Chapitre premier - De la Constitution des Etats-Unis, dans ses rapports avec le sujet de cet Ouvrage.


Il ne faut pas en Amérique, un aussi grand Pouvoir exécutif qu'en France.

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CHAPITRE PREMIER.

De la Constitution des États-Unis, dans ses rapports avec le sujet de cet Ouvrage.

Il ne faut pas en Amérique, un aussi grand Pouvoir Exécutif qu'en France.

 

 

 

 

Je ne remplirais qu'imparfaitement le but que je me suis proposé, si je me bornois à rapprocher la Constitution d'Angleterre, du nouveau Gouvernement François. Ce [p .2] seroit d'ailleurs servir à souhait nos métaphysiciens politiques, que de les laisser jouir, sans aucun trouble, de la gloire à laquelle ils aspirent le plus, l'honneur d'être unis de principes avec les Législateurs de l'Amérique. Ils auroient raison dans cette prétention, que ce ne seroit pas encore un préjugé suffisant en faveur de leur ouvrage ; car, même en prenant d'un Législateur, soit ancien, soit moderne, toutes ses opinions spéculatives, on pourroit faire très-mal, ce qu'il eût fait très-bien, si l'on s'abstenoit d'imiter, en même temps, sa prudence & son génie. Ces deux qualités sont les seules qui s'appliquent également à la diversité infinie des circonstances, les seules qui peuvent être d'un usage universel, dans une science toute composée de rapports ; & telle est, sans contredit, la science de l'ordre social. Ainsi, le Législateur sage, le Législateur éclairé, qui, sur un nouveau Continent & loin des erreurs de l'ancien monde, auroit adopté le principe d'une égalité [p.3] parfaite, & qui auroit montré la foi la plus implicite au seul empire de la loi, ce même Législateur eût modifié toutes ses pensées, s'il se fût trouvé tout-à-coup transporté au milieu de nos mœurs, & au sein du pays ; le plus vieux de l'Europe, & par ses habitudes, & par ses richesses, & par ses lumières.

Notre Assemblée Nationale, ou si l'on veut, ses guides suprêmes, se sont donc fait illusion, lorsqu'ils ont cru s'être emparés de toute la vertu législative des sages Américains, en s'affiliant uniquement à quelques-unes de leurs idées générales, & en les exagérant, en les appliquant avec contrainte à une Nation, qui n'y étoit préparée, ni par son caractère, ni par le genre de son esprit. Il falloit, en cherchant à nous approprier la philosophie politique des paisibles habitans d'un nouvel hémisphère, étendre plus loin nos conquêtes ; il falloit enlever aussi leurs Dieux Lares, la morale, l'esprit religieux, les vertus domestiques & de [p.4] cette manière, nous aurions pu faire un ouvrage de proportion, & que la main du temps auroit respecté. Mais le jour que nous avons copié la Déclaration des Droits des États-Unis, nous nous sommes estimés Républicains. Il nous falloit pourtant quelque chose de plus pour arriver à cette métamorphose.

La Déclaration des Droits des Américains, se trouvoit à la tête de leur Code Constitutionnel, & nous avons dès lors regardé cette Déclaration comme le commencement, en quelque manière, de leur nature politique, tandis qu'elle en étoit plutôt l'extrait & le résultat. Leur position continentale, le genre de leurs relations extérieures, leurs mœurs, leurs habitudes & les limites de leur fortune, toutes ces grandes circonstances, qui déterminent le génie d'une Nation, existoient avant leur Déclaration des Droits; ainsi, leur profession de foi s'est trouvée, comme toutes les paroles doivent l'être, dans la dépendance des choses, & dans une [p.5] juste harmonie avec l'empire absolu des réalités. Nos Législateurs, cependant, ont vu cette Déclaration des Droits, comme la cause efficiente de la liberté des Américains, & comme un principe universel de régénération, qui pouvoit convenir également à toutes les Nations. Aussi ; sans prendre en considération la nature morale & physique du Royaume de France, sans réfléchir qu'une Déclaration des Droits de l'Homme, remise entre les mains d'un Peuple, étoit une arme offensive, ou au moins une sorte d'émancipation politique, dont l'Acte solemnel exigeoit beaucoup de ménagemens, ils ont dépassé les Américains même ; & n'observant aucune mesure, ils ont soumis la marche grave & circonspecte du Législateur à des amplifications de philosophie.

