28 brumaire an II (18 novembre 1793).
(Extraits.)
Citoyens, dans la séance du 19 du mois dernier, vous avez jeté les bases d'un gouvernement préparatoire et révolutionnaire. Il vous manque encore le complément de cette mesure. Il vous manque cette force coactive qui est le principe de l'existence, du mouvement et de l'exécution...
Fixez vos regards sur toutes les parties de la France, et partout vous apercevrez les lois sans vigueur ; vous verrez même que plusieurs n'arrivent point aux administrations et que le surplus leur parvient si tard que souvent l'objet en est atténué. Vous distinguerez une apathie égale chez tous les agents du gouvernement ; en un mot, vous serez effrayés en apprenant qu'il n'y a que les décrets ou favorables à l'ambition des autorités constituées ou d'un effet propre à créer des mécontents, qui soient mis à exécution avec une ponctualité aussi accélérée que machiavélique. Vainement avez-vous payé la dette la plus sacrée de la nation en tendant une main bienfaisante aux pères, aux femmes, aux enfants des généreux défenseurs de la patrie : ce soulagement est réparti avec des lenteurs, des formalités, des préférences qui le rendent nul pour un très grand nombre. En vain, cédant à-un juste sentiment d'humanité, avez-vous songé à soustraire l'indigence aux horreurs du besoin : de toutes parts, la mendicité abandonnée étale constamment le spectacle douloureux de ses infirmités et ne doit.sa triste existence qu'à la commisération qu'elle excite dans le cœur navré des passants. Les décrets sur les accaparements tombent insensiblement en désuétude, parce qu'ils frappent sur l'avidité des riches marchands, dont la plupart sont aussi administrateurs. La même cause a rendu les lois sur les subsistances toujours insuffisantes, souvent meurtrières, en empêchant qu'elles aient une exécution uniforme et générale. Ainsi, dans une République, l'intérêt particulier continue d'être seul le mobile de l'action civile, et les leviers du gouvernement agissent plutôt pour ceux qui les meuvent que pour le peuple, qu'on semble vouloir dégoûter de sa liberté, en le privant sans cesse des bienfaits de la Révolution...
Si, jusqu'à ce jour la responsabilité des fonctionnaires publics n'eût pas été un vain mot, eût-on vu tant de désordres, tant d'abus, tant de trahisons se succéder et prendre toutes naissance au sein des autorités constituées ? N'est-ce pas l'impunité acquise aux membres des départements coalisés avec le tyran pour redonner des fers à leur patrie, qui a encouragé leurs successeurs à méditer une conspiration plus hardie le fédéralisme, qui eût fait des départements autant de principautés, et des administrateurs autant de potentats ? Après la journée du 10 août, vainement a-t-on ordonné le renouvellement des autorités constituées : on a changé les personnes, mais le même esprit d'ambition, de domination, de perfidie s'est perpétué, il s’est même agrandi...
Ne vous le dissimulez pas, citoyens, c'est là le danger qui menace le plus imminemment la République. Tous les efforts combinés des puissances de l'Europe n'ont point autant compromis la liberté et la patrie que la faction des fédéralistes... Cependant, l'on n'a ni puni le plus grand nombre des coupables, ni même totalement épuré les administrations. Ce sont les hommes qui avaient projeté entre eux de dépecer la France pour se la partager, qui se trouvent encore investis de l'autorité dans les départements ; de là une continuité de perfidie de la part des plus malveillants, afin de pouvoir s'échapper avec plus de certitude à travers le trouble et le chaos ; de là une indifférence et un abandon absolu de la part des hommes qui, moins pervers et moins coupables, ont pourtant des reproches à se faire et qui attendent dans l'inertie leur prochaine destitution ; de là une paralysie totale dans les développements de l'administration et, par suite, un engorgement qui rend tous les mouvements pénibles, partiels, momentanés et convulsifs.
