Discussions importantes débattues au Parlement d'Angleterre par les plus célèbres orateurs, tome 2


DISCUSSIONS IMPORTANTES, DÉBATUES AU PARLEMENT D'ANGLETERRE, PAR LES PLUS CÉLÈBRES ORATEURS, Depuis trente ans ; Renfermant un choix de Discours, Motions, Adresses, Répliques, &c. accompagné de Réflexions politiques analogues à la situation de la France, depuis les États-Généraux.
Ouvrage traduit de l'Anglois.
TOME SECOND.
À PARIS,
Chez Maradan &Perlet, Libraires, hôtel de Châteauvieux, rue S. André des Arcs.
1790.

 

[p.1]

 

Table des matières contenues dans ce second volume.

 

Quatrième Section. Du ministère d'Angleterre.

 

Discours de sir Robert Walpole, qui se plaint que la plupart des motions du parlement

déclament contre les ministres et non pour l'avantage de la nation, 1734. ________ 1

Réplique de M. Stippen, 1 734.___________________________________________ 4

Discours de Walpole, sur le refus que l'on fait des subsides demandés pour les frais

de la guerre, 1735.____________________________________________________ 6

Discours déclamatoire du même ; 1738.___________________________________ 8

Invective de M. Pulteney contre Walpole, 1738. ____________________________ 11

Réplique de Walpole, à une invective de M. W. Windham, 1739. _______________ 13

Discours du même, pour inviter ses adversaires à se retirer, 1739. ____________ 15

Discours du comte de Halifax, sur le conseil donné aux pairs, de se mettre au-dessus

de l'opinion du peuple, 1740. ___________________________________________ 16

Discours du comte de Chesterfield, contre le lord Isla, qui prétendoit que les pairs ne

devoient point se mêler ni de la paix, ni de la guerre, 1740. __________________ 20

Discours de M. Fox, contre le ministre ; application, 1775. ___________________ 23

[p.2]

Réplique de lord Sandwich, sur ce qu'on se plaignoit qu'un nombre d'incendiaires

ruinoient les ports, 1777. ______________________________________________ 25

Réplique du lord North, à une injure, 1777. _______________________________ 27

Discours de lord George Gordon, sur l'empressement de lord North à se mêler de tout,

1778. _____________________________________________________________ 29

Discours du lord North, sur quelques imputations avancées contre l'administration,

1778. ______________________________________________________________3o

Discours de M. Fox, dans lequel il accuse les ministres de mauvaise conduite,

1779. _____________________________________________________________ 33

Motion du même, tendant à éloigner des conseils du roi le comte de Sandwich,

1779. _____________________________________________________________ 36

Discours de Sandwich, contre les imputations avancées contre lui, 1779. _______ 39

Réplique du comte de Bristol, à l’apologie de sa conduite, 1779. ______________ 46

Discours du duc de Boston, sur le silence de l'administration à plaider la cause du

ministre de la marine, 1779. ___________________________________________ 49

Discours du duc de Richmont, sur le même sujet, 1779. _____________________ 52

Réplique du ministre de la marine, 1779. _________________________________ 54

Discours du lord Littleton, qui appuie la dénonciation faite à la chambre des pairs,

du premier lord de l'amirauté, 1779. _____________________________________ 55

Discours du comte de Bristol, pour que le comte de Sandwich soit démis de sa place.

Motif, 1779. _________________________________________________________ 64

Réplique du comte de Sandwich, 1779. ___________________________________ 71

Discours de Johnstone, dans lequel il repousse les reproches que lui faisoit M. Fox,

1779. ______________________________________________________________ 73

Discours justificatif du comte de Sandwich, contre le marquis de Rockingham ;

1779. ______________________________________________________________ 75

[p.3]

Discours du comte de Hillsborough, qui accepte les sceaux en qualité de secrétaire

d'état, 1779. ________________________________________________________ 77

Pétition de la municipalité de Nottingham, contre les abus de l'administration,

1780. ______________________________________________________________ 80

Réplique du comte de Sandwich, contre les derniers discours qui l'avoient outragé,

1780. ______________________________________________________________ 85

Discours du marquis de Carmarthen ;raisons de résigner sa place de chambellan

de la reine, 1780. ____________________________________________________ 88

Discours de lord North, sur une accusation intentée contre lui, 1780. ___________ 91

Discours du comte de Shelburne, sur la correspondance entre l'Angleterre et la France,

1780. ______________________________________________________________ 92

Motion du même, pour qu'il soit mis sous les yeux de la chambre plusieurs pièces sur

la situation de l'Europe, 1780. __________________________________________ 94

Discours du vicomte de Stormont, contre les assertions du comte de Shelburne,

1780. _____________________________________________________________ 101

Extrait d'un discours du comte de Richmont, contre les ministres, 1780. ________ 111

 

Cinquième section. Militaire Anglois.

 

Discours de M. Shippen, contre le danger, en tems de paix, d'une augmentation de

troupes de terre, 1724. _______________________________________________ 113

Discours du comte d'Aylesford, contre le bill, pour maintenir une armée nombreuse

en tems de paix, 1732. _______________________________________________ 126

Discours du duc d'Argyle dans lequel il soutient que les armées sur pied n'ont jamais

détruit, la[p.4]liberté des Romains, ni renversé celle de l'Europe, 1733. _______ 128

Discours de M. Pulteney, dans lequel il découvre le secret de l'administration, en

demandant une augmentation dans les troupes, 1735. _____________________ 102

Discours de sir Robert Walpole, qui prétend que la sécurité de la nation dépend de

la tranquillité des peuples voisins, 1735. ________________________________ 134

Réplique de M. Pulteney, au discours précédent, 1735. ____________________ 136

Discours du même, sur le danger d'une armée dans un pays libre, 1735. _____ 138

Discours de M. Walter Plumer, sur le même sujet, 1736. ___________________ 144

Discours de sir John Barnard, sur le même sujet, 1737. ___________________ 145

Diatribe du duc d'Argyle, contre le secrétaire de la guerre, 1740. ___________ 147

Discours du major Selwyn, dans lequel il représente qu'une milice disciplinée seroit

avantageuse, 1746. _______________________________________________ 150

Discours du colonel Conway, sur la subordination dans les armées, et sur la liberté

des troupes de la Grande-Bretagne, 1750. _____________________________ 154

Discours de T. Townshend, sur le danger d'introduire des troupes étrangères,

1775. ___________________________________________________________ 155

Discours militaire, après la bénédiction des drapeaux et le serment d'usage,

1777. ___________________________________________________________ 157

Réplique du colonel Barré à lord Germaine. ____________________________ 163

Réponse de lord Germaine, 1777. ____________________________________ 165

Invectives du colonel Barré contre lord Germaine, 1777. _________________ 167

Discours de M. James Luttrell, sur les désavantages de la guerre d'Amérique,

1777. __________________________________________________________ 170

[p.5]

Invective de M. Fox, contre la dernière catastrophe de l'armée prisonnière,

1777. __________________________________________________________ 177

Discours du gouverneur Pownall, sur l'opposition qu'on devroit mettre au service

des sauvages Indiens, 1778. _______________________________________ 179

Lettre du général John Sullivan, sur la manière atroce dont la Grande-Bretagne fait

la guerre, 1778. _________________________________________________ 181

Réponse du général Pigot, à la lettre précédente. ______________________ 185

Plainte du général Burgoyne, sur une distinction humiliante que faisoit le nouveau

ministre de la guerre, en présentant l'état des forces de terre et de mer,

1778. _________________________________________________________ 187

Réplique du lord Germaine, sur une partie de la plainte précédente, 1778. _ 189

Discours de M. Fox, contre le projet de continuer la guerre, 1778. ________ 191

Réplique du gouverneur Johnstone, au discours précédent, 1778. ________ 194

Discours du colonel Barré, qui annonce un plan à limiter le tems du service des

soldats, 1779. __________________________________________________ 198

Discours de M. Fox, contre les ministres. Détails, 1779. _________________ 200

Discours de sir Philip Jenning Clerke, contre les pouvoirs donnés aux conseils

de guerre, 1779 _________________________________________________ 205

Discours de M. Fox, sur le doublement des milices, et contre les ministres,

1779. __________________________________________________________ 207

Discours de M. Sawbridge, qui appuie l'inculpation de trahison de lord North,

1779. __________________________________________________________ 210

Réplique du lord North, au discours précédent, 1779. ___________________ 214

[p.6]

Discours du duc de Richmont, sur les bills, pour le doublement des milices,

et éloigner les difficultés dans la manière de fournir des hommes à la marine,

1779. __________________________________________________________ 219

Discours de M. Fox, sur le manque d'unanimité dans le conseil-privé et dans

la chambre, 1779. ________________________________________________ 228

Réplique du lord North, au discours précédent, 1779. ____________________ 232

Discours de M. T. Townshend, sur les emplois militaires donnés à des nouveaux

parvenus, 1780. __________________________________________________ 235

Proclamation du brigadier-général Arnold à l'armée continentale, déterminée à

ne plus être victime du Congrès ou de la France, 1780. ___________________ 237

Discours de M. T. Townshend, sur la négligence du ministre, 1780. _________ 241

Réplique de lord North au discours précédent ; nécessité de continuer la guerre

d'Amérique, 1780. _________________________________________________ 244

Réplique du colonel Barré à M. Jenkinson, sur ce qu'on ne devoit pas donner à l'ennemi

l'état exact des forces intérieures du royaume, 1780. _____________________ 246

 

Sixième section. Marine d'Angleterre.

 

Discours de sir George Saville, contre le nouveau bill, pour la presse des matelots,

1779. ___________________________________________________________ 249

Discours du duc de Richmont, pour prendre en considération l'état où étoit Plymouth,

1780. ___________________________________________________________ 253

[p.7]

Discours du comte de Pembrocke, secondant la motion du duc de Richmont,

1780. ___________________________________________________________ 257

Discours de lord Townshend, dans lequel il déclare être d'un avis contraire. Raisons,

1780.____________________________________________________________ 259

Motion de lord Percy, tendante à présenter une adresse de remercîmens au roi,

1777. ___________________________________________________________ 261

Réplique de lord Conventry au discours précédent, contre la guerre d'Amérique,

1777. ___________________________________________________________ 262

Discours du comte de Chatham sur le même objet, 1777. ________________ 266

Réplique de lord Sandwichau discours précédent, 1777. __________________ 277

Réplique du comte Abingdon au discours précédent, 1777. _______________ 288

Discours du lord Shelburne, sur le même objet, 1777. __________________ 290

Discours du lord Suffolk, contre la motion dit comte Chatham, 1777. ______ 299

Réplique du comte Chatham, 1777. _________________________________ 301

Lord Osborne se déclare contre la motion du comte de Chatham, 1777. ___ 302

Discours du duc de Grafton, sur le même objet, 1777. _________________ 304

Lord Cambden, remonte à l'origine de la guerre d'Amérique, pour prouver que

ce sont les ministres qui l'ont provoquée, 1777. ______________________ 310

Réplique de lord Weymouth, au duc de Grafton, qui l'avoit compromis dans

son discours, 1777._____________________________________________ 318

Résolution de la compagnie des Indes orientales._____________________ 320

[p.8]

 

Septième section. Du commerce d'Angleterre.

 

Discours de sir John Barnard, qui voudroit que dans l'assise des nouvelles taxes,

on ne les portât que sur les maîtres de manufactures, 1737. ____________ 325

Discours de M. Pulteney, sur le commerce et la navigation, dont la protection

a été chez tous les peuples un objet important, 1738. __________________ 327

Discours de sir George Blaquière, sur les avantages du bill, tendant à naturaliser

tous les étrangers domiciliés dans ce royaume, 1780. __________________ 328

Extrait de quelques débats entre MM. Eden et Burke, 1780. _____________ 330

Instructions arrêtées dans une assemblée de francs-tenanciers, 1780. ____ 334

Réponse de M. Luke Gardiner et de sir Edward Newenham, à leurs constituans,

1780. ________________________________________________________ 336

Réponse de sir Newenham, au même, 1780. ________________________ 338

Discours de M. Fox, contre une motion de lord North, 1780. ____________ 340

Discours de M. Burke, sur le même sujet, 1780. _____________________ 343

Autre du général Smith, sur le même sujet, 1780. ___________________ 346

Harangue de M. Fitzgerald aux actionnaires de la compagnie des Indes

occidentales, 1780. ____________________________________________ 348

Adresse des habitans du Bengale, aux actionnaires, 1780. ____________ 350

Discours du général Smith, aux actionnaires assemblés pour nommer un

successeur à sir T.[p.9]Rumbold. Tableau allarmant de la situation des choses

dans l'Inde, 1780. ____________________________________________ 353

 

Huitième section. Finances d'Angleterre.

 

Réplique de M. Syppen à la motion de Walpole, tendante à assurer au roi

un revenu plus considérable que celui de son prédécesseur. Détails curieux,

1727. ______________________________________________________ 359

Discours de lord Carteret, sur la mauvaise administration de la caisse

d'amortissement, 1733. _______________________________________ 373

Réplique du duc de Newcastle, dans laquelle il veut prouver que le nouveau

bill sera avantageux aux créanciers de l'état, 1733. ________________ 377

Discours de M. William Palteney, qui ne voudroit pas qu'on hasardât des

pétitions, sans en donner des raisons satisfaisantes, 1734. __________ 379

Plaintes de sir William Wyndham, contre l'administration, 1735. ______ 384

Demande de nouveaux subsides de la part de sa majesté, 1777. _____ 386

Invectives du marquis de Rockingham, contre l'emploi des sommes

consacrées au service secret, 1777. ____________________________ 387

Discours du duc de Grafton, sur les subsides demandés par le roi,

1777. _____________________________________________________ 388

Discours de M. Wilkes, tendant à ne point augmenter les revenus du roi,

1777. _____________________________________________________ 390

Harangue de l'orateur des communes au roi, dans laquelle il lui annonce

une somme pour liquider les dettes de la liste civile. _______________ 404

[p.10]

Discours de M. Burke, sur l'énormité des sommes employées et qu'on

demande, 1779. ____________________________________________ 405

Message de sa majesté, qui demande des subsides pour le service

militaire, 1779. _____________________________________________ 419

Discours du procureur-général, sur la durée des bills pécuniaires,

1779. _____________________________________________________ 420

Discours de sir Charles Bunbury, sur les subsides demandés, 1779. __ 421

Discours de M. Fox, contre l'augmentation des dépenses nationales,

1779. ____________________________________________________ 425

Discours de M. Burke, sur les finances ; comparaison, 1779. _______ 436

Pétition de tous les ordres, pour le redressement des griefs qui ruinent

la nation. Moyens, 1780. ____________________________________ 442

Fragment d'un discours de M. Burke, sur son bill, 1780. ___________ 446

Discours de M. Fox, sur le même sujet, 1780. ___________________ 448

Discours de M. David Harthley, sur la somme à accorder au Gouvernement,

1780. ____________________________________________________ 452

Discours de M. Luttrell, contre les abus du service extraordinaire de la marine.

Détails, 1780. _____________________________________________ 454

Murmures de sir Charles Bunbury, contre les taxes, 1780. _________ 459

Message du roi, pour un subside, 1780._________________________ 460

Extrait du discours de M. Fox ;il propose de tourner les armes contre

les François, 1780. _________________________________________ 461

Réplique de lord Germaine à M. Fox.___________________________ 478

Fin de la table du tome second.

[p.1]

 

Discussions importantes, tirées du Parlement d'Angleterre.

 

Quatrième section. Du ministère d'Angleterre.

 

Discours de sir Robert Walpole. Il se plaint avec beaucoup d'aigreur de ce que la plupart des motions sont plutôt combinées pour fournir aux Membres du Parlement une occasion de déclamer contre les Ministres de Sa Majesté, que pour l'avantage de la Chambre & de la Nation.

 

Du 23 Janvier 1734.

Je me lève pour être en partie de l'avis de l'honorable membre qui vient de parler. Si nous sommes présentement dans une fâcheuse position, & si plusieurs des personnes ici assemblées ne pensent autre chose, sinon que cette situation[p.2]est due à la mauvaise administration des ministres, mon avis est que quiconque pense de la sorte, doit opiner pour que la chambre fasse les enquêtes nécessaires à ce sujet, & pour qu'elle indique un comité sur les affaires de l'état. D'après cette enquête, je m'en rapporterai volontiers moi-même à l'honorable membre & à tous autres à cet égard.

Dès que ce comité aura été décidé, je promets autant qu'il sera en mon pouvoir, de ne lui refuser rien des informations demandées ou désirées par la chambre, & qu'elle croira nécessaires. Mais comme le moment n'en est pas encore venu, je puis dire en attendant, que cette motion projettée est contre les règles, & qu'elle paroît plutôt combinée pour fournir aux membres du parlement, une occasion de déclamer contre ceux qui ont l'honneur de servir la couronne, que pour chercher à instruire la chambre, ou pour quelqu'autre objet qui soit avantageux à la patrie.

Il est ordinaire à plusieurs des membres de la chambre, d'y faire des motions, moins pour en tirer des lumières que pour mettre sur le compte des autres des actes peu populaires ;& cela, pour faire du bruit, pour faire remarquer ces motions entre les votes qui sont envoyés dans toutes les parties du royaume, pour[p.3]satisfaire enfin des vues particulières qui leur sont personnelles. Ces motions éprouvent-elles un refus, ils ne manquent point de s'écrier, « Nous aurions désiré adoucir votre sort & vous débarrasser des entraves qui vous blessent ; mais le pouvoir a rendu nos efforts inutiles ». C'est pour eux une pièce d'artillerie, toujours prête, c'est une sorte de jeu parlementaire, de tout tems mis en usage par l'opposition ; toutes pratiques que j'ai trop appris par mon expérience à connoître, du moment que j'ai connu les parlemens, & auxquelles il a fallu m'habituer.

J'ai remarqué qu'un nombre de ces motions n'avoient souvent d'autre but que de s'attirer un refus :& le langage de ceux qui les fabriquent, sur-tout au commencement d'une session a toujours été celui-ci :« Ne leur donnons point de relâche, ajoutons motions sur motions : s'il leur arrive d'en agréer quelques-unes, nous les gênons par-là ; ou s'ils les rejettent toutes nous les rendrons odieux au peuple ». Voilà, je le soutiens, qu'elle a été la manière constante d'intriguer de ceux qui, à quelque prix que ce soit, sont résolus de combattre l'administration.

Au reste, je dois observer, que dire qu'une motion dans le parlement, est refusée par le pouvoir, c'est à mon avis, un propos inparlementaire.[p.4]Lorsqu'on en présente une, tout membre est libre de discuter sur ce sujet, & de la rejetter ou de l'agréer, suivant qu'il le juge raisonnable. Une motion est-elle rejettée, c'est à la pluralité des voix, & ce refus devient un acte de la chambre. Or, aller dire que ce qui est un acte de la chambre, n'est pas un acte libre, mais de pouvoir ; ce n'est pas là, je pense, parler la langue du parlement.

 

Réplique de M. Stippen au Discours précédent, ou il dit qu'on est toujours assuré de déplaire aux Ministres ; qu'ils prennent les éloges pour des ironies, & qu'ils entendent dans le sens le plus étendu & le plus réel, les épithètes dures qu'on leur donne indirectement.

 

Du 23 Janvier 1734.

Puisque l'honorable membre qui vient de parler, fait de fortes plaintes à la chambre, de la manière dure dont lui & ses amis y sont traités ; je suis bien surpris que lui-même tombe dans la faute qu'il reproche amèrement aux autres ; comme d'aller dire, que ces messieurs font des motions uniquement dans la vue de[p.5]saisir une occasion de s'emporter contre les personnes attachées à, l'administration, ou encore, afin de se signaler & de faire du bruit parmi les votans. Voilà un langage, à mon avis, peu parlementaire, & c'est, manquer soi-même à la franchise & à l'honnêteté, ce dont on accuse les autres.

Il faut avouer que la chose la plus difficile est de trouver le vrai moyen de plaire à ces grands hommes qui tiennent au ministère : car leur prodiguez-vous les éloges, & vantez-vous leurs mesures, ils prennent ces louanges dans le sens ironique : si au contraire, on les gratifie d'épithètes qui leur semblent un peu dures, alors ils les entendent dans toute la force du sens dans lequel elles ont été dites ;& ils se plaignent qu'on les traite d'une manière peu convenable au parlement.

Au reste, de quelque façon que les autres en agissent, on ne m'accusera jamais d'avoir fait l'apologie de l'administration actuelle ni d'aucune autre ;& j'espère de même n'être jamais repris d'avoir insulté personne.

[p.6]

 

Discours de sir Robert Walpole. Outré du refus que l'on fait des subsides demandés pour les frais de la guerre, il exalte l'embarras d'un Ministre qui demande des secours contre un danger qui nécessite des subsides de la part du peuple & les reproches & accusations auxquelles il est encore exposé ; si par une suite de son refus la Nation éprouve quelque désastre éclatant.

 

Du 14 Février 1735.

Ceux qui sont chargés des affaires de l'état sont toujours dans la situation la plus délicate. Demandent-ils des secours contre un danger qui exige des subsides de la part du peuple, on accuse ces ministres de se forger des périls imaginaires, pour prendre de-là occasion d'accabler la nation de nouvelles taxes. Et le malheur est que mieux ces ministres se sont comportés d'abord, & plus l'accusation contre eux semble acquérir chaque jour de nouvelles forces : car le peuple a de la peine à croire à des dangers qu'il n'a point ressentis, quoique réels en effet, s'ils ont été prévenus par les précautions sages qui[p.7]ont été prises. Dès lors, le plus grand nombre ne peut plus que persister dans cette fausse opinion, qui finalement fera refuser à l'administration les subsides nécessaires dans ce moment. Mais si par ce refus, la nation vient à éprouver quelque désastre éclatant, les ministres peuvent être assurés d'avance, que tout le tort retombera sur eux, quoiqu'ils eussent fait tout ce qui étoit en leur pouvoir pour l'avertir du danger.

Je ne puis, monsieur, réellement comprendre quelle sorte d'informations exige la chambre : veut-elle que sa majesté nous dise que la France, l'Espagne, la Sardaigne font la guerre à l'Empire ? Assurément la chambre ne doit pas s'attendre à recevoir un message particulier de sa majesté qui l'informe des nouvelles que tout le monde sait.

[p.8]

 

Discours déclamatoire du même. Injustice des plaintes contre le luxe & contre l'oppression du gouvernement.

 

Du 3 Février 1738.

Il a plu, monsieur, à mon honorable ami de s'emporter avec dureté contre le luxe & les vices qui aujourd'hui règnent trop généralement parmi nous. J'ignore d'où ils peuvent provenir, mais qu'ils proviennent d'où ils voudront, je suis certain que ce ne sont point les exemples de la famille royale qui les ont fait naître, & qui les autorisent. Je suis au contraire, persuadé que tous ceux qui m'écoutent, savent parfaitement bien que jamais nation n'a eu le bonheur d'être gouvernée par des princes qui donnent à leur peuple d'aussi grands exemples de tempérance, de modération, d'économie, comme le fait la famille royale. Mais, monsieur, si un peuple gâté, pour ainsi dire, par la liberté & par la prospérité, dégénère & s'abandonne au luxe, est-ce la faute du prince & de ses ministres ? Doivent-ils en avoir des reproches ? Et si la nation témoigne à cet égard, son mécontentement, devons-nous faire en sorte pour[p.9]remédier au mal, de tâcher d'en restreindre les deux sources, sa liberté & son opulence ?

Voilà cependant, monsieur, ce sur quoi on a beaucoup disserté, depuis le commencement de ce débat. On a dit & répété, que le soulèvement qui avoit éclaté parmi le peuple, auroit bouleversé la nation, si l'armée sur pied, ne l'eut retenue. Quelques membres ont de plus, prétendu que l'oppression du gouvernement est la cause de ce mécontentement général : mais ils ne se sont point donné la peine de citer à la chambre des preuves d'une telle oppression. Ils n'ont pu en donner aucune, qu'on ait attenté à la liberté ou à la prospérité des personnes, aucune que le pouvoir militaire ait empiété sur le civil, ou que l'administration ait tenté de renverser la liberté du parlement.

Rien, monsieur, n'est plus ordinaire que de faire beaucoup de bruit, & de se servir des formules si communes « Qu'il y a corruption & vénalité ». Rien encore n'est plus facile que de persuader au peuple, lorsque des ministres restent long-tems en place, qu'ils ne s'y tiennent que par ces vils moyens. Voilà, monsieur, dans tous les pays & dans tous les tems le malheur attaché à la meilleure administration. Un ministre n'obtient point de succès que ses ennemis n'en profitent pour le perdre. Ses opérations lui[p.10]ont-elles mérité, dans cette chambre, la majorité des suffrages ? L'on dira qu'il ne les a obtenus que par argent. Est-il avant dans la faveur du prince ? Il ne la doit qu'à ses basses flatteries, & à ses faux exposés de l'état de la nation à son souverain. Le royaume jouit-il, sous son ministère, d'une paix profonde, & le commerce national s'est-il étendu ? Pour parvenir à nous procurer ces avantages, il en aura sacrifié d'autres plus considérables & beaucoup plus importans. Ainsi, monsieur, dès qu'on est mal intentionné, la prospérité même de l'état, se prête toujours à des plaintes contre le ministre, tandis que dans la vérité, il pourrait mériter qu'on lui rendît cette justice, qu'il doit ses succès dans le parlement, à la justesse de ses mesures ; l'amitié du prince, à son intégrité ; l'accroissement des richesses & du pouvoir Britannique, à ses soins, à sa vigilance & à sa fermeté. Je ne ferai, monsieur, aucune application particulière de ce que je viens de dire, mais seulement j'ose hautement affirmer que si les clameurs se sont élevées dans le royaume depuis plus de dix-huit ans eussent été bien fondées, il faudrait que depuis plus de dix-huit ans, nous eussions été le peuple le plus misérable, le plus aveugle & le plus méprisable qui soit sous le ciel.

[p.11]

 

Invective de M. Pulteney contre sir Robert Walpole présent à la Chambre.

 

Du 12 Mai 1738.

Je hais, monsieur, tout expédient ;& je méprise (fixant sir Robert Walpole) tout ministre qui s'en sert. Il y en a, monsieur, qui ne subsistent que par ces moyens, & qui sans cela, ne peuvent venir à bout de consommer leurs basses manœuvres. Les expédiens, monsieur, dans les mains d'un foible ministre, sont les instrumens les plus sûrs pour anéantir les mesures les plus avantageuses, comme pour étendre & vivifier les plus destructives.

Réplique de sir Robert Walpole à cette invective.

Quoique la manière avec laquelle l'honorable membre qui vient de parler, s'est expliqué me dispense de faire aucune réponse à un discours si peu digne du lieu, & même si contraire aux premières règles de la bienséance ordinaire ; je crois cependant devoir assez d'égards à la chambre, pour lui déclarer que j'abhorre autant que lui-même tout bas expédient. Et quant[p.12]à ses lieux communs d'une plate plaisanterie contre les ministres, ils m'offensent peu, par le témoignage que je puis me rendre, qu'ils ne me regardent nullement. Si j'avois la manie de chercher à faire de l'esprit, j'aurois ici la plus belle occasion de m'égayer à mon tour aux dépens de nos soi-disans patriotes, comme il a plu à l'honorable membre de plaisanter sur les ministres corrompus ;& nos deux invectives seraient peut-être également instructives pour l'assemblée. Mais, de toute façon, monsieur, une raillerie est toujours regardée comme la dernière ressource de l'ambition aux abois : c'est, en un mot, pour celui qui s'en sert, un pauvre expédient. Et quand bien même depuis des années, je me serois péniblement intrigué, avec tous les artifices que la dépravation & la fausseté auroient pu me suggérer, pour me procurer les places & les dignités que j'aurois intérieurement affecté de dédaigner ; je ne sais à quel point il faudroit que mon caractère eût été aigri & changé, pour me défendre ici avec une telle arme : ou certes, monsieur, si je m'en servois, j'avoue que je ferois une sotte figure dans le monde.

[p.13]

 

Réplique de sir Robert Walpole, à une invective de M. W. Windham, dans laquelle il accuse ce Membre des Communes & ses partisans de conspirer la ruine du Gouvernement.

 

Du 13 Mars 1739.

Les mesures, monsieur, que suivent l'honorable membre qui vient de parler (M. W. Windham) & ses partisans, ne m'inquiètent nullement : la nation & sa majesté leur ont même obligation d'avoir jetté le masque : une trahison secrette est à craindre, mais l'on se tient en garde contre des rebelles déclarés.

La faction dont je parle, monsieur, n'avoit jamais existé dans cette chambre ; jamais ils n'avoient pris ouvertement des moyens contre le gouvernement ; ils avoient cherché à le ruiner sourdement, pour servir la cause des Papistes ;& l'honorable membre, aujourd'hui l'orateur de cette faction, a été le chef de ces traîtres, qui pour placer sur le trône un prétendant Papiste, il y a vingt-cinq ans, conspirèrent la perte de leur patrie & de la famille royale. La vigilance du gouvernement se saisit de sa personne, & sa clémence lui fit grâce ; mais tout[p.14]l'usage qu'il fit de ce pardon, ce fut (pour en témoigner sa reconnoissance) de se pourvoir légalement, de manière que dans un tems ou dans un autre, lui & son parti puissent venir à bout de renverser nos loix.

Je crains bien, monsieur, que l'honorable membre & les siens ne soient pas assez complaisans pour effectuer leur promesse, de se retirer du parlement : car je me rappelle, que lui-même & son parti avoient déjà pris cette même résolution, dans une circonstance où un prélat de cour, avoir été accusé de haute trahison ; comme des traîtres qu'ils étoient, ils se retirèrent du parlement ; mais leur retraite n'ayant pas produit l'effet détestable qu'ils s'en promettoient, ils y rentrèrent. Depuis ce tems, monsieur, ils ont suivi le même plan de trahir, d'écraser le gouvernement : mais j'espère que leur conduite ouverte fera que tous ceux qui sont véritablement attachés à la personne du roi, à son auguste famille, à la sûreté de sa couronne, se réuniront & se consolideront plus que jamais ; que tous ceux qui avec les meilleures intentions avoient été jusqu'ici séduits par de telles pratiques, se réveilleront, & qu'ils sortiront de leur erreur, aujourd'hui que ces rebelles se font connoître, & que leur trompette a sonné l'appel.

[p.15]

 

Discours du même dans lequel il invite ses adversaires à s'éloigner de la Chambre, s'ils n'y assistent que dans l'intention de combattre & de gêner les opérations du Parlement.

 

Du 14 Juin 1739.

Après ce qui s'est passé dans la dernière session, & après les déclarations réitérées de l'honorable membre (M. Pulteney) qui parla le dernier, & de ses amis, je me flattois peu qu'ils favoriseroient ce parlement de leur présence. Je suis toujours satisfait, monsieur, quand je vois les personnes dans le chemin de leur devoir, & je suis bien aise que ces messieurs aient repris le leur. À dire vrai cependant, je ne craignois point que le service de sa majesté & de la Grande-Bretagne souffrît de leur absence : je crois même la nation très-convaincue, que leur éloignement de la chambre, n'a fait qu'y hâter & y faciliter les succès des actes utiles & populaires, passés vers la fin de la dernière session. Et si ces messieurs reparoissent aujourd'hui, uniquement pour combattre & gêner les opérations du parlement, je ne serai point du tout fâché, je l'avoue, qu'ils s'en éloignent encore.

[p.16]

 

Discours du comte de Halifax, au sujet du conseil que le lord Isla venoit de donner aux Pairs, de se mettre au-dessus de l'opinion, des craintes & des clameurs du peuple. Il assure que lorsqu'un Magistrat ou un Ministre s'embarrasse peu des clameurs & des murmures du peuple ; chez une Nation qu'on dit être libre, c'est le signe le plus certain quelle ne l'est plus.

 

Du premier Décembre 1740.

Milords,

Il me fait peine d'observer que dans nos débats parlementaires, comme ailleurs dans nos conversations, la maxime la plus ordinaire dont on se sert aujourd'hui, c'est qu'il faut s'embarrasser peu de la louange publique, & que l'opinion de la multitude qui n'a pas le sens commun, ne mérite aucun égard. C'est, milords, un symptôme effrayant, si la remarque du sage Adisson est juste : car dans une lettre de son spectateur, je me rappelle avoir lu :« Nous ne méprisons l'estime que du moment où nous cessons de la mériter ».

Comme je connois le noble lord (lord Isla),[p.17]qui vient de parler, je suis convaincu qu'il ne cessera jamais de mériter l'estime publique ; mais je fais fâché de l'entendre s'efforcer de vous persuader, milords, de vous mettre au dessus de l'opinion, des craintes & des clameurs du peuple ; j'en suis, dis-je, fâché, de peur sur tout que ceux qui ne connoissent point l'honorable membre, d'après son dire ne le jugent injustement tel que je suis très-assuré qu'il n'est point.

Le désir de la gloire & des applaudissemens est de toutes les affections de l'âme, une des plus nobles & des plus utiles : elle est tellement inhérente à notre nature, que je ne pense pas qu'il y ait un homme qui pût se débarrasser de cet aiguillon : conséquemment, personne n'osera braver le mépris & les murmures de ses compatriotes, si ce n'est celui qui sent trop bien qu'ils sont justes.

Un esprit ferme & décidé ne se permettra point de se laisser aller à toutes les nouvelles opinions qui prévalent parmi le peuple, & il ne fera point ce qui est évidemment mal, dans la vue de s'attirer quelques applaudissemens populaires : mais certainement, il ne souffrira pas non plus que son caractère soit humilié par les injustes soupçons de ses concitoyens, s'il peut se laver de cette injure. Oui, sans doute, la[p.18]multitude a pu quelquefois être amenée à force d'artifices à une fausse manière de penser ; elle a pu être conduite à se plaindre sans sujet ;& alors même, il n'est pas d'un bon citoyen de braver ces préjugés & ces clameurs. Son devoir est de s'efforcer de faire revenir sa nation de ses fausses préventions, & de la remettre dans le droit chemin. Que si cependant, elle persiste encore dans ses injustes préjugés, & si elle continue à se plaindre, pour l'honneur de son caractère, & parce qu'il se doit au public, il faudra qu'il emploie le moyen qu'il croira le plus sûr & le plus prompt, pour le justifier hautement.

Voilà, milords, le devoir de tout particulier, quel qu'il soit, & encore plus celui d'un magistrat & d'un homme d'état. Les ministres, dans les gouvernemens même absolus, doivent chercher tous les moyens de gagner l'estime & l'affection du peuple ; conséquemment, éloigner les soupçons & les plaintes qui pourroient s'élever contre eux. Mais dans un gouvernement libre, non-seulement c'est le devoir des magistrats & des ministres, d'agir de la sorte, c'est encore pour eux une nécessité indispensable, s'ils ont envie de conserver leur place.

La prérogative essentielle & la seule en effet, qui distingue un peuple libre, c'est d'être gouverné[p.19]par des loix & par des hommes qu'il approuve ; car dès que le plus grand nombre chez un peuple libre, pense qu'une loi devient oppressive, ou peut avoir quelque inconvénient, elle doit être révoquée. Également dès qu'un magistrat ou un ministre chez un peuple libre, est haï ou méprisé par la plus grande partie de la nation, il doit être éloigné. D'où il faut conclure, que si une loi subsiste encore quelque tems, après avoir déplu à la plus grande partie de la nation, si un magistrat ou un ministre reste en place, après en être généralement haï ou méprisé ; dans quelque pays que ce soit, assurément ce gouvernement n'est plus libre, & le peuple ne peut pas se glorifier de ce titre. Par cette raison, je suis surpris d'entendre dire ici, que nos ministres s'embarrassent peu des clameurs du peuple, & de les appaiser par votre entremise. Milords, s'ils méprisent ces clameurs, s'ils ne cherchent pas à prendre les mesures les plus convenables pour les dissiper, c'est-à-dire, par l'examen & les enquêtes exactes du parlement, je puis assurer qu'ils ont, ou qu'ils imaginent du moins, avoir trouvé une toute autre méthode de gouverner ; une méthode nouvelle pour se maintenir dans leur pouvoir, bien différente de celle qui convient dans un pays libre ; je veux dire, par l'estime & l'affection générale[p.20]de la nation. Or, si telle est leur manière de penser j’espère que bientôt ils se verront bien loin de leur but.

 

Discours du comte de Chesterfield, contre le lord Isla qui ayoit avancé que les Pairs ne devoient aucunement se mêler ni de la paix, ni de la guerre, ni des affaires étrangères, à moins que d'être invités par le Roi à s'en occuper. Il s'élève à cette occasion contre les Pairs qui affectent beaucoup d'attachement & de chaleur pour les prérogatives de leur Chambre ;& qui, dans toute occasion, travaillent à les détruire.

 

Du premier Décembre 1740.

Milords,

Quoique la charité nous oblige de croire que tous les hommes sont vrais, jusqu'à ce que le contraire soit manifesté & prouvé, & quoique l'honnêteté souvent nous oblige d'éviter d'en venir à une accusation de ce genre, quels soupçons cependant ne s'élèvent pas dans l'esprit, lorsqu'on voit dans cette chambre même des pairs, des membres, qui par leur empressement &[p.21]par leurs démarches, cherchent à en imposer, qui affectent de se montrer jaloux de l'honneur, d'être les premiers & les grands conseillers de la couronne ; puis, qui dans toute occasion combattent les prérogatives de cette chambre, & ensuite, pour soutenir leurs oppositions, emploient de tels argumens, que si l'on venoit à les admettre, nécessairement il s'ensuivroit que cette chambre n'auroit plus le droit d'examiner les opérations passées de l'administration, ni celui de tâcher, par ses conseils, de la réformer pour l'avenir.

Le noble lord (lord Isla), avance que nous n'avons point d'avis à donner pour ce qui concerne la paix ou la guerre, dans ce qu'on appelle en un mot, les affaires étrangères, à moins que le roi ne nous y convie lui-même. J'entends, milords ; c'est-à-dire, que nous ne devons nous mêler que de ceci : sa majesté ira-t-elle à la comédie ou à l'opéra ? Le roi fera-t-il grâce, ou ne la fera-t-il pas à un criminel condamné au gibet, & de toutes choses à peu près semblables ? Mais pour tout ce qui est d'une plus grande importance, pour les affaires intérieures du royaume, notre souverain (grâces au ciel !) est circonscrit par des loix qu'il ne peut enfreindre, quand bien même la chambre le lui conseilleroit.[p.22]Quant à nous voir appellés aux conseils du roi, quoique la chambre des pairs soit le grand tribunal permanent de la couronne, l'expérience constante nous apprend cependant, qu'il est rare qu'on nous demande sincèrement nos avis. Les rois en général, milords, ne consultent guère que des créatures de leur choix, qui le plus souvent n'ont rien qui les en approchent, ni les droits & les privilèges que donnent la naissance, ni dignité dans le caractère. On sait que le plus grand empire qui ait jamais été, fut autrefois gouverné par le seul caprice d'un affranchi ;& que le cabinet d'un des plus considérables aujourd'hui existant, n'est composé que de vils eunuques, que se choisit la sublime Porte, pour en faire ses confidens intimes. Si donc nous n'offrons plus nos conseils que quand la couronne nous les aura précisément demandés, j'ai bien peur que nous usions rarement du privilège, qui cependant fait la prérogative essentielle de notre place, & qui nous appartient par le droit de naissance.

Je ne conçois pas comment aujourd'hui on vient à se plaindre que l'on jase dans cette chambre, & que l'on ne peut lui confier rien qui ne devienne bientôt public ; c'est un reproche absolument nouveau. Ce fut en 1721 que l'on nous refusa, pour la première fois, des papiers[p.23]nécessaires à notre travail, dans la crainte qu'ils n'obtinssent par-là quelque publicité ; depuis cette époque, ils nous ont été communiqués au besoin. Mais quelque mystère qu'aient affecté nos ministres depuis ce tems dans leurs opérations, je ne vois pas que jamais dans une semblable période de tems, aucunes négociations aient, par leur importance, moins mérité cette réserve.

 

Discours invectif de M. Fox contre le ministère. Il applique aux Ministres la peinture que le docteur Swift fait à la fin de ses voyages de Gulliver, des peuples corrompus qu'il avoit visités.

 

Du 13 Mai 1775.

Je ne vois qu'une seule réponse à faire, applicable à l'administration, prise collectivement :& pour cela, l'opposition peut se servir des termes du docteur Swift avec un léger changement, & en leur donnant un sens un peu plus étendu), lorsqu'à la fin de ses voyages très connus de Gulliver, il fait ainsi parler son voyageur, & conclut de cette manière la description des peuples qu'il a visités :« Je savois,[p.24]dit-il, les supporter à quelques égards ;& leur pardonner leur incapacité, leur ignorance, leur folie, leur corruption, leur ambition & leur avarice : j'avois pitié de leurs besoins, de leurs foiblesses, & de leur stupidité grossière : j'étois touché de leur affreuse situation, ne sachant s'ils alloient se précipiter dans une ruine certaine, ou s'ils pourroient y échapper :& tout méprisables, sans principes, & détestables qu'ils fussent, j'avois cependant appris à traiter leurs personnes avec égards ». Mais quand de tels hommes abusent de cette condescendance, lorsqu'ils deviennent insolens, & qu'ils font sonner haut leurs injustes prétentions, qui ne mériteroient que l'échaffaud ; quand je vois de tels hommes au milieu des affreux désastres de la nation, soutenir que ces malheurs n'existent point ; ou s'ils existent, qu'on ne doit les imputer avec justice, qu'à l'opposition : lorsque je vois cet assemblage de maladies & de difformités, de folie & de méchanceté, d'ignorance & de témérité, avec beaucoup d'orgueil, je perds toute patience, & j'ai de la peine à concevoir qu'il soit possible de rencontrer autant de vices, de folie & d'orgueil dans le même animal.[p.25]

 

Réplique de lord Sandwich ; premier lord de l'Amirauté ; sur ce qu'on se plaignoit qu'un nombre d'incendiaires ruinoient les ports & les arsenaux ; qu'ils étoient mal gardés par des ouvriers ; qu'autrefois cette garde étoit confiée à des soldats de Marine ; qui faisoient mieux leur devoir. Il répond que les arsenaux sont gardés exactement par les ouvriers bien armés, & avec plus de sûreté qu'ils ne le seroient par des gardes-marine.

 

Du 6 Février 1777.

Depuis les derniers réglemens les gardes-marine servent à bord des vaisseaux dans la double qualité de soldats & de matelots ; cet arrangement n'est pas seulement utile, il est fondé sur des principes économiques, puisqu'il est démontré que deux mille deux cent de ces soldats ne coûtent pas à beaucoup près autant à la nation que le même nombre de matelots. D'ailleurs les arsenaux sont-ils moins bien gardés, & moins sûrement, parce que ceux qui sont chargés de leur garde ne portent point d'habits rouges ? Chaque ouvrier n'est-il pas[p.26]armé d'un fusil, d'un sabre, d'une baïonnette ? Que fait la couleur du vêtement ? Ces ouvriers montent régulièrement la garde jour & nuit ; que veut-on davantage ? Je dis plus, les arsenaux dans la réalité sont mieux gardés que s'ils l'étoient par des gardes-marine, ces derniers connoissent moins le local ;& par conséquent on ne peut placer en eux une confiance égale à celle qu'inspirent les ouvriers qui résident constamment dans ces édifices, ils y ont leurs femmes, leurs enfans, & par conséquent tout ce qui peut forcer l'intérêt particulier à concourir au bien général.

[p.27]

 

Réplique de lord North à M. Hartley, qui, dans la vivacité d'un débat, lui avoit dit de prendre garde à sa tête. Il fait valoir son esprit de franchise & de droiture. Il conservera sa place autant de tems que l'y retiendra la voix du peuple, c'est-à-dire, de la Chambre. Il élude l'invitation pressante qu'on avoit faite d'entrer dans des détails sur l'état actuel de l'Europe ;& sur l'état particulier de l'Amérique.

 

Du 15 Avril 1777.

Je vous avoue que ma tête dans ce moment-ci est la chose qui m'occupe le moins. Je vis dans un pays libre où tout citoyen n'a rien à craindre, quand il est innocent. Dans tout ce que j'ai fait, je me suis conduit avec prudence, autant que mes facultés ont pu me le permettre ;& ce que je crois pouvoir faire valoir pour quelque chose, j'ai toujours agi ouvertement, honnêtement, sans détours & sans subterfuges. Je ne vois pas que personne s'empresse à occuper le poste que vous me conseillez de quitter tandis qu'il en est tems ; en vérité, il n'est pas à envier, & ce n'est assurément pas le moment où il devient plus difficile & plus épineux,[p.28]que je choisirai pour l'abandonner. Une conduite si lâche n'entre point dans les principes d'honneur dont je fais profession. Au surplus, monsieur, je vous observerois que je ne prétends siéger sur ce banc qu'autant que la voix du peuple m'y retiendra. Par la voix du peuple, j'entends celle de cette chambre. Quand je me serai conduit de manière à élever cette voix contre moi, croyez, monsieur, que je me retirerai avec autant de plaisir qu'il sera convenable alors que je fasse. Quant au reproche relatif à ce que je ne suis pas entré devant cette chambre dans les détails qui concernent l'état actuel de l'Europe & l'état particulier de l'Amérique ; je suis obligé de convenir que ces détails seroient si longs, que je ne pourrais pas les entreprendre sans fatiguer la chambre.

[p.29]

 

Discours de lord George Gordon, au sujet de l'empressement de lord North à se mêler de tout. Il l'exhorte à rappeller des Colonies ses bouchers & ses ravageurs ; à s'éloigner du maniment des affaires publiques ;& à vivre en paix dans sa retraite.

 

Du 13 Avril 1778.

S'agit-il de s'entremettre, négocier, transiger, contracter, il n'y a personne comme le noble lord qui est à la tête de la trésorerie. Pour des hommes ? c'est lui. Pour votre troupeau, (se tournant du côté de la chaire), M. l'Orateur, c'est lui. Pour les représentans du peuple ? c'est lui encore.

Ce noble lord proposoit de donner une place de mille livres de revenu, si un noble duc pouvoit gagner d'un membre très-nul de cette chambre, qu'il cédât sa place au parlement. Le duc dans cette circonstance se comporta en homme de cœur, comme eut fait un ami ou un frère ; il rejetta les basses offres du lord.

Je n'ai point de liaisons avec le noble lord ; je n'ai jamais eu l'honneur d'être admis chez lui, je ne lui ai jamais parlé, qu'importe : je[p.30]désire de toute mon âme, qu'il se conserve & son pays : je l'exhorte à rappeller des colonies ses bouchers & ses ravageurs ; je l'exhorte lui-même & les mauvais conseillers de sa majesté, ses co-opérateurs, à s'éloigner du maniement des affaires publiques, & à les céder à des hommes plus sages & plus honnêtes. Qu'il abandonne ses mauvaises voies, & qu'il vive. Il n'est jamais trop tard pour se repentir.

 

Discours de lord North, dans lequel il combat par de pures probabilités, quelques imputations graves avancées contre l'administration & en particulier contre l'Amiral.

 

Du 11 Décembre 1778.

Il a été avancé que les ministres ont semé la dissention parmi les serviteurs de la couronne ; que fomentant des factions parmi les officiers de terre & de mer, ils ont affoibli les opérations du gouvernement, & fait un tort irréparable à la nation : nier simplement une assertion vague, dénuée de la plus légère apparence de preuve, seroit sans doute la réponse la plus naturelle que l'on pût attendre de l'administration ; mais afin que la nation ne prenne pas[p.31]le change sur des allégations d'une si haute importance, je ferai quelque chose de plus ; j'en appellerai au bon sens, en soumettant les observations suivantes à la chambre.

Pour peu que l'on considère la nature de l'accusation intentée contre un honorable amiral, & du tribunal où cette accusation a été portée on sera convaincu qu'il est impossible que l'administration ait eu la moindre part à cette affaire : mais si cette réflexion qui se présente d'elle-même pouvoit échapper à quelque membre, il en est une autre qui certainement ne lui échappera pas. On se rappelle que vendredi dernier, l'officier accusateur de l'amiral a déclaré dans cette chambre de la manière la plus solemnelle, qu'il n'a pas communiqué son intention à qui que ce soit ; qu'il n'a demandé l'avis de personne. En mon particulier, je déclare sur mon honneur, que je n'ai rien sçu de ce qui se passoit à cet égard, qu'après que l'accusation a été portée au bureau de l'amirauté. On a reproché aussi à ce bureau la précipitation avec laquelle il a reçu & admis l'accusation : mais avant de faire ce reproche, a-t-on réfléchi sur la nature grave de l'accusation, fondée ou non ? N'importe ; le fait est, que si elle étoit fondée, si le crime étoit prouvé, il seroit capital ! Or cette accusation n'a pas été faite secrètement ;[p.32]elle n'a pas été faite par une personne obscure ; elle a été présentée par écrit au bureau de l'amirauté : par qui a-t-elle été présentée ? par le vice-amiral, commandant à bord de la flotte, sur les opérations de laquelle toute l'accusation porte : par un officier enfin, qui a cela de commun avec son amiral, que sa réputation n'a jamais éprouvé d'atteinte. Je vois bien différemment les choses : loin de blâmer l'amirauté, je la croirois coupable d'un crime grave envers le public, si elle eût négligé de recevoir une accusation si imposante : si d'un autre côté, ce bureau eût différé d'ordonner un conseil de guerre, il se fût également rendu coupable d'un acte d'injustice criante à l'égard de l'officier accusé, qui, pour se justifier & prouver son innocence, n'avoit autre chose à désirer pour le moment, sinon que l'on apportât dans la procédure, toute la célérité dont la nature du cas étoit susceptible.

[p.33]

 

Discours de M. Fox, ayant pour but deux motions, par lesquelles il accuse les Ministres de Sa Majesté (savoir le premier lord de l'Amirauté & le premier lord du Trésor) de mauvaise conduite & de négligence ; 1° pour n'avoir pas envoyé plutôt, l'année dernière, un renforcement à lord Howe, 2° pour n'avoir pas envoyé au commencement de l'année dernière une flotte dans la Méditerranée pour observer le détroit de Gibraltar.

 

Du 22 Mars 1779.

Il est possible que la motion que je vais avoir l'honneur de présenter à la chambre, reçoive du noble lord au ruban bleu, la qualification d'étrange, car c'est ainsi qu'il désigne toute motion venant de la part de l'opposition, & qui n'est pas exactement conforme aux vues du noble lord ; je ne la proposerai pas moins ou pour mieux dire, je n'en proposerai pas moins deux motions, parce que l'une est une conséquence de l'autre : j'ai déjà fait bien des motions, elles ont toutes été rejettées, mais je n'en suis pas découragé par ces négatives multipliées, je le suis d'autant moins que malgré la majorité que le[p.34]noble lord m'a opposé la semaine dernière dans deux occasions différentes, j'ai eu la satisfaction de voir que cent soixante-quatorze membres les plus respectables de cette chambre pensoient comme moi, & avoient le courage de se déclarer les protecteurs de ce même peuple que le noble lord juge à propos de traiter avec tant de mépris & de qualifier de populace, &c. En disant que les cent soixante-quatorze membres qui ont voté comme moi, sont les plus respectables de cette chambre, mon intention n'est pas de rien insinuer de désavantageux à l'égard de ceux qui ont voté avec la majorité ; je fais seulement cette observation, pour indiquer que dans le fait en retranchant de la chambre les hommes à places & à pensions, ces cent soixante-quatorze représentans constituent dans le fait la majorité des membres indépendans, & je me trouve infiniment honoré de la déférence qu'ils ont marqué pour mon opinion.

Je ne laisse pas de me trouver un peu embarrassé quant à la forme que je dois donner à la motion que j'annonce, je sens qu'elle a des rapports très-intimes avec plusieurs que j'ai récemment faites & qui ont passé en négative ; lorsque j'ai proposé à la chambre de déclarer par sa résolution que « ce que le premier lord de l'amirauté, avoit avancé en novembre 1777[p.35]relativement à l'état de la marine, étoit faux » le premier lord du trésor a trouvé le secret de persuader à la chambre que c'étoit mon assertion qui se trouvoit être fausse, & la chambre a voté en conséquence de cette persuasion : aujourd'hui ce n'est pas la même assertion que je présente ; au contraire je prends le ministre au mot, & je suppose avec lui qu'en novembre 1777, il y avoit effectivement quarante-deux vaisseaux prêts à agir ; qu'en mars il y en avoit un nombre beaucoup plus considérable également prêt ; qu'en juin les Français n'en avoient que dix-sept, &c. Je dis que je suppose tout cela, car je sais que rien n'est si faux dans le fait ; mais comme il a plu à la chambre de donner par ses résolutions de la réalité à des chimères, par respect pour cette décision je l'établis en fait, & j'admets que l'administration avoit en effet en mai 1778 des forces navales très-formidables ;& que si elle l'eût voulu, elle étoit en état d'envoyer dans la méditerranée une forte escadre pour observer le comte d'Estaing, une seconde division à lord Howe pour prévenir les dangers auxquels l'armée de New-York se trouvoit exposée, &c.

