Journaux officiels aimablement prêtés par la Bibliothèque de l'Hôtel de Ville de Paris
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Aux termes de la loi du 10 août 1871, la session des conseils généraux s'ouvrant le premier lundi qui suit le 15 août a pour objet principal :
1° Le répartement entre les arrondissements du contingent des contributions directes assigné au département par la loi annuelle de finances;
2° La décision sur les propositions de dégrèvement faites, s'il y a lieu, par les conseils d'arrondissement;
3° Le vote des centimes additionnels à ajouter dans les rôles au principal des contributions directes pour constituer les recettes du budget départemental, afin d'assurer le payement tant de ses emprunts que de ses dépenses ordinaires et extraordinaires ;
4° Le vote du budget départemental pour l'exercice suivant, eu égard au montant présumé des recettes résultant du produit des centimes additionnels.
Mais la Chambre des députés ayant refusé de voter la loi des contributions directes avant sa séparation, les conseils généraux seront dans l'impossibilité de remplir leur mandat dans leur session légale ordinaire, puisque ne connaissant pas le contingent assigné à leur département, ils ne peuvent ni en faire le répartement entre les arrondissements ni voter les centimes additionnels à ajouter à ce contingent pour constituer les recettes du budget départemental, ni savoir à quel chiffre s'en élèvera le montant qui dépend de celui du contingent, ni par conséquent délibérer le budget en recettes et en dépenses, puisque le principal élément pour sa formation leur ferait défaut.
Par la même raison, les préfets sont dans l'impossibilité de préparer les propositions budgétaires à soumettre ans conseils généraux, et les conseils d'arrondissement de délibérer sur le sous-répartement du contingent de l'arrondissement entre les communes.
La session d'août ne peut donc avoir l'objet prescrit par la loi, et il sera nécessaire d'en avoir une autre avant la fin de l'année.
Dans ces conditions, le Gouvernement a jugé qu'il était inutile de procéder au renouvellement des membres de la série sortante avant l'expiration des six années, qui sont le terme légal de leur mandat, et avant les élections législatives.
Le ministre de l'intérieur a adressé aux préfets la circulaire suivante :
Monsieur le préfet,
La dissolution de la Chambre des députés prononcée par M. le Président de la République, sur l'avis conforme du Sénat, a créé une situation politique sur laquelle je viens appeler toute votre attention. Il en découle, en effet, pour le Gouvernement, des devoirs qui ne manqueront pas d'inspirer votre langage et votre conduite.
De longs débats ont précédé, soit devant la Chambre des députés, soit devant le Sénat, le vote émis par la haute Assemblée, dans la mémorable séance du 22 juin. Quelque effort qu'on ait pu faire, rien n'a pu changer la nature de l'acte du 16 mai, et le Sénat a donné à M. le maréchal de Mac Mahon un témoignage éclatant de sa confiance et de son concours.
M. le Président de la République avait fait appel aux conservateurs de tous les partis : il a été entendu de tous. Tous ensemble ont reconnu, avec le chef de l'État, les périls dont la France était menacée par les actes et par les tendances de la Chambre des députés. Une majorité parlementaire, dominée chaque jour davantage par les éléments les plus avancés du parti radical, entraînait la France à sa désorganisation politique et sociale. En nous arrêtant sur cette pente, M. le Présidant de la République a si manifestement répondu au sentiment public que les hommes les plus profondément séparés par leurs origines ont confondu leurs rangs pour venir autour de lui applaudir à sa patriotique résolution
Mais il ne faut pas l'oublier, monsieur le préfet, si l'acte du 16 mai a provoqué entre les conservateurs de toute nuance un pareil accord, c'est parce que M. le Président de la République l'a accompli dans l'exercice régulier de ses droits constitutionnels, en affirmant bien haut, avec l'autorité qui s'attache à sa parole, que le respect des institutions qui nous régissent serait la base constante de sa politique. C'est par là seulement que le chef de l'État a pu réunir dans une même pensée des hommes venus de côtés différents ; c'est par là seulement qu'il a pu les associer à un programme qui, à raison même du caractère révisable de la Constitution, n'implique pour personne le désaveu d'aucune conviction, mais ferme jusqu'en 1880 l'arène aux compétitions rivales, par la fidèle et stricte observation de la première loi du pays. D'ailleurs le parti conservateur s'est toujours honoré en respectant les institutions régulièrement établies. Il lui appartient de donner, le premier, l'exemple de l'observation sincère et loyale des lois par lesquelles l'Assemblée nationale a constitué la République.
