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CHAMBRE DES DÉPUTÉS
DANS LE
GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
MARS.
Le gouvernement des trois pouvoirs, avec ce qu'il y a de complexe dans ses éléments, de compliqué dans son mécanisme, de lent dans son action, a toujours eu et devait avoir pour adversaires les esprits absolus et raides ; ceux qui, appliquant aux sciences morales et politiques la méthode et les procédés des sciences mathématiques, veulent qu'un principe engendre nécessairement ses plus extrêmes conséquences, et repoussent comme faux et illogique tout ce qui ressemble à une transaction. Le seul gouvernement que puissent comprendre de tels esprits, c'est un gouvernement où un pouvoir unique, roi ou assemblée, réunisse et concentre en lui-même tous les droits et toutes les forces; un gouvernement où la pensée, la volonté et l'action soient en quelque sorte indivisibles, et ne rencontrent d'autres obstacles que ceux qui, naissent de l'infirmité humaine et de la nature des choses; un [p.2] gouvernement, en un mot, qui, sous la forme monarchique, aristocratique ou démocratique, commande en maître et impose aux dissidences, quelles qu'elles soient, le silence et la soumission. Or, le gouvernement représentatif des trois pouvoirs, il faut en convenir, n'est point ainsi fait et ne remplit aucune de ces conditions.
Quand donc ce gouvernement est dénoncé par les opinions absolutistes de toute espèce comme impuissant et impossible, il n'y a lieu ni de s'en étonner ni de s'en alarmer. Mais parmi ceux-là même qui l'acceptent et qui désirent son affermissement, on a vu, depuis quelque temps, surgir des doutes sérieux et de tristes divergences. Ainsi on entend dire tous les jours et partout que le gouvernement représentatif est loin de répondre aux espérances qu'il avait fait naître et de tenir ses promesses ; on entend dire que, soit par vice originel, soit par accident, c'est une machine qui fonctionne mal et qui, au lieu de se perfectionner avec le temps, tend, à mesure qu'elle vieillit, à s'embarrasser davantage et à se désorganiser; on entend dire que bientôt, si cela continue, tout deviendra impossible en France, et qu'il faudra aviser à d'autres moyens de faire les affaires du pays et de veiller à ses plus pressants intérêts.
Il y a certainement dans ces accusations beaucoup d'exagération, et le gouvernement représentatif, même dans son état actuel, est encore, quoi qu'on en dise, infiniment plus propre qu'aucun autre à faire prévaloir les intérêts généraux sur les intérêts privés. Il serait d'ailleurs injuste d'oublier quel puissant appui cette forme de gouvernement a tout récemment prêté à ceux qui voulaient préserver le pays d'un entraînement funeste, [p.3] et empêcher que, par une réaction inconsidérée, les conditions de l'ordre ne fussent détruites comme l'avaient été auparavant celles de la liberté. Néanmoins on ne peut nier que, depuis deux ou trois ans, le gouvernement représentatif en France n'ait perdu beaucoup de sa vitalité, et que ses ressorts les plus essentiels ne se soient affoiblis et relâchés ; on ne peut nier qu'un mal profond ne semble le travailler; mal chronique en quelque sorte et qui, s'il faisait de nouveaux progrès, anéantirait en lui toute puissance et toute activité. Dans cette situation il est naturel que le trouble et le découragement s'emparent par moments des consciences les plus droites et des plus fermes esprits.
Au nombre de ces esprits se placent, en première ligne, deux publicistes distingués, M. His et M. Fonfrède. Après avoir reconnu le mal, tous deux d'ailleurs en ont cherché la source, et tous deux sont arrivés, par des voies différentes, à peu près au même point. Si le gouvernement représentatif languit et s'affaisse, c'est, selon eux, parce qu'un des pouvoirs, celui qui émane directement de l'élection, méconnaît la limite de ses droits et prétend, contre la nature des choses, s'emparer de l'initiative et de la direction : c'est parce que la chambre des députés, non contente de sa part légitime dans le gouvernement du pays, usurpe ouvertement la part des autres pouvoirs, et tend à annuler à son profit la royauté et la chambre des pairs. Les empiétements de la chambre des députés et son omnipotence, voilà donc la véritable cause, la cause unique de tous les tiraillements qui entravent aujourd'hui la marche du gouvernement.
A ceux qui seraient tentés de partager cet avis, il [p.4] pourrait suffire de répondre, en fait, que les empiètements que l'on signale n'existent pas, et que jamais nous ne fumes plus loin de l'omnipotence dont on se plaint. Jamais, en effet, depuis qu'existe le gouvernement représentatif, la chambre des députés n'a moins eu la prétention sérieuse d'imposer sa volonté à qui que ce soit et sur quoi que ce soit. Jamais, depuis qu'existe le gouvernement représentatif, elle n'est moins sortie du rôle négatif qui, selon MM. His et Fonfrède, est le seul qui lui convienne. Après avoir renversé le ministère du 11 octobre sans le vouloir et sans le savoir, on l'a vue, au contraire, accepter successivement le système et les hommes du 22 février, le système et les hommes du 6 septembre, le système et les hommes du 15 avril. Aujourd'hui même, après une dissolution et des élections nouvelles, personne ne pourrait dire exactement ce qu'elle pense et ce qu'elle veut. Si donc la chambre des députés méritait un reproche, ce ne serait pas celui que lui adressent MM. His et Fonfrède; et peut-être trouverait-on de fort bonnes raisons pour attribuer à un motif tout contraire ce qu'il y a de fâcheux dans notre situation ; mais quand deux écrivains aussi honorables et aussi distingués embrassent et soutiennent une opinion, elle mérite d'être examinée en elle-même et indépendamment de son application. Ce sera d'ailleurs une occasion de déterminer nettement quelle est, dans le gouvernement représentatif, la situation véritable de la chambre des députés, et quel y doit être son rôle.
Voici, du moins en ce qui touche la chambre des députés, la pensée fondamentale du livre de M. His.
Pour que la vie politique existe, pour qu'il y ait [p.5] gouvernement, il faut une direction homogène et une action continue. Unité et fixité, tels sont donc les deux caractères auxquels se reconnaît un vrai gouvernement. Or, dans un pays comme la France, où l'élection appartient à la classe moyenne, c'est-à-dire à une classe composée d'éléments variés et mobiles, il est impossible que la majorité de la chambre élective soit autre chose qu'une agrégation fortuite de minorités sans cesse, prêtes à se séparer. C'est donc méconnaître les principes les plus élémentaires de la science politique, que de demander à une telle agrégation ce qu'elle est impuissante à produire, un système et une direction. Ce système et cette direction, il est indispensable que la chambre les reçoive d'un pouvoir constitué dans des conditions tout autres, d'un pouvoir qui, par sa nature même et par le mode de son existence, ait de l'unité et de la fixité. A la royauté donc, à la royauté seule il appartient d'avoir une pensée et de choisir les instruments et les organes qui doivent la mettre en œuvre et la faire prévaloir. Prétendre, comme le fait l'école spéculative, que ces instruments et ces organes doivent nécessairement être choisis au sein de la majorité des chambres et se faire agréer par cette majorité, c'est confondre les attributions des pouvoirs entre eux et rendre le gouvernement impossible.
