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Réflexions générales sur le Pouvoir Exécutif.
Le Pouvoir Exécutif est la force motrice d'un Gouvernement; il représente, dans le systême politique, cette puissance mystérieuse, qui, dans l'homme moral, réunit l'action à la volonté. Telle est, cependant, la diversité de ses rapports, telle est l'étendue de son influence, tel est son espace, pour ainsi dire, dans l'ordre social, que la fixation de ses [p.16] limites & la conciliation précise de ses moyens avec sa destination, offrent à l'esprit humain l'un des plus vastes sujets de réflexion.
L'éminence du Pouvoir Législatif, le rang qu'il occupe dans l'ordonnance générale des autorités, en imposent davantage à l'imagination ; mais tout est simple, néanmoins, dans la conception première de ce Pouvoir ; & son existence ne dépend d'aucune circonstance extérieure. Les fonctions dont il est chargé, pourroient être remplies par une collection d'hommes, honorés de la confiance de leurs Concitoyens, lors même que cette réunion n'auroit pas été ordonnée, selon les meilleurs principes & dans le sens le plus parfait. La formation du Corps Législatif, ne peut donc pas être mise au nombre des problèmes politiques, difficiles à résoudre ; & certainement elle n'exige point, ainsi que l'institution du Pouvoir Exécutif, une mesure exacte, une convenance précise, & dont il soit dangereux de s'écarter.
Il n'importe pas au bonheur, il n'importe pas à la liberté, que le Corps Législatif soit [p.17] formé comme aujourd'hui de sept cents quarante-cinq Députés, plutôt que de six, de sept, de huit ou de neuf cents. Il n'importe guères non plus & au bonheur & à la liberté que l'assemblée soit composée de Députés nommés par chaque Département, en raison combinée du nombre des habitans, de la mesure des contributions & de l'étendue du sol, & non pas en proportion simplement de la population & des charges publiques. On pourroit encore fixer à trois ans plutôt qu'à deux, la durée de chaque Législature, sans qu'il en résultât une conséquence importante pour l'avantage du Royaume. L'âge, & le degré de propriété, nécessaires pour être éligibles aux Assemblées Nationales, ne sont point non plus des objets de détermination dont l'exacte précision intéresse essentiellement le salut de l'État. Enfin la grande question sur la formation du Corps Législatif en une ou en deux Chambres, cette question la plus marquante de toutes, n'acquiert, cependant, une [p.18] véritable importance qu'au moment où l'on découvre ses rapports avec le Pouvoir Exécutif ; car en la considérant uniquement dans ses relations avec la confection des lois, on voit aisément qu'on pourroit obvier en partie aux inconvéniens d'une seule Chambre, en prévenant par différens statuts la rapidité dangereuse de ses délibérations & de ses décrets.
On peut donc avancer sans légèreté que la constitution du Pouvoir Exécutif compose la principale & peut-être l'unique difficulté de tous les systêmes de Gouvernement.
Ce Pouvoir, quoique le second en apparence dans l'ordonnance politique, y joue le rôle essentiel ; & si par une fiction l'on personnifioit pour un moment le Pouvoir Législatif & le Pouvoir Exécutif, le dernier en parlant de l'autre emprunteroit de l'esclave Athénien ce mot venu jusques à nous, tout ce que celui-ci vient de dire je le ferai.
Les lois en effet ne seroient que des conseils, des maximes plus ou moins sages, [p.19] sans cette autorité active & vigilante, qui affaire leur empire & qui transmet à l'administration le mouvement dont elle a besoin. Ce pouvoir, quand il passe certaines limites, menace la liberté & peut mettre en danger la Constitution même ; & lorsqu'on le dépouille des prérogatives qui composent sa force, il ne peut remplir son importante destination, & sa place reste comme vacante au milieu de l'édifice social.
C'est donc par l'efficacité de ce Pouvoir & par sa prudente mesure, que l'intention primitive des sociétés politiques est essentiellement remplie, & la perfection de son essence, toute en proportion, toute en équilibre, dérive des combinaisons les plus exactes.
