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Du Pouvoir Exécutif, dans les États particuliers de l’Amérique.
L’ANGLETERRE dans son unité, l'Amérique, dans son systême de fédération, présentent à nos regards deux beaux modèles de Gouvernement.
L'Angleterre nous apprend, comment une Monarchie héréditaire peut être maintenue, sans inspirer de défiance aux amis de la liberté. L'Amérique, comment un vaste Continent peut être soumis aux formes Républicaines, sans donner d'inquiétude aux amis de l'ordre public.
L'Angleterre nous apprend de quelle manière un seul Pouvoir Exécutif peut, sans le secours du despotisme, affiner, dans un grand État, l'action régulière de l'Administration. L'Amérique, comment une diversité [p.58] de Pouvoirs Souverains, peuvent atteindre au même but sans confusion.
L'Angleterre nous apprend, de quelle manière un petit nombre de grands ressorts peuvent être contenus dans leurs mouvemens. L'Amérique, comment un grand nombre de petits ressorts peuvent être unis pour composer une seule force.
L'Angleterre nous apprend, de quelle manière l'unité d'intérêt, peut être le résultat des inégalités de rang dans la société. L'Amérique, comment cette unité peut se concilier avec les inégalités de force dans une fédération politique.
L'Angleterre nous apprend, comment l'âge avancé d'une Nation, peut se concilier avec le maintien des mœurs politiques. L'Amérique, comment on peut prolonger la jeunesse d'un Peuple & le garantir long-temps des réductions les plus dangereuses.
L'Angleterre nous apprend, de quelle manière on peut faire sortir, d'un seul foyer de lumières, toutes les connoissances nécessaires [p.59] au bonheur d'une Nation. L'Amérique, comment on peut tendre à la perfection, par la subdivision des discussions politiques.
L'Angleterre encore nous présente le spectacle d'un Gouvernement, où, par sa perfection même, les moindres changemens sont dangereux ; d'un Gouvernement dont les principes de vie semblent se toucher, se correspondre, & dépendre de chacune des lois dont son organisation est composée ; au lieu qu'en Amérique, le centre de réunion se trouve à une assez grande distance de tous les rayons, pour subsister encore dans son action, lors même qu'un mouvement se seroit ressentir à quelque point de la circonférence.
Enfin, le Gouvernement d'Angleterre & le Gouvernement d'Amérique, quoique séparés par des couleurs marquantes, composent néanmoins, l'un & l'autre, un système, où les regards des observateurs, suivent les traces du génie qui a présidé à la formation de ces deux grandes sociétés politiques.
On ne voit rien de tel dans la Constitution [p.60] Françoise; nos Législateurs ont voulu soumettre l'Administration universelle de l'Empire à une seule autorité, & en affoiblissant cette autorité dans tous les sens, ils l'ont encore assujettie aux contradictions d'une multitude innombrable de Pouvoirs. Ainsi, ils n'ont ni diminué sa tâche, comme en Amérique, ni fortifié ses moyens comme en Angleterre. Et au milieu de deux grands modèles que l'Assemblée Nationale de France avoit sous les yeux, on remarque, dans son ouvrage, le résultat amphibie de toutes les incertitudes de son esprit.
Elle a de plus été continuellement gênée, & par la crainte de paroître imitatrice, & par le cercle limité des combinaisons politiques. Elle s'est vue dans la nécessité d'extraire des détails çà & là, de toutes les Constitutions sociales, actuellement existantes. Heureux que nous eussions été ! si, comme l'abeille, cette Assemblée avoit eu l'instinct nécessaire pour composer de ses rapines, une ruche parfaite ; mais l'esprit de convenance [p.61] & de proportion, est le plus immédiat de tous les dons de la nature.