Ces idées sont, à peu de chose près, celles de M. Henri Fonfrède, qui, dans une série d'articles, les a exposées et développées avec une rare vigueur et un talent supérieur. A l'entendre, c'est aux préjugés représentatifs que la France doit : « l'atonie du gouvernement, les changements fréquents de ministère, le désordre, de l'administration, le fractionnement croissant de la chambre élective, l'état [p.6] confus des collèges électoraux, enfin toute cette vaste instabilité qui dessèche en France les germes de la prospérité publique. » Or ces préjugés prennent tous leur source dans une pensée radicalement fausse, celle que l'initiative doit venir d'en bas, et que la chambre des députés est appelée non-seulement à contrôler, mais à diriger; non-seulement à voter des lois, mais à concevoir un système ; non-seulement à surveiller et à contenir les ministres, mais à les choisir, ou, ce qui revient au même, à les désigner. « Comment ne voyez-vous pas, s'écrie M. Fonfrède, qu'en déplaçant ainsi les attributions et les droits, vous détruisez toute hiérarchie, tout ordre, toute stabilité? Comment ne voyez-vous pas qu'imprudents et inconséquents vous inaugurez, à côté d'une monarchie nominale, une république réelle ? Comment ne voyez-vous pas que vous préparez par là les collisions les plus funestes et les plus terribles déchirements? Quelle direction d'ailleurs et quelle suite pouvez-vous attendre d'un pouvoir passager, fractionné, décousu, sans tradition comme sans avenir? Aussi, ce pouvoir, qui, dans la limite de ses attributions, pourrait être si utile, succombe-t-il misérablement sous le poids du rôle que vous lui assignez et qu'il est incapable de jouer. C'est faire du gouvernement à rebours, et vouloir qu'une pyramide renversée se tienne droit et debout. »
La pensée dominante de MM. His et Fonfrède c'est, on le voit, cette pensée qu'une assemblée nombreuse, et qui ne vit pas comme les vieilles aristocraties sur un fond d'idées analogues et d'intérêts communs, est hors d'état de gouverner par elle-même et d'imprimer aux affaires publiques une forte et stable direction. J'irai à cet égard un peu plus loin, et ce que MM. His et Fonfrède disent [p.7] de la chambre des députés française, je le dirai de toute assemblée quelle qu'elle soit. Il est donc vrai que, pour bien s'acquitter de ses devoirs, la chambre élective a besoin d'être organisée et conduite. Il est vrai que, privée de direction, et livrée à l'action dissolvante de toutes les volontés et de tous les caprices individuels, elle doit se décomposer et tomber dans l'impuissance. Il est vrai, en un mot, que dans le gouvernement représentatif, comme dans tout autre gouvernement, des chefs sont nécessaires. Mais à quelle condition ces chefs peuvent-ils, dans le gouvernement représentatif, se placer à la tête de la société et l'entraîner à leur suite? Là est la question véritable, celle à laquelle MM. His et Fonfrède ne paraissent point avoir suffisamment songé. Il faut que la chambre élective soit dirigée. Nous sommes d'accord sur ce point. Mais au nom de quels principes, et par qui? Au nom des principes, et par ceux qu'un pouvoir extérieur et supérieur aura choisis, disent MM. His et Fonfrède; et je dis, moi, qu'il y a là, de leur part, une erreur capitale et une singulière illusion. Je dis que jamais chambre composée d'hommes intelligents et libres ne renoncera, comme ils le demandent, à toute pensée et à toute volonté. Je dis qu'on n'obtiendra pas que deux cent cinquante députés reconnaissent leurs chefs, comme un soldat reconnaît son caporal, et reçoivent leur direction comme une consigne, aveuglément et passivement. Je dis que si quelquefois une administration se forme ainsi, et qu'une majorité de hasard consente à la laisser vivre, ce sera momentanément et au grand détriment du pouvoir lui-même, qui, au lieu de marcher la tête haute, sera contraint, pour qu'on l'épargne, de se faire humble et petit.
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Ce dont j'accuse le système de MM. His et Fonfrède, c'est donc d'aller directement contre leur but et d'aggraver le mal qu'ils prétendent guérir. Ils déplorent, et je déplore avec eux, la foiblesse du pouvoir, le fractionnement de la chambre, l'absence de toute suite et de toute direction; et ils proposent précisément comme remède ce qui doit rendre le pouvoir faible, la chambre fractionnée, toute suite et toute direction impossible. Il y a, qu'ils me permettent de le dire, anachronisme dans leur théorie, et ils se croient encore au temps où le pouvoir, pour accomplir sa haute mission, n'avait qu'à se montrer ; au temps où le premier venu, pourvu qu'une auguste confiance l'honorât de son choix, obtenait immédiatement l'obéissance et commandait le respect. Mais, aujourd'hui, le pouvoir est à de plus dures conditions, et l'ordonnance royale qui confère le titre ne confère pas nécessairement l'autorité. Qui oserait dire pourtant, quand il s'agit de gouvernement, que sans l'autorité le titre est suffisant!
J'expliquerai un peu plus tard comment, à mon sens, le problème doit être résolu, et quelle part, directe ou indirecte, il convient d'attribuer à la chambre des députés, soit dans le choix de la direction politique, soit dans la formation du cabinet. Je me borne en ce moment à constater le vice fondamental du système de MM. His et Fonfrède, et je leur pose cette simple question : Comment ferez-vous pour que des ministres, pris en dehors des opinions qui dominent dans la chambre et nommés contre son vœu, aient action sur cette chambre et obtiennent d'elle un appui sérieux et un concours efficace? Comment ferez-vous pour que chaque jour au contraire ils ne subissent [p.9] pas des échecs et des affronts qui brisent bientôt entre leurs mains les attributs les plus essentiels et les plus indispensables du pouvoir?
Entre le but de MM. His et Fonfrède et les moyens qu'ils indiquent il y a donc contradiction évidente, et c'est au nom du pouvoir lui-même qu'il convient de les combattre. Faut-il maintenant se demander avec eux de qui doit venir la pensée gouvernementale, la pensée mère, celle qui détermine le caractère général de la politique et qui lui donne son cachet? Faut-il se prendre de querelle pour savoir s'il est bon que cette pensée émane de la chambre élective, de la chambre des pairs, ou de la royauté? Question oiseuse, et qui ne mérite pas d'occuper un instant l'attention d'hommes de bon sens. Qui, en effet, si cette pensée est bonne, sage, conforme aux véritables intérêts du pays, s'avisera de lui demander son certificat d'origine? Ajoutez que souvent ce certificat serait fort difficile à donner. La pensée politique d'une époque est presque toujours une propriété commune et indivise. C'est un édifice auquel chacun a apporté sa pierre et qui s'est élevé sans que l'on puisse précisément savoir quelles mains y ont le plus contribué. Peut-être même la part principale n'en revient-elle à aucun des pouvoirs établis, mais à quelques hommes de génie perdus dans la foule. En est-elle moins utile pour cela, et doit-on en conclure qu'il faut la repousser? Quand on veut s'élever au-dessus des formes constitutionnelles, et remonter à l'origine de toutes choses, il n'est à vrai dire qu'une souveraine : l'intelligence. Cette souveraine-là n'a pas besoin que ses droits soient écrits dans une charte et protégés contre l'usurpation.
