Note B.


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NOTE B.

Le 10 novembre 1834, le lendemain de la formation d'un ministère bien évidemment émané de l'initiative royale, M. Henri Fonfrède, après avoir, dans un précédent numéro, fait déplorer par son journal « la mobilité et l'ingratitude qui, dans les plus hautes régions de notre monde politique, laissent tant d'influence aux petites intrigues des petites ambitions, » écrit, dans un article signé, les lignes suivantes :

« Nous ne sommes pas les courtisans de la faveur, et nous ne ferons pas plus de sacrifices à la popularité des antichambres, que nous n'en avons fait à la popularité des carrefours. »

[p.77]

Le 12 décembre, lors de la discussion de l'ordre du jour motivé, M. Fonfrède publie un article également signé, et où je lis les passages suivants :

« La pensée principale de M. Sauzet est celle-ci : Que la Charte donnant au roi le droit de nommer des ministres, ceux-ci portent atteinte à la prérogative de la couronne quand ils demandent à la chambre élective l'appui de sa majorité…

« Que la majorité de la chambre peut bien se prononcer en faveur de tel ou tel acte, de telle ou telle loi proposée par les ministres, mais non pas donner son approbation à leur système gouvernemental… Ce n'est pas moi qui viendrai contester la prérogative royale dont j'ose dire que j'ai été depuis la révolution de juillet le plus ancien et le plus positif défenseur. Cette prérogative royale, je l'ai défendue contre l'opposition et le tiers-parti ; cependant voilà ces messieurs qui l'exagèrent, qui l'expliquent presque à La Polignac, et qui prétendent qu'on ôte au roi le droit de nommer ses ministres, quand on leur dit qu'en outre du choix du monarque, les ministres doivent obtenir l'appui des chambres. Nous avions cru cette vérité si profondément établie par la révolution de juillet, qu'il nous paraît étrange d'être obligés de la défendre encore aujourd'hui. Voici notre réponse :

« La prérogative du roi c'est de nommer ses ministres : cette prérogative est libre, mais non pas absolue, indéfinie; elle a une mesure; elle est limitée par la prérogative des chambres.

» Les ministres doivent être nommés par le roi ; mais le roi n'est pas libre de choisir des hommes opposés aux majorités parlementaires ; ou bien il ne peut le faire qu'à une condition : c'est de dissoudre la chambre, et d'en appeler aux électeurs par une élection générale.

» Or, qui aurait pu le penser? M. Sauzet s'écrie : « Prenez garde, messieurs, si vous approuvez le système ministériel, le roi désormais ne pourra plus nommer des ministres contraires aux majorités parlementaires sans être obligé de dissoudre les chambres pour recourir à une élection générale. » Beau miracle en vérité! grande nouveauté! Sans doute c'est ce qui arriverait en pareil cas, et c'est précisément ce que nous voulons. C'est ainsi que nous entendons le gouvernement représentatif, c'est ainsi qu'il doit être entendu : il n'y en a pas d'autre. M. Sauzet aimerait-il mieux que la prérogative de la couronne fût absolue, et qu'un nouveau ministère Polignac pût être intronisé contre la volonté des chambres…

[p.78]

» La prérogative de la couronne et la prérogative des chambres se balancent et se compensent; sans la première, nous serions en république; sans la seconde, nous serions sous le joug du despotisme. Le ministre, agent en quelque sorte diplomatique, porte la parole de l'une à l'autre; il sert de lien entre les deux prérogatives, il les empêche de s'aborder, de se heurter, de se briser dans leur contact : mais pour cela il lui faut de la force, de l'influence, une existence réelle. Or, cette existence, cette force, le ministère ne peut l'avoir sans le concours des chambres, et c'est pour cela que M. Thiers et M. Guizot ont admirablement bien fait de la leur demander, et la chambre des députés a admirablement bien fait de l'accorder; sans cela, il n'y aurait plus eu de gouvernement possible. Et où l'avez-vous pris, messieurs du tiers-parti, ce gouvernement, vous qui non-seulement ne voulez pas que le roi gouverne, en quoi vous avez raison, mais qui voulez même l'exclure entièrement du gouvernement et le chasser de son propre conseil, en quoi vous avez tort. »

