Maurice Deslandres, Histoire constitutionnelle de la France - L'avènement de la troisième République, la Constitution de 1875, Paris, Libraire Armand colin - Libraire du Recueil Sirey, 1937
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L'AVÈNEMENT DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE
LA CONSTITUTION DE 1875
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En 1932 je faisais paraître en deux volumes une Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à 1870[1]. L'accueil qui lui a été fait a été sympathique. Historiens et juristes, double public spécialisé auquel, en dehors du public en général, elle s'adressait, ont reconnu qu'elle comblait une lacune de notre littérature historique et juridique, l'histoire de nos institutions politiques contemporaines n'ayant jamais été présentée dans son ensemble. On a bien voulu reconnaître aussi que l'étude de ces institutions, placées dans le milieu historique de leur développement, comme des choses vivantes, participant à la vie nationale, conditionnées par elle et la conditionnant, était également une nouveauté.
Nul, d'autre part, n'a suspecté l'objectivité toute scientifique de cet ouvrage. Malgré les circonstances économiques déplorables dans lesquelles il a été offert au public et son prix, il a connu un succès satisfaisant. Enfin l'Institut lui a accordé une de ses flatteuses récompenses.
C'étaient là autant d'encouragements à lui donner la suite, qui s'appelait d'ailleurs d'elle-même.
Sous ce titre : Avènement de la Troisième République. Constitution de 1875, je la livre aujourd'hui au public.
Elle forme un ouvrage à part tout en étant la suite naturelle de mon précédent ouvrage.
Elle s'inspire de la même impartialité scientifique et de la même méthode historique.
J'aurais voulu mener cette histoire jusqu'à nos jours... Mais le contemporain, encore plus l'actuel, sont d'une étude presque inabordable, les documents surabondent et manquent à la fois, les grandes [p.2] lignes d'évolution se distinguent mal du chaos des faits. Puis ce sont deux ou trois volumes qu'il m'aurait fallu écrire, et les conditions actuelles de l'édition m'ont obligé à réduire les dimensions mêmes de celui-ci.
J'ai donc arrêté cette histoire à la première application de la Constitution de 1875, qui l'a complètement déformée.
Telle quelle, elle la fera mieux connaître en la faisant apparaître, plus que toute autre, comme un produit de l'histoire, des circonstances dans lesquelles elle est née et de l'évolution des forces qu'elle incarnait et qui se sont développées et modifiées après sa naissance.
Comme on le verra, la vie a transformé en effet un régime de parlementarisme atténué et équilibré en un régime de parlementarisme outré, d'accaparement de la maîtrise par le Parlement et même, presque exclusivement, par la Chambre des députés.
Ce régime de pseudo-conventionalisme a pu assurer la vie de la France, tant bien que mal, en des temps calmes et faciles. Il a dû au cours de la guerre céder la place à une sorte de dictature atténuée pour le salut et la victoire du pays. Le régime n'est pas encore revenu à son fonctionnement normal. Il est manifeste, comme nous le dirons en concluant, qu'il ne répond plus aux conditions de la vie nationale et internationale. La question est de savoir si on laissera à une crise spontanée la charge de son redressement, ou si, ce qui vaudrait infiniment mieux, on saura et on pourra l'opérer par des voies régulières. Plaise à Dieu qu'il en soit ainsi et que la France ignore les coups de force de gauche ou de droite, qui ont, dans tant de pays, institué des régimes anormaux qu'on a peine à concevoir comme définitifs.