Bien différent néanmoins du Pouvoir Législatif, qui peut se mettre en mouvement dès qu'il est instalé, & dès que les hommes appelés à l'exercer sont légalement assemblés, on pourroit presque dire du Pouvoir; Exécutif, qu'il n'existe pas encore lorsqu'il [p.20] est créé, car son influence dépend d'une infinité de moyens absolument distincts de son institution.
En effet, les lois constitutionnelles auroient en vain décrit les fonctions du Pouvoir Exécutif, elles auroient en vain ordonné qu'un respect général lui seroit rendu, elles auroient en vain détermine que ce Pouvoir seroit exercé, soit par un Monarque électif ou héréditaire, soit par un Sénat composé de tant de personnes, éligibles de telle manière, toutes ces conditions ne donneroient encore ni l'ame, ni la vie à ce même Pouvoir ; & tandis que le Corps Législatif, avec des hommes, ou penseurs ou parleurs, multiplieroit à son gré les lois & les Décrets, le Pouvoir Exécutif, s'il n'étoit pas investi de toutes les prérogatives nécessaires à son autorité & à son crédit, essayeroit inutilement de faire valoir ses droits & de remplir sa destination.
Il n'existe, ce Pouvoir, que par la réunion de toutes les propriétés morales qui [p.21] forment son essence, il tire sa force & des secours réels qui lui font donnés, & de l'assistance continuelle de l'habitude & de l'imagination ; il doit avoir son autorité raisonnée & son influence magique ; il doit agir comme la nature & par des moyens visibles & par un ascendant inconnu.
Il ne faut point s'étonner de la nécessité d'un pareil concours, car il n'est rien de si extraordinaire dans l'ordre moral que l'obéissance d'une Nation à une seule loi, n'importe que cette loi soit l'expression des volontés d'un homme ou le résultat des opinions d'une Assemblée représentative.
Une pareille subordination doit frapper d'étonnement les hommes capables de réflexion, ne fut-ce que par son opposition aux règles générales de l'ordre physique, où tout se meut en raison des masses & de leur force attractive.
C'est donc une action singulière, une idée presque mystérieuse que l'obéissance du très-grand nombre au très-petit nombre ; mais [p.22] nous croyons simple tout ce qui existe depuis long-temps dans l'ordre moral, & nous appercevons de même avec toute la distraction de l'habitude, les plus grands phénomènes de l'Univers.
Aujourd'hui, cependant, que nous avons arrêté toutes les roues de l'ancienne machine politique ; aujourd'hui que nous les avons changées ou déplacées, aujourd'hui que nous voyons en même temps, l'ordre partout interverti, l'obéissance partout combattue, il seroit temps de reconnoître que le mouvement le plus simple dans ses effets, dépend souvent de l'organisation la plus composée dans ses ressorts, & la plus étonnante dans ses proportions.
Le Pouvoir Exécutif a le même but, la même destination dans tous les Gouvernemens, ainsi l'on peut aisément décrire ses fonctions, & les séparer de celles qui appartiennent exclusivement au Corps Législatif; mais quand on veut composer ce Pouvoir, quand on veut faire le choix des éléments [p.23] propres à constituer sa force, quand on veut s'assurer d'une action sans abus, d'un mouvement sans destruction, & quand on veut appliquer toutes ces proportions à une grande rotation, à un espace immense, on apperçoit les difficultés d'une pareille théorie ; & l'on pardonneroit peut-être à l'Assemblée Nationale de les avoir méconnues ou d'en avoir distrait son attention, si tous nos malheurs, ceux que nous avons éprouvés, ceux que nous ressentons, ceux que nous craignons encore, ne dévoient pas être rapportés à cette première faute. Nous aurons long-temps à la regretter, & pour y trouver un jour quelque remède, il faut d'abord la connoitre dans toute son étendue & dans toutes ses dépendances.