M. Henri Fonfrède prouve ensuite là nécessité d'un système en matière de gouvernement.

« Le pire de tous les défauts pour un homme d'état, c'est de marcher au hasard sans flambeau régulateur ; de chercher à éviter un obstacle quand il se montre, sauf à tomber sur un autre obstacle, de se laisser diriger par les circonstances fortuites, d'en être sans cesse aux expédients, à l'empirisme, pour tâcher de réparer des maux qu'on n'a pas prévus, et dont on est atteint précisément parce qu'on les a pas prévus. En un mot, le plus grand défaut d'un homme d'état et d'une assemblée politique, c'est de n'avoir pas de système.

» Maintenant est-il vrai de soutenir que la chambre en approuvant le système du 15 mars se soit inféodée, corps et âme, pour l'avenir, à toutes les volontés, à tous les caprices, à toutes les erreurs que le ministère pourrait commettre ? C’est précisément tout le contraire. C'est le ministère qui est lié et non point la chambre ; la chambre est toujours libre, maîtresse de son vote, en pleine jouissance de sa prérogative à laquelle le ministère vient de rendre un solennel hommage. La chambre n'a donné, n'a promis son concours que sous condition. Si le ministère y manque, elle retirera son appui et le ministère tombera. Et le roi qui a aussi, lui, conservé sa libre prérogative, nommera un autre ministère ou dissoudra la chambre pour convoquer les électeurs, et nous serons dans toute la vérité du gouvernement représentatif. »

En février 1835, M. Pagès ayant publié dans le Temps quelque lettres [p.79] peu favorables aux prérogatives de la chambre élective, voici comment le journal de M. Fonfrède répond à M. Pagès :

« Nous ne concevons pas comment dans un régime représentatif, il pourrait se faire que la couronne imposât ou interdît à son gré tels ou tels ministres aux majorités parlementaires…La prérogative du roi des Français, tout aussi bien que celle du roi d'Angleterre, est nécessairement soumise à l'approbation et l'improbation des chambres qui conservent ou brisent les ministres.

» Ce n'est point là « transporter le gouvernement des Tuileries au Palais-Bourbon. » C'est tout simplement reconnaître au Palais-Bourbon la part de souveraineté qui lui revient comme membre du gouvernement : dans notre constitution, le gouvernement ne peut être réalisé que par l'action simultanée des trois pouvoirs qui se tempèrent et se contrôlent ; contre l'absolutisme royal, les Chambres ont le refus du concours, contre l'absolutisme parlementaire, le roi a le recours de la dissolution qui brise aussi les majorités tracassières ou aveuglées.

» Si l'on nous répond que faire une nécessité pour les ministres de l'approbation des majorités parlementaires, c'est, en fait, proclamer la supériorité du droit national sur le droit de la couronne, nous ne nierons pas la conséquence; mais, encore un coup, nous demanderons comment à moins de revenir aux coups d'état à la Polignac, on pourrait faire que les ministres eussent à se dispenser de l'appui du parlement : cela nous paraît impossible tant que l'on veut rester dans les termes de la constitution. »

Le 25 février, M. Fonfrède prend lui-même là plume pour répondre à M. Rœderer, dont il signale la brochure comme une œuvre de camarilla.