Et je conclus « 1°. Que n'avoir pas envoyé plutôt, l'année dernière, un renforcement à lord Howe, a été de la part des serviteurs du[p.36]roi un acte de mauvaise conduite & de négligence, d'autant plus répréhensible, qu'ils avoient été instruits dès le mois de février de l'équipement de la flotte de Toulon. 2°. Que n'avoir pas envoyé au commencement de l'année dernière une flotte dans la méditerranée, pour observer le détroit de Gibraltar, a été de la part des serviteurs du roi un acte de mauvaise conduite & de négligence ».

 

Motion du même, dont l'objet est de supplier Sa Majesté d'éloigner de ses conseils le comte de Sandwich, premier lord de l'Amirauté, à raison du mauvais état où se trouve la Marine. Il appuie cette demande de différentes accusations.

 

Du 19 Avril 1779.

Comme les objets divers sur lesquels porte cette motion ont été récemment discutés dans toute leur étendue ; je regarde aujourd'hui les détails comme superflus ;& je me bornerai à des raisonnemens généraux ; il peut jusqu'à un certain point paroître extraordinaire que la chambre[p.37]ayant rejetté les diverses résolutions que je lui ai proposées avant les fêtes, je revienne à la charge, & que je lui présente aujourd'hui une motion fondée sur ces résolutions même, qu'il me soit permis d'observer que si chacune des résolutions proposées n'a pas paru à la chambre mériter un vœu de censure, leur ensemble du moins suffit pour autoriser la motion qui en résulte : d'ailleurs il ne s'agit plus d'accuser, de convaincre, de punir, il ne s'agit que d'éloigner un ministre des conseils de sa majesté : il est conforme aux usages & aux constitutions du parlement de demander l'éloignement d'un ministre, même sans en alléguer de raison : il y a une grande différence entre demander que l'on fasse le procès à un ministre, ou simplement qu'il soit éloigné des conseils. Dans le premier cas il faut produire des chefs d'accusation, en fournir séparément les preuves ; dans le second, il suffit d'inférer de la conduite d'un ministre sommairement envisagée, que la présence aux conseils est nuisible : je pourrois donc faire ma motion sans l'appuyer d'aucuns motifs particuliers, mais je n'abuserai pas de ce droit, & je vais exposer les motifs de ma motion, je vais rappeller à la chambre 1° qu'en Novembre 1777 le premier lord de l'amirauté déclara qu'il avoit une flotte de quarante-deux vaisseaux de ligne[p.38]prête à mettre en mer, tandis qu'au mois de Juillet 1778, il n'en avoit précisément que ce même nombre de quarante-deux, savoir, vingt sous les ordres de l'amiral Keppel, treize sous ceux de l'amiral Byron, & neuf détachés & employés à des destinations diverses. 2° Que le noble lord a totalement négligé la méditerranée, & n'y a pas envoyé de vaisseaux pour fermer le passage au comte d'Estaing. 3° Qu'il n'a pas envoyé de renforcement à lord Howe dans un tems où il n'avoit que cinq vaisseaux. 4° Qu'il n'a pas approuvé que l'amiral Keppel fût rentré dans le port avec ses vingt vaisseaux, tandis que cet officier avoit découvert par les papiers trouvés à bord de la Pallas, que les Français avoient probablement trente-deux vaisseaux dans les eaux de Brest, & au moins certainement vingt-sept. 5° Qu'il a ordonné avec une précipitation répréhensible que le procès fût fait à l'amiral Keppel.

[p.39]

 

Discours éloquent du premier lord de l'Amirauté (le comte de Sandwich) dans lequel il tâche de répondre aux principales imputations avancées contre lui.

 

Du 23 Avril 1779.

Le témoignage que me rend ma conscience, l'innocence qui me rassure au fond de mon âme, la certitude où je suis de n'avoir donné lieu en aucune manière à la persécution déchaînée contre moi, sont l'égide qui me protège contre les assaults redoublés que mes ennemis me livrent tant en public qu'en particulier : je suis si parfaitement convaincu d'avoir rempli mes devoirs dans l'acception la plus stricte du mot, depuis que j'ai l'honneur d'occuper la place dont sa majesté m'a jugé digne, d'avoir agi dans toutes les occasions avec une assiduité égale à ma droiture pour les intérêts de mon roi & de mon pays, que je ne suis pas aussi sensible qu'on l'imagine aux persécutions journalières de ceux qui aspirent aux honneurs & aux émolumens attachés à ma place.

Avant de répondre aux différens chefs d'accusation que le noble comte vient d'accumuler[p.40]contre moi, je dois observer à la chambre que l'équipement & la destination des flottes ne sont pas des objets dont on laisse la disposition à l'amirauté ; que l'administration en général, avant de rendre compte au roi de ses vues, & par conséquent avant de rien entreprendre, est dans l'usage confiant de délibérer en corps sur des mesures d'une si haute importance ; qu'en conséquence s'il se trouve quelque chose de répréhensible dans ce qui concerne, soit l'équipement, soit la destination de quelque flotte, ce n'est pas à moi seul, comme premier lord de l'amirauté, qu'il faut s'en prendre, c'est à l'administration entière ; je suis prêt à supporter ma portion de la censure dans une proportion égale ; mais il n'est pas juste que seul je la supporte toute : je reviens aux chefs d'accusation.

Le noble comte est entré dans de grands détails concernant la marine, la manière dont elle a été administrée depuis que je suis en place, & les diverses sommes votées pour son entretien ; je ne le suivrai certainement pas dans tous les détails minutieux, mais je répondrai aux points qui paroissent les plus essentiels.

Le noble comte nous présente un état actuel de la marine. J'ignore d'où il tire ses informations ; ce que je sais, c'est qu'on l'informe[p.41]bien mal, & le compte que je vais rendre à la chambre différera sans doute de celui qui vient de lui être présenté, comme le blanc diffère du noir.

Lorsque je fus appellé en 1771 à la place que j'occupe, il est vrai qu'il existoit quatre-vingt-un vaisseaux de ligne, la plupart hors d'état de service & propres à fournir de vieilles planches ; en faisant cette observation, je suis bien éloigné de suggérer qu'il y eut de la faute de la part de mon prédécesseur, le fait est que la longue guerre que nous venions de soutenir avoit usé nos vaisseaux. Il falloit donc en construire de neufs : on me reproche que j'ai employé des bois de construction verds ; mais cet inconvénient n'eut pas eu lieu, si dans les arsenaux il s'en fût trouvé de secs ; or, il n'y en avoit ni de verds ni de secs, ils étoient absolument épuisés : cependant le service pressoit, il falloit construire à la hâte, & malheureusement les gens qui font le commerce des bois avoient trouvé depuis quelques années, qu'il étoit de leur intérêt de décréditer le chêne du pays pour forcer à recourir aux bois étrangers. L'un d'eux répandit un écrit qui fit la plus vive sensation, & qui tendoit à prouver que le chêne d'Angleterre étoit épuisé : on le crut généralement. Je me rappelle que l'amirauté fut si frappée, de[p.42]cette assertion, revêtue de toutes les apparences de la vérité, que je trouvai non-seulement au bureau, mais tout ce qui avoit avec lui quelque espèce de connexion, dans un état d'accablement & de désespoir : je m'attachai à pénétrer dans ce mystère, je pris pour cela toutes les peines imaginables, & je parvins à découvrir la fraude, je vis distinctement, & à ne pouvoir en douter, que le complot de ces agioteurs étoit de réduire le département de la marine à un certain état de détresse, de manière à hausser considérablement le prix de leurs bois. Pour parer le coup, je présentai au parlement un bill à l'effet d'empêcher que certaines personnes fissent usage des bois propres à la construction des vaisseaux : il passa.

Alors je songeai à importer de l'étranger des bois dont on se servit pour réparer plusieurs vaisseaux, précaution qui réussit pour tous, à l'exception du Mars.

Lorsque les agioteurs s'apperçurent que je me passois d'eux, ils renoncèrent à leur spéculation, & offrirent leurs bois à un prix convenable. Le noble comte prétend que nous en manquons actuellement, le fait est cependant que nous en avons dans nos magasins soixante-douze mille voitures, c'est-à-dire, une provision pour plus de trois années, en sorte que n'ayant plus de[p.43]place pour en contenir davantage, on a été obligé d'en contremander une très-grande quantité qui étoit prête. À l'égard des autres approvisionnemens, nous les avons en abondance dans la même proportion, particulièrement l'article du chanvre : celui du fer est très-considérable, je compte que nous en avons pour deux ans, en un mot il en est beaucoup d'autres en quantité suffisante pour la consommation de quatre années : en général, pour juger sainement de l'état actuel de notre marine, il ne seroit pas déplacé de la comparer à celui dans lequel elle se trouvoit au commencement de la dernière guerre (en 1756), nous commençâmes alors avec trente-six vaisseaux de ligne, à la fin de 1759, époque à laquelle nous développâmes nos plus grands efforts, nous en avions quatre-vingt-dix-sept ; aujourd'hui, à peine y a-t-il deux ans que la guerre a été commencée avec quatorze vaisseaux de ligne, & nous en avons quatre-vingt-un. Or, il est à observer que la plupart de ces vaisseaux étant du premier, du second & du troisième rang, s'en trouvant trois de cent canons dans leur nombre, certainement quoique leur nombre se réduise à quatre-vingt-un pour le moment, ils rendront plus de service que les quatre-vingt-dix-sept que nous avions en 1759 ;[p.44]d'ailleurs, à la fin de l'année nous en aurons neuf de plus.

Le noble comte a demandé ce que j'ai fait des quatre-vingt-un vaisseaux que lord Hawke a remis entre mes mains, je répondrai qu'on en a mis vingt en pièces, parce qu'ils ne pouvoient être propres à aucun service : on a réparé le reste, on s'en sert actuellement, on pourra s'en servir quelques années encore : d'ailleurs personne n'ignore que depuis la guerre d'Amérique, on nous a pris ou détruit cinquante-six vaisseaux : on me rappelle encore aujourd'hui qu'en Novembre 1777, j'ai déclaré que nous avions quarante-deux vaisseaux en état de servir, je répète que nous les avions & qu'en faisant cette déclaration, j'ai dit la vérité : à l'égard de l'autre déclaration que l'on me prête :« Qu'un premier lord de l'amirauté qui n'auroit pas soin d'entretenir des forces supérieures à celles que les branches unies de la maison de Bourbon pourroient assembler contre nous, ne devroit pas rester en place ». Je ne me suis jamais exprimé ainsi, j'ai dit une administration & non pas un premier lord de l'amirauté. Au nombre des reproches dont je suis assailli, on porte la prétendue négligence que j'ai eue de ne pas envoyer une flotte dans la méditerranée pour bloquer le comte d'Estaing. Je[p.45]ne sais si on a suffisamment réfléchi à la nature de ce reproche ; peut-être l'administration a-t elle pesé plus mûrement cette mesure que ceux qui se plaignent de ce qu'elle n'a pas été adoptée ! c'est une chose bien délicate que de faire passer le détroit à. une flotte anglaise, & il faudroit être bien sûr de la neutralité de l'Espagne pour embarquer ainsi une flotte entre celles do Toulon & de Cadix ; il seroit possible qu'une flotte ainsi embarquée ne revit jamais les côtes d'Angleterre. Au reste, quoique nos forces navales soient respectables, quoique nous ayons un nombre considérable de vaisseaux en commission, nos côtes sont si étendues, la défense intérieure du royaume en emploie une si grande partie, que nous n'en avons pas assez pour en envoyer dans la méditerranée ; il faut considérer que la France est fortifiée par-tout, que nous ne le sommes presque nulle part ; qu'il est impossible que nous soyons supérieurs à cette puissance dans toutes les parties de la terre & des mers, &c.

Telles font les observations que je soumets à la considération de la chambre, en réponse aux imputations principales qui me sont faites journellement.

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Réplique énergique du comte de Bristol à l'apologie que venoit de faire de sa propre conduite le premier lord de l'Amirauté.

 

Du même jour.

Le noble lord cherche envain à nous persuader que pour ce qui concerne l'équipement & la destination des flottes, il n'a pas plus de part aux résolutions prises, qu'aucun autre membre de l'administration ; je n'en regarderai pas moins un premier lord de l'amirauté comme étant ministre de la marine, & devant répondre comme tel non-seulement des avis qu'il donne ; mais de ceux qu'il est de son devoir de donner & qu'il ne donne pas. La raison en est simple, c'est qu'il est de nécessité que le reste des serviteurs du roi reçoive de lui les informations relatives au département de la marine, & régie son jugement sur l'exposé qu'il leur fait de l'état des choses. Ce n'est pas avec plus de fondement que le noble lord nous présente un tableau de la désolation & du découragement qui régnoient dans tous les départemens de la marine, au moment où il fut mis à la tête de ces départemens. Par-tout où lord Hawke, ce brave,[p.47]cet excellent homme commandoit, il ne pouvoit y avoir ni désolation ni découragement ; jamais homme n'a administré le département qui lui étoit confié avec plus de soin & de dextérité qu'il ne l'a fait.

Rien de si ridicule, rien de si risible que les états que le noble lord nous présente de ses flottes, de ses approvisionnemens, de ses bois de construction… Ce sont des états simulés, illusoires : en voici de vrais, en voici dont je garantis l'exactitude, j'invite les nobles lords à les examiner, ils prouveront la fausseté des autres : premièrement, il est faux que nous ayons autant de vaisseaux en commission qu'il paroîtroit y en avoir, si l'on ajoutoit foi à la liste officielle. Il est également faux que les approvisionnemens soient aussi considérables que le noble lord prétendroit nous le persuader ; la fausseté de cette assertion est démontrée par son impossibilité, & ce qui prouve cette impossibilité, sur-tout à l'égard des mâts & des cordages, c'est que la flotte de l'amiral Keppel a été obligée de mettre en mer avec des mâts & des vergues jumelés, faute d'autres ; c'est qu'encore aujourd'hui, pour les vaisseaux du premier rang, on est obligé d'employer des mâts qui ne conviendroient dans un tems d'abondance qu'à des vaisseaux de quarante, cinquante, ou plus, de[p.48]soixante canons. Je demande au ministre de la marine comment il a le front d'en imposer à la chambre d'une manière si révoltante ; je demande aux nobles lords jusqu'à quand ils souffriront qu'on leur en impose ainsi.

S'il étoit nécessaire d'accumuler les preuves de la fausseté des états qui nous sont présentés, je rappellerais à la chambre que lorsqu'il fallut faire partir l'escadre de l'amiral Byron, on fut obligé de dépouiller de leurs agrêts plusieurs vaisseaux de la flotte de l'amiral Keppel, dans un moment où cette flotte n'attendoit que le signal pour appareiller ; étoit-ce là une preuve de la surabondance de nos approvisionnemens en tous genres ? Le noble lord nous a dit qu'à l'exception du Thunderer, qui cependant avoit parfaitement fait son devoir, la flotte de l'amiral Keppel étoit la mieux équipée qui fut jamais sortie d'aucun port d'Angleterre ; très-certainement le Thunderer étoit plus que mal équipé, & son commandant, le capitaine Walsingham, a plus qu'humainement fait son devoir ; mais pourquoi le noble lord ne nomme-t-il que le Thunderer ? Pourquoi ne fait-il pas mention du capitaine Clément qui, commandant un vaisseau aussi mal équipé, a également fait son devoir avec toute la bravoure possible ? Pourquoi ne nomme-t-il pas le capitaine Allen de l'Egmont,[p.49]& tant d'autres officiers, qui montant des vaisseaux en très-mauvais état, n'en ont pas, Dieu merci, fait moins d'honneur à leur pays & à eux-mêmes.

 

Discours du Duc de Boston, qui ne voyant aucun Membre de l'administration se présenter pour plaider la cause du Ministre de la Marine ; infère de ce silence ; que l'Amirauté n'a rien à répondre aux dernières imputations. Il en ajoute de nouvelles.

 

Du 23 Avril 1779.

Je m'attendois à voir quelque ministre du roi se lever & dire quelque chose, soit pour la défense du noble comte qui préside à l'amirauté, soit pour la leur ; mais comme tous gardent le silence, je regarde comme établies en fait toutes les aliénions du noble comte mon ami : j'y en ajouterai même quelques-unes. Au nombre des fautes de toute espèce qui ont été faites, une des mesures les plus contraires à la politique, a été celle de ne nommer que trois officiers généraux pour commander une flotte de trente vaisseaux de ligne, dans une occasion aussi importante, aussi décisive que[p.50]l'étoit la seconde sortie de l'amiral Keppel du port du Portsmouth. Comme nous avons presque autant d'amiraux que de vaisseaux en commission, ce n'est pas faute d'officiers promus à ce grade, qu'on n'en a chargé que trois du commandement de la flotte, & si on ne l'a pas fait, cette faute ne doit être attribuée qu'au peu de connoissance qu'avoit acquis le premier lord de l'amirauté, des affaires de son département : un meilleur homme de mer que lui eut disposé la flotte en un plus grand nombre de divisions ; les Français en avoient beaucoup plus de trois, nous devions en avoir davantage ; un officier général n'eût pas dû commander plus de cinq vaisseaux, alors on eût vu les manœuvres de la flotte, s'exécuter avec infiniment plus de facilité ; de la manière dont les choses ont été disposées, un seul officier général avoit à commander dix à douze vaisseaux : qu'en est-il arrivé ? Lorsque l'un d'eux s'est trouvé désemparé, il a tenu toute sa division en échec, & a fait avorter les desseins du commandant en chef, qui ne pouvoit rengager le combat avec quelque apparence de succès, tant qu'un tiers de sa flotte a refusé de se joindre à lui ; cet inconvénient eût été beaucoup moins sensible, s'il y eût eu six officiers généraux dont chacun eût commandé une division de cinq vaisseaux.[p.51]Car en supposant que l'un d'eux se fût comporté assez mal, pour ne pas changer de vaisseau & obéir au commandant en chef, celui-ci n'eût été privé que de cinq vaisseaux, & eût pu tenter l'attaque avec le reste : j'ai conversé avec plusieurs des capitaines qui servoient sur la flotte de l'amiral Keppel, ils se plaignent tous de ce qu'elle manquoit aussi du nombre nécessaire d'officiers inférieurs. De la manière dont les choses étoient disposées, les amiraux étoient obligés de faire le service des capitaines ceux-ci le service des lieutenans, & ces derniers celui de gardes-marine ; cet inconvénient est le résultat de l'imprudence que l'on eut à la fin de la dernière guerre, de réformer tous les officiers subalternes… D'ailleurs dans tout ce qu'on a fait à cette époque, tout annonce l'ignorance. À quoi bon envoyer une flotte de vingt vaisseaux pour reconnoître le port de Brest & le nombre des voiles Françaises ? Rien ne pouvoit être à la fois & plus ridicule & plus dangereux ; une seule frégate eut suffi pour remplir cet objet ;& l'histoire nous prouve que souvent dans des circonstances pareilles, on s'est borné à détacher une frégate qui a rempli sa mission avec succès.

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Discours du Duc de Richemond, également étonné de ce que dans un moment d'une si haute importance l'administration garde le silence. Il relève une contradiction importante que l'on n'avoit pas remarquée dans le Discours du Comte de Sandwich ;& il somme ce Ministre de s'expliquer à ce sujet.

 

Du 23 Avril 1779.

Comment la chambre doit-elle interpréter ce silence ? doit-elle supposer que les ministres reconnoissent la vérité des assertions du noble comte qui a fait la motion, & qu'ils l'abandonnent ne sachant comment s'en défendre ? Ou bien attribuera-t-elle ce silence à la hauteur & au mépris qu'ils se croient en droit de lui marquer ? Leur intention est-elle de nous faire entendre qu'ils sont si satisfaits de la conduite de leur collègue, qu'ils ne daignent pas relever les assertions contraires à la bonne opinion qu'ils s'en sont formée ? Le noble comte a jetté sur les épaules de l'administration prise collectivement, tout le blâme qui pourrait résulter de ce que l'on a fait de relatif à l'équipement ou à la destination des flottes. Une accusation si générale[p.53]est de sa nature assez sérieuse pour que ceux qu'elle concerne essaient du moins de se justifier, & ils gardent le silence !

Une déclaration qui n'a pas été relevée, & qui ne m'échappera pas dans le discours du noble comte, est peut-être la plus étrange que l'on ait jamais osé faire : lorsqu'en lui reprochant la lenteur de ses préparatifs, de toutes ses dispositions, on lui a observé entre-autres faits de la même nature, qu'après le combat d'Ouessant, les Français avoient été en état de tenir la mer dix jours plutôt que nous ; il a répondu que cette circonstance étoit pour lui une démonstration mathématique ; que le 27 Juillet la flotte Anglaise avoit été plus battue que la Française.

Bon Dieu ! le premier lord de l'amirauté, le ministre de la marine d'Angleterre, après avoir publié dans la Gazette de la cour la lettre dans laquelle le commandant en chef rend compte du combat, peut-il déclarer en parlement que les Français ont battu les Anglais ? Qu'il nous donne quelques éclaircissemens sur cette déclaration étrange !

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Courte Réplique du Ministre de la Marine. Il élude la sommation du Duc de Richemond ; sous prétexte qu'il n'est pas obligé de répondre aux questions d'un individu.

 

Du même Jour.

Si la chambre en corps m'interrogeoit comme ministre, je sais qu'il seroit de mon devoir de répondre ; il n'en est pas de même des questions qui peuvent m'être faites par un individu : j'entendrai le noble duc tant qu'il lui conviendra de parler ; si lorsqu'il aura fini, je crois devoir répliquer à quelque partie de son discours, j'userai de mon droit comme membre du parlement ; mais jusqu'à ce moment-là, je n'ai rien à dire.

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Discours du lord Littleton, dans lequel il appuie la dénonciation faite à la Chambre des Pairs, du premier Lord de l'Amirauté, par le comte de Bristol, & sur l'importance d'en peser & distinguer les différens chefs d'accusation. Il prend de-là occasion d'entrer dans bien des détails, concernant les Cours de Madrid & de Versailles, la détresse de la Nation ;& les malheurs de la guerre présente.

 

Du 23 Avril 1779.

Je remercie, au nom de la nation, le comte de Bristol, des informations importantes qu'il a pris la peine de communiquer à la chambre, dans un tems où le mauvais état de sa santé relève encore son zèle patriotique. Comme chacun des faits établis par le noble comte qui a fait la motion, renferme en lui-même un chef d'accusation séparé, il seroit à souhaiter que S. S. n'eût pas confondu ces différens chefs en une seule & même masse, & que chaque allégation eût été l'objet d'une motion distincte & séparée ; afin que la première fût mûrement considérée & constatée par des preuves, avant que L. S. passassent à l'examen de la seconde.[p.56]Je désirerois d'autant plus que le noble comte eut pris le parti, qu'il n'est pas dans les règles de la justice de condamner sans preuves ; cependant j'avouerai que dans le cas actuel, la préemption du crime est très-forte. J'ai prêté une oreille attentive à l'accusation d'une part ; de l'autre, à la défense, & je crois être en état de prononcer. Lorsque je suis entré ici, mes amis m'ont demandé quel parti je prendrais dans l'affaire du jour : j'ai répondu que je prendrois celui que doit prendre un honnête homme ; qu'ami du peuple, je déclarerais hautement & pleinement mon opinion ; qu'en un mot, je me conduirais en homme indépendant. Dans un moment de l'importance dont est celui-ci, je dédaigne & j'espère que tout autre noble lord dédaigne comme moi la considération mesquine des émolumens attachés à une place quelconque. Les ministres peuvent m'ôter mon bureau, pour me punir d'avoir osé parler d'après ma conscience. Lorsqu'ils jugeront à propos de le faire, qu'ils le fassent ; mais il est un droit qu'ils ne peuvent m'enlever, & dont je fais infiniment plus de cas ; celui de siéger dans cette chambre, & de dire librement en parlement ce que je pense comme représentant & gardien du peuple. Je suis en place aujourd'hui, je puis n'y être pas demain ; mais tant qu'il me restera une[p.57]fortune indépendante, je ne m'aveuglerai pas sur les dangers auxquels mon pays est exposé par la mauvaise conduite des serviteurs du roi. Non, il n'est pas de considération qui puisse m'imposer silence, lorsqu'il ne s'agit de rien moins que de tout ce que l'empire a de plus précieux & de plus cher.

Eh, bon dieu ! milords, avez-vous considéré quel est l'état actuel des affaires ? Avez-vous remarqué l'altération alarmante, survenue dans l'ordre de la propriété ? N'êtes-vous pas frappé de l'idée, qu'indépendamment du poids énorme des impôts ajoutés aux impôts, tout sujet de la Grande-Bretagne a perdu le quart de sa propriété par les effets funestes de la guerre d'Amérique ? Ne voyez-vous pas que tout propriétaire de franc-fief ne peut vendre son héritage que les trois quarts de sa valeur, & que quiconque a placé son argent dans les fonds publics, ne peut vendre ses actions qu'à vingt-cinq pour cent de perte ? Il ne s'agit point ici de conjectures, je cite des faits. Il y a environ trois ans que j'ai vendu une petite terre pour acquitter une dette dont elle étoit chargée ; aux dernières fêtes de Noël, me trouvant sur les lieux, la personne qui avoit vendu pour moi, m'a certifié que s'il eût été question de vendre alors, il n'eût pas été possible de trouver les[p.58]deux tiers du prix ; il en est de même pour tous les genres de propriété. J'en appelle à lord Dudley, qu'il dise, si les fabriquans de Birmingham, qui faisoient plus d'affaires que tous les fabriquans du royaume réunis ensemble, ne sont pas absolument inocupés.

Le noble vicomte (Stormont) a dit qu'il falloit parler avec beaucoup de prudence & de réserve de ce qui concerne l'Espagne ; je ne vois pas à quoi cette prudence pourrait être bonne, il n'est pas de sujet plus important à traiter, & il ne peut être traité ni trop ouvertement, ni trop à fond : de deux choses, l'une, l'intention de l'Espagne est de se joindre, ou de ne pas se joindre à la France ; temporiser en pareils cas, c'est livrer la nation à un état d'incertitude inquiétante, c'est ajouter graduellement au danger de voir quelque jour l'Espagne prendre part à la querelle. Le ministre n'a qu'un parti à prendre, celui de demander à cette cour une réponse explicite. Le noble vicomte nous a fait aussi une comparaison de la foi privée qui règne entre deux amis, & de la foi publique qui doit régner de même entre deux états indépendans. Ce n'est certainement pas sérieusement que le noble lord nous a parlé ainsi : quelle différence dans les deux objets de la comparaison ! L'amitié privée naît des rapports de l'âme,[p.59]de principes, de vues, souvent de ceux de la consanguinité, d'affinité, ou même de relations. Ces rapports existent en grande partie entre l'Espagne & la France ; le contrat de famille seul les réunit tous. Par ce contrat les branches séparées de la maison de Bourbon sont obligées de s'assister l'une l'autre, en cas d'attaque de la part de la Grande-Bretagne ; mais, nous dit-on, l'Espagne nous donne les assurances les moins équivoques de son amitié. — Ne nous en a-t-on pas dit autant de la France ? tous les ministres nous l'ont dit ; nous l'avons entendu répéter sur le trône, & cependant qu'a fait la France ? tandis qu'elle nous prodiguoit toutes ces assurances d'amitié, elle recevoit formellement des ambassadeurs de la part du Congrès, elle fournissoit aux Américains des approvisionnemens militaires, & tous les moyens possibles de continuer une guerre qui avoit déjà coûté tant d'argent & tant de sang à la Grande-Bretagne. Enfin, pour suivre le noble vicomte dans la gradation de ses détails, elle a jetté le masque : notre ami l'ambassadeur de France s'est présenté avec son fameux rescrit, & a notifié au gouvernement Britannique, que le roi son maître, par un effet de l'abondant amour & de la tendre amitié qu'il portoit à la Grande-Bretagne, avoit jugé à propos d'entrer en traité[p.60]avec l'Amérique ; traité offensif & défensif, dont l'objet étoit de mettre l'Amérique en état de continuer sa résistance, & d'affermir son indépendance. Je vous supplie, milords, de vous rappeller toutes ces circonstances notoires, vous déciderez ensuite quel est le degré de la justesse de la comparaison que fait le noble vicomte, & du raisonnement qu'il vous fait, lorsqu'il cherche à poser pour principe que l'amitié privée & l'amitié publique sont termes synonymes. Quant à moi, je fais plus de cas que personne au monde de ce qu'il y a de pointilleux dans l'honneur Espagnol ; mais je serois bien-aise que les ministres m'apprissent officiellement quels sont les engagemens que la cour de Madrid a pris, quelles sont les promesses qu'elle a faites dans ces circonstances critiques.

Tout ce dont je puis parler actuellement, c'est de sa conduite ; elle a dans le port de Cadix vingt-cinq vaisseaux de ligne complètement équipés, prêts à mettre en mer, avec trois pavillons amiraux ; ses armemens sont formidables en général ; elle a fermé l'entrée de la méditerranée, en prescrivant à l'Angleterre les limites de sa navigation ; elle lui a dit :« tu iras jusques-là, & tu n'iras pas plus loin ». Elle a ajouté :« tu as été jadis souveraine de[p.61]l'Océan, actuellement aucun de tes vaisseaux ne passera le détroit de Gibraltar sans ma permission ; la France peut t'enlever le commerce de la méditerranée, Minorque peut être pris ; mais j'ai contracté certains engagemens qui doivent être remplis, & c'est à toi à t'arranger en conséquence ».

En général, il est du dernier danger de temporiser avec la cour de Madrid. Si pour acheter sa neutralité, nous nous déterminions aujourd'hui à lui rendre Gibraltar, nous l'aurions pour amie en mai, pour ennemie en Août ;& pouvons-nous faire face à tant d'ennemis à la fois ? Jettons les yeux sur notre situation présente ; d'une part, je vois un royaume dont les ressources sont épuisées, un royaume sans alliés, dont le commerce dépérit tous les jours, dont les manufactures sont anéanties. J'ai entendu le premier lord du trésor déclarer lui-même en parlement, qu'au lieu de huit millions sterlings dont il avoit le plus pressant besoin, il n'avoit pu en emprunter que sept ; que pour se procurer ces sept millions, il avoit été obligé d'en passer par des termes ruineux… Et où trouvera-t-on donc les fonds nécessaires pour l'extraordinaire de cette année, pour le service de l'année prochaine ? — On nous dit qu'il est arrivé de bonnes nouvelles de l'Amérique ; quelles[p.62]sont ces nouvelles ? Le colonel Campbell est arrivé de Géorgie ; il nous apprend que nos troupes y ont remporté une victoire ;& sans reprendre haleine, il ajoute :« Il nous faut des renforcemens ». Eh, bon Dieu ! milords, faites donc une attention sérieuse à l'état de nos affaires en Amérique : voilà la Géorgie qui nous appartient, Boston nous a appartenu, Philadelphie nous a appartenu ;& après cinq années d'une guerre ruineuse, nous sommes dans le fait réduits à la possession de la moitié d'une province. Quel est donc l'objet de la guerre que nous faisons à l'Amérique ? Premièrement, je pose en fait que si vous en recouvrez la possession aux termes proposés par les commissaires, elle sera pour vous un fardeau, non pas une acquisition ; si vous persistez à vouloir la conquérir, redoublez vos efforts, épuisez nos dernières ressources, complettez notre ruine, envoyez flotte sur flotte, armée sur armée, jamais l'Amérique ne vous appartiendra à titre de conquête. Pourquoi donc nous épuisons-nous ? Pourquoi énervons-nous nos forces ? Quel est l'objet de notre poursuite ? ce n'est pas d'imposer des taxes, car si on en excepte M. Wyner, il n'est plus un homme dans le royaume qui se repaisse de l'idée de taxer l'Amérique : ce n'est pas d'affermir notre suprématie sur le continent,[p.63]ce n'est pas d'y exercer le pouvoir législatif, car nos commissaires ont renoncé à tout cela. Ils ont été plus loin que l'opposition, ils n'ont rien réservé, & ont poussé les concessions jusqu'à se charger de payer les dettes de l'Amérique, dettes contractées les armes à la main & tournées contre la Grande-Bretagne. J'en reviens donc à ma question ; je demande encore quel peut être notre objet ? j'insiste sur cette question, parce qu'elle m'a été faite récemment par un honnête fermier, dont voici les expressions :« Cette guerre d'Amérique nous a ruinés tous, »& si nous venons à bout de conquérir l'Amérique, qu'y gagnerons-nous » ? Certainement, il faut que quelqu'un réponde à cette question. Dans ce moment-ci, la nation est dans un état de léthargie universelle : le peuple se porte en foule à la barre de la chambre, croyant y apprendre quelque chose de relatif à ses intérêts. Il prête à nos débats une oreille avide, & n'entend que la récapitulation de ses maux. Il s'en retourne comme il sort d'une tragédie, dont les incidens ne l'affectent pas, parce qu'ils lui sont étrangers. Mais qu'il prenne garde à lui, si ce peuple ne s'éveille pas bientôt, la mort le surprendra dans son sommeil. Milords, prenez-y garde aussi, lorsque l'homme à l'habit gris (le fermier) dont je viens de parler, chancelant[p.64]sous le poids des taxes, dira, en s'éveillant : je ne veux plus payer de taxes, le royaume sera en combustion depuis le comté de Cornwall jusqu'en Écosse.

 

Discours du comte de Bristol. Il renouvelle sa motion, pour que le comte de Sandwich soit démis de sa place de premier lord de l'Amirauté. L'invasion récente de Jersey en est le motif. Il prend de là occasion de parler des forces navales de France & d'Espagne qui menacent l'Angleterre. Enfin il presse les Ministres de déclarer particulièrement s'ils approuvent ou non la conduite de l'amiral Arbuthnot, qui de son propre mouvement a porté à Jersey des secours immédiats, & personne ne se présentant pour répondre à cette question, il s'écrie qu'un pareil silence de la part de l'administration interpellée sur plusieurs faits, est une insulte au pair qui l'interroge, & à la chambre en général.

 

Du 7 Mai 1779.

Il se présente une nouvelle occasion de justifier la motion que j'ai faite il y a quelques jours, & les argumens que j'ai employés pour l'appuyer ; j'ai de nouvelles plaintes à former contre l'administration[p.65]du département de la marine. Les Français ont envahi Jersey, ou ont tenté de l'envahir : je demande si ce fait n'est pas une nouvelle preuve de l'inconduite du noble lord qui préside au bureau de l'amirauté, & de la négligence scandaleuse qui caractérise toutes les affaires essentielles de son département ! Comment a-t-il pu se faire que les ministres ayent ignoré que le projet touchoit au moment de l'exécution ? Une seule frégate en croisant sur la côte de France eut mis le gouvernement en état de recevoir une information assez prompte, pour faire avorter tout projet d'expédition qui auroit pu être formé par l'ennemi ; pourquoi n'avons-nous pas des vaisseaux d'observation en station devant les divers ports de France, pour nous donner les avis les plus prompts possibles du départ des flottes ennemies, & de leur destination apparente…

Je ne puis dire à quoi montent les forces que la France a expédié contre Jersey ; j'ignore également quelle a pu être l'issue de l'expédition, ainsi je ne puis m'étendre beaucoup sur ce sujet pour le présent, mais il est indispensable que la chambre soit instruite de tous les détails relatifs à cette affaire, sur le compte de laquelle les rapports varient à l'infini : les uns disent que les troupes que les Français ont tenté[p.66]de débarquer, montent à 1500 hommes ; d'autres en portent le nombre à 2500 ; d'autres enfin à 5000 ; quel en est le nombre exacte je somme les serviteurs du roi de le déclarer à la chambre ; en attendant, je me bornerai à dire, que l'amiral Arbuhnott s'est fait beaucoup d'honneur en passant par-dessus ses ordres ;& en portant à Jersey des secours immédiats, il a prouvé à l'univers qu'il est un brave officier, & qu'il sait faire son devoir en dépit des hazards. Aussi le public approuva-t-il unanimement sa conduite ; les ministres l'ont-ils également approuvée ? C'est ce qui reste à savoir : l'amiral Arbuthnot est mon ami, & dans son absence, je dois le protéger contre les insinuations qui ne manqueraient pas d'assaillir sa réputation : cette précaution est nécessaire avec les ministres actuels : ils règlent uniformément leur conduite sur le cours des événemens ; ils donnent à dessein des instructions indécises & indéterminées ; ils abandonnent lés officiers à leur propre discrétion ;& lorsqu'un commandant a pris sur lui quelque mesure que son jugement lui a indiqué être la meilleure, c'est à l'événement que l'on s'en rapporte, pour décider s'il a mérité des éloges ou du blâme : si le succès couronne la mesure, les ministres s'en attribuent l'honneur, & vous disent froidement que l'officier qui a agi ne mérite pas[p.67]d'être censuré : si la mesure ne réussit pas, c'est autre chose ; les ministres n'y ont eu aucune part, & l'officier qui a agi, mérite seul d'être blâmé : avec un pareil système, il est impossible que les officiers fassent leur devoir : qu'ils agissent de plein gré & avec vigueur ; il est également impossible que le gouvernement veille avec succès aux vrais intérêts de l'état : on a déjà vu assez d'exemples des manœuvres déshonorantes employées par les ministres, contre des officiers qui se trouvoient dans la position que je viens de décrire ; ceux entr'autres de l'amiral Keppel & de lord Howe sont trop récens pour qu'on ait pu les oublier ; je me flatte donc, milords, que vous m'excuserez, que toute la terre m'excusera si je saisis cette occasion d'insister sur ce que les ministres aient à déclarer, s'ils approuvent ou non, la conduite que l'amiral Arbuthnott a tenue en envoyant son convoi à Torbay, & en portant des secours à Jersey avec les forces qui lui ont paru nécessaires à son dessein ? Le cas est de nature à pouvoir être altéré par l'événement ; c'est ce que je ne veux pas attendre :& j'insiste pour que les ministres déclarent s'ils pensent que l'amiral Arbuthnott a agi comme il le devoit.

Voilà donc à quoi aboutissent les fastueuses promesses du premier lord de l'amirauté : il[p.68]souffre qu'on nous insulte à nos portes ; si la marine est dans un état aussi florissant qu'il prétend nous le persuader, pourquoi permet-il que les Français viennent nous braver jusque dans nos maisons ? Pourquoi se reposer du salut d'une partie de nos possessions sur le hazard, qui a voulu qu'un amiral, faisant voiles pour l'Amérique, ayant sous son escorte tout ce que le commerce du royaume a de précieux, négligeât l'objet unique de son voyage, hazardât son convoi, & fît un tort considérable au service, en retardant l'arrivée des renforts dont on a un besoin si pressant au-delà de l'Océan ? Vous comprenez, milords, quel tort cause nécessairement au commerce le parti que l'on a été forcé de prendre, de faire encore séjourner à Torbay un convoi qui avoit été déjà retenu si long-tems dans le port, que les négocians avoient perdu patience : cet objet seul est suffisant pour motiver une plainte grave, contre le premier lord de l'amirauté.

D'ailleurs la prise de Jersey n'est pas tout-à-fait improbable ;& si elle avoit lieu, on sent de quelle conséquence seroit pour le royaume cette perte. Or, Jersey n'est pas la seule partie de nos possessions qui se trouve dénuée de défense, & par conséquent exposée à une attaque de la part de l'ennemi : quelle est la[p.69]situation actuelle de l'Écosse ? Quelle est la situation de plusieurs autres parties de nos côtes ? Je ne ferai pas mention de l'Irlande puisqu'un noble marquis (de Rockingham) a notifié que mardi prochain il exposeroit pleinement, à vos seigneuries, la situation déplorable de cette île plongée dans la détresse : il faut laisser au noble marquis l'honneur de donner à la nation cette nouvelle preuve de son zèle, & ne point anticiper sur ses louables intentions. Après avoir jetté les yeux autour de nous, portons-les chez l'étranger, milords ; envisageons les forces navales de la France, envisageons celles de l'Espagne : les ports de cette première puissance sont remplis de vaisseaux : la seconde a une flotte puissante dans la baie de Cadix, & beaucoup de vaisseaux à Rota ; si quelqu'un de vous, milords, ignore où Rota est situé, j'observerai, que dire que les Espagnols ont une flotte à Rota, c'est comme si nous disions que nous en avons une dans la rade de Sainte-Hélène.

Le comte finit par nier que la marine Anglaise fût dans un état aussi formidable que le premier lord de l'amirauté l'affirmoit, ajoutant qu'il ne croyoit pas qu'au moment où il parloit (en Mai) la grande flotte d'Angleterre montât à trente vaisseaux de ligne en état de mettre en mer ; ensuite, avant de s'asseoir il pressa de[p.70]nouveau les ministres, de déclarer s'ils savoient quel est le nombre des troupes qui ont essayé de débarquer à Jersey, & s'ils approuvoient ou non la conduite de l'amiral Arbuthnott. Aucun membre de l'administration ne se présentant pour répondre, le comte de Bristol s'exprima en termes très-amers sur l'indécence d'une conduite, qui indiquoit de la part des serviteurs du roi un mépris très-offensant pour la chambre.

Il faut convenir, continua-t-il, qu'ils sont parvenus à un degré de confiance rare, si lorsqu'on leur fait des questions d'une importance si pressante, si momentanée, ils peuvent conserver un extérieur si calme, si serein ; je me flatte cependant que ce calme apparent n'est que l'avant-coureur d'une tempête : d'une tempête de l'espèce la plus terrible, d'une tempête qui, je l'attends de la justice de Dieu, renversera, détruira ces conseillers foibles & pervers qui ont donné des mauvais avis à leur souverain qui l'ont embarqué dans les mesures auxquelles il faut attribuer toutes nos infortunes & la honte du moment actuel. Je dis la honte, parce que l'attaque de Jersey est une insulte qui couvre la Grande-Bretagne de honte… Quoi ! lorsqu'en pareilles circonstances un pair du royaume se lève, & somme les serviteurs du roi de répondre à des[p.71]questions d'une nature publique, ils affecteront le silence du mépris ! c'est une insulte faite, non-seulement au pair qui se lève, mais à la chambre en général.

 

Réplique du comte de Sandwich. Il a lui-même écrit à l'amiral Arbuthnott pour lui exprimer son approbation. Quant au nombre des troupes qui ont tenté la descente de Jersey, & l'effet de leur tentative, il diffère d'en parler, jusqu'à ce qu'il soit mieux informé.

 

Du 7 Mai 1779.

Après avoir protesté que personne au monde n'est moins capable que moi de manquer de respect soit à un membre de la chambre, soit à la chambre même ; j'observe que jamais je n'ai entendu dire que le devoir d'aucun des ministres de sa majesté fût de répondre à une question faite par un membre isolé ; pour prouver cependant combien je suis éloigné de manquer de respect à la chambre, je répondrai non pas à la diversité infinie des argumens rebattus, des accusations rejettées que le noble comte vient de renouveller, mais a la question qui consiste à savoir si l'administration approuve la[p.72]conduite qu'a tenue l'amiral Arbuthnott, en portant des secours à Jersey si tôt qu'il a appris que cette île étoit attaquée par les Français : je puis assurer au noble comte & à la chambre, que l'on a approuvé hautement l'ardeur, le zèle & le jugement qui ont dirigé la conduite de l'amiral Arbuthnott en cette occasion ; j'ai écrit moi-même à ce commandant pour lui exprimer mon approbation particulière ; il est possible que la chambre ne regarde pas ma façon de penser à cet égard comme étant d'une grande conséquence, mais l'amirauté en corps a écrit à l'amiral pour approuver tout ce qu'il a fait.

Quant à ce que le noble comte désireroit savoir concernant le nombre des troupes qui ont tenté la descente, & l'effet de leur tentative, qu'il me soit permis pour le moment de ne pas entamer cette matière ; les serviteurs du roi n'ont pas encore reçu aucune information exacte : peut-être en recevront-ils dans peu de jours, & alors j'entrerai dans tous les détails que pourra désirer le noble comte. En attendant, ce que je puis déclarer positivement, c'est que je ne crains en aucune manière que la tentative que les Français ont faite de débarquer des troupes à Jersey, ternisse la gloire des armes de sa majesté, ou nuise le moins du monde aux intérêts du royaume.

[p.73]

 

Discours du commodore Johnstone, dans lequel il repousse les reproches que lui faisoit son ancien ami M. Fox, savoir : que depuis qu'il avoit été nommé commissaire-conciliateur, il votoit constamment en faveur d'une administration qu'il affectoit de mépriser auparavant, &c. Il répond qu'il n'a renoncé à l'opposition que depuis que le duc de Richemond a reconnu par un bill l'indépendance de l'Amérique. D'ailleurs ; il reconnoît lui même que c'est l'opposition qui a chargé d'entraves la marche des affaires publiques, &c.

 

Du 14 Mai 1779.

Je n'ai renoncé à l'opposition que lorsqu'elle a commencé elle-même de renoncer à ses principes ; l'époque de ce changement est le moment où un membre de l'autre chambre (le duc de Richemond) laissa sur la table un bill aux fins de reconnoître l'indépendance de l'Amérique. Dès ce moment-là je me détachai d'un parti qui me parut dans la suite d'autant plus dangereux, que ce bill ayant été présenté précisément lors du départ des commissaires, je ne tardai pas à m'appercevoir que cette proposition[p.74]nuisoit à l'objet de leur mission plus que toute autre chose, qu'elle commença par apporter des lenteurs dans la négociation, & finit par la faire avorter : mille raisons diverses m'ont confirmé dans cette opinion ; j'en ai d'ailleurs de très-fortes pour me détacher de l'opposition sans retour ; c'est elle qui a chargé d'entraves la marche des affaires publiques ; c'est elle qui a affoibli les mains du gouvernement : mon honorable ami (Fox) a publiquement avoué lui-même que le principe de l'opposition étoit de ne pas avoir égard aux conséquences, de s'obstiner dans tous les cas à tracasser l'administration, à faire avorter ses mesures quoiqu'il pût en arriver ! quant à moi, j'ai cru de mon devoir d'adopter d'autres principes & de me former un autre système de conduite ; je ne voudrois pas attacher au mot opposition une idée exclusive ; je voudrois qu'elle ne s'élevât que contre ce qui seroit décidément contraire aux intérêts de mon pays, & cela sans acception des personnes : je désirerois enfin qu'abstraction faite de tous égards étrangers au bien du service, on choisit dans la nation tout ce qu'il y de meilleurs cœurs, de plus excellentes têtes pour diriger les conseils publics.

[p.75]

 

Discours justificatif du comte de Sandwich contre le marquis de Rockingham, qui s'étoit fort étendu pour prouver que le premier lord de l'Amirauté étoit la cause de toutes les calamités qui alloient fondre sur l'Angleterre. Il en revient toujours avec assurance à son ancien état de la Marine.

 

Du 25 Juin 1779.

Il est certain que le moment est difficile, mais non pas au point de justifier le découragement, à l'égard de ce qui me concerne dans le discours du noble marquis. Je sais parfaitement que tous les lords de l'opposition se sont fait un devoir de harceler sans relâche le premier lord de l'amirauté ; la session entière a été employée à tourmenter cet officier de la couronne ; qui dans la crise présente, accablé des affaires de l'état, auroit du moins besoin d'une trêve pour s'y livrer sans distraction : pour répondre en deux mots à toutes les accusations intentées tant contre moi que contre mes collègues, je dirai que des accidents imprévus, quelques mauvais succès dans des entreprises qui promettoient une issue plus favorable, ont été cause que quelques-unes[p.76]des mesures adoptées par les serviteurs du roi n'ont pas réussi, comme ils avoient toutes les raisons possibles de l'espérer ; en parlant ainsi je ne prétends pas blâmer qui que ce soit, je n'ai en vue que la défense des ministres accusés.

Quant à ce qui m'est personnel, quant à l'assertion du noble marquis relativement au prétendu déplorable état de la marine, je proteste que non-seulement elle est dénuée de fondement, mais même que depuis que la Grande-Bretagne est un royaume, elle n'a jamais eu une marine si respectable qu'à présent : par exemple, en 1759, époque des plus grands efforts que la nation ait faits dans le cours de la dernière guerre, le nombre des vaisseaux de ligne employés montoit à quatre-vingt-dix-sept, ayant à bord quatre-vingt-six mille sept cent matelots ; nous n'avons pas aujourd'hui un si grand nombre de vaisseaux, mais ceux que nous avons sont d'une force infiniment supérieure, ils sont pour la plupart du premier & du second rang, tandis qu'en 1759 des quatre-vingt-dix-sept vaisseaux mentionnés, vingt-sept n'étoient que de soixante canons ; aujourd'hui nous n'en avons qu'un seul de ce port ; nous avons quatre-vingt-un mille matelots : or, si l'on considère que nous en avons perdu dix-huit mille que l'Amérique nous fournissoit pendant la dernière guerre, on[p.77]conviendra que le nombre que nous en avons, malgré ce déficit, est très-considérable ; jamais plus belle flotte que celle de sir Charles Hardy n'est sortie d'aucun port, elle est déjà très-forte, & j'espère que dans peu de jours elle le sera davantage encore : la seule chose dont le besoin se fasse sentir, c'est la disette d'hommes ; mais je me flatte que le bill fournis a la considération de la chambre lèvera cette difficulté.

 

Discours du comte de Hillsborough, dans lequel il fait part à la Chambre d'une manière noble & populaire ; qu'il vient d'accepter les sceaux en qualité de Secrétaire d'État, à la place de lord Weymouth. Il déclare que l'intention de l'administration est d'accorder à l'Irlande un commerce égal à celui de la Grande-Bretagne.

 

Du 25 Novembre 1779. Milords,

J'ai accepté aujourd'hui les sceaux, en qualité de l'un des secrétaires d'état de sa majesté : en déclarant que je suis ministre, je reconnois que je suis responsable de ma conduite ; il étoit[p.78]par conséquent important pour moi que je connusse parfaitement les circonstances dans lesquelles j'avois à agir : j'en étois pénétré ;& avant d'accepter mon emploi actuel, j'ai eu grand soin d'en connoître les devoirs, les conditions attachées à son exercice. J'ai voulu surtout être très-particulièrement informé des résolutions prises par les ministres à l'égard de l'Irlande : en un mot, avant d'accepter l'offre qui m'étoit faite, je leur ai demandé les éclaircissemens les plus amples sur leurs intentions relatives à ce royaume.

Aujourd'hui que je connois parfaitement ces intentions & ces résolutions, je les communiquerai avec assurance dans toute leur plénitude : je hais les détours, & l'on ne me verra jamais concourir dans une mesure où. leur ressource seroit nécessaire ; par exemple, dans la circonstance actuelle, ils seroient superflus ; les vues de l'administration sont droites, justes & honorables, elles ne craignent pas le grand jour.

Le noble lord (Lyttleton) demande ce que l'on fera à l'égard du commerce de l'Irlande ? Je lui dirai ce qui sera fait, autant qu'il sera au pouvoir des ministres d'y réussir ; on accordera à l'Irlande un commerce égal. Si les efforts réunis de l'administration peuvent remplir ce projet, l'Irlande, quant à son commerce, sera mise sur[p.79]un pied égal avec la Grande-Bretagne ; elle jouira de ce qui doit satisfaire les plus exigeans de ses solliciteurs, c'est-à-dire, de toutes les immunités qui s'étendent en commun sur toutes les autres parties de l'état. Peut-elle demander davantage ? Est-il un noble lord qui désire qu'il lui accorde davantage ? Est-il quelqu'un assez absurde, assez injuste pour prétendre que les sujets d'Irlande doivent jouir de privilèges plus étendus que ceux dont jouissent les sujets d'Angleterre ? On lui offrira des privilèges égaux, elle ne peut pas en demander de plus étendus ; l'intention de l'administration actuelle, toute despotique qu'on la prétend être, n'est pas de traiter l'Irlande avec la hauteur d'une maîtresse impérieuse, mais de l'inviter à se lier d'amitié avec une bonne sœur ; en la prévenant par les bons offices de l'aménité affectueuse : je désire, milords, que ces mots, commerce égal, n'implique point d'équivoque ; il n'y a point d'ambigüité dans ma phrase ; je répète que l'administration offre à l'Irlande un commerce égal, dans l'acception simple, naturelle & stricte du mot égal, c'est-à-dire, qu'à l'égard de la balance du commerce, elle désire que l'Irlande, placée dans un bassin, l'Angleterre dans l'autre, l'équilibre soit parfaitement égal.

