Chapitre VI - Comment l'affoiblissement du Pouvoir Exécutif, a favorisé les systêmes républicains


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CHAPITRE VI.

Comment l’affoiblissement du Pouvoir Exécutif, a favorisé les systêmes républicains.




DIFFÉRENS motifs, sans doute, ont donné naissance aux opinions qui se sont élevées en France, & qui s'y élèvent encore, en faveur du Gouvernement Républicain. Je ne chercherai point à pénétrer les intérêts particuliers, qui servent de guide aux intriguans & aux ambitieux. Il faut laisser dans l'ombre ce qu'ils veulent cacher ; c'est bien assez, pour la honte du siècle, de toutes les actions dont on se glorifie. Mais il est une cause toute naturelle à l'assentiment, que beaucoup de gens donnent à ces nouveaux systêmes. On voit que la Royauté, dans l'état de dégradation où elle a été réduite, ne peut plus servir au maintien de l'ordre public, & l'on se demande alors, si [p.82] un Roi, si des Ministres, ne sont pas une dépense trop grande, comparée à leur utilité. On se demande encore, si un Sénat électif, si un Président de ce Sénat, ne seroient pas en état d'exercer une autorité égale en efficacité, aux foibles moyens du Gouvernement Monarchique, lorsque ce Gouvernement se trouve constitué, comme il l'est maintenant parmi nous. Ces doutes, sont le résultat naturel de l'extrême affoiblissement du Pouvoir Exécutif, & les auteurs du nouvel ordre social de la France, n'ont pas le droit de s'en offenser. Ils se sont conduits à l'égard de l'autorité Royale comme à l'égard de la Monnoie, ils ont dénaturé l'une & l'autre, & ils se fâchent contre tous ceux qui n'y attachent plus le même prix. Suivons un peu plus loin ce rapprochement. Ils ont trompé la Nation, après s'être trompés eux-mêmes; ils ont laissé le nom de Roi à la cîme de leur ordonnance politique, mais ils ont auparavant dépouillé ce nom de toutes les idées dont il étoit [p.83] composé, & à l'abri de cette ruse dialectique, inventée par un petit nombre d'entr'eux, toute la France & la plus grande partie de l'Assemblée Nationale, ont été conduites, sans le savoir, jusques aux confins de la République, & la Monarchie ne consiste plus que dans l'hérédité d'un vain nom. De même, ils ont rappelle la loyauté Françoise, ils en ont professé la doctrine, ils ont fait bruit de leur inébranlable fidélité aux engagemens de l'État, & pour les acquitter, ces engagemens, ils ont introduit une monnoie fictive, qui ne représente plus les mêmes valeurs, & qui fait perdre aujourd'hui moitié du capital à tous les créanciers étrangers; malheureux abus des mots, qui se prête à toutes les perfidies, & dont jamais on n'a fait un plus terrible usage !

Et à combien d'autres fautes, à combien d'autres égaremens, ces mêmes explications ne serviroient-elles pas encore d'interprètes ! Il seroit aisé de montrer comment les mots de liberté & d'égalité, pour avoir été mis [p.84] hors de leur sens, sont devenus une source de désordre & de confusion ; mais en me livrant à ces développemens, je m'encarterois trop de ma route; ainsi, je me permettrai seulement une réflexion générale, c'est que, dans tout le domaine de l'esprit humain, la science la plus exposée à des mal-entendus, la science où les diverses modifications de la pensée sont le moins signalées par des expressions qui leur soient propres, c'est sans contredit la science politique; & il ne faut point s'en étonner, car n'ayant été long-temps pratiquée que par les hommes de génie, ou par les profonds penseurs, il a pu leur suffire de représenter une grande collection d'idées, par un petit nombre de mots; certains qu'ils étoient de séparer ces mêmes idées dans l'application qu'ils en seroient, & au Gouvernement & à la Législation; mais, lorsque la foule des écoliers ou des demi-savans, mêlée aux hommes de parti, s'est tout-à-coup précipitée vers cette science, chacun s'est emparé, comme il a pu, de l'une [p.85] des idées mixtes qui composoient les mots de liberté, d'égalité, de Souveraineté, de Monarque & de Monarchie, & tous ces petits conquérans prenant leur portion pour le tout, ont fait & défait, dans leurs pensées, les Gouvernemens, les Constitutions, & ils se sont répandus dans toute l'Europe, pour y attendre le moment où l'on voudroit d'eux pour Législateurs. Ils auroient eu bien moins de confiance dans leur mission, si, à l'aide des mots de liberté, d'égalité, & de quelqu'autre encore, ils n'avoient pas pu enrégistrer, sous deux ou trois étiquettes, tout leur bagage politique. Concluons de ces réflexions, adressées uniquement aux gens d'esprit, que les signes simples pour exprimer une multitude de pensées, ne conviennent qu'aux Nations sages & réfléchies ; mais dans les pays où tout-à-coup chacun se fait politique & philosophe, c'est un véritable ravage, une source de confusion, que la division & la dispersion de toutes les idées, réunies sous une dénomination générale, [p.86] surtout, lorsqu'il n'existe encore dans la langue aucuns mots, propres à désigner distinctement toutes les parties de cette décomposition universelle.