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J'ai cherché à établir nettement quelle est, sur ce premier point, l'erreur fondamentale de MM. His et Fonfrède ; mais il en est une autre bien plus grave. D'après ce que j'ai dit, on pourrait croire que s'ils refusent à la chambre élective toute influence, soit sur le choix de la direction politique, soit sur la formation du ministère, MM. His et Fonfrède accordent du moins à cette chambre un droit de contrôle sérieux et réel sur les choses et sur les personnes. Or il n'en est rien, et ce droit de contrôle, selon eux, se réduit à l'examen partiel et successif des lois et des mesures officiellement présentées. Quant à tout ce qui reste en dehors de ces lois et de ces mesures, la chambre élective n'a point à s'en occuper. Quand M. Fonfrède trouve très-mauvais que la chambre des députés, dans son adresse, se croie autorisée à approuver ou à blâmer le système du gouvernement; quand il regarde comme attentatoire à la prérogative royale tout acte d'hostilité systématique, tout acte qui pourrait avoir pour but d'obtenir le changement des ministres ; quand enfin il va jusqu'à soutenir que les ministres ne doivent pas se retirer lorsqu'ils perdent la majorité, M. Fonfrède est donc conséquent avec lui-même, et raisonne parfaitement juste ses prémisses données. Gardez-vous d'ailleurs, pour contredire cette opinion hardie, de rappeler l'adresse des deux cent vingt-un et la doctrine du refus de concours. Loin d'être embarrassé par ce souvenir, M. Fonfrède n'hésiterait pas à le retourner contre vous. L'adresse des deux cent vingt-un a été bonne sans doute, mais comme fait révolutionnaire, non comme fait constitutionnel. Constitutionnellement parlant, Charles X [p.11] avait raison, et le rejet du budget dont on le menaçait était une violation de la Charte et presque un commencement d'insurrection.
Les légitimistes et les républicains accueilleront avec faveur cet argument, qui ne va, ce me semble, à rien moins qu'à dépouiller notre dernière révolution de ce qui fait surtout sa grandeur et sa légitimité. Mais M. Fonfrède, homme de conscience et de courage, ne recule devant aucune difficulté, et ne s'arrête devant aucune considération. Malgré le respect que doit inspirer un talent si élevé et un si noble caractère, je ne crains pourtant pas de dire que, si de telles doctrines pouvaient prévaloir, c'en serait fait du gouvernement représentatif. Mais, pour qu'elles prévalussent, il faudrait faire un pas de plus, et supprimer la tribune d'abord, puis la presse. Laissons en effet de côté pour un instant toute idée de droit et plaçons-nous au milieu des faits. Voici quatre cent cinquante-neuf députés récemment élus par la portion la plus éclairée de leurs concitoyens, et qui se réunissent à Paris pour régler, selon leurs lumières, les affaires publiques. En face de ces députés se trouve un ministère qu'à tort ou à raison la majorité d'entre eux regarde comme en opposition directe avec les intérêts véritables du pays, ou comme incapable de les faire prévaloir. Ce ministère néanmoins a soin de ne présenter à la chambre que des lois insignifiantes et dont le rejet ne peut compromettre en rien l'existence du système politique qui est le sien, et que la majorité croit funeste. M. Fonfrède pense-t-il que, dans cette situation, la majorité doive ou puisse se taire et s'abstenir? Pense-t-il que, pour prévenir les désastres qu'elle prévoit, elle [p.12] n'use pas de tous les moyens qui sont en son pouvoir, y compris, comme arme suprême, le refus de l'impôt? En vérité c'est là de toutes les impossibilités, la plus manifestement impossible. Napoléon Bonaparte, grand partisan, comme on sait, de l'unité et de la fixité, avait, il y a plus de trente ans, inventé quelque chose de semblable. Mais il avait en même temps décrété que personne ne parlerait dans la chambre, ou n'écrirait au dehors. Encore n'est-il pas bien sûr que, sans les circonstances qui rendaient sa dictature populaire, cette précaution eût suffi.
Le refus de concours, de quelque manière qu'il se manifeste, n'est donc point, comme le pense M. Fonfrède, un fait révolutionnaire, mais un fait constitutionnel qui a sa place marquée dans l'histoire de tous les gouvernements libres. Dès lors il est bien évident que, de gré ou de force, et sauf le droit de dissolution, tout ministère doit se retirer lorsqu'il perd la majorité, c'est-à-dire lorsque la majorité se prononce, non contre quelques-uns de ses actes, mais contre leur ensemble; non contre telle ou telle loi, mais contre l'esprit général qui préside à la marche des affaires. C'est pourtant cette nécessité que M. Fonfrède refuse absolument de reconnaître, même dans les cas les plus extrêmes. « Peut-être, dit-il, la chambre ira-t-elle jusqu'à refuser les moyens de gouvernement indispensables dans toute société nombreuse, les fonds secrets par exemple. Mais les ministres n'en sont pas moins tenus de persister, sauf à venir l'année suivante étaler aux yeux de la chambre les malheurs qui seront résultés de sa détermination, et en rejeter sur elle la responsabilité » Ainsi, faute de fonds secrets, la sûreté de l'état aura été compromise ou la personne du roi victime d'un attentat. [p.13] L'année suivante, les ministres viendront prouver à la chambre qu'elle seule doit répondre de ce malheur; et tout sera dit[1].
C'en est assez, ce me semble, pour démontrer que le système de MM. His et Fonfrède est inexécutable de tout point, et que le gouvernement le plus absolu vaudrait infiniment mieux que le gouvernement représentatif ainsi entendu. C'est en effet le comble de l'imprudence que de donner aux hommes une certaine dose de puissance en leur défendant d'en user. C'est le comble de l'imprudence que d'organiser une force pour qu'elle abdique ensuite et pour qu'elle s'annule elle-même. On conçoit qu'à la rigueur on veuille se passer d'une chambre élective; mais on ne conçoit pas que, lorsqu'elle existe, on prétende la réduire à un rôle insignifiant et passif. Pour ma part, au reste, je loue fort cette franchise, et je remercie MM. His et Fonfrède d'avoir tout d'un coup montré le but au lieu de le cacher. Avec eux du moins on a l'avantage de savoir où l'on va, et cet avantage est un de ceux qu'en politique on doit apprécier le plus.