Il seroit aisé de développer cette proposition, en rapprochant, les diverses Déclarations des Droits adoptées par les États d'Amérique, de la profession de foi du même genre, qui sert de Préambule à la [p.6] Constitution Françoise; mais cette longue discussion n'auroit aucun intérêt aujourd'hui. On ne pense plus à mesurer la hauteur des eaux à leur première source, lorsque, grossies dans leurs cours, & descendues en torrent dans la plaine, elles inondent les campagnes, ou les traversent dans tous les sens. J'écarterai donc les recherches inutiles & j'entrerai plus avant dans le sujet important que je dois traiter.

 

 

 

On pourroit supposer, dans une Nation, une telle modération de sentimens, une telle gravité de caractère, qu'elle n'auroit pas même besoin de lois écrites ; ainsi, selon que les Peuples s'éloignent d'un esprit de mesure & de tempérance, soit par leurs dispositions naturelles, soit par d'autres circonstances dominantes, il faut une autorité plus active à la puissance protectrice de l'harmonie sociale.

 

 

 

On dira, sans doute, que l'on change les mœurs, que l'on modifie les caractères, [p.7] que l'on crée, pour ainsi dire, une autre Nation, en détruisant tous les préjugés, & en élevant un Gouvernement nouveau sur les ruines des anciennes lois.

Tel est le langage des personnes qui attachent toutes leurs idées à un axiome principal, & qui, avec de bonnes raisons pour douter, si elles pourroient mettre la paix entre plusieurs principes, voudroient accorder une autorité exclusive à celui dont elles ont fait choix. Sans doute, la nature du Gouvernement influe essentiellement sur le moral des hommes ; mais combien d'autres circonstances ont part à cet empire ! Ce seroit une grande chimère d'imaginer, que la liberté, l'égalité, & toutes nos institutions nouvelles, nous assimileront aux Américains, & nous rendront dociles, comme eux, aux conseils tempérés de la raison & au simple joug de la loi. Séparés des passions de l'Europe par le vaste Océan, ils jouissent en paix de leur jeunesse politique & peuvent exercer les vertus de cet âge. [p.8] Une terre, encore neuve, offre au travail les plus riches récompenses ; & sa vaste étendue, appelant de tous côtés les cultivateurs, la dispersion des habitations assujettit la plupart des Américains, à chercher leur bonheur dans la vie domestique, cette source constante de tous les sentiments doux, de toutes les affections pures, & la meilleure école des mœurs.

Ils s'exercent encore à des vertus semblables, par tous les devoirs d'hospitalité, que leur impose, & la nature de leur contrée, & la distance où ils vivent les uns des autre. Mais, l'un des plus heureux effets de cette situation particulière, c'est de mettre les passions des hommes beaucoup moins en rivalité, & de les préserve? davantage de ces sentimens d'envie & de jalousie, la source habituelle de tant de troubles. Enfin, placés au milieu d'un Continent, où la population n'a point de rapport encore avec la multiplicité des occupations utiles, les Citoyens de tout état, ne conçoivent aucune inquiétude [p.9] de l'accroissement de leur famille ; & ils se trouvent ainsi retenus, par toutes sortes de liens, dans les sentiers de la morale & loin des écueils dangereux, auxquels les vieilles Nations sont exposées.