« Peu nous importe, dit-il, la camarilla de la cour, peu nous importe la camarilla de la Chambre des députés ; d'une main nous nous opposerons à tous les empiétements que la chambre se laisse chaque jour exciter à tenter sur le pouvoir royal; de l'autre, nous combattrons lés usurpations où des conseillers imprudents voudraient pousser la couronne. »

Suivent, le 26 février, quelques lignes dans lesquelles MM. Thiers et Guizot sont invités à ne pas se laisser effrayer par « les criailleries courtisanesques. »

Le 27 février, le même journal, dans un article non-signé, mais dont l'auteur est facile à reconnaître, annonce la crise ministérielle dont le principe est, selon lui, « dans la pensée courtisanesque qui, depuis le [p.80] 10 novembre, a sourdement miné le ministère Thiers-Guizot, et dans les intrigues des antichambres de la cour. De là, l'émission de cette singulière brochure, Manifeste de la camarilla, où se trouvent des prétentions absolutistes que la camarilla de Charles X n'aurait pas osé publier; brochure toute dirigée contre MM. Guizot, Thiers et de Broglie, parce que la cour ne veut pas de ministère parlementaire. »

» Mais allons plus loin, ajoute l'écrivain, non-seulement, selon la camarilla, les ministres ne doivent pas connaître une portion de ce que le roi veut faire avec eux, par eux ou sans eux, mais ils ne doivent avoir aucune opinion à eux, aucune volonté à eux, aucun système à eux. Ils ne doivent point vouloir que les chambres les approuvent ou les blâment. Instruments inertes, passifs, dévoués des volontés du roi, ils doivent les donner aux chambres comme les volontés et le système du roi, non comme leur système et leur volonté à eux…

» Nos lecteurs ne croiraient pas cet excès d'aberration, si nous ne le mettions sous leurs yeux. »

(Suit une longue citation de la brochure Rœderer.)

« Voilà le système auquel MM. Thiers et Guizot ne peuvent ni ne veulent céder ; voilà le système auquel M. de Broglie ne veut pas consentir; voilà pourquoi MM. Thiers et Guizot vont cesser d'être ministres ; voilà pourquoi M. de Broglie n'a pu le devenir ; voilà pourquoi le conseil n'a pas pu se compléter ; voila pourquoi il est dissous en pleine session, quoiqu'en pleine possession de la majorité…

» Quant à nous, nous le déclarons hautement pour nous et pour nos amis, jamais nous ne pactiserons avec les principes absolutistes de l'impérialisme et du tiers-parti coalisés. Jamais le 10 novembre ne trouvera en nous que des adversaires inflexibles à des prétentions de camarilla royales ou de camarilla parlementaire… « Le roi a le droit de nommer les ministres et de les révoquer; mais il faut que les ministres qu'il nomme aient la majorité dans les chambres.

» Le roi, en cas de discorde entre la majorité des chambres et les ministres, a le droit de juger s'il doit dissoudre le ministère et le recomposer d'après le vœu des chambres, ou s'il doit dissoudre les chambres pour en appeler aux électeurs afin qu'ils prononcent sur le débat…

» Voilà le système que la camarilla de la cour veut détruire pour y substituer celui de la volonté du roi, exécutée par des ministres automates.»

[p.81]

La crise continuant, M. Fonfrède publie le 1er mars, un article signé de lui et qui commence ainsi :

« Il est si douloureux pour un cœur vraiment patriote de voir les destinées du pays déchirées, mutilées, souillées par les irritations vaniteuses de l'ambition, de l'égoïsme et de la courtisannerie, que j'éprouve en commençant ces lignes, un tremblement nerveux d'indignation et de colère. Quoi! ce n'était pas assez que le 10 novembre eût essayé d'ériger en maxime l'ingratitude, la déraison, le mépris de toutes les règles du gouvernement représentatif ; ce n'était pas assez qu'on eût essayé de renverser le ministère du 11 octobre pour le payer de ses services et de son dévouement au pouvoir qui le frappait, et cela sous le vain prétexte d'une adresse amphibie. Maintenant que ce mauvais prétexte a été enlevé aux intrigues des courtisans, maintenant que la représentation nationale assemblée a déclaré qu'elle approuve la marche gouvernementale du 11 octobre et les hommes qui l'ont dirigée, on revient à la charge ; on réunit les vieux débris de l'impérialisme et de la restauration, et, faisant précéder le tout d'un manifeste de camarillà, on arrête, on suspend, on détruit tout l'organisme gouvernemental du ministère en pleine session, sans motif politique, contre le vœu bien connu des majorités parlementaires ! …