[p.80]

 

Pétition du Corps Municipal de la ville de Nottingham à la Chambre des Communes, plus développée que les précédentes, contre les abus intolérables de l'administration.

 

Du premier Février 1780.

Au comble de la calamité nationale, nous les maire & bourgeois de la ville & du comté de Nottingham, assemblés, nous présentons devant la chambre des communes de la Grande-Bretagne avec le respect dû à des hommes élus pour être les conservateurs de nos droits, & avec l'espoir qu'il nous convient de fonder sur ceux qui ont été honorés d'un dépôt si précieux ; les griefs qu'il n'est plus possible de supporter, qui s'accumulent sur ce pays sacrifié, & dégradé, nous forcent de paraître en votre présence, afin que vous soyez instruits par nous-mêmes de ces détresses, de leur cause, de leur remède ;& que vous puissiez trouver dans les vœux du peuple l'encouragement le plus actif à l'interposition immédiate & efficace d'une autorité dont il attend la préservation.

Que ce soit au crime, à l'infortune, ou bien à l'un ou à l'autre qu'il faille attribuer la perte d'un[p.81]démembrement considérable de l'empire ; avec une diminution pareille, de richesses & de jouissance, le trouvèrent engagés dans la guerre la plus compliquée & la plus formidable, est une circonstance qui demande certainement que l'on fasse usage de la plus rigide économie dans tous les départemens de l'état ; mais nous observons avec douleur, & en rougissant, qu'une prodigalité dévorante a dissipé ce qui nous restoit de forces, & en énervant nos efforts, a flétri l'honneur de nos armes & multiplié nos pertes, tandis qu'en créant de nouveaux besoins pour l'état, elle en rend les demandes plus fréquentes, ajoute au fardeau sous lequel tous les ordres, toutes les classes du peuple sont courbées, & nous menace dans ses progrès, d'une ruine générale.

C'est sur votre honorable chambre que nous jettons les yeux, pour qu'elle mette un terme a ces progrès effrayans, afin qu'armés de l'intérêt & de la fermeté qui conviennent aux communes de la Grande-Bretagne, vous fassiez une enquête rigide, relative à l'emploi qui a été fait de ce trésor immense, qu'une prodigalité inconnue dans les temps les plus florissans, a exprimé d'une nation presque épuisée.

La magnanimité d'un peuple libre peut le porter à donner le dernier shelling qu'il possède, pour la cause de son pays, mais pour cette cause[p.82]seule. Or, ce sentiment de confiance qui le disposeroit à faire les derniers efforts, ne peut naître que de l'application avec laquelle vous chercherez à découvrir les abus qui ont rendu ces efforts nécessaires.

Ce peuple demande à être certain que l'effet de ces octrois successifs ne sera pas de la perdre, dans le moment où il sera en présence d'un ennemi que sa situation a rendu présomptueux, & de faciliter la plus terrible de toutes les calamités, l'annihilation de ses libertés.

Dans cet état d'humiliation & d'affoiblissement, où se trouve la nation, un chagrin de plus qu'elle éprouve, est de voir les sommes énormes diverties du trésor public, sans produire aucun bien public ; les émolumens exorbitants attachés aux places, sur-tout à celles qui n'existent que de nom, & qui sont en plus grand nombre que les autres ; les pensions non méritées, indistinctement accordées, objets qui dévorent la substance du peuple, font avorter les efforts nationaux, dégradent le caractère des Anglais, en ne leur inspirant que l'amour de l'or, détruisent l'indépendance du parlement, & exercent une influence funeste sur tout ce qui est cher à notre pays.

Pénétrés de ces vérités terribles, nous demandons qu'il nous soit permis de représenter que le redressement de ces abus ruineux, est le droit des[p.83]Anglais ; que c'est de cette source seule que l'espérance peut renaître, luire encore pour le pays, que, jusqu'à ce qu'on ait adopté à cet effet des mesures sages & vigoureuses, on ne peut pas sagement, honorablement & avec sûreté, ajouter aux fardeaux pécuniaires imposés sur ces royaumes. Nous vous observons respectueusement qu'en temps de danger & de détresse, cette conduite a été le caractère distinctif de votre honorable chambre ; caractère qui seul a préservé l'existence de votre chambre, & celle de notre constitution ; qu'en aucun temps, la voix du danger & de la détresse n'a parlé plus impérieusement qu'elle ne le fait aujourd'hui, pour conjurer les représentans de la Grande-Bretagne, de développer leur vrai caractère dans sa plénitude, & de remplir dans tous les points l'espoir de leur constituants.

Ayant sous les yeux ces abus, dans toute leur étendue, dans tout leur effet, tout ce que vous accorderiez de subsides au-delà du produit des impôts actuellement existants. prouveroit que vous vous faites un jeu des droits, & de la propriété du peuple, ainsi que de la foi, & de la dignité du parlement.

Ce dont nous supplions cette honorable chambre, c'est que tous émolumens inconsidérés soient réduits, que toutes places superflues & n'existant que de nom, soient abolies, toutes pensions non[p.84]méritées, supprimées, & le produit de tous ces retranchemens, appliqué aux besoins de l'état ; c'est que, jusqu'à ce que, cette réforme sage & nécessaire soit adoptée, jusqu'à ce qu'on ait employé des moyens efficaces pour constater & supprimer les abus introduits dans la manière dont se dépensent les deniers publics, que les soupçons, que les craintes du peuple soient apaisés, & qu'une confiance fondée lui succède, vous vous refusiez à toute espèce d'octroi au-delà des impôts actuels, avec cette justice & ce patriotisme que nous attendons de votre honorable chambre.

Nous flattant que cette pétition juste, nécessaire & pressante, trouvera auprès de vous, un accès favorable, nous ne cesserons de prier, &c.

[p.85]

 

Réplique du comte de Sandwich révolté contre les derniers discours qui l'avoient outragé, & sur-tout de cette assertion :« Que les messieurs officiers ne vouloient plus servir, tant qu'il seroit à la tête de l'amirauté. » Il soutient que cette défection seroit sans exemple, & que l'intention n'en est que supposée. Il exalte beaucoup les succès actuels de la guerre de l'Amérique, & conclut qu'il faut la poursuivre avec vigueur.

 

Du 8 Février 1780.

Cette assertion est fausse, je le soutiens, il n'existe pas un seul exemple que l'on puisse citer pour l'appuyer, & je défie le noble marquis de nommer un seul officier, qui, en se retirant du service en ait donné pour raison, celle qu'il assigne si légèrement ; il est d'ailleurs également faux que les messieurs officiers aient été éloignés du service ; les noms des officiers qui commandent actuellement, suffisent pour contredire cette seconde allégation : un autre noble lord, (le comte de Shelburne) a dit que nos succès ne tendent qu'à traîner la guerre en longueur, & à éloigner davantage la perspective[p.86]de la paix ; j'avoue que ce raisonnement est merveilleux ; j'avois contracté l'habitude de croire au contraire ; qu'une chaîne de succès étoit naturellement propre à accélérer les approches de la paix ;& comme rien au monde n'est tant à désirer que la paix, je désirerois ardemment des succès pour qu'ils nous la ramenassent : mes désirs fondés ou non, ont été remplis ; nos succès ont été considérables & glorieux : il est vrai que les Français nous ont pris deux îles, & que nous ne leur en avons pris qu'une ; mais n'avons-nous pas empêché le comte d'Estaing de conquérir la Géorgie & de parcourir l'Amérique ? N'avons-nous pas chassé les Français de leurs possessions dans l'Inde ? Ne les avons-nous pas expulsés du banc de Terre-Neuve ? Ne leur avons-nous pas enlevé tous les avantages qu'ils tiroient de la pêche, & n'exerçons-nous pas aujourd'hui, à leur préjudice, un monopole absolu sur cette branche de commerce ? Quelles rumeurs ne se seroient pas élevées parmi nous, si nous eussions perdu nos établissemens de Terre-Neuve ? Il faut convenir cependant qu'au commencement de la guerre, ils n'étoient rien en comparaison de ceux des Français : en général nous avons si maltraité le commerce de nos ennemis, qu'ils ont été obligés de désarmer leurs corsaires, tandis[p.87]que nos convois arrivoient de toutes pans dans nos ports, même sans être molestés. Voilà pour le passé ; jettons les yeux sur l'avenir. Nous voyons que la flotte Espagnole a quitté Brest & regagné ses côtes, en sorte qu'il faudra en revenir à une seconde jonction, & c'est ce qu'il faudra voir : je ne veux pas anticiper la jouissance des succès à venir ; mais je ne compte pas dans leur nombre les secours jettés dans Gibraltar, & je ne crois pas m'abuser en croyant, qu'au moment où je parle, ce coup important est frappé : ce n'est pas dans des circonstances pareilles qu'il faut penser à la paix. Ce qui doit nous occuper, c'est d'ajouter aux succès passés des succès qui applanissent la route pour le retour de cette paix : si nous cherchions à les précipiter, les conditions les plus humiliantes nous seroient proposées, & je me flatte que la nation Anglaise n'est pas disposée à se soumettre aux humiliations.

[p.88]

 

Discours héroïque du marquis de Carmarthen, dans lequel il expose à la Chambre d'une manière noble & ferme ; les raisons qui l'avoient obligé de résigner sa place de Chambellan de la reine. Ayant donné son approbation à la pétition du comté d'Yorck, sur les réformes désirées, il lui avoit été adressé des lettres expédiées des Bureaux du Trésor, par lesquelles il lui étoit expressément défendu d'assister à aucune assemblée du comté. Déterminé à soutenir la pétition en dépit du gouvernement il avoit cru devoir se détacher de la Cour.

 

Du 8 Février 1780.

Lorsque le comté d'York s'assembla, pour prendre des résolutions relatives au système de réforme qui nous occupe aujourd'hui, je reçus un écrit signé par plusieurs citoyens respectables, qui m'invitoient à approuver & appuyer la pétition que le comté se proposoit de présenter au parlement : ne pouvant me rendre à l'assemblée, mais approuvant son objet, je consignai dans une lettre l'approbation que je ne pouvois refuser à cette démarche ; pendant ce tems-là, il s'expédioit des bureaux du trésor,[p.89]des multitudes de lettres dictées par la crainte, conçues dans les allarmes de la pusillanimité, de la bassesse, & adressées à tous ceux que le ministre compte dans le nombre de ses adhérens : ces lettres défendoient expressément à ceux qui les recevoient, d'assister à aucune assemblée du comté, &c. : on ne m'avoit pas oublié, une de ces lettres me parvint ; je la reçus avec le mépris que méritoit une insulte, & déterminé à concourir dans des mesures qui donnoient de l'ombrage au gouvernement, je crus devoir résigner une place qui m'attachoit à la cour, il y avoit long-tems d'ailleurs que je savois à quoi m'en tenir sur le compte des ministres : je savois qu'il en existoit parmi eux d'assez pervers pour faire un trafic honteux des intérêts de leur pays qu'entre leurs mains l'honneur, peut-être même la sûreté de ce pays, étoit en danger, que leur occupation principale étoit d'éloigner du service les meilleurs officiers, les hommes les plus populaires, qu'ils traitoient avec tant d'indignité, qu'ils les mettoient dans l'impossibilité de reparoître sur le théâtre de la guerre & de combattre pour l'état : je savois qu'il en existoit d'autres dont je ne pouvois guère avoir meilleure opinion que des premiers, hommes dont l'indolence naturelle glaçoit le génie, & amortissoit les efforts de ceux qui[p.90]eussent pu sauver leur pays. J'ai reçu aujourd'hui une lettre, par laquelle on demande que je me démette de ma place de lord-lieutenant d'un district d'Yorkshire ; si l'on croit me punir ainsi de la conduite que j'ai tenue, tout ce que je puis dire, c'est que je ris de la folie d'un pareil procédé, je ressens comme je le dois, l'insulte qui le caractérise, & j'en abhorre la criante injustice.

 

Discours de lord North, dans lequel il repousse une accusation de manœuvres illicites intentée contre lui par M. Temple Luttrell.

 

Du 24 Mars 1780.

La plainte rendue contre moi, me suppose coupable de manœuvres illicites pratiquées par moi ou mes agens, relativement au bourg de Millbourne-Port. Je me suis prêté à ce que les témoins qui doivent me convaincre fussent entendus, je ne les ai point interrompus dans leurs réponses, je n'en ai récusé aucun : je pourrois actuellement borner ma défense à la simple observation que rien de ce qui avoit été avancé contre moi n'a été prouvé, mais je me dois quelques éclaircissemens.[p.91]Quelles sont les preuves administrées ? le témoin John Hyde a produit un papier qui a dit être le projet d'un traité qui, loin d'avoir son effet, n'a pas même été signé par les parties prétendues contractantes : que ce projet ait existé ou non, qui prouvera que j'y ai eu la moindre part ? Je n'y vois de moi que mon nom : le témoin dit d'ailleurs que ce projet fut dressé le verre à la main : de cette circonstance, & de ce qu'il n'a pas été mis en exécution, je conclus que s'il a été jetté sur le papier dans la soirée, dans un moment de gaieté ; le moment de réflexion est survenu le lendemain, & le projer s'est évanoui ! Mais, dit l'honorable membre, il y a tout lieu de suspecter que lord North avoit part à la rédaction de ce projet, parce qu'il étoit rédigé par un homme qui passe dans le pays pour son agent ; qui occupe une maison qu'il tient à loyer de lord North. Belle preuve ! parce que je loue ma maison à un homme, cet homme est mon agent !

Une autre preuve de la même force, se tire d'un billet prétendu écrit par moi, & portant que je n'avois point d'objection à former contre M. Lloyd : premièrement le billet n'étant point produit, ne peut faire preuve ; mais je l'admets : est-il bien étonnant que connoissant particulièrement & depuis long-tems le[p.92]sieurMedlycot, & lui ayant souvent écrit, si j'ai remarqué que, pour me faire plaisir il traitoit avec le sieur Lloyd pour lui céder son influence, sur le bourg en question, je lui en ai témoigné ma satisfaction ? Y a-t-il donc un si grand crime dans une conduite si naturelle ? Au reste je m'en rapporte, à l'équité de la chambre, & je me retire.

 

Discours du comte de Shelburne. Le vicomte de Stormont s'étant plaint de ce qu'il ne subsistoit que trop de correspondance entre l'Angleterre & la France, le comte de Shelburne déclare qu'avant d'entrer dans la discussion de la motion proposée ; le vicomte doit s'expliquer complettement sur cette correspondance. Il s'en défend lui-même ; comme s'il sentoit que cette accusation indirecte le regardoit personnellement.

 

Du 25 Avril 1780.

J'insiste sur ce point, & je demande l'explication la plus complète ; parce que ce règne est celui de la calomnie, dont le venin se répand, non-seulement sur les Whigts qui ne sont plus, mais même sur ceux dont le rang, les[p.93]talens, les principes & le mérite en général font l'ornement de la génération actuelle : aucun de vous, milords, n'ignore avec quelle impudence de lâches assassins ont vomi les plus infâmes invectives contre les personnages les plus nobles, les plus éminens du royaume ; ils ont porté l'audace & la noirceur jusqu'à poser en fait qu'il existoit dans cette chambre des nobles pairs qui entretenoient une correspondance criminelle avec les ennemis de l'état ! un noble duc, que je me fais un honneur de nommer mon ami, a été particulièrement accusé de ce crime atroce ! dans des circonstances si délicates, il est de toute nécessité que tout ce qui peut avoir l'apparence de l'insinuation la plus éloignée soit parfaitement éclairci : je somme donc le noble lord au ruban vert de déclarer si pendant le séjour qu'il a fait en France en qualité d'ambassadeur, ou depuis qu'il est secrétaire d'état, il a reçu la plus légère information qui lui ait donné la raison la plus éloigné de penser qu'aucun pair de cette chambre entretenoit avec les ennemis de ce pays une correspondance contraire aux intérêts de ce même pays : oui, je l'avoue, j'entretiens en France une correspondance précieuse avec des amis infiniment estimables que j'y cultive, hommes dont l'honneur est aussi pur, la vertu aussi sacrée[p.94]qu'il soit possible d'en trouver sur la surface entière du globe ; mais je défie qui que ce soit de m'accuser pour cela d'aucune correspondance criminelle.

 

Motion du comte de Shelburne, tendante à ce qu'il soit présenté à Sa Majesté une humble Adresse aux fins de la supplier de vouloir bien ordonner qu'il soit mis sous les yeux de la Chambre, plusieurs pièces importantes concernant la. situation présente des affaires de l'Europe, la plupart déjà rendues publiques dans la gazette de la Cour ;& à ce sujet, déployant un esprit de discussion & de politique, il expose les erreurs & les inepties du Ministre Anglais.

 

Du premier Juin 1780.

Toutes ces pièces sont de notoriété publique ; pour en refuser la communication officielle on ne se servira pas du stratagème rebattu, qui consiste à dire qu'il est dangereux de divulguer les secrets de l'état, ma motion est de pure forme ; quoique je sache parfaitement bien où prendre ces papiers, je demande qu'ils soient[p.95]communiqués officiellement, parce qu'il faut qu'ils soient déposés sur cette table pour servir de fondement à une motion ; de ces papiers les uns concernent la Hollande, les autres ont rapport a la Russie : dans les premiers (en lisant quelques passages) je remarque les expressions pleines de hauteur, dans lesquels est conçu le mémoire présenté aux états-généraux par sir Joseph Yorke ; le ton non moins hautain que prennent les états-généraux, en déclarant qu'ils persistent dans la résolution qu'ils ont prise de porter par-tout où ils jugeront à propos les effets qui ne font pas prohibés ou de contrebande par le traité de 1674, & de faire escorter leurs convois, tant pour défendre l'honneur de leur pavillon, que pour protéger la propriété de leurs sujets : d'un autre coté, en jettant les yeux sur la déclaration du roi, je vois que, de l'avis de son conseil-privé, sa majesté entre en rupture ouverte avec la Hollande, & tranche d'un seul coup le fil d'une connexion qui s'est inviolablement soutenue pendant plus d'un siècle : je ne vois qu'un bien qui puisse résulter d'une déclaration si imprudente, ce seroit de pouvoir connoître les noms de ces conseillers-privés qui pendant la session du parlement ont osé proposer à sa majesté une mesure aussi précipitée, aussi inconsidérée, aussi dangereuse, que de[p.96]rompre brusquement avec la Hollande, l'ancienne alliée, l'alliée naturelle de la Grande-Bretagne, & de la forcer à s'unir contre ce pays avec la France, l'Espagne & l'Amérique.

À l'égard des papiers qui concernent la Russie, je vois d'abord par la déclaration faite par cette cour en 1779, que sous prétexte de quelques désordres exercées dans la mer Baltique par un corsaire Américain, l'impératrice annonce à la Grande-Bretagne qu'elle va former une ligue avec les rois de Suède & de Dannemark pour protéger le commerce de cette mer : il falloit que cette princesse connut bien parfaitement nos ministres pour espérer qu'ils donneraient dans ce piège ! oui, elle savoit qu'ils mordoient à l'hameçon dès qu'il seroit couvert de l'appât de quelques apparences hostiles contre les Américains : tandis qu'ils couraient après une ombre, route l'Europe voyoit clairement que cette exclusion de la mer Baltique étoit générale pour tous les vaisseaux armés, soit Américains, soit Anglais : mais la Russie étoit trop sage pour commencer par parler des vaisseaux Anglais : il est cependant curieux de considérer la nature du droit allégué par les cours de Petersbourg, de Stockholm& de Copenhague, pour s'arroger la domination sur la Baltique : domination dont il n'est fait mention dans aucun traité[p.97]existant, & dont on n'avoit jamais entendu parler, elles vous disent :« Que le Dieu tout-puissant a entendu que ces trois puissances domineroient exclusivement sur cette vaste mer ». Les termes de la déclaration disent expressément « Que la nature leur a attribué ce droit » : Si cette prétention est extraordinaire & sans exemple, la dernière déclaration de l'impératrice de Russie est bien plus étonnante ; cette princesse ose y annoncer « un code maritime qui servira de règle pour l'Europe entière ». J'avoue que lorsque ce décret, impérial m'est tombé pour la première fois sous la main, j'ai été confondu. J'ai senti sur le champ que la Russie, cet empire sortant du berceau, à peine compté, il y a quelques années, au nombre des puissances maritimes ; cette Russie que les ministres nous disoient être notre amie, notre alliée, étoit disposée, non-seulement à- nous refuser des secours, mais encore à contribuer à l'anéantissement du pouvoir maritime de la Grande-Bretagne. L'impératrice déclare dans ce manifeste « Que les vaisseaux libres rendent libres les effets qu'ils ont abord » : elle ne se borne pas à établir ce principe en faveur des vaisseaux de sa nation, elle le rend général ; elle invite tous les états de l'Europe, soit neutres, soit belligérants, à s'unir à elle pour le maintenir, & pour leur[p.98]donner l'exemple : elle les informe que pour le soutenir efficacement, elle équipe une puissante escadre !

Au reste, qui a donné lieu à cette étonnante mesure ? l'infraction des traités de la part de la Grande-Bretagne. Par les traités de 1673 & 1674, la Hollande étoit en droit de transporter tout ce qui n'étoit pas expressément déclaré de contrebande ; malgré l'existence de ces traités le commodore a reçu l'ordre extravagant de saisir un convoi Hollandais : cet acte de démence a alarmé la Russie, qui sur le champ a publié son manifeste, que la Hollande, la France & l'Espagne ont accueilli avec toutes les marques de la plus parfaite satisfaction : la France n'a pas manqué de saisir cette occasion de presser la confection du code maritime annoncé par l'impératrice, promettant de l'adopter & de s'unir à celle pour l'appuyer : telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons ; pas un allié ; il nous restoit un ami, l'administration a trouvé le secret de rompre avec lui ! N'est-il pas de la démence la plus consommée de n'avoir cherché à s'assurer quelqu'alliance ? L'occasion s'en est présentée plus d'une fois, plus de deux, plus de quatre fois. Si à la fin de la dernière guerre l'administration étoit lasse de sa connexion avec le roi de Prusse ; si elle eut préféré[p.99]l'amitié, l'alliance même de la maison d'Autriche, l'occasion de s'en assurer s'est présentée il y a peu d'années : en 1773, époque des troubles de la Pologne, la Grande-Bretagne se fût fait une amie de cette maison, en interposant son autorité ; cette démarche eut été agréable a plus d'une puissance Européenne ; si l'on eut préféré l'alliance du roi de Prusse, il s'est présenté plus récemment encore une occasion de se la procurer, celle de la mort de l'électeur de Bavière : quelque tems avant cet événement, la France le prévoit avec terreur, elle sentoit combien il pourroit tourner à l'avantage de la Grande-Bretagne, combien la guerre qu'il occasionneroit infailliblement entre les cours de Vienne & de Berlin, seroit contraire à ses intérêts : quel parti ont tiré nos ministres de cette circonstance ? Ils l'ont laissée échapper comme la première ; au lieu de se concilier l'amitié de l'Autriche, ou de renouer avec la Prusse ils ont trouvé le secret de dégoûter ces deux puissances, ainsi que presque toutes celles de l'Europe ; ils ont souffert que la France fût médiatrice entre-elles, & fît leur paix : leur conduire à l'égard de la cour de Pétersbourg, a été également coupable de négligence, ils ont laissé échapper une ou deux occasions de se concilier l'amitié de cette cour, lors de sa rupture[p.100]avec la Porte : quel rôle ont-ils joué ? Ils ne sont point entrés dans les négociations, mais ce dont ils auront peut-être lieu de se repentir, ils ont envoyé des vaisseaux aux Russes pour leur apprendre comment on obtient & conserve cette domination des mers, à laquelle ils prétendent aujourd'hui : tels sont les fruits de la prudence & de la sagesse de nos ministres, ils ont perdu l'Amérique, la plus belle moitié de l'Empire, & contre la moitié qui nous reste ils ont suscité toutes les puissances de l'Europe : je dis décidément qu'ils ont perdu l'Amérique, parce qu'après ce qui vient de se passer en Hollande & en Russie, il faudroit être bien borné pour ne pas voir qu'enfin à présent l'indépendance de l'Amérique est consommée : le nouveau code maritime la confirme de reste ; la France & les autres puissances maritimes, dont il est de l'intérêt que l'Amérique ne rentre jamais sous la domination de l'Angleterre, auront soin de la faire comprendre dans le code : or je préviens l'administration que ce code ne tardera pas à être en force ; que si elle ne prend pas promptement quelques arrangemens avec la Hollande, il se tiendra bientôt à la Haye un congrès, à l'effet de donner la fonction de l'Europe maritime à la loi qui établit, que les vaisseaux libres rendent libres les effets qu'ils ont à bord.

[p.101]

 

Discours contradictoire du Vicomte de Stormont, dans lequel il répond avec détail aux assertions avancées par le comte de Shelburne. Il justifie les Ministres au sujet de la rupture avec la Hollande & du traité d'alliance avec la Russie que l'on leur reprochoit. Il finit par s'opposer à la motion du Comte de Shelburne.

 

Du même jour.

Je le ferai complettement, j'opposerai des faits à des spéculations, j'entrerai dans les détails les plus étendus, observant seulement la circonspection que m'impose mon devoir sur l'article délicat trop légèrement traité par le noble comte, je me garderai bien d'interpréter publiquement les intentions des diverses puissances de l'Europe, ces sortes d'ouvertures, déplacées en tout temps, seroient plus particulièrement dangereuses dans ce moment-ci ; le relâchement introduit dans l'ordre parlementaire, a malheureusement rendu indispensable une circonspection sans laquelle tout ce qui se dit dans l'une & dans l'autre chambre, parcourt tous les coins de l'Europe, & semble n'être dit que dans la vue de le rendre public : cet abus est infiniment[p.102]nuisible, me paroît sans exemple, & je suis bien persuadé que ce qui se disoit autrefois dans le sénat de Rome, ne se divulguoit pas comme tout ce qui se passe dans le parlement d'Angleterre. Au reste, ayant égard à ces considérations particulières que l'on ne devroit jamais perdre de vue, pour répondre aux assertions du noble comte, j'entrerai dans les éclaircissemens qui, de leur nature, ne peuvent être dangereux à l'égard de la Hollande, & des dispositions dans lesquelles le noble comte suppose cette république ; il faut remonter à l'époque & aux motifs des traités, objets de la discussion actuelle ; en jettant les yeux sur celui de 1674, est aisé de voir que, fondé sur des obligations réciproques, il avoit pour objet l'avantage mutuel des deux nations : la Hollande étoit alors en guerre avec la France ; il fut convenu que toutes les fois que la Grande-Bretagne serait attaquée par cette dernière puissance, ou seroit en guerre avec elle, la première lui fourniroit un certain secours stipulé & spécifié, selon l'origine & la nature de la guerre, qui rendroit exigible l'effet de cette spéculation : depuis cette époque nous avons souvent demandé ce secours, & jamais nous n'avons reçu de réponse satisfaisante : lorsque nous n'étions encore en guerre qu'avec l'Amérique,[p.103]la Hollande nous répondit que le cafus fœderis n'existoit point : engagés ensuite comme dans une triple guerre contre la France, l'Espagne & l'Amérique, nous avons dit pour le coup que le cafus fœderis existe, ou il n'existera jamais ; car enfin l'attaque de Gibraltar, l'apparition de la flotte Française dans la Manche, & quantité d'autres circonstances de notoriété également publique, sont précisément de ces actes d'hostilité spécifiés dans le traité dont nous avons à diverses reprises, reclamé l'exécution : il faut observer que comme de notre part, ce traité avoit été religieusement observé, nous avions acquis le droit d'exiger la même fidélité ; qu'en formant une demande si juste, nous avions d'ailleurs occasion de nous plaindre de ce qu'en opposition à un article secret de ce même traité de 1674, les états généraux fournissoient à nos ennemis des munitions navales, notre demande étoit en conséquence accompagnée de remontrances sur ce dernier objet : qu'ont répondu les Hollandais & à la demande & aux remontrances ? La faction Française se trouvant malheureusement prépondérante, non-seulement ils ont continué de fournir à nos ennemi ces munitions, en sorte que nous apprîmes qu'une flotte de ces navires alloit directement à Brest, sous l'escorte du contre-amiral[p.104]comte de Byland : le commodore Fielding fut chargé d'arrêter ce convoi :& ce qui prouve que ce coup que l'on appelle téméraire, étoit justifié, & par la nécessité & par le droit, c'est que les Hollandais eux-mêmes craignirent de se compromettre en mettant sous la protection de leurs vaisseaux de guerre les navires chargés de bois de construction : ceux-ci prirent séparément la route de Brest, où ils arrivèrent. Or, il ne faut point confondre les objets, ces procédés étrangers ne sont point les procédés de quelques négocians, ce sont les procédés de l'état : vous savez, milords, à quel point l'esprit d'entreprise, l'espoir & la soif déréglée du gain, caractérisent les négocians Hollandais : vous savez qu'il n'en est point au monde qui, pour satisfaire cette avidité du lucre, courussent d'aussi grands risques qu'eux : personne n'ignore que le maréchal qui prit Berg-op-zoom, déclara ouvertement qu'il avoit acheté à Amsterdam la poudre qui avoit réduit cette place ; que dans une autre circonstance, la Hollande étant en guerre avec l'Espagne, des marchands Hollandais entreprirent de fournir un certain nombre de vaisseaux de guerre au roi d'Espagne ; mais ici ce n'est pas à des marchands particuliers que nous avons à faire, c'est aux états-généraux des Provinces-unies, & en vérité il faudroit que la[p.105]Grande-Bretagne fût bien humiliée, fût tombée bien bas, il faudroit que ses ministres eussent bien mérité les reproches que l'on ne cesse de hazarder contre eux, qu'ils manquaient non seulement de sagesse, mais même de sens commun ; qu'ils fusent timides, pusillanimes, lâches à un point extrême, à un degré honteux, s'ils eussent souffert, ou s'ils pouvoient souffrir que la Hollande fournît à la France tout ce que l'on entend par les nerfs de la guerre ; s'ils n'eussent pas cherché à diminuer du moins l'énergie de ces nerfs ; s'ils n'eussent pas enfin tiré parti de l'avantage local de leur pays, qui les mettoit à portée d'empêcher que des approvisionnemens destinés à là marine des ennemis de ce même pays, n'entrassent dans leurs ports !& c'est parce qu'ils ne sont pas fouillés de cette infamie qu'un noble comte leur reproche une témérité impardonnable : il les blâme d'avoir attaché aux mains de la Hollande le poignard dont elle alloit armer le bras de la France déjà levé & prêt à le plonger dans le sein de ma patrie ; car enfin on ne peut se dissimuler que l'intention avouée de la France est de détruire la puissance maritime de la Grande-Bretagne : je demande, milords, si ces ministres tant décriés ont eu tort, du moins dans le cas dont il s'agit ? Si l'on peut raisonnablement[p.106]ou décemment leur reprocher d'avoir empêché que la Hollande ne continuât de se dire l'alliée de la Grande-Bretagne, de jouir des privilèges, de tous les avantages de cette alliance, tandis que tout ce qu'elle pouvoir faire dans le genre auxiliaire, étoit tourné au profit de la France. Certainement ils ont fait leur devoir, il n'étoit pas possible de tenir une autre conduite avec un peuple qui, loin de régler la sienne sur les articles positifs d'un traité solemnel, loin de se comporter en allié, ne s'est pas même renfermé dans les règles que le droit des gens & la bienséance prescrivent aux puissances neutres ; car enfin en quoi consiste la neutralité ? Quelle est l'idée que présente ce mot dans son acception politique ? Une puissance qui se déclare neutre, déclare aux yeux de l'univers, non-seulement qu'elle ne prendra pas les armes pour ou contre, mais encore qu'elle ne prendra aucune part à la guerre, qu'elle n'aidera aucune des puissances belligérentes : la Hollande s'est-elle conformée à ces principes simples, qui seuls peuvent constituer la neutralité ? Non-seulement elle s'en est écartée, ses écarts ont été de véritables actes d'hostilité ; je puis poser en fait sans craindre d'être contredit, que les secours qu'elle a fournis à la marine Française, nous ont été dix fois plus nuisibles que ceux auxquels[p.107]elle se trouvoit engagée envers nous par traité, ne nous eussent été utiles : par conséquent, si les ministres n'eussent pas cherché à interrompre cette communication pernicieuse entre nos alliés apparens & nos ennemis ouverts, c'est alors qu'ils eussent mérité, non-seulement la plus âpre censure, mais même le châtiment le plus exemplaire. À l'égard de la déclaration consignée dans la gazette du 18 avril, elle n'est pas à beaucoup près conçue en termes si décisifs qu'on affecte de le croire ;, si le noble comte veut bien la lire encore, il remarquera que dans toute sa teneur, elle laisse aux états-généraux les moyens de renouer avec la Grande-Bretagne,, s'ils le jugent à propos : dans ce dernier cas, je suis prêt à convenir avec le noble comte que nous devons les recevoir à bras ouverts, & resserrer les nœuds d'une union nouvelle le plus étroitement qu'il seroit possible.

Je passe actuellement à ce qui concerne la Russie, je me suis trouvé dans le cas d'être consulté sur les avantages qui résulteroient pour la Grande-Bretagne d'une alliance avec la cour de Pétersbourg ; j'ai toujours & uniformément répondu qu'ils seroient infinis, que l'on ne pouvoit trop cultiver l'amitié de cette cour, que j'ai constamment regardée comme l'alliée la plus naturelle que pût avoir la Grande-Bretagne :[p.108]si cette alliance n'est pas cimentée par des traités, du moins il s'en faut de beaucoup que je voie comme le noble comte des dispositions hostiles dans la conduite de l'impératrice : pour prouver que la dernière déclaration de cette princesse est contraire aux intérêts de la Grande-Bretagne, le noble comte allègue l'accueil que la cour de France lui a fait : quant à moi, dans ces démonstrations de complaisance je ne vois qu'un de ces actes extraordinaires de la politesse qui caractérise si particulièrement le cabinet Français, lorsqu'il est de son intérêt de les mettre en usage : la cour de Pétersbourg n'en connoît pas moins, ainsi que toute l'Europe, combien est fausse l'assertion de la cour de France, lorsqu'elle dit que sa marine observe précisément les réglemens proposés par l'impératrice ; pour se convaincre dé la fausseté de cette assertion, il ne faut que le rappeller des faits très-récens, & entre autres choses, observer la conduire que tint la France il y a quelques années, lorsque l'impératrice envoya une flotte clans la Méditerranée. Au reste, l'impératrice de Russie est une princesse sage & juste ; il n'est pas à craindre qu'elle s'écarte des principes qui constituent son caractère, & qui rapproche d'une manière si frappante son règne de celui de notre auguste Élizabeth, l'ornement[p.109]de nos annales : il n'est ni naturel ni probable qu'elle abandonne ses meilleurs amis dans ce moment de détresse ; il l'est encore moins qu'elle s'unisse aux ennemis d'une puissance à qui elle a tant d'obligations, dont il est si fort de son intérêt de cultiver l'amitié & l'alliance : tel est le point de vue sous lequel j'envisage notre situation relativement à la Russie, je ne cherche point à pallier les choses ; mais entrer dans de plus grands détails à l'égard des diverses puissances dont le noble comte a interprété les dispositions, me paroît tout au moins inutile, peut-être même dangereux ; le moyen de surmonter les difficultés qui nous environnent, & qui nous écrasent, n'est pas de proclamer aux yeux de l'Europe entière, que nous sommes des esclaves vendus à la corruption ; que nous n'avons point d'alliés, que nous n'en avons point à espérer ; qu'il ne nous reste plus de ressources, & que nous sommes tombés dans un état d'avilissement & de découragement qui ne nous laisse que le désespoir. Ce n'est pas la première fois que ce pays, après avoir lutté contre des calamités passagères, s'est relevé avec un nouvel éclat : je me flatte qu'il reste encore assez de courage, assez d'énergie à la Grande-Bretagne pour renouveller aux yeux de l'Europe le prodige qui l'a plus d'une fois étonnée : si j'étois[p.110]le maître du tonnerre, certainement je le dirigerois contre les ennemis de mon pays ; mais quoiqu'il ne suffise pas de désirer des armées & des flottes dix fois supérieures à celles qu'on peut nous opposer, quoique je convienne que nous sommes dans un moment de détresse alarmante, si nous tentons encore les nobles efforts que nous admirons dans nos pères ; si nous nous conduisons avec la fermeté, la vigueur, l'unanimité dont ils nous ont donné l'exemple, je ne doute pas qu'une nation combattant pour sa liberté, pour son existence politique, ne réussisse à surmonter les difficultés de toute espèce dont elle se voit assaillie : je regarde comme superflu d'ajouter que je m'oppose à la motion du noble comte.

[p.111]

 

Extrait d'un discours invectif du comte de Richemond contre les ministres. Il s'élève avec indignation contre la politique complaisante & méprisable, qui vient récemment de soustraire au châtiment, qu'il méritoit, un Russe que l'on avoit trouvé employé à démolir la chapelle de l'ambassadeur de Sardaigne.

 

Du 19 Juin 1780.

Il en est une que je relève, parce qu'elle est plus récente. Il m'est revenu, & j'ai de bonnes raisons pour le croire, qu'on a surpris en flagrant délit un Russe employé à démolir la chapelle de l'ambassadeur de Sardaigne. Qu'est-il devenu ? On croiroit peut-être qu'il est détenu dans les prisons, que son procès va s'instruire : point du tout ! par une vile & méprisable complaisance pour la cour de Pétersbourg, ce criminel est en liberté, & cela sur un simple mandat d'un secrétaire d'état. Que les Français savent bien mieux venger le droit des gens, lorsque quelqu'un ose y porter atteinte ! l'histoire du comte Horn, condamné par la justice impartiale de ce royaume à périr sur la roue pour crime d'assassinat, & exécuté en place publique, comme[p.112]un scélérat tel que lui, le méritoit, malgré tous les efforts des puissances intéressées à lui faire obtenir sa grâce, fait le plus grand honneur aux tribunaux Français. Eh ! que diront de nous les étrangers quand ils apprendront que non-seulement nous n'avons pas puni le crime, mais que nous avons laissé échapper le criminel par un esprit de lâche adulation, dans l'humble vue de mériter les bonnes grâces de la cour de Russie !

[p.113]

 

Cinquième section. Militaire anglais.

 

Discours de M. Shippen, dans lequel il prouve l'inutilité & le danger de la continuation, en tems de paix, d'une augmentation de troupes de terre. On remarque un ton d'ironie, dans la plus grande partie de ce discours.

 

Du 22 Novembre 1724

Monsieur l'Orateur,[1]

Je me suis élevé si souvent contre le maintien d'un nombre extraordinaire de troupes de terre en tems de paix, qu'aujourd'hui j'aurois préféré de garder le silence, si déjà engagé dans le débat le premier jour de cette session, je n'eusse commencé à m'opposer à la continuation de quatre mille hommes d'augmentation, & si je ne pensois qu'il est de mon devoir de[p.114]combattre toute proposition qui semble apporter le moindre danger à la constitution Britannique. J'en demande pardon à ceux qui peuvent être d'un avis contraire, mais la présente question me paroît être de cette nature, & je ne puis me persuader que l'imposition de taxes multipliées sans nécessité, & que la surcharge de nouveaux fardeaux doivent produire une insensibilité apathique & une soumission servile : je pense au contraire, que ces abus doivent réveiller & doubler notre attention, de crainte qu'avec le tems, ils n'acquèrent un droit de prescription, puis insensiblement, une consistance inaltérable.

S'il m'est permis de considérer le discours du roi, comme étant plutôt l'ouvrage de ses ministres, qu'un édit émané du trône, quoique je sache par l'expérience que cette manière de le définir est d'autant plus dangereuse qu'elle est plus parlementaire, j'observerai cependant dans ce discours, qu'on n'y demande point l'avis ni l'opinion des communes, que l'on n'y parle nullement du droit éminent, essentiel, imprescriptible qu'elles ont de lever les derniers publics : mais qu'au lieu de cela, ce discours prescrit positivement les préparatifs à faire de mer & de terre, pour le service de l'année prochaine. Or, n'est-ce pas-là une méthode inusitée jusqu'ici, de parler[p.115]ainsi au parlement ? Voilà ce qui doit être absolument fournis à l'examen & à la sagesse de cette chambre, le meilleur juge de son propre pouvoir & de ses privilèges.

Il est affligeant, monsieur, d'entendre dire dans une session & répéter dans une autre, que bien que nous soyons dans un tems de paix & de tranquillité (comme on le dit) nous ne pouvons être cependant en sûreté au-dedans ni respectés au-dehors, sans continuer d'avoir plus de dix-huit mille hommes de troupes de terre à notre solde.

Cette manière de raisonner, directement contraire aux circonstances, ne cadre point avec notre heureuse situation : elle donneroit à penser que nous ne pouvons jouir des bénédictions d'un règne prospère, sans avoir en même tems à souffrir toutes les calamités d'un règne malheureux : ce qui est en soi une contradiction & incompatible avec ce que se doit à lui-même tout Anglais, je veux dire, de conserver ses libertés légales, libertés pour le maintien desquelles nos prédécesseurs jugèrent nécessaire en parlement, d'interrompre la ligne directe, dans la succession de la famille royale.

Ce raisonnement supposeroit que la confiance réciproque entre sa majesté & son peuple[p.116]est entièrement détruite, qu'il y a défiance d'un coté & désaffection de l'autre, tandis qu'on ne voit pas de fondement, ni le plus léger prétexte de le croire, tandis que sa majesté par sa résidence au milieu de nous, l'été dernier, nous a donné la preuve la moins équivoque, qu'elle préfère la prospérité & le bonheur de ces royaumes à celui de son propre domaine d'Hanovre, en même tems, qu'elle a assuré pour toujours l'amour de ses fidèles sujets, par cette nouvelle marque de son affection & par cette condescendance personnelle à leur égard. Par-là sa majesté a consolidé pour toujours au-dedans cette tranquillité dont elle s'est même plu de féliciter le parlement avec beaucoup de satisfaction.

Cette sécurité n'a rien à craindre des clameurs de l'Irlande, par rapport à la dernière patente concernant la monnoie : puisqu'il y a dans ce royaume une armée nombreuse, suffisante pour réprimer les esprits remuans, & pour tenir en respect les mécontens qui voudraient les favoriser. Au reste, si pour l'honneur & la sûreté de notre gouvernement, on jugeoit nécessaire d'augmenter nos forces de terre assurément sans avoir recours à l'Irlande, ce royaume est en état & prêt au besoin à les augmenter[p.117]de lui-même avec les propres troupes. Ainsi tout argument qu'on peut tirer de la présente question, tombe de lui-même. Cette chambre pourra bien, lorsqu'il en sera tems, écouter les plaintes de l'Irlande, se faire représenter la patente, objet de ses clameurs, & examiner les choses à fond : car la mauvaise administration de ce royaume a été souvent l'objet des enquêtes de la chambre des communes, & souvent ces enquêtes ont été fatales à ce qu'il y a eu de grands ministres en Angleterre, grande leçon pour leurs successeurs !& que j'adresse aujourd'hui à ceux qu'elle regarde. Quoi qu'il en soit de l'Irlande, on ne peut rien en conclure par rapport à nous, & l'on ne pourra jamais induire un parlement Britannique à payer un soldat de plus qu'il est nécessaire pour notre conservation.

Actuellement toutes les conspirations, toutes les rebellions paroissent entièrement éteintes autant par la conduite prudente & sage du gouvernement que par les dernières opérations du parlement, faites à tems. On a revu, composé, proportionné aujourd'hui les troupes avec tant de soin dans toutes les parties de la nation, qu'il y a lieu d'espérer qu'on y laisse peu d'officiers subalternes qui osassent entreprendre encore une fois de soulever une armée entière[p.118]& de la porter à des attentats hardis & extraordinaires[2].

L'église est à l'abri de toute crainte, par la plus grande attention qu'on a de n'élever à l'épiscopat & à toutes les autres dignités ecclésiastiques que les seuls sujets du clergé, les plus orthodoxes & les plus savans. On a pris pour l'administration de l'état les mêmes précautions, en n'avançant dans les emplois, les places & les postes les plus importants, que les hommes qui en sont les plus dignes par leur capacité, & les plus instruits par l'expérience. Mais bien plus que cela ! Nos hommes d'état ont étouffé toutes haines ;& aujourd'hui, ils n'ont entre-eux d'autre débat que celui de servir à l'envi le roi & la nation, sans aucune ambition personnelle, sans aucune vue d'amasser d'immenses richesses pour eux-mêmes& pour avancer leur famille. Certes, une pareille administration ne doit avoir nullement besoin d'être investie par une armée de plus de dix-huit mille hommes de troupes disciplinées ; une pareille administration ne le souffrira point. En un mot, ce n'est pas à cette armée à faire parade des grandes merveilles de[p.119]leur ministère, d'ambitionner la gloire d'élever notre crédit, d'augmenter notre commerce, & d'assurer la prospérité de la Grande-Bretagne.

Au-dehors les affaires étrangères ne paroissent pas moins brillantes que celles au-dedans du royaume sont prospères, autant que j'en puis juger sur la simple apparence des choses sans être dans les secrets de l'état.

Nous ne devons pas avoir d'appréhension du voisinage de la France, qui nous est étroitement liée par de bons traités :& j'ai entendu les années dernières, soutenir ici, exalter même la bonne foi Française, autant que je l'avois entendu dépriser & fronder auparavant dans cette même chambre : nous avons d'ailleurs en France un ambassadeur vigilant, politique, adroit & pénétrant, qui avec les bons avis & les instructions qu'il reçoit de cette cour, saura non-seulement avancer nos affaires dans ce royaume, mais y influer par lui-même, mais en diriger le cabinet.

Nous n'avons plus de prétextes de garder ces forces par rapport à l'Espagne, comme si nous en avions quelque chose à craindre : si cette monarchie étoit assez imprudente pour conserver quelque rancune d'un certain mauvais traitement de la Grande-Bretagne, si elle avoit encore quelque ressentiment de notre glorieuse[p.120]victoire navale sur sa flotte[3] dans la méditerranée, le sujet d'une fameuse médaille, ornée d'inscriptions pompeuses ; si l'on insistoit sur la restitution de Gibraltar & de Port-Mahon, qui (permettez-moi mon avis) ne pourroient être rendus sans la plus grande injustice & la plus haute infamie pour l'Angleterre ; si, dis-je, quelque levain de cette espèce fermentoit encore dans le sein de l'Espagne, au mépris de nos traités & de nos négociations journalières, nous devons être bien assurés cependant que nous n'avons point d'invasion à craindre de leur armada ; instruits que nous sommes de la mutabilité de leurs conseils, de leurs prétentions sur l'Italie, de la grande distance entre l'Espagne & l'Angleterre, toutes causes qui rendraient impraticable le projet que pourrait avoir cette monarchie de nous nuire & de nous molester. Que si Philippe par la résignation de sa couronne fut pour nous l'année dernière un prétexte plausible de continuer quatre mille hommes d'augmentation, la reprise qu'il a faite depuis de cette couronne, doit être aujourd'hui une juste raison de licencier ces troupes.[p.121]Les obligations personnelles qu'a l'empereur à la Grande-Bretagne, ne lui permettent pas d'entretenir aucun mauvais dessein contre nous, sa majesté impériale n'en aura point par rapport au commerce d'Ostende par la compagnie des indes ; ni par rapport à ses nobles efforts pour dissiper en Allemagne tous les troubles de religion, & pour y étendre le protestantisme dont il s'est déclaré le zélé protecteur.

Les Hollandais, nos alliés naturels, sont prêts au besoin, à nous prêter des secours & ce n'est point leur faute, s'il est arrivé quelquefois qu'on s'est disputé par rapport aux frais du transport des troupes auxiliaires : les Hollandais nous sont attachés par les liens de la reconnoissance pour leur préservation originelle, par un nœud plus puissant encore, celui de leur propre intérêt & de leur sûreté.

Quant aux deux couronnes du Nord, la Suède & le Dannemarck, elles ont été tour à tour favorisées de notre protection & de nos bontés. Personne ici n'a oublié la fameuse époque, où 250 mille livres sterlings, & depuis, quelques autres supplémens de finance moins considérables furent levés pour cet objet. Nous devons espérer en outre, que notre expédition dans la mer Baltique, sous la conduite d'un brave officier, ici présent, a dû être aussi efficace qu'elle a été[p.122]dispendieuse ;& que notre flotte a forcé les deux couronnes non-seulement à une réconciliation, mais encore à une soumission absolue à l'égard de la Grande-Bretagne.

Le Czar est occupé à étendre ses conquêtes dans des contrées les plus éloignées ;& si ce que l'on rapporte de son dernier traité est vrai ; que sans égard pour les autres couronnes, ce traité est entièrement à l'avantage de la Grande-Bretagne, nous n'avons rien à craindre de notre nouvel allié ; d'ailleurs trop occupé dans ce moment, pour songer à nous nuire. Enfin, quelque envie qui nous prenne de nous entremettre médiateurs, je ne présume pas que nous soyons liés avec le Czar, pour empêcher la succession à la couronne de Pologne d'avoir son effet, & pour nous mêler d'établir la balance de l'empire de Perse.

Si donc telle est notre situation, florissante au-dedans & au-dehors, pourquoi refuserions-nous de profiter des conséquences heureuses qu'elle nous offre ? Pourquoi craindrons-nous de réduire nos forces de terre ? Pourquoi ne nous débarrassons-nous pas de l'augmentation, du moins de quatre mille hommes, par pitié pour une nation surchargée, & succombant presque sous le faix de la dette nationale ? Ah ! lorsque la tempête aura succédé au calme, lorsqu'un[p.123]événement inattendu détruira l'heureuse harmonie de l'Europe, si nous y sommes portés par notre inclination guerrière, ou si nous y sommes obligés par des traités formels, alors il sera tems d'entrer dans la querelle : oui, quand la guerre sera déclarée il sera assez tems de prêter notre secours, soit à ceux dont nous aurons volontairement épousé les intérêts, soit pour remplir nos engagemens, s'ils sont justes & raisonnables.

Un grand politique l'a dit :« Qu'il est plus intolérable pour une nation de supporter les plus légères augmentations de taxes en tems de paix, que de payer les impôts les plus considérables durant la guerre ». La raison en est simple, la guerre peut devenir avantageuse, se terminer par des conquêtes & de glorieuses acquittions ; mais une continuation de taxes extraordinaires, sans sujet, ne doit avoir pour but que la misère, & une ruine finale.

Je dois ajouter ici, que je ne serai jamais assez injuste envers le paisible & sage gouvernement de sa majesté, pour attribuer la tranquillité dont nous jouirions à la continuation d'un nombre extraordinaire de troupes, comme de croire encore que la réduction d'une partie de ces troupes feroit cesser cette heureuse sécurité.[p.124]Ce seroit là une doctrine aussi dangereuse qu'elle est absurde, par rapport à notre gouvernement intérieur. En effet, si vous admettez ce principe, que ce sont plus de dix-huit mille hommes qui nous procurent la présente tranquillité, & que ces troupes sont absolument nécessaires pour assurer la sécurité du royaume, il s'ensuit que le même nombre d'hommes sera en tout tems également nécessaire, & que le pouvoir militaire deviendra la forme la plus pacifique du gouvernement ; il s'ensuit qu'une armée sera le meilleur garant de la paix & de la prospérité de l'Angleterre, & un gardien de nos libertés civiles & religieuses, plus sûr que les loix du royaume. Cette doctrine approfondie, eu égard à la considération & à l'influence que nous devons nous conserver au-dehors dans la balance de l'Europe, est encore absurde & mal fondée ; car cette considération, cette influence ne peuvent jamais provenir de l'augmentation du nombre de nos troupes de terre, dans un tems de paix, augmentation que nous ne devons pas regarder autrement que comme une surcharge accablante pour nous-mêmes.

Ces différens avantages doivent plutôt découler de l'heureuse situation de notre île, de nos forces navales, de l'étendue de notre commerce[p.125]& des richesses immenses qui en proviennent, qui nous ont mis en état de supporter des guerres longues & dispendieuses, & d'entretenir, à la fois, dans un tems où nos alliés manquèrent à y contribuer pour leur quotepart, trois armées considérables dans trois différens royaumes ; avantages qui nous rendront toujours capables d'obtenir la prépondérance dans la balance de l'Europe, à moins que sans nécessité, nous ne nous laissions épuiser par des taxes absolument inutiles & insupportables.