Il y a, sans doute aussi, dans le caractère des différens Peuples, une disposition inhérente à leur nature, ou dont le principe, du moins, est inconnu, & qui les rend plus ou moins propres à l'harmonie sociale. Je parcours les Constitutions des divers États de l'Amérique, & je me trouve entraîné vers des pensées douces, à la simple vue du titre que prennent, sans y songer, un grand nombre de Députés, chargés par leurs Concitoyens de travailler à cette importante Législation. Nous, les Représentans du BON Peuple de Virginie, & c. Quelle émotion n'inspire pas cette simple dénomination ! un pareil titre vaut à lui seul, une grande leçon, comme il est en même temps un honorable témoignage du caractère National. Ah! si parmi nous, l'Assemblée Nationale avoit pu le [10] prendre, ce titre ; si un sentiment de vérité avoit pu lui en donner l'idée, la France eût été moins malheureuse, & nous n'aurions pas versé, nous ne verserions pas encore tant de larmes! mais, lorsque notre Déclaration des Droits fut rédigée, il n'étoit plus temps pour personne, de prendre l'auguste qualité de Représentans du bon Peuple de France. Hélas ! Il n'étoit plus temps. Déplorable souvenir! Triste & lamentable pensée ! L'Assemblée Nationale, en s'y arrêtant, auroit été avertie, qu'il falloit nous rappeler nos devoirs, en même temps que nos droits; l'Assemblée, en s'y arrêtant, auroit été détournée d'affoiblir, comme elle l'a fait, le Pouvoir destiné à maintenir la justice & l'observation des lois.

Je n'ai pas encore indiqué toutes les circonstances particulières à l'Amérique, qui, en secondant le maintien de l'ordre social, sont néanmoins absolument étrangères à la nature du Gouvernement & à son influence. Il n'est pas un seul Américain, peut-être, [p.11] même dans les dernières classes de la Société, qui ne sache lire, écrire, chiffrer, & qui n'ait eu le temps d'apprendre & de retenir les premiers principes de la Religion & de la Morale. Et lorsqu'un marchand, un artisan, ou tout autre Citoyen industrieux, prend à son service un jeune homme sans fortune, il entre dans leurs engagemens mutuels, que le domestique ou l'apprentis, sera mis en état, par son maître, d'acquérir, dans un petit nombre d'années, les instructions élémentaires que je viens d'indiquer. Or, un tel genre de contract ne peut exister, que dans un pays, où, par la grande étendue des occupations offertes à l'industrie, & par le nombre encore limité des habitans, le travail est assez estimé, pour autoriser les hommes de toute espèce de professions, a consacrer, dès leur jeunesse, une portion de leur temps, à l'étude des connoissances, étrangères aux devoirs particuliers de leur état. Aussi, quand nos Législateurs imaginent de pouvoir atteindre au même but, par l'établissement, d'une [p.12] nouvelle hiérarchie d'Écoles & de Collèges, ils montrent seulement, qu'ils n'ont pas réfléchi sur les causes premières de l'instruction du Peuple. Elle ne peut exister, cette instruction, d'une manière générale, elle ne peut exister, quoiqu'on fasse, au milieu d'un pays, où l'immensité de la population réduit le prix du travail au plus étroit nécessaire.

Observons maintenant & toujours à la suite de mon sujet, qu'entre tous les obstacles propres à embarrasser les voies de l'Administration, les plus graves, sans doute, ont une relation immédiate avec l'étendue des impôts, ou avec la rareté des subsistances. On est alors, comme en présence des plus fortes passions du Peuple ; & telle est l'étroite enceinte de ses vœux & de ses espérances, qu'il est attiré tout entier vers ces deux grands objets d'inquiétude. Aussi, quand on veut l'associer à des contestations politiques, il faut, pour le remuer, lui montrer un rapport véritable ou fictif, entre le sujet de [p.13] ces disputes & les seuls intérêts dont il est occupé. C'est la tâche de l'intrigue ; & l'habile manœuvrière fait bien comme il faut s'y prendre.

Cependant, l'étendue des impôts & les craintes de disette, sont des causes d'agitation, inconnues jusqu'à présent aux États-Unis d'Amérique, & qui, dans l'ordre des vraisemblances, le seront encore long-temps. Ils n'ont, ni des Flottes, ni des Armées à entretenir, & leur dette publique est très-modérée; ainsi, toutes proportions gardée, la masse de leurs contributions n'est pas comparable aux charges de la France ; & ils sont aussi plus à l'abri, que nous, des événemens qui produisent des dépenses & des besoins extraordinaires; car, loin des troubles de l'Europe & séparés de sa politique, ils conserveront l'heureuse paix dont ils jouissent, aussi long-temps qu'ils le voudront.

