Chapitre III - De quelle manière la question du Pouvoir Exécutif auroit pu être traitée à l'Assemblée Nationale


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CHAPITRE III.

De quelle manière la question du Pouvoir Exécutif auroit pu être traitée à l'Assemblée Nationale.

Dans les grandes affaires, & même dans les divers exercices de la pensée, les questions les plus difficiles à déterminer sont celles où l'esprit doit poser des limites, & tracer, avec justesse, une ligne de démarcation entre des principes qui se combattent. Il est des problêmes politiques de la plus haute importance, où cette difficulté n'existe point. Ainsi, la distribution des Pouvoirs, leur séparation, la composition du Corps Législatif, toutes ces dispositions politiques & plusieurs autres exigent, sans doute, des vues justes & un regard étendu ; mais il faut un genre d'esprit de plus pour la solution des questions que je viens de désigner, & dans le nombre, [p.50] aucune, sans exception, ne présente autant de degrés à parcourir, autant d'incertitudes à fixer, que le choix prudent & réfléchi des moyens nécessaires pour donner au Pouvoir Exécutif l'action dont il a besoin, & pour remplir ce but, sans offenser & sans mettre en péril la liberté politique. La tâche est difficile, & l'on ne peut y suffire, ni par cette force de raisonnement, qui de propositions en propositions, s'élève à la vérité, ni par cet esprit métaphysique, qui l'atteint quelquefois dans son vol plus rapide; c'est vers un terme mobile que la pensée est appelée ; c'est vers un but, signalé de diverses manières, qu'elle doit diriger sa marche. Elle a des forces incertaines à calculer, des oppositions apparentes à concilier, des limites vagues à fixer, & le systême général de proportion qu'elle doit observer, dépend d'une infinité de combinaisons & de rapports. Il faut donc une réunion de divers genres d'esprit pour organiser convenablement le Pouvoir Exécutif dans un grand Empire, surtout [p.51] lorsque les bases anciennes ont été renversées, & lorsque le terrain sur lequel elles reposoient, remué dans tous les sens, n'indique plus aucune trace d'édifice.

Tout sembloit donc avertir l'Assemblée Nationale, qu'elle avoit besoin de chercher un modèle, non pour s'y conformer servilement, mais pour fixer ses idées au milieu du vide immense dont son génie destructeur l'avoit environnée. Ce modèle étoit placé près d'elle & c'est notre malheur ; car s'il n'eût pas existé sur les rives de la Tamise, & qu'il nous eût été transmis simplement par de vieilles traditions, extraites du chinois ou de l'arabe & trouvées par hasard dans une bibliothèque, ou mystérieusement confiées aux chefs de nos Législateurs, leur amour-propre inventeur auroit mis en doute, peut-être, si ce n'étoit pas créer des idées, que de les prendre au bout du monde, ou dans le vieux temps, & nous aurions aujourd'hui le Gouvernement des Anglois perfectionné, Gouvernement plus libre que [p.52] le nôtre, en son état présent, & surement plus heureux. Nous aurions eu, au moins, un Pouvoir Exécutif en état de maintenir l'ordre public, sans exciter aucun ombrage sur le maintien de la Constitution ; & comme l'opinion de la Nation auroit pu être dirigée avec plus de facilité vers des idées sages & éprouvées, que vers des systêmes exagérés & sans modèle, le plus parfait contentement du moment présent se fût réuni à la certitude de sa durée, & la paix générale en eût été le premier présage. Ah ! que de grands événemens tiennent à de petites causes ! cette vérité commune n'eût jamais une application plus réelle & plus importante, que dans la circonstance politique où nous nous sommes trouvés & où nous nous trouvons encore.