J'essaierai maintenant d'exposer brièvement mes propres idées sur le gouvernement représentatif, et surtout sur la place que la chambre des députés doit occuper dans ce gouvernement.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il existe dans le monde un type de gouvernement bon pour tous les temps comme pour tous les pays, et que la science politique, si elle ne peut le réaliser entièrement, doit toujours s'efforcer de reproduire aussi fidèlement que possible. [p.14] Quand donc je parle du gouvernement représentatif, ce n'est point du gouvernement représentatif pris dans un sens absolu, mais du gouvernement des trois pouvoirs, tel que l'ont créé et organisé en France les chartes de 1814 et 1830. Or il est indubitable que considérer dans ce gouvernement la chambre des députés comme le seul élément représentatif, c'est confondre la représentation et l'élection, le fond et la forme. Il est indubitable que la royauté et la chambre des pairs sont aussi représentatives, bien qu'elles le soient par des modes et à des titres différents. A vrai dire chacun des trois pouvoirs représente non des opinions qui ne peuvent être représentées, mais des intérêts et des besoins sociaux tous respectables et tous nécessaires. Ces intérêts et ces besoins sont-ils, après cela, tellement distincts qu'on puisse en faire trois catégories séparées, et dire, par exemple, avec M. Fonfrède, que la royauté représente exclusivement le besoin d'unité, la chambre des pairs le besoin de conservation, la chambre des députés le besoin de progrès et de mouvement? j'en doute, et je suis disposé à croire que les besoins et les intérêts sociaux sont trop complexes- pour qu'ils se prêtent à être ainsi étiquetés et classés. Mais, quelle que soit mon opinion à cet égard, je n'en crois pas moins que les trois pouvoirs se complètent l'un par l'autre, et que chacun d'eux trouve dans son utilité particulière la raison de son existence et de sa durée. Je n'en crois pas moins que si, pour simplifier, on voulait en supprimer un, il y aurait dans notre organisation politique une lacune déplorable et qui se ferait bientôt apercevoir par des embarras de toute sorte et par des déchirements. Je n'en crois pas moins, par conséquent, qu'il [p.15] importe de conserver à l'un comme à l'autre toute son indépendance et toute sa liberté dans la sphère que lui assigne la constitution. Sur ces divers points, je suis parfaitement d'accord avec les publicistes dont je combats d'ailleurs les opinions.
Mais ce n'est point assez que les pouvoirs se respectent entre eux, et que chacun dans sa sphère reste indépendant et libre. Ce n'est même point assez qu'ils aient ensemble de bons rapports et beaucoup de bienveillance réciproque. Il faut encore que leurs efforts s'unissent et convergent vers un même but. Il faut que, de trois actions également libres, il résulte une action commune qui soit le gouvernement ; autrement il y aurait dans l'état anarchie et par conséquent impuissance. Or, il est évident que, pour obtenir ce résultat, un intermédiaire est nécessaire qui, participant à la fois des trois pouvoirs, emprunte à chacun une portion de sa vie propre ; un intermédiaire au sein duquel toutes les forces et toutes les volontés se rencontrent et se confondent ; un intermédiaire qui de la variété inévitable des tendances fasse ainsi sortir l'unité, une unité puissante et féconde. Cet intermédiaire est le ministère et ne saurait être que lui.
Considéré de ce point de vue, le ministère est donc le lien vivant entre les pouvoirs, et le dépositaire actif de tout ce qu'ils contiennent d'utile et de bon. Il est en même temps l'instrument perpétuel des concessions que, pour marcher d'accord, ils doivent se faire sans cesse. Pour tout dire en un mot, le ministère représente le roi dans l'enceinte des chambres, les chambres dans le cabinet du roi. C'est au ministère à modérer, de part et d'autre, le penchant si naturel aux hommes d'oublier que leur [p.16] puissance est limitée et que leurs droits ne sont pas les seuls en ce monde. C'est au ministère, lorsque les volontés sont divergentes, à les rapprocher, et à diminuer les frottements, lorsqu'il n'a pu les prévenir. C'est au ministère à concilier les intérêts véritables des pouvoirs aux dépens de leurs fantaisies passagères. C'est au ministère enfin à faire concourir au même but, sans lutte et sans déchirement, les trois éléments dont les trois pouvoirs sont à un degré plus ou moins grand, la représentation ; l'unité, la conservation, le progrès : mission difficile, sans doute, mais mission glorieuse et bien digne d'exciter les plus nobles ambitions.
Si tel est le rôle du ministère dans le gouvernement représentatif, il est aisé d'en conclure comment il doit être formé. Puisqu'il est l'intermédiaire obligé entre les trois pouvoirs et leur moyen commun de puissance et d'action, il est naturel, il est nécessaire que tous les trois concourent à sa formation, non dans la même mesure et par le même mode, mais réellement et efficacement. Il est nécessaire aussi qu'il se compose des hommes les plus intelligents. Ainsi les chambres ne nomment pas les ministres; mais elles désignent, par une sorte de notoriété publique, ceux de leurs membres qui exercent sur elles une influence sérieuse, et qu'elles considèrent comme leurs chefs. Il appartient ensuite à la royauté de choisir parmi ces hommes d'élite ceux qui lui conviennent le mieux. Rien ne l'empêche pourtant de sortir quelquefois du cercle tracé et d'appeler à la direction des affaires des capacités inconnues : mais c'est à condition que ces capacités justifient promptement cette préférence, en se faisant non-seulement supporter, mais accepter et [p.17] adopter par les deux autres pouvoirs. Et ce n'est point là, qu'on le remarque bien, attenter au droit dont la royauté est exclusivement investie par la Charte : c'est demander tout simplement qu'elle use de ce droit raisonnablement, sagement, conformément à la nature des choses et aux nécessités du gouvernement.
D'après cette opinion, on le voit, les ministres n'émanent pas seulement de la volonté royale; ils émanent des trois pouvoirs, et le roi les choisit non arbitrairement, mais dans de certaines conditions. C'est là ce qu'une assemblée célèbre, l'assemblée constituante, n'avait pas plus compris que les royalistes exclusifs, soit de la restauration, soit de notre temps. Selon l'assemblée constituante, comme selon les royalistes, les ministres n'étaient autre chose que les agents ou les commis du pouvoir royal. Aussi ne pouvaient-ils être membres de la chambre, et ne devaient-ils s'y présenter que lorsqu'ils y étaient appelés. Dans ce système, il n'y avait entre les deux pouvoirs qui se partageaient le gouvernement rien absolument de commun. Ici la royauté, là la chambre, séparées par une haute muraille, et exerçant chacune de son côté certaines fonctions rigoureusement définies. Puis de temps en temps, pour que la royauté et la chambre ne restassent pas complètement étrangères l'une à l'autre, quelques communications officielles. N'y avait-il pas en vérité dans un tel système tout ce qu'il fallait pour enfanter la discorde et pour rendre un conflit inévitable? Bien d'autres causes sans doute ont contribué à produire ce conflit ; mais il n'en est pas moins évident que l'impossibilité de vivre d'une vie commune précipitait nécessairement la [p.18] royauté et la chambre élective dans une lutte systématique et perpétuelle, lutte qui devait tôt ou tard finir par la destruction complète de l'un ou l'autre des combattants.
Que ceux qui voudraient que les ministres fussent uniquement et exclusivement les instruments de la volonté royale y songent donc bien, et qu'ils prennent garde de reproduire, dans un autre intérêt et avec une autre pensée, la faute immense de l'assemblée constituante ; qu'ils prennent garde de briser le faisceau qui fait la sauvegarde et la force de l'institution même qu'ils prétendent servir. Encore une fois, quand une chambre se considère comme représentée par le ministère et se sent vivre en lui, tout est possible et facile ; tout est difficile, tout est impossible quand cette chambre voit dans le ministère sinon un ennemi, du moins un étranger qu'elle est uniquement appelée à contrôler. Alors la méfiance succède à la bienveillance, et l'esprit d'opposition à l'esprit de gouvernement. Alors aussi le désir de faire sa part la plus large possible s'empare des moins ambitieux et sème de toutes parts les tracasseries et les obstacles. Au lieu de regarder le pouvoir comme un associé, on le regarde comme un rival ; au lieu de s'affliger de ses échecs, on s'en réjouit ; au lieu de travailler à le rendre fort, on travaille à le rendre aussi faible que possible. Chacun en même temps se passe toutes ses fantaisies, et se refuse aux concessions réciproques sans lesquelles aucune association ne saurait se maintenir. De là, un éparpillement sans cesse croissant et un abaissement général. Qu'il survienne ensuite quelqu'un de ces événements graves qui demandent une prompte résolution et une action énergique, et l'on voit [p.19] ce qu'a gagné le pouvoir à s'être affaibli et rapetissé lui-même dans ses principaux éléments.