Au reste, si l'on ne diminue l'augmentation des troupes que de quatre mille hommes, si cette augmentation continue jusqu'à ce que les prétentions de tous les princes de l'Europe soient terminées, jusqu'à ce que les intérêts particuliers des différentes nations soient conciliés, jusqu'à ce que les réclamations sur Bremen, sur Verden soient satisfaites, & enfin, jusqu'à ce que la forme d'un congrès[4], depuis longtems l'objet de tant de débats, soit unanimement arrêtée & convenue, j'avoue franchement, monsieur, que je ne suis pas sans appréhensions que la dette nationale, (qui est immense !) au lieu de diminuer chaque année, chaque jour ne s'accroisse ;& que nos griefs, (car nous[p.126]avons des griefs au milieu de notre tranquillité) au lieu d'être promptement dissipés, ne deviennent éternels, & que nous ne faisions que rêver une félicité dont nous ne jouirons jamais,

 

Discours du comte d'Aylesford contre le bill proposé pour maintenir en Angleterre une armée nombreuse sur pied, en tems de paix ; il fait voir les dangers qu'entraîneroit l'exécution de ce bill & il en donne des exemples frappans.

 

Du 24 Février 1732.

Je serai certainement contre une seconde lecture du bill proposé, parce qu'à la première inspection, il ne semble fait que pour maintenir sur pied une armée nombreuse en tems de paix. Or, la chose ne demande pas beaucoup de tems ni de réflexions pour s'appercevoir d'abord, que c'est-là le but du bill qu'on vient de lire que ce but est absolument contraire aux propres termes de pétition de droit[5], & qu'il entame directement la nature de[p.127]notre constitution. Tous les troubles, tous les désordres qui ont bouleversé ce royaume, depuis un nombre d'années, ne sont arrivés que par le moyen des armées sur pied.

Ce fut, milords, une armée sur pied qui fit tomber la tête de Charles premier, & qui détruisit le parlement même qui l'avoit levée. L'armée qui assassina le père, rétablit le fils. Ce fut en maintenant une armée sur pied, que Jacques second s'aliéna les esprits ;& ce fut cette même armée, en qui il avoit mis uniquement toute sa confiance, qui le détrôna : car ces troupes s'étant jointes au parti opposé à la cour, la balance changea contre lui, & le monarque se trouva contraint de succomber sous le ressentiment, d'un peuple offensé. Dans ce pays, dans tout pays du monde, milords, où l'on conserve sur pied des armées nombreuses, il est évident qu'il en résulte des maux innombrables & des troubles étranges. En conséquence je serai toujours loin de donner la moindre consistance à tout bill qui paroît tendre en quelque sorte, à maintenir sur pied une armée, en tems de paix, dans ce pays.

[p.128]

 

Discours du duc d'Argyle, dans lequel il soutient que ce ne furent pas des armées sur pied qui détruisirent la liberté des anciens Romains, & que ce ne sont pas non plus des armées sur pied qui ont renversé la liberté des peuples de l'Europe. Il conclut au maintien d'une armée sur pied en Angleterre.

 

Du 6 Mars 1733.

Je ne puis comprendre comment il y a des personnes qui ont pu parvenir à se persuader que ce sont des armées sur pied, qui ont enlevé la liberté à tous les peuples de l'Europe : je n'en vois pas un en Europe, dont la liberté ait été renversée par des armées sur pied. C'est encore une erreur de le dire des Romains. La liberté fut détruite à Rome, en grande partie, par 1e luxe & la corruption qui s'y introduisirent, & qui gagnèrent le peuple, bien avant le tems de Jules-César :& dans ce tems-là même, les armées sur pied, étoient si loin de tenter d'asservir la république, qu'elles s'étoient liguées contre Jules-César : mais ce romain qui avoit pour lui une terrible tête, fit si bien, que par ses bonnes[p.129]manières autant que par la bravoure des siens, il vint à bout de l'emporter sur ses ennemis, quoiqu'ils eussent de leur côté des troupes régulières, & en beaucoup plus grand nombre que les siennes.

Quand la République n'auroit point eu d'armée sur pied, le peuple, la populace de Rome eussent-ils agi autrement ? Tout homme qui auroit eu du courage, qu'on auroit engagé à se défendre, eut joint le parti qui lui eut paru le meilleur à suivre. Le capitaine qui auroit tiré le meilleur parti de la réunion de ces troupes auroit eu l'avantage, & son armée victorieuse fut venue à bout d'établir le nouveau gouvernement dans la forme & sur le pied qu'il lui eût plu de fixer.

Il en est de même par rapport à tous les autres pays de l'Europe, où le pouvoir arbitraire est, ou a été établi pour toujours. Il est certain qu'en France, les libertés du peuple ont été renversées long-tems avant ce qu'on appelle des armées sur pied. Le plus ancien régiment ou corps de troupes réglées, connu en France, a été le régiment de Picardie, qui ne fut levé que vers la première ou la seconde année du règne d'Elisabeth[6] ;& l'on sait parfaitement que[p.130]long tems avant cette époque, la liberté Française étoit déjà entièrement détruite.

Nous savons qu'en Espagne, ce furent les prêtres qui détruisirent les libertés du peuple ;& c'est par le moyen de leur inquisition que leur gouvernement arbitraire s'est maintenu jusqu'ici : avec cette arme terrible d'une jurisdiction spirituelle, les prêtres conservent leur empire sur le peuple, sur les princes & sur les armées tout ensemble.

En Suède, milords, les prêtres s'étoient également, formé une domination absolue sur le peuple, mais ce furent des armées qui en affranchirent les peuples. En Dannemarck, ce fut une chambre des communes qui asservit les libertés de la couronne : les peuples en se livrant eux mêmes, par-là autorisèrent le roi à augmenter son autorité, & à se déclarer bientôt lui-même le souverain arbitraire & despote absolu sur-tout le pays.

Ainsi, milords, nous devons reconnoître qu'une armée sur pied n'a jamais été la première cause de la ruine des libertés de la nation dans aucun pays ;& en vérité, il n'est pas à supposer que cela puisse jamais arriver. Peut-on en effet, supposer qu'un homme qui a un peu de sens, qui a un excellent poste dans l'armée, & les loix de son pays pour le protéger,[p.131]tant qu'il se comporte comme il faut ; est-il, dis-je, milords, à supposer qu'un tel homme ira tramer pour se soumettre de lui-même à toutes les petites fantaisies, & au pouvoir sans bornes de qui que ce soit ? Il doit savoir que le véritable honneur, que la vertu, que la ponctualité à remplir son devoir, de ce moment ne seront pour lui d'aucun avantage ; que sa vie, son état, & tout ce qui peut lui être cher, de ce moment doit dépendre de la seule faveur de la cour. Or, personne n'ignore que dans ce pays, le véritable honneur & la vertu sont presque toujours entièrement sacrifiés à de faux bruits, à des insinuations insidieuses, à d'indignes accusations. Est-il donc raisonnable de croire que de braves gentilshommes élevés dans les camps, au milieu des armes, & tout à fait étrangers aux bas artifices & aux viles pratiques, ordinaires aux courtisans, iront changer sous quelque prince que ce soit, une honorable inspection sur leur conduite, & les loix tutélaires de leur pays, contre un esclavage marqué & une dépendance humiliante ? Quant à moi, il ne m'est pas possible de le soupçonner ;& par cette raison, je ne puis en aucune sorte, m'opposer à ce qu'on maintienne une armée sur pied dans ce pays.

[p.132]

 

Discours de M. Pulteney, dans lequel il découvre le but secret de l'Administration en demandant une augmentation dans les troupes. Ce but consiste à réduire seulement cette augmentation ; lorsque la paix aura lieu ;& à conserver l'ancienne armée ; afin de s'en servir dans l'occasion pour fouler les libertés du royaume. Il conclud à ce que la motion pour l'augmentation des troupes soit rejettée.

 

Du 14 Février 1735.

Il est absolument contraire, monsieur, aux libertés de ce pays, d'avoir sur pied, en tems de paix, une armée nombreuse. On parle ici d'une armée de dix huit mille hommes, qu'il faudrait nécessairement toujours maintenir dans cette île. Or, voici le vrai motif caché de la motion de ce jour : les membres, auteurs de cet avis, n'ignorent point que, si la paix étoit décidée, la nation voudroit insister sur la réduction de l'armée ; en conséquence ils font ce raisonnement :« Augmentons aujourd'hui le nombre des troupes, afin que, lorsque la paix aura lieu, par la seule réduction de cette nouvelle augmentation, nous fermions la[p.133]bouche aux mal-intentionnés ; (car c'est se nom qu'ils donnent aux membres de l'opposition.) ».

Ainsi, monsieur, par ce moyen, nous aurons éternellement une armée de dix-huit mille hommes à notre charge. Comme donc mon opinion est que de dix-huit mille hommes de troupes, il y en a au moins dix mille de trop dans le tems de la paix ; comme mon opinion est encore, qu'une armée nombreuse ne peut être bonne qu'à rendre le ministre maître de fouler les libertés du royaume : mon avis est, qu'il faut rejetter avec indignation la motion proposée.

Quant aux ministres, monsieur, ce n'est pas la pompe de leurs équipages, mais la sagesse & l'habileté de leurs négociations qui peuvent leur assurer la considération & le respect : car un ministre sot, comme celui qui le représente dans ses sottises, sera tout aussi sot & ridicule avec un corps de troupes réglées qu'accompagné d'une suite de valets-de-pied : je crains même qu'alors, sous l'éclat de son casque brillant, les oreilles d'âne ne percent davantage, & ne soient plus remarquées, qu'elles le seroient sous une perruque simplement poudrée.

[p.134]

 

Discours de sir Robert Walpole. Selon lui, la sécurité de la Nation dépend de la tranquillité des peuples voisins ; le tems ou ils ont la guerre nuit aux manufactures Anglaises : il seroit à propos de tâcher de contribuer à rétablir la paix entre les Puissances belligérantes ; importance de lever des troupes pour cet objet.

 

Du 14 Février 1735.

La prospérité de cette nation, monsieur, ou du moins la sécurité tient à la tranquillité des peuples qui l'avoisinent, s'ils sont en paix, ils tirent beaucoup plus de nos manufactures & consomment davantage que lorsqu'ils sont dans la confusion & qu'ils nagent dans le sang : conséquemment, dans le tems de paix, ils font toujours à nos commerçans des demandes plus considérables : d'ailleurs, tant que dure la paix, la balance de l'Europe est assurée : mais durant la guerre, on ne peut compter sur les événemens qu'elle produit. Voilà pourquoi cette nation plus qu'aucune autre, doit craindre les succès de toute puissance en Europe. Nous ne devons donc point regarder comme une dépense[p.135]inutile, celle qui peut contribuer chez les peuples voisins, à rétablir la paix, à laquelle est liée nécessairement notre sécurité & notre prospérité.

La flamme ne nous atteint pas encore, mais notre voisinage est tout en feu : il est donc tems de préparer ce qui peut nous préserver de l'incendie. Or, ces préparatifs sont une puissante flotte & un corps de troupes régulières, bien disciplinées, & prêtes à marcher au premier mot. Voilà, monsieur, ce qui est capable de donner du poids aux conseils du cabinet de sa majesté : voilà ce qui fera faire une sérieuse & juste attention de la part des puissances belligérantes, à ce que les ministres de sa majesté pourront proposer pour rétablir la paix de l'Europe : car un ministre qui montrera un bon corps de troupes prêt à marcher, sera beaucoup mieux écouté que celui qui n'aura à leur opposer qu'un grand nombre de beaux pages & de valets-de-pieds inutiles.

[p.136]

 

Réplique de M. Pulteney au Discours précédent. Il soutient que la paix chez les peuples voisins ; loin d'être favorable au commerce de l'Angleterre, lui est au contraire très-nuisible ; parce qu'alors ces peuples pouvant cultiver les arts à loisir, se fournissent eux-mêmes des choses qui leur sont nécessaires au lieu que lorsqu'ils sont exclusivement occupés par les embarras de la guerre, ils sont obligés de recourir aux manufactures Anglaises.

 

Du 14 Février 1735.

Comme ce jour est celui des paradoxes, on vient d'en avancer un entre plusieurs, par-rapport à notre commerce. L'on nous dit, monsieur, que la prospérité de cette nation dépend de la tranquillité de nos voisins ;& que tant qu'ils seront en paix, ils feront beaucoup plus de demandes à nos fabriquans, & que nos fournitures seront beaucoup plus considérables alors, que s'ils étoient en guerre. Loin que cet axiôme en fait de commerce, ait quelque vraisemblance, je soutiens qu'il est diamétralement contraire à la vérité. En effet, la plus grande partie du produit de ce pays, consiste en choses[p.137]nécessaires à la vie & non de luxe ;& par cette raison, nos voisins ont toujours autant consommé de nos productions en tems de guerre que pendant la paix : car voici la différence de cette position.

Lorsque les têtes ne sont point échauffées ni les bras employés à quelque guerre domestique ou étrangère, ils ont le tems de s'adonner à l'agriculture & de s'appliquer aux manufactures en tout genre ; ils ont le loisir de songer à tous les arts amis de la paix, & de s'occuper à les perfectionner. Il s'ensuit dès lors qu'ils se fournissent eux-mêmes, de leur propre sol, de beaucoup de ces choses nécessaires, que durant la guerre, ils sont obligés de nous acheter. C'est ce que prouve la théorie, confirmée par l'expérience. Aussi, rien n'a-t-il nui davantage à notre commerce, que la culture des arts domestiques chez nos voisins.

Tant qu'a duré, en dernier lieu, la tranquillité de l'Europe, rien n'a fait plus de tort à notre commerce ; si ce n'est tous ces droits accablans sous lesquels il gémit, que nous nous sommes imposés nous-mêmes, avec cette multitude d'entraves, de tracasseries, de perquisitions jointes aux taxes, auxquelles sont assujettis nos commerçans, & sans quoi ils ne peuvent exporter ni importer leurs marchandises.

[p.138]

 

Discours éloquent du même sur le danger d'une armée entretenue sans nécessité dans un pays libre. Faux prétextes qu'on allègue aujourd'hui, pour en avoir toujours une sur pied. Exemples effrayans chez les Romains, chez nos voisins & en Angleterre, qui montrent à quoi l'on s'expose. Il conclud que le moment actuel est le plus favorable pour diminuer au moins une partie de ces troupes.

 

Du 23 Février 1735.

Monsieur l'Orateur,

Nous avons beaucoup entendu parler d'armée parlementaires, d'armée continuée d'année en année. J'ai toujours été, monsieur, & je serai toujours contre une armée sur pied, de quelque genre que ce soit. Sous la dénomination parlementaire, ou sous tout autre titre, c'est pour moi une chose effrayante : quelque nom qu'on lui donne, c'est toujours une armée sur pied, une armée redoutable. C'est un corps puissant, séparé du corps du peuple : ces hommes sont gouvernés par des loix différentes ; ils n'ont[p.139]point d'autres principes qu'une obéissance aveugle, & une soumission entière aux ordres de leurs commandans. Les nations qui nous environnent ont été subjuguées par ce moyen ; par tout où il y a une armée sur pied, il n'y a plus de liberté : oui, il est impossible que le peuple puisse jamais la conserver dans aucun pays où l'on entretient de puissantes armées. Nous conduirons-nous d'après les exemples de nos voisins ? Que leurs malheurs, nous apprennent à fuir les écueils où ils se sont brisés !

Ce n'est pas répondre à la question, que de nous dire qu'on ne doit pas soupçonner ceux qui ont le commandement, d'avoir envie de nuire à leur patrie. Cela peut être, & je l'espère ainsi : j'ai même la meilleure opinion d'un nombre de braves militaires qui sont aujourd'hui dans le service & je les crois incapables d'une telle bassesse ; mais nous ne sommes pas certains qu'ils vivront ni combien de tems ils seront continués dans leurs commandements. Ils peuvent au premier moment, être forcés de le quitter, & se voir remplacés par des instrumens du pouvoir despotique. D'ailleurs, monsieur, on connoît les passions des hommes, & combien il est dangereux d'accorder trop de pouvoir à ceux mêmes qui en paroissent les plus dignes. Y eut-il jamais une armée plus brave, plus patriotique[p.140]que celle de Jules-César ? Y en eut-il une qui eut servi son pays avec plus de fidélité ? Ils avoient à leur tête les messieurs citoyens de Rome, les personnages les plus distingués & les plus recommandables de la république :& ce fut cette même armée qui asservit son pays ! Qu'on ne compte pas sur l'amour de la patrie, de la part des soldats, ni sur l'honneur & l'intégrité des officiers : l'exécution des loix militaires est si prompte, & la punition si sévère, qu'il n'y a point de soldat, point d'officier qui osât disputer l'obéissance à son commandant & on ne les laisse pas à cet égard, consulter leurs inclinations ; car si un officier avoit l'ordre de mettre hors de cette chambre son propre père, il faudrait obéir : il n'oseroit pas hésiter, ou le moindre murmure seroit bientôt suivi d'une mort prompte. Que si un détachement de fusiliers la baïonnette levée, ayant un officier à leur tête, se présentoit à la barre de la chambre, avec ordre de nous demander raison de notre conduite, & pour y commander les votes ; je sais bien ce que nous aurions à répondre, & quel seroit notre devoir ? Notre devoir seroit de faire arrêter, & pendre sur l'heure, devant la porte du vestibule, l'officier porteur de tels ordres. Mais, monsieur, je doute fort que la chambre eut assez de courage pour cela ; je doute[p.141]même que cette vigueur se soit jamais rencontrée dans aucune de nos chambres des communes.

Je ne parle point ici, monsieur, de choses imaginaires : je parle de ce qui est arrivé dans une chambre Anglaise, des communes de la part d'une armée Anglaise, & non-seulement Anglaise, mais levée par cette même chambre, mais payée par elle, mais commandée par des généraux qui recevoient de cette chambre même leurs appointemens. N'allons donc pas nous imaginer faussement, parce que ces troupes seront levées & entretenues par le parlement, qu'elles lui seront soumises. Si cette armée est assez nombreuse, si elle est assez puissante pour se rendre redoutable & pour inspirer de la crainte au parlement, elle ne lui sera plus soumise, qu'autant qu'il ne contrariera point le général qu'elle aura adopté :& dans cette circonstance, loin que le parlement congédiât l'armée, je craindrois que l'armée au contraire, (comme il est déjà arrivé) ne cassât le parlement.

Et prenez garde ici, que le parlement, ainsi que l'armée, fut légale ou non, cela ne changeoit rien à l'affaire. Observez que cette armée dans sa manière de penser, osa dissoudre un parlement qu'elle savoit bien être légal : que[p.142]cette armée avoit été levée & entretenue légalement, & que sa première intention avoit été de s'armer pour cette même liberté qu'elle détruisit ensuite.

Il a été dit bien des fois, que, quiconque est pour la succession protestante, est pour continuer l'entretien de l'armée. Par cette raison là même, je suis d'un avis contraire. Je fais que ni la succession protestante de la très-illustre maison de sa majesté, ni aucune autre ne peut être assurée d'être stable, tant qu'elle verra sur pied une armée dans le pays. Les armées, monsieur, n'ont point d'égard au droit héréditaire. Les deux premiers Césars, il est vrai, trouvèrent moyen de maintenir leurs troupes dans une certaine dépendance, & ils y réussirent, parce que les généraux & les officiers étoient tous leurs créatures. Mais comment les choses se passèrent-elles sous les empereurs qui leur succédèrent ? Ne les proclamoit-on pas, sans avoir égard aux droits qu'ils pouvoient avoir par la naissance ou autrement ? Un cordonnier, un jardinier, ou tout autre avanturier à qui il étoit arrivé de se distinguer dans l'armée & de gagner son affection, étoit proclamé empereur du monde :& ne peut-on pas dire que c'étoit un pur caprice, une vaine frénésie des soldats qui portoient sur le trône, ou qui renversoient[p.143]dans la fange, le prince qui devoit succéder à l'empire ?

On nous dit qu'on ne veut pas continuer l'usage de ces troupes réglées plus d'un an, ou un nombre d'années déterminé. Combien cette distinction est absurde ! A-t-on vu dans le monde, une armée pour un nombre d'années limité ? Et le monarque le plus absolu tiendroit-il ce langage ? Sous ce prétexte & avec ces subterfuges, combien de tems & d'année en année, n'en avons-nous pas conservé une ? Et si elle est ainsi continuée, en quoi différera-t-elle de ces armées entretenues chez des peuples qu'elles subjuguèrent ? Exactement nous en sommes venus là. Il est donc important pour nous aujourd'hui, de réduire ces troupes ou jamais. Sa majesté d'ailleurs, nous a assurés de sa propre bouche, d'une profonde tranquillité au-dehors de son royaume, & nous sommes certains qu'au dedans tout est également paisible. Si ce n'est donc pas là le moment favorable d'une réduction, & si les circonstances ne nous offrent pas l'heureuse occasion de diminuer au moins une partie de ces troupes réglées, nous ne pouvons jamais espérer de pouvoir y parvenir. Et cependant c'est lorsque cette nation est accablée de dettes & surchargée d'impôts, qu'on veut qu'elle supporte encore le poids accablant &[p.144]continuel d'une armée nombreuse sur pied ;& en même tems que cette nation demeure exposée aux risques de voir sa liberté & ses privilèges foulés par le premier roi ou ministre, à qui il prendra fantaisie, & qui aura soin de diriger à son but la conduite de cette armée.

 

Discours de M. Walter Plumer ; sur l'abus de maintenir en Angleterre, un grand nombre de troupes sur pied, qu'on est obligé de louer fort cher aux Princes étrangers.

 

Du 26 Janvier 1736.

Comme il est tout à fait inutile & même absolument contraire à la nature de notre heureuse constitution, & à la liberté de notre gouvernement de garder dans cette île un grand nombre de troupes de terre ; par cette raison, quand une guerre est prête d'éclater, à laquelle nous devons prendre quelqu'intérêt, nous sommes toujours forcés de faire venir des troupes étrangères à notre solde. Avons-nous toujours eu raison de la faire ? C'est ce que je n'entreprends point de discuter. Mais j'ai toujours observé qu'il n'y a point de souverain étranger qui[p.145]voulût nous fournir des troupes, à moins que nous ne nous engagions à les payer ;& de plus, à y joindre un subside, souvent plus considérable que le paiement de ces troupes auxiliaires ;& cela, même dans les circonstances où ce prince, par des traités antérieurs, se seroit engagé à nous fournir des secours à ses propres frais ;& souvent encore, dans un tems, où ayant plus à craindre les événemens de cette guerre, il auroit à la chose un intérêt plus immédiat que nous-mêmes.

 

Discours de sir John Barnard, dans lequel il compare les effets de l'autorité & du commandement appuyé de troupes, dans un pays libre ;& dans les pays qui ne le sont point.

 

Du 3 Février 1737.

Il est à craindre qu'une armée sur pied, n'occasionne plutôt qu'elle ne prévienne les soulèvemens dans un pays libre. Dans tout autre pays, où un officier public a une garde particulière qui appuie son autorité, il est peu porté à se concilier la bienveillance d'un peuple qu'il méprise, & souvent qu'il opprime. Dans ce dernier cas, s'il y a quelque vigueur dans les[p.146]esprits, infailliblement il doit en arriver des séditions ;& s'il en arrive, occasionnées par de justes sujets de plaintes, avec un peu de douceur, & des raisons, l'on parvient à prévenir tout fâcheux événement, & l'on vient à bout de faire rentrer le peuple dans son devoir. Mais lorsque celui qui commande, est à la tête d'une armée, rarement il use de tant de précautions ; car peu de personnes se donnent la peine de persuader, quand elles savent quelles ont le pouvoir de contraindre.

Quant à un peuple vraiment libre, s'il a des raisons de se plaindre, il veut être satisfait ; il veut que l'on répare les injustices dont il a souffert ;& parce que c'est dans une émeute qu'il s'est fait entendre, & d'une manière irrégulière, il ne faut pas pour cela, lui rompre en visière. Au reste, se servir de troupes réglées dans toute occasion, c'est imiter un maître d'école sévère, qui ignore toute voie de douceur, qui jamais n'a su caresser ni persuader, & qui ne montre que la férule ; un tel pédagogue peut subjuguer les esprits de ses élèves, mais jamais il ne saura les former ni les rendre meilleurs.

[p.147]

 

Diatribe du duc d'Argyle, contre le Secrétaire de la guerre. Son pouvoir illimité ne s'est jamais montré plus absolu ni plus ridicule, que dans la dernière levée des troupes. Portrait ironique des nouveaux enrôlés.

 

Du 9 Décembre 1740.

Nos armées ne connoissent d'autre pouvoir que celui du Secrétaire de la guerre, qui dirige tous leurs mouvemens & qui remplit tous leurs vuides sans opposition & sans appel. Mais jamais, milords, son pouvoir ne s'est fait plus remarquer que dans la dernière levée des troupes de la présente année. Non, jamais on n'a vu, d'un côté, l'autorité se montrer plus despotiquement, & de l'autre, les esprits se soumettre plus servilement. Jamais homme ne s'est joué avec plus de légèreté, avec plus de caprice, & du pouvoir de commander, & des postes, & des préférences. Jamais on n'a vu un tyran braver plus ouvertement & avec un mépris plus décidé, les remontrances, les murmures & la censure publique : jamais enfin, on n'a vu un maître distribuer ses faveurs & les rangs à ses esclaves, avec plus de confiance & de sécurité,[p.148]sans autre raison dans son choix & préférences, que son libre & bon plaisir.

Assurément, celui qui se regarde comme un chef suprême & absolu, qui ne doit compte à personne, & qui ne prend pour règles dans toute sa conduite que ces idées ; assurément un tel homme ne pouvoit faire dans tous nos postes militaires que les plus mauvais choix. Aussi, milords, nous avons vu tels poliçons, que la veille on avoit tirés du comptoir & de la poussière d'une boutique, le lendemain se pavaner, tout enflés, sous le harnois des guerriers : nous avons vu confier des emplois militaires, des places d'officiers, sans aucun discernement ;& procurer un rapide avancement, à de vrais grimauds, à des cancres, des imbéciles dont on ne pouvoit rien tirer dans les plus basses écoles. La lie, en un mot, de la nation a été exactement ramassée, pour composer les nouvelles troupes de la Grande-Bretagne ;& tout sujet, qui, à raison d'incapacité ou d'infamie, n'auroit jamais pu entrer soit au collège, soit dans le commerce, a été sur d'être bien placé par ce grand maître des honneurs, qui pour cela n'a pas besoin de soins ni d'application, & qui est au-dessus de toute censure.

Si la pitié & l'indignation ne se mêloient par fois, aux éclats de rire, & ne le réprimoient,[p.149]ce seroit, en vérité, milords, un spectacle bien amusant, d'admirer au parc, ces officiers tout neufs, enyvrés de leur subite élévation, tout fiers sous la cocarde, se mirer dans leur nouvel écarlate, l'étaler aux yeux du public, se carrer dans leur nouvel accoutrement ; il seroit comique de voir ces guerriers automates, se plier gauchement aux évolutions de l'exercice : il ne seroit pas moins bon d'écouter les propos excellens de ces nouveaux avanturiers, & suivre la conversation instructive & relevée de ces courtauts de boutique & de ces grimes de collège.

Au reste, milords, je profite de la circonstance pour me laver à vos yeux de tout soupçon d'avoir, en aucune sorte, contribué par mes avis à ce ramas bien étonnant, en vérité.

[p.150]

 

Discours du major Sclwyn, dans lequel il représente qu'une milice bien disciplinée procureront une infinité d'avantages par-tout le royaume, au lieu qu'une armée sur pied ne peut être que dangereuse aux libertés de la Nation. Invective violente contre ceux qui, en apparence, passionnés pour le bien de l'État, ne font parade de leur patriotisme, qu'afin de jouer un personnage, pour obtenir par-là les premières places dans le ministère.

 

Du 18 Novembre 1746.

Les loix & les libertés dont nous jouissons, qui font notre bonheur, nous ont été procurées par ceux de nos ancêtres, qui ne connoissoient qu'un seul système, celui de l'honneur & de la vertu. Un gouvernement qui n'est pas établi sur cette base, ne peut subsister long-tems : il ne mérite pas que personne s'en embarrasse & s'y intéresse, pas même ces esprits dépravés que l'administration la plus corrompue ne peut satisfaire, parce qu'ils ne se croient jamais assez payés. J'espère donc que la présente session ne se passera pas sans un bon bill de milice ; car une armée sur pied, même en tems de guerre, n'est[p.151]pas un objet qui s'accorde avec le génie de cette nation, cette armée fut-elle tenue avec la plus stricte économie ; parce que ce n'est point là notre défense naturelle & qui nous convienne. Je puis avancer d'ailleurs, qu'il ne s'est rien passé depuis un an & davantage, qui la rende plus nécessaire :& puis enfin, quelque formidable qu'elle soit, elle ne peut être par-tout, & encore moins prévenir les révoltes & les soulèvemens, dans un tems, où, à notre honte éternelle, nous avons été battus deux fois par un troupeau de bandits ;& nous l'aurions été infailliblement une troisième, si la présence de son Altesse le Duc[7] ne nous eut pas préservés de ce nouvel échec. Mais une milice bien armée, bien disciplinée, répandue sur la surface du royaume, peut arrêter dans leur naissance toutes les révoltes, sans compter les grands avantages qu'en retireront toutes nos provinces maritimes, où ces miliciens arrêteront le commerce abominable des contrebandiers, sans avoir recours à une pratique plus abominable encore, absolument contraire à notre constitution : je veux dire, de faire exécuter nos loix par la force militaire. L'expérience m'autorise donc à[p.152]vous dire, monsieur, que si l'on ne prévient pas à tems ce funeste abus, il ne peut que devenir fatal aux libertés de ce royaume.

La conduite comparée de nos anciens patriotes & de ceux d'aujourd'hui, ou qui du moins osent en prendre le titre, prouve trop bien, monsieur, la nécessité qu'il y auroit de faire quelque réforme dans notre constitution. En effet, combien il est odieux, que l'éloquence, ce bienfait de la providence, qu'elle ne nous a départie que pour la défense & pour la conservation de l'état, soit employée pour sa ruine & pour sa destruction ! Il y a des supplices établis contre le traître public, il y en a contre le voleur, contre l'assassin ;& pour le malheur des âmes honnêtes, il n'y en a point contre le vil & bas orateur. Je dis, monsieur, qu'il n'y en a aucun contre le lâche, qui, tantôt déploie toute son éloquence pour la défense de sa patrie, seulement afin, de jouer un personnage, & de fixer par-là, toute l'attention publique ;& qui, très-peu de tems après, prouve à ses citoyens qu'il a joués, que lui-même s'est prostitué à la vénalité, & qu'il est l'esclave acheté d'un ministre corrompu. Quelle pitié ! qu'il faille faire violence à nos loix pour punir, comme ils le mériteroient, des hommes de cette trempe, qui un jour prodiguent les sarcasmes les plus amers contre les mesures d'une[p.153]administration désastreuse, sans autres raisons que de chercher par ce moyen à en obtenir les principaux rôles, & qui, le jour suivant, sans la moindre réforme dans le système ministériel, poursuivent les mêmes mesures qu'ils avoient rejettées bien loin, avec mépris, & dans les termes les plus emphatiques[8] ! S'il y a, monsieur, un homme d'une espèce aussi basse, je le livre à ses propres remords.

Occultum, quatiente animo tortore flagellum.

[p.154]

 

Discours du colonel Conway, dans lequel il remarque qu'on trouve chez tous les peuples des exemples de la discipline & de la subordination dans les armées ;& qu'il n'y a point de contrée dans le monde, où les troupes jouissent d'une liberté plus étendue, que dans la Grande-Bretagne.

 

Du 7 Février 1750.

Quelque idée, monsieur, qu'on ait jamais pu avoir du pouvoir absolu, dans tous les pays on a toujours cru nécessaire de maintenir la discipline& la subordination dans les armées.

Dès l'origine de la république Romaine, les généraux d'armée y avoient un pouvoir absolu & sans bornes sur chaque soldat & sur chaque officier. De leur propre autorité & sans cour martiale ; ils étoient absolument libres de les avancer, dégrader, & punir même de mort. Le trait de Manlius, qui fit trancher la tête à son propre fils, parce qu'il avoit combattu sans son ordre, est trop connu pour vous le rappeller ici :& ce n'étoient pas seulement des individus séparés, mais des armées entières, qui se trouvoient soumises à cette sévérité, sous la[p.155]seule & absolue autorité de leur général : l'histoire en effet, nous apprend qu'Appius, dans les premiers tems de la république fit décimer & battre de verges son armée, & qu'il fit punir de mort plusieurs de ses officiers, pour avoir fui devant l'ennemi.

Pour moi, je ne crois point qu'il y ait de contrée dans le monde, où les troupes jouissent d'une liberté plus entière, ni d'une assurance plus décidée contre les oppressions que pourraient commettre leurs commandans, que n'en jouissent les officiers & les soldats de la Grande-Bretagne.

 

Discours de l'honorable T. Townshend, sur le danger d'introduire dans le royaume des troupes étrangères qui s'embarrassent peu de nos loix & de notre constitution ; il remarque que ce sont des armées sur pied qui ont bouleversé toute l'Europe.

 

Du 2 Novembre 1775.

L'introduction dans le royaume de troupes étrangères a beau n'être pas contraire à nos loix, il doit résulter de cette introduction, des conséquences très-dangereuses. Un prince mal[p.156]intentionné peut dès lors, remplir aisément de ces étrangers à sa solde, toutes les places frontières, & profiter de la circonstance, pour renverser la constitution. Il n'y a personne qui ne doive faire attention à la tendance que doit avoir naturellemenr une armée sur pied, composée de troupes étrangères ; elles s'embarrassent peu de vos loix, ne connoissent point votre constitution, & ne peuvent la respecter. Rappellez-vous, monsieur, le trait du soldat Hanovrien, détenu à Medstone, où l'officier commandant dit au premier magistrat :si à l'instant vous ne me rendez pas cet homme, j'ai là huit mille hommes armés ; je renverse sa prison & je l'enlève de force. Voilà, monsieur, quel doit être le langage d'un commandant de troupes étrangères, qui ne connoît pas les loix, & qui s'en soucie peu. Des disputes qui s'élèveront à tous momens, se termineront militairement de cette manière. Aussi, jettez un coup-d ‘œil sur toutes les autres contrées de l'Europe, & considérez tous les maux effroyables que la soldatesque y a enfantés : ils ont, monsieur, bouleversé de fond en comble toute l'Europe. Voyez la Suède où le roi, avec une armée, a exactement égorgé la liberté Suédoise, & ne gouverne qu'avec l'épée. Je pourrais avec raison, & très-à propos, observer ici, que notre administration Anglaise a[p.157]trempé en quelque sorte dans cette injustice, ou du moins, a empêché qu'elle ne fut réparée. Je n'avance pas ceci de mon chef & sans en être certain ; j'ai été à portée de savoir de très-bonne part, que l'impératrice de Russie se disposant à faire des mouvemens pour rétablir l'ancien gouvernement en Suède, nous nous y sommes opposés, & l'avons menacée de l'en empêcher avec nos flottes, si elle vouloit faire quelques tentatives.

 

Discours Militaire, prononcé par l'un des premiers Officiers du régiment des émigrants Écossois-Montagnards,commandé par le lieutenant-colonel Macleau ; après que la bénédiction des drapeaux & la revue de ce régiment eurent été achevées & que chaque soldat eut prêté le serment d'usage.

 

Du 12 Août 1777.

Tout homme contracte en naissant l'obligation de se conformer aux règles que prescrivent l'honnêteté & l'équité, & nous avons tous dans le cœur la noble ambition de mériter les louanges dues aux actions vertueuses.

Tandis que des professions moins nobles[p.158]ne cherchent à exciter l'émulation que par l'appas du gain sordide, l'objet que le militaire se propose, est d'une nature sublime ; c'est par le courage & l'intrépidité qu'il cherche à gagner l'approbation de son souverain, la confiance de ses officiers supérieurs, & l'estime de ses ennemis mêmes, en s'assurant la reconnoissance de ses concitoyens & l'admiration de la postérité.

Quel bonheur peut égaler celui de quiconque parvient à ce degré de gloire ! les plus grands hommes n'ont pas cru l'acheter trop cher en sacrifiant leurs intérêts, leur tranquillité, leur vie même ;& il n'est pas moins facile aux soldats qu'aux officiers de s'immortaliser, soit qu'on les considère séparément ou comme formant un corps.

Ne voit-on pas consigner dans l'histoire des nations les plus guerrières, les noms des simples soldats qui se sont singulièrement distingués ? N'y rend-on pas compte des honneurs & des récompenses qui ont été le prix de leurs grandes actions ?

Quel est celui d'entre vous qui ne se sentira pas animé de ce feu divin qui nous porte à nous élever au-dessus du vulgaire ? Quel est celui qui n'aura pas l'ambition de transmettre son nom à la postérité ?[p.159]C'est avec la dernière instance que l'on recommande aux soldats de nourrir dans leurs cœurs la soif de la vraie gloire, soif aussi naturelle à cette profession que louable en elle-même ; c'est elle qui leur faisant apprécier la dignité de leur état, leur inspire le goût d'une élégante propreté dans leurs vêtemens, les porte à s'abstenir de vices bas & infâmes, tels que l'ivrognerie & toute autre débauche crapuleuse ; c'est elle qui les rend attentifs à leurs devoirs, braves & toujours de sang-froid dans l'action, patiens enfin, soumis, désintéressés & généreux en toute occasion ; ils s'attirent par ce moyen l'amitié de leurs officiers, suivie de mille douceurs, tandis que l'estime & la reconnoissance de leurs concitoyens leur préparent une retraite douce & tranquille, où ils pourront après s'être couverts de gloire passer le reste de leurs jours dans le sein de la paix & de l'aisance ; c'est dans cette retraite honorable qu'ils pourront se rappeller les preuves multipliées de courage qu'ils auront données ; en retracer les circonstances, en jouir encore par le récit, avec quelques-uns de ceux qu'ils ont eu pour témoins & pour camarades ; c'est alors que la peine & les fatigues étant passées, ils se verront rajeunir & goûteront des plaisirs aussi délicats que paisibles. Le devoir & la prudence doivent engager[p.160]un soldat à prendre le plus grand soin de ses armes & de tout ce qui est à son usage ; ce sont là les instrumens à l'aide desquels il peut s'acquérir la gloire, objet de son ambition. Il doit se piquer de les tenir toujours propres & en bon ordre, toujours prêtes à servir au moment ; il y a plus, il est de l'essence d'un bon soldat de porter l'attachement pour ses armes au point de ne vouloir pas même en être séparé parla mort : c'est ce sentiment qui introduisit parmi les Spartiates l'usage de revenir avec leurs boucliers, ou s'ils avoient été tués dans le combat, ils étoient rapportés en triomphe sur ces mêmes boucliers. Epaminondas, un des plus grands capitaines dont l'histoire ancienne nous ait conservé le nom, se voyant blessé mortellement, n'exprima d'autre crainte que celle de perdre ses armes avec sa vie. Les armes des soldats Romains pesoient jusqu'à soixante livres, & l'on décernoit la peine de mort contre celui qui osoit en jetter aucune partie.

Mais l'objet principal du respect, de l'attention & de l'attachement du soldat, ce sont ses drapeaux ; telle fut toujours l'opinion de toutes les nations guerrières. Les Romains les adoroient & juroient par eux : les perdre étoit une tache infâme que la mort seule pouvoit effacer. Nous avons plusieurs exemples de généraux qui[p.161]durant un combat douteux faisoit jetter les drapeaux au milieu des ennemis, sachant bien que leurs troupes redoublant alors de courage, feroient tout pour les sauver.

Quoique nous n'adorions point les drapeaux, cependant l'auguste cérémonie dont vous venez d'être témoins, doit vous convaincre, qu'à tout autre égard, ils sont parmi nous ce qu'ils étoient chez les anciens. Ils nous rappellent continuellement le prince au service duquel nous nous sommes dévoués, la cause de la patrie, que nous ne devons jamais abandonner, & l'honneur que nous devons toujours tenir pour sacré : enfin, les drapeaux représentent tout ce qui doit être cher à un soldat, à leur aspect tout doit s'animer : pour les défendre il ne faut être arrêté ni par le fer ni par le feu, mais répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang ; c'est le devoir du soldat ; il est obligé par l'honneur, par son serment même, il devient infâme & parjure, si jamais il les abandonne, & l'on ne sauroit même en excuser la perte, quand même les accidens qui y donneroient lieu, paroîtroient avoir été inévitables : parce qu'en les perdant, n'importe comment, l'on perd tout. Sont-ils pris ou perdus, les officiers & les soldats ne doivent songer qu'à les regagner ou à mourir. On espère donc que les soldats du régiment[p.162]des Émigrans, pénétrés du désir d'acquérir de la gloire, remplis d'une noble émulation, excités par la conduite de leurs compatriotes qui servent actuellement dans différentes parties de l'Amérique, & sur-tout animés par l'honneur que leurs camarades se sont déjà acquis ; se comporteront toujours ainsi qu'il convient à de braves guerriers, & qu'ils ne transmettront pas seulement sans tache à la postérité leurs noms & leurs drapeaux, mais que chacun d'eux en particulier, se croira obligé de faire quelque action digne de tenir une place dans l'histoire.

[p.163]

 

Réplique du colonel Barré à la phrase suivante du discours de lord Germaine, la Chambre ayant demandé aux Ministres un état exact des troupes :« Oui, j'ai dit hier, & je le répète aujourd'hui que l'armée du général Howe n'est que de treize mille hommes effectifs ;& celle du général Wasingthon de quinze mille, parce que je ne comprends pas dans ce nombre, ni l'artillerie, ni les officiers, ni les soldats blessés, mais seulement treize mille hommes ayant le mousquet sur l'épaule ».

 

Du 3 Décembre 1777.

J'avouerai que je n'avois pas l'idée d'une défaite de cette mal-adresse, de cette impudence, de cette bassesse ! est-ce-là le langage d'un militaire ? Jamais un ministre a-t-il osé faire une réponse pareille à la face des communes assemblées ? Ce mot ne doit jamais être oublié, & je me charge de faire en sorte qu'on ne l'oublie jamais : quoi ! exclure de l'état de l'armée l'artillerie & les officiers, parce qu'ils n'ont pas le fusil sur l'épaule ! Est-ce que l'artillerie est inutile dans une bataille, est-ce qu'elle n'a aucune[p.164]part à la victoire ? Est-ce que les officiers sont tranquilles spectateurs ? Le noble lord peut avoir ses raisons particulières pour voir ainsi, & pour accréditer ainsi cette doctrine : mais elle ne fera pas fortune à l'armée, elle ne réussira pas même dans les cercles… Au surplus, comme le noble lord a compris dans les cinquante-cinq mille hommes qui étoient en Amérique, les troupes qui sont reliées en Canada, & celles qui ont marché sous les ordres du général Burgoyne ; je le somme de déclarer à la chambre, sur son honneur, si le bruit qui s'est répandu concernant l'armée de ce dernier général est vrai ou faux.

[p.165]

 

Réponse de lord Germaine au colonel Barré qui l'avoit sommé, à la fin de la réplique précédente, de déclarer à la Chambre, sur son honneur, si le bruit qui s'étoit répandu concernant l'enveloppement de l'armée du général Burgoyne, par celle des Américains, étoit vrai ou faux. Il confirme cette fatale nouvelle.

 

Du 3 Décembre 1777.

Oui, j'ai trop lieu de le craindre : on a appris de Québec que les rebelles s'étant rassemblés de toutes les parties de la nouvelle Angleterre, au nombre de trente ou trente-deux mille hommes, avoient enveloppé le général Burgoyne qui s'étoit vu dans la nécessité de se rendre prisonnier avec toute son armée. Je ne puis dire précisément quels sont les termes de la capitulation, parce que ce rapport ne vient pas directement de M. Burgoyne ; mais on le tient de quelques soldats de son armée qui se sont échappés, & ont gagné Ticonderago : ils disent en substance, que le général & ses troupes auront la liberté de retourner en Angleterre, à condition qu'ils s'engageront à ne plus servir pendant le cours de la guerre. Quelque fâcheuse que puisse paroître[p.166]cette nouvelle, au premier coup-d ‘œil, je supplie la chambre de suspendre le jugement que pourroit porter sur ce brave officier, quelle qu'ait été l'issue de son expédition, je dois seul en répondre. Le plan étoit sage en lui-même, il a été conduit avec toute l'habileté, avec tout le courage possible ; je sais que le général, en se conformant à mes instructions, a fait son devoir ; mais je me flatte qu'on ne me jugera pas moi-même légèrement. Je suis prêt à rendre compte à la chambre de ma conduite, de mes motifs, de tout ce dont elle désirera avoir connoissance ; le défaut de succès ne suppose pas toujours un défaut de sagesse dans le plan, ou d'habileté dans l'exécution, & je prouverai à la chambre, que si les informations que j'ai reçues avoient été plus exactes, plus conformes à la vraie situation des choses & des lieux, l'expédition eut infailliblement réussi.

[p.167]

 

Invectives du colonel Barré, outré du sang-froid avec lequel le lord Germaine venoit de raconter cette malheureuse catastrophe dont il étoit lui-même l'auteur. Il finit par exposer la bravoure & la générosité avec lesquelles les Américains se sont conduits dans leurs victoires, & il l'oppose adroitement à la poltronnerie & à l'inhumanité qu'on leur avoit supposées jusqu'alors.

 

Du 3 Décembre 1777.

Grand Dieu ! qui peut contenir sa rage sans indignation, lorsque celui qui a tracé le plan de notre ruine, nous raconte avec ce sang-froid, la malheureuse catastrophe d'une armée dont il a combiné lui-même la destruction ! à quoi bon nous dire, que la nécessité seule a forcé le général Burgoyne, à se rendre. Eh ! qui de nous en doute ? Ne connoissons-nous pas tous la bravoure & les talens de cet officier, n'est-il pas Anglais, ne commandoit-il pas des Anglais, Doutons-nous que s'il eût resté à ces braves gens le moindre espoir raisonnable de défense, ils n'eussent tout hasardé jusqu'au dernier moment ; mais quel est l'homme qui leur a ôté[p.168]cet espoir, quel est l'homme qui a réduit un vaillant officier, d'intrépides soldats, à la cruelle alternative de mourir sans être d'aucune utilité à leur patrie, ou de se soumettre à l'humiliante loi que leur imposoit le vainqueur ? C'est cet homme-là qui mérite seul l'animadversion, qui allume seul l'indignation de la chambre. Son plan absurde, impraticable, étoit non-seulement indigne d'un ministre de la Grande-Bretagne, mais feroit rougir un chef Indien. Rappellez-vous combien de fois, avec quel patriotisme je vous ai fait prévoir les conséquences de ce plan extravagant ; je les ai prévues, je les ai prédites ! on me répondoit que je parlois en style de prophète. Eh bien ! voilà ma prophétie accomplie… Je ne sais de quels termes me servir pour exprimer l'étonnement où me jette l'assurance avec laquelle le noble lord nous brave ; l'indignation dont son effronterie me transporte, en disant qu'il soumet sa conduite à la censure de cette chambre ! Le noble lord connoît-il bien toute l'étendue de son crime ? Sait-il à quel point cette chambre est indignée ? Je crois qu'il l'ignore encore, & il ne me convient pas de déterminer à quelle époque précise il ne l'ignorera plus… Oserois-je prier le comité de vouloir bien prêter un moment d'attention à la conduite des Américains ; on leur a prodigué[p.169]dans cette chambre toutes les épithètes injurieuses que la bassesse pouvoit inventer ; on les a appellés poltrons & inhumains. Venons aux preuves ; ils ont forcé un général, aussi brave qu'aucun de ceux qui aient jamais commandé des bataillons Anglais, à mettre bas les armes. Voilà leur poltronnerie ; au lieu d'accabler les vaincus sous le poids des fers, ils leur ont donné noblement la liberté ; voilà leur inhumanité. Concluons du moins de ce fait, qu'au lieu d'avoir à combattre une bande d'avanturiers désespérés, qui ne connoissent ni foi ni loi, l'expérience nous apprend, que nous avons pour ennemis des hommes de la plus haute bravoure & magnanimité, inspirés par cet esprit de liberté qu'on ne subjugue jamais.

[p.170]

 

Discours de M. James Luttrell ; dans lequel il démontre les désavantages & les calamités de la guerre d'Amérique, fatale en tout sens & humiliante pour la Grande-Bretagne. Différence des motifs de courage chez les Royalistes & les Américains ;& par la même raison des succès de ceux-ci. Le rôle que jouent les Ministres dans cette circonstance, est bien ridicule.

 

Du 3 Décembre 1777.

Je saisirai constamment toutes les occasions de témoigner l'horreur que m'inspire cette guerre civile, fondée sur des principes mercenaires & sauvages, guerre qui n'offre pas même une utile paix pour objet ; tant que le ministère & le parlement parleront de soumission sans conditions, toute idée de conquête est une chimère, tous les efforts avorteront. Je ne puis consentir à sacrifier, en donnant mon suffrage, la vie & la fortune de mes concitoyens, pour enrichir & élever quelques favoris, quelques flatteurs qui approchent du trône.

II est évident que les Américains veulent être libres ; ils préfèrent la mort à la dépendance.[p.171]Toute l'éloquence de Cicéron ne nous persuade pas que l'infortuné Burgoyne, que l'on a si mal embarqué, est aujourd'hui victorieux ; que le général Clinton est en sûreté ;& que sir William Howe a conquis l'Amérique. Cependant on nous représente ce dernier commandant comme une puissante armée ; il ne manque ni d'argent, ni de vaisseaux, ni de troupes : il lui manque du moins une chose pour le consoler dans la défaite, ou pour le faire jouir du fruit de la victoire ; c'est une cause juste ; ce ne sont pas des actes d'injustice & d'oppression qui donneront de la dignité à la Grande-Bretagne, & qui assureront sa gloire.

Les ministres ne se lassent pas d'espérer des succès importans, ils ne parlent pas de succès légitimes ; peut-être qu'en agissant d'après des principes honnêtes, on pourroit encore engager les Américains à renouer avec nous ; mais ceux qui persistent à vouloir la soumission indéfinie, méritent de porter le joug qu'ils veulent imposer à ces peuples libres : est-ce donc pour en venir à une fin si humiliante que l'Américain se console aujourd'hui de la perte d'un ami, d'un frère ou d'un père qui a perdu la vie les armes à la main ; non : l'Américain se dit ;« Il combattoit pour la liberté, c'est pour la liberté qu'il est mort : la gloire nous dédommage[p.172]de sa perte, & son trépas est un triomphe ».

Ce sont des hommes animés de cet enthousiasme, qui ont opéré la révolution qui a placé la famille actuellement régnante sur le trône ; ce sont des hommes animés de ce noble enthousiasme, qui ont obtenu la grande charte : les Américains ont prouvé qu'ils étaient dignes d'être libres, aussi bien que ces braves Bretons : ce qu'ils ont la sagesse de demander, c'est une grande charte en vertu de laquelle des étrangers prétendent leur imposer des taxes à mille lieues de distance. Si la constitution de ce pays étoit conservée dans sa pureté, & dans sa perfection ; si la corruption, l'influence de l'or, ou l'abus du pouvoir n'en altéroient pas l'esprit & n'en éludoient pas les vues, tout le monde la regarderoit comme une des plus propres à assurer le bonheur des sociétés ; je crois donc que beaucoup d'Américains la préféreroient à toute autre constitution qu'on pourroit projetter pour eux ; au nombre de ces Américains je ne comprends pas les membres du congrès, je ne comprends pas beaucoup de chefs ambitieux ; peut-être le vertueux Wasington lui-même ne se prêteroit-il pas à la proposition ; mais si la constitution assuroit la liberté de l'Amérique, chaque victoire nous rameneroit quelques[p.173]amis puissans, au lieu de lâches déserteurs, d'espions trompeurs, & de pilotes dangereux.

Les ministres nous disent que l'Angleterre est riche, que l'on peut soudoyer des étrangers ; continuer la guerre ; quel est l'Anglais qui voudra céder ses lauriers à de vils mercenaires pour ménager notre sang ; si l'honneur nous appelle aux armes, quel ministre ose nous faire cette humiliante proposition ? D'ailleurs, ces Allemands ne sont pas à si bon marché qu'on veut nous le faire croire, car il faut que vous en payez actuellement la solde, & lorsque la guerre sera finie vous aurez des sommes immenses à payer pour ceux qui ne retourneront pas dans leur pays ; mais aucun d'eux n'y retournera ; je le dirai à la gloire de nos ministres, je ne crois pas les Américains capables de donner à leur pays une constitution assez mauvaise, pour que les Allemands ne la préfèrent pas encore à l'horreur de rentrer dans ces infâmes boucheries où leurs petits tyrans mettroient encore leur sang à l'enchère.