Peut-être aussi une organisation vicieuse .a-t-elle beaucoup contribué à tant de désordres et fomenté tant de conjurations. Nous avons décrété la République, et nous sommes encore organisés en monarchie. La tête du monstre est abattue, mais le tronc survit toujours avec ses formes défectueuses...
... La meilleure constitution civile est celle la plus rapprochée des procédés de la nature, qui n'admet elle-même que trois principes dans ses mouvements : la volonté pulsatrice, l'être que cette volonté vivifie, et l'action de cet individu sur les objets environnants. Ainsi, tout bon gouvernement doit avoir un centre de volonté, des leviers qui s'y rattachent immédiatement et des corps secondaires sur qui agissent ces leviers, afin d'étendre le mouvement jusqu'aux dernières extrémités. Par cette précision, l'action ne perd rien de sa force ni de sa direction dans une communication et plus rapide et mieux réglée. Tout ce qui est au delà devient exubérant, parasite, sans vigueur et sans unité.
Quand l'Assemblée constituante, vendue à une cour corruptrice, trompa si facilement une nation trop novice en lui persuadant que la liberté pouvait s'unir au royalisme, il ne fut pas étonnant de lui voir adopter le système d’un gouvernement complexe. On créa donc alors deux centres principaux : le corps législatif et le pouvoir exécutif ; mais on n'oublia pas d'établir ce dernier l'unique mobile de l'action, et de neutraliser l'autre en lui ôtant toute direction, toute surveillance, même immédiate, sur l’ensemble ; comme si celui qui a concouru le plus directement à la formation de la loi, étant plus intéressé que qui que ce soit au succès de son ouvrage, ne devait pas déployer naturellement et exclusivement l'ardeur et l'activité la plus soutenue pour en assurer l'exécution !
Cependant les auteurs de ce plan machiavélique eurent grand soin de lui donner la plus vaste latitude ; et non seulement la force publique fut mise toute entière entre les mains du monarque, mais on acheva d'enlever aux législatures toute puissance de contrepoids et tout moyen d'arrêt, en les plaçant à une distance incommensurable du peuple, par cette multitude d'obstacles qu'oppose à chaque pas la filière hiérarchique des autorités intermédiaires...
Ce qui s'offre d'abord sous la main réformatrice est une agence d’exécution concentrant en elle seule la direction de tous les mouvements du corps politique et tout l'ascendant qui dérive du droit de nommer aux places les plus importantes et les plus lucratives. C'est une éponge, c'est un aimant politique attirant bientôt tout à soi et qui, avec un homme dont les talents répondront à l'ambition dominatrice, peut métamorphoser le valet en maître usurpateur d'autant plus aisément qu'il aura toute facilité pour exténuer, pour paralyser le corps législatif par la seule force d'inertie. Conserver au centre d'une république le piédestal de la royauté avec tous ses attributs liberticides, c'est offrir à qui osera s'y placer la pierre d'attente du despotisme.
Quoi qu'il en soit, vous aurez beaucoup retranché de l'apanage monarchique du Conseil exécutif, v.ous aurez même beaucoup facilité le développement de ce qu'il y a d'utile dans ses opérations si, par un nouveau mode d'envoi des décrets, il cesse d'être chargé de leur expédition. Tant que les lois, pour avoir leur pleine exécution, passeront par l'interposition successive des autorités secondaires, chacune d'elles se rendra tour à tour l'arbitre suprême de la législation, et la première qui reçoit exclusivement une loi au moment où elle vient d'être rendue, est sans doute une autorité plus puissante que le législateur, puisqu'elle peut à son gré en suspendre et en arrêter l'exécution, et par conséquent en détruire entièrement l'effet et l'existence. Rappelez-vous que la monarchie constitutionnelle n'a été sur le point d'opérer la contre-révolution qu'en se tenant dans une inaction absolue...