L'Amérique unie par une fédération étant composée de quatorze petits États, qui tous ont une Constitution particulière & une Constitution fort peu connue, il y avoit là de quoi prendre, & de quoi prendre sans être apperçu ; mais nos Législateurs, en le faisant, ont toujours donné la préférence aux dispositions les moins favorables à l'ordre public. Et si ce n'étoit pas m'engager dans une longue discussion je prouverois que chacun de ces petits États, dont plusieurs n'ont pas plus de cinquante à soixante mille ames, ont donné plus de force à leur Gouvernement, que nous n'en avons ménagé à l'Administration suprême du plus grand Royaume de l'Europe.
Je dirai cependant, d'une manière générale, qu'en examinant les diverses Constitutions des États Américains, on y remarque un partage d'opinions sur plusieurs questions importantes du Gouvernement. [p.62] Ainsi, dans quelques-unes de ces Républiques, les Juges sont à vie, & doivent être choisis par le dépositaire du Pouvoir Exécutif. Le Chef de l'État y a de même la nomination des autres Magistrats civils, des Officiers de Milice, des Officiers de l'Armée fédérative, & des divers Emplois de l'Administration ; mais, dans une autre portion du Continent, ces nominations, toutes à temps, sont attribuées, pour la plupart, les unes aux Assemblées du Peuple, les autres au Corps Législatif. Et comme il est raisonnable, c'est dans les petits États qu'on a donné le moins de prérogatives au Pouvoir Exécutif; mais aucune de ces Républiques, même la plus exiguë, ne présente rien de pareil au dénuement absolu, où se trouve le Roi des François, de tous les secours qui donnent de l'influence à l'autorité suprême.
Une circonstance plus remarquable encore, & vraiment étonnante, c'est que tous les Etats de l'Amérique, sans exception, ont [p.63] attribué au Chef du Pouvoir Exécutif, le droit de faire grâce, & qu'on a retiré des mains du Roi cette auguste prérogative.
On voit encore, non pas généralement, mais dans plusieurs États de l'Amérique, divers privilèges accordés au Pouvoir Exécutif, & qui n'ont point été attribués au Monarque en France. C'est ainsi que la Constitution de Massachussets, autorise le Gouverneur à envoyer des Lettres de Convocation aux Sénateurs élus, à proroger, s'il le veut, jusques à quatre-vingt-dix jours l'ajournement du Corps Législatif, a juger, avec le Conseil Exécutif, certaines causes ; & une partie de ces attributions, existe aussi dans d'autres États.
La disposition politique, la plus importante, & en elle-même, & dans son rapport avec le Pouvoir Exécutif, c'est la Constitution du Corps Législatif en une ou en deux Chambres; j'ai développé plusieurs fois cette vérité. Cependant entre les quatorze États particuliers, dont la fédération de l'Amérique [p.64] est composée, il n'en existe que deux, la Géorgie & la Pensylvanie, où le systême d'une Chambre unique ait été adopté. Remarquons encore, que ces deux Républiques semblent s'être défiées elles-mêmes des inconvéniens attachés à une pareille Constitution du Corps Législatif, puisque l'une & l'autre ont cherché à les tempérer, par des établissemens particuliers, & qui n'ont lieu dans aucun autre État de l'Amérique.
La Chambre unique des Représentans en Georgie, est tenue, après la seconde lecture d'un nouveau Bill, d'adresser le projet de loi au Conseil Exécutif qui doit l'examiner, & transmettre son opinion au Corps Législatif.
Tous les projets de lois, en Pensylvanie, sont rendus publics par la voie de l'impression, & leur préambule doit contenir tous les motifs qui disposent le Corps Législatif à les adopter ; & afin de laisser le plus libre cours à la discussion publique, afin de profiter des lumières qui peuvent en résulter, le Décret [p.65] Décret définitif ne doit être rendu que dans la Session suivante du Corps Législatif. Il y a de plus, en Pensylvanie, un Conseil de Censeurs, nommés par la Nation, lequel doit veiller également, & sur les opérations du Corps Législatif, & sur la conduite du Pouvoir Exécutif ; il est autorisé à recommander l'abrogation des lois contraires au bien de l'État & aux principes de la Constitution, & il est encore investi de plusieurs autres prérogatives.