Voila donc nos hautes espérances remplies par la possession de Philadelphie ! cette ville fut bâtie pour la paix & pour le commerce, non pas pour la guerre ; elle est située sur un terrein plat & bas, où l'on ne trouve pas la moindre éminence propre à recevoir une seule pièce[p.174]de canon ; il faudra donc dépenser des sommes immenses pour l'entourer d'ouvrages qui puissent défendre vos quartiers d'hiver ; la saison, de plus, est si avancée que l'entreprise même de ces ouvrages est impraticable. Ce sera donc une conquête glorieuse pour ceux qui pourront s'enrichir en conduisant cette entreprise dispendieuse, & une calamité de plus pour ceux qui seront taxés pour cette nouvelle extravagance ; si tout cela est impraticable nous nous serons emparés de la plus belle ville de l'Amérique, pour la réduire en cendres ;& les légions Britanniques se seront embarquées pour aller sur ses côtes, se rassasier du spectacle de villes embrâsées ! Nos évêques nous persuaderont-ils que la fumée qui s'élève des ruines de ces villes, est agréable à Dieu, & qu'en se répandant sur les deux hémisphères elle annonce la dignité, la puissance, l'honneur & l'humanité de la nation Anglaise ? Nos ministres lèvent encore la tête ; ils sont prêts à sceller de leur sang tous les maux qui ont résulté de leurs conseils, & tant que la majorité du parlement les secondera, ils parleront bien haut : mais il faut que je leur rappelle une anecdote d'un certain général, homme d'état, c'étoit le comte de Bussy, sous le règne de Louis XIV. Il dessina tous les amis qu'il avoit eus à la cour, & plaça[p.175]sur la tête de chacun d'eux une tête d'oiseau ou de quelqu'autre animal : sur l'épaule de sa maîtresse, il mit une tête d'hirondelle, & écrivit au-dessous pour devise, je suis le mauvais tems, faisant allusion à ce qu'elle l'avoit abandonné dans ses malheurs. Que les ministres se souviennent de la tête de l'hirondelle, qu'ils s'en souviennent : car si j'avois cent langues & l'éloquence d'autant d'orateurs infiniment plus habiles que moi, je manquerois encore de termes, pour exprimer les horreurs, les calamités, la destruction qui résulteront de cette guerre atroce.

Je demande donc, tant que des ministres désespérés, dénués de tout sentiment, conseilleront à sa majesté de continuer cette guerre ruineuse, n'ayant aucun avantage pour objet, uniquement propre à déshonorer les armes de la Grande-Bretagne, & à épuiser le plus pur de son sang, je demande, dis-je, quel est l'homme de bon sens qui peut être content de ce qui se passe, & qui ose voter la continuation de ces mesures pernicieuses qui ont déjà attiré sur nous tant d'humiliation, tant de calamités, qui, en un mot ont ébranlé la Grande-Bretagne jusque dans ses fondemens.

Un écrivain français qui rend deux fois par mois un compte sommaire de ce qui se passe[p.176]ici sous ses yeux comme sous les nôtres, croit avoir remarqué que ces débats n'affectent point les ministres, qu'au contraire, s'il n'y avoit personne qui voulut jouer volontairement le rôle dont se chargent les membres de l'opposition, ils loueroient à prix d'argent des comédiens pour le remplir. Cet écrivain, lorsqu'il a parlé ainsi, n'avoit pas encore été témoin des scènes que la défaite du général Burgoyne a occasionnées. Si les choses avant cette époque étoient comme il les représente, elles ont bien changé de face :& sans avoir intention d'offenser personnellement le secrétaire d'état au département de l'Amérique, nous devons ne pas laisser ignorer qu'il avoit absolument perdu la tête, comme on a pu le remarquer assez dans la manière dont il a répondu au sujet des treize mille hommes au mousquet sur l'épaule : depuis il est très-agité, & parle enfin de résignation. Ses collègues ne sont guères plus tranquilles.

[p.177]

 

Courte invective de M. Fox, contre la dernière catastrophe de l'armée prisonnière, arrivée par la présomptueuse incapacité du Ministre.

 

Du 3 Décembre 1777

Je suis heureux d'avoir eu le tems de me remettre un peu, & de n'avoir pas parlé le premier au moment où l'on a communiqué à la chambre, ces fatales nouvelles : ma poitrine étoit si oppressée par l'indignation, par la rage, que si j'eusse essayé de parler, j'eusse été nécessairement inintelligible. Une armée de dix mille hommes détruite par l'ignorance méditée, par l'ignorance obstinée, par l'incapacité du noble lord, crie hautement vengeance :& si personne ne veut prendre sur soi de demander à l'instant que l'on fasse les recherches nécessaires sur les causes de cette calamité, j'en ferai moi-même la motion. Quoi ! un brave général, envoyé comme une victime pour être égorgé ; tandis que son habileté, sa bravoure, lui préparoient des moissons de lauriers, s'il n'eût été dirigé par un sot étourdi (Ablunderer). C'est un spectacle trop révoltant pour l'humanité : on n'en[p.178]supporte pas tranquillement l'idée : On a trompé le général, on lui en a imposé ainsi qu'à la chambre : ses ordres portoient de se rendre à Albany, où il devoit attendre ceux du général Howe& co-opérer avec lui ; mais le général Howe n'en savoit pas un mot ; il s'étoit porté dans une autre province, & avoit laissé le malheureux Burgoyne se tirer d'affaire comme il pourroit, dans un pays où la nature présentoit à chaque pas des obstacles invincibles. Le noble lord est coupable au premier chef, puisque c'est lui qui s'avoue l'auteur de cet abominable plan. Tous ceux qui ont voté pour la guerre & qui l'ont secondée par leurs suffrages, sont moins coupables sans doute ; mais ils le sont infiniment.

[p.179]

 

Discours du gouverneur Pownall, sur l'opposition qu'on devroit mettre au service des Sauvages Indiens, dans la guerre ; parce que leur manière de combattre est absolument féroce.

 

Du 6 Février 1778

Personne n'est plus éloigné que moi de se servir dans nos armées de sauvages Indiens, personne ne peut en avoir une horreur plus décidée, parce que personne, (du moins dans cette chambre), n'a été plus à portée que moi de les connoître, comme je l'ai fait durant la dernière guerre. Cette horreur que j'ai de leur service ne provient pas des prestiges d'une imagination échauffée, elle vient de faits que j'ai vus. II n'y a point de ruses, point de machines de guerre à craindre, point d'inventions infernales comme leur service en guerre avec des nations civilisées. Que devons-nous donc penser, quelles doivent être nos sensations, lorsqu'on les emploie dans une circonstance, où de part & d'autre c'est une même nation, où des deux côtés ce sont les membres d'une même famille, dans une guerre entre nous & nos frères ?

Chez les nations civilisées, des sentimens[p.180]mutuels d'humanité, & un esprit d'honneur ont défini des droits, & prescrit des loix même à la guerre : ils ont mis des bornes au carnage, & fixé des limites aux actions les plus sanglantes & les plus meurtrières : c'est dans les guerres les plus acharnées, ce qu'on appelle les droits de la guerre, Jura belli, que les nations civilisées ont généralement presque toutes adoptés. Chez les Sauvages, au contraire, la guerre au lieu d'être un combat de raison, & de pouvoir réglé, retenu par des sentimens d'honneur & d'humanité, n'est qu'un déchaînement de passions atroces, de vengeance & de la soif du sang ; c'est proprement un combat de haines, certare odiis ; c'est un ravage & une dévaluation universelles, jusqu'à une entière destruction. Au lieu de donner des loix à la guerre, jusque datum sceleri : c'est lâcher la bride à tous les emportemens féroces de rage & de vengeance ; c'est autoriser les atrocités les plus inouies.

[p.181]

 

Lettre du général John Sullivan au général Pigot dans laquelle il se plaint de la manière atroce dont la Grande-Bretagne fait la guerre ;& il lui demande quel sort doivent attendre des prisonniers qui ne faisoient aucun service militaire ; qu'on n'a pas pris les armes à la main.

 

Du 4 Juin 1778.

Monsieur,

Les représentations multipliées que me font les familles désolées des personnes qui ont été prises par vos troupes le 25 du mois dernier, m'engagent à vous écrire à ce sujet : comme ces personnes ne faisoient aucun service militaire, comme on ne les a point prises les armes à la main, je ne puis concevoir ni par quel motif on les a arrêtées, ni à quelles conditions on peut obtenir leur liberté.

Si la guerre que nous fait la Grande-Bretagne eût été fondée sur la justice ; si vos troupes dans leurs excursions se fussent bornées à détruire nos bateaux, à faire avorter nos opérations militaires, sans détruire en pure perte des villes dénuées de défense, brûler des édifices consacrés à la divinité, piller & insulter des[p.182]habitans innocens, arracher à leurs paisibles demeures, des hommes sans armes qui n'offensoient personne, une expédition pareille eût pu briller de quelqu'éclat ; mais la cruauté sauvage qui la caractérise, l'obscurcit ; elle porte l'empreinte éternelle du déshonneur.

Dans la dernière lettre que vous m'avez écrite, vous me disiez que suivant votre opinion, les habitans de l'Amérique en général pensoient plus favorablement que je ne paroissois porté à le faire, des vues & des intentions de la Grande-Bretagne. Monsieur, si la cruauté sans exemple à laquelle vos troupes se sont livrées depuis le commencement de la querelle, toutes les fois qu'elles ont eu un petit avantage ; si le traitement inhumain, & sans exemple fait aux prisonniers que le sort de la guerre a mis en votre puissance, n'avoient pas suffisamment convaincu les habitans des États-Unis qu'ils n'avoient rien à attendre de votre nation, que la continuation des mesures tyranniques & cruelles qui ont rendu leur séparation forcée, la conduite des troupes que vous commandez, eût porté cette conviction au point de la certitude infaillible.

Les Américains n'ont pas encore fait usage du droit de représailles ; l'humanité a été le caractère distinctif de leur conduite, même depuis[p.183]qu'ils ont su qu'on attribuoit leurs ménagemens délicats à une basse timidité ; mais s'il est jamais excusable de méconnoître les loix que prescrit cette humanité, c'est nécessairement lorsque la vigilance de ceux que l'on a cru envahir, a réussi à faire tomber dans le piège ces destructions implacables. Il viendra peut-être un jour où les Américains, indignés d'être l'objet de tant d'injures accumulées, las de donner des preuves de cette même humanité, dont la récompense confiante a été la cruauté & l'insulte ; désespérant de mitiger les horreurs de la guerre, en persévérant dans la pratique d'une vertu que leurs ennemis paroissent avoir bannie de leur âme ;& faisant tout-à-coup usage du droit de représailles, prouveront aux Anglais qu'ils se sont trompés sur les motifs de la clémence Américaine, & qu'ils se sont trop longtems fait un jeu d'une douceur qu'ils ne méritoient pas. Si cet événement arrivoit jamais, les malheureux qui en seront les victimes, devront en accuser les officiers qui commandent les troupes Britanniques dans ces contrées, & dont la conduite peu mesurée, a d'abord aliéné l'affection que les Américains conservoient pour votre nation, les a forcés ensuite à désavouer leur allégeance envers votre souverain, & a fini par[p.184]rendre les actes de représailles indispensables de leur part.

Je ne vous eusse point écrit à ce sujet d'une manière aussi circonstanciée, si je n'eusse observé dans la gazette de Newport, que la conduite des troupes employées dans la dernière expédition a reçu votre approbation & vos remercimens les plus marqués. Si vous voulez bien m'écrire quelques mots (une ligne) pour me faire savoir à quelles conditions on peut obtenir la liberté des malheureux dont il s'agit, vous obligerez infiniment, Monsieur, votre &c.

[p.185]

 

Réponse du général Pigot au général Sullivan : il lui marque que, suivant les loix du pay, tout homme au-dessus de seize ans, & au-dessous de soixante, étant obligés de servir les Américains dont il lui parle ne peuvent avoir été pris que les armes à la main ; ou qu'au moins ils devoient avoir servit antérieurement ;& que par conséquent ils doivent être échangés pour autant de soldats.

 

Du 4 Juin 1778.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre très-extraordinaire, & comme vous ne me demandez que quelques mots de réponse, pour vous faire savoir à quelles conditions les prisonniers faits le 25 du mois dernier, peuvent être relâchés ; il est inutile de vous causer l'embarras de lire une réplique aux autres parties de votre lettre.

Il vous plaît de dire que vous ne pouvez pas conjecturer à quelles conditions on peut obtenir leur liberté : il n'est pas possible que vous ignoriez que par les loix de ce pays, tout homme au-dessus de seize ans, ou au-dessous de soixante,[p.186]est obligé sous des peines sévères de servir comme soldat ; qu'ils ont des officiers généraux chargés de les conduire toutes les fois qu'ils sont appellés ;& je ne doute pas que plusieurs de ces mêmes personnes que vous appeliez des habitans paisibles, n'aient récemment marché pour servir lors de l'invasion que le général Spencer avoir projettée contre cette île ; dans ce cas-là, je ne vois pas pourquoi ces prisonniers ne seroient pas échangés pour autant de soldats ou de gens de mer ; quiconque parmi eux se trouvera être au-dessous de seize ans & au-dessus de soixante, sera mis sur le champ en liberté, sans échange lorsque vous l'aurez désigné. Si cette proportion vous convient, je suis prêt à faire l'échange si-tôt qu'il vous plaira ; mais dans le cas où vous ne l'approuveriez pas, je suis fâché de vous apprendre que n'ayant pas en mon pouvoir les moyens de traiter les prisonniers aussi bien que je désirerois de le faire, je me verrai dans la nécessité, à la première occasion qui se présentera de les envoyer à New-York, où l'on en prendra plus de soin, où ils auront plus d'espace : je voudrois pouvoir ajouter que leur échange y sera plus aisé à arranger.

Je suis, Monsieur, votre, &c.

[p.187]

 

Plainte très-vive du général Burgoyne exprimée au sujet de la distinction humiliante que faisoit M. Jenkinson, nouveau ministre de la Guerre, lorsqu'en présentant à la Chambre l'état des forces de terre & de mer, il compta trois cent mille hommes effectifs, non compris ajouta-t-il, lesprisonniers, en conséquence de la convention de Saratoga II en prend occasion de se plaindre de lord Germayne,& il finit par prier la Chambre d'ordonner une enquête sur la conduite de la guerre, tant pour sa propre justification, qu'afin d'amener l'éloignement du Ministre qui s'en est mêlé.

 

Du 11 Décembre 1778.

Voila donc une armée aussi brave que l'ait pu être aucune de celles qui ont servi ce pays, exposée aux dédains, aux humiliations marqués, parce que son général n'a pas été heureux : ce traitement m'affecte plus sensiblement que tous ceux que j'ai reçus personnellement, plus que les cruautés & les diffamations dont je suis redevable aux ministres. Trente officiers de cette armée sont actuellement en Angleterre ; de ce[p.188]nombre plusieurs ayant été échangés, sont par conséquent libres de servir en Amérique ou ailleurs : pourquoi ne leur permet-on pas de recruter ? Pourquoi les colonels & les lieutenans-colonels sont-ils ainsi privés, de l'addition qu'apporteroit à leur paie cette augmentation faite dans les corps qu'ils commandent ?

Comme membre du parlement, je donnerais volontiers ma voix en faveur de la motion (cent soixante mille hommes de troupes de terre, demandés par le sieur Jenkinson) : mais comme immédiatement après, on va faire une seconde demande de plus de trois millions sterlings pour l'entretien de ces troupes : avant de voter, je serais bien aise de savoir qui commandera, l'armée en Amérique : qui aura en Angleterre la conduite de la guerre ? D'une part il passe pour confiant que sir Henri Clinton a demandé son rappel, parce qu'on ne lui a pas envoyé les renforts qu'on lui avoit promis : de l'autre, je prends sur moi d'assurer à la chambre que si le même ministre continue d'être chargé du département de l'Amérique ; les armes de sa majesté n'auront jamais de succès dans ces contrées : la preuve en est, qu'il n'est pas un officier qui ait agi sous les ordres de ce ministre sans s'être dégoûté ; les uns sont revenus, les autres ne forment qu'un vœu au monde, celui de revenir[p.189]le plus vite possible. En général, mon opinion est que nous n'avons pas assez de troupes dont nous puissions nous passer ici, pour faire en Amérique une guerre offensive. Je finis par prier la chambre d'ordonner une enquête sur la conduite de la guerre, il en résultera un double effet : je serai justifié, & la nécessité de mettre à l'écart le ministre qui s'en est mêlé, paraîtra évidente.

 

Réplique de lord Germayne au général Burgoyne, dès que la Chambre demandera une enquête sur sa conduite, il est tout disposé à la satisfaire ;& il déclare que tant qu'elle le jugera digne d'occuper sa place ; il la conservera, & qu'il ne la quittera que dans le cas où on prendroit le parti de renoncer à la guerre d'Amérique, ou de reconnoître son indépendance.

 

Du 11 Décembre 1778.

Je suis fâché de remarquer que quelque puisse être l'objet des délibérations de cette chambre, l'honorable membre ne se lève jamais que pour parler de ses propres affaires, & pour m'accuser : tout ce que je puis dire, c'est que lorsque l'on[p.190]jugera à propos de demander une enquête sur ma conduite, je seconderai volontiers la motion : je ne désire l'honneur d'occuper le poste qui m'est confié, qu'autant qu'il paroîtra que je suis de quelqu'utilité à mon pays ;& si je ne pensois pas que la majorité de cette chambre me croit digne de le remplir, je ne voudrois pas rentrer chez moi avant d'avoir résigné les sceaux entre les mains de sa majesté ; mais tant que je ne serai pas convaincu que la chambre désire cette démarche de ma part, je donnerai peu d'attention aux clameurs de la malignité & de l'envie : il est un autre cas dans lequel je ne garderois pas ma place un instant (je crois que le moment demande cette déclaration de ma part), c'est celui où l'on prendroit le parti de renoncer à la guerre d'Amérique, ou de reconnoître son indépendance.

[p.191]

 

Discours de M. Fox contre le projet de continuer la guerre. Ressemblance frappante des sommes & des armées considérables de Xerxès & de celles de la Grande-Bretagne, devenues inutiles devant leur ennemi. C'est contre la France qu'il faut les diriger, au lieu de semer la division sur nos flottes & ailleurs. Retirer nos troupes de l'Amérique, ce n'est pas reconnoître son indépendance.

 

Du 11 Décembre 1778.

Je ne pense pas que nous puissions jamais y supprimer (dans l'Amérique) la rébellion ; je ne sais, mais il y a quelque fatalité attachée à cette guerre qui la rapproche beaucoup de celle que Xerxès fit jadis à la Grèce ; ce qui contribue infiniment à rendre cette ressemblance frappante, est celle qui se trouve entre le ministre qui préside parmi nous au trésor, & celui du prince Persan qui eût pu tenir ce langage : j'ai promis de construire un pont sur l'Hellespont, je l'ai construit : j'ai promis de faire passer vos vaisseaux sur le mont Athos, j'ai fait passer vos vaisseaux sur le mont Athos : j'ai promis de fournir à votre armée toutes les choses nécessaires,[p.192]votre armée n'a manqué de rien. Cependant cette armée d'environ deux millions d'hommes se consuma, la Perse se vit dépeuplée les ressources de cet empire furent épuisées, & la Grèce conserva son indépendance ! Entretenir une armée en Amérique, c'est de propos délibéré laisser subsister un poids énorme sous lequel la nation se trouve en état de souffrance ; que l'on s'y prenne comme on voudra, on ne réussira jamais à subjuguer un peuple épris d'enthousiasme pour son nouveau gouvernement : ce n'est pas contre les Américains qu'il faut employer nos armées ; chargez-les de quelques expéditions importantes contre les possessions de la France ; c'est-là que vous réduirez l'Amérique, ce n'est pas sur son territoire, c'est sur celui de la France que vous pouvez la vaincre : mais comment s'y prend l'administration pour punir les insultes que nous recevons tous les jours de notre ennemi naturel & invétéré ? tandis que nous avons besoin d'unanimité & du développement de toutes nos forces, les ministres sèment la division sur nos flottes ils exposent à une procédure criminelle un homme dont ils connoissent l'innocence, & cette procédure étrange porte sur l'accusation la plus frivole & la plus injuste ! ce n'est pas-là le moyen de vaincre, & cependant nous n'avons guères qu'une alternative, vaincre ou cesser d'être un peuple[p.193]libre ; mais par le mot générique vaincre, il ne faut pas entendre que nous ferons la guerre à l'univers, je vais exposer en deux mots, sous quel point de vue j'envisage notre situation présente : premièrement, il ne faut pas confondre les objets, il ne faut pas établir en principe, que retirer nos troupes de l'Amérique septentrionale ; ou reconnoître l'indépendance de l'Amérique septentrionale, est la même chose : on peut parfaitement retirer les troupes, sans qu'il en résulte que cette indépendance. soit reconnue : au contraire en les employant utilement ailleurs, on peut sur un territoire étranger saper les étais de cette indépendance, dont nous ne pouvons ébranler les fondemens en Amérique.

[p.194]

 

Réplique du gouverneur Johnstone au Discours précédent. Il n'apperçoit aucune différence entre retirer les troupes & reconnaître l'indépendance de l'Amérique : il pense que ce parti seroit très-dangereux ; que de tourner ces troupes contre la France & ses possessions ; ce seroit renoncer au certain pour l'incertain parce qu'il regarde la réduction des Colonies comme assurée.

 

Du 11 Décembre 1778.

J'avouerai que je ne vois pas des mêmes yeux, & que je ne puis appercevoir la plus légère différence entre retirer les troupes & reconnoître l'indépendance de l'Amérique : dans le premier cas, les conséquences se présentent d'elles-mêmes, & ne peuvent échapper à personne ; la Nouvelle Écosse est attaquée, on nous enlève Terre-Neuve, la Floride est livrée au pillage, & le Canada passe sous la domination du Congrès ; tout cela posé, nos possessions dans les indes Occidentales nous deviennent inutiles, parce que tous les vaisseaux qui nous viennent de ces îles, étant obligés de passer par le golfe de la Floride, pour éviter le cap Nichole Mole, qui est pour les Français le Gibraltar[p.195]des Indes occidentales ; ces vaisseaux seront nécessairement pris ou détruits par les armateurs Américains, si nous n'avons dans ces parages ni ports ni flottes pour les protéger : une autre raison qui s'oppose invinciblement à ce que nous retirions nos troupes de l'Amérique septentrionale ; c'est que du moment ou les nouveaux gouverneurs de l'Amérique se verroient affranchis de la crainte que leur impose notre armée, ils ne manqueroient pas de s'appliquer à donner de la consistance à leurs gouvernemens, qui, pour le présent, sont un peu chancelans : oui, chancelans ! je puis déclarer hautement que l'affection que le peuple portoit au Congrès a été considérablement altérée, depuis que ce corps politique a fait des changemens dans la nouvelle constitution : le serment d'abjuration, imposé à tous les électeurs, a été généralement regardé comme étant l'usurpation d'une prérogative que le peuple n'a jamais donnée au Congrès : le mécontentement que cette démarche a causé a été si marqué dans la province de Pensylvanie, qu'au lieu de trente-deux mille électeurs qui avoient voté pour le premier Congrès, lorsqu'il a été question de voter pour le second, il ne s'en est trouvé que six cent qui aient voulu prêter le serment d'abjuration : il est également de ma connoissance que dans[p.196]la Nouvelle Angleterre les Whigs& les Torys sont partagés avec tant d'égalité, que lorsqu'il s'agit de voter dans l'assemblée provinciale, les Whigs n'ont qu'une majorité de deux, quelquefois d'une voix. Dans des circonstances si favorables, si l'on retiroit l'armée, qui seule peut encourager les mécontens ; persister dans leur attachement pour notre cause, quel parti leur resteroit-il à prendre ? N'est-il pas évident qu'ils n'auraient que celui de se soumettre à la tyrannie du Congrès, qui, à l'aide des forces militaires qui sont à sa disposition, imprimant par-tout la terreur, affermiroit si solidement sa domination sur le continent, qu'il seroit ensuite impossible de l'ébranler. Au reste, j'ai encore une déclaration à faire : j'ai été sur les lieux, j'ai vu de mes yeux, j'ai entendu de mes oreilles tout ce que j'avance. La réduction de l'Amérique n'a été impraticable dans aucun tems ; les forces que l'on y fait passer pour l'effectuer, eussent été suffisantes si on en eût fait l'emploi convenable ; je ne sais à qui attribuer le plan de l'expédition du général Burgoyne ; est-ce au général lui-même ? est-ce au secrétaire d'état chargé du département de l'Amérique ? Tout ce que je sais, c'est que cette expédition, ensuite l'évacuation de Philadelphie sont les causes uniques du peu de succès de nos armes. Je crois avoir suffisamment[p.197]démontré combien, dans les circonstances présentes, il seroit imprudent & dangereux de retirer nos troupes de l'Amérique septentrionale ; il ne seroit pas difficile de prouver de plus que ce seroit renoncer au certain pour l'incertain : que prétend-on faire de ces troupes, quand on les aura rappellées ? Les employer contre la France & contre ses possessions : contre la France est parfaitement bien : je ne dirai pas ce que je pense de ce projet : mais plusieurs membres présent se sont trouvés à l'expédition de Saint-Cast, s'ils prennent la peine de parler ils pourront mieux que moi déterminer le degré de probabilité qu'ils trouvent dans le succès que l'on se promettroit d'une pareille entreprise : on ne réussiroit guères mieux si l'on tentoit d'envahir les possessions de la France dans les Indes occidentales : Saint-Domingue est si fort, que vingt mille hommes ne suffiroient pas pour s'en rendre maîtres : la guerre que nous commençons contre la France est prodigieusement différente de celle que nous lui faisions en dernier lieu, alors nous étions incontestablement souverains des mers ; aujourd'hui la France nous conteste cette souveraineté. Je finirai en déclarant qu'il est indispensable de continuer la guerre en Amérique, que je ne regarde pas comme impossible de la faire avec succès, parce que je connois[p.198]des ressources suffisantes à la Grande-Bretagne ; qu'enfin retirer les troupes de l'Amérique, c'est accorder gratuitement cette indépendance contre laquelle nous combattons depuis tant d'années.

 

Discours du colonel Barré. Il annonce qu'il a formé un plan qui tend à limiter le tems du service des soldats, & qu'il attendra, pour le faire connoître, un moment favorable.

 

Du 26 Janvier 1779.

J'ai déjà notifié que mon intention étoit de proposer dans un tems convenable, une clause pour limiter généralement la durée du service des soldats, afin de faire participer un peu cette classe de citoyens à la liberté dont jouit tout autre sujet de ce royaume. L'Angleterre, par l'esprit de sa constitution, est le pays le plus libre du monde entier, & le soldat qui protège cette liberté, se trouve être dans ce pays même un esclave plus dépendant que nous n'en connoissons sous le gouvernement des princes les plus arbitraires, les plus despotes de l'Europe : c'est pour effacer cette tache que nos statuts militaires impriment sur la nation, à la honte &[p.199]au scandale de toutes les loix possibles, que je me suis appliqué à considérer comment on pourroit apporter quelques adoucissemens à la situation des soldats ;& j'ai jetté sur le papier une clause pour limiter le service de ceux qui sont actuellement, & ont été quelque tems au service de sa majesté ; je l'ai conçue de manière à ne contrarier aucunement les dispositions du gouvernement ;& à ne nuire en aucune manière aux intérêts publics ; je l'ai communiqué à quantité de militaires distingués & à beaucoup d'autres personnes ; elle a été approuvée de tout le monde, & décidée juste, nécessaire & praticable. Cependant, comme il est important que le bill n'éprouve aucun retard, comme je sens que dans ce moment-ci la nation a besoin de tous les soldats que ce même bill doit procurer, je différerai pour le moment, de solliciter l'insertion de ma clause, & j'attendrai pour le faire un moment plus favorable, mon intention n'étant pas d'apporter le plus léger obstacle à la marche du gouvernement.

[p.200]

 

Discours violent de M. Fox, contre les Ministres qui, ennemis de tous les braves & généreux Officiers, ne savent que leur insulter, les éloigner du service, ou les perdre. Il s'étend avec détail sur les effets de l'indignation & du ressentiment meurtrier que leur inspira la sentence qui décharge l'amiral Keppel.

 

Du 17 Février 1779.

Leur maxime confiante est de couvrir de mépris, d'insulter, de dégrader les officiers qu'ils emploient soit sur terre, soit sur mer. Le moyen sûr de leur faire sa cour, de mériter leurs bonnes grâces, est de porter quelque atteinte à la réputation de ce qu'il y a d'hommes braves, judicieux & expérimentés dans le royaume : ces odieuses manœuvres en usage depuis quelques années se conduisent clandestinement ; on glisse secrètement de l'argent dans la main de quelqu'éditeurs de papiers-nouvelles, & ces coups portés dans les ténèbres ne laissent point de traces qui indiquent le repaire de l'assassin, le grand secret est de tout se permettre, & de s'y prendre de manière que rien ne puisse être prouvé ; de-là la sécurité des ministres, de-là la[p.201]confiance avec laquelle ils nient tout ce qu'on leur impute d'inique dans ce genre.

Cependant, comme aujourd'hui ils donnent leur consentement à la motion qui nous occupe, il est clair qu'ils s'écartent de leur plan général, je vais en donner la raison à la chambre : l'amiral Keppel les en a dégoûtés, ils viennent de s'appercevoir enfin que la nation prend un intérêt vif à tout ce qui concerne les hommes qui l'honorent ; qu'elle s'indigne de voir leur réputation méchamment compromise, qu'il peut se former des cours d'enquête assez honnêtes, non-seulement pour ne pas tremper dans l'odieux complot de flétrir les réputations, mais pour s'ériger, en cours d'honneur, conservatrice de la réputation des braves gens : la sentence honorable qui décharge l'amiral Keppel est pour la nation d'une importance infiniment plus grande que ne le pensent les ministres : si elle eut été moins juste, moins glorieuse pour l'accusé & pour ses juges, c'en étoit fait de la marine Anglaise ! les ministres n'ignorent pas combien est considérable le nombre des officiers distingués par leurs services, leur expérience, leur bravoure, qui avoient pris la résolution de résigner & de partager le fort de leur amiral, s'il eût été victime de la méchanceté de son accusateur ; la joie publique en[p.202]cette occasion a fait trembler les ministres ; leurs fronts ont pâli, le cœur leur a manqué. Ils ont secoué la tête, & comme de lâches méchans, ils ont conçu une haine mortelle contre l'honnête public, parce qu'ils marquoient de la joie : tandis que dans la cité & dans Westminster tout étoit illuminé, les bureaux des ministres seuls annonçoient le deuil : celui de l'amirauté, ce grand monument érigé à la mélancolie, cachoit sa honte dans l'obscurité : non contents de tous ces symptômes qui déceloient leurs sombres dispositions, les ministres pour se venger firent des tentatives pour arracher la vie à quelques personnes, qui dans l'ivresse de leur joie, avoient eu l'imprudence de briser les vitres de ceux qui ne vouloient pas imiter leurs voisins en illuminant : tout le monde fait que cette imprudence se renouvelle toutes les fois qu'il se présente quelqu'occasion pour des illuminations générales, & que ceux qui prétendent s'en exempter doivent s'attendre à voir voler autour de leurs oreilles les éclats de leurs vitres : malgré la fréquence de ces exemples, en vertu d'une clause infâme insérée dans l'acte contre les tumultes, un jeune homme de dix-huit ans, nommé Mackay, a été arrêté, on va faire son procès de mort, parce qu'il a eu l'imprudence de briser les volets & les vitres[p.203]d'une maison inhabitée, appartenante à sir Hugh Palliser dans Pall-mall ; répandra-t-on le sang d'un malheureux à peine sorti de l'enfance, pour un dommage de si peu de conséquence dans sa nature ? (Ici M. Fox cita des exemples pour prouver que sans égard à la clause de l'acte des parties qui en semblable occasion avoient essuyé des dommages, s'étoient simplement pourvus devant les juges civils pour en obtenir des dédommagemens. On le blâme d'avoir poussé pour le moment le zèle jusqu'à justifier les excès inséparables des tumultes ; au reste, son objet étoit d'exciter la compassion de la chambre en faveur de beaucoup de personnes qui se trouvoient dans le cas du jeune Mackay, & dont le délit aux yeux de la loi étoit effectivement capital ; nous avons su depuis qu'ils ont tous été élargis).

Eh voilà les excès auxquels le ressentiment a porté les ministres ! la sentence qui décharge l'amiral Keppel les a blessés au fond du cœur ! le gouvernement actuel, mais je ferai usage du mot administration, parce que les hommes à la tête des affaires sont si foibles, si peu sages, sont si peu capables de servir leur pays, de se concilier l'estime & la confiance du peuple, de faire respecter & exécuter leurs décrets, qu'ils ne peuvent être considérés comme formant un[p.204]gouvernement ; l'administration actuelle, dis-je, est absolument le revers d'une administration sage qui consiste à agir avec une portion égale de jugement, de vigueur & d'intégrité, vertu dont l'assemblage seul peut assurer au-dehors le succès de nos armes ; au-dedans, la prospérité du commerce, la subordination, le bonheur & l'union.

Si en Angleterre un homme qui ose applaudir au triomphe de l'innocence outragée, & se permet quelques excès dans le délire de la joie, est menacé du gibet, il n'en est pas de même en Écosse. Là le peuple est assez fort pour repousser la soldatesque, là le ministère est souple, & se hâte de tout arranger, n'importe à quels termes, n'importe si l'autorité du gouvernement, si la dignité du parlement sont compromises ; les Écossois sont entêtés : il n'y a pas de morgue ministérielle qui tienne contre des gens qui vous défient de faire feu sur eux : ce contraire révoltant dans la conduite de l'administration, suffit sans doute pour démontrer sans réplique que lorsqu'elle a la force pour elle, elle est arbitraire & tyrannique ; lorsqu'elle trouve de la résistance, elle est ; scandaleusement servile, basse, suppliante[9].

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Discours de sir Philip Jenning Clerke, contre les pouvoirs donnés aux Conseils de guerre trop étendus, sur tout par rapport à la sévérité excessive envers les soldats qui ont mérite punition.

 

Du 26 Février 1779.

En réfléchissant sur la teneur de cet acte, je trouve que les pouvoirs donnés aux conseils de guerre sont trop étendus & énormes : il arrive presque toujours que trois jeunes officiers passent la sentence, & que faute de donner à la nature du délit une attention convenable, de malheureux soldats sont exposés à des punitions corporelles, honteusement sévères, & quelquefois suivies des plus funestes conséquences : j'ai passé la majeure partie de ma vie au service, il est naturel que je m'intéresse à l'honneur de cette profession, & que je cherche à adoucir la rigueur des punitions militaires ; ma motion ne tendra pas à relâcher la discipline nécessaire, elle ne portera point atteinte à la régularité &[p.206]à la subordination qui doit régner entre le soldat & l'officier ; il n'est ni dans l'esprit de l'ordre, ni dans celui de la discipline & de la subordination, de donner à un soldat mille coups de fouet, qui, multipliés de trois courroies dont le fouet est composée, sont effectivement trois mille coups : c'est de la barbarie toute pure : c'est présenter à la nation un spectacle d'horreur, c'est forcer l'humanité à rougir ! D'ailleurs, observez, s'il vous plaît, quelle est la proportion observée dans les peines qui s'infligent à terre ou à bord d'un vaisseau : un matelot condamné au fouet ne peut recevoir que douze coups ; cet usage de multiplier ainsi la douleur sur le corps d'un homme quelconque a paru si abominable aux Indes occidentales, que si dans ces contrées un maître osoit faire donner à son esclave Nègre au-de-là de trente-six coups de fouet, la loi condamne à la mort le flagellateur inhumain ;& nos soldats en reçoivent trois mille ! aussi puis-je citer quantité d'exemples où l'on a vu ces malheureux expirer sous les trois courroies :& ce sont des soldats qui reçoivent ce traitement infâme ! des soldats ! Eh quel est l'ordre d'hommes plus utiles, qui mérite plus d'égards de la société ? Je n'en connois point.

[p.207]

 

Discours de M. Fox. Lord North ayant, à raison des circonstances, proposé le doublement des Milices du Royaume, & présenté en même tems à cause du danger imminent, un bill tout dressé ; M. Fox entre d'abord dans ses vues, puis s'élève contre les Ministres, les seuls auteurs de tous tes maux qui affligent la nation.

 

Du 21 Juin 1779.

La motion du noble lord étant exactement ce qu'on peut appeller le cri d'alarme, il est naturel d'en conclure que le royaume se trouve dans un état de danger imminent : or, pour conjurer le danger, des milices ne suffisent pas, & nous nous occuperions envain de la mesure proposée, si l'on ne nous rassure pas sur l'autre partie de la défense nationale ; sur l'état de notre marine. Les forces navales de France & d'Espagne sont connues, & quant à présent elles sont infiniment supérieures à celles que nous avons en mer : exposera-t-on long-tems sir Charles Hardy au danger d'une inégalité si considérable ? ne songe-t-on pas à lui envoyer des renforts ? J'ai appris avec plaisir qu'indépendamment[p.208]de trente-un vaisseaux de ligne qui composent sa flotte, nous en avons cinq ou six qui ne tarderont pas à être en état de le joindre ; que l'on ne perde donc pas un instant pour les équiper, que tout ce qu'il y a dans le royaume d'hommes capables de manier une hache, d'enfoncer une cheville, mette la main à l'œuvre : il est d'une importance décisive, que cette flotte soit en état de faire face aux flottes combinées de nos ennemis.

Certainement mon intention n'est pas de m'opposer à la motion, je conçois que dans un moment pareil, tous les individus qui constituent l'empire doivent contribuer à sa défense ; mais je crains au premier coup-d ‘œil qu'il ne se présente plus d'une difficulté à l'égard de ce doublement des milices ; on pourra peut être trouver des soldats en nombre à peu-près suffisant ; mais où prendre assez d'officiers pour les commander. C'est ce qui ne sera pas facile : au reste, dans le cours des progrès du bill, les idées se recueilleront, on pourra considérer successivement divers objets qui ne se présentent pas tous à la fois, qui veulent être mûrement pesés ; entre autres questions, par exemple, il s'en élèvera probablement une qui consisteroit à savoir si dans un moment aussi pressant, aussi critiqueque celui-ci, il ne seroit pas convenable d'autoriser[p.209]le roi à faire passer une partie des milices en Irlande pour défendre ce royaume, que l'on regarde ; assez généralement comme étant le théâtre où les Français porteront les premiers efforts de la guerre… Je demande au surplus aux ministres, pourquoi ils ont différé jusqu'au dernier moment pour prendre des mesures dont ils devoient prévoir l'indispensable nécessité, ce n'est assurément pas un moment comme celui ci que je choisirai pour les attaquer personnellement ; mais je leur demande s'ils prendroient sur eux de déclarer que les flottes & les armées dont le salut du royaume dépend, sont entre les mains de nos officiers les plus habiles ; je leur demande, si tous les commandants, en qui la nation avoit placé sa confiance, n'ont pas été forcés de quitter le service. Que répondront-ils ? rien :& moi j'ajouterai que tant que les ministres actuels resteront en place, la nation sera découragée ; car enfin, que peut-on attendre de la conduite de ces mêmes hommes dont les mesures nous ont déjà valu la perte de l'Amérique, & ont suscité contre nous la France & l'Espagne.

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Discours de M. Sawbridge. M. T. Townshend ayant avancé en face de lord North qu'il y avoit dans le cabinet de Saint-James, quelque traître qui achetoit & vendoit la Nation ; M. Sawbridge appuie cette inculpation, & s'explique d'ailleurs sur la mesure proposée par le Ministre. Il le prévient que dans la prochaine assemblée du conseil commun où l'on doit proposer d'offrir sang & fortune pour le service de la Nation, il ne sera pas fourni un homme, pas donné un schelling, que dans le cas ou le noble lord & ses collègues seront congédiés ;& remplacés par des hommes plus habiles & mieux intentionnés.

 

Du 27 Juin 1779.

Il se présente beaucoup d'objections contre la mesure proposée ; la plus forte de toutes est qu'elle me paroît impraticable ; cependant je n'y formerai point opposition ; dans des tems de danger public, il suffit qu'une mesure soit telle qu'elle promette une addition de force à celles qui sont destinées à le repousser pour que je l'approuve, mais en approuvant la mesure il ne s'ensuit pas que j'approuve ceux qui la proposent.[p.211]J'espère au contraire que nous verrons un changement total dans le ministère. (Ici M. Sawbridge déclara qu'il étoit de l'avis de M. Townshend ; qu'il connoissoit trop de sens, même trop de talens à lord North, pour attribuer à son indolence, ou à son incapacité les bévues & les fautes de toute espèce qui avoient graduellement préparé la ruine de la nation, & qu'il n'étoit entré rien moins dans sa conduite que de la trahison) ; oui c'est au noble lord seul qu'il faut attribuer tous nos maux : c'est lui qui a tout pris sur lui, c'est lui qui de pas en pas, de démarche en démarche, nous a conduits sur le bord de l'abîme : si quelqu'un en doutoit encore, que l'on examine sa conduite depuis le commencement des troubles : il y a quelques années que le noble lord nous a dit :« Lorsque j'ai pris le gouvernail en main, le vaisseau étoit engagé dans des écueils sur une mer orageuse ; donnez-moi votre confiance & je vous conduirai sains & saufs dans le port ». En conséquence de ce langage nous avons donné notre confiance au noble lord, & il nous a parlé sur le même ton, jusqu'à ce que s'appercevant que les rêves multipliés, fruits de la foiblesse de ses mesures, lui avoient fait perdre notre confiance, & que nous le regardions comme un mauvais pilote d'état, il nous[p.212]a dit avec une modestie qui lui est particulière :« Lorsque vous trouverez dans le royaume un homme plus habile que moi pour conduire les affaires d'un grand peuple, je serai prêt à résigner ; mais jusqu'à ce que vous ayez trouvé cet homme, je garderai ma place » : or, je demande quel est l'homme dans le royaume, pour peu qu'il ait une notion vague des finances qui ne seroit pas plus habile que le noble lord au ruban bleu, (s'étant ensuite livré à des déclamations violentes & à des personnalités qui dénotoient en lui une animosité, du moins une chaleur excessive)… Je conviens, continua-t-il, que je mets beaucoup de chaleur dans mes personnalités, mais dans une crise pareille, comment parler de sang-froid ; J'ai reçu de mes ancêtres une fortune que je me suis longtems flatté de transmettre à mes enfans, au moins telle que je l'ai reçue ; cet espoir n'existe plus pour moi. Un Français ou un Espagnol peut être mon héritier, il peut faire pis, il peut de mon vivant m'enlever cette fortune & me réduire au besoin ainsi que ma famille. — L'usage de cette chambre & des gens de cour a été long-tems de tourner en ridicule les citoyens de Londres (M. Sawbridge est un des quatre représentans de la Cité) & de prêter une oreille sourde à leurs plaintes ; à la bonne[p.213]heure, mais je préviens le noble lord que je me trouverai demain à l'assemblée du conseil commun ; je sais que l'on y proposera d'offrir sang & fortune pour le service de la nation : je le préviens, dis-je, que cette offre sera conditionnelle, qu'il ne sera pas fourni un homme, pas donné un schelling que dans le cas où le noble lord & ses collègues seront congédiés, & où la conduite de la guerre sera confiée à de plus habiles mains. Les citoyens de Londres conservant pour leur roi la loyauté qui les a toujours caractérisés dans les tems les plus difficiles ; ils n'ont rien plus à cœur que de soutenir le gouvernement contre les efforts unis de la France & de l'Espagne, mais ils n'offriront rien si l'on n'ôte pas le pouvoir de faire plus de mal encore & de consommer la ruine du royaume au noble lord au ruban bleu, qui dormant continuellement dans la chambre, semble n'être jamais éveillé que lorsque quelque survivance ou place lucrative est vacante, & qu'il s'agit de se l'appliquer ou à sa famille.

[p.214]

 

Réplique de lord North, aux inculpations de M. Sawbridge. Il défie qu'on produise contre lui aucune preuve de trahison & de cupiditté. Il assure que le gouvernement des cinq ports lui a été donne, l'année dernière, sans aucune sollicitation de sa part. Il témoigne le désintéressement le plus complet. Il fait valoir la modicité des revenus dont il jouit ;& il proteste que lorsqu'il aura quitté le Ministère & renoncé à son gouvernement, qu'il est prêt à résigner il restera avec une fortune très-médiocre ;& que sa famille n'aura fait aucun avancement considérable.

 

Du 21 Juin 1779.

L'honorable membre a jugé à propos de renouveller contre les ministres l'accusation de corruption & de trahison, déjà intentées par un autre honorable membre (M. Townshend) ; mais aucun de ces messieurs n'a établi le moindre fait propre à la justifier ; lorsqu'elle a d'abord été hasardée, je me suis senti saisi d'un mouvement d'indignation : je me suis dit que s'il existoit effectivement un traître dans les conseils du roi il falloit le découvrir, le livrer, à l'infamie &[p.215]au châtiment ; mais on n'indique personne, on n'allègue aucun fait, on dit vaguement que les serviteurs du roi n'ont pas pensé comme l'opposition : en vérité il y a loin de-là à ce qu'on appelle trahison d'état : quant à ce qui me regarde personnellement dans tout ce qui vient d'être dit, ce que je répondrai pour le moment, c'est que lorsqu'on le jugera à propos on pourra examiner ma conduite, je rendrai compte en tout tems des avis que j'ai pris la liberté de donner au roi, des motifs qui me les ont suggérés & des mesures que j'ai appuyées au conseil : en attendant je supplie, messieurs, de vouloir bien le rappeller que je n'ai jamais prétendu être premier ministre ; j'ai simplement agi comme membre du cabinet ; ce n'est pas pour éluder une enquête que je fais cette observation : je suis prêt encore une fois à rendre compte de ma conduite ; eh qu'aurois-je à craindre ? qu'ai-je conseillé, quel a été mon objet, d'empêcher que l'Amérique rebelle, n'envahit les justes droits de ce pays : j'ai eu la satisfaction, de voir les trois quarts, ou tout au moins les deux tiers de la chambre & de la nation penser comme moi. (Non ! non, s'écria ici l'opposition) ces cris n'empêchent pas que le fait ne soit positivement vrai : quant au soin que l'on prétend que je donne à l'accroissement de[p.216]ma fortune ; quant à cette activité avec laquelle on me dépeint accumulant les survivances & les places lucratives pour moi & pour ma famille, cette espèce de reproche se renouvelle si souvent qu'il seroit possible qu'il fit quelque impression sur l'esprit des personnes qui ne sont pas à portée d'être désabusées ; mais messieurs ne sont pas dans le cas de prendre le change ; ils savent que j'ai rempli pendant douze ans une place qui assujettit à beaucoup de travail & de dépense, sans demander aucun émolument pour moi, ni pour ma famille ; l'année dernière il a plu à sa majesté de me mander & de me donner le gouvernement des-cinq ports ; Je l'ai accepté ; mais on sait que j'ai refusé les émolumens considérables que l'on y avoit attachés au profit de lord Holderness : j'ai expressément désiré que ce gouvernement fût réduit pour moi à son ancien produit, dont je ne puis pas indiquer exactement le montant, parce que je ne m'en suis pas informé ; je le crois de mille livres sterlings environ ; au surplus j'ai déclaré à sa majesté que l'on me trouveroit toujours prêt à résigner ce gouvernement, lorsqu'on paroîtroit le désirer : on m'a reproché encore d'avoir assuré à deux de mes fils la survivance des places dans les douanes. Il est vrai quej'ai accepté ces places, mais il est faux que je les aie[p.217]sollicitées : cet objet d'ailleurs monte tout au plus a mille livres sterlings pour les deux places accordées aux deux plus jeunes de mes fils : la troisième faveur dont ma famille jouit est si modique que plusieurs de mes prédécesseurs ont cru au-dessous d'eux de la donner à quelqu'un de leur sang : (c'est une place qui peut produire quatre ou cinq cent livres sterlings) ; elle étoit à la disposition du bureau du trésor, & avec l'agrément de mes confrères, j'en ai disposé en faveur d'un de mes fils : voilà à quoi se bornent tous les avantages que ma famille a tirés de la place que j'occupe : je répète encore que je n'ai rien demandé, que je suis prêt à résigner mon gouvernement des cinq-ports, & je proteste que je quitterai ma place, au moment que je désire plus vivement peut-être que l'honorable membre peut le désirer lui-même. Après douze années de pénibles services, je laisserai ma famille en possession de quinze cent livres sterlings de revenu, & assurément les portions ne seront pas amples, car ma famille est passablement nombreuse…

Lord North en prononçant ces dernières paroles, céda involontairement à l'impulsion de la nature, & se frappant la poitrine, fondit en larmes ? on a donné à ce moment une interprétation désavantageuse ; mais le fait est que[p.218]S. S. avoit perdu la veille son troisième fils : or, ce seigneur est un excellent père & connu immédiatement après le roi pour le plus parfait modèle des vertus domestiques. Ce lord ayant repris ses esprits alloit continuer ; mais auparavant, dans la crainte que le tribut qu'il venoit de payer à la nature ne fournît des armes contre lui, il s'expliqua d'abord ainsi :

Je supplie l'honorable membre & la chambre de ne pas croire que lorsque j'ai été interrompu par un mouvement involontaire, j'aie cédé au repentir & à la conviction intime d'avoir donné lieu à une accusation de corruption & de trahison : non, la cause de cette interruption me tient de très-près au cœur, je n'ai pu résister à son impulsion…

Ici le ministre fondit encore en larmes, puis il reprit :

Non, rien dans ma conduite depuis que je suis en place ne peut appuyer cette imputation, que j'aime l'argent. Je pourrais dire que je suis venu au monde nud, & que j'en sortirai nud. Lorsque je fus nommé chancelier de l'échiquier, je n'étois pas riche, & je ne le serai point quand je me retirerai. Aussi je défie personne de prouver que de la manière dont je me suis comporté, j'aie montré la moindre envie de m'aggrandir & les miens, & que ma passion dominante[p.219]ait été de m'enrichir & ma famille ; je défie qui que ce soit de le prouver.

 

Discours rempli de vues saines & de prudence du Duc de Richmont, par rapport aux deux Bills proposés ; l'un pour le doublemens des milices du Royaume, l'autre pour écarter certaines difficultés dans la manière de fournir des hommes à la Marine de Sa Majesté ; afin d'éloigner tout inconvénient & abus contraire à la Constitution-Britannique. Il s'oppose à l'envoi des milices en Irlande, & à ce que la défense du Royaume soit confiée au Prince Ferdinand.

 

Du 25 Juin 1779

Milords,

Les deux bills actuellement soumis à notre considération sont de nature à ne pouvoir être justifiés que par la nécessité la plus urgente, il faut les envisager l'un & l'autre comme des bills de presse ; car enfin quel est l'objet de 1a presse en général ? de forcer le citoyen qui par choix ne voudroit être ni matelot, ni soldat, de devenir l'un ou l'autre, à se soumettre,[p.220]malgré lui, à la loi martiale ; ce que je dis n'est pas pour m'y opposer, je sais que dans des tems de danger public toute espèce de considération particulière doit céder à l'intérêt public, on ne doit s'occuper que du salut de l'empire : je ne forme donc point d'opposition au bill considéré sous un point de vue général ; mais il contient des clauses qui, si l'on n'y prend garde, en feront avorter l'effet ou le rendront totalement impraticable.

Celle, par exemple, qui porte les compagnies de milice de soixante à cent, celle qui autorise les lieutenans de sa majesté à accepter les services des volontaires qui se présenteront à eux, & à nommer des officiers pour les commander, me paroissent sujettes à beaucoup d'objections : ce sont des nouveautés qui peuvent tout déranger, lorsqu'il s'agira de faire tirer au sort : je doute d'ailleurs qu'il soit facile ou même possible de lever un nombre d'hommes si considérable par la voie de tirages ; je me rappelle que lorsqu'on institua les milices, il s'éleva de violentes émeutes dans diverses parties du royaume, & que l'on fut obligé d'employer la force ouverte pour remettre le bon ordre : d'un autre côté, pourquoi porter au terme de trois ans le service des milices qu'on veut lever ? Il est possible qu'on n'en ait pas besoin si long-tems : pourquoi donner aux nouvelles levées cette perspective[p.221]désagréable ? en général il faudroit soigneusement éviter tout ce qui tient de la contrainte : il faudroit se pénétrer d'une grande vérité, qui est que notre salut est attaché à l'esprit de liberté que respire un peuple noble, qu'il ne tient pas au nombre apparent d'une populace pressée malgré elle ; je ne puis trop recommander tous les encouragemens propres à procurer des volontaires, & je préférerois de beaucoup à l'expédient des milices l'offre de lever des régimens telle qu'elle a été faite au gouvernement.

