Chapitre VI - Limites des Pouvoirs du Corps Législatif. Révision des articles Constitutionnels


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CHAPITRE VI

Limites des Pouvoirs du Corps Législatif. Révision des articles Constitutionnels.

Les trois volontés réunies de la Chambre des Communes, des Pairs du Royaume & du Monarque, forment en Angleterre le Pouvoir Législatif, & ce Pouvoir, ainsi constitué, n'a proprement aucune limite.

Le dépôt des anciennes lois d'Angleterre a été remis en son entier, sous la garde des trois volontés qui composent le Pouvoir Législatif, & tout ce qu'elles déterminent ensemble est réputé légal.

L'opinion publique couvre de son égide tous les principes qui intéressent essentiellement la liberté Nationale, mais elle laisse aux trois Pouvoirs, qui gouvernent l'Angleterre, à ces trois Pouvoirs admirablement [p.102] constitués, la faculté de corriger, ou de modifier les petites imperfections de l'édifice social.

Les Anglois n'apperçoivent pas comment une Assemblée de Députés, convoquée de temps à autre, passeroit en lumières la science réunie des trois guides politiques, auxquels la Nation a donné sa confiance.

Les Anglois, sortis depuis long-temps des écoles de la philosophie législative, ne sont plus à genoux devant ces mots, répétés parmi nous avec tant de faste, devant ces mots imposans de voeu général & de Souveraineté Nationale, devant ces idées vagues, dont l'application régulière est impossible, & qui deviennent une source d'erreurs & de méprises, lorsqu'on les fait sortir du cercle des abstractions, pour en composer des maximes actives & des vérités pratiques.

La volonté générale, la Souveraineté Nationale, ne peuvent jamais exercer une autorité réelle, sans s'être fait connoître, sans [p.103] avoir quitté leur essence morale, pour revêtir, en quelque manière, une forme corporelle. Vous, Législateurs François, vous avez reconnu pour interprètes du vœu général un certain nombre de Députés, choisis par des Électeurs à la nomination d'une portion du Peuple, & en soumettant tous ces Députés au même genre de scrutin, vous avez dit néanmoins, que les uns représenteroient la Nation pour les lois d'administration, & les autres pour les lois Constitutionnelles ; ainsi tout est supposition dans cet arrangement, tout est arbitraire. Comment donc entendre que les Anglois soient, comme vous le dites, hors du principe, parce qu'eux, sans aucune distinction de circonstances, ont reconnu pour interprêtes du vœu général, les sentimens & les pensées du Parlement & du Monarque réunis. Le principe consiste, selon vous, dans la Souveraineté de la Nation, dans la Suprématie du voeu général, mais la Constitution d'Angleterre n'a pas enfreint ce principe, elle a donné seulement, comme la [p.104] Constitution Françoise, un interprête à des autorités purement abstraites, & la question se réduit uniquement à discerner, laquelle des deux Nations s'est le moins méprise dans son choix.

La Nation Angloise n'auroit pas voulu que les bases fondamentales de l'ordonnance sociale pussent être remuées, d'époques en époques, par des Députés investis légalement d'un pareil pouvoir.

La Nation Angloise n'auroit pas voulu non plus, que de légers changemens, mais fortement conseillés par l'expérience, fussent rendus impraticables. Cependant, toute correction qui dépendra d'un systême général de redressement, sera constamment incertaine; car on ne sauroit combiner un plan de révision universelle, avec la circonspection que les grandes innovations exigent, & le rendre propres, en même temps, aux amendemens d'une moindre importance.

Ainsi les Anglois, sans allumer, comme [p.105] nous, leurs flambeaux aux clartés métaphysiques, mais guidés simplement par la lumière du bon sens ou de l'expérience, par cette lumière moins étincelante, mais plus fixe, les Anglois, dis-je, ont pensé que les mêmes Pouvoirs, dignes de régler leur législation civile & criminelle, leur législation de commerce, leur législation de finance & toutes les parties actives de leur Gouvernement, étoient capables aussi, d'observer le mouvement de leur machine politique, & de porter la main aux rouages, dont le temps auroit affoibli les ressorts, ou dont l'expérience auroit fait connoitre l'imperfection primitive.