On voit aisément, comment les dispositions que je viens d'indiquer, suppléent indirectement à la non-existence d'une seconde Chambre Législative.
Remarquons encore, que, dans les onze États, où le Gouvernement est composé de deux Chambres, la première, désignée sous le nom de Sénat, est juge des malversations publiques & des crimes d'État, dont la vengeance est poursuivie par la Chambre des Représentant. La Pensylvanie n'ayant composé son Corps Législatif, que d'une seule [p.66] Chambre, s'est trouvée dans la nécessité de confier à un Tribunal particulier, les fonctions attribuées au Sénat, dans les autres Gouvernemens de l'Amérique. Et le croiroit-on ? ce Tribunal, choisi par l'Acte Constitutionnel de la Pensylvanie, c'est le Conseil Exécutif avec son Président & son Vice-Président. Il faut convenir, que, si cette disposition étoit une suite nécessaire de la Constitution du Corps Législatif en une seule Chambre, les autres États de l'Amérique ne devroient pas regretter la préférence qu'ils ont donnée au systême des deux Chambres. Ces regrets ne leur viendront pas non plus, en voyant le parti que nous avons pris à l'égard des crimes d'État, & en examinant la singulière institution de notre Haute Cour Nationale.
Les Américains n'ont pas déterminé par leurs lois Constitutionnelles, les formes d'égard & de respect, qui seront observées envers le Chef électif de l'État, & je n'ai pas connoissance de tous leurs réglemens [p.67] particuliers. Je vois néanmoins, dans la Convention de la Géorgie, qu'au moment où un simple Comité du Conseil Exécutif vient dans la Chambre des Séances du Corps Législatif, les personnes dont cette Dépuration est composée, doivent être assises & couvertes ; il est prescrit à tous les Membres du Corps Législatif, à la réserve de l'Orateur, de se tenir découverts pendant la durée de la conférence. On voit, par cette seule particularité, que les Américains ont une juste idée du respect extérieur, dont il faut environner ceux qui ont, pour tâche éminente & pénible, de maintenir l'observation des lois & de soumettre les Peuples à l'obéissance. Que l'on compare cette décence politique des Américains, avec les formes plus que familières, dont on accueille les Ministres du Roi des François, avec les manières évaltonnées auxquelles on s'abandonne en général envers le Pouvoir Exécutif, avec ce Code d'étiquette, imaginé pour le Monarque, avec cette rudesse composée, dont on a la sottise de se [p.68] glorifier. Ce ne sont plus les Américains, c'est nous qui devenons des Quakers, & les François ainsi travestis, ne sont qu'un objet de ridicule ; car, sous leurs nouveaux dehors, on voit leurs anciens vêtemens, & le tout forme un accoutrement bizarre, dont l'Europe entière se rit. Ah ! ce qu'il falloit prendre des Quakers, c'étoit leur morale sévère, leurs sentimens d'humanité, leur respect religieux pour le Souverain Auteur de la Nature ; & en voulant les imiter, il ne suffisoit pas rigoureusement d'être tu ou toi, sans convenance, & d'être familier mal à propos. Mais les signes extérieurs, les formes prononcées sont faciles à copier ; il est d'ailleurs dans le caractère des François, de se porter tout de suite à l'extrême ; aussi, très-souvent ils rétrogradent, ou se ralentissent, lorsque les autres en sont encore à leur marche progressive.