Je n'approuve pas non plus dans ce bill la manière dont la clause essentielle est énoncée ; cet exemple fait planche, & peut fournir au ministre le prétexte de doubler les milices lorsqu'il le jugera à propos, puisqu'il seroit prouvé que le parlement l'aurait autorisé à le faire sur une simple proposition dénuée de motifs : on devrait ajouter à cette clause, quelque chose qui exprimât la nécessité extrême qui la rend admissible, & spécifier positivement que le pouvoir accordé à la couronne par le parlement, aura pour terme la durée de la guerre avec la France & l'Espagne.

Une autre chose que je ne puis m'empêcher de blâmer, c'est de voir qu'on laisse subsister à l'égard des milices l'abus qui existoit l'année dernière ; que l'on perd insensiblement de vue[p.222]l'institution primitive des milices, & que graduellement on en confond l'idée avec celle que l'on attache à l'usage des troupes réglées : qu'enfin on les promène de comté en comtés, on les déplace, on dénature, leurs services. Les milices ont été originairement instituées, non-seulement comme défense nationale, mais comme défense locale : des troupes réglées ne doivent s'arracher à aucun lieu particulier par préférence à aucun autre, tout doit leur être égal : citoyen de l'univers, le véritable soldat doit combattre où il se trouve placé : il n'en est pas ainsi des milices : si vous ôtez à celles-ci l'instinct qui les attache au natale solum, l'affection que chaque individu qui le compose porte à sa famille, à ses amis, à ses voisins, il ne leur restera rien pour suppléer à l'expérience, à la discipline qui leur manque, avec l'indifférence, elles porteront par-tout l'incapacité : un autre inconvénient qui suffiroit seul pour dégoûter de l'usage de faire passer les milices d'un comté dans un autre, c'est qu'au moyen de ces échanges imprudens, on prive chaque comté de la ressource infinie dont seroient aux commandans des hommes qui nés sur les lieux connoissent tous les défilés, toutes les éminences, tous les postes forts dont on peut tirer parti à chaque pas : si vous dégarnissez le pays des hommes seuls qui[p.223]le connoissent, vous sentez que les régimens de Roussillon, d'Auvergne, d'Orléans une fois débarqués chez vous, connoîtront aussi bien que vos milices déplacés les éminences, les défilés, les bruyères, les enclos & les chemins ; on conçoit que je parle des comtés maritimes ; à l'égard de l'intérieur de l'île, il est simple que les milices de ces parties se portent vers les côtes.

Au surplus, dans des tems de danger extrême il ne suffit pas de mettre un certain nombre d'hommes sous les armes, il est une infinité de détails qui forment la chaîne de la sûreté publique, & dont il me paroît qu'on ne s'est pas encore occupé : a-t-on fait le dénombrement des bestiaux qui se trouvent dans les comtés maritimes ? A-t-on marqué dans l'intérieur des terres le rendez-vous général où, à la première alarme que donneroit l'ennemi, ils devroient être conduits de manière que selon les circonstances on puisse changer cet entrepôt général ? A-t-on fait un état de la quantité de grains & de soin qui peuvent se trouver dans chaque comté maritime ;& ce, dont on ne peut trop sentir l'importance ? A-t-on constaté combien il se trouve dans chaque district de paires de bœufs & de chevaux pour transporter les fourages plus avant dans l'intérieur des terres, lorsque cette mesure paroîtroit nécessaire ? A-t-on établi des magasins[p.224]à poudre à portée de l'armée qu'il faudroit employer pour repousser une descente ? A-t-on élevé des balises pour donner l'allarme à la première apparition de l'ennemi ? A-t-on fait une provision suffisante de ces instrumens plus utiles dans les opérations de pure défense que le fusil, la baïonnette & l'épée, je parle de la pioche & de la bêche ? Apprenons du moins quelque chose des Américains une fois dans la vie ; que les ministres considèrent à quoi on doit attribuer la durée de la guerre au-de-là de l'Océan ? À l'usage continuel des retranchemens, à dater de l'affaire de Bunker-Shill jusqu'à celle dont il a été récemment fait mention : toutes les gazetes de la cour nous disent que les Américains étoient retranchés jusqu'aux dents, qu'on ne leur avoit pas plutôt démoli un ouvrage, qu'à très-peu de distance, il s'en présentoit un autre, & puis un autre derrière celui-ci ! Que la France nous apprenne aussi quelque chose ; rappellons-nous comment nous fûmes reçus lorsque dans le cours de la dernière guerre nous tentâmes une descente sur les côtes. Combien nous rencontrâmes d'obstacles, & de quelle nature étoient ces obstacles. Il est tems que les ministres donnent enfin un peu d'attention aux avis de ce qu'ils appellent l'opposition, qu'ils n'imaginent pas que c'est à leur place que l'on enveut ;[p.225]en vérité il faudroit être bien hardi pour désirer de remplir dans de pareilles circonstances des postes où. l'on est responsable des événemens, qu'ils ne confondent pas le moment où il s'agit de s'opposer aux efforts réunis de nos ennemis naturels avec celui où il s'agissoit de désoler l'Amérique ; il y a une grande différence entre une guerre juste & une guerre très-injuste ; aussi ma conduite a-t-elle été différente ; dans le premier cas je soupirois après la paix, & j'eusse fait tout au monde pour la rétablir ; dans le second, j'ai volé aux armes ; si tôt que l'ambassadeur de France eut délivré son rescrit, j'offris mes services au gouvernement : je proposai de lever un régiment de chasseurs ; mais les ministres ne jugèrent pas à propos d'accueillir mon offre, & j'apprends avec peine que deux nobles ducs & deux nobles comtes ont été récemment éconduits comme moi en faisant les mêmes offres.

J'ai entendu dire que l'intention des ministres étoit de faire passer en Irlande une partie des milices, dans le cas où la France & l'Espagne commenceroient par attaquer ce royaumes je les préviens que s'ils mettoient jamais ce projet en exécution la foi du parlement seroit violée, même en supposant que l'on engageroit tel ou tel autre régiment à marcher volontairement, parce[p.226]que la stipulation expresse que fait le parlement avec quiconque tire au sort, est qu'il ne sera pas envoyé hors du royaume ; or, si le parlement viole sa foi dans une circonstance, il sera présumé pouvoir la violer dans beaucoup d'autres, & voici ce qui en résulteroit : le parlement a promis à l'Irlande de prendre ses griefs en considération au commencement de la session prochaine, & de lui donner tous les adoucissemens compatibles avec le bien être de l'Angleterre : si l'Irlande voit le parlement violer sa foi à l'égard des milices, elle le soupçonnera avec raison d'être capable de la violer à l'égard des promesses qui lui ont été faites : les suites se devinent.

Un autre bruit qui a couru, & qui certainement mettroit le comble à nos disgrâces, est que le gouvernement se propose d'appeller le prince Ferdinand pour le charger de la défense du royaume ; j'ai peine à croire que les ministres se soient oubliés au point d'adopter sérieusement une mesure si insultante pour tout officier Anglais, & si absurde en elle-même : je ne prétends certainement pas élever le plus léger nuage sur les talens militaires de ce prince ; j'ai servi sous lui, & attaché de très-près à sa personne, j'ai été à portée d'apprécier sa conduite ; mais quelle différence n'y a-t-il pas entre[p.227]commander en chef en Allemagne ; ou commander en chef en Angleterre ? Dans le cours de la dernière guerre le prince Ferdinand ne faisoit pas un pas qu'il ne connût le local, la langue, les usages & le nombre des habitans. Ici il auroit à commander des Anglais qu'une répugnance naturelle à obéir à un étranger a toujours caractérisés, & cela dans un pays dont il ne connoîtroit ni le local, ni la langue, ni les usages ! D'ailleurs, n'est-il donc point d'Anglais capable de commander des Anglais, tous nos généraux, tous nos amiraux se trouvent-ils tellement occupés loin de nous, qu'il faille en faire recrue chez l'étranger ? Sera-t-il dit que tandis que les Keppel, les deux Howe & les Burgoyne sont sans emploi, pour mettre le comble à l'ignominie nationale, pour ajouter au catalogue de nos calamités, on nous verra inviter des étrangers à nous protéger contre des ennemis étrangers ?

[p.228]

 

Discours de M. Fox, dans lequel il se plaint avec chaleur de ce que le défaut d'unanimité dans le conseil-privé & dans la chambre haute, empêche que le Bill le plus pressant dans la circonstance actuelle (d'un tirage forcé & doublement de milice) ait son entier effet : il ajoute que l'amendement proposé (une levée libre de troupes) est une atteinte marquée aux privilèges des Communes.

 

Du 2 Juillet 1779.

Heureusement les faits sont récens, & personne ne peut les avoir perdus de vue ; on se rappelle avec quelle chaleur emphatique le noble lord au ruban bleu nous a invités à agir avec unanimité & vigueur : on se rappelle que tout le monde s'est empressé de concourir à ce que le bill passât avec toute l'expédition possible, non pas que tout le monde l'approuvât : non pas cela, à beaucoup près ; mais parce que chacun de nous se faisoit une espèce de scrupule d'ajouter, par une opposition même fondée, aux embarras de l'administration : il s'agissoit de mettre sur pied les forces nationales, d'ajouter à la défense & à la sûreté du royaume dans un[p.229]moment où les ministres nous disoient eux-mêmes qu'il se trouvoit dans le danger le plus imminent d'une invasion prochaine ; ces considérations imposèrent silence à la raison même ; on nous disoit Soyez unanimes ; nous l'avons été ; le bill a passé unanimement ! quel a été son fort dans l'autre chambre ? Qu'est devenue là cette unanimité qui nous a été si pathétiquement prêchée par le noble lord au ruban bleu ? Les membres du conseil-privé, du cabinet du roi, sont-ils unanimes entre eux ? Étoient-ils disposés à adopter cette mesure comme bonne en elle-même, comme dictée par la saine politique ?& proposoient-ils de la mettre en exécution avec vigueur ? pas un mot de tout cela ! Dans tout le conseil du roi, il ne se trouve pas deux nobles lords qui soient de la même opinion, & les divisions du cabinet ont divisé le parlement. Le président de ce conseil, bien loin de donner l'exemple de cette unanimité si recommandée par son collègue au ruban bleu, déclare qu'il craint que le bill ne soit impraticable.

Eh, pour Dieu ! qu'on ne nous parle donc plus d'unanimité ! que l'on n'ait plus l'impertinence de nous recommander l'unanimité & la vigueur ! je dis impertinence, parce qu'il est impertinent au dernier degré de recommander à[p.230]autrui ce dont on n'est point capable de donner soi-même l'exemple…

Après ce dernier trait, je demande s'il est encore une classe de citoyens qui ose placer sa confiance dans les ministres ? S'il faut d'autre preuve de leur honteuse indécision ; au lieu de concerter & de diriger leurs mesures avant de les proposer au parlement, il est évident qu'ils ne se sont pas même demandé si elles étoient praticables ; ce qui est sur-tout à remarquer, c'est que l'opposition qui s'est élevée dans l'autre chambre, émane en majeure partie des lords lieutenans des comtés, c'est-à dire, des personnes mêmes qui devoient être chargées de l'exécution du bill, des personnes les plus capables de juger s'il étoit praticable ou non : pourquoi donc n'ont-ils pas consulté ces lords lieutenans, avant de faire leur proposition au parlement ? qu'ils répondent du moins à cette question, qu'ils nous disent pourquoi ils ne l'ont- pas fait ?…

À l'égard des fragmens du bill que l'on renvoie ; il est certain que c'est un bill pécuniaire : nier cette assertion en alléguant que le bill n'a pas été présenté dans un comité pour les subsides ; c'est faire une distinction d'enfant : ce bill tel qu'il a paru originairement ne contenoit-il pas une clause qui autorisoit le roi à augmenter[p.231]les milices ? Cette augmentation des milices n'étoit-elle pas un fardeau imposé sur les sujets dont l'argent étoit destiné par un autre bill à défrayer ce surcroît de dépense ? cela ne s'appelle-t-il pas un bill pécuniaire ? Ce fait une fois posé, qui de vous, messieurs, auroit la foiblesse de condescendre à entendre la lecture des amendemens faits dans l'autre chambre ? Ne vaut-il pas mieux commencer de nouveau, que de souffrir, pour gagner quelques jours de vacances, que l'on porte une atteinte si criante aux privilèges de la chambre, &c. ?

[p.232]

 

Réplique de lord North, au discours précédent. Il affecte beaucoup de satisfaction de ce que la Chambre des Communes a passé le bill unanimement, & beaucoup de mécontentement de ce qu'il n'a pas été accueilli par la Chambre des Pairs. Il conclut que puisqu'il a plu à cette Chambre de le tronquer, il faut l'adopter tel qu'il est c'est-à-dire ; avec l'amendement proposé.

 

Du 2 Juillet 1779.

J'avouerai que cette chambre a fait preuve de vigueur & d'unanimité, & que la manière dont elle a accueilli le bill, lui fait un honneur infini ; je ne puis donner les mêmes éloges aux procédés de l'autre chambre : je suis on ne peut pas plus, fâché de voir qu'un membre du conseil-privé de sa majesté n'a pas été de mon opinion ; mais enfin, qu'y faire ? Il ne s'ensuit pas que la mesure ait été impraticable, comme l'honorable membre (M. Fox) veut l'établir en fait ;& dans tout ce qui a été allégué contre elle, soit dans cette, chambre, soit dans celle des pairs, par des membres du conseil ou par des lords lieutenans des comtés, je ne vois rien[p.233]qui puisse me faire changer de façon de penser à cet égard : je regarde la mesure, non-seulement comme praticable, mais comme très-praticable : il se trouve dans cette chambre beaucoup de membres qui servent dans la milice ; ainsi que beaucoup de députés lieutenans de comtés ; ces messieurs savent beaucoup mieux que les lords lieutenans s'il étoit praticable ou non de doubler ces milices : ils se sont tous déclarés pour l'affirmative. Je puis pour mon compte parler du comté dont je suis lord lieutenant : j'y ai trouvé la mesure si praticable, que si le bill eut passé, dans le cours d'un mois, je l'eusse mis en exécution ; le tirage eût été fini, & les hommes passés en revue ; je ne doute pas que dans les autres comtés, sans exception, on eut trouvé la même facilité : aussi les nobles lords qui se sont opposés au bill dans l'autre chambre, n'ont-ils pas fondé leur opposition sur ce qu'il leur paroissoit impraticable ; ils se sont bornés à marquer des craintes, très-légèrement conçues, & que je regarde comme dénuées de fondement : je répète que cette chambre s'est fait beaucoup d'honneur en passant unanimement un bill évidemment salutaire, & je prendrai la liberté d'ajouter que l'autre chambre se fut comportée plus décemment qu'elle ne l'a fait, si elle eût suivi l'exemple d'unanimité que lui donnoient[p.234]les communes, & si elle eût renvoyé le bill sans y rien changer : au surplus, j'eusse été parfaitement satisfait, si le bill eût passé dans les deux chambres tel qu'il a été originairement présenté ; mais puisqu'il a plu à l'autre chambre de le tronquer, il faut se contenter des restes qui nous en reviennent, & ramasser jusqu'aux miettes qui tombent de la table des lords : puis qu'enfin ces miettes remplissent une partie de nos besoins ; les refuser, ce seroit marquer de l'humeur, & déceler une pétulance indigne d'un Anglais en général, & particulièrement indigne de moi, dans les circonstances où la nation se trouve : ce n'est pas que je ne sois très-persuadé que le bill, tel qu'on nous le renvoie, ne suffit pas à beaucoup près à la défense du royaume ; comme je l'ai déjà dit, il ne remplit qu'une partie du besoin : quant au déficit, il faudra s'arranger le mieux que l'on pourra ; je me flatte du moins que les nobles lords qui ont ôté au gouvernement ses moyens naturels de défense, y suppléeront de leur mieux de quelqu'autre manière, & puisqu'ils ont marqué tant de répugnance à l'idée d'un tirage forcé, qu'ils tireront le meilleur parti possible de l'esprit de liberté dont ils se sont déclarés les conservateurs, en lui donnant tous les encouragemens convenables,[p.235]& en le portant parmi le peuple à son plus haut degré d'énergie.

 

Discours de M. T. Townshend ; dans lequel il se plaint de ce que les emplois militaires ; au préjudice des anciens Officiers, sont la proie de nouveaux parvenus. Il remarque que les Colonels & leurs Officiers sont presque tous des Ecossois : cette préférence étonnante lui fait soupçonner de la part du Gouvernement quelque complot secret.

 

Du 5 Avril 1780.

Sans avoir l'intention d'offenser personne, je demande s'il est dans l'ordre des choses. s'il est conforme aux principes les plus simples de donner un régiment à un particulier qui, n'ayant jamais servi, ne connoît rien de l'art militaire ? Je demande s'il n'étoit pas aussi naturel de lui donner le doyenné de Salisbury, qui se trouve vacant, ou bien un siège également vacant dans la cour des (common-pleas) ? La promotion de l'honorable membre dont je parle (le colonel Fullarton) n'est pas la seule dont la nation ait à se plaindre, en ce que ces actes de partialité sont propres à dégoûter ce qu'elle a d'anciens[p.236]officiers ; la même partialité a donné des régimens aux sieurs M. Cornmick, Keating, Stanton & autres, tandis que le comte de Derby, le major Stanhope, & le comte d'Harrington recevoient des refus ; le dernier de ces seigneurs a été envoyé aux Indes occidentales, subordonné à un officier, qui, il n'y a que deux jours étoit lieutenant à demi-paie. Que dirai-je du brave colonel Meadows, qui, pour prix de ses services, se voit négligé ? Pense-t-on qu'il apprenne, sans indignation, que, tandis qu'on lui refuse un régiment, on les prodigue à des hommes qui n'ont jamais servi ? Que dira le colonel Musgrave qui revient dans sa patrie couvert de blessures ? Lui a-t-on réservé un régiment ? Non. Quelle sera donc la récompense de ses services ? Le dérangement, la ruine de sa santé ; Je ne sais, mais je crains de remarquer dans cette conduite du gouvernement quelque chose de plus que de la partialité ; je crains que les libertés du peuple ne soient en danger ; je crains qu'un complot secret… Car enfin tous nos nouveaux colonels sont Écossois, presque tous leurs officiers sont Écossois ; les ministres, encore une fois, n'auroient-ils pas formé quelque complot dont ils n'oseroient confier l'exécution à des Anglais ?&c. &c.

[p.237]

 

Proclamation du Brigadier-général Arnold, aux Officiers & soldats de l'armée continentale, qui ont à cœur les intérêts de leur pays, & qui sont déterminés à ne plus être les instrumens & les victimes du Congrès ou de la France. Il les invite à joindre les aimées de Sa Majesté Britannique, & à se contenter de la restauration immédiate de leurs anciens privilèges civils & sacrés, & d'une exemption perpétuelle de toutes taxes.

 

Du 20 Octobre 1780.

Étant fondé à croire que les principes que j'ai avoués dans mon adresse au public, du 7 courant, animoient la majeure partie de ce continent ; je me réjouis de l'occasion qui se présente de vous inviter à joindre les armes de sa majesté.

Quelques considérables que doivent paroître les encouragemens accordés par sa majesté à ceux qui ont souffert toutes sortes de détresses, du défaut de paiement, de la faim, de la nudité, à raison de la négligence, du mépris & de la corruption du congrès ; ils ne sont rien auprès des motifs qui détermineront, à ce que je me flatte, les braves gens que j'espère avoir l'honneur de[p.238]Commander. Je désire marcher à la tête d'une troupe choisie d'Américains, pour leur obtenir la paix, la liberté, la sûreté, objets qui, au commencement, nous ont fait prendre les armes, & partager avec eux la gloire d'arracher notre pays natal à la main rapace de la France, ainsi qu'aux vues ambitieuses & intéressées d'un parti forcené formé parmi nous, qui, en prêtant l'oreille aux propositions insidieuses de la France, & en rejettant celles de la Grande-Bretagne, a conduit les colonies sur le bord de la destruction.

Amis, camarades, concitoyens, éveillez vous ; jugez par vous-mêmes & pour vous-mêmes ; réfléchissez sur ce que vous avez perdu ; considérez à quoi vous êtes réduits, & repoussez par votre courage la ruine qui vous menace encore ; votre pays étoit jadis heureux, & si vous eussiez accepté la paix qui vous étoit offerte, vous eussiez passé vos deux dernières années de détresse dans l'abondance : cette paix eût assuré les vrais intérêts de la Grande-Bretagne & de l'Amérique, & eût cimenté leur amitié : au lieu de cela, vous êtes actuellement la proie de l'avarice, l'objet du dédain de vos ennemis, & de la compassion de vos amis.

Les hommes qui sont à la tête de vos affaires vous ont promis la liberté ; mais si vous en exceptez vos oppresseurs, est-il parmi vous un individu[p.239]qui en jouisse ? Qui de vous ose dire ou écrire ce qu'il pense de la tyrannie qui vous dépouille de votre propriété, emprisonne vos personnes, vous traîne malgré vous au champ de bataille, & couvre journellement votre pays d'un déluge de votre sang ? On vous flatte de parvenir à l'indépendance que l'on vous dit être préférable à un redressement de griefs ;& prenant ce fantôme pour le bonheur réel, vous vous enfoncez vous-mêmes dans la fange de la pauvreté, par la rapacité de ceux qui vous gouvernent. Vous n'êtes déjà plus en état de soutenir le personnage hautain qu'ils vous ont appris à jouer ;& dans peu de tems, vous appartiendrez inévitablement à l'une ou à l'autre des grandes puissances, que leur folie & leur duplicité ont embarquées dans la querelle. Il est heureux pour nous que vous puissiez encore devenir sujets de la Grande-Bretagne, si vous dédaignez noblement d'être les vassaux de la France.

Qu'est actuellement l'Amérique ? une terre couverte de veuves, d'orphelins & de mendians ; si la mère contrée discontinuoit les efforts qu'elle fait pour vous délivrer, quelles sont les sûretés qui vous resteroient même pour la jouissance des consolations que vous recevez de cette religion pour laquelle vos pères ont bravé l'océan, les idolâtres, les déserts, les tortures…[p.240]Quant à vous, qui avez été soldats dans l'armée continentale, peut-il vous manquer aujourd'hui des preuves que les fonds de votre pays sont épuisés, ou que ceux qui ont l'administration, les ont appliqués à leur usage particulier ? Certainement, dans l'un ou l'autre cas, vous ne pouvez continuer de les servir avec honneur ou profit ; cependant, jusqu'à présent, vous les avez soutenus dans l'exercice de cette cruauté qui (avec une indifférence égale pour votre sang, vos travaux & pour ceux des autres) dévore un pays, lequel, du moment où vous quitterez leurs drapeaux, sera soustrait à leur tyrannie. Mais à quoi servent les raisonnemens pour ceux qui éprouvent infiniment plus de misère qu'il n'est au pouvoir de la langue de l'exprimer. Je me bornerai à promettre la réception la plus affectueuse, les plus grands égards à tous ceux qui sont disposés à se joindre à moi, dans les mesures nécessaires pour mettre un terme à nos afflictions, qui, toutes insupportables qu'elles sont, ne peuvent que continuer de s'accroître, jusqu'à ce que nous ayons la sagesse (dont l'Irlande a donné récemment l'exemple) de nous contenter de la restauration immédiate de nos anciens privilèges civils & sacrés, & d'une exemption perpétuelle de toutes taxes, à l'exception de[p.241]celles que nous jugerons convenables de nous imposer nous-mêmes.

 

Discours de M. Townshend. Il se plaint de la négligence du Ministre dans la création & l'équipement des nouveaux régimens levés pour les Indes Occidentales ;& par la même négligence, de la perte précédemment d'une armée entière, & de celles dont on est menacé. Autres funestes conséquences à redouter malgré le langage pompeux du Ministre qui ne peut en imposer.

 

Du 28 Novembre 1780.

Ces gens, qui ne savent pas manier un mousquet, ne seroient-ils pas d'une utilité plus immédiate & plus décidée à bord de vos vaisseaux de guerre ? Et indépendamment des services qu'ils rendroient à la marine, n'en rendriez-vous pas à l'humanité en général, en vous occupant un peu plus de leur conservation. Il est d'une inhumanité horrible, révoltante, de faire passer ainsi aux Indes occidentales, des levées nouvelles ; des hommes qui, n'étant point accoutumés au changement de climats, échapperoient à peine, si le changement étoit en mieux, & que vous envoyez[p.242]à une mort certaine, en les exposant, pour leur début, au climat le plus mal-sain. Sainte-Lucie a déjà été le tombeau d'une armée entière ; j'ai la certitude que dans le cours de deux ou trois mois, il y est mort sept cent quarante soldats ; jugez du reste en proportion du tems :& comment encore vous arrangez-vous, lorsqu'il s'agit de transporter sous un ciel meurtrier, une jeunesse accoutumée au climat tempéré de la Grande-Bretagne ? Quelles précautions prenez-vous contre l'insalubrité des îles, contre l'inclémence d'un ciel étranger, & l'intempérie des saisons ? Vous ne donnez pas même à ces malheureuses victimes de quoi se couvrir ! Je pourrois nommer des régimens de nouvelle création, qui sont arrivés il y a plusieurs mois aux îles, & dont les équipages de campagne viennent de partir il y a deux jours ! Les pompeuses déclamations d'un homme en place ne m'en imposent point : je sens qu'il est fort heureux que, dans le cours de la dernière campagne, nous n'ayons pas perdu une île, pas un vaisseau : certainement, ce bonheur n'étoit pas à espérer ; mais c'est un bonheur qui ressemble à celui d'un insensé, qui se réjouit de ce qu'il ne s'est pas cassé le col lorsqu'il ne l'a pas exposé. On ne joue que pour gagner ; on ne se bat que pour gagner : ne pas gagner, c'est perdre ; parce que c'est prendre à rebours le chemin qui conduit à la[p.243]paix, objet de toute guerre raisonnable ; or, nous n'avons point de paix à espérer avec nos ennemis ouverts & cachés, tant que nous continuerons la guerre d'Amérique. Pourquoi s'acharner à continuer cette guerre maudite qui nous met dans l'impossibilité de soutenir celle qui pourroit réparer & nos pertes & notre honneur ?Delenda est Carthago, nous disoit hier un noble lord ! Fort bien, lui répondit-on ; mais comment s'y prendre ? En détruisant la marine de la France, répliquoit le noble lord : fort bien encore, lui répétoit-on ; mais comment détruire cette marine, si vous énervez toutes vos forces dans l'attente vaine de subjuguer l'Amérique ? La France, en parlant de notre prétention à l'empire des mers, ne dit pas aussi hautement, aussi publiquement, delenda est Carthago, mais elle y travaille bien plus sûrement ; car la Carthage, dont elle médite la destruction, est divisée, & seconde merveilleusement ses vues en se détruisant elle-même : mille Américains, cinq cents Anglais tués dans n'importe quelle affaire, sont, aux yeux de la France, quinze cents Carthaginois de moins.

[p.244]

 

Réplique de lord North ; au discours précédent. Il soutient constamment la justice de la guerre d'Amérique, & la nécessité de la continuer.

 

Du 28 Novembre 1780.

Je crains, en général, de m'engager dans tout débat ou conversation, qui me conduit à dire ce que je pense de la guerre d'Amérique : je désirerois qu'il n'en fût jamais question au parlement ; mais malgré ma répugnance à cet égard, je me suis vu si souvent forcé à m'ouvrir ; je l'ai toujours fait avec si peu de réserve que je puis m'y livrer encore. J'ai invariablement dit que je regardois la guerre d'Amérique comme juste, comme indispensable : on s'est récrié à l'injustice, on a dit que c'étoit une guerre d'ambition. Ambition ! De qui ? Certainement ce n'a pu être la mienne ; il est difficile de concevoir comment c'eût été celle de la couronne qui n'avoit aucun objet ; mais on conçoit sans effort qu'il s'agissoit tout uniment de préserver les droits indubitables du parlement, droits qui, en cette occasion, se bornoient à une réclamation juste, modérée & constitutionnelle. Si cette guerre a été[p.245]juste dans son principe, sa continuation forcée a-t-elle pu en altérer la nature ? En la supposant même malheureuse, le défaut de succès détruit-il des droits imprescriptibles ? Enfante-t-il nécessairement le découragement ? Mais si cette supposition a été admissible à quelqu'époque, on conviendra du moins qu'elle ne l'est-plus, & que le moment actuel n'est pas heureusement choisi pour répéter, rappellez vos troupes & vos flottes. Si jamais l'espoir de recouvrer nos colonies a été justifié par les apparences, c'est certainement à présent :& quitter la partie, ce seroit la perdre à beau jeu. Mais, disent les personnes qui hasardent ce conseil peu réfléchi, en abandonnant l'Amérique, vous réunissez toutes vos forces contre l'ennemi naturel ; il y aurait quelque chose de plausible dans ce raisonnement, si, en le faisant, on pouvoit ajouter que M. de Rochambeau & le général Clinton ont donné leur parole qu'ils ne bougeroient pas, qu'ils réitéroient les bras croisés où ils sont : mais comme cette parole n'est pas donnée, il est si fort à croire qu'on les retrouveroit ailleurs, que le plus sage est au moins de les tenir en échec dans leurs retranchemens.

[p.246]

 

Réplique du colonel Barré au Ministre (M. Jenkinson) qui prétendoit qu'on ne devoit pas en plein Parlement donner à connoître à l'ennemi l'état exact des forces destinées à la défense intérieure du Royaume. Il finit par lui demander brusquement compte de l'emploi des subsides qui ont été donnés pour l'entretien des milices, proportionnément au nombre de soixante treize mille hommes dont elles sont soit-disant composées.

 

Du 28 Novembre 1780.

De deux choses l'une ; ou vos milices suffisent pour la défense du royaume, ou elles sont insuffisantes : dans ce dernier cas, le silence est sage : mais vous nous avez dit plus d'une fois, que vos milices, parfaitement disciplinées, formoient un corps de soixante-treize mille hommes : si cette assertion est vraie, rien de si sage que de la prouver aux yeux de l'univers. Il est important que la France & l'Espagne soient convaincues de sa vérité : du moment où elles cesseront[p.247]de douter, je prends sur moi de garantir qu'elles renonceront à toute idée de descente & d'invasion. Au surplus, si vous refusez de nous faire connoître à nous-mêmes le véritable état des forces destinées à la défense intérieure du royaume, nous douterons de la vérité de votre assertion :& comme nous avons voté pour l'entretien des milices, des subsides proportionnés à ce nombre de soixante-treize mille hommes, nous vous demanderons quel est l'emploi qui a été fait de cet argent : je vous le demande à l'instant même.

[p.248]

 

Sixième section. Marine d'Angleterre.

 

Lorsque l'envie & l'intrigue (les seuls ministres des cours qui ne craignent pas la disgrâce) eurent renversé le lord Chatam, il sembloit que l'Angleterre alloit descendre rapidement de ce point d'élévation où le génie de ce grand homme l'avoit portée. Les ennemis subalternes de la chose publique, qu'un simple coup-d ‘œil tenoit toujours à une juste distance du trône, osèrent, dès l'instant qui suivit sa retraite, paroître sur ses marches, & attacher sur les yeux du roi le bandeau de l'erreur & de la prévention. Depuis ce moment fatal, le monarque n'a vu ni les ressources ruineuses & forcées du lord North, ni les embarras honteux de Sandwich, ni les suites de la crédulité du lord Germayne, ni les risques personnels qu'entraînoit la perte de l'Amérique. La France s'est créé une marine ; les autres nations réunies sous le pavillon de la neutralité, se sont avancées pour partager les immenses profits du commerce. Un nouveau système semble vouloir s'introduire en Europe, & trois grandes puissances,[p.249]en conservant à l'Angleterre le rang qu'elle occupe dans la balance politique, veut cependant qu'elle renonce à l'empire des mers.

 

Discours de sir George Saville, contre le nouveau Bill projetté pour la presse des Matelots. Il s'élève d'abord contre la manière extraordinaire dont il est proposé au milieu de la nuit, & pendant l'absence d'un grand nombre des Membres de la Chambre. Il s'étend ensuite avec force sur les abus, les inconvéniens & les conséquences dangereuses de ce Bill.

 

Du 23 Juin 1779.

Je suis, en vérité, bien étonné que le savant personnage (M. Wedderburne) qui vient de parler, n'ait pas honte d'avancer la raison qu'il nous donne pour le mystère qu'il exige aujourd'hui, & pour presser la chambre d'agir dans le milieu de la nuit, comme tant de conspirateurs, qui, sous couleur de concerter des mesures pour la sûreté & pour la conservation de la chose publique, ont toutes les apparences de tramer, à la faveur des ténèbres de la nuit, sa destruction ;& qui ne se rendent en nombre, comme des scélérats à gages, leurs armes & leurs poignards[p.250]sous le manteau, que pour les enfoncer dans le sein de leur patrie.

Un bill comme celui-ci, qui ordonne la presse pour le service de sa majesté, pourra être nécessaire ; mais j'ai bien des raisons de penser qu'il faut se garder de lui donner trop d'extension. Pourquoi l'apporter ici dans cette heure de ténèbres & de silence, lorsque minuit est sonné, & que le plus grand nombre des membres de la chambre sont chez eux & couchés ? Au nom de Dieu ! pourquoi ne pas le proposer plutôt le matin, en plein jour, lorsque la chambre sera nombreuse & complette ?

La raison qu'on nous donne pour adopter cette nouvelle manière de conduire les affaires publiques, vraiment digne de meurtriers, est absolument sans fondement & nullement satisfaisante :« Dans la crainte, dit-on, que le public ne soit prévenu de la chose. Le savant homme ne nous a-t-il pas ajouté, que le bill est rétroactif ; c'est à-dire, qu'il commence à ce jour fâcheux & fatal, je le crois, où le ministre d'Espagne remit à notre cour le manifeste qui nous déclare la guerre, lequel est actuellement sur le bureau. Ne nous apprend-t-on pas aujourd'hui des choses absolument neuves, que les ministres sont très-attentifs à remplir leur devoir, parce qu'ils ont cette fois surpassé toutes les atteintes[p.251]portées jusqu'ici à la constitution de leur pays ; parce qu'ils ont foulé aux pieds nos loix, & trouvé pour défendre leurs mesures, un avocat dans le savant personnage qui vient de proposer le bill le plus singulier, & de la manière, en vérité, la plus extraordinaire. L'attachement de notre érudit, pour son pays, ne doit-il donc pas être bien satisfait des injustices commises envers la partie la plus méritante des communes de l'Angleterre, en la dépouillant de la protection qui lui est accordée par les loix, en anéantissant la confiance nationale, qui fait la sécurité de tout Anglais, & qui est le gage que sa constitution est intacte ? Prétend-il donc, que dans cette scène d'injustice & d'oppression générale, il n'y ait pas un enfant, un frère, un époux, un père qui puissent s'en garantir ? Ah ! il me semble déjà, le cœur serré, entendre dans ce moment les cris perçans d'une malheureuse épouse, aux genoux d'un sergent nocturne, fondante en larmes, & dans ses accès de rage & de désespoir, le supplier de ne point lui arracher le père de ses enfans chéris, son bien-aimé, son tendre époux, qui seul est le soutien de sa maison ! Je m'imagine entendre un vénérable vieillard sans forces, se lamentant, & de la manière la plus touchante, exhalant ses infortunes, ses malheurs, sa misère extrême, réclamer la perte d'un fils unique, &[p.252]digne de toute sa tendresse. J'avoue que je suis rempli d'horreur à l'aspect. de tous les maux que ce malheureux instant va répandre dans les trois royaumes, contre tout principe de justice, d'équité, d'humanité. Mais admirez un peu la force d'esprit & le courage de notre érudit, dans ceci, & sa prévoyance pour le reste : il nous dit, qu'il est resté ici jusqu'à minuit, pour nous proposer une loi, laquelle, si on l'eût exposée au grand jour, auroit eu cette conséquence, de procurer, par la suite & en se cachant, aux personnes qui auroient craint le nouveau bill, leur sûreté personnelle ; sûreté que les loix de leur pays, & la confiance dans la foi publique qui doit les accompagner, n'auroient pas pu leur assurer.

[p.253]

 

Discours du Duc de Richmont, dans lequel il propose de prendre en considération le très-mauvais état où étoit Plymouth, lorsque les flottes combinées de France & d'Espagne menaçoient ce port. Il demande une enquête à l'effet de découvrir l'auteur de cette négligence scandaleuse, qu'il rejette sur le lord Amherst, comme étant le plus ancien des Officiers-généraux.

 

Du 25 Avril 1780.

Milords,

Pour faire naître en vous un degré extraordinaire d'attention, je n'aurai point recours à un expédient usité ; je ne vous dirai point emphatiquement que l'objet dont il s'agit, est de la première importance, & que l'existence de votre pays en dépend essentiellement : je sais parfaitement le contraire, je sais que cet objet n'est pas à beaucoup près d'une importance égale à celle de la perte de treize provinces, & de nos îles dans les Indes occidentales ; je sais qu'il n'est pas d'une nature aussi alarmante que l'est pour la nation l'accroissement journalier de l'influence de la couronne, je sais enfin, [p.254]que probablement il n'aura pas pour nous des suites aussi funestes que celles dont nous menace le défaut de concorde & d'unanimité parmi nous : il n'en est pas moins vrai que, s'il ne tient ni le premier ni le second rang parmi les considérations infiniment graves qui nous occupent, il est d'une très-grande importance en lui-même : j'aime à croire que la perte de Plymouth n'entraîneroit pas nécessairement la ruine totale de notre pays, mais on m'accordera qu'elle eût été une blessure bien dangereuse, & que ce coup eût été porté à l'une des parties les plus sensibles de la Grande-Bretagne ; si la main de la providence ne l'eût paré. Il a déjà été fait mention dans cette chambre de l'état dénué de défense dans lequel se trouvoit ce port de mer au mois d'Août dernier, lorsque la flotte Française parut dans ses parages ;& d'après la déclaration de l'officier même qui commandoit, je puis établir incontestablement que, si dans ce moment-là, les Français eussent attaqué Plymouth, ils l'emportoient !

Quoiqu'il soit facile de prévoir les difficultés qui s'élèveront à l'ordinaire, lorsqu'il s'agira d'instituer une enquête dont le résultat compromettroit certaines personnes, je n'en ferai pas moins la tentative, persuadé qu'il n'est aucun[p.255]de vous, milords, qui n'ait été alarmé sur le sort & sur la situation de cette place importante. Si dans ce moment-ci j'éprouve quelque mouvement d'indécision, ce n'est pas à l'égard de l'enquête en général, c'est relativement à la manière dont j'en ferai la motion, à l'époque que je lui donnerai pour objet… … On conçoit que l'objet d'une enquête pareille n'est pas de constater ce qui est connu de tout le monde ; c'est-à-dire, que Plymouth étoit absolument hors d'état de se défendre ; mais de découvrir l'auteur de cette négligence scandaleuse : le gouvernement s'est arrangé de manière que, lorsqu'il éprouve un revers, on ne sait à qui l'imputer : un des grands principes politiques de ce pays est, que dans tous les départemens de l'administration, il doit exister quelqu'un qui réponde de tout ce qui s'y passe ; en s'écartant de ce principe, le gouvernement ôte à la nation les moyens naturels de toute information : par exemple, dans le cas dont il s'agit, lord Amherst étant le plus ancien des officiers généraux ; dans l'ordre des choses, commande en chef, pourquoi n'a-t-il pas le titre de commandant en chef ? Engagés dans une guerre ruineuse avec l'Amérique, la France, l'Espagne, & bientôt, selon toutes les apparences, avec tous les états maritimes de[p.256]l'Europe, nous ne connoissons pas un commandant en chef à qui nous puissions demander compte des mesures militaires qui ont été prises : l'ordre des choses, comme je l'ai dit, indique lord Amherst si vous le questionnez, il vous dit qu'il n'est point responsable : si vous interrogez l'officier qu'il emploie, il vous donne la même réponse : qui donc est responsable ? Or, l'inconvénient de ne savoir à qui s'adresser n'est pas le seul qui résulte de cet abus : dans la circonstance où se trouvoit Plymouth, il s'en développe un beaucoup plus grave encore ; la place est sans défense ; la flotte combinée la tient pendant vingt-six heures dans un état d'alarme & presque sans espoir : qui commande dans cette place ? personne, par la raison que le commandement s'y divise entre l'officier du port & le commissaire de l'arsenal ? Aucun de ces commandans n'est muni d'instructions, le gouverneur est à Londres pendant que son gouvernement est en combustion ; il demande la permission de s'y rendre, on la lui refuse, parce qu'étant l'ancien du noble lord (lord Amherst commandant militaire), il ne peut servir sous lui ; si le noble lord eût été nommé commandant en chef, cette difficulté n'eût pas eu lieu, parce que le rang d'ancienneté disparoît par-tout où existe le titre de commandant en chef. Je[p.257]pense que ces considération diverses suffisent pour justifier cette motion.

 

Discours du Comte de Pembrocke. Il seconde la motion du Duc de Richmond ;& il avance que l'administration emploie exactement tous les moyens possibles pour dégoûter du service tous les messieurs Officiers.

 

Du 25 Avril 1780.

Cette partie de l'administration générale parfaitement conforme au reste, est un système de foiblesse, d'injustice & de destruction système dont le principe se fait sur-tout remarquer dans la basse habitude de flétrir la réputation des messieurs officiers, & de les forcer par des manœuvres sourdes à quitter le service. La marine a été traitée indignement ; c'est à cet odieux système que nous devons imputer la perte d'un Keppel, d'un Howe, & de ce que nous avions d'amiraux distingués propres à nourrir la confiance de la nation : la fleur de nos officiers de mer s'est vue forcée à quitter un service incompatible avec la sûreté & l'honneur : les officiers de terre, victimes d'une injustice égale, se sont vus de même exposés à l'insulte,[p.258]par une suite de ce pernicieux système dont une des ressources est d'accorder pour un tems illimité des grades au moyen desquels les officiers inférieurs, des hommes qui n'ont jamais servi, qui n'ont pas la moindre notion du service, se trouvent à la tête d'une multitude de braves officiers qui ont servi long-tems avec zèle & avec distinction : sur le pied où les choses sont aujourd'hui, de longs services, une réputation établie ne sont plus des titres de recommandation pour les emplois vacans ou à créer ; ce n'est pas ainsi que l'esprit militaire se propage ; mais, je l'ai déjà dit, lorsqu'un système d'administration est vicieux, tous ses départemens sont vicieux : l'objet de la motion actuelle (l'état dans lequel on a permis que Plymouth restât exposé aux attaques de l'ennemi) est au nombre de ceux qui méritent l'attention de la chambre ;& celui qui me paroît le plus propre à allumer son indignation, d'autant plus qu'on a vu le noble lord qui préside à l'amirauté traiter cette circonstance avec une légèreté offensante ; que peut-on attendre d'un homme qui peut traiter si frivolement une matière si grave, si alarmante dans sa nature ?

[p.259]

 

Discours de lord Townshend, dans lequel il déclare qu'il est d'un avis absolument contraire & que loin d'attribuer le salut de Plymouth à la providence, il l'attribue précisément à la connoissance que l'ennemi avoit acquise de la force de la place. Il s'oppose sous de vains prétextes à l'enquête demandée. par le Duc de Richmond.

 

Du 25 Avril. 1780.

L'ennemi savoit parfaitement qu'il ne pouvoit pas l'attaquer avec la moindre apparence de succès : plût à Dieu qu'il eût été moins instruit ! ce que je vais dire passera pour une assertion hardie, mais je pense dans le fond de mon âme que, si la flotte combinée eût montré plus de hardiesse ou d'imprudence, elle s'en fût repentie ; d'ailleurs, en ma qualité de grand-maître de l'artillerie, j'ai à cet égard des preuves à fournir qui démentent tout ce qui a été dit relativement à l'état de la place : j'ai une lettre du commandant de l'artillerie, par laquelle il est évident que le nombre des canons, munitions, batteries, &c. répondoit suffisamment aux besoins du moment : sans attendre les ordres[p.260]du bureau, j'avois pris sur moi, pour éviter tous les retards possibles, de déclarer qu'en s'adressant à moi, on auroit généralement tout ce dont on pourroit manquer du ressort de mon département ; ainsi, convaincu de ces vérités incontestables, je m'oppose à la motion par des raisons majeures : la première est que, si l'on instituoit une enquête, il faudroit appeller tous les officiers de Plymouth, que je crois plus utiles à leurs postes qu'à la barre de la chambre ; en second lieu, en supposant qu'il parût expédient d'interroger tous ces officiers, & que l'on pût les déplacer sans nuire au service qui demande leur présence, chacun croiroit devoir donner son opinion : on entreroit dans des discussions délicates qui avidement recueillies, se divulgueroient & pourroient faire un tort infini ; troisièmement enfin, j'ai déjà dit que je pouvois opposer des preuves aux assertions vagues sur lesquelles la motion est fondée.

[p.261]

 

Le Roi ayant fait l'ouverture des sessions du Parlement, lord Percy fit une motion tendante à ce qu'il fût présenté une humble adresse de remerciemens à Sa Majesté de son très-gracieux discours émané du trône ; sur ce qu'il contenait de sage, de modéré ; de magnanime.

 

Du 20 Novembre 1777.

Je sais, milords, que l'on a hazardé des jugemens précoces, & je puis dire mal fondés & injustes. À la distance où nous nous trouvons, il est impossible d'en former avec précision sur les opérations de la guerre ;& il est de mauvaise foi de calculer d'après les évènemens, la sagesse des mesures qui ont été prises. Au surplus, j'ai la satisfaction de voir que sa majesté, les ministres, & la saine partie de la nation jugent différemment. Si l'on considère la multitude des obstacles qu'il a fallu surmonter, on conviendra que ce qui est déjà fait est beaucoup ;& j'ai l'espoir le mieux fondé de voir les suites répondre à ces commencemens heureux, justifier la sagesse des mesures que l'on a prises, & tourner à la gloire de ceux à qui l'exécution en a été confiée. Il est affreux sans doute d'être réduit à verser le[p.262]sang des humains ; mais c'est une fatalité inséparable de la guerre, & la question consiste à savoir si la guerre qui occasionne ces calamités est juste dans son principe : le caractère indomptable des Américains a rendu cette triste ressource indispensable : ce n'est qu'en redoublant l'effort des armes, que l'on parviendra enfin à convaincre ces peuples séduits, que nous avons sur eux des droits suprêmes & des forces suffisantes pour les maintenir.

 

Réplique de lord Coventry, au discours précédent contre la guerre d'Amérique.

 

Du 20 Novembre 1777.

J'ai toujours blâmé les mesures coercitivesemployées contre les Américains ;& aujourd'hui je suis fâché de voir par 1'évènement que malheureusement je ne me suis pas trompé dans mes conjectures. Personne, dans cette chambre, n'est plus fermement persuadé que moi, que le corps législatif doit exercer l'empire suprême sur toutes les parties de l'état ; la suprématie doit résider quelque part & s'étendre sur tous les districts qu'elle embrasse ; mais ce n'est pas pour les ravager,[p.263]pour les désoler & les détruire. Rien de si absurde que de dire en nuisant :« je nuis parce que j'en ai le pouvoir. » Il étoit donc absurde de commencer la guerre ; c'est une folie de la continuer. Rappellez-vous, milords, que dans tous les tems, je vous ai prié de considérer l'Angleterre & l'Amérique, en les rapprochant sous un seul point de vue ; de ne pas voir ce qu'elles sont, mais ce qu'elles doivent devenir ; de mesurer l'étendue des territoires, de considérer la situation, le climat, l'énorme disproportion qui se trouve entre l'une & l'autre ; le déclin de la population dans ce pays consumé par le luxe ; dans l'autre, l'accroissement de cette même population, fruit de la frugalité & de l'industrie ; lorsque je mettois ces objets sous vos yeux, je prévoyois, milords, qu'un jour devoit arriver où l'Amérique voudroit être indépendante, où ce pays tomberoit en décadence, & où le siège de l'empire seroit transféré au-delà de l'océan : il y a plus, j'étois si convaincu de la nécessité de cette résolution, que je l'ai toujours regardée comme attachée à la nature même de nos liaisons avec les Américains, J'ai donc toujours désiré que ce jour fût au moins reculé, autant que les causes qui devoient l'amener pourroient le permettre : je serois bien fâché, milords, que l'on me soupçonnât de reconnoître l'indépendance[p.264]de l'Amérique, parce que j'en sens la nécessité : aussi long-tems qu'on eût pu la retenir dans une dépendance volontaire, elle nous étoit infiniment utile, & il étoit expédient de l'enchaîner par de bons procédés. Quand le nœud qui l'attachoit à nous a été brisé, il falloit ne s'occuper que de renouer, parce que ce nœud n'étoit que celui de l'amitié, & que des amis renouent. Si cette ressource eût manqué son effet, alors nous devions être les premiers à proclamer l'Amérique indépendante, & à nous assurer l'amitié & l'alliance d'un peuple, qu'une conduite contraire suscite aujourd'hui contre nous, comme le plus puissant & le plus invétéré des ennemis que nous puissions avoir. Si j'ai parlé ainsi dans tous les tems, milords, que dirai-je aujourd'hui, que tout est visiblement impraticable dans les mesures que l'on continue de prendre, aujourd'hui que nous accélérons, comme de dessein formé, le moment où nous devions perdre nos colonies, aujourd'hui enfin, que notre pays touche au moment de sa ruine. Jettez les yeux, milords, sur l'état actuel de la Grande-Bretagne, sur la situation critique de nos affaires en Amérique, sur la disposition des puissances étrangères, sur la facilité qu'elles ont de nous nuire, secondées par l'inclination, sur l'incertitude des événemens militaires, sur la multitude des difficultés qui se[p.265]présentent dans la conduire d'une guerre dont le théâtre est si éloigné ;& voyez si la persévérance que nous annonce & nous recommande le discours de sa majesté, ne nous menace pas des plus sérieuses conséquences : si l'on prend ce parti, je ne vois autour de nous qu'une ruine infaillible ; enfin, quoi qu'il soit tard, je pense qu'il vaut mieux s'arrêter avec nos pertes actuelles, que de continuer à multiplier les périls qui nous enveloppent de toutes parts ; je crois que le seul parti qui nous promette au moins un salut précaire, est de rappeller nos flottes & nos armées, & de faire de nécessité vertu, en déclarant l'Amérique indépendante.

Ayant pensé ainsi ; dès les commencement, on ne me soupçonnera pas aujourd'hui de vouloir voter pour la continuation de cette guerre ruineuse, insensée & destructive ; je ne me suis levé que pour m'opposer directement à la motion faite par le noble lord en faveur de l'adresse.

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Discours éloquent du Comte de Chatham, sur le même objet, plus développé ; contre la guerre d'Amérique.

 

Du 20 Novembre 1777.

Milords, c'est avec tout l'empressement possible que je me joins au noble lord (Percy) ; quant à ce qui concerne le compliment à faire à sa majesté, j'irai volontiers me jetter aux pieds du trône, pour témoigner la joie que je ressens de tout ce qui peut ajouter au bonheur domestique de mon souverain, de tout ce qui peut contribuer à lui assurer la jouissance des droits civils & religieux que je partage avec mes concitoyens. Mais en donnant les mains à cette partie de l'adresse, je ne puis dissimuler combien je vois avec peine cette autre partie dans laquelle la chambre approuveroit la persévérance annoncée dans les mesures fatales que l'on a prises relativement à l'Amérique : en pareilles circonstances, milords, le roi étoit dans l'usage de se laisser guider par son parlement, non pas de le guider ; il étoit dans l'usage, non pas de dicter, mais de demander l'avis de cette chambre, grand-conseil héréditaire de la nation.[p.267]De quoi vous parle ce discours, milords ? de mesures déjà prises & arrêtées, auxquelles on vous invite cavalièrement de concourir ; on parle, à la vérité, de votre sagesse & de votre appui ; on vous y donne, comme certains, des événemens encore enveloppés dans le sein du tems : quant au plan que l'on a formé, on vous l'indique d'un ton péremptoire de dictateur ; est-ce donc ainsi que l'on vous parle, milords ? Est-ce là un langage supportable ? Cette prétention altière qui va jusqu'à faire la loi à la providence, a enchaîner la volonté & le jugement du parlement, a-t-elle quelqu'exemple dans le passé ? Non, milords ; ce langage est celui de la confiance mal fondée confiance, j'oserai le dire, milords, qui ne porte jusqu'à présent que sur une chaîne de bévues, d'échecs & de défaites ; je suis étonné qu'il se trouve un ministre qui ait le front de conseiller à sa majesté de vous parler ainsi ; je serois bien aise de voir le ministre qui oseroit avouer qu'il est l'auteur de ce conseil… Que signifie enfin ce discours extraordinaire, & qu'y remarque-t-on ? Une confiance illimitée dans les hommes qui vous ont, jusqu'à présent, trompés, abusés, égarés. Quel en est le but ? De vous demander des octrois, non pas proportionnés à ce que vous pourriez juger être nécessaire, mais à ce qu'il plaira aux ministres de regarder[p.268]comme tel : pour entretenir, vous diront-ils, des flottes & des armées, pour faire des traités avec ces subsides dont on ne vous rend point de compte. En deux mots, milords, si vous concourez à présenter cette adresse, vous prenez sur votre compte toutes les conséquences effrayantes qui en doivent résulter. Quiconque a donné au roi ce conseil pernicieux devroit être cité au tribunal de cette chambre, à celui de la nation entière, pour y répondre des conséquences ; l'exemple en est dangereux & contraire à la constitution. Je le demande, encore une fois, quel est l'homme qui a eu la témérité de dire au roi que ses affaires prospéroient ? Quel est l'homme par conséquent qui est l'auteur des assurances que l'on vous donne aujourd'hui pour achever de vous égarer ? Je voudrois le voir.