Leur situation à l'égard des subsistances, les met également à couvert de toutes les [p.14] inquiétudes, de toutes les alarmes & de toutes les commotions, dont un Royaume, tel que la France, ne peut jamais se garantir. Leur population ne sera de long-temps au niveau du produit de leurs cultures; & c'est de la vente d'un grand superflu, dont ils ont uniquement à s'occuper.

On a dit souvent, que les récoltes de toutes les parties de la France, évaluées dans leur ensemble, dévoient constamment suffire aux besoins de ce Royaume ; mais en admettant une proposition, très-susceptible d'être mise en doute, la plus libre circulation seroit encore nécessaire, pour faire servir l'excédent d'un District à la disette de l'autre ; & c'est justement à cette communication qu'il faut accorder l'appui de la force publique. Il importe, sans doute, de le faire avec sagesse & avec ménagement, mais cette prudence ne doit jamais être exprimée par la foiblesse du Gouvernement.

Qu'on jette maintenant un autre regard sur la France ; on verra ses habitans pressés [p.15] les uns contre les autres, s'entrechoquer dans tous leurs mouvemens, & parcourir néanmoins, à l'envi, toutes les carrières ouvertes à l'intérêt, à l'amour-propre, à l'ambition & à la gloire ; on les verra se jouer de tous les liens, & contempler, d'un air mocqueur, les dernières barrières renversées par les philosophes du temps ; on les verra cumulés en grande partie, dans ces Villes corrompues, où la réunion de l'esprit à l'oisiveté, sert efficacement, & à propager les vices, & à les mettre en honneur; où le luxe, inséparable du grand âge d'une Nation riche & commerçante, donne des lois au travail, & met dans la dépendance des propriétaires, cette foule immense qui vit de leurs caprices & qui s'en irrite. Enfin, il est des vérités générales, qui suffiroient pour démontrer la grande difficulté du maintien des lois d'ordre, dans un Royaume tel que la France. Qu'on examine, en effet, d'où naissent le plus communément, & les mouvemens publics, & les mécontentemens [p.16] particuliers, & l'on verra qu'ils dérivent, & doivent dériver essentiellement, d'un dérangement inattendu, dans l'état de fortune du plus grand nombre des habitans d'un pays, état si étroitement compassé, par nos lois sociales & par les droits impérieux de la propriété, que la plus légère convulsion, soit dans le prix des subsistances, soit dans la mesure des ressources offertes par le travail, porte rapidement atteinte au repos d'esprit de la multitude & à ses plus vifs intérêts. Cependant, si l'on recherche en quels lieux ces sortes de révolutions doivent être le plus fréquentes, l'on trouvera, sans doute, que c'est au milieu d'un pays, où les travaux d'industrie, les travaux alimentaires d'une nombreuse classe de la Nation, dépendent essentiellement du cours mobile des transactions avec les autres États, & de la direction incertaine du luxe, dans toutes les parties du monde ; on trouvera que ces mêmes révolutions doivent être plus [p.17] plus fréquentes, au milieu d'un pays, où la population, élevée presqu'au niveau de l'année moyenne du produit des terres, excite souvent des alarmes ou des inquiétudes, qui dérangent les rapports établis entre le prix des grains & le prix des salaires.

Aucune de ces circonstances n'existe en Amérique, il s'y trouve des occupations pour tout le monde, & long-temps elles seront affinées, parce qu'elles n'ont pour base, ni les arts de luxe, ni le commerce extérieur des ouvrages d'industrie ; mais une culture susceptible encore des plus grands progrès.

