Journaux officiels aimablement prêtés par la Bibliothèque de l'Hôtel de Ville de Paris
Numérisation et relecture des OCR réalisées par la Bibliothèque Cujas
[4085]
Paris, 28 mai 1877.
Le président du conseil, ministre de la justice, garde des sceaux, a adressé aux procureurs généraux la circulaire qui suit :
Monsieur le procureur général, M. le Président de la République, en se séparant de son ministère et en inaugurant une nouvelle ligne politique, a fait un usage légal de sa prérogative constitutionnelle. Le Message qu'il a adressé aux Chambres a expliqué à la France le motif et le but de cette grande résolution. Il s'y déclare, comme vous l'avez vu, aussi fermement résolu que par le passé à respecter et à maintenir les institutions qui sont l'œuvre de l'Assemblée de qui il tient le pouvoir et qui ont constitué la République. S'il est intervenu dans la marche de la politique, c'est pour arrêter l'envahissement des théories radicales, incompatibles à ses yeux, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, avec la paix de la société et la grandeur de la France.
Rien n'étant changé, ni dans les lois constitutionnelles ni dans aucune autre, je n'ai rien à changer non plus aux instructions qui vous ont été adressées, sur le respect qui leur est dû, et sur l'esprit que vous devez porter dans leur application. Mais vous sentez vous-même que plus les passions politiques s'animent autour de vous, plus les questions qui s'engagent sont de nature à les exciter, plus vous devez redoubler de fermeté et de vigilance dans l'accomplissement de tous vos devoirs.
Parmi les lois dont la garde vous est confiée, les plus saintes sont celles qui, partant de principes supérieurs à toutes les constitutions politiques, protègent la morale, la religion, la propriété et les fondements essentiels de toute société civilisée. Ce sont celles-là précisément qui sont chaque jour l'objet des attaques d'une presse dont l'injurieuse grossièreté dépasse toute limite. En la rappelant par une répression ferme au respect d'elle-même et de ses lecteurs, vous vengerez la conscience publique indignée.
Il est en outre, dans la période de discussions ardentes que nous traversons, plusieurs points qui doivent appeler tout particulièrement votre attention.
On a essayé plus d'une fois, dans ces derniers temps, de présenter par des moyens plus ou moins détournés, soit l'apologie, soit même la réhabilitation de la douloureuse guerre civile qui a désolé Paris en 1871. Quelques journaux ont même eu recours, dans ce dessein (contrairement aux prescriptions positives de la législation), à la collaboration d'individus condamnés et proscrits pour ces faits odieux. Vous ne devez souffrir aucune de ces tentatives. Il importe à la morale publique que rien ne vienne atténuer l'horreur salutaire que cette époque néfaste a laissée dans la mémoire des populations.
Vous devez me signaler avec soin et désigner à la poursuite des magistrats places sous vos ordres toutes les offenses qui pourraient être dirigées contre le chef de l'État. Bien que son initiative se soit fait sentir dans les derniers événements, sa responsabilité est toujours couverte par celle de ses ministres, et l'offense, sous aucune forme, ne doit monter jusqu'à lui.
La tactique plus que jamais mise en œuvre par les partis, et qui consiste à troubler l'opinion par de fausses nouvelles, ne doit pas être réprimée avec moins de vigilance. Jamais cette manœuvre n'a été pratiquée avec plus d'audace et d'acharnement qu'aujourd'hui. Des rumeurs de toute nature sont propagées avec une activité systématique, par toutes les voies publiques ou secrète, dans le dessein d'inquiéter le pays sur les relations du Gouvernement avec les puissances étrangères, et sur le maintien de la paix, ce bien inestimable qui lui est plus que jamais cher, après tant de malheurs. Il faut démasquer à tout prix cette conspiration de la calomnie, qui se fait un jeu de paralyser les affaires, d'arrêter l'élan de la prospérité publique, au risque d'amener elle-même les dangers dont elle menace. Car rien ne serait plus propre à troubler nos bons rapports avec les nations alliées, que de faire croire, contrairement à toute vérité, qu'il existe en France une secte ou un parti assez criminel pour vouloir déchaîner sur l'Europe les maux d'une nouvelle guerre.
Vous êtes muni contre ces fausses interprétations de toutes les armes nécessaires. L'article 15 non abrogé du décret du 17 février 1852 punit la propagation de fausses nouvelles, de peines dont la sévérité s'accroît quand le délit est commis de mauvaise foi et peut avoir pour conséquence de troubler la paix publique. Vous en assurerez l'exécution et vous ne laisserez pas oublier que ce n'est pas seulement la fausse nouvelle propagée, par la voie de la presse qui tombe sous l'application de la loi, mais que sous quelque forme que le mensonge se produise, dès qu'il est proféré publiquement, il peut être puni.
Tels sont, monsieur le procureur général, les devoirs particuliers auxquels je vous recommande de rester attaché, dans la situation présente. En les remplissant avec son zèle accoutumé, la magistrature française s'attirera peut-être, de la part des partis que gêne son action tutélaire, le redoublement des attaques auxquelles nous venons tout récemment de la voir en butte. Cette perspective, j'en suis sûr, ne l'arrêtera pas. Et quant à moi, placé à sa tête, sans avoir l'honneur de lui appartenir, par la confiance de M. le Président de la République, ce sera mon devoir de la défendre et de lui rendre en toute occasion le témoignage qu'elle mérite. C'est une tâche à laquelle je ne faillirai pas.
Recevez, monsieur le procureur général, l'assurance de ma considération très-distinguée.
M. Louis Passy, sous-secrétaire d'État du ministère des finances, a remis sa démission entre les mains de M. le Président de la République, qui l'a acceptée.
Le ministre de la marine et des colonies recevra le mardi 29 mai, à neuf heures, à l'hôtel du ministère, à Paris.