Jettez les yeux, milords, sur l'état actuel de cette nation ; les difficultés de toute espèce l'environnent, tous les dangers la menacent ; on ne voit pas une circonstance qui ne présente l'image de la destruction ; je le répète, milords, nous sommes assaillis par tous les périls à la fois ! Qu'est-ce que c'est que ces petites îles de la Grande-Bretagne & de l'Irlande ? Quelle est votre défense ? Rien ! voyez, de l'autre côté, quel est l'état de vos ennemis respirant une haine invétérée ; jettez les yeux sur les deux branches principales[p.269]de la maison de Bourbon, elles ont une marine formidable ; je vous dis, milords, qu'elles ont des vues ennemies, je le sais ; leurs côtes sont couvertes de troupes. Qu'avez-vous à leur opposer ? Pas cinq mille hommes dans cette île ; en Irlande pas davantage ; vous n'avez pas plus de vingt vaisseaux de ligne en état de servir ; en un mot, milords, sans la paix, sans une paix immédiate, cette nation est perdue, c'en est fait de l'empire britannique ! Dans ces circonstances alarmantes, examinons la conduite de vos ministres.

Comment ont-ils cherché à regagner l'affection de leurs frères de l'Amérique ? Ils ont recherché l'alliance & le secours des pauvres petits princes Allemands, dont l'indigence excite la pitié, dont l'existence ne signifie rien ;& cela pourquoi faire ? pour couper, en Amérique, les gorges de leurs frères, qui se sont montrés aussi braves qu'ils ont été indignement traités ; ils ont passé des traités mercenaires avec ces bouchers, à qui ils ont vendu, au poids de l'or, le sang humain : mais, milords, ce n'est pas tout, ils ont fait aussi d'autres traités ; ils ont lâché les sauvages féroces de l'Amérique sur leurs frères innocens, sur des créatures foibles, sans défense, sur des vieillards de l'un & de l'autre sexe, sur des enfans, sur ceux même qui étoient à la mammelle, pour les couper par morceaux, pour les mutiler, en faire[p.270]des sacrifices, les brûler, les rôtir, en un mot les manger, à la lettre ! Tels sont, milords, aujourd'hui les alliés de la Grande-Bretagne ; le nouveau système qu'elle a adopté pour faire la guerre, est, par-tout où elle porte ses armes, d'y semer le carnage, la désolation & la destruction, nos ministres ont fait des alliances dans les boucheries de l'Allemagne, avec les barbares de l'Amérique, & les bourreaux impitoyables que fournit cette espèce sauvage. C'est ainsi que nos armées se trouvent déshonorées dans la victoire comme dans la défaite. Cette conduite, milords, a-t-elle quelque rapport à celle qui faisoit autrefois notre gloire ? Est-ce par des moyens pareils que nous avions atteint ce faîte de grandeur, d'où, considérant l'éclat de notre renommée répandue dans toutes les parties du monde, nous recueillions l'hommage universellement rendu à notre justice & à notre humanité ; étoit-ce avec le Tomobawk& avec le couteau qui enlève les péricrânes, que la valeur & l'humanité Anglaises passoient presque en proverbe, dans un tems où cette humanité naturelle à la nation éclipsoit jusqu'à l'éclat de ses conquêtes ! Est-ce en lâchant sur nos ennemis les sauvages Indiens pour souiller leurs mains du sang de nos frères d'Amérique, que le militaire Anglais jouissoit de l'honneur de passer pour remplir[p.271]à la fois les devoirs du soldat, du citoyen & de l'homme ? La guerre actuelle est-elle honorable, milords ? Non : si les armes britanniques ont encore quelque succès à espérer, il faut que la Grande-Bretagne ait recours à ses anciens moyens de vaincre ; jamais les Américains ne se soumettront à être égorgés par des étrangers mercenaires ; s'il y a encore quelque chose à faire cela doit être fait par des troupes Anglaises, alors s'il paroissoit nécessaire de faire des levées dans la Grande-Bretagne, on me verroit concourir à leur succès : milords, je vendrois la chemise que j'ai sur mon dos, pour seconder des mesures sages & sagement conduites, mais je ne voudrois pas donner un seul sheling à nos ministres actuels, leur plan n'a d'autre fondement que la destruction & la honte.

Milords, cette guerre est ruineuse ; elle ne présente que des dangers ; tous les jours on insulte nos côtes ; nos mers sont infestées de corsaires Américains ; nous n'avons rien pour nous protéger ;& pour mettre le comble à nos malheurs, nous avons perdu le port de Lisbonne. La maison de Bourbon est prête à rompre avec nous ; elle favorise contre nous la cause de nos sujets ; ce moment-ci, milords, est le dernier où nous puissions encore traiter avec les Américains ; la France & l'Espagne ont beaucoup fait pour eux,[p.272]mais n'ont pas voulu faire tout ce qu'ils demandoient ; ils ont eu un peu d'humeur : si on leur propose des conditions raisonnables, le moment de les détacher de leur connexion dangereuse est celui de leur refroidissement & de leur mécontentement passager. Si nous laissons échapper l'occasion, elle ne se présentera plus. Mais vous me demanderez, milords, si nous trouverons les Américains également disposés à y accéder ? Je répondrai, en général, que je regarde les liens politiques qui unissent l'Amérique à la Grande-Bretagne, comme ne pouvant être dissous. Ces deux états forment certainement un seul & même empire ; mais en adoptant ce principe incontestable, je soutiens que chaque partie dont le tout est formé, doit conserver ses droits particuliers, ses privilèges & ses immunités inviolables ; à cela près (& tous ces privilèges contestés se réduisent à celui de se taxer eux-mêmes) à cela près, dis-je, j'ai toujours regardé les provinces de l'Amérique comme faisant partie de la Grande-Bretagne, ainsi que les comtés de Devon, de Surry ou de Middlefex ; il est vrai qu'en les envisageant sous ce point de vue, j'entends qu'on leur conservera leurs droits municipaux ; que leurs chartres ne seront point violées, & sur-tout qu'on ne leur disputera pas le droit de se taxer elles-mêmes ; si on ne leur conserve pas ce droit,[p.273]ou ne me fera pas croire que l'Amérique veuille jamais entendre à rien ; si elle finissoit par y être forcée, ses malheureux habitans n'auroient rien qu'ils puissent dire leur appartenir véritablement.

Considérez, je vous prie ; milords, à quoi s'étend cette prétention illimitée de taxer les colonies ; à trois cent milles de distance, une troupe vénale s'arroge le droit de disposer des biens de toutes les possessions d'un peuple dont il ne connoît ni le génie, ni le caractère, ni les facultés, ni les dispositions, ni les besoins, ni les griefs, ni les vrais intérêts ! Il y a beaucoup d'hommes riches en Amérique, il y en a de très-riches en fonds de terre ; M. Wasington qui commande actuellement ce que l'on appelle les armes rebelles, jouit d'un revenu annuel de cinq mille livres sterlings, beaucoup d'autres ont des fortunes considérables, de l'intelligence & de la capacité peut-on croire, est-il naturel d'attendre que des hommes de ce poids, de cette importance dans leur pays, se soumettront jamais à ce droit de taxe arbitraire, qui livreroit tout ce qu'ils possèdent à la fantaisie ou à la rapacité de gens qui leur sont parfaitement étrangers ? cette idée est absurde.

Les Américains sont sages, industrieux & prudens ; ils ont trop de bon sens, leur âme[p.274]est trop élevée, pour qu'ils s'abaissent jamais à jouir de leurs biens d'une manière si précaire & si humiliante ; d'ailleurs ils nous voient plongés dans le luxe, dans la dissipation, dans la vénalité & la corruption ; dans le cas où ils seroient portés à se laisser taxer, ils se demanderoient encore, à quoi bon ? Quel usage on feroit ici de leurs contributions ? Celui d'éteindre plus vite encore le peu qui reste de vertu publique ou privée : je pense donc, milords, que non-seulement il y a de l'injustice dans l'idée de taxer les Américains, mais qu'elle est même impraticable. Le grand lien qui doit nous attacher à eux, la seule contribution qu'il soit sage d'en attendre, c'est celle qui dérive de leur commerce ; voilà le point auquel il faut s'attacher, le seul avec lequel on peut réussir : je suis bien éloigné de donner les mains à ce que les Américains s'érigent en souverains dans leur pays ; j'abjure toute liaison avec quiconque penseroit différemment dans cette chambre, mon avis sera toujours qu'il faut tenir les colonies dans la dépendance constitutionnelle qui les assujettit à la mère-contrée, & c'est essentiellement dans cette vue que je porte la parole : je viens, milords, vous faire une ouverture qui paroît se présenter d'elle-même ; je désire ardemment que vous la saisissiez ; je viens vous proposer[p.275]une cessation d'hostilités, comme étant le premier pas à faire dans les circonstances présentes, dans le cas où vous adopteriez cet avis, je proposerois que l'on nommât un comité à l'effet de considérer quelles seroient les mesures convenables à prendre pour autoriser immédiatement la couronne à envoyer en Amérique des commissaires, revêtus de certains pouvoirs, pour traiter à des conditions positivement spécifiées : alors si l'Amérique étoit sourde à toutes les ouvertures raisonnables, qui pourroient lui être faites de notre part, & du nombre desquelles seroit la garantie de l'acte de navigation qui serviroit de base à tout le reste ; alors, dis-je, il vous resterait, milords, à considérer quels seroient les moyens les plus propres de les forcer à remplir un devoir dont ils s'écarteroient d'une manière si révoltante ; au surplus, je crois pouvoir garantir, sans me compromettre, qu'une offre pareille ne manqueroit pas de réussir. Je sais parfaitement qu'il règne un esprit de faction dans quelques parties de l'Amérique, & probablement que ceux qui entretiennent cet esprit, n'ont que l'indépendance en vue, mais je sais aussi que les colonies du centre sont plus modérées, & que celles qui sont au midi rentreroient avec joie dans leur ancienne condition, si on leur donnoit les sûretés dont nous venons[p.276]de faire mention. Mon plan est susceptible de beaucoup d'objections ; on demandera qui fera les propositions ? Sur quoi porteront les sûretés respectives, si l'on rappelle les troupes ? Je réponds à tout cela que c'est une affaire de bonne foi de part & d'autre, & d'intérêt respectif. Il s'agit ici de rédiger des conventions assez raisonnables pour qu'elles soient acceptées, de les écrire avec assez d'attention & de prévoyance, pour qu'elles aient force de loi inviolable, & qu'elles ne puissent être enfreintes ni par les uns ni par les autres. Telles sont mes idées ; je les crois fondées sur une connoissance parfaite des peuples de ces contrées ; je sais que la guerre que vous continuez contre eux est ruineuse d'une part, inutile de l'autre : je sais que si vous perdriez à la continuer, il faut en venir à lever vos troupes en Angleterre, car je suis persuadé que tant que vous aurez à votre solde un seul mercenaire étranger, jamais les colonies ne traiteront avec vous, & qu'elles se soumettront encore moins.

Je conclus donc à ce que la chambre conseille à sa majesté & la supplie humblement de faire prendre au plutôt les mesures les plus efficaces pour rétablir la paix en Amérique : lui représentant qu'il n'y a pas un moment à perdre pour y proposer la cessation immédiate de[p.277]toute hostilité, à l'effet d'entamer un traité qui assure la tranquillité dans ces précieuses provinces ; qui écarte les causes malheureuses de cette guerre destructive, en prenant toutes les précautions nécessaires pour prévenir le retour de ces calamités. Il convient de plus, d'assurer sa majesté que la chambre, autant qu'il sera en son pouvoir, lorsqu'il en sera tems, coopérera avec la magnanimité & la bonté de sa majesté, à la préservation de ses peuples, en promulguant des loix fondamentales & irrévocables qui déterminent à perpétuité les droits de la Grande-Bretagne & ceux de ses colonies.

 

Réplique justificative du Secrétaire d'état lord Sandwich, au discours précédent.

 

Du 20 Novembre 1777.

Personne, milords, n'est plus admirateur que moi des vastes talens du noble comte qui vient de vous tracer un tableau si effrayant de nos affaires publiques : tout le monde rend justice à son éloquence, tout le monde connoît les avantages qu'il en tire : personne en effet n'a mieux mérité l'estime & la reconnoissance de la nation qui en a reçu les services les plus[p.278]importans, qui doit l'admirer à la fois comme sénateur & comme homme d'état : mais en rendant hommage aux talens du noble lord, en apportant d'ailleurs toute la déférence possible à ses opinions, en reconnoissant combien son érudition profonde, sa longue expérience & son éloquence étonnante donnent du poids à ses avis, je ne dissimulerai point que je ne puis être d'accord avec lui sur aucun des points de son discours, que je ne puis adopter aucun des argumens dont il a fait usage, pour appuyer une motion : la vérité, la raison, la conviction & l'art oratoire font des choses bien différentes ; si l'on dépouilloit des grâces de l'élocution & de la magie de l'éloquence tout ce que le noble comte vient de vous dire, je suis bien persuadé que vous n'y trouveriez rien qui vous portât à vous opposer à ce que l'adresse de remercimens fût purement & simplement présentée au roi sans aucune addition inutile. Il me paroît certain que le noble lord est mal informé en tous points : sans cela, il n'eut jamais avancé comme des faits, ce que je sais n'avoir pas même l'apparence de la réalité.

Je ne prétends pas que le noble lord ait eu en aucune manière l'intention de vous induire en erreur ; mais comme il parle de choses qui sont particulièrement de mon district, & par[p.279]conséquent de ma connoissance particulière, je me flatte qu'il voudra bien m'excuser, si je n'adhère pas à son opinion, & si je tâche de donner à la chambre des éclaircissemens sur des faits qui pourroient passer pour vrais, s'ils n'étoient pas contredits : je vous assure, milords, que je ne vous importunerois pas, si la matière qui sait l'objet de la discussion actuelle, ne me regardoit pas directement, & s'il n'étoit pas de mon devoir de vous expliquer comme ministre de la marine ce qui a rapport à mon département. Ce ne sera pas à ma mémoire, milords, que je m'en rapporterai pour réfuter les faits allégués par le noble comte : c'est avec ces papiers en main, c'est avec ces pièces authentiques que je parlerai. Le noble comte pose en fait que la totalité des vaisseaux de ligne destinés à défendre nos côtes, ne monte pas à vingt, qui soient en état de servir, je lui répéterai qu'il a été mal informé, & qu'il sera bien de retirer sa confiance de ceux qui l'ont trompé si grossièrement : voici l'état de la marine qui prouve que le nombre des vaisseaux de ligne surpasse du double celui auquel il est porté par le noble comte. Nous avons actuellement quarante-deux vaisseaux de ligne en commission dans la Grande-Bretagne, de ce nombre trente-cinq ont leurs équipages complets &[p.280]peuvent mettre en mer au premier signal ; en parlant ainsi, milords, je voudrais n'être pas soupçonné d'inexactitude ; je m'explique donc, le nombre d'hommes nécessaires pour compléter l'armement de ces trente-cinq vaisseaux, monte à vingt mille huit cent matelots & gardes-marine compris ; de ce nombre dix-huit mille deux cent quarante hommes sont actuellement à bord, le reste est prêt à s'y rendre au premier ordre ; ce reste est composé de deux mille trente-cinq gardes-marine & six cent matelots, lesquels sont actuellement dispersés dans différens ports. Les gardes-marine sont sur le rivage, occupés à se former aux exercices de leur profession, étude indispensable, parce que les deux tiers de ce nombre sont des recrues ; les six cent matelots sont distribués à bord des sept vaisseaux, dont les équipages ne sont pas encore complets. Ces sept vaisseaux demandent quatre mille hommes, c'est-à-dire, trois mille trois cent matelots & sept cent gardes-marine : des trois mille trois cent matelots, neuf cent sont déjà à bord des sept vaisseaux, de sorte que pour compléter l'armement des quarante-deux vaisseaux, qui sont dans un excellent état & propres à toute sorte de service, il ne manque que deux mille quatre cent matelots & sept cent gardes-marine.[p.281]On peut se procurer les premiers en très-peu de temps au moyen de la presse ;& si le besoin étoit prenant, on peut supprimer les brevets de protection, en un mot, employer d'autres moyens que la nécessité justifie : à l'égard des gardes-marine, on peut les completter par le moyen des recrues, c'est ce qui a déjà été pratiqué, comme je viens de le dire : d'un autre côté le noble comte paroît douter que nous soyons préparés suffisamment en Amérique contre quelqu'attaque imprévue : je dois l'informer à cet égard que lord Howe a sous ses ordres quatre-vingt-treize vaisseaux de guerre, dont six sont des vaisseaux de ligne, les quatre-vingt-sept autres sont des frégates, des sloupes & autres navires armés. Le noble lord a beaucoup insisté sur les ravages qu'exercent les armateurs Américains tant en Amérique que sur nos cotes : la meilleure réponse qu'on lui puisse faire, est de lui montrer l'état des navires rebelles que nos vaisseaux ont pris en Amérique : à l'égard des insultes faites dans nos parages, j'avouerai que l'armement considérable que le service de l'Amérique a exigé, nous a dépouillé de nos frégates pendant quelque tems ; mais on en a senti l'inconvénient, on s'est hâté d'acheter de différens marchands trente navires qui ont remplacé nos frégates, on en a construit dix sur[p.282]les chantiers de sa majesté, trente autres dans divers endroits ; on a même ajouté au service vingt-neuf navires, qui, quoique chargés en partie comme marchands, sont en même tems armés en guerre, en sorte que cette partie de notre marine monte à quatre-vingt-dix ou même à cent vaisseaux. Après avoir établi de pareils faits, je crois pouvoir soutenir non-seulement que le noble lord a été trompé grossièrement, mais que si la France & l'Espagne entretenoient contre nous des dispositions ennemies, nos forces navales actuellement prêtes à agir, excédent de beaucoup tout ce que ces puissances pourroient ramasser dans l'Europe pour augmenter les leurs. Je ne crois pas que ce soit leur intention ; mais au pis aller, je suis intimement convaincu, d'après ma connoissance certaine, qu'elles n'ont rien qui puisse les mettre en état de nous faire face en Europe, je crois même nulle part ailleurs, puisque de compte fait & effectif nous avons cinquante-quatre vaisseaux de ligne, & près de deux cent frégates ou sloupes de guerre, le tout en état d'entreprendre quelqu'espèce de service que ce puisse être au premier signal.

Le noble lord après nous avoir dépeint l'état déplorable de notre marine, a demandé quel seroit l'homme de quelque réputation dans son état, qui voudroit hasarder cette réputation en[p.283]prenant le commandement de nos forces navales ; je lui répondrai qu'il est aisé de trouver cet homme ; c'est l'amiral Keppel qui connoît l'état actuel de notre marine, & qui en la commandant hazardera volontiers sa réputation contre les ennemis de son pays, s'il en est ; c'est cet officier qui s'en chargera, officier aussi brave, aussi expérimenté, aussi noblement allié qu'aucun de ceux qui ont l'honneur de servir sa majesté ; officier en qui le noble comte lui-même auroit la plus grande confiance, & dont il a la plus haute opinion.

Le noble lord dit que nous avons perdu le port de Lisbonne & l'alliance du Portugal ; j'avouerai que cette nouvelle est tout-à-fait neuve pour moi : les dernières lettres que j'ai reçues de Lisbonne, m'ont appris que l'Invincible, vaisseau de guerre de soixante-quatorze canons, mouilloit dans ce port, & si le noble lord n'a pas appris par quelque voie secrette que ce vaisseau a fait naufrage ou bien qu'il a été pris par un armateur Américain, j'ai de la peine à croire que nous ayons perdu le port de Lisbonne : à l'égard de l'alliance du Portugal, que le noble lord nous annonce aussi comme perdu, je puis l'assurer que cette cour nous a donné les assurances répétées & positives de ses dispositions amicales, , & nous a témoigné que la conduite[p.284]dénaturée de nos sujets rebelles lui faisoit horreur ; pour donner à ces assurances une preuve de fait, elle a fermé ses ports aux Américains ; elle a plus fait, elle a confisqué un de leurs vaisseaux qui avoit voulu éluder l'effet de la proclamation qui leur fermoit les portes du Portugal ;& les rebelles ont été si offensés de cette conduite, que par forme de représailles un de leurs armateurs a pris un vaisseau marchand Portugais dont la cargaison étoit d'un prix considérable.

D'après ce que je viens de vous exposer, milords, je suis fondé à affirmer que notre marine est plus forte qu'il ne faut pour faire face aux flottes réunies de la maison de Bourbon, je ne rougis point de le dire ni de lever mon front… Je vois dans cette chambre beaucoup de fronts radieux de joie ; mais j'espère que le tems n'est pas éloigné où ces symptômes de satisfaction disparoîtront : j'espère que nous ne tarderons pas à recevoir des nouvelles du Général Howe qui feront changer la contenance de bien des gens.

Comme président de l'amirauté, je serois bien fâché ; milords, de souffrir en aucun tems que les forces navales de la France & de l'Espagne pussent en se réunifiant, surpasser celles de la Grande-Bretagne, ce seroit en vérité manquer[p.285]étrangement à mon devoir. Le noble lord vous a dit que ces puissances entretiennent contre nous des dispositions ennemies, & qu'elles l'ont prouvé en donnant sous-main des secours à nos sujets rebelles : j'ai de fortes raisons de croire le contraire ; mais en supposant que cela fut vrai ; dans les circonstances allarmantes & périlleuses où le noble lord prétend que nous nous trouvons, son avis seroit-il que nous allions nous plonger dans un surcroît de difficultés en déclarant la guerre à ces puissances ? j'espère que non : la vérité est que de tems à autre nous nous sommes plaints à la cour de France du commerce illicite qui se faisoit dans ses ports avec nos sujets rebelles : lorsqu'il a fallu devenir plus pressans, nous avons fait des remontrances plus fortes, nous avons obtenu alors un ordre qui défend aux armateurs Américains d'entrer avec des prises dans aucun port de France. Cet ordre jusqu'à présent a été strictement exécuté.

On a reclamé deux prises qui ont été rendues : il n'est pas improbable, qu'au moyen de quelqu'intrigue sourde, il ne se soit passé bien des choses qu'il seroit difficile de justifier ; mais quand cela seroit certain, ce ne sera pas l'ami de son pays qui cherchera à nous engager dans une nouvelle querelle, le tems viendra peut-être où l'on pourra[p.286]obtenir de la France & de l'Espagne une réparation complette des insultes que nous pourrions avoir reçues.

J'ai beaucoup de raisons pour ne point accéder à la proposition du noble lord : quelle est-elle dans le fond ? je ne vois rien de si extravagant & de si honteux ; quoi, mettre bas les armes ! Vous soumettre à vos sujets rebelles ! De pareilles paroles peuvent-elles sortir de la bouche de ce grand ministre, qui a conduit, dans toutes les parties du globe, nos flottes & nos armées victorieuses : c'est ce grand homme qui nous conseille de mettre bas les armes : à qui veut-il que nous demandions la paix ? Est-ce au Congrès, est-ce au Général rebelle ? Eh ! milords, si on l'entend ainsi, comment traiterez-vous de souverain à sujet, avec des gens qui se disent, comme vous, souverains ? Je ne disconviens pas que ce que le noble lord propose pour fondement de la réconciliation, ces loix fondamentales, &c. tout cela ne soit juste & bien vu ; mais les Américains verront-ils comme lui, reconnoîtront-ils des loix fondamentales qui établiroient à jamais votre souveraineté & leur dépendance, & qui remettraient l'acte de navigation en force : j'ose dire que le noble comte n'a pas porté si loin ses espérances les plus fastueuses ;& sa façon de penser sur ce point diffère beaucoup de celle des personnes[p.287]qui cependant donneront aujourd'hui leurs voix en faveur de sa motion.

Pour conclure, milords, je m'estime heureux d'avoir été en état de désabuser le noble comte ; je le suis d'avoir pu vous informer de l'état respectable de cette partie de notre marine, destinée à la défense de notre pays, & de faire connoître à tout le monde que nous n'avons rien à craindre de la France & de l'Espagne ;& que n'étant gênés par aucune considération étrangère, nous pourrons continuer, avec avantage, la guerre dans laquelle nous sommes engagés, & la conduire à une fin honorable. J'approuve, de toute mon âme, l'adresse proposée ; c'est aussi de toute mon âme que je me déclare contre toute espèce de mesures qui entraîneroient des délais, & c'est ce que l'addition proposée par le noble lord produiroit infailliblement. On a eu le malheur, au commencement des troubles, d'adopter un système de lénité déplacée, d'agir avec timidité ; de craindre que la nation ne se prêtât pas volontiers à la nécessité d'agir avec vigueur & dans le tems convenable ; toutes ces craintes étoient mal fondées ; on reconnoît le mal qu'elles ont produit, & je me flatte qu'à l'avenir on ne les consultera plus. J'espère avec toute la confiance possible que les premières nouvelles que nous recevrons[p.288]de l'Amérique seront favorables ;& qu'en persévérant dans les mesures que sa majesté vous a recommandées, vous saisirez le moyen le plus sûr de mettre un terme à la rébellion.

 

Réplique du Comte Abingdon au discours précédent.

 

Du 20 Novembre 1777.

Peu accoutumé à parler en public & aux formalités qui doivent être observées dans les débats du parlement ; en tout autre tems, je me serois contenté de donner ma voix en silence en faveur de la motion faite aujourd'hui par le noble comte ; mais, milords, notre danger est imminent, est pressant, & l'on y fait peu d'attention : on nous a donné de fausses notions ; on a égaré notre jugement ; on nous a trompé ; on a mis la nation dans le cas de travailler à sa propre destruction, & de dévorer ses entrailles à la manière du vautour : un jour viendra, milords, où cette nation voudra connoître enfin les auteurs de ses calamités & recherchera leur conduite ; en attendant, profitons du sage conseil que nous donne ce grand homme d'état ; ce sont ces mêmes conseils qui ont, dans d'autres temps, tiré notre pays du sein du désespoir[p.289]pour le porter au faîte de la gloire : son système porte tout entier sur des loix fondamentales & irrévocables, non pas sur des actes du parlement, dont la nature est de détruire les loix fondamentales & irrévocables ; de pareils actes sont des loix de tyrans, non pas celles d'un gouvernement libre & modéré. Le législateur de ce pays ne peut ôter aux Américains la vie, la liberté & la propriété ; cependant c'est ce qu'on a pour objet au mépris de notre constitution : mais, milords, il faudra abroger ces loix ; elles seront abrogées dans tous les cas, soit que l'Amérique soit perdue pour nous, soit que nous la conservions ; elles sont comme les loix de Dracon, écrites en caractères de sang ; si on n'effaçoit pas ces caractères révoltans, elles feroient de notre postérité des hordes barbares. La motion actuelle a la paix pour objet ; obtenez cette paix si vous le pouvez ; je crains bien que nous n'ayons, peu s'en faut, consommé notre ruine ; mais ce que l'on peut concevoir de pire, est encore préférable au système des ministres. Je ne distrairai pas votre attention plus long-tems, milords ; je seconde, de tout mon âme, la motion du noble comte.

[p.290]

 

Discours du lord Shelburne, sur le même objet, plus développé.

 

Du 20 Novembre 1777.

C'est avec un étonnement toujours nouveau que je considère la conduite des ministres, l'arrogance avec laquelle ils osent traiter cette chambre ; quoi, porter l'audace jusqu'à se présenter devant le grand-conseil héréditaire de la nation, sans avoir à produire les moindres détails de leurs opérations, sans rendre aucun compte, sans montrer un chiffon de papier ! Et d'un air aisé d'un ton délibéré, vous dire tout uniment, qu'il faut que vous concouriez dans les mesures aveugles & destructives qu'ils ont le front de vous proposer. Il est vrai que le noble lord, qui est à la tête d'un grand département, nous a parlé de quelques mémorandum très-curieux ; mais de quoi nous a-t-il entretenus d'ailleurs, milords ? De ce qu'il lui plaît de croire & de ce qu'il voudroit bien vous persuader, de l'état florissant dans lequel se trouve actuellement votre marine ! Je ne doute pas de la véracité du noble lord ; mais je doute beaucoup de la vérité des faits qui viennent[p.291]d'être avancés, & je regarde les éclaircissemens qu'on vient de nous donner, comme quelque chose que je suis fortement enclin à ne pas croire ; ces petits détails, dénués d'authenticité, fournissent-ils au parlement une information convenable ? En un mot, milords, en votre qualité de conseillers héréditaires de votre souverain, en votre qualité de gardiens préposés par la constitution à la conservation des intérêts de votre pays ; est-ce sur de pareilles pièces que vous pouvez fonder votre confiance, asseoir votre jugement, délibérer, prendre des résolutions ? Certainement non ; jettez les yeux sur le journal de la chambre, & vous verrez, si même dans ces derniers tems, elle étoit dans l'usage de se contenter d'informations de cette espèce ; si vous parcourez ce journal, milords, vous trouverez que vos prédécesseurs exigeoient les détails les plus circonstanciés, les plus minutieux, les plus satisfaisans sur les moindres objets ; vous trouverez que le duc de Marlbourough, radieux de l'éclat que donne la victoire, ne dédaignoit pas d'accompagner ces détails des éclaircissemens les plus précis, non-seulement relatifs à ce qui avoit été fait, mais encore à ce qu'il se proposoit de faire ; il en communiquoit le plan : tous les officiers contemporains, commandant sur terre ou sur mer, étoient dans le même usage ; toutes[p.292]les fois que l'une ou l'autre des chambres leur demandoient des éclaircissemens sur les opérations projetées, ils ne manquoient pas de les donner. À l'égard de l'emploi des deniers publics, la chambre des communes étoit plus circonspecte encore, & y regardoit de plus près, on ne s'en rapportoit pas à la parole des ministres pas même aux papiers qu'ils leur plaisoit de produire.

Comment les choses se passent-elles aujourd'hui ? On nous cache tons les papiers ; on nous présente un système sur lequel on nous refuse les éclaircissemens que nous demandons, on nous invite à concourir dans les mesures adoptées par les ministres ;& quelles raisons nous donne-t-on pour nous y engager ? Aucune, si ce n'est que les ministres le désirent ;& parce que ces ministres ont adopté ces mesures, on nous propose d'en libeller l'apologie (par des remercirnens à sa majesté) ;& parce que dans toutes les occasions précédentes, les ministres nous ont trompés, on nous prie de les croire, quand l'occasion se renouvelle de nous tromper encore ; le noble lord, avec toute l'emphase ministérielle, nous a dit ce soir bien des choses du ton de la confiance ; je crois que son intention n'est pas de nous induire en erreur de propos délibéré ; mais que savons-nous, il a peut-être été trompé lui-même ; il a pu s'en rapporter à un secrétaire ou[p.293]à un sous-secrétaire, qui avoit quelqu'intérêt à le tromper ; le noble lord, en nous parlant, a affecté une délicatesse qui lui est particulière ; il nous a marqué d'abord quelque répugnance à communiquer les secrets de son département ; il a abjuré ensuite toute espèce de réserve, crainte, nous a-t-il dit, que les assertions du noble lord n'induisissent le public en erreur. Je ne prendrai pas sur moi de déterminer quel est celui des deux rapports qui approche le plus de la vérité ; mais pour mon compte, je n'ajouterai jamais foi à ce qui ne porte que l'empreinte des bureaux ; le noble lord, encore une fois, peut avoir été trompé ; des informations de bureaux peuvent suffire dans le cours des affaires ordinaires, mais dans celles de quelqu'importance, lorsque dans les informations que l'on cherche, on peut soupçonner que la vérité est déguisée ; je voudrois (comme c'étoit l'usage jusqu'à ces derniers tems), que le noble lord n'eût pas même pu être trompé, je voudrois que les officiers inférieurs de son département fussent mandés à la barre de la chambre, pour y être interrogés ; je me rappelle une circonstance qui vient justifier l'idée qui me frappe en ce moment. Le prince George de Dannemarck, qui étoit à la tête du département dont il s'agit, fut appellé pour donner quelques, éclaircissemens à la chambre ; son altesse royale[p.294]répondit que telle avoit été son information ; la chambre persistant à croire que le prince avoit été trompé, manda les subalternes & les interrogea ; où croyez-vous, milords, que l'information avoit été prise ? Dans un pamphlet anonyme ! Le noble lord peut faire l'application ;& vous, milords, vous pouvez déterminer à quel point ces deux traits se ressemblent.

Le noble lord a fait un grand éloge de l'amiral Keppel, cet éloge est on ne peut pas plus juste, je crois que personne de vous, milords, ne pense différemment sur le compte de ce grand officier ; mais je crains bien que dans la chaleur de son zèle, le noble lord n'ait plus promis au nom de l'amiral, que celui-ci ne voudroit l'entendre : il nous dit que dans le cas d'une rupture avec la France & l'Espagne cet officier est prêt à bazarder sa réputation d'homme de mer en commandant la marine Anglaise dans l'état où elle se trouve : je doute de cela ; ce brave commandant est-il parfaitement informé de tous ces arrangemens dont nous venons d'entendre une description si pompeuse ? Connoît-il & approuve-t-il que l'on emploie les officiers qui serviroient sous lui & co-opéreroient avec lui ? Approuve-t-il les autres arrangemens d'une classe inférieure ? En un mot, a-t-il une connoissance parfaite de toutes les choses qui inspirent de[p.295]la confiance à un officier expérimenté, & d'un jugement sain ? Je réponds que tout cela ne peut pas être, par la raison que si l'on peut s'en rapporter aux papiers publics, il y a long-tems que cet officier est hors du royaume : il a été à Spa pour y chercher le rétablissement de sa santé.

Je conviendrai avec le noble lord, que l'amiral Keppel a trop d'honneur pour refuser de servir son pays, si son pays demandoit son service, & c'est sans doute tout ce qu'il a voulu nous dire.

Le noble lord nous parle avec beaucoup de confiance des succès de nos opérations militaires. Je suis encore à apprendre sur quoi cette confiance est fondée, on ne peut sans frémir, arrêter seulement l'idée sur la malheureuse expédition du général Burgoyne, il y a toute apparence que son armée est entièrement détruite : mais supposons encore que cela n'est pas, & que voyant qu'il ne pouvoit pas avancer, il a effectué sa retraite : poussons la supposition plus loin, & disons qu'à la faveur de quelques succès qu'il n'attendoit pas, il a formé sa jonction avec le général Clinton, & qu'il a gagné New-York. Qu'est-ce que tout cela voudrait dire ? Qu'en deux années, en dépensant plusieurs millions, il est arrivé par terre à un endroit où il[p.296]fût arrivé par mer presqu'en autant de semaines, sans embarras, sans interruption : j'ose avancer qu'aucun militaire dans cette chambre, que les nobles lords Townshend&Amherst, qui ont servi avec tant d'honneur en Amérique, ne pensent pas que pour cette campagne le général Burgoyne puisse rien faire de mieux que d'effectuer une jonction, ni qu'il soit en état de conserver un seul poste derrière lui, quand même il perceroit jusqu'à New-York ; mais comme depuis le commencement, la guerre a été généralement conduite d'après les petits principes de ces âmes étroites qui fondent tout leur plan sur l'imposture préméditée, & qui croient avoir tout rendu praticable, lorsqu'elles ont au parlement les suffrages de la majorité : le général Carleton a été indignement traité, parce qu'avant de se livrer en Don-Quichotte aux avantures, il a représenté aux ministres les difficultés qu'offroit le passage des lacs, & le peu d'avantages que l'on retireroit de la difficulté vaincue ; mais cet officier étoit bien plus coupable encore aux yeux de ceux qui l'employoient : il avoit rejetté l'idée & reculé d'horreur à la proposition d'employer les sauvages. L'événement a fait honneur à son jugement comme officier, à sa sensibilité comme homme : je ne cherche point à élever des doutes sur les talens militaires du[p.297]général Burgoyne, quoique je les connoisse très-peu ainsi que sa personne ; mais c'est avec une pitié mêlée d'indignation que je me rappelle les motifs qui ont fait jetter les yeux sur lui, ces motifs étoient de nature à ne pas soutenir le grand jour. Les ministres ont voulu faire entendre que le général Carleton, étant l'officier le plus ancien, le commandement en chef lui eût été dévolu de droit, sitôt qu'il eut franchi la ligne de ses frontières : pauvre subterfuge ! est-ce qu'il n'y avoit pas d'autre emploi à donner à M. Carleton ? Ne pouvoit-il pas agir dans la Nouvelle Angleterre, tandis que le général Howe agiroit dans les provinces méridionales ? L'Amérique étoit-elle trop petite pour contenir ces deux généraux ? A-t-on ôté le commandement au général Carleton, crainte qu'il ne l'exerçât sur le général Howe à New-York ? Cela ne se peut pas, puisque les ministres savoient qu'à l'époque de l'arrivée des troupes du Canada, le général Howe ne seroit plus à New-York : non, milords, il n'y a rien eu de tout cela.

Indépendamment de toutes les difficultés que nos commandans ont eu à surmonter, ils ont eu les mains liées, ils n'ont commandé que pour la forme. Quelqu'étrange que cela puisse paroître, je sais, & je suis en état de le soutenir, je sais que nos troupes ont été commandées[p.298]de l'intérieur du cabinet, qu'on leur a envoyé les plans d'opération tracés dans le cabinet avec les détails les plus minutieux ;& que les détails ainsi que les plans ont beaucoup fourni à rire aux derniers subalternes de l'armée. Il est un homme (lord George Germayne) dans ce pays-ci, qui a tant de confiance dans ses talens militaires, que de son cabinet à la distance de mille lieues, il croit commander une armée & enchaîner la victoire.

L'exactitude du noble lord ne lui permet pas d'affirmer que la France n'a pas au moins favorisé le commerce illicite qui se faisoit dans ses ports entre ses sujets & nos colonies rebelles ; mais il vous dit que cette connivence n'a plus lieu : le noble lord n'est-il donc pas mieux informé ? S'il ne l'est pas, je lui apprendrai sur quel pied les choses sont à cet égard ; on vend comme ci-devant les cargaisons & les vaisseaux pris, mais au-dessous de leur valeur ; le courtier fait la loi au maître de la prise, vous ne la pouvez pas vendre ici, lui dit-il, l'ordonnance vous le défend, cependant je vous en donnerai tant. L'armateur est obligé d'en passer par-là, & l'ordonnance au lieu de faire cesser le trafic, remplit un autre objet, celui d'enrichir les sujets du roi de France. Lord Shelburne conclut en faveur de la motion anti-ministérielle du comte de Chatham.

[p.299]

 

Discours du lord Suffolk contre la motion du Comte de Chatham.

 

Du 20 Novembre 1777.

Le noble comte nous propose une cessation d'hostilités, & nous livre à la merci de nos sujets rebelles : a-t-il donc oublié ce qui s'est : passé à Staten-Island, lorsque les députés du congrès répondirent à nos propositions, qu'ils n'avoient à entendre à aucune, à moins qu'avant tout nous ne reconnussions l'indépendance des colonies, à moins que nous ne traitassions avec elles comme avec un état souverain, représenté par le congrès. Cette seule réflexion renverse, à mon avis, tous les projets de conciliation. Le noble comte a fait l'éloge le plus pompeux des Américains, de leur cause & des officiers, qui servent dans l'armée rebelle ; il a marqué, au contraire, le plus parfait mépris pour les troupes étrangères qui servent dans les nôtres ; il blâme le parti que nous avons pris d'employer des étrangers, & il applaudit la même conduite dans les rebelles qui employoient des Français, tandis que nous employons des Allemands ; je ne sais, mais je ne vois de différence dans le partage,[p.300]que celle qui résulte de la supériorité de courage & de talens militaires. On regarde les Allemands comme étant d'aussi braves soldats qu'on en puisse trouver en Europe ; je pense que peu de personnes en diront autant des soldats Français, ou prétendront persuader qu'ils égalent en rien les Allemands.

Les Américains, dit le noble comte, se sont procuré des officiers Français pour discipliner & commander leurs troupes ; eh bien ! si la nécessité les justifie, ne nous justifiera-t-elle pas aussi d'employer des Allemands ? Ne nous sera-t-il pas permis de prendre des étrangers à notre solde, lorsque nos sujets rebelles font la même chose ? le même acte sera-t-il sage chez nos ennemis, & à notre égard une folie & un objet de reproches amères ? Ne sommes-nous pas en droit de profiter des bons offices de nos alliés, de même que nos sujets rebelles tirent parti de ceux des officiers Français ? Le noble comte, avec toute l'éloquence qui le rend si célèbre, a fait un crime odieux à l'administration de ce qu'elle emploie des Indiens dans l'armée du général Burgoyne ; pour moi, que l'on emploie des étrangers ou de ces Indiens que le noble lord appelle sauvages, je regarderai toujours comme permis tous les moyens possibles de confondre les efforts de nos sujets rebelles. Le[p.301]congrès a fait ce qu'il a pu pour engager les Indiens dans la cause, si nous ne les eussions pas eu pour nous, ils eussent certainement été contre nous, & j'avouerois franchement que je regarde cette mesure comme sage & nécessaire ; je pense enfin que nous nous sommes parfaitement justifiés, en employant tous les moyens que Dieu & la nature ont mis dans nos mains.

 

Réplique du Comte de Chatham, révolté contre les dernières expressions de lord Suffolk, qui avoient également fait une impression désagréable dans la Chambre.

 

Du 20 Novembre 1777.

Ce langage me feroit frissonner, quelque part qu'on osât le tenir ; à plus forte raison, fait-il horreur dans la bouche d'un homme qui approche le trône de si près ! Quoi, vous pensez que tous les moyens vous sont permis ! Quoi, Dieu vous permet de lâcher les lévriers de l'enfer sur les sujets du roi, pour les manger, les manger à la lettre !… Eh mais, Dieu vous permet donc aussi d'empoisonner les fontaines, les rivières ?… C'est une expression horrible, c'est une expression impie, c'est une abomination… Je n'en dirai[p.302]pas davantage, milords, mais je n'ai pu en dire moins ; je me suis senti si oppressé, que sans ce soulagement je n'aurois pu fermer l'œil de la nuit.

Vous m'objectez que sous mon ministère, les Indiens ont également été employés contre la France : je ne nie point le fait, mais je puis assurer n'y avoir jamais eu de part ;& que jamais on ne trouvera l'emploi de pareils alliés, dans les mémoires de mon administration.

 

Lord Osborne se déclare contre la motion du Comte de Chatham.

 

Du 20 Novembre 1777.

Quelque puisse être l'issue des troubles actuels ; quelques soient les bévues que l'on puisse avoir faites, soit dans le commencement de ces troubles, soit dans le cours de la guerre qu'ils ont occasionnée ; je donne ma voix à l'adresse pure & simple, & je m'oppose à l'addition proposée ; l'objet que le noble comte a en vue, me tient autant à cœur qu'à lui-même ; je voudrois, comme lui, qu'une heureuse conciliation pût mettre un terme prompt à cette rébellion funeste ; mais je suis persuadé que si l'on adoptoit[p.303]les mesures qu'il propose, elles produiroient précisément un effet contraire ; les Colonies n'y verroient que l'impossibilité où nous serions, de les réduire à un état d'obéissance constitutionnelle ; je suis confirmé dans mon opinion, par les propres paroles du noble lord, dans le débat qui eut lieu à la fin des cessions de l'année dernière, & où il s'agissoit de les prolonger ; il dit que si la France osoit se mettre de la partie, nous attaquerions les provinciaux sous le canon de la France.

Le seul fondement sur lequel porte la motion du noble Comte, avec quelques apparences de solidité, est la remarque qu'il fait, que si nous ne saisissons pas le moment où les Colonies sont en froid avec la France, cette dernière puissance s'unira avec l'Amérique. Ces deux idées ne s'accordent pas ; nous devons attaquer les Américains sous le canon de la France, ou nous ne le devons pas. Si nous avons le choix, la première opinion du noble comte me paroît la meilleure ; je ne crois pas que les choses en viennent à ce point ; mais je pense fermement que le moyen le plus efficace d'assurer la neutralité de la France, est de poursuivre avec vigueur les mesures que sa majesté nous recommande : je donne donc ma voix pour l'adresse pure & simple.

[p.304]

 

Discours anti-ministériel du Duc de Grafton ; sur le même objet.

 

Du 20 Novembre 1777.

Rien, milords, n'est si contraire à l'esprit de l'institution du parlement, rien de si indécent que les allusions personnelles que l'on se permet sans cesse, & l'habitude où l'on est d'appeller esprit de faction, toute opposition raisonnable aux mesures que l'on se propose de suivre. Il semble que tout homme qui ne pense pas exactement comme ceux qui sont à la tête de l'administration, est nécessairement l'ennemi de son pays : cet usage est d'une grande ressource dans les débats, & il ne faut pas prendre au pied de la lettre, tout ce que l'on affecte de penser ici sur le compte de tel ou tel. Par exemple, milords, cet amiral Keppel, ce brave homme de mer qu'on nous vante tant aujourd'hui, pourquoi le cite-t-on ? Parce qu'il est absent : je pense qu'aucun des Ministres n'ignore que cet Officier désapprouve hautement cette horrible guerre civile, dont l'idée seule répugne à la nature ; tout le monde sait que comme sénateur, il a toujours marqué la plus solide opposition aux mesures[p.305]adoptées par l'administration. Si l'on en croit le ministre qui a parlé le dernier, (lord Suffolk), quiconque a le malheur de ne pas penser comme lui est nécessairement l'ennemi de son pays. N'est-il pas singulier que cette flotte si vantée, cette flotte dont dépend le salut de la Grande-Bretagne, soit destinée à un homme qui, en langue ministérielle doit être regardé comme l'ennemi de son pays ?

Milords, avant de donner les mains à l'adresse que l'on propose, ce qui mérite le plus votre attention, c'est de considérer, si l'on met sous vos yeux, les informations nécessaires pour diriger votre jugement. Je suis certain que l'on n'a reçu aucune information publique ; cela suffit pour me rendre suspectes celles qui sont particulières. Si on en a reçu de cette dernière espèce, elles ne sont pas propres à être révélées ; dans l'autre supposition on nous en eut fait un prodigieux étalage ! C'est donc avec le dernier étonnement que je vois un secrétaire d'état (lord Suffolk) vous haranguer, & ne vous faire part d'aucune circonstance qui justifie l'objet de sa harangue, ne vous donner aucune raison qui puisse vous engager à recourir avec lui dans les mesures qu'il recommande avec tant de chaleur. C'est précisément, milords, ce même silence de la part des ministres, c'est là cette[p.306]prudence que l'on a eue de marcher dans l'obscurité ; cette foi implicite de notre part qui nous ont plongés dans la situation allarmante où nous nous trouvons. Rien de si absurde que de demander l'avis ou la concurrence de cette chambre ; comment pourrez-vous donner votre avis, milords, comment pourrez vous délibérer tant que vous ignorerez absolument le véritable état des affaires ? La confiance ne naît pas d'elle-même, elle doit être précédée de quelque'chose qui lui donne l'existence : on vous assemble pour demander votre concurrence ; on ne vous assemble que pour cela ; on vous la demande, pourquoi ? parce qu'elle est encore nécessaire à la forme ; mais mettre sous vos yeux les papiers de l'état, faire devant vous des recherches tendantes à vous instruire, c'est un usage dont l'idée même est éteinte.

On ne nous a cependant pas ôté la liberté de demander des informations : combien avons-nous encore à en jouir ? Rien de si incertain ; mais puisqu'elle existe encore, j'en réclame l'usage.

C'est dans l'année 1777 que, siégeant ici en qualité de pair du parlement, je dis hautement qu'on nous en a imposé, que nous avons été déçus & trompés ; que pour réparer les bévues passées & prévenir celles dont les conséquences seroient[p.307]à craindre dans l'avenir, le parlement ne doit pas s'en rapporter aux ministres, mais délibérer & prendre des résolutions d'après sa connoissance certaine & le jugement qu'il peut former du véritable état des choses ; c'est ce que le parlement ne peut faire, à moins qu'on ne l'informe de toutes les circonstances relatives aux affaires publiques ; or, je le répète, depuis le commencement des troubles jusques à la fin de l'année actuelle 1777, nous avons donné une approbation implicite & aveugle à tout ce que les ministres nous ont proposé.

Personne de vous, milords, n'entretient une opinion plus haute que la mienne, du prince actuellement régnant ; mais, lorsqu'il s'agit de considérer le discours qu'il vient de prononcer, il est conforme à l'esprit de la constitution & à l'usage du parlement, de le regarder comme étant le discours du ministre ; sous ce point de vue, j'oserai dire que c'est une insulte faite au jugement & à la sagesse de cette chambre, insulte rendue plus offensante encore par la conduite de ceux qui ont eu part à sa rédaction. Ce discours ne dit rien, si ce n'est qu'il faut donner les mains à tout ce qu'il plaira aux ministres de faire ; on vous demande les pouvoirs les plus illimités, la confiance la plus étendue, sans vous faire part de la moindre circonstance qui puisse[p.308]vous donner du moins la satisfaction d'entrevoir que l'on a fait un emploi sage de ce que vous avez déjà accordé, & que l'on pourra, dans la suite, en faire un usage plus heureux ; mais ce qui aggrave encore tout ce qu'il y a de plus humiliant dans la manière dont on vous traite, c'est qu'un secrétaire d'état qui, par la nature de son département, approche nécessairement de près la personne du souverain, & a par conséquent l'occasion fréquente de communiquer au prince ses sentimens personnels, justifie devant vous le mépris que l'on vous marque ; en un mot, le discours ne vous informe de rien, parce que le ministre n'a pas jugé à propos de vous donner aucune information.

J'ai considéré, milords, avec toute l'attention possible les mesures que ce discours nous recommande elles sont une suite, une conséquence de tout ce qu'on a fait jusqu'à présent : je vois tout sous le même point de vue, & je pense, dans la sincérité de mon cœur, qu'elles auront nécessairement pour terme la ruine de ce pays. J'approuve l'addition proposée par le noble lord, par ce grand homme d'état, je l'approuve comme étant le premier pas, qui, nous mettant sur la voie des recherches, nous conduira à l'information ; sans cette information, je suis persuadé que nous continuerons, comme nous l'avons fait[p.309]jusqu'ici, à courir tête baissée vers notre ruine ; lorsqu'on sera instruit, alors on pourra délibérer sur les moyens les plus sages à prendre dans cette circonstances si jamais ce jour luit, je m'engage à faire mes efforts pour découvrir l'auteur ou les auteurs des mesures qui nous ont réduit aux extrémités actuelles.

Je me rappelle, milords, que le dernier jour où l'on discuta dans cette chambre les affaires de l'Amérique, un noble vicomte (Weymouth) à la tête d'un grand département, s'opposant à une proposition faite par le noble comte, dont la motion fait les débats actuels, fonda son opposition sur cet argument seul : nous avons déjà fait, dit-il, tous les frais de la campagne, elle sera ouverte avant que les résolutions que nous pourrions prendre arrivent en Amérique ; nous avons le plus grand espoir de réussir ; cet espoir est fondé sur le nombre, la discipline, l'intrépidité de nos troupes & l'habileté de nos généraux ; lorsque nous serons vainqueurs, il sera tems de traiter honorablement, on pourra alors écouter une pareille proposition ;& si nous ne réussissons pas, il sera encore tems de prendre le parti qu'on nous propose. Actuellement, milords, ce tems est venu, il est arrivé, accompagné de circonstances, qui, je crois, ajoutent aux motifs qui doivent nous faire adopter la motion du noble[p.310]comte. Les prédictions du noble vicomte ne sont point accomplies, ou si elles l'étoient, du moins nous n'en avons pas connoissance. La victoire ne s'est point déclarée pour nous ; s'il en est autrement, dans l'un, ou l'autre cas, le moment est venu où d'après les raisonnemens du noble vicomte, il est convenable de prêter l'oreille à la proposition qu'on renouvelle.

