Numérisation et relecture des OCR réalisées par la Bibliothèque Cujas
[p.108]
M. Fonfrède prétend que j'ai dans ce passage tout à fait dénaturé sa pensée. Pour que le public en juge, je transcris littéralement le morceau dont il s'agit :
…
« Maintenant que nous voilà bien pénétrés de ces principes, passons des majorités accidentelles mais consciencieuses, provenant de ce qu'une question spéciale réunit contre le ministère des députés qui votent pour lui sur d'autres points ; passons, dis-je, de ces majorités accidentelles mais consciencieuses, aux majorités conspirées par une coalition de députés, qui, quoique appartenant à des opinions contraires, se réunissent dans le but avoué de renverser le ministère, sauf à se mettre le lendemain dans l'impossibilité absolue de s'entendre ensemble pour un nouveau système, et de nouveaux ministres destinés à exécuter ce système. Eh bien! dans ce cas, qui est malheureusement très-fréquent, je dis que cette majorité de coalition est un mensonge et un crime constitutionnel ; je dis que les ministres qui se retirent devant une majorité de ce genre deviennent criminels eux-mêmes, qu'ils désertent la royauté, qu'ils trahissent la prérogative de la couronne et les intérêts les plus sacrés du pays, puisque, pour se mettre à l'abri des haines conjurées contre eux, ils livrent le gouvernement entre les mains d'un fantôme parlementaire anarchiquement impuissant. Je dis qu'en un cas pareil le ministère doit porter sa part de la croix et suivre la royauté au calvaire; — je dis qu'il commet une lâcheté d'esprit, sinon de cœur, en courbant le front devant une majorité qui n'est autre chose qu'une coalition d'apostasies conjurées contre la prérogative royale; devant une majorité fausse, assez coupable pour vouloir détruire ce qu'elle ne peut remplacer, sans autre but que d'ôter au Roi le choix de ses ministres, droit qu'il tient de la Charte elle-même.
» En une pareille situation, que doivent faire les ministres du roi? — [p.109] Selon moi, le voici : Ils doivent aborder hautement la difficulté, déclarer qu'ils ne se retireront pas devant une telle majorité, et faire voir au pays que cette tentative d'usurpation parlementaire déplace nécessairement la responsabilité, et la fait peser sur la coalition inconsciencieuse qui réussirait à entraver l'administration d'un pouvoir qu'elle n'a pas les moyens d'exercer elle-même.
» Ainsi, pour rendre cette idée bien sensible à tous les esprits, par exemple, supposons que pour renverser le ministère, qu'il s'appelle Molé, Thiers ou Guizot, peu importe; supposons que deux fractions opposées de la chambre se coalisent afin de voter contre les fonds secrets nécessaires à la police du royaume; qu'elles parviennent, à la misérable majorité de quelques voix, à faire réduire les fonds de manière à les rendre insuffisants pour les besoins politiques auxquels ils doivent satisfaire. Eh bien! à mon avis, le ministère devrait bien se garder de se retirer devant une pareille décision; il devrait en laisser la responsabilité à la coalition. Si pendant le cours de l'année les fonds secrets étaient insuffisants par l'effet du refus de la chambre, et que quelque malheur en fût le résultat, le ministère devrait revenir dans la session suivante, et, du haut de la tribune, faire comprendre à la France que les malheurs arrivés ne sont point le fait du pouvoir, mais le résultat du vote hostile de la chambre elle-même; que le ministère avait demandé les fonds nécessaires, mais qu'en les refusant par un esprit de coalition entre deux fractions qui le lendemain n'auraient pu s'entendre pour gouverner, la chambre des députés a elle-même désorganisé cette partie de service. Voilà comment il faudrait parler à la France, au lieu de courber lâchement la tête devant ces conjurations parlementaires hostiles à la prérogative royale, et si la voix qui parlerait ainsi était un peu, forte et sévère, soyez sûrs que la France l'entendrait que la France la comprendrait. Ou bien encore, si les malheurs occasionnés par le refus de la chambre étaient d'une nature trop grave, le ministère devrait prendre sur lui de dépasser les fonds votés, engageant franchement sa responsabilité pour le service de la couronne et de la France, et venir demander ensuite à la face du pays un bill d'indemnité éclatant et solennel, que ne pourraient refuser sans se perdre et sans se flétrir ceux-là mêmes qui l'auraient rendu nécessaire. »
( Courrier de Bordeaux. )