Comment voudroit-on mettre en parallèle avec la France, un pays si dissemblable ? il seroit plus aisé de gouverner l'Amérique avec ses mœurs, pour unique lien, qu'on ne parviendroit à maintenir l'ordre dans un Royaume tel que la France, avec des lois sans nombre, mais ayant pour seul appui, ce foible Pouvoir Exécutif, résultat de hasard des combinaisons éparses de l'Assemblée Nationale. Un jour viendra, peut-être, où le Gouvernement [p.18] des États-Unis, n'aura plus lui-même assez de force ; & ce sera l'époque où ses mœurs auront changés. Ce sera l'époque encore éloignée, où sa population, par des progrès continuels, atteindra, dans son cours, les accroissemens de la culture & des productions de la terre. Ce sera l'époque, où les propriétaires, devenus les maîtres absolus du prix de la main-d'œuvre, réduiront au plus étroit nécessaire, ceux qui vivent du travail de leurs mains. Ce sera l'époque, où, par l'entassement continuel de la partie des richesses, que les siècles peuvent laisser aux siècles qui les suivent, le luxe s'augmentera, & rendra plus frappantes, les différences de situation entre ceux qui sont les héritiers des biens de la terre, & cette multitude que l'empire de la propriété, condamne à n'obtenir jamais que sa subsistance, pour prix du plus entier dévouement.

Alors, & à l'arrivée de toutes ces révolutions, résultat inévitable de la marche du temps, une classe nombreuse de citoyens [p.19] jouira, sans peine & sans travail, des revenus territoriaux qui composeront son patrimoine ; une autre s'agitera de toutes les manières, pour acquérir, par le commerce, une part dans l'accroissement annuel des richesses mobiliaires ; enfin, une troisième classe d'hommes, plus nombreuse que les deux précédentes, les environnera sans cesse, & leur offrira les fruits de son travail & de son industrie, pour obtenir & mériter d'elles un salaire ou une récompense ; & chaque année, l'art étendra ses combinaisons, afin d'éveiller, par des moyens nouveaux, les goûts & les fantaisies de tous les oisifs dispensateurs des biens de la fortune. C'est alors aussi, que, pour jouir plus commodément de ces rapports journaliers, & de ces rapports divers, on se rassemblera davantage dans les Villes, on y fera venir les tributs des campagnes, on les y consommera dans les dissipations du monde. Alors, la recherche des frivolités, le besoin de l'imitation, affoibliront insensiblement l'autorité [p.20] de la raison, & soumettront les goûts & les sentimens à l'empire des idées factices; enfin, le rapprochement plus intime du luxe & de la misère, en multipliant les passions, en les rendant hostiles, introduira de nouvelles mœurs, & la simplicité des anciens temps, ne servira plus que d'ornement aux descriptions poétiques. Ce n'est pas tout encore, car avec un changement de situation, les opinions religieuses, cette consolation si douce, au milieu d'une vie domestique, les opinions religieuses, dont tous les devoirs forment une chaîne de bonheur, ne tarderont pas à devenir elles-mêmes importunes, & une nouvelle espèce d'artistes s'élèvera, qui, sous le nom de philosophes, inventera des systêmes pour le temps; & après s'être fait rapporter tous les anciens liens, après les avoir brisés, elle les remplacera par d'autres surement plus commodes & plus aisés à porter ; & lorsque ces philosophes auront tout relâché, tout laissé défaillir, ils se feront suivre par des métaphysiciens politiques, qui [p.21] donneront le plan d'un nouveau monde, sur les ruines du précédent. Hélas ! en laissant errer ainsi ma pensée sur toutes les vicissitudes, auxquelles la main du temps soumettra l'Amérique, je crains bien d'avoir eu trop présent à mon esprit, le spectacle de la France; mais dans toutes les grandes choses, l'histoire des vieillards est, pour les adolescens, le livre des destinées.

C'est ici néanmoins le moment de le dire, les Américains ont adopté, la seule forme de Gouvernement qui peut opposer des résistances aux causes toujours agissantes dont je viens de parler, la seule qui peut défendre long-temps les mœurs, contre l'influence journalière de l'accroissement des richesses ; & comme cette même forme de Gouvernement, a dispensé les Américains d'attribuer au Pouvoir Exécutif, une force proportionnée à la vaste étendue de leurs possessions, un double motif m'engage à développer ce premier apperçu, & je vais le faire dans le Chapitre suivant.