 

Lord Cambden remonte à l'origine de la guerre d'Amérique, qui est injuste & ruineuse ; prouve que ce sont les mesures calculées des Ministres ; qui l'ont provoquée, alimentée & portée à un point qu'il est impossible de la voir terminer avec succès, malgré toutes les belles promesses dont les Ministres ont toujours flatté la Nation.

 

Du 20 Novembre 1777.

Je me lève, milords, pour seconder la motion faite par le noble comte ; lorsque l'on vous proposa pour la première fois les mesures auxquelles l'adresse d'aujourd'hui donneroit la sanction de vos suffrages, quelques-unes des mêmes personnes qui ont la modestie de demander encore aujourd'hui votre concurrence, vous dirent [p.311]avec confiance qu'un seul dragon répandroit tant de terreur parmi les peuples de l'Amérique, qu'ils se soumettroient à l'instant. On ne crut pas prudent d'envoyer des dragons, & l'on passa un acte en vertu duquel le port de Boston devroit être fermé Au moyen de cet acte, non seulement on infligea un châtiment public qui ne devoit regarder que les mutins (car je soutiens que ce ne fut qu'une poignée de canaille qui détruisit le thé) ; mais dans le fait, on confisquoit la propriété des particuliers. Vous dépouillâtes les habitans de toute espèce de commerce, & par conséquent, de tous les moyens de subsistance ; mais ce qui étoit à la fois & plus étrange & plus injuste, vous punîtes la province entière de Massachusett-Bay à raison d'une émeute suscitée à Boston ; vous annullâtes sa chartre ;& comme si votre intention eût été de provoquer gratuitement à la révolte tous les habitans de l'Amérique, vous leur déclarâtes indistinctement la guerre, en les assujettissant à être transportés à votre choix, soit dans telle colonie, qu'il vous plairoit d'indiquer, soit même dans la Grande-Bretagne, pour y être jugés par des jurés à vos ordres, pour des délits commis dans leur pays.

Ces mesures produisirent l'effet désiré ; car il ne m'est pas possible de croire qu'elles n'ont[p.312]pas été calculées pour produire cet effet, tant l'événement a répondu à la nature des moyens employés. On parvint d'abord à arracher aux Américains des marques de mécontentement ; mais cela ne suffisoit pas encore aux vues du gouvernement ; ce n'étoit pas des plaintes que l'on demandoit, c'étoit une révolte ; la révolte seule pouvoit justifier les projets de massacre, de conquête, dont devoit résulter une soumission absolue & sans conditions. L'Amérique restoit dans le devoir, si on en excepte quelques résolutions vives, prises dans l'assemblée d'une ou deux misérables villes ; rien, dans les paroles ou les actions n'annonçoit de la résistance : le congrès se forme, cherche à désarmer nos ressentimens, présente au trône & au parlement ses supplications conçues dans les termes de l'obéissance & de l'attachement ; il ne lui échappe pas un mot qui ait rapport à la résistance, encore moins à l'indépendance ; enfin, la toile se lève, & la scène projetée commence Les habitans de Boston n'étoient pas encore morts de faim ; leurs frères dans toutes les parties de l'Amérique se rendirent coupables d'un crime qui approchoit beaucoup de celui de haute trahison ; ils contribuèrent entre eux, ils se cotisèrent pour donner des vivres & des vêtemens à leurs frères qui manquoient de l'un & de l'autre secours,[p.313]ils firent leurs efforts pour empêcher qu'ils mourussent de froid & de faim : on se hâta de passer un bill à l'effet de priver ces malheureux de tout secours d'humanité ; ce bill fut accompagné ou pour mieux dire précédé de la fameuse adresse qui déclaroit que la province de Massachusett-Bay étoit dans un état de rébellion ouverte. Alors tout étoit prêt ; au lieu du seul dragon, dont on avoit menacé d'abord, on dit que dix ou douze mille hommes suffiroient pour jetter la terreur dans tous les coins de l'Amérique ; l'adresse fut le signal des massacres & les autorisa ; les pauvres pêcheurs de Nantuhet, troupe paisible de Quakers innocens, parurent des objets dignes du courroux du parlement ; comme les Colonies septentrionales devoient être privées de pain, il étoit naturel que l'on songeât aussi à leur ôter la ressource du poisson ; mais tout cela ne produisit pas encore l'effet désiré ; les colons de la Nouvelle-Angleterre se déterminèrent à faire mentir l'adresse qui les déclaroit rebelles ; mais en mettant les choses au pis-aller, ils se mirent en état de défense. Il manquoit donc encore quelque chose, on vint à bout de tout ; on ordonna à nos troupes de commettre des hostilités, & la nécessité de se défendre fut enfin appellée rébellion effective ; cependant pas un[p.314]mot d'indépendance ! Je supprimerai les détails des hostilités qui ont été une suite de ces premières manœuvres ; j'observerai seulement que même à cette époque, plusieurs districts de l'Amérique nous étoient encore attachés ; il s'agissoit donc de trouver quelqu'expédient qui les révoltât tous, qui les réunît tous à un seul & même corps armé contre notre pays ; on eut le bonheur de trouver cet expédient dans la rédaction de cet acte à jamais mémorable, connu sous la dénomination de prohibitoire.

Cependant, les Ministres étoient encore inquiets, ils craignoient que le parlement ne voulût point aller aussi loin qu'ils le désiroient ; que firent ils ? Ils répandirent hautement par-tout, que l'on alloit faire passer en Amérique des commissaires chargés de concilier les différends par la voie de la négociation ; on donnoit pour compagnie à ces commissaires de paix, une flotte puissante, & 70,000 hommes ; ou laissoit aux Colonies le choix de rentrer dans leur ancien état de soumission, ou de s'exposer aux hasards de s'y voir contraints par la force. Quelle fut la suite de toutes ces promesses flatteuses ? On passa l'acte prohibitoire, & l'on ne donna d'autres pouvoirs aux commissaires, que celui de pardonner : ces commissaires étoient lord Howe& son frère, on les retint en Angleterre cinq mois[p.315]après que l'acte fut passé, & ils partirent enfin, revêtus des pouvoirs que l'on donne à tout commandant en chef, celui de recevoir la soumission des peuples, & d'accorder des pardons. Les Ministres avoient parlé jusques-là d'accommodement, mais alors il ne fut plus question que de soumission, sans conditions quelconques. Ce fut donc, milords, l'acte prohibitoire, qui força le congrès à déclarer l'Amérique indépendante. Je ne m'en rapporte pas à ce que le vieillard a dit, ni à ce que le vieillard a écrit[10] : je ne m'arrête pas aux prédictions sinistres, ni aux spéculations partiales de qui que ce soit, ce que je dis, porte sur des faits, & ne porte que sur des faits : je soutiens que les Américains n'ont jamais eu l'idée de devenir indépendans, jusqu'à ce qu'ils y aient été forcés par une chaîne de procédés injustes, arbitraires, & cruels ; jusqu'à ce que l'acte prohibitoire& la commission supposée (des Howes), qui partit avec lui, leur dirent en termes exprès :« Il faut que vous éprouviez toutes les calamités de la guerre, ou que vous vous soumettiez sans conditions ». Le noble comte à la tête d'un département[p.316](Suffolk), dit que dès les commencemens, l'Amérique tendoit à l'indépendance, & que dès 1774, on fit remarquer leurs desseins à la chambre : il donne pour preuve de cette assertion, l'entrevue qui eut lien à Staten-Island, entre lord Howe& les députés du congrès, qui refusèrent d'entrer en négociation, à moins que l'on ne reconnût l'indépendance de l'Amérique. Ces députés ont précisément fait ce que j'eusse fait à leur place ; connoissant la nature de la commission de lord Howe, & me supposant Américain, plutôt que de traiter à des conditions si mortifiantes, j'eusse refusé d'entrer en composition, à moins que la Grande-Bretagne n'eût reconnu l'indépendance de mon pays : les députés savoient que les pouvoirs des commissaires, se bornoient à accepter leur soumission sans conditions, & ils eurent raison de traiter ces commissaires avec le mépris qu'ils méritoient.

Voici la troisième campagne, milords, que l'on nous recommande du trône ; tout, nous disoit-on, tout nous promettoit les plus brillans succès. Je vous avouerai pour mon compte, que je n'ai pas plus confiance aux dernières assurances des ministres, qu'aux premières : cette guerre coûte déjà quinze millions sterlings à la nation : si on s'obstine à la continuer,[p.317]il est vraisemblable qu'elle absorbera le double de cette somme ; le seul moyen qui rende probable la possibilité de nous soustraire aux périls qui nous environnent, est d'adopter la motion du noble comte, ou de faire quelque chose qui entre dans l'esprit de l'addition proposée. Je ne prends pas sur moi d'affirmer que les Américains recevront ces. propositions, comme il seroit à souhaiter pour nous qu'ils les reçussent ; j'avouerai même, que si j'étois Américain, j'aurois beaucoup de peine à accorder ma confiance à un peuple, qui, dans tous les tems a donné des marques de ses dispositions pernicieuses & cruelles. Au surplus, si je me prêtois à entrer en traité de conciliation, j'aurois grand soin de ne pas laisser à ce peuple le pouvoir de me tromper encore.

[p.318]

 

Réplique de lord Weymouth, au Duc de Grafton qui l'avoit compromis dans son discours : nécessité de la continuation de la guerre d'Amérique.

 

Du 20 Novembre 1777.

Le noble duc au cordon bleu (Grafton) a cherché à trouver de la contradiction dans ma conduite, parce que je m'oppose à la motion qui fait l'objet des débats actuels ; il m'a imputé quelques expressions ; je ne crois pas qu'il soit parfaitement conforme à l'usage du parlement, de rappeller des expressions qui ont pu échapper dans des débats antérieurs au moment où l'on est assemblé ; mais, n'importe, il est aisé de démontrer qu'il n'y a pas de contradiction dans ce que j'ai dit alors, & dans la conduite que je tiens aujourd'hui ; ce que j'ai dit ne pouvoit signifier autre chose, sinon qu'il falloit attendre l'issue de la campagne prochaine ; pour juger de la nature des propositions qu'il conviendrait de faire. L'issue de cette campagne n'est pas encore connue, il n'y a donc pas encore de contradiction, ni dans mes paroles, ni dans ma conduite. Une objection très-forte s'élève, milords,[p.319]contre les raisons sur lesquelles le noble comte appuie sa motion ; il prétend, que si nous ne saisissons pas dans ce moment même, l'occasion qui se présente de traiter avec les Américains, la France prendra contre nous un parti public & décidé : la France, dit-il, a beaucoup fait, mais l'Amérique demande davantage ; l'Amérique est mécontente, parce que la France ne veut pas faire tout ce qu'elle demande. Il me semble, milords, que les choses étant ainsi, c'est pour nous un motif de plus de redoubler de vigueur ; c'est précisément ce moment de crise qu'il faudroit saisir, pour presser l'Amérique avec plus de vigueur ; elle est abandonnée, dit le noble comte ; c'est donc le moment où l'on peut se flatter de la faire rentrer plus promptement dans son état d'obéissance constitutionnelle : il y a plus, supposons (ce que j'ai toutes sortes de raisons de ne pas croire ; que la campagne actuelle nous a été désavantageuse ; dans ce cas, j'imagine que, ni le noble comte, ni ses amis, n'essaieront pas de nous prouver que l'addition à l'adresse soit convenable : si les Américains sont victorieux, voudront-ils se prêter à des négociations ? Certainement non. Telles sont les raisons, milords, qui m'engagent à ne pas seconder la motion du noble comte. Avant que[p.320]l'Amérique prête l'oreille à aucune proposition d'accommodement, il faut qu'elle ait senti le pouvoir de la Grande-Bretagne : je me flatte que nous ne tarderons pas à savoir sur quoi compter à cet égard ; lorsque nous connoîtrons l'issue de la campagne, il sera tems ;& il ne sera tems qu'alors, de faire éclater votre sagesse & votre humanité en prenant un parti conforme aux loix de l'honneur, à celles de la saine politique & à la dignité de la nation.

 

Résolution de la Compagnie des Indes Orientales dans les mêmes circonstances.

 

La compagnie unie des négocians d'Angleterre, commerçant dans les Indes orientales, prenant en considération la situation très-critique des affaires nationales dans les conjonctures présentes ; dans un moment où ces royaumes sont dans une appréhension bien fondée d'une invasion immédiate de la part des ennemis invétérés de cet empire ; pensant que l'existence de la constitution du commerce de la Grande-Bretagne, dépend de la supériorité de ses forces navales sur les forces actuellement combinées de la maison[p.321]de Bourbon : résout qu'il est du devoir de tous les sujets de ce pays, mais plus particulièrement des grandes sociétés commerçantes, de développer tous les efforts possibles, pour ajouter des forces à cette défense, très-importante & constitionnelle.

Résolu ;

« Que cette cour offre par la présente une gratification de trois guinées par tête pour les deux premiers mille de matelots habiles ; deux guinées par tête pour les deux premiers mille matelots ordinaires ;& d'une guinée & demie par tête pour les deux premiers mille hommes de terre (c'est-à-dire, qui n'ont point encore servi sur mer) qui se feront enregister volontairement pour servir à bord de la flotte de Sa Majesté, depuis & après ce jour 23 juin, & que les gratifications respectives seront payées en sus de toutes autres gratifications quelconques, sans frais ni retenue. »

Résolu ;

« Que cette compagnie fera construire, à ses frais, & avec toute la diligence possible, trois vaisseaux de guerre de soixante-quatorze canons chacun, avec mâts & vergues, lesquels seront délivrés à l'officier que Sa Majesté nommera pour les recevoir. »

[p.322]

Résolu ;

« Qu'il sera nommé un comité pour préparer & rédiger une humble adresse à Sa Majesté, à l'effet de lui rendre nos devoirs, de lui exprimer notre affection, & de faire parvenir ces résolutions aux pieds du trône. »

[p.323]

 

Septième section. Du commerce d'Angleterre.

 

Quand l'œil observateur du philosophe naturaliste parcourt les merveilleuses inventions de l'esprit humain, il contemple avec respect les atteliers de l'humaine industrie. Le spectacle du monde civilisé, plus proportionné à la foiblesse de sa vue, n'est pas moins admirable que l'assemblage immense de ces mondes roulans, avec lesquels il parcourt si rapidement les déserts de l'espace. S'il étoit un point où il pût se placer, & duquel il embrassât & réunît sous ses regards la surface du globe, il verroit le commerce, semblable a un dieu bienfaisant, pourvoir la terre, lancer sur les mers ces magasins flottans qui paroissent dans les contrées les plus opposées en des tems convenus, comme les saisons fidèles à ramener tous les ans ces fruits nourriciers dont la sage nature a dispersé les espèces dans les différens pays, pour multiplier par les besoins mutuels, les liens de la société. On le verroit occuper une prodieuse quantité d'artistes, qui ignorent[p.324]ce que devient l'œuvre de leurs mains, satisfaits de recevoir en échange de quoi pourvoir à d'autres nécessités. Mais pour arriver à ce point de faire circuler les jouissances dans les quatre parties du globe, il a fallu que toutes les nations y concourussent, & le commerce leur a prescrit quelle espèce de richesse il en attendoit. Pour les répartir avec équité, il invente des signes à la vue desquels les biens réels naissent sous la main de celui qui les désire. Ces signes sont les métaux. À leur aspect, les dangers s'éloignent, les forces se renouvellent, le courage renaît, les distances se rapprochent ; à peine on s'apperçoit des tempêtes. Si tel est leur empire, que ne doit-on pas à l'art qui les multiplie, après les avoir arrachés au sein de la terre ?

[p.325]

 

Discours de sir John Barnard, dans lequel il observe qu'il n'y a point de pays où il y ait un plus grand nombre de riches Commerçans que l'Angleterre ;& qu'il n'y en auroit point de plus favorable à l'ouvrier, si l'on prenoit garde dans l'assise des nouvelles taxes, de ne les porter que sur les maîtres des manufactures.

 

Du 21 Mars 1737.

Ceux de nos voyageurs, Monsieur, qui ne voient que superficiellement les mœurs & coutumes des pays par où ils passent, s'imaginent que le peuple, en Hollande & en France, est chargé d'un plus grand nombre d'impôts & plus oppressifs, qu'on ne l'est dans ce royaume ; parce que par-tout ils entendent le peuple se plaindre comme on fait ici. Mais toute personne au fait des choses & qui les aura approfondies, sera bientôt convaincue du contraire. Car, comme dans tous les autres pays de l'Europe, il n'y a certainement point un aussi grand nombre de riches commerçans & d'opulens manufacturiers que nous en avons dans ce royaume ; il s'ensuit qu'une infinité d'ouvriers dans ces pays, sont inoccupés & y meurent de faim faute d'ouvrage[p.326]& d'argent :& ceux mêmes qui sont employés, n'y sont pas beaucoup plus fortunés que les premiers, & ne peuvent jamais espérer ni obtenir avec leur travail journalier, qu'une honnête subsistance. Si vous venez donc à faire renchérir les ressources de cette subsistance par de nouvelles taxes sur les premières nécessités & commodités de la vie, les maîtres alors des manufactures doivent nécessairement augmenter les salaires des ouvriers, de manière que les taxes portent sur les manufacturiers étrangers ou nationaux, qui doivent supporter cette augmentation de salaires dans le prix des marchandises qu'ils commercent.

Or, voici quelle peut être la différence de ces impositions : la taxe, directement assise sur le maître manufacturier, l'empêche seulement de s'enrichir aussi promptement & de donner moins dans le luxe ; mais elle ne fera point hausser le prix de vos marchandises ; tandis qu'une taxe sur les choses de première nécessité, & qui vexe le journalier, renchérit nécessairement le prix de son travail, & conséquemment toutes les marchandises, soit pour le royaume, soir pour l'étranger, & finalement ruine votre commerce. Je conclus donc, que si le pauvre journalier, dans ce royaume, y est plus chargé d'impôts qu'il ne peut l'être dans tout autre pays de l'Europe, c'est un mal auquel il faut remédier avant[p.327]tout ; ou ce seroit donner sur nous un grand avantage aux autres peuples, pour peu qu'ils voulussent s'appliquer avec soin au commerce, comme il paroît aujourd'hui que toutes les nations de l'Europe s'y adonnent à l'envi avec beaucoup d'ardeur.

 

Discours de M. Pulteney, dans lequel il remarque que la protection du Commerce & de la Navigation, a été chez tous les peuples, un des objets les plus importans, & dont ils ont été le plus jaloux.

 

Du 30 Mars 1738.

Edouard III avoit tellement pris en considération le commerce & la navigation de la Grande-Bretagne, que sur des plaintes que lui firent nos commerçans, d'avoir été pillés par des pirates Espagnols, ou par leurs gardes-côtes, il fit sans délai équipper une flotte, & voulut lui-même, en personne, punir ces pirateries, commises envers ses sujets. Par cette vengeance éclatante, ce grand prince rétablit la liberté du commerce, & ajouta ce nouveau triomphe naval à plusieurs autres victoires remportées sur terre.

La protection du commerce & de la navigation,[p.328]a été, dans tous les tems, un des objets importans, que les nations sages & les plus grands souverains l'ont toujours eu à cœur. Les Romains mêmes, qu'on ne peut pas dire avoir été un peuple commerçant, paroissent y avoir pris beaucoup d'intérêt, comme le prouve le passage de Cicéron, où il leur reproche d'avoir négligé, de son tems de ruiner les pirates, & de ne pas venger l'honneur du pavillon de la république.

 

Discours de sir George Blaquière, dans lequel il fait remarquer dans la Chambre des Communes d'Irlande, les avantages qui résulteront des principaux articles du Bill tendant à naturaliser tout Marchand, Manufacturier & autres étrangers qui viendront établir leur domicile dans ce Royaume. Il propose un amendement par rapport aux Juifs.

 

Du 29 Février 1780.

C'est une invitation générale faite à tous les étrangers de venir s'établir parmi nous ; il faut donc, s'il a lieu, lui donner toute la publicité possible ;& pour cela, le faire traduire dans toutes les langues, & le faire afficher dans toutes ses villes capitales : mais il faut nécessairement prendre une précaution essentielle ; ce seroit[p.329]d'insérer dans le serment de fidélité, la formule telle qu'elle est usitée depuis les derniers actes, en faveur des catholiques, afin que la religion ne soit point un obstacle au bien que l'Irlande peut se promettre de ce bill. Quand l'occasion seroit favorable, mon intention seroit de proposer que tout étranger venant s'établir en Irlande, fût exempt pendant sept ans des taxes appellées paroissiales, La chambre ne sauroit cependant réfléchir trop sérieusement sur le mauvais effet que le bill produiroit infailliblement, en rassemblant tant d'hommes de mœurs & de religions différentes, celui d'ouvrir aux Juifs la porte de ce royaume : on est généralement porté à croire que les Juifs apportent avec eux les richesses : mais n'est-il pas encore plus certain qu'ils sont le fléau de tous les pays qu'ils habitent ? Usuriers & faux-monnoyeurs, ils ne s'occupent qu'à tromper, & ruiner les particuliers. L'on dira peut-être qu'ils servent à établir le crédit national : quant à moi, je regarde ce prétendu avantage comme un mal réel ;& la situation actuelle d'un royaume voisin en est la preuve. Je voudrois donc qu'on ajoutât au bill de naturalisation, la clause suivante :« bien entendu que rien de ce qui est contenu dans cet acte, ne pourra s'étendre aux Juifs, qui demeureront sur le même pied où ils sont dans les autres pays. »

[p.330]

 

Extrait de quelques débats parlementaires, entre MM. Eden & Burke ; par rapport au Bill proposé, tendant à abolir le Bureau de Commerce. Le sieur Eden fait valoir l'ancienneté de ce Bureau, son importance & son utilité. Le sieur Burke au contraire le juge inutile & trop dispendieux pour le laisser subsister davantage.

 

Du 7 Mars 1780.

Le sieur Eden, premier commissaire de ce bureau, après avoir déclaré qu'il considéroit l'affaire, non comme lui étant personnelle, mais comme nationale, & que ce qu'il avoit à dire étoit dicté par le désintéressement & l'amour du bien public, demanda qu'on voulut bien écouter ses raisons, & que l'on tantât de détruire par des preuves contraires les témoignages qu'il alloit citer en faveur du bureau, que la clause tendoit à supprimer. Il observa d'abord qu'il étoit contre l'ordre & contre l'esprit de la chambre, d'admettre une clause, tendante à abolir un office établi de tous tems, à moins que l'on n'eût prouvé sur des témoignages irréfragables, qu'il y avoit abus, & que la suppression étoit utile & nécessaire.[p.331]Il désiroit que l'honorable membre eût pris la précaution de s'instruire avant d'agiter une question aussi importante ; ajoutant qu'il pourroit lui fournir des mémoires sur cet objet depuis plus d'un siècle, & qu'il existoit deux milles trois cent volumes remplis des actes, &c. du bureau du commerce. Il se permit ensuite quelques remarques sur le peu d'humanité dont le sieur Burke avoit fait preuve, en s'égayant sur la mort d'un noble lord (Suffolk) dont le sieur Burke sembloit n'avoir évoqué l'ombre, que pour r'ouvrir la plaie que la mort de ce seigneur avoit ouverte dans le cœur de ses amis.

Le sieur Burke se défendit d'abord d'une imputation qui supposoit en lui un défaut d'humanité, dont il rougissoit d'être même soupçonné ; il avoua qu'il étoit vrai que voulant démontrer l'inutilité d'un troisième secrétaire d'état, il avoit pris pour preuve lord Suffolk, dont le département n'avoit rien perdu de l'infirmité continuelle de ce ministre, & dont les fonctions se sont continuées pendant un an, sans qu'on lui eût donné de successeur. Quant aux preuves que le sieur Eden offroit, le sieur Burke les acceptoit toutes excepté celle contenue dans les deux cent trente volumes annoncés, lesquels, dans le cas où la clause proposée seroit rejettée, serviroient de bûcher pour elle & pour lui, & mis en monceau,[p.332]ne dépareroient pas les énormes pyramides d'Égypte. L'orateur continuant, sur ce ton d'ironie, ajouta qu'il détestoit le bureau du commerce, comme inutile & dispendieux ; que, considéré comme académie de belles-lettres, il avoit pour ses membres la plus grande vénération ; que cependant, comme ils se trouvoient distraits, par trop d'affaires, de leurs occupations d'historiens & de poètes, il vouloit leur ôter ces entraves, qui tenoient, pour ainsi dire, leur génie en prison ; les priver des revenus considérables, dont ils jouissoient, d'autant que le trop d'aisance des savans a toujours nui au bien de la littérature ; que cette réflexion lui faisoit considérer le bureau du commerce comme un nid de corbeau, ou des rossignols seroient détenus prisonniers ; qu'il vouloit détruire le nid, afin que les charmans oiseaux, mis en liberté, puissent chanter plus mélodieusement.

Le sieur Eden parla une seconde fois en faveur de l'utilité de l'établissement qu'on vouloit abolir ; il en fixa l'époque sous Charles I, en 1636 ; en déduisit l'importance & l'utilité des services, rendus en différens tems par ses membres : tel que l'amélioration des monnoies & du commerce, l'examen utile de l'emploi fait des deniers publics, l'approbation donnée par ce bureau aux loix établies pour le bon gouvernement des colonies,[p.333]&c ; enfin, il fit voir que la dépense courante de ce bureau, se montoit annuellement à 8000 livres sterlings seulement, ce qui ne pouvoit pas faire un grand objet pour la nation.

Il ajouta qu'il ne lui convenoit pas d'entrer dans l'examen de ceux qui composoient un bureau, dont il avoit l'honneur d'être membre, se contentant d'observer, pour répondre aux plaisanteries du sieur Burke, que les Locke, les Addisson, les Prior, & quantité d'autres grands hommes y avoient eu séance. Il conclut, en priant la chambre de considérer, qu'il ne s'agissoit pas de suspendre les fonctions d'un bureau qui, depuis le coup fatal porté au commerce, n'avoit pas beaucoup à faire ; mais la question étoit, s'il étoit expédient d'abolir pour toujours un établissement aussi ancien, qui a rendu tant de services utiles, & cela sans preuves, sans allégations fondées, sans en donner aucune raison ; mais seulement parce qu'il plaît à l'honorable membre, ex proprio motu & non excertâ scientiâ, de mettre ce bureau au rang des places sans fonctions, & commencer par lui l'attaque générale qu'il se proposoit de livrer à chaque département de l'état.

[p.334]

 

Instructions arrêtées dans une assemblée de Francs-Tenanciers, du Comté de Dublin à leurs représentans, M. Luke Gardiner & sir Edward Newenham.

 

Du 7 Mars 1780.

Nous, vos constituans, après avoir reconnu, comme nous le devons, les avantages que notre commerce retirera de l'attention particulière que sa majesté a bien voulu y porter, de l'intégrité de notre parlement, de la fermeté de nos compatriotes ;& de la justice que la nation anglaise commence à nous rendre, vous déclarons nos intentions par rapport à ce qui suit ;

Il nous paroît que l'envie de monopoler le commerce étoit le seul motif qui pût faire imaginer à l'Angleterre qu'elle avoit le droit d'usurper une autorité législative sur ce royaume ;& que dès l'instant où elle a renoncé à ce monopole, elle a levé le principal obstacle qui s'opposoit à notre liberté ; qu'en conséquence la nation britannique ne s'obstinera plus à s'arroger un pouvoir arbitraire, dont elle ne peut tirer d'autre avantage que celui de réduire ce royaume à l'esclavage.

Nous demandons d'ailleurs si les efforts réunis[p.335]du parlement & du peuple d'Irlande doivent se borner à laisser cette île dans la dépendance, & soumise à des loix auxquelles la nation n'a point consenti, à des loix dictées par un parlement où elle n'a point de représentans ? Qu'on ne dise pas que ce pouvoir attribué au parlement anglais est chimérique : on en peut voir la preuve dans la révocation même d'une partie de ses actes & dans ce que quelques-uns déclarent, quoique faussement, que ce pouvoir est fondé sur les loix.

Ayant un droit égal aux libertés politiques & commerciales ; privés des unes & des autres, & cependant contens d'être rétablis dans la jouissance d'un commerce libre seulement, ne sembleroit il pas que nous renonçons absolument aux premières ? Cette idée seroit absurde. Il est donc de notre devoir de déclarer à l'univers que nous sommes de droit une nation libre, & que nous ne devons être soumis qu'aux loix faites par le roi & le parlement d'Irlande.

Ne désirant donc rien tant que de vivre toujours en bonne intelligence avec la nation britannique, à raison de l'union des deux couronnes, nos instructions sont que vous fassiez les plus grands efforts pour faire passer un acte qui établisse à jamais l'indépendance de la puissance législative en Irlande.[p.336]Nous voulons de plus, que vous tâchiez de faire modifier la loi de Poyning, en ôtant au conseil privé d'Irlande la puissance législative. En remplissant ces objets importans, vous vous couvrirez de gloire, & la nation sera satisfaite.

Il n'est pas douteux que vous vous occuperez aussi d'un plan économique, en faisant dans les dépenses publiques des retranchemens devenus nécessaires pour améliorer les revenus de la couronne, & faciliter le commerce de la nation.

 

Réponses de M. Luke Gardiner& de sir Edward Newenham à leur constituans. Ils s'engagent à remplir tous les objets de leurs instructions.

 

Du … 1780.

Messieurs,

Je partage la joie que vous exprimez à raison des avantages essentiels, obtenus pour le commerce de l'Irlande : je pense aussi comme vous, messieurs, qu'aucune puissance ne doit avoir la moindre part à notre législation, si ce n'est le roi, les pairs & les communes d'Irlande ;& je regarde ce principe comme ne pouvant être nié[p.337]par aucun ami de ce pays. Je suis convaincu que l'autorité de la législation Anglaise n'existe plus à l'égard de ce pays : cependant, si l'on peut suggérer au parlement quelque moyen actuellement praticable, d'en obtenir la déclaration formelle, je l'appuierai avec toute la chaleur dont je suis capable.

La loi de Poyning, en ce qu'elle concerne l'intervention du conseil-privé lorsqu'il s'agit d'un bill, n'est point un objet conséquent pour la Grande-Bretagne : si l'on révoque cette partie de la loi, le pouvoir de la couronne deviendra une partie plus efficace de la constitution, qu'elle ne l'est actuellement ; mais je crois que la Grande-Bretagne n'entend pas parfaitement cette matière ; lorsqu'elle l'entendra mieux, je suis certain que l'on ne trouvera pas de difficulté à obtenir le changement que vous proposez. À en juger par la conduite que la Grande-Bretagne a tenue en dernier lieu jusqu'à ce jour, nous devons conclure, qu'après nous avoir accordé plus que nous avions droit d'en attendre sur des points qui paroissoient être de la plus grande conséquence, elle ne s'opposera pas aux vœux raisonnables de ce pays, pour des objets qui ne sont d'aucune importance pour elle.

Je donnerai toute l'attention possible à l'état des revenus publics, & je ferai tous mes efforts[p.338]pour mettre les dépenses de la nation sur un pied proportionné à ses moyens. J'ai l'honneur d'être, &c.

 

Réponse du second Représentant sir Edward Newenham, aux mêmes Constituans.

 

Du… 1780

Messieurs,

J'ai l'honneur de recevoir vos instructions des mains de votre digne shérif ; l'esprit qu'elles respirent, est le caractère qui distingue vraiment des hommes libres, déterminés à soutenir l'indépendance & l'honneur de leur pays : mon devoir, ainsi qu'une uniformité parfaite de sentimens, réglera ma conduite d'une manière conforme à vos désirs ; je n'ai point d'intérêts séparés des vôtres.

Les grandes mesures, ces mesures importantes & absolument nécessaires, que vous recommandez, trouveront en moi l'appui le plus ferme ; je suis parfaitement persuadé qu'elles peuvent seules assurer une sécurité permanente aux réglemens récemment faits à l'égard du commerce ; je conviens avec vous, que nous devons beaucoup à l'affection paternelle de notre[p.339]roi, & à la justice naissante de la nation Britannique, mais nous devons davantage au développement glorieux des efforts de nos francs-tenanciers, de nos citoyens libres.

Un retranchement dans les dépenses publiques est une mesure nécessaire qui ne doit point éprouver de délais, & je concourrai avec empressement dans celles dont l'objet sera d'abolir tout emploi inutile, toute pension non méritée : lorsque ces objets seront obtenus, le royaume entier s'unira pour obtenir un bill qui assure l'indépendance du parlement, en limitant le nombre des membres pourvus de places, qui pourront y siéger, & en excluant tout membre pensionné ; il est également absurde & inconstitutionnel de voir des gens de cette espèce se distribuer entre eux les deniers du trésor public. J'ai l'honneur d'être &c.

[p.340]

 

Discours de M. Fox, contre une motion de lord North tendante à ce qu'il fût notifié à la Compagnie des Indes, de la part du Parlement, que le 5 Avril 1783, le Gouvernement lui rembourseroit la somme de quatre millions deux cent mille livres sterlings, qui lui est due par le public, avec les arrérages.

 

Du 21 Mars 1780.

Le noble lord n'est-il donc pas content de nous avoir fait perdre l'Amérique ? Est-il déterminé à ne quitter la place qu'il occupe, que lorsqu'il aura réduit les possessions de la couronne aux confins de notre île : Que signifie cette motion nouvelle ? Que renferme-t-elle ? Une menace ! la plus vaine, la plus puérile des menaces : menace faite dans un moment où il fait qu'il ne veut, ni ne peut la mettre en exécution : pourquoi donc la hasarde-t-il ? Il ne peut avoir qu'un objet, celui d'anéantir les possessions de la compagnie dans l'Inde, & de priver son pays des revenus immenses qu'il tire de ces possessions, du commerce qu'elles facilitent ! Lorsque l'on n'ose pas exécuter une menace, il est non-seulement ridicule, il est dangereux de la hasarder : que le noble lord y fasse réflexion, qu'il[p.341]jette un instant les yeux sur le spectacle d'anarchie, de confusion, de détresse & de ruine, qu'offriroit infailliblement l'exécution d'une menace pareille. Juste ciel ! il me fait frémir ! En supposant, pour un instant, que l'intention du noble lord est de mettre cette menace en exécution ; en supposant qu'il est en état de le faire, le pourroit-il, sans que le public en souffrît considérablement ? Sur quel pied cet argent seroit-il remboursé ? Le noble lord ignore-t-il que le principal de la dette doit être remboursé au pair : que ce principal, de quatre millions deux cent mille livres sterlings, ne portant qu'un intérêt de trois pour cent, se trouvant ainsi réduit au cours de la place, à soixante, sur chaque cent livres sterlings que le public rembourseroit, il seroit une perte claire de quarante livres sterlings.

D'un autre côté, comment le noble lord s'y prendroit-il pour faire verser dans les coffres publics, les revenus que la nation doit tirer des possessions territoriales de la compagnie ? Ignore-t-il qu'il faut un canal quelconque pour faciliter l'importation de ces richesses ? En connoît-il un meilleur que celui de la compagnie ? A-t-il formé le plan d'établir une compagnie nouvelle, sur les ruines de celle qui existe avec tant d'utilité pour la nation ? D'une part, le noble lord[p.342]fait, ou doit savoir, qu'il ne peut en vertu d'aucune loi, accorder un commerce exclusif à une compagnie nouvelle ; de l'autre, s'il lui étoit en effet possible de mettre une nouvelle compagnie sur pied, où cette compagnie trouveroit-elle ses fonds ? Mais le noble lord savoit, sentoit tout cela ; il savoit que la compagnie riroit de l'impuissance de sa menace, & Dieu veuille qu'elle ne prenne en effet, d'autre parti que celui d'en rire ; si elle prenoit la chose sérieusement, si elle croyoit que l'intention & la possibilité de la rembourser, existent véritablement, malheur aux revenus publics, malheur à toutes les acquisitions que nous avons faites, malheur à l'empire Britannique en général ! Si la compagnie s'attendoit sérieusement à sa dissolution, qu'auroit elle à faire de plus pressé ? De faire passer en Europe tout ce qu'elle possède dans ces contrées de transport, afin qu'en faisant argent de tout, son dernier dividende fût le plus considérable possible : ainsi nos possessions dans l'Inde, dépouillées de tout ce qui contribue à leur conservation, se trouveroient à la merci du premier occupant !

J'ai vu dans quelques feuilles publiques, les propositions arrêtées par la cour générale des actionnaires, & rejettées par le noble lord : je ne les ai pas généralement approuvées, mais rapprochées de l'idée seule d'une dissolution de[p.343]la compagnie, elles sont comparativement avantageuses ; elles promettent du moins à la nation, des revenus, considérables ; l'autre parti ne présente qu'une ruine certaine dans sa triste perspective : au reste, pourquoi en est-on venu à ces extrémités ? Pourquoi cette mauvaise intelligence entre la compagnie & le noble lord ? C'est que le noble lord a voulu étendre son influence sur la compagnie.

 

Discours éloquent de M. Burke, sur le même sujet. Il s'emporte jusqu'à oser dire que le projet de la dissolution de la Compagnie des Indes, & de l'établissement d'une nouvelle, ne peut être sorti que du cerveau d'un homme ivre.

 

Du 21 Mars 1780.

C'est donc comme s'il traitoit avec un ennemi, que le noble lord veut traiter avec la compagnie des Indes ! O petitesse ! O démence ! La manière de compter du noble lord, se réduit donc à la règle suivante : tout ce que nous ne gagnerons pas au marché, estune perte réelle. Eh ! mais avec cette manière de calculer, on feroit d'assez bons marchés, car on finiroit toujours par tout prendre ? En vérité, je suis ému jusqu'à[p.344]l'indignation, & la motion que je viens d'entendre, présente à mon esprit l'idée là plus folle, la plus absurde, la plus perverse, la plus insensée, la plus scélérate… Que dirai-je de plus ? Une pareille idée me paroît n'avoir pu être conçue que dans un cerveau troublé par les fumées du vin ! J'y reconnois la sagesse d'un homme ivre ! Le beau plan, que celui de former une compagnie nouvelle ! Il pourrait marcher à côté du système, & eût fait un honneur infini au célèbre Law ! Ce grand faiseur de projets revit parmi nous, & nous avons des hommes, qui, comme lui, savent encore faire des bulles d’eau ; nous en avons beaucoup d'autres, disposés à prendre ces bulles pour des corps solides : qu'ils prennent garde à eux, qu'ils se gardent bien de concourir à seconder un plan, qui, je le répète, est celui d'un homme ivre ; un plan, dont le danger se montrera dans toute son étendue, si l'on veut faire une seule réflexion : que nous dit le noble lord pour nous engager à le seconder dans le grand ouvrage de la dissolution de la compagnie ? Il nous dit que c'est pour notre bien, que c'est pour augmenter les revenus que nous tirons de l'Inde : fort bien ; que nous disoit ce même noble lord, lorsqu'il cherchoit à nous embarquer dans la guerre d'Amérique ? C'étoit encore pour notre bien, & nos revenus[p.345]devoient en recevoir une augmentation considérable : il y a paru ! Comme l'événement a bien manifesté la sagesse du ministre ! Au nom de Dieu, ne soyons pas une seconde fois dupes de ces spéculations d'accroissement dans nos revenus, ces spéculations sont ruineuses ; la richesse en spéculation, est pire que l'indigence, parce qu'aux privations attachées à ce dernier état, elle joint toute l'horreur de la ruine ! Le noble lord nous parle du public, des droits du public, &c. Comme si la compagnie des Indes ne formoit pas partie de ce public ; comme si elle n'en étoit pas, aux yeux de cette chambre, une portion aussi précieuse, aussi digne d'attention que peuvent l'être, & le noble lord & ses projets, & ses collègues & ses prédécesseurs. Je sens que la chaleur m'a emporté trop loin, j'en demande pardon à la chambre ; mais le sujet est d'une si haute importance, il m'a tant affecté ; que je n'ai pu parler avec modération de la motion funeste & allarmante que le noble lord vient de hasarder : je le conjure de ne point la soutenir avec opiniâtreté, de ne point précipiter le jugement de la chambre ; d'attendre que chaque membre, pénétré de l'importance de l'affaire, instruit de ses circonstances, de ses suites, puisse prononcer de sang-froid, & avec connoissance de cause.

[p.346]

 

Discours sur le même sujet, du Général Smith, dans la cour générale des Actionnaires tenant leur assemblée de trimestre, contre cette assertion : Que la Compagnie n'avoit jamais rendu le moindre service à l'État, abstraction faite des avantages résultans de son commerce. Il finit par demander une loi qui exclue tous gens à contrats de la direction de la Compagnie.

 

Du 22 Mars 1780.

Je demande s'il ne seroit pas à désirer que l'administration eut donné à la conduite de la guerre, la moitié de l'attention que la compagnie y a donnée ?& c'est de la dissolution de cette compagnie que le ministre ose s'occuper ! Je dis qu'il s'en occupe, quoiqu'il affecte de protester le contraire, & j'ai mes raisons pour penser qu'il s'en occupe plus sérieusement qu'il ne voudroit qu'on l'en soupçonnât ; il lui faudroit une compagnie généralement plus souple, plus soumise, plus vouée à ses ordres : dans son état actuel, il n'en a que les directeurs à sa disposition, il est curieux d'entendre ce noble lord se récrier contre le reproche d'avoir humainement fait tout ce qui étoit en son pouvoir pour établir son influence[p.347]sur la compagnie. Eh ! à qui espère-t-il persuader qu'il n'a pas fait cette tentative ; qu'il ne l'a pas renouvellée cent fois, qu'il n'a pas obsédé les portes de nos assemblées ? N'est-il pas de notoriété publique que toutes les fois qu'il s'y est agi de questions de quelqu'importance, son influence a percé ? Que c'est lui qui a arrêté la liste des six directeurs qui doivent être élus annuellement ; que c'est lui qui a introduit dans la direction des hommes dont, non-seulement les visages, mais même les noms étaient inconnus aux directeurs des actionnaires ! Grâces au ciel, nous sommes enfin sortis de l'état de léthargie, dans lequel cette influence nous avoit plongés, nous nous sommes éveillés avec le corps de la nation, les tems d'illusions ne sont plus, Je proteste solemnellement ici, que je désire bien sincèrement que les choses s'arrangent entre le public & la compagnie ; mais je pense que cette même compagnie, par respect pour sa dignité, n'a plus d'avance à faire à lord North : il vaut mieux que les choses restent dans l'état où elles sont ; il est à espérer que la voix du peuple, & la nécessité des tems ne tarderont pas de produire une révolution dans le ministère, & cette révolution en produira une dans les affaires publiques ; en attendant, pour préparer les voies aux réformes, que l'on peut espérer, afin de seconder, autant[p.348]qu'il est en nous, les mesures que prennent les corps publics, pour affoiblir l'influence ministérielle ; je demande que la cour s'ajourne à huitaine, & qu'elle s'assemble à l'expiration de ce terme, pour passer une loi aux fins d'exclure de la direction de la compagnie, tous entrepreneurs (gens à contrats) ; les communes nous ont frayé la route de l'indépendance, en nous donnant cet exemple, empressons-nous de l'imiter, & que les instrumens de la corruption soient désormais exclus de nos cours, comme ils le sont des communes d'Angleterre.

 

Harangue de M. Fitzgerald aux Actionnaires intéressés dans les fonds de la Compagnie des Indes Occidentales, & assemblés à l'effet de prendre une connoissance exacte des affaires de la Compagnie. Il demande qu'il soit formé un comité de douze actionnaires seulement, chargé de la conduite de cette enquête. Il les flatte de la destruction prochaine de l'influence ministérielle.

 

Du 8 Novembre 1780.

Je commencerai, messieurs, par solliciter votre assistance, dont je sens que j'ai le plus grand besoin, pour conduire l'affaire la plus difficile & la plus compliquée. Il y a long-tems, très-long[p.349]tems, que cette enquête étoit nécessaire ; j'espère quelle sera strictement faite, & que chaque actionnaire, pour la première fois de sa vie ; connoîtra enfin sa situation particulière, ainsi que la situation générale de la compagnie : ce second objet doit, sur-tout, fixer notre attention particulière, par la raison simple que le premier en dépend totalement : pour se former une idée, à peu-près juste de notre situation en général, il faut savoir d'abord que, par l'effet d'une fatalité particulière, les affaires de la compagnie ont toujours été soumises à l'influence d'un petit Nabob, qui n'a cessé de leur nuire, qui ne cessera de travailler à notre ruine, que lorsque nous lui en aurons ôté les moyens ! Le premier pas à faire est donc de renverser ce fantôme de puissance qui nous opprime : c'est à quoi nous ne réussirons, qu'autant que nous nous chargerons nous-mêmes de la conduite de nos propres affaires, qu'autant que nous nous garderons bien de nous en rapporter à qui que ce soit : cette résolution, une fois prise, tout rentrera dans l'ordre ; mais il ne faut rien précipiter : les résolutions qu'il sera convenable de prendre, doivent être fondées sur une connoissance de notre situation à tous égards : lorsque, il y a six semaines, je fis la motion, dont l'objet nous rassemble aujourd'hui, je n'avois pas considéré[p.350]l'enquête qu'elle avoit en vue dans tous ses détails, dans l'immensité de son étendue ; ces difficultés de toute espèce, m'ont frappé depuis, je sens qu'il est impossible de traiter une affaire si compliquée en présence d'une cour générale des actionnaires : je me propose en conséquence, que dans leur nombre il en soit choisi douze, qui formeront un comité spécialement chargé de la conduite de l'enquête ; autorisé à examiner les papiers, les comptes, les archives de la compagnie ; à interroger au besoin les personnes, dont il croira tirer quelques lumières, & finalement qu'il sera tenu de faire son rapport à la cour générale des actionnaires.

 

Adresse des sujets de la Grande-Bretagne établies au Bengale, à la cour des actionnaires pour les informer d'une pétition qui va être présentée au Parlement, tendante à obtenir le redressement des griefs qui résultent pour eux de l'établissement d'une Cour de justice.

 

Du 8 Novembre 1780.

Messieurs,

Les sujets Anglais établis au Bengale, ayant pris la résolution de présenter une pétition au[p.351]parlement, pour en obtenir le redressement des griefs, qui résultent pour eux de l'établissement d'une cour suprême de justice ; nous ayant choisis en conséquence, pour former un comité, chargé de faire passer cette pétition en Angleterre, nous nous croirions inexcusables, si nous négligions cette occasion, de communiquer ce qui se passe aux actionnaires, si essentiellement intéressés à tout ce qui a rapport au bien-être du Bengale.

Une pétition, dont l'objet principal est d'établir, dans tous les cas, le tribunal des jurés, sur le pied d'où il est en Angleterre, doit intéresser quiconque sait mettre un prix aux libertés de son pays : à plus forte raison, vous, messieurs, qui, en votre qualité d'actionnaires, avez un intérêt particulier à seconder une pétition, dont le succès tend à limiter des pouvoirs, dont l'exercice, s'il étoit continué, détruiroit tôt ou tard vos possessions dans le Bengale.

Nos plaintes n'émanent point de l'esprit de faction ou de ressentimens personnels, nos craintes ne sont point imaginaires ; elles sont fondées sur l'expérience & sur l'observation ; mais en supposant pour un moment que ces craintes, telles qu'elles sont exprimées dans la pétition, seroient plutôt le résultat de notre sensibilité & de notre prévoyance, que d'aucune circonstance frappante qui pût les justifier ; en[p.352]supposant que les naturels du pays, patiens par caractère, endurans par habitude, se soumettroient encore à des provocations ultérieures avant de prendre le parti de la résistance, & différeroient de quelques années de plus l'extirpation totale des Européens établis dans le Bengale ; les pouvoirs de cette cour suprême de justice, excercés sans connoître de limites ou de restreinte, opéreroient toujours en détail la ruine de ce royaume, dont ils rendroient la possession absolument infructueuse à ceux qui en seroient revêtus.

Lorsque vous considérerez d'un côté les dépenses énormes qu'entraîne cette cour ; de l'autre la perte des revenus, occasionnée par la connoissance qu'elle prend des matières dont le corps législatif ne lui a point attribué le département, lorsqu'à ces considérations vous ajouterez les amendes, dommages, frais, & autres dépenses auxquels on est exposé toutes les fois qu'il s'agit de défendre vos serviteurs dans les procès qui leur sont intentés, vous ne demanderez point d'autres preuves de la vérité de nos attentions. Tremblant sans cesse pour leur liberté & leur propriété, vos officiers ministériaux ne peuvent plus agir avec vigueur, le gouvernement de ce pays est relâché dans toutes ses branches, & tend de la manière la plus marquée vers la confusion & l'anarchie.[p.353]Nous vous conjurons donc de joindre en cette occasion vos efforts aux nôtres ; nous le faisons fermement, convaincus que si nous n'obtenons pas le redressement demandé, vous ;aurez des ports sans commerce, des possessions sans revenus, & un territoire sans habitans.

 

Discours du Général Smith, aux Actionnaires de la Compagnie des Indes, assemblés à l'effet de nommer un successeur à sir Thomas Rumbold qui venoit de résigner son gouvernement du fort Saint-George. Il leur présente le tableau allarmant de la situation des choses dans l'Inde, & finit par leur faire sentir l'importance ; dans ce tems de crise de bien choisir un Gouverneur qui ne soit pas la créature de l'administration ; mais un homme éprouvé par ses services ;& digne de répondre à la confiance de la Compagnie.

 

Du 2 Novembre 1780.

Si vous jettez les yeux sur les possessions de la compagnie, par-tout où vous les porterez, vous trouverez le désordre ; mais de tous les objets propres à vous alarmer, celui qui vous glacera d'effroi, est le spectacle que vous présente la côte[p.354]de Coromandel : là vous verrez vos trésors épuisés, os gouvernemens en proie aux troubles, déchirés par les factions : par-tout le désordre & la confusion se trouveront sur vos pas : la guerre dans laquelle on vous a embarqués dans cette partie du monde, est une guerre infiniment plus ruineuse qu'il n'est possible de le concevoir ? On vous y a embarqués pas à pas, & il sera difficile de vous ramener avec honneur au point dont vous êtes partis. Dans l'état où se trouvent les choses, la première idée qui se présente naturellement est d'employer, pour les rétablir, la personne que vous jugerez la plus capable de vous rendre les services que les circonstances exigent : il est à espérer que parmi vos propres serviteurs, vous trouverez quelqu'un qui mérite votre confiance ; si vous consultez à cet égard la politique des autres nations, vous verrez que de cinquante-trois gouverneurs qu'emploient les Portugais, ils n'en choisissent que trois en Europe, & que dans les vingt-huit qu'emploient les Hollandais, ils ont grand soin de ne prendre que les personnes qu'ils savent être profondément versées dans la connoissance de leurs affaires : je ne puis goûter le système que je crains que l'on ne s'efforce de vous faire adopter, de donner votre confiance à des personnes qui, du moment où elles en seroient honorées, ne vous regarderoient pas comme la[p.355]cour suprême à laquelle elles doivent exclusivement compte de leur conduite ; on a fréquemment sollicité mon suffrage en faveur d'un noble lord (lord Macartney), qui aspire à la présidence du fort Saint-Georges : j'ai constamment refusé, parce que j'ai cru cette nomination incompatible avec les suggestions de la justice & de la saine politique : je vous supplie d'observer que si des hommes qui ont blanchi à votre service, & qui ont long-tems combattu pour vous au champ de Mars, ou utilement défendu vos intérêts dans le cabinet, perdent l'espoir de recevoir un jour le prix de leurs services, il ne reste plus d'aiguillon pour le mérite : vos intérêts cesseront d'être le principe des actions de vos serviteurs, ils ne s'occuperont plus que des leurs : c'est ce qui arrivera, si vous les révoltez par l'injustice ; si vous appeliez aux emplois qui leur sont destinés, des étrangers qui n'ont aucun rapport, aucunes liaisons avec la compagnie, & dont les prétentions ne sont fondées que sur l'influence illégitime d'un pouvoir qui agit en secret : ne sentez-vous pas que si le noble lord qui sollicite vos suffrages les obtenoit, tout changeroit de face dans vos conseils … Je ne sais, mais je crains tout d'une certaine part ;& des événemens récens, en renouvellant mes alarmes, ont redoublé ma défiance… Ne perdez jamais de vue les dernières[p.356]propositions de lord North : si vous les eussiez acceptées, je vous demande ce que seroit aujourd'hui la compagnie ? Un bureau de commerce dépendant du gouvernement ! C'est ce même ministre qui vous présente aujourd'hui