» Oui, ce qui fait la force du ministère Thiers-Guizot, c'est la franche et claire énergie de ses principes hautement manifestés ; et puisque l'égoïsme de la cour et les vanités parlementaires semblent d'accord pour abaisser ces deux noms, je me fais un devoir spontané de les proclamer bien haut et de solliciter une part dans leur disgrâce. Je suis dévoué comme eux à la royauté du 7 août et je crois en avoir fait preuve ; mais ceux qui en auraient conclu qu'ils trouveraient dans ma poitrine un cœur de courtisan se seraient étrangement trompés…

Le 2 mars, autre article de M. Fonfrède, signé également de son nom, et dirigé à la fois contre le tiers-parti et contre la cour.

« ET LA COUR, dit-il dans cet article, EST-CE QUE VOUS CROYEZ QU'ELLE RESTERA SANS INTRIGUES TANT QU'ELLE VERRA DES MINISTRES QUI, PAR LEUR TALENT ET LEUR CARACTÈRE, AURONT L'AUDACE D'ÊTRE QUELQUE CHOSE, D'AVOIR UNE VALEUR A EUX ET DE NE PAS VOULOIR ÊTRE RÉDUITS AU RÔLE D'AUTOMATES PASSIFS? »

Le 5, le 4, le 5 mars, des articles tantôt signés, tantôt non signés, continuent, à établir les mêmes principes et à signaler les mêmes faits. Dans chacun de ces articles, il est question « de l'inqrate connivence [p.82] d'une coterie courtisanesque, d'une obscure intrigue de cour, de l'inexcusable aveuglement de la camarilla , etc., etc.

Le 7 mars un nouvel article établit nettement, en réponse à M. Pagès :

« Qu'il est impossible que la royauté choisisse ou révoque à son gré ses ministres, ou du moins que, si elle en a le droit, ce n'est qu'un droit fort illusoire, puisqu'il ne peut être exercé qu'à la condition de les choisir tels qu'ils conviennent à la majorité, et de les révoquer dès qu'ils ne conviennent plus à cette majorité. »

Le 7 mars enfin, le ministère étant reconstitué sous la présidence du duc de Broglie, M. Fonfrède s'en félicite et met au nombre des causes qui ont amené la crise le malheur qu'avait le dernier cabinet d'être « incomplet faute de président ». Il n'espère pas d'ailleurs « que la cour se convertisse et rentre dans la bonne voie ; son opposition, au contraire, ainsi que celle du tiers-parti, s'augmentera de toute la rancune que doit ressentir la haine désappointée. »

On voit par toutes ces citations que la mémoire de M. Fonfrède ne le servait pas bien quand il écrivait le 4 août dernier « que sa politique n'a subi depuis 1830 qu'une seule déviation accidentelle au sujet de la brochure Rœderer ». Cette déviation, si une opinion aussi formelle et aussi nettement exprimée peut s'appeler ainsi, s'est prolongée de novembre 1834 à mars 1835, et même au delà. Les termes dans lesquels elle se manifestait sont d'ailleurs assez clairs pour que je m'abstienne de toute réflexion. Qu'il me soit seulement permis de faire remarquer que, soit sur les principes. soit sur les faits, je n'ai dit rien d'aussi fort dans les écrits que la presse ministérielle et M. Fonfrède lui-même ont qualifiés de factieux.

Il est vrai que, presque dans le même moment, M. Fonfrède publiait des articles contre l'initiative parlementaire et pour l'initiative royale : cela prouve simplement, ou que M. Fonfrède hésitait alors entre deux tendances contradictoires, ou qu'il se flattait de les concilier. Aujourd'hui il a pris son parti, et c'est au gouvernement royal qu'il a consacré définitivement toute sa verve ; mais ceux qui avaient vivement approuvé ses articles de 1834 et de 1835 ont pu espérer longtemps qu'il s'arrêterait dans la voie fâcheuse où je ne sais quel mauvais génie l'a poussé.