L'union des trois pouvoirs accomplie dans un ministère qui les personnifie également, et le concours actif de ces pouvoirs, tel est donc l'état normal du gouvernement représentatif. Alors ce n'est point un seul de ces pouvoirs qui décide du gouvernement, mais tous trois, et la question de prépondérance au profit de l'un ou de l'autre est une question sans utilité et sans solution. Malheureusement il n'en est pas toujours ainsi, et l'on doit prévoir le cas où il existerait entre les trois pouvoirs un dissentiment grave et prolongé. Quel est, dans ce cas, le remède, et qui doit avoir le dernier mot? Est-ce la royauté? Est-ce la chambre des pairs ? Est-ce la chambre élective?
Je suis plein de respect pour la chambre des pairs, et je désire plus que personne qu'elle conserve dans le gouvernement du pays la haute et salutaire influence qui lui appartient. Je ne crois pourtant pas qu'il soit dans sa nature ni dans sa situation d'exercer une action prépondérante et d'avoir raison toute seule contre les deux autres pouvoirs. Tel a été longtemps le privilège de la pairie anglaise ; mais la pairie anglaise, maîtresse du sol et fondatrice de la monarchie constitutionnelle, avait jeté jusque dans la chambre des communes, dont elle nommait la majorité, de fortes et profondes racines. Aujourd'hui ce privilège est perdu pour elle, et l'Angleterre, depuis trois ans, offre l'étrange spectacle d'un ministère que repoussent les deux tiers de la chambre des pairs, et qui n'en reste pas moins à la tête des affaires. Investie de l'hérédité, et la plus riche du monde, la pairie anglaise est pourtant encore dans une tout autre position que la [p.20] chambre des pairs française, choisie viagèrement par le roi, et participant à la médiocrité de nos fortunes bourgeoises. Par la faculté nécessaire, mais dont on a fait abus, d'augmenter indéfiniment le nombre des pairs, la royauté, d'ailleurs, conserve sur cette chambre un moyen d'action qui ne permettrait pas à celle-ci d'engager une lutte sérieuse, sans un secours extérieur.
En se rangeant soit du côté de la royauté, soit du côté de la chambre des députés, la chambre des pairs peut apporter un poids considérable dans la balance; elle ne peut à elle toute seule la faire pencher. Restent donc la royauté et la chambre élective, c'est-à-dire deux pouvoirs indépendants par leur nature, vivant d'une vie propre, et enracinés l'un comme l'autre au sein de notre société; deux pouvoirs dont chacun a ses partisans exclusifs et ses ardents défenseurs. Or, voici, ce me semble, comment la question, dans ses termes les plus généraux, doit être résolue à leur égard.
Mettons tout d'un coup les choses au pis. Entre la royauté et la chambre élective, il ne s'agit point d'un dissentiment passager sur quelques lois ou sur quelques hommes. Il s'agit d'une dissidence profonde et inconciliable sur la direction politique à suivre, et par conséquent sur le choix des hommes qui, selon qu'ils appartiennent à telle ou telle opinion, doivent conduire dans tel ou tel sens les affaires du pays. Ainsi l'un veut la paix, l'autre la guerre ; l'un prétend réformer la législation intérieure dans ce qu'elle a de plus important ; l'autre la maintenir. L'un croit que, pour assurer au pays la pleine possession de tous ses droits et de toutes ses facultés, il faut resserrer l'usage de certaines libertés ; l'autre qu'il [p.21] faut l'étendre. Sur tous ces points on a cherché à s'entendre ; on ne l'a pas pu ; et les opinions en sont venues à n'admettre aucune espèce de compromis et de rapprochement. Cependant, on ne peut rester dans cet état qui suspend l'action du gouvernement, en entravant tous ses ressorts. Qui, dans ce cas extrême, doit finir par l'emporter ?
Pour le savoir, il suffit d'examiner, d'une part, la nature même des deux pouvoirs qui se trouvent en présence ; de l'autre, les moyens d'action dont ils disposent d'après la constitution. La royauté, selon la définition de ceux qui voudraient lui donner le dernier mot, représente essentiellement l'unité, la tradition et tout ce qu'il y a dans le pays de permanent : la chambre élective représente le mouvement, le progrès et tout ce qu'il y a dans le pays de mobile. Il est donc naturel et juste que la royauté ne cède pas tout d'un coup à une impulsion qui, peut-être, n'a rien de réfléchi ni de durable, et, qu'avant de se rendre, elle en appelle de la chambre à la chambre elle-même, ou de la chambre au pays. Il est naturel et juste que, dans cette lutte, elle puisse user hardiment et ouvertement de toute son influence. C'est ce qui arriva en Angleterre en 1784, lorsque Pitt, après quatorze votes qui tendaient à l'éloigner du pouvoir, obtint du roi la permission de dissoudre la chambre des communes, et reparut au parlement nouveau avec une majorité triomphante. C'est ce qui arriva en France en 1816, quand, à la suite de l'ordonnance du 5 septembre, le pays consulté donna raison à la politique modérée de Louis XVIII contre la politique violente du parti ultra-royaliste. J'admets, même sans hésiter, que la royauté puisse ne pas se contenter [p.22] d'une seule épreuve, et que plus d'une dissolution vienne interroger le corps électoral. Mais tout a un terme, et le jour vient où un parti décisif doit être pris. Supposons que, quand ce jour est venu, les choses soient précisément dans le même état: supposons que, la royauté persistant dans son opinion, le pays, dont le corps électoral est la représentation, sinon complète, du moins la plus étendue et la plus active, ait, de son côté, persisté dans la sienne, prouvant ainsi qu'il s'agit pour lui non d'une volonté passagère, mais d'une volonté ferme et immuable. Supposons, en un mot, qu'aucun changement ne soit survenu dans les déterminations de personne, et qu'il y ait de part et d'autre une égale répugnance pour toute conciliation. N'est-il pas évident que, selon la raison et la nécessité, l'avis de la chambre des députés doit enfin prévaloir? Et si l'on disait qu'un roi qui se trouve obligé de soumettre sa volonté personnelle à une autre volonté, est un roi détrôné, je répondrais qu'un roi, dont la volonté personnelle se fait nécessairement obéir, est un roi absolu. Or, on sait que les rois absolus ne se font que dans de rares circonstances et à de périlleuses conditions.
