Protestation des journalistes du 27 juillet 1830 - Archives parlementaires, t. LXI.


Mavida M.J., Laurent M.L. (dir.), Archives parlementaires de 1787 à 1860, Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, Deuxième série (1800 à 1860), t.LXI, 1886.

Numérisation et relecture des OCR réalisées par la Bibliothèque Cujas

[p.641]

Du 27 juillet 1830.

PROTESTATION DES JOURNALISTES[1].

On a souvent annoncé, depuis six mois, que les lois seraient violées, qu'un coup d'État serait frappé. Le bon sens public se refusait à le croire. Le ministère repoussait cette supposition comme une calomnie. Cependant, le Moniteur a publié enfin ces mémorables ordonnances qui sont la plus éclatante violation des lois. Le régime légal est donc interrompu : celui de la force est commencé.

Les raisons sur lesquelles ils s'appuient sont telles, qu'il suffit de les énoncer.

Les matières qui règlent les ordonnances publiées aujourd'hui sont de celles sur lesquelles l'autorité royale ne peut, d'après la Charte, prononcer toute seule. La Charte (art. 8) dit que les Français, en matière de presse, seront tenus de se conformer aux lois; elle ne dit pas aux ordonnances. La Charte (art. 35) dit que l'organisation des collèges électoraux sera réglée par les lois; elle ne dit pas par les ordonnances.

La Couronne avait elle-même, jusqu'ici, reconnu ces articles; elle n'avait point songé à s'armer contre eux, soit d'un prétendu pouvoir constituant, soit du pouvoir faussement attribué à l'article 14.

Toutes les fois, en effet, que des circonstances, prétendues graves, lui ont paru exiger une modification, soit au régime de la presse, soit au régime électoral, elle a eu recours aux deux Chambres. Lorsqu'il a fallu modifier la Charte pour établir la septennalité et le renouvellement intégral, elle a eu recours non à elle-même, comme auteur de cette Charte, mais aux Chambres.

La royauté a donc reconnu, pratiqué elle-même ces articles 8 et 35 et ne s'est arrogé, à leur égard, ni une autorité constituante, ni une autorité dictatoriale qui n'existent nulle part.

Les tribunaux qui ont droit d'interprétation ont solennellement reconnu ces mêmes principes. La Cour royale de Paris et plusieurs autres ont condamné les publications de l'association bretonne comme auteur d'outrage envers le gouvernement. Elle a considéré comme un outrage la supposition que le gouvernement pût employer l'autorité des ordonnances, là où l'autorité de la loi peut seule être admise.

Ainsi, le texte formel de la Charte, la pratique suivie jusqu'ici par la Couronne, les décisions des tribunaux, établissent qu'en matière de presse et d'organisation électorale, les lois, c'est-à-dire le roi et les Chambres, peuvent seuls statuer.

Aujourd'hui donc, le gouvernement a violé la légalité. Nous sommes dispensés d'obéir. Nous essayons de publier nos feuilles sans demander l'autorisation qui nous est imposée. Nous ferons nos efforts pour qu'aujourd'hui, au moins, elles puissent arriver à toute la France.

Voilà ce que notre devoir de citoyens nous impose, et nous le remplirons.

Nous n'avons pas à tracer ses devoirs à la Chambre illégalement dissoute; mais nous pouvons la supplier, au nom de la France, de s'appuyer sur son droit évident et de résister autant qu'il sera en elle à la violation des lois. Ce droit est aussi certain que celui sur lequel nous nous appuyons. La Charte dit, article 50, que le roi peut dissoudre la Chambre des députés ; mais il faut pour cela qu'elle ait été réunie, constituée en Chambre; qu'elle ait soutenu enfin un système capable de provoquer sa dissolution; mais, avant la réunion et la constitution de la Chambre, il n'y a que des élections faites. Or, nulle part la Charte ne dit que le roi peut casser les élections. Les ordonnances publiées aujourd'hui ne font que casser des élections; elles sont donc illégales, car elles font une chose que la Charte n'autorise pas.

Les députés élus, convoqués, pour le 3 août, sont donc bien et dûment élus et convoqués. Leur droit est le même aujourd'hui qu'hier. La [p.642] France les supplie de ne pas l'oublier. Tout ce qu'ils pourront pour faire prévaloir le droit, ils le doivent.

Le gouvernement a perdu aujourd'hui le caractère de légalité qui commande l'obéissance. Nous lui résisterons pour ce qui nous concerne. C'est à la France à juger jusqu'où doit s'étendre sa propre résistance.

Ont signé les gérants et rédacteurs des journaux, actuellement présents à Paris :

MM. Gauja, gérant du National.

Thiers, Mignet, Carrel, Chambolle, Peysse, Albert Stapfer, Dubochet, Rolle, rédacteurs du National.

Leroux, gérant du Globe.

De Guizard, rédacteur du Globe.

Sarrans jeune, gérant du Courrier des électeurs.

B. Dejean, rédacteur du Globe.

Guyet, Moussette, rédacteurs du Courrier Français.

Auguste Fabre, rédacteur en chef de la Tribune des départements.

Année, rédacteur du Constitutionnel.

Cauchois-Lemaire, rédacteur du Constitutionnel.

Senty, Haussmann, rédacteurs du Temps.

Avenel, rédacteur du Courrier Français.

Dussard, rédacteur du Temps.

Levasseur, rédacteur de la Révolution.

Evariste Dumoulin, rédacteur du Constitutionnel.

Alexis de Jussieu, rédacteur du Courrier Français.

Châtelain, gérant du Courrier Français.

Plagnol, rédacteur en chef de la Révolution.

Fazy, rédacteur de la Révolution.

Buroni, Barbaroux, rédacteurs du Temps.

Chalas, A. Billiard, rédacteurs du Temps.

Ader, rédacteur de la Tribune des départements.

F. Larréguy, rédacteur du Journal du Commerce.

J.-F. Dupont, avocat, rédacteur du Courrier Français.

Ch. de Rémusat, rédacteur du Globe.

V. de Lapelouze, l'un des gérants du Courrier Français.

Bohain, N. Roqueplan, rédacteurs du Figaro.

Coste, gérant du Temps.

J.-J. Baude, rédacteur du Temps.

Bert, gérant du Journal du Commerce.

Léon Pilet, gérant du Journal de Paris.

Vaillant, gérant du Sylphe.