Je ramène l'attention vers le Pouvoir Exécutif, vers cette partie de la Constitution qui s'unit cependant à toutes les autres. Voici comment l'exemple de l'Angleterre auroit pu diriger, ce me semble, la méditation des Législateurs de la France. Ils avoient [p.53] à combiner, à organiser un Pouvoir, le garant de l'ordre public, le principe de toute l'action d'un Gouvernement ; & puisque la prudence ne leur permettoit pas de prendre pour seuls guides, dans une disposition si grave, de simples pressentimens, de simples conjectures, ils dévoient chercher à acquérir une connoissance exacte de tous les éléments qui composent ce Pouvoir, dans la Monarchie la plus tempérée de l'Europe ; & informés, comme ils auroient pu l'être, en même temps, que le Gouvernement Anglois, avec toutes ses prérogatives, n'a des moyens qu'au plus juste & presqu'à fleur de corde, s'il est permis de s'exprimer ainsi, pour entretenir l'ordre & prévenir les abus de la liberté ; ils auroient été conduits naturellement à raccorder au moins leurs idées avec des observations si instructives. Avertis, en effet, par cent années d'expérience d'un peuple voisin, qu'il falloit chez une Nation libre, une telle réunion de moyens & dû prérogatives pour assurer l'action du Pouvoir [p.54] Exécutif, si quelques parties de cet ensemble leur avoient présenté des inconvéniens, leur avoient donné de l'ombrage, ils auroient pu les remplacer d'une autre manière; mais sûrs d'un objet de comparaison, & l'ayant toujours présent à leur pensée, même en s'en écartant, ils n'auroient pu s'égarer.

Voilà, ce me semble, qu'elle eut été la marche la plus simple, & celle qu'auroit finement conseillée aux Législateurs de la France, non pas la vanité, non pas un amour-propre d'auteur, non pas une présomptueuse confiance, mais ce gros bon sens, devant lequel je m'agenouille chaque jour avec plus de respect, en voyant combien, dans toutes les affaires, nous payons chèrement le mépris qu'on a pour lui, ou les dédains qu'on lui témoigne. Ah ! vous qui le croyez placé si bas, vous, nos grands métaphysiciens, vous l'auriez rencontré, peut-être, si, en promenant l'Assemblée dans votre cercle aérien, vous aviez pu donner à votre char ailé, un degré d'ascension de plus.

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Une grande question devoit, sans doute, être traitée, en cherchant une instruction dans l'examen des divers élémens qui composent le Pouvoir Exécutif d'Angleterre ; il étoit raisonnable de considérer si le degré de force dont on avoit investi ce Pouvoir, avoit porté quelque atteinte à la liberté publique ; & supposant pour un moment qu'on eut été conduit à cette opinion, l'on eût cherché à se garantir d'un pareil danger; mais à aucune condition l'on n'auroit abandonné la sureté de l'ordre public & la tranquillité intérieure, biens précieux, biens inestimables & dont les hommes ont voulu s'assurer la jouissance, lorsqu'ils ont renoncé à leur indépendance individuelle, pour se réunir en société.

On auroit vu, néanmoins, en étudiant l'histoire d'Angleterre, depuis la révolution de 1688, on auroit vu que la Constitution nationale, respectueusement maintenue, n'avoit éprouvé aucune altération importante, & que la liberté politique étoit [p.56] restée inaltérable sous la garde de tous les Pouvoirs ; vérités essentielles, & que je développerai plus particulièrement.

Quel aide, quel secours nous eut offert l'expérience, si nous avions voulu la consulter ? c'est elle, cependant, je ne puis trop le dire, c'est elle qui nous présente l'extrait des lumières de tous les hommes & de tous les temps, & qui en tournant, sans cesse, son fuseau autour des idées les plus fines & les plus imperceptibles, dans leur origine, leur donne enfin toute la consistance nécessaire pour notre usage ; mais alors, malheureusement, elles prennent le nom de maximes communes, & nous commençons à les mépriser. Le moment arrive cependant, où, après avoir défait nous-mêmes indiscrètement le lien qui les rassemble, nous retrouvons, dans leur composition, tous les esprits & toutes les pensées.

Je me propose, dans les chapitres suivans, de former un parallèle entre l'organisation du Pouvoir Exécutif en Angleterre, & les [p.57] élémens divers qui composent aujourd'hui ce même Pouvoir parmi nous : cette comparaison ne servira pas seulement à montrer évidemment l'extrême foiblesse de l'autorité qui doit veiller, en France, au maintien de l'ordre public, elle me conduira, de plus, à justifier naturellement ce que j'ai dit dans le commencement de cet ouvrage, sur l'union intime qui existe entre la formation du Pouvoir Exécutif, considérée dans tous ses rapports, & les diverses lois constitutionnelles d'une Nation. C'est, je le crois, en appliquant les idées générales à des objets réels, qu'elles deviennent plus instructives, ou qu'elles font du moins plus aisément conçues.