Je ne prétends certes point que la chambre élective soit infaillible, et que, dans la lutte que je prévois, le bon sens et le bon droit ne puissent à la rigueur se trouver du côté de la royauté. Il est possible, en effet, que, mieux que les deux autres pouvoirs, la royauté ait compris les vrais besoins et les intérêts réels du pays : il est possible par conséquent qu'en sortant des limites constitutionnelles, elle rencontrât, au lieu de la réprobation populaire et de la défaite, l'assentiment universel et le succès. [p.23] Cela est arrivé et peut arriver encore. Mais il est arrivé aussi que, très-légitimement et aux acclamations du pays, une chambre ait renversé une dynastie au lieu d'un ministère. Il est arrivé même que le pays se soit justement soulevé, non contre un des pouvoirs au profit de l'autre, mais contre tous les pouvoirs constitués. Faut-il en conclure que, constitutionnellement parlant, une chambre a le droit de renverser une dynastie, et le pays de s'insurger contre les pouvoirs établis? Or, l'acte d'un roi qui, après avoir épuisé les moyens légaux, fait appel à la force, est précisément de même nature et tombe sous le coup des mêmes imputations et des mêmes dangers. Ce sont là, disons-le, de véritables faits révolutionnaires, des faits que la nécessité peut absoudre, mais qui n'ont rien de commun avec l'organisation régulière des sociétés et la constitution des pouvoirs. Quand la royauté tire l'épée pour avoir raison de ce qu'elle nomme une chambre factieuse, c'est une révolution qui commence, révolution qui peut tourner pour ou contre la royauté, mais qui la fait sortir de sa sphère et la dépouille de son inviolabilité.
Voici, en peu de mots, quel est sur ce point important le résumé de mon opinion. A moins d'admettre que, par une suite de votes contradictoires ou négatifs, les pouvoirs constitutionnels peuvent s'annuler l'un l'autre indéfiniment, et suspendre ainsi la vie sociale et politique, il faut bien, en cas de dissentiment prolongé, que le dernier mot appartienne à quelqu'un. Or, je crois que raisonnablement il appartient au pouvoir qui, plus rapproché du pays, est probablement celui qui exprime le mieux son état et ses besoins. Je crois de plus qu'en fait, il n'en saurait être autrement. Hors ce cas extrême, je [p.24] suis d'ailleurs fort loin d'attribuer à la chambre élective aucune supériorité sur les autres pouvoirs. Je maintiens, au contraire, que les pouvoirs sont égaux, et que le gouvernement appartient non pas à l'un des trois, mais à tous.
Dans l'état normal, participer indirectement, mais efficacement au choix de la direction politique et à la formation du cabinet ; puis, si la lutte s'engage entre les pouvoirs constitutionnels, exercer l'influence décisive, telles sont, à mon sens, les attributions essentielles de la chambre élective; telle est la prépondérance qu'il me paraît juste de réclamer pour elle. Que cette prépondérance lui soit refusée par M. Fonfrède, qui prétend que des trois pouvoirs la chambre élective est celui qui représente le moins le pays, je le comprends. Mais je voudrais qu'il ne s'en tînt pas là, et qu'il nous expliquât par quel secret il espère faire accepter à une chambre, soutenue, en apparence du moins, par l'assentiment public, un système et des ministres qu'elle repousse. Je voudrais qu'il nous dit quelle doit être, en pareil cas, l'attitude de la royauté, et comment, sans coup d'état, elle peut faire prévaloir sa volonté.
Ce n'est pas, je l'avoue, sans quelque surprise que je me suis trouvé conduit à rétablir ici des principes qui paraissaient hors de discussion, et que sanctionnait, il y a huit ans à peine, une grande révolution. Ce n'est pas sans quelque surprise que j'ai pris la plume pour combattre une théorie que je croyais morte en 1830 ; la théorie qui attribue au roi la toute-puissance, et aux chambres le simple droit de contrôle et de conseil. Mais ces principes sont aujourd'hui contestés de nouveau ; cette théorie [p.25] reparaît, et ceux qui pensent à cet égard ce qu'ils pensaient en 1830, se doivent à eux-mêmes de le dire tout haut. Quand les erreurs qui ont perdu la royauté ancienne viennent offrir leurs services à la royauté nouvelle, il est bon d'ailleurs que des voix non suspectes se fassent entendre et détournent de dangereux conseils. Quand des écrivains honorables mais égarés font fausse route, il est bon qu'ils sachent qu'ils n'y seront pas suivis. Dans ce temps où les opinions sont si incertaines et les esprits si divisés, on doit faire au besoin d'union beaucoup de sacrifices ; mais ces sacrifices ne peuvent aller jusqu'aux racines mêmes de la constitution, jusqu'aux principes sans lesquels le gouvernement représentatif serait une déception. Pour ma part, plutôt que de porter si loin l'esprit de conciliation, je me résignerais aux plus injustes attaques et aux plus douloureuses séparations.
La situation de la chambre des députés ainsi fixée, et ses droits établis, il reste à examiner quelles obligations cette situation lui impose et ce qu'elle doit faire pour que ces droits ne périssent pas entre ses mains. Si, comme le pensent MM. His et Fonfrède, la chambre des députés n'avait d'autre mission que celle de contrôler les actes d'un pouvoir extérieur et supérieur auquel elle servirait de contrepoids, la question serait facile à résoudre, et l'on pourrait se contenter d'une majorité qui se ferait et se déferait chaque jour et sur chaque mesure spéciale. Mais il n'en est pas ainsi, et la chambre des députés doit être, je crois l'avoir démontré, une portion active et influente du gouvernement. La chambre des députés, dès lors, ne peut se passer des deux éléments essentiels de tout gouvernement, l'unité et la fixité. C'est dire qu'elle ne [p.26] peut se passer d'une majorité organisée et, jusqu'à un certain point, systématique.
Je sais que ce dernier mot fait peur, et qu'on affecte d'y voir, pour chaque membre individuellement, une abdication permanente de son indépendance et de son libre arbitre. Ce sont là, qu'on me permette de le dire, de vaines frayeurs et de puérils préjugés. L'indépendance, si je comprends bien ce mot, consiste à régler sa conduite d'après les conseils de sa raison et dans des vues honorables et désintéressées. Le député à qui sa raison dit que, dans l'intérêt général et pour le bien de sa cause, il doit voter systématiquement, n'est donc ni plus, ni moins indépendant que celui à qui elle dit le contraire, et use de son libre arbitre précisément au même degré. Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que la nécessité d'un vote systématique se rencontre chaque jour, et qu'on soit sans cesse obligé de faire violence à ses convictions. Il est une foule de questions, neutres en quelque sorte, à l'égard desquelles les dissidences peuvent se produire et se manifester sans inconvénient. Mais il en est d'autres qui impliquent, soit la conservation du système politique, soit l'existence du ministère; et celles-ci exigent évidemment que l'on sache subordonner l'accessoire au principal. Il convient d'ajouter que si, pour rester fidèle à son parti, on se trouvait condamné à de trop grands et de trop fréquents sacrifices, ce serait une preuve qu'on a cessé de sympathiser avec lui. Dans ce cas, on n'aurait rien de mieux à faire que d'en changer sans tarder.
Quand je parle d'une majorité systématique, j'entends donc une agrégation d'hommes liés par des principes communs, rangés sous le même drapeau, reconnaissant [p.27] les mêmes chefs, et décidés à maintenir l'association au prix de quelques sacrifices d'amour-propre et d'opinion ; une agrégation d'hommes qui, sans engager, d'avance et à toujours, la liberté de leur examen et de leur vote, comprennent que l'ensemble doit toujours prévaloir sur les détails, et règlent leur conduite en conséquence ; une agrégation d'hommes, en un mot, qui, tendant vers un certain but, sachent, pour l'atteindre, se mettre au-dessus de quelques dissidences légères et de quelques mécontentements passagers. Or, le but pour un homme politique, ce n'est point, en définitive, l'adoption ou le rejet de telle ou telle mesure spéciale; c'est la conservation ou le renversement d'un système qu'il croit utile ou funeste au pays.
