les fois que cette intervention n'offensoit point la liberté civile & politique.
On voit, à chaque instant, l'application de ce principe, & on le retrouve jusques dans les circonstances, dont la formation des Jurés est accompagnée. Les citoyens, qui doivent remplir les fonctions de Jurés l'accusation, sont désignés en Angleterre, par le Shérif du Canton, Officier civil, chargé, de diverses fonctions publiques & nommé par le Roi.
Le même Officier civil compose une liste de citoyens, appelés à remplir les fonctions de Jurés de jugement, & sur cette liste, l'accusé exerce ses récusations, dans les termes fixés par la loi.
En France, les Jurés d'accusation, au nombre de huit, sont tirés au sort sur une [p.156] liste de trente, composée par le Procureur-Syndic du District, sous l'approbation du Directoire.
Et les Jurés de jugement, au nombre de vingt, sont tirés au sort, sur une liste de deux cent, composée par le Procureur-Syndic du Département, sous l'approbation du Directoire, & sur cette liste, 1'accusé, comme en Angleterre, exerce ses récusations dans les termes fixés par la loi.
Il est de notoriété publique en Angleterre, que les Jurés sont constamment composés des citoyens les plus dignes de ce genre de confiance, & jamais il ne s'élève de réclamation à cet égard ; ainsi l'on n'achète, par aucun inconvénient, la disposition, qui, en donnant à un mandataire du Monarque, le pouvoir de composer la liste des Jurés, concourt ainsi, dans un degré de plus, à la majesté du Trône. Il faut souhaiter que cette convenance soit la seule perdue par l'attribution, donnée de préférence aux Procureurs-Syndics de Département & de District, il [p.157] faut souhaiter qu'aucun genre de partialité n'en soit le résultat, il faut souhaiter encore, que ces Administrateurs, nommés, pour un temps, par le Peuple, aient constamment le même ascendant qu'un Officier Royal, pour déterminer les citoyens à accepter les fonctions de Jurés. Tout semble indiquer, jusques à présent, que le plus grand nombre des citoyens se refusent à cette importante mission, & l'on est effrayé de penser que l'on court le risque de la voir déférée à des hommes indignes de la remplir.
La formation de la liste des Jurés, par un Officier Royal, a permis d'y appliquer un principe, auquel les Anglois paroissent attacher beaucoup d'importance. Les grands Jurés, qui décident si l'homme, arrêté par ordre d'un Magistrat, doit subir un jugement criminel, sont constamment choisis parmi des citoyens d'une éducation distinguée, & l'on ne s'astreint pas à la même règle pour la nomination des Jurés, appelés à prononcer définitivement, si l'homme, [p.158] déclaré suspect par la décision des hauts Jurés, est réellement coupable du crime dont on l'accuse.
Cette distinction, introduite en Angleterre par un ancien usage, ne l'a pas été sans motif. Les connoissances qui déterminent à considérer un homme, comme réellement coupable du crime dont il est accusé, doivent reposer sur des faits positifs, ou sur le rapprochement de certaines circonstances, dont le résultat présente un caractère d'évidence ; ainsi, de la probité & de l'attention peuvent suffire pour la découverte de la vérité ; mais quand on est appelé à déterminer, si un homme mérite d'être soumis à un jugement criminel, on est communément obligé de donner une décision de ce genre, sur des indices encore épars, & sur des préemptions plus ou moins vagues. Il faut donc, que les citoyens, auxquels une fonction si délicate est attribuée, aient un esprit plus exercé, une pénétration plus rapide; il faut de plus, qu'ils soient placés [p.159] dans la société, de manière à réunir certaines notions générales, qui répandent un premier jour sur des circonstances particulières ; & ces conditions sont d'autant plus essentielles, que les examens des Jurés d'accusation, doivent avoir une marche accélérée, afin de ne pas prolonger, outre mesure, la procédure criminelle. Enfin, en Angleterre, comme en France, les petits Jurés, ou Jurés de jugement, sont dirigés par les grands Juges ; les Jurés d'accusation ne le sont pas, & ne doivent pas l'être, puisque ces Juges assisteroient alors aux deux actions de la procédure criminelle. Ajoutons, & c'est ici l'observation la plus importante, ajoutons que la récusation, en Angleterre, comme en France, n'est pas admise pour les Jurés d'accusation, raison de plus pour apporter du scrupule à leur nomination, & pour s'assurer de toutes les garanties, que donnent l'état & l'éducation des hommes dont on fait choix.