Les autorités intermédiaires, profitant de cette leçon machiavélique et voulant atteindre au même but, se sont permis elles-mêmes de juger la loi avant de la transmettre. Sûres que les pouvoirs qui leur sont inférieurs ne peuvent la recevoir que de leur main, si cette loi blesse leur intérêt particulier ou contrarie leurs vues ambitieuses, dès lors elles ne balancent plus à la retenir pour l'annuler. Tel fut le moyen perfide employé par les administrateurs fédéralistes des départements afin de briser les nœuds sacrés qui unissent la nation à ses représentants. Les scélérats, en dérobant au peuple la connaissance de vos décrets avant et depuis le 31 mai, étaient parvenus à lui faire croire que la Convention ne s'occupait aucunement des intérêts de la patrie, tandis que, depuis le 2 juin surtout, jamais aucune assemblée nationale ne fit des lois ni plus populaires, ni plus bienfaisantes, ni plus politiques, ni plus propres à réaliser la prospérité de l’État et le soulagement des malheureux.
Ce résultat funeste sera toujours à redouter, tant que la complication organique du gouvernement relâchera le nerf directeur qui, pour être bien tendu, doit sans interruption et avec un seul support mitoyen, aller du centre se rattacher à la circonférence, au lieu d'aboutir à un premier centre unique, d'où partent d'autres fils qui vont se renouer à d’autres centres intermédiaires et qui se subdivisent encore deux fois avant de joindre les extrémités. C'est ce qu'éprouve la circulation du mouvement, en passant par les ramifications successives du Conseil exécutif des départements, des districts et des municipalités.
C'est une vieille erreur, propagée par l'impéritie et combattue par l'expérience, que de croire qu'il devient nécessaire dans un vaste État de doubler les forces par la multiplicité des leviers. Il est au contraire démontré à tout observateur politique que, chaque graduation devenant un repos arrestateur, l'impulsion première décroît à proportion des stations qu'elle rencontre dans sa course. N'y aurait-il que l'inconvénient d'élever autant de barrières entre les représentants du peuple et le peuple lui-même qu'il existe d'autorités intermédiaires, que cet inconvénient serait le premier vice à extirper pour rendre au corps législatif toute sa force. Sans cela ce n'est plus le corps législatif qui parle directement à la nation, mais ceux qui se rendent son organe, qui s'approprient ses décrets, qui reçoivent immédiatement les réclamations, qui distribuent eux-mêmes les bienfaits de la patrie et qui, dans chaque arrondissement, placés à la cime de la hiérarchie des pouvoirs, éclipsent par leur seule élévation la représentation nationale ; d'où naissent naturellement l'espoir et la tentative de l'anéantir. Tel fut le crime des départements.
Cet ordre de choses est donc, sous tous les rapports, désorganisateur de l'harmonie sociale, car il tend également à rompre et l'unité d'action et l'indivisibilité de la République. Ne vous y trompez pas : il est de l'essence de toute autorité centrale à qui le territoire, la population et la cumulation des pouvoirs donnent une consistance assez forte pour exister par elle-même, de tendre sans cesse à l'indépendance par la seule gravitation de sa prépondérance civile. Comment résister à une tentation si impérieuse, quand on trouve sous sa main un gouvernement tout organisé et formé suivant les véritables règles du mouvement : la volonté, l'impulsion et l'action ? Cette scission n'est que l’anneau de la tige à briser, et cette rupture peut s'opérer avec d'autant moins de secousse que, loin de déranger l’équilibre, elle lui restitue tout son aplomb eu rapprochant davantage le principe spontané et moteur des objets sur lesquels ce principe doit agir.
Par le même procédé vous obtiendrez le même résultat. Déjà vous avez senti l'importance de cette opération en liant une correspondance immédiate avec les districts pour les mesures de salut public ; mais pourquoi n'avoir pas étendu cette réforme à toutes les branches d'exécution ? pourquoi en laisser la marche tout à la fois vive et traînante ? Ne sont-ce pas les défectuosités partielles et incohérentes qui détériorent bientôt ce qu'on a réparé ? Sans la perfectibilité de l'ensemble, on ne doit compter sur aucun succès...