Vous aurez donc soin, monsieur le préfet de bien fixer à cet égard l'opinion publique. Que personne ne l'ignore, en faisant obstacle, quand il en était temps encore, à la prédominance d'une Assemblée qui tendait rapidement à annuler le pouvoir exécutif et le Sénat, le Maréchal de Mac Mahon a conjuré d'avance une de ces crises violentes dont notre histoire offre de si tristes exemples et dans lesquelles périssent toutes les institutions régulières.
Vous ferez pénétrer ces vérités partout. Votre rôle est de vous mettre continuellement en rapport avec les populations, pour empêcher qu'on ne les égare et qu'on ne les trompe. Les gouvernements n'ont pas seulement pour mission de régler au jour le jour les questions d'administration publique qui se présentent à leur examen ; ils ont, avant tout, un devoir de direction générale et d'initiative énergique qui leur commande d'éclairer l'opinion et de la protéger contre les erreurs sans nombre propagées par les partis hostiles. Ce devoir est plus impérieux aujourd'hui qu'à aucune autre époque. Il s'impose plus étroitement à nous, à l'heure où des hommes, hier encore honorés d'un mandat public, répandent systématiquement dans le pays les bruits les plus ridicules et les plus faux, annonçant la guerre quand la paix reste assurée, cherchent à inquiéter les intérêts quand la hausse des fonds publics atteste une confiance générale et croissante, et s'efforcent de semer ainsi des alarmes chimériques quand la nation demande le recueillement, le repos et le travail.
En ramenant le pays à l'exacte appréciation des faits, vous le préparerez à la grande manifestation électorale pour laquelle il sera bientôt convoqué. Dans tous les temps et sous tous les régimes on a beaucoup discuté sur l'intervention du Gouvernement dans les élections. Cette question si souvent débattue, je n'hésite pas à l'aborder à mon tour avec la plus entière franchise.
Le Gouvernement, monsieur le préfet, n'a pas seulement le droit, il a le devoir de faire connaître au corps électoral les candidats qui soutiennent et les candidats qui combattent sa politique. Il a non-seulement le droit, il a le devoir de dire aux populations : Voilà le candidat avec lequel je suis en dissentiment, voilà au contraire le candidat qui représente mes tendances et mon programme. Vous êtes libres de choisir, mais ainsi averties, vous choisirez du moins en pleine connaissance de cause. Par ce langage le Gouvernement ne fait rien autre chose qu'éclairer les électeurs, et il serait étrange qu'on lui contestât le droit de le tenir. Ne voyons-nous pas trop souvent nos adversaires s'efforcer d'agir sur l'esprit public par le mensonge, par la calomnie, par la peur, par les manœuvres les, plus répréhensibles ? Ne voyons-nous pas les lieux publics fréquemment transformés en de véritables foyers de corruption électorale où l'on s'adresse de la manière la plus grossière à l'ignorance et à la crédulité ? En présence de tels faits, comment hésiterions-nous à mettre en garde le suffrage universel contre les pièges qu'on ne cesse de lui tendre?
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Les élections du 20 février contiennent d'ailleurs sur ce point des enseignements qui ne sauraient être perdus. Quand on relit les circulaires des candidats de cette époque, on est frappé de ce fait constant, que tous invoquaient, comme titre principal à la confiance publique, leur dévouement au Maréchal de Mac Mahon, et c'est ainsi que sous ce grand patronage, étrangement usurpé, on a vu les électeurs abusés choisir la plupart de ceux qui ont été depuis les adversaires déclarés du chef de l'État.