Les Anglois persuadés que les hommes les plus instruits dans la connoissance du bien de l'État, s'ils ont, en même temps, un intérêt véritable à vouloir ce bien & à l'aimer, sont les meilleurs interprêtes du vœu perpétuel d'une Nation, de ce vœu plus vaste encore que le vœu général, ont remis la chose publique en son entier, sous la garde [p.106] réunie des trois Pouvoirs établis par leur Constitution.

L'opinion publique, dont ces mêmes Pouvoirs sont environnés, & le besoin qu'ils ont de compter avec elle, inspirent à la Nation la plus parfaite tranquillité sur l'usage qu'ils se permettront de faire, de l'autorité étendue dont ils sont investis. On ne peut imaginer, en politique, aucun systême de précaution, qui ne doive être terminé par la confiance, car les surveillés & les surveillans, les révisés & les révisans sont toujours des hommes ; ainsi, pourvu que cette confiance soit mise à son rang par les fondateurs d'un ordre social, le but dont ils ont à s'occuper est rempli, d'aussi près, que l'imperfection des choses de ce monde en donne le moyen.

Montrons ici, par un contraste, à quelle imagination bizarre on est forcé de recourir, lorsqu'en formant une Constitution politique, on veut la réparer, comme on l'a construite, à l'aide des soupçons & des défiances.

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Le Titre VII de la Constitution Françoise, présente en détail la manière dont on devra procéder à la révision de cet ouvrage, je le rapporterai d'abord en entier, afin de mettre les lecteurs à portée de suivre mes remarques avec facilité.[1]

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Jetons un coup-d'œil rapide sur cet échaffaudage, inventé par nos Législateurs, pour exécuter, ou dans son ensemble, ou dans quelques parties, une reconstruction si pressée & si éminemment nécessaire.

On apperçoit d'abord, qu'on a rendu [p.109] immuables, pendant dix années, non pas un petit nombre de principes dignes d'être éternels, mais 329 articles[2] dont plusieurs sont déjà réprouvés par la voix imposante de l'expérience. Nos premiers Législateurs ont commandé au Gouvernement de marcher, sans lui donner aucun principe de mouvement, & ils ont en même temps [p.110] défendu à leurs successeurs de lui prêter secours, & de le délivrer de ses chaînes. Ils ont semé tous les germes de désordre, par un systême politique, où nulle proportion n'est observée, & ils ont défendu d'y rétablir l'équilibre, avant le terme qu'ils ont jugé à propos de fixer. Jamais testateurs ne furent plus despotiques, & jamais légataires ne furent néanmoins disposés à plus de soumission & de docilité.

Enfin, quoiqu'on ait rendu moralement possible, après dix ans d'attente, le perfectionnement de la Constitution, on voit, en examinant de près les conditions imposées à toute espèce de changement, que, sans une réunion de circonstances, hors de toutes les règles de probabilité, il n'y auroit aucun moyen de modifier la plus petite partie du nouveau systême politique de la France.

Qu'exige-t-on, en effet, pour rendre seulement légale la convocation d'une Assemblée, autorisée à prononcer sur l'admission ou la rejection de tel ou tel amendement [p.111] proposé ? On demande que trois Législatures consécutives, les deux premières écartées, s'accordent parfaitement ensemble, non pas sur un principe, non pas sur une idée générale, mais sur un nouvel article constitutionnel, exprimé par l'une d'elles, avec toute la précision d'un Décret. Supposons donc, que par hasard, trois Législatures consécutives reconnussent également la nécessité, ou d'exiger une propriété de la part des Députés à l'Assemblée Nationale, ou de former à l'avenir le Corps Législatif de deux Chambres, ou d'accroître les prérogatives Royales, l'unanimité de leur opinion, sur le principe général, ne permettrait pas de convoquer l'Assemblée de Révision, à moins que leur vœu sur la nature même du changement, & leur vœu, manifesté par un Décret, ne fût uniforme. Comment, une telle réunion, une telle similitude peut-elle être espérée ? je ne connois que des adjectifs dont l'accord avec leurs substantifs, puisse être opéré de cette manière ; mais attendre la même [p.112] sympathie entre différens amours-propres, entre des amours-propres d'auteur, entre des amours-propres François, c'est vouloir soumettre tous les amendemens de la Constitution à des conditions qu'on doit désespérer de voir jamais remplies.