Votre Comité de salut public vous propose donc une de ces expériences dont la réussite vous servira de modèle pour la rédaction du code organique de la Constitution, afin d'en effacer les vestiges vicieux que le pli de l'habitude ou la faiblesse attachée à des considérations particulières pourraient encore y avoir conservés…
… Voici donc une nouvelle direction à suivre dans l'impulsion primitive du gouvernement, qui doit reprendre toute son élasticité en se trouvant à la fin dégagé de ces formes lentes, tortueuses et suspensives, inséparables de l'envoi et de l'enregistrement hiérarchiques des lois. Ordonnez que leur promulgation consistera désormais dans une publicité authentique. Décrétez qu'il y aura un Bulletin exclusivement consacré à la notification des lois, une imprimerie montée pour ce Bulletin et une commission dont les membres seront personnellement responsables, sous la surveillance du Comité de salut public, pour suivre l'impression et pour faire les envois ; un papier, d'une fabrication particulière, avec un timbre et des contreseings, afin de prévenir les contrefaçons ; un envoi direct à toutes les autorités chargées de l'inspection immédiate et de l'exécution ; en un mot, des peines sévères contre les faussaires et contre les négligences dans l'expédition des lois, et vous aurez trouvé un mode d'envoi simple, facile, prompt, sûr et même extrêmement économique. Cette mesure est simple, puisqu'elle fait disparaître tant de hors-d’œuvre intermédiaires, pour ne plus laisser aucune séparation entre le législateur et le peuple. Elle est facile, parce que tout est déjà créé pour son exécution. Elle est sûre, dès que la responsabilité porte sur les membres d'une commission sans autorité, sans influence politique et dont le travail est un mécanisme purement matériel. Elle est prompte, car il ne faut que neuf jours par la poste pour l'arrivée dans les municipalités les plus éloignées. Enfin elle est économique, puisque l'impression des décrets coûte maintenant quinze millions par an et que tous les frais de ce Bulletin ne dépasseront pas quatre millions...
Mais ce ne serait point assez d'accélérer et d'assurer l'envoi et la réception des lois, si vous n'acheviez pas d'y mettre la dernière main en faisant coïncider leur exécution par une réaction aussi forcée, aussi vive, aussi directe, aussi exacte que l'action elle-même. Pour y parvenir, vous devez déterminer la nature et la circonscription des autorités secondaires afin de fixer leur classification, de préciser leurs rapports et de régler leur mouvement. L'exemple récent qui a laissé des traces si profondes de fédéralisme et de contre-révolution, nous avertit assez qu'il faut changer entièrement l'organisation des départements. Pour peu qu'ils conservent dans leur dépendance les districts et les municipalités, ils parviendront sans peine à les comprimer sous le poids de leur autorité, ne fût-ce que par l'effet de leur rapprochement immédiat : le pouvoir, comme les corps solides, acquiert de la pesanteur par la proximité. Mais en retranchant de leur essence tout ce qui appartient à l'action du gouvernement, ce sera anéantir leur influence politique, évidemment destructive de l'unité dans les opérations de l'indivisibilité du territoire, et de la liberté, fondée sur ces deux bases.