Pour achever d'expliquer ma pensée, je rappellerai un fait récent. Parmi ceux qui, au mois de février 1856, ont voté la prise en considération d'une proposition fameuse et qui n'a point encore abouti, il en est plusieurs qui regardaient le ministère du 11 octobre et son système comme le meilleur qui pût exister et comme le plus capable de faire le bien du pays. Ils ont pourtant, en déposant dans l'urne une boule blanche au lieu d'une boule noire, contribué à renverser ce ministère et à nous précipiter dans tout ce que nous avons vu depuis. Croit-on qu'ils aient bien fait, et qu'en sacrifiant une opinion partielle à l'ensemble de leurs opinions, ils n'eussent pas agi avec tout autant d'indépendance et avec plus de discernement? Leur vote sans doute a été consciencieux, honorable, et je suis loin de leur en faire un reproche ; mais, à mon sens, ils se sont trompés, et c'est un exemple qui doit servir de leçon.
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Dans tous les pays où le gouvernement représentatif existe, en Angleterre comme en Amérique, cette nécessité d'une majorité ferme, stable, organique, est d'ailleurs reconnue. Pendant les premiers moments qui ont suivi la réforme, quelques publicistes radicaux en Angleterre avaient essayé d'établir une doctrine opposée ; mais la force des choses les a bientôt fait revenir sur leurs pas, et depuis trois ans la chambre des communes donne le spectacle instructif d'une majorité factice sous beaucoup de rapports, mais qu'un intérêt commun tient unie, et qui résiste aux plus graves dissentiments intérieurs. Sans doute cette majorité n'est pas éternelle, et peut-être le jour de sa dissolution approche-t-il. Mais après elle une autre ne tardera pas à naître et à s'organiser. « Sur la question spéciale que l'opposition vient de soulever, disait un jour M. Hume, radical bien connu, je suis de son avis ; mais l'opposition veut s'en faire une arme contre le ministère dont je crois le maintien nécessaire au bien du pays, et je vote contre mon avis. Si, pour empêcher le ministère d'être renversé, il fallait déclarer que le blanc est noir, je le déclarerais à l'instant et sans hésiter. » Le mot est vif, et souvent, depuis, les écrivains tories en ont fait un crime à M. Hume. Il n'en prouve pas moins une intelligence profonde du gouvernement représentatif et de ses conditions.
A la vérité, le ministère auquel M. Hume donnait une si grande marque de confiance était le ministère de lord Grey, ministère considérable et puissant, que tout le parti de la réforme reconnaissait alors comme son chef. A la place d'un tel ministère mettez-en un, au contraire, qui, né en dehors de tous les partis, ne soit regardé par aucun [p.29] d'eux comme l'expression et l'organe de ses opinions et de ses volontés; mettez-en un qui se présente non comme le chef naturel et désigné d'une majorité organisée, mais comme l'agent et le truchement arbitrairement choisi d'un autre pouvoir, aussitôt la situation change, et le langage de M. Hume devient bas et servile. A chaque pas que l'on fait dans l'étude du gouvernement représentatif vrai, éclate donc la nécessité d'un ministère qui offre aux trois pouvoirs un centre commun de ralliement et de transaction ; nécessité fondamentale et à laquelle on ne peut se soustraire sans porter dans toutes les parties de la machine le désordre et le trouble.
Au surplus, il faut choisir. D'un côté, la satisfaction individuelle de voter chaque jour et à chaque minute, selon sa fantaisie et selon son goût ; de l'autre, l'avantage collectif d'influer puissamment sur la marche du gouvernement, et d'y participer. D'un côté la critique, de l'autre l'action. Et, selon que l'on entre dans l'une ou l'autre de ces voies, on aboutit au gouvernement consultatif tel que MM. His et Fonfrède le proposent, ou au gouvernement représentatif tel que l'a fondé en France notre dernière révolution. Les plus grands ennemis de la puissance parlementaire, ce sont donc ces opinions flottantes qui, en se portant aujourd'hui d'un côté, demain de l'autre, établissent entre tous les systèmes et tous les hommes une oscillation perpétuelle ; ce sont ces indépendances indécises qui, trop fières ou trop capricieuses pour se discipliner et pour se classer, neutralisent l'action de la chambre et l'excluent en quelque sorte du gouvernement. Il est sans doute agréable de se dire qu'on ne prendra conseil que de soi, et que l'on suivra toujours et en [p.30] tout son inspiration du moment. Mais, outre que dans une telle résolution il y a quelquefois plus de présomption que d'indépendance véritable, on s'aperçoit bientôt, si l'on est homme de conscience et de sens, que c'est un moyen de se mettre à la merci, soit des opinions rivales, soit d'un autre pouvoir. Le gouvernement, en effet, on ne peut trop le répéter, a besoin d'unité et de fixité. Si la chambre manque de l'une et de l'autre, elle abdique par cela même la plus belle partie de ses attributions. Pour ma part, si je nourrissais le désir de voir périr le gouvernement parlementaire et descendre la chambre au rôle modeste de simple conseille demanderais beaucoup de députés qui comprissent ainsi leur mission.
Que la chambre des députés ne s'y trompe donc pas; pour qu'elle soit un pouvoir sérieux ; il faut qu'au lieu de se fractionner à l'infini, elle se partage en deux grandes masses, dont l'une forme la majorité, et l'autre la minorité. C'est, à la vérité, ce que MM. His et Fonfrède déclarent impossible ; et il faut convenir qu'à regarder ce qui se passe, leur opinion paraît assez spécieuse. Mais ne prendraient-ils pas pour un état permanent et nécessaire un état purement accidentel et passager ? Il y a des moments, je le sais, où il n'y a ni majorité pour faire un ministère, ni ministère pour faire une majorité. C'est alors un cercle vicieux dans lequel le gouvernement représentatif tourne péniblement et infructueusement. Mais un jour ou l'autre, une issue se présente, et le gouvernement représentatif, par un effort simultané de toutes les opinions, rentre dans ses véritables conditions. Que l'initiative du système et de la direction vienne après cela de la majorité elle-même, ou qu'elle vienne d'un ministère [p.31] réel, peu importe, pourvu que ce système apparaisse, pourvu que cette direction se manifeste, pourvu que sur l'un et sur l'autre il y ait débat sérieux et vote décisif. Tout ce qu'on doit demander pour l'honneur et pour la sûreté du gouvernement représentatif, c'est, encore une fois, un ministère qui personnifie la majorité, une majorité qui s'identifie avec le ministère; c'est par conséquent une pensée assise au pouvoir et se développant librement et énergiquement par les moyens réguliers et constitutionnels dont le gouvernement représentatif offre la disposition.