Il semble que les rédacteurs du projet de révision, adopté par l'Assemblée Constituante, ayent eu le sentiment de l'embarras où ce projet les conduisoit, car ils ont cherché à esquiver la difficulté, à l'aide d'une énonciation, ou l'on ne trouve pas la clarté qu'exigeoit une question d'une si haute conséquence ; en effet, cette expression, lorsque trois Législatures consécutives, auront émis un vœu uniforme, pour le changement de quelqu'article Constitutionnel, n'indique pas assez distinctement, si, pour la convocation de l'Assemblée de Révision, il suffira que trois Législatures consécutives veuillent un changement quelconque, à tel ou tel article de la Constitution, ou s'il faudra de plus, qu'elles s'accordent sur la nature du changement ; ces [p.113] ces deux idées, si différentes, ne sont distinguées que par une subtilité grammaticale, par le choix de l'article qui précède le mot changement. Expliquons cette particularité, vraiment extraordinaire, dans une disposition qui intéresse le destin d'un Empire. Émettre-un vœu uniforme pour le changement, signifie en françois, que le vœu uniforme déterminera l'espèce de changement ; mais émettre un vœu uniforme pour un changement, indiqueront que le vœu uniforme concerneroit un changement quelconque. Est-il possible, que de graves Législateurs eussent voulu séparer, deux idées si opposées, par un trait imperceptible ? est-il possible qu'ils se fussent bornés à les distinguer, par la seule différence de l'article défini à l'article indéfini, si eux-mêmes n'avoient pas été embarrassés ? mais ils n'ont pas sauvé leur réputation par cette adresse, car le résultat de la seconde interprétation, ne vaudroit pas mieux que le résultat de la première, ou du moins, il préfenteroit d'autres inconvéniens, puisqu'il [p.114] donnerait à l'Assemblée de Révision un pouvoir extraordinaire, un pouvoir que les Législatures précédentes & les Législatures suivantes ne voudraient point reconnoitre. Supposons, en effet, trois Législatures consécutives, réunies d'opinion, sur la convenance de mettre la propriété, au nombre des conditions nécessaires pour être à l'avenir Représentans de la Nation, ce seroit alors la quatrième, qui auroit seule le droit de fixer la quotité de cette propriété. Supposons encore les trois Législatures réunies pour l'établissement de deux Chambres, ce seroit à la quatrième à prononcer sur la nature & les attributs de cette nouvelle section du Corps Législatif. On voit que la liberté, laissée à la quatrième Législature, lui conférerait un pouvoir immense, un pouvoir très supérieur à l'influence du vœu réuni des trois Assemblées précédentes.

Tenons-nous en donc au sens littéral, que présente l'article du Code de révision, & qui semble confirmé par l'obligation [p.115] imposée aux Législatures, de rédiger en Décret leur vœu pour tel ou tel changement à la Constitution ; car cette forme s'applique mieux à des précisions, qu'à des idées générales.

Il n'en est pas moins vrai, que l'Assemblée Constituante ne s'est pas exprimée avec la clarté qu'exigeoit une disposition d'une si grande importance, & j'aurai occasion de montrer comment, dans une autre position difficile, elle s'est expliquée avec la même obscurité.

Reprenons la suite de nos observations. Il ne suffira pas d'une rencontre miraculeuse, entre les voeux précis de trois Législatures, pour légitimer un nouvel article de Constitution, elle autorisera seulement la convocation d'une Législature plus nombreuse que les précédentes, & à cette quatrième appartiendra le droit de déclarer, si le vœu des trois autres doit être admis ou rejeté.