Au reste, une autre carrière peut être ouverte aux départements, et la patrie les appelle à lui rendre les plus importants services dans une partie d'administration très essentielle et jusqu'à ce jour trop négligée, parce qu'aucune autorité n'en a encore été chargée spécialement : c'est celle des contributions et des établissements publics. Les contributions son les sources vivifiantes de l'État ; les établissements publics sont les canaux fertiliseurs de l'agriculture, du commerce et de l'industrie. Les contributions, pour être réparties avec impartialité entre chaque district et perçues exactement, exigent que ceux chargés de cette opération soient placés à une certaine distance des personnes, des choses et des lieux : sans cela, l'on est influencé par les condescendances, les préventions, les spéculations de localités, en un mot par toutes les passions qui obsèdent les hommes, et surtout les hommes en place. Il est donc sage de les isoler par l'éloignement, quand ils ont à calquer la prospérité publique sur le décompte de l'égoïsme et sur les calculs croisés de l'intérêt particulier. Or, sous ce point de vue, les départements paraissent l'autorité la plus propre à ce genre d'administration. D'un autre côté, les manufactures, les grandes routes, les canaux devant être distribués de manière que chaque point de la France en retire son propre avantage, la direction de ces établissements publics exige aussi qu'on soit inaccessible aux préférences, qu'on allie beaucoup de zèle à beaucoup d'activité et qu'on connaisse dans son arrondissement les productions de chaque canton, son genre d'industrie, sa position et sa température. Il faut donc que les sujets appliqués à un travail non moins vaste que difficile soient choisis dans un plus grand cercle, afin de pouvoir en trouver plus aisément qui réunissent les talents et les connaissances nécessaires : c'est encore ce que l'étendue de chaque département présente dans une juste proportion. Ainsi rendue à sa véritable destination, la partie purement administrative, cette institution deviendra aussi utile qu'elle a été liberticide quand, agent principal de l'action du gouvernement, elle a profité de l'usage de cette puissance pour s'en rendre usurpatrice.
Vous n'avez pas à redouter les mêmes tentatives de la part des districts : placés immédiatement entre l'autorité imposante de la Convention et l'intensité des municipalités, ils n'ont que la force strictement nécessaire pour assurer l'exécution de la lui. La circonscription des districts est trop restreinte pour leur procurer jamais un ascendant extensif. Leur rivalité mutuelle basée sur l’intérêt particulier de ceux : d'un même département, est une chaîne de plus qui s'y oppose ; leur existence dépend de l'union parfaite de toutes les parties : séparés de l'ensemble ils deviennent trop faibles et ne peuvent rien ; ce n'est qu'intimement attachés au centre qu'ils se trouvent tout puissants par la force que leur communique l'autorité du législateur. À le bien prendre, ce sont des leviers d'exécution tels qu'il en faut : passifs dans les mains de la puissance qui les meut, et devenant sans vie et sans mouvement dès qu'ils ne reçoivent plus l'impulsion. Leur exiguïté même rend leur dépendance plus positive et leur responsabilité plus réelle. Qu'ils soient donc chargés de suivre l'action du gouvernement sous l'impulsion immédiate de la Convention, et que les municipalités et les comités de surveillance fassent exécuter les lois révolutionnaires en en rendant compte à leur district : Voilà la véritable hiérarchie, que vous devez admettre également pour les lois militaires, administratives, civiles et criminelles, en chargeant de leur direction le Conseil exécutif et de leur exécution les généraux, les agents militaires, les départements et les tribunaux, chacun suivant sa partie. Par ce mode si simple d’exécution, l'intention du législateur ne s'affaiblit point dans la transition graduelle de plusieurs centralités; les rapports du gouvernement sont directs et précis, son action recouvre toute sa vigueur en s'étendant à tout par une surveillance sans intermédiaire ; et chaque autorité se dirige moins difficilement vers le bien public, ayant une sphère plus proportionnelle et mieux déterminée.
Cependant il ne suffirait pas d’en avoir tracé le cercle, s'il était encore possible de le franchir. Un abus né de la Révolution a permis à la faiblesse des autorités naissantes d'effectuer des rapprochements pour se concerter ensemble et de confondre leurs pouvoirs afin de se fortifier davantage. De là pourtant plus d’ensemble dans les mesures et plus de règles dans les moyens. De là l'oubli des décrets pour y substituer les arrêtés des corps administratifs ; de là l'usurpation du pouvoir législatif et l'esprit de fédéralisme. Il est de principe que, pour conserver au corps social son indivisibilité et son énergie, il faut que toutes les émanations de la force publique soient exclusivement puisées à la source. Ainsi les autorités qui se réunissent et qui se ronflent pour ainsi dire en une seule, ou qui délèguent des commissaires pour composer des assemblées centrales, sous le prétexte de s'aider et de se soutenir mutuellement, forment une coalition dangereuse parce qu'elle dérange l'unité des combinaisons générales, qu'elle fait perdre de vue les lois révolutionnaires et qu'elle donne insensiblement l’habitude de se passer du centre de l’action. Ce sont des membres qui veulent agir sans la direction de la tête. C'est ainsi qu'on crée une anarchie légale et qu'on réalise le chaos politique qui provoque des déchirements éversifs et qui exténue l'ensemble par des efforts ou partiels ou qui se contrarient sans cesse.