Si je voulais examiner l'histoire du gouvernement représentatif depuis qu'il existe en France, il me serait aisé de démontrer que ce gouvernement a toujours été fort et puissant quand il s'est maintenu dans ses véritables conditions, telles que je les ai définies, faible et impuissant quand il en est sorti. Mais cet examen m'entraînerait trop loin, et je veux m'en tenir, pour aujourd'hui du moins, à la question théorique ; je résume donc mon opinion dans les termes suivants :
Le gouvernement représentatif des trois pouvoirs cesserait d'exister si tous les trois n'y concouraient pas plus ou moins directement, mais réellement et efficacement.
Il n'est donc point vrai qu'un de ces pouvoirs soit uniquement appelé à contrôler l'autre et à lui servir de contrepoids.
Le concours actif des pouvoirs ne peut se réaliser que par l'intermédiaire d'un ministère participant de tous les trois et réunissant, comme dans un centre commun, tout ce qu'il y a en eux de force, d'intelligence et de vie.
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Si malheureusement il y a dissentiment entre les pouvoir, la prépondérance appartient à celui qui, plus rapproché du pays, paraît exprimer mieux son état et ses besoins actuels.
Pour que ce dernier pouvoir exerce la haute mission qui lui est ainsi réservée, il est indispensable qu'il introduise ou laisse introduire dans son sein deux éléments sans lesquels il n'y a point de gouvernement, l'unité et la fixité.
Tels sont, à mon sens, les principes élémentaires du gouvernement représentatif, ceux dont tous les autres ne sont que le développement et l'application.
Allons, au reste, au fond des choses, et disons toute la vérité. On ne peut supposer que des publicistes aussi éminents que MM. His et Fonfrède n'aient pas aperçu les premiers la masse de contradictions et d'impossibilités qui presse leur opinion de toutes parts. Mais au fond de l'âme, MM. His et Fonfrède doutent que le gouvernement représentatif puisse subsister en France, dans l'état actuel de la société. C'est cette pensée qui les obsède et contre laquelle ils luttent et se débattent. C'est à cette pensée qu'ils cherchent à donner le change par une foule d'expédients et de termes moyens dont les vices ne leur échappent pas, mais qu'ils adoptent faute de mieux et en désespoir de cause. De là tant de comparaisons amères et chagrines entre le gouvernement représentatif anglais, où une puissante aristocratie, royauté multiple, a si long temps conduit glorieusement les affaires du pays, et le gouvernement représentatif français, où l'influence prépondérante appartient à la classe moyenne, à cette classe fractionnée et incapable, selon eux, de toute suite dans [p.33] les idées, de toute persévérance dans la conduite. De là aussi les regards suppliants qu'ils tournent vers la royauté, seul pouvoir, à les entendre, qui porte en lui-même les instincts et les qualités nécessaires au gouvernement. Et chaque jour, remarquez-le bien, la pensée que je signale ici se développe et se précise. Il y a deux ans, il y a un an même, M. Fonfrède n'aurait pas écrit ce qu'il écrit cette année sur le gouvernement représentatif et sur ses préjugés.
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la France fait en ce moment une grande épreuve, une épreuve dont le succès est loin d'être assuré. Tant qu'il ne le sera pas, il est naturel que de bons esprits entretiennent à cet égard des doutes sérieux et les fassent connaître. Mais qu'en faut-il conclure? On peut croire, par des raisons philosophiques ou historiques bien ou mal fondées, que les sociétés modernes font fausse route, et que l'aristocratie est plus que la démocratie propre au gouvernement des étals. Croit-on que l'on fera rétrograder les sociétés modernes, et qu'arbitrairement et par un article de loi, on reconstruira l'aristocratie dont on déplore la chute? Au lieu de rechercher si les éléments dont se compose la société sont les meilleurs possibles, il est plus sage de les prendre tels qu'ils sont, et d'en tirer parti. Pour ma part, j'ai pour l'œuvre des cinquante dernières années beaucoup de reconnaissance, et je crois, dans son ensemble et malgré ses imperfections, notre société française bien préférable à toute autre. Mais quand je ne serais pas de cet avis, je n'en travaillerais pas moins de mon mieux à la constituer et à l'organiser. Si donc cette société vous paraît si fractionnée, si mobile, si [p.34] indisciplinée, si ignorante, si pleine de préjugés et de petites passions, faites tous vos efforts pour la fixer, pour l'éclairer, pour la moraliser; mais ne la poursuivez pas de vains sarcasmes, et surtout ne lui donnez pas l'idée qu'il existe, en quelque lieu que ce soit, un projet arrêté de lui faire subir je ne sais quelle transformation, la dépouillant ainsi de ce qui fait son existence et sa personnalité. Sans doute tout n'est pas pour le mieux, et, pour arriver à la hauteur de sa mission, la démocratie française a encore bien des erreurs à rejeter et plus d'un progrès à faire. Aidez-la dans cette double tâche, au lieu de la frapper d'avance d'une injuste et imprudente condamnation.
Quant à la royauté, clef de voûte de notre édifice politique, je suis plus que personne convaincu de son indispensable nécessité. Mais ce ne serait pas la fortifier que de la pousser hors de ses limites en affectant de faire reposer sur elle seule tout le fardeau des affaires et l'avenir de la France. Dans le gouvernement représentatif, la royauté a sa part comme la chambre élective a la sienne, et cette part est large et belle. Qu'on ne cherche pas plus à l'étendre qu'à le restreindre, si l'on veut que la royauté conserve, ce qui vaut mieux pour elle qu'une extension de pouvoir, le respect et la confiance du pays.
Au surplus, qu'en finissant il me soit permis d'espérer que M. Fonfrède n'a pas dit son dernier mot, et qu'un esprit aussi élevé ne continuera pas à se consumer dans une logomachie politique sans terme et sans issue. M. Fonfrède a, comme tout le monde, été frappé des embarras fâcheux, des déplorables déviations qui, depuis deux ans surtout, affaiblissent et paralysent en France le gouvernement [p.35] représentatif. Mais, au lieu de remonter à la source véritable de ces embarras et de ces déviations, M. Fonfrède, avec l'ardeur qui lui est propre, s'en est pris au gouvernement représentatif lui-même, ou du moins aux conditions nécessaires de ce gouvernement. Puis, comme les faits résistaient à l'effort de la pensée, il s'est laissé gagner par le découragement et presque par le désespoir. Qu'il veuille bien y songer encore, et il verra que les prétendues causes auxquelles il fait la guerre ne sont que des effets, et que ces effets viennent précisément de ce que les conditions essentielles du gouvernement représentatif sont oubliées ou méconnues; il verra de plus que la maladie n'est point organique, et que, si on ne la traite pas à contre-sens, il y a grande chance de la guérir. S'il en était autrement, il ne resterait plus qu'à se voiler la tête et qu'à attendre patiemment et avec résignation les décrets de la Providence. Mais il est impossible qu'un pays comme la France ait, pendant près de cinquante ans, lutté avec une constance rarement interrompue, pour obtenir ce qu'il ne saurait pas ensuite défendre et conserver. Il est impossible qu'un mouvement de l'esprit humain si actif, si continu, si universel, soit un mouvement sans portée et sans avenir. Ne nous laissons donc point troubler par les accidents passagers qui semblent donner un démenti à nos espérances et à nos prévisions. Persévérons plus que jamais, au contraire, et comptons que, tôt ou tard, l'honneur d'avoir assuré à notre pays un gouvernement libre et régulier récompensera nos efforts.