Enfin, comme si ce n'étoit pas assez de [p.116] toutes ces entraves, on a élevé encore de petites difficultés d'exécution, qui feront également obstacle à la révision du Code Constitutionnel.

On n'a donné que deux mois aux Législatures pour s'occuper de l'examen de la Constitution, terme bien court, surtout avec l'obligation de faire trois lectures de chaque projet de Décret, & à des intervalles dont aucun ne peut être moindre de huit jours.

On a de plus ordonné, & toujours constitutionnellement, que si la troisième Législature, d'accord avec les deux précédentes, démandoit un changement à la Constitution, aucun de ses Membres ne pourroit être Député à l'Assemblée de Révision. Or, cette Assemblée fera en même temps Législature ; ainsi les Membres de la troisième Législature, pour avoir voté un changement à la Constitution, seront exclus du droit d'être éligibles à la Législature suivante. Une telle condition, [p.117] véritablement pénale, gènera leurs suffrages ; elle met leur intérêt particulier en opposition avec la convocation d'une Assemblée de Révision.

On apperçoit bien le motif d'une pareille disposition : le Comité de Constitution a voulu empêcher que les mêmes Députés, dont l'opinion auroit déterminé la révision d'un Article Constitutionnel, ne devinssent juges, en quelque manière, de leur propre opinion, par leur assistance à l'Assemblée de Révision ; mais il eut donc fallu, par le même principe, interdire aux Députés de la Législature, qui auroit voté la première pour cette révision, d'être éligibles pour la seconde, & aux Députés de la seconde, d'être éligibles pour la troisième ; car la troisième Législature, aux termes du Code Constitutionnel, n'influe pas plus que les deux précédentes sur la convocation d'une Assemblée de Révision, puisque le vœu uniforme de trois Législatures consécutives peut seul légitimer cette convocation.

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On ne peut se dissimuler que toute la partie du Code François, relative à la révision des Décrets Constitutionnels, n'ait été combinée & rédigée avec une précipitation tout-à-fait en contraste, avec la haute importance de l'objet.

J'en ai dit assez sur cette matière, & cependant je ne puis m'empêcher de faire observer encore l'étrange bisarrerie, qui pourroit être le résultat d'une des dispositions, adoptées par nos premiers Législateurs. Il faut, selon leur Code, une pleine uniformité d'opinion entre trois Assemblées consécutives, afin de provoquer un amendement quelconque dans la Constitution. C'est en ce moment, sur l'expression consécutives que je m'arrête, & je dis qu'aux termes d'un tel article, la majorité du Peuple François, la majorité de ses Représentans, la majorité des Législatures, pourroient vouloir expressément un changement à la Constitution, sans avoir jamais la faculté d'y parvenir ; & cette Souveraineté Nationale, [p.119] si fastueusement rappelée, seroit entravée par une forme, seroit mise en échec par une méthode. Développons, en peu de mots, cette proposition.

Les Législatures A & B seront d'un même avis, pour un changement quelconque à la Constitution.

La Législature C pensera différemment, ainsi l'opinion des deux autres sera comme non avenue, puisqu'il faut une parité de vœux entre trois Législatures consécutives, pour légitimer la convocation d'une Assemblée de Révision.

Viendront ensuite les Législatures D & E , qui partageront exactement l'opinion des Législatures A & B.

Mais si la Législature F, qui suivra les Législatures D & E, ne pense pas comme elles, leur sentiment n'aura point d'effet.

Voilà déjà, dans ma supposition, quatre Législatures sur six, dont les vœux uniformes font écartés, font anéantis par l'avis opposé des deux autres. On peut étendre [p.120] l'hypothèse infiniment plus loin ; & toujours, en la suivant, le nombre simple domineroit le nombre double.

Tel est, cependant, le résultat possible de l'Article Constitutionnel, dont je viens de rendre compte.