Dès que la centralité législative cesse d'être le pivot du gouvernement l'édifice manque par sa principale base et s'écroule infailliblement.
Ces congrès ont une influence si funeste que les sociétés populaires elles-mêmes, en se prêtant à de pareilles réunions, n'ont pas été exemptes de cette teinte fédéraliste devenue la couleur favorite des intrigants qui se rendent trop aisément les meneurs de ces assemblées... Mais quand le gouvernement, reprenant enfin une attitude ferme, a su établir l'harmonie,... le commissariat se trouve restitué à l'objet de son institution ; ... le commissariat n'embrassant plus jusqu'aux moindres détails de l'administration, les missions moins fréquentes rendent les choix plus faciles... Peut-être... a-t-on oublié qu'en bonne politique, des causes majeures doivent seules motiver le déplacement du législateur. Qui se prodigue trop perd bientôt de sa dignité clans l'opinion publique. Enfin, des absences moins prolongées n'émousseront pas cette vigueur et ce tact politique qu'entretiennent et qu'électrisent ici le choc lumineux de la discussion et le développement des grands principes. Celui qui demeure longtemps éloigné de la Convention doit s'apercevoir qu'il n'est plus en mesure et qu'il a besoin de venir se retremper à ce foyer de lumières et d'enthousiasme civique. En un mot, chaque partie du gouvernement reprenant son équilibre et son aplomb, ce nouvel ordre de choses conduira nécessairement à l'extinction de toutes les autorités hétérogènes, qu'on peut assimiler aux topiques, qui ne suppléent la nature qu'à force de l'épuiser…
... Vous qui avez juré de conserver la République, vous qui devez la vouloir, parce que le peuple vous l'ordonne, pénétrez-vous bien de cette maxime, méconnue jusqu'à ce jour, et qui est pourtant le sceau de la liberté : c'est que les lois doivent être plus impératives et plus sévères pour ceux qui gouvernent que pour ceux qui sont gouvernés ; car il ne faut au peuple en masse qu'une impulsion donnée et conforme à l'intérêt de tous, tandis que pour le fonctionnaire public, tiré hors de ligne, on doit combiner une direction tout à la foi motrice et compressive...
... La régénération d'un peuple doit commencer par les hommes les plus en évidence, non pas seulement parce qu'ils doivent l'exemple, mais parce qu'avec des passions plus électrisées, ils forment toujours la classe la moins pure, surtout dans le passage d'un long état de servitude au règne de la liberté...
... On nous accusa d'être anarchistes. Prouvons que c'est une calomnie, en substituant spontanément l’action des lois révolutionnaires aux oscillations continuelles de tant d'intérêts, de combinaisons, de volontés, de passions qui s'entrechoquent et qui déchirent le sein de la patrie. Certes, ce gouvernement ne sera pas la main de fer du despotisme, mais le règne de la justice et de la raison. Ce gouvernement sera terrible pour les conspirateurs, coercitif envers les agents publics, sévère pour leurs prévarications. redoutable aux méchants, protecteur des opprimés, inexorable aux oppresseurs, favorable aux patriotes, bienfaisant pour le peuple. C'est ainsi qu'à l'avenir tous vos décrets, que toutes les lois n'auront plus d'autre effet que de maintenir la République dans toute son intégrité, que de vérifier la prospérité générale, que de conserver à la Convention toute sa force...