Il importe de déjouer de tels artifices, et vous saurez, monsieur le préfet, démasquer les faux dévouements.
En même temps, vous ferez appel, dans la lutte qui va s'engager, à l'union de tous les conservateurs.
Pour exercer, au milieu des rivalités qui pourraient se produire, une médiation efficace, vous n'aurez qu'à vous souvenir que le Gouvernement, modérateur naturel des partis, doit ne mettre sa puissance au service d'aucun d'eux, mais faire entendre à tous le langage de !a conciliation et de la concorde. Méritez, par votre impartialité et par votre sagesse, de devenir entre tous un arbitre écouté. Sachez, par votre autorité morale, obtenir les sacrifices momentanés, nécessaires à notre œuvre commune. La France, dont l'intérêt domine tous les antagonismes, exige à l'heure qu'il est le désintéressement de tous ceux qui savent l'aimer et la servir : elle a besoin de l'unité de leurs efforts.
Votre action ne saurait être contrariée par ceux qui représentent à un degré quelconque le Gouvernement. Les fonctionnaires de tout ordre sont unis au pouvoir qui les nomme et dont ils exercent la délégation, par des liens qu'ils n'ont pas le droit d'oublier. Nous ne pourrions admettre l'hostilité d'aucun d'eux. Ceux qui ne craindraient pas de faire usage contre le Gouvernement de l'autorité même qu'ils tiennent de lui, ne devraient espérer aucune tolérance ni compter sur aucune faiblesse. Vous leur rappellerez aussi, monsieur le préfet, qu'ils se doivent à eux-mêmes de se montrer inaccessibles à toutes les intimidations comme à toutes les suggestions dont ils peuvent être l'objet. On a voulu les inquiéter et les troubler en portant à la tribune de bruyantes mais vaines menaces ; je craindrais de faire injure à leur caractère si je supposais un seul instant que le sentiment du devoir a pu être ébranlé dans leur cœur. Je compte sur eux comme ils peuvent compter à leur tour sur le Gouvernement qui saura tout à la fois les diriger par ses instructions et les couvrir de sa responsabilité.
Je n'ai pas à entrer ici dans plus de détails sur les questions diverses qui peuvent s'élever. Vous les résoudrez toutes aisément en vous inspirant des principes que je viens d'exposer. Je suis prêt d'ailleurs à vous transmettre mon avis sur chaque cas particulier. Je sais au surplus que les grands intérêts politiques dont vous êtes chargé ne vous feront pas négliger les affaires administratives de votre département, et que les populations vous verront toujours au milieu d'elles, attentif à satisfaire leurs besoins.
Je n'ai point cherché, monsieur le préfet, à élargir le cadre de votre action et de votre autorité. J'en ai indiqué seulement toute l'ampleur, pour que vous ayez constamment à l'esprit l'étendue de vos droits et de vos devoirs. Vous remplirez d'autant mieux votre mandat que le but, assigné à vos efforts vous paraîtra plus élevé. Le Gouvernement réclame pour le pays toute votre énergie, tout votre dévouement. Il vous a associé à une œuvre politique dont le but est d'assurer à la France l'ordre, la sécurité, la paix. Vous vous montrerez digne de la confiance du Maréchal de Mac Mahon, et, soyez-en sûr, le Président de la République, à son tour, n'oubliera pour personne les services rendus à, la patrie. Je vous signalais, en commençant, l'accord si complet qui existe entre le Président de la République et le Sénat. Grâce à cette union fermement assurée, le Maréchal de Mac Mahon exercera jusqu'au terme de son mandat le pouvoir qu'il a reçu pour maintenir la paix su milieu de nos discordes et sauver, malgré les fautes des partis, l'avenir et la grandeur de la France.
Le pays, en répondant à son appel, lui rendra cette tâche facile.
Recevez, monsieur le préfet, l'assurance de ma considération très-distinguée.
Le ministre de l'intérieur,
DE FOURTOU.