Il n'y aura rien de pareil en France, & [p.16o] même, selon les règles de la vraisemblance, le choix des Jurés d'accusation, sera moins bon que le choix des Jurés de jugement, puisque ces derniers seront pris sur toute l'étendue d'un Département, & nommés par le Procureur-Syndic de cette Administration supérieure, au lieu que la liste des Jurés d'accusation, sera composée des habitans d'un District, & qu'elle sera formée par le Procureur-Syndic de cette Administration subalterne.
Je sais qu'on peut répondre à tout, en disant, que les hommes ayant été déclarés égaux par la Constitution, les motifs de distinction n'existent plus; mais on ne fait pas les hommes égaux, en les déclarant tels, & la hiérarchie indestructible des variétés d'éducation, sera toujours résistance à ces axiomes Législatifs.
Je suis amené, par cette réflexion, à une dernière remarque relative à l'Ordre Judiciaire. La Chambre des Pairs, en Angleterre, est Juge de ses Membres, dans les matières criminelles, [p.161] criminelles, & je ne sais comment je pourrois justifier cette prérogative auprès de nos nivelleurs à outrance, auprès de nos parvenus en philosophie, qui, dans l'enthousiasme de leur nouveau grade, & des hauteurs de leur pédanterie, ne veulent, au sein d'une Monarchie, admettre aucune exception.
Je m'adresse donc aux hommes sages, & je demande, si ce n'est pas abuser inhumainement de la métaphysique de l'égalité, que d'appliquer ses abstractions à une circonstance aussi sérieuse qu'un procès criminel, & d'enjoindre, par exemple, à un Prince du Sang Royal, de se croire jugé par ses Pairs, lorsqu'il le sera par des hommes à une distance immense de sa position.
On ne peut s'empêcher de remarquer à quel point les maximes générales peuvent égarer en politique. Les hommes naissent, & demeurent libres & égaux en droit. Cet axiome, devenu si familier, sembleroit, au premier coup-d'œil, garantir aux accusés, que tous, indistinctement, seront jugés par [p.162] leurs Pairs. Point du tout, on tire du même axiome une seconde induction, c'est que tous les hommes sont Pairs, & malgré la contradiction de fait, on les tient pour tels, on leur ordonne de se juger mutuellement, & l'on altère ainsi, dans l'un des points les plus essentiels, l'esprit de l'institution des Jurés.
L'Assemblée Nationale, qui a constamment placé l'autorité politique, entre les mains de plusieurs, auroit bien dû appliquer à ses spéculations philosophiques, le même esprit républicain, & ne pas soumettre tant de choses, à l'empire absolu d'une seule maxime.
C'est surtout à l'aspect des dispositions législatives, contraires aux règles de la justice universelle, que cet empire absolu d'un principe, offense davantage. Le mot de Pairs, sous le rapport des jugemens criminels, annonce visiblement une sorte de concordance, entre les citoyens qui se jugent les uns les autres, & cette concordance n'existe [p.163] pas uniquement dans leur descendance commune du premier homme, ou dans la ressemblance de leur structure; elle dépend encore essentiellement des idées & des habitudes introduites par l'éducation, & par les divers classemens d'état & de fortune, l'effet inévitable du mouvement social. C'est d'un tel rapport, que nait la confiance des accusés, lorsqu'ils sont jugés par leurs Pairs, & cette confiance, est le bien qu'on a voulu leur procurer, en introduisant dans le Royaume l'institution des Jurés ; c'est donc les trahir, que de les assujettir à un mode, dont on a retiré l'esprit originel, au point de donner pour Juges, à un Prince du Sang Royal, des hommes qui ne sont ses Pairs d'aucune manière ; qui ne le sont, ni dans la réalité, ni dans l'opinion, ni dans leur propre pensée. C'est pourtant ce que nous avons fait en France; car aux termes de nos lois nouvelles, non-seulement un Prince du Sang Royal, mais un frère du Roi, mais la Reine même & le Prince héréditaire, [p.164] s'ils étoient prévenus d'un délit, auroient pour Jurés d'accusation, huit personnes tirées au sort sur une liste de trente, composée, au commencement de l'année, par un Procureur-Syndic de District. Tout cela paroit bien beau, bien héroïque, & tout cela n'est que folâtre, quand on l'examine de sang froid ; c'est vouloir se placer en dehors des idées sociales, quand on est en dedans; c'est vouloir former l'opinion à revers des choses réelles ; c'est vouloir, de la région des nuages, essayer sur un monde en activité, des lois faites pour un monde idéal, ou pour un monde encore en théorie.