Jamais ce caractère National n'a été appliqué à des choses plus sérieuses & plus importantes, que dans notre aveugle respect pour quelques principes ou quelques usages [p.69] de l'Amérique. Il eût été naturel de modifier un peu les idées de liberté & d'égalité, en les tirant du sein de ces petites Républiques, placées au bout du monde & encore simples dans leurs mœurs & dans leur fortune, pour les transporter au milieu d'une grande & vieille Monarchie, environnée de toutes les passions & de tous les vices de l'Europe. Il auroit fallu du moins les nuancer légèrement avec nos anciens principes politiques, avec des traits burinés par le temps, & qu'un effort d'un jour ne sauroit effacer ; mais, loin de suivre cette méthode, nos Législateurs ont pris, dans chacune des Constitutions des États de l'Amérique, les articles les plus Démocrates ; & après les avoir souvent renforcés, ainsi que je l'ai montré dans le cours de cet Ouvrage, ils les ont ensuite ajustés négligemment aux mots de Roi, de Trône & de Monarchie, laissant aux commotions de l'avenir, le soin de séparer, d'une ou d'autre manière, ce qui ne pouvoit rester uni.
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Il est malheureux pour la France, que les Chefs de l'Assemblée Nationale, en composant leur thème, de plusieurs des élémens, dont les Constitutions Américaines ont été formées, ayent caché soigneusement le procédé qu'ils suivoient. Il est peu de leurs idées politiques dont on n'eût jugé plus sainement, si l'on avoit connu leur origine & leur première place. On se fût demandé bien vite, si les usages d'un petit nombre de Républiques, entre les quatorze Etats d'Amérique, convenoient mieux à la France, que les erremens suivis par d'autres du même Continent. On se fût demandé, si certains détails dévoient être copiés exactement, si certains principes même, admis dans quelques Républiques, dévoient être adoptés, lorsqu'on rejetoit ta forme de leur Gouvernement. Enfin, on se fût demandé, si quelques idées des Américains, étoient plus analogues à un grand Royaume, que les institutions dont le bonheur & la prospérité de l'Angleterre ont consacré le mérite. La Nation auroit pris part aux [p.71] grandes questions politiques avec plus de sécurité, si on les eût traitées devant elle à côté des exemples, & si l'on eût ainsi fixé son attention, dans un petit espace, au lieu de laisser divaguer ses regards & ses raisonnemens, dans les régions sans bornes de la métaphysique & des abstractions. Mais, on a voulu se faire honneur de tout ; on a voulu passer pour inventeurs; & pour y réussir, tantôt on exagéroit les idées connues, tantôt on déplaçoit les mots, ou l'on changeoit la dénomination des choses, & toujours on revêtissoit d'un petit costume d'originalité, les plus exactes imitations ; enfin, on a parcouru de nuit & avec une lanterne sourde, le grand magasin politique des Américains, au lieu de le rendre resplendissant de lumière, & d'appeler tout le monde à juger de ce qu'on y prenoit & de ce qu'on rebutoit. Il est vrai, qu'alors le Peuple François eût été moins ébahi de tant de dispositions qu'il a cru nouvelles, de cette fameuse Déclaration des Droits, de cette Assemblée [p.72] Constituante, de ces nominations de Magistrats, de Curés & d'Administrateurs, soumises à des scrutins populaires, de cette liberté des Cultes, de ces systêmes d'égalité, de cet Acte Constitutionnel, de ces Conventions Nationales, de cette fête de la Fédération, de cette Ere de l'indépendance ou de la liberté ; enfin de tant & tant de particularités, toutes originaires des différentes Constitutions Américaines, & si souvent mal raccordées avec les circonstances immuables de l'Empire François.
C'étoit cependant sur la convenance de ces rapprochemens, qu'il falloit réfléchir ; mais on a considéré les principes, comme une spiritualité qui trouvoit place partout, & l'on n'a pas fait attention, que les conséquences de ces principes tenoient un espace réel. Les abstractions, sans doute, ont une application universelle, c'est un large compas qui s'ouvre à volonté, & qui réunit figurativement les divers points de l'étendue ; mais tout se touche en pratique, tout se meut terre à [p.73] terre, & c'est alors qu'on fait l'épreuve des obstacles franchis en spéculation, & des nombreuses difficultés, dédaignées par la théorie.