Combien d'autres réflexions plus importantes ne se présenteroient pas encore, en examinant l'étrange méthode, inventée par nos Législateurs, pour procéder à la révision des articles Constitutionnels ? A-t-on prévu, à quelle suite d'intrigues & de cabales donneroit naissance un seul de ces articles, pris à la vérité parmi les principaux, & dont l'amendement seroit promené de Législature en Législature, à travers toutes nos passions, & après avoir été discuté dans toutes les sociétés politiques ? A-t-on considéré, s'il étoit possible qu'une proposition, séparée, par le hasard des délibérations, de telle autre, qui devoit lui servir de modification ou de balance, put jamais être adoptée par les Législatures suivantes? L'Assemblée [p.121] Constituante, après trente mois de discussions suivies, n'a pu saisir l'ensemble de notre nouveau systême politique ; cependant, c'était son propre ouvrage ; & l'on veut que, dans l'espace de deux mois, une Législature nouvelle puisse en détacher quelques parties, les remplacer à la hâte, & transmettre cet ouvrage informe, & aux Législatures suivantes, & à l'opinion publique placée au-dessus d'elles. Une telle marche seroit à peine applicable à une Constitution, formée par le temps, passée à toutes fortes d'épreuves, & à laquelle, par conséquent, on n'appercevroit plus que de légères taches ; car peu importeroit alors, qu'on eût fait choix ou non de la plus sûre manière de corriger ces dernières imperfections. C'est ainsi qu'en Angleterre où, depuis l'époque de la révolution, l'ordre public & la liberté font également en sureté, on supporte, sans peine, les inégalités qui subsistent encore dans la répartition des droits d'élection au Parlement, entre les diverses parties du Royaume ; on [p.122] fait que ces inégalités n'ont jamais été l'origine d'aucune loi contraire à l'intérêt commun de l'État, & on sait encore qu'une Nation, unie par ses principes & par le sentiment de son bonheur, a pour son meilleur représentant l'esprit de morale & de raison, quand cet esprit est encore en honneur chez une Nation; on fait enfin que les inégalités, dont on se plaint, seront définitivement changées quand l'opinion publique y attachera plus d'importance. Mais on ne voudroit pas racheter une pareille imperfection & de plus grandes encore, par une disposition qui porteroit la plus légère atteinte à l'autorité & à la considération du Monarque & du Parlement, à ces deux Pouvoirs dont l'union sert de sauve-garde à tous les bonheurs dont les Anglois jouissent.

Ces mêmes réflexions, cependant, sont un reproche au génie des Législateurs de la France, puisque, par une marche inverse, ils ont rendu incorrigible, & dans ses principes, & dans ses effets moraux, une [p.123] Constitution neuve en toutes ses parties, & déjà, néanmoins, ouvertement brouillée avec l'expérience, une Constitution, dépourvue des moyens nécessaires pour entretenir l'ordre & la véritable liberté, une Constitution à laquelle les hommes sages, de tous les pays, croyent appercevoir des défauts de tout genre.

J'avois invité l'Assemblée, dans mon dernier ouvrage, à ne comprendre parmi ses articles Constitutionnels, qu'un petit nombre d'articles, & dix ou douze, je crois, auroient suffi pour donner aux principes fondamentaux du Gouvernement François, & à la liberté civile & politique, toute la stabilité qui dérive des Conventions Nationales. Je sais bien qu'alors on auroit fait voir la ressemblance de ces articles, avec les bases établies par le Roi, le 27 Décembre 1788, avant même la convocation des États-Généraux, & c'est précisément ce qu'on ne se soucioit pas de montrer. Quoiqu'il en soit, en réduisant les articles Constitutionnels à [p.124] ce qu'ils devoient être, on auroit pu leur donner une solennité qui les auroit gravés dans tous les esprits. On auroit examiné, s'il ne convenoit pas de les insérer en entier dans les engagemens de fidélité, exigés des citoyens. Nos Législateurs auroient rendu, de cette manière, un hommage éclairé à la religion du serment, au lieu qu'en obligeant les habitans de la France à jurer, qu'ils maintiendront de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Constituante, aux années 1789, 1790 & I791, & en composant cette Constitution de 329 articles, on exige un serment téméraire, & auquel les hommes les plus instruits pourroient manquer à chaque instant, sans le savoir. C'est une véritable idée d'auteur, qu'une pareille formule, l'on n'y reconnoit point le caractère de Législateur. En même temps, néanmoins, que l'Assemblée Nationale auroit réduit les Décrets Constitutionnels à ce petit nombre de chefs principaux, sur lesquels une Nation éclairée [p.125] ne peut jamais varier, on eut approuvé sa sagesse, si elle eut rangé, dans une seconde classe, les dispositions qui avoient besoin d'être consacrées par l'autorité de l'expérience. Et si, pour se donner le temps d'obtenir cette Sanction, elle avoit astreint une ou deux Législatures à n'y rien changer, une telle distinction, parfaitement raisonnable en soi, auroit réuni les plus grands avantages ; car d'une part on auroit soustrait à toute espèce de commotion, les fondemens de l'ordre social & de la liberté publique, & de l'autre, on auroit rendu plus promptes & plus faciles les modifications d'un genre différent, mais dont on reconnoitroit, cependant, la convenance ou la nécessité. Plusieurs États Américains se font conduits de cette manière, ils ont permis à leur Corps Législatif de faire des changemens à la Constitution ; mais ils ont excepté de cette faculté quelques articles essentiels. Nous avons, nous, permis de tout remettre en doute; ainsi, supposant que la première Législature, [p.126] autorisée à revoir la Constitution, propose un nouveau démembrement de l'autorité Royale, ou tout simplement un principe naïvement républicain, je demande si cette proposition, dont la discussion, par une seconde Législature, n'aura lieu qu'après un espace de deux ans moins deux mois, n'achèvera pas, dans l'intervalle, d'annuler entièrement la considération du Monarque & l'action du Pouvoir exécutif remis entre ses mains. C'est ainsi que le crédit seroit entièrement détruit, au moment où une Législature proposeroit la banqueroute aux Législatures qui la suivroient.

Eut-on jamais imaginé, que, selon la loi de révision, adoptée par nos Législateurs, il ne seroit, ni plus difficile, ni plus facile de changer la Monarchie en République, que de modifier le plus indifférent de tous les détails compris, on ne fait pourquoi, dans le Code Constitutionnel ? Je donnerai de ces derniers un seul exemple, il fait contrarie avec les réflexions précédentes. On [p.127] voit à l'article second, du Chapitre XIV du Code Constitutionnel, que le Roi nommera les Chefs des travaux, sous-Chefs des bâtimens civils, & la moitié seulement des Chefs d'administration, & des sous-Chefs de construction : or, je le demande, ces quotités relatives & proportionnelles, tiennent-elles à des vérités si éternelles, que leur détermination méritât d'être inscrite sur la Charte immuable & Constitutionnelle de l'Empire François ?

Je ne finirois pas, si je faisois observer tout ce qu'il y a de bizarre & de dangereux dans le plan correctif de la Constitution, imaginé par nos Législateurs. C'est à la formation vicieuse du Corps Législatif, qu'il faut attribuer en partie toutes ces étranges idées. On l'a composé d'une seule Chambre, & l'on a craint de lui confier le pouvoir de modifier la Constitution, dans ses moindres détails, & l'on n'a pas osé même lui attribuer le droit de convoquer une Convention Nationale, au moment où elle [p.128] jugeroit nécessaire de faire la révision de quelques articles Constitutionnels ; & de cette manière, on a été amené à exiger, pour toute espèce de changement, le vœu uniforme de plusieurs Législatures consécutives, & d'assujettir l'émission & l'efficacité de ce vœu, à des formalités puériles ou contentieuses, indignes de la grandeur & de la majesté du sujet auquel on les applique.

Certes, si quelque chose peut attacher davantage les Anglois, aux bases essentielles de leur Constitution, c'est de remarquer aujourd'hui, distinctement, comment nos Législateurs, venus après tous les autres, & hissés, pour ainsi dire, au haut des idées théoriques & métaphysiques, ont vu trouble du point où ils se font placés, & ont pris alors des subtilités pour la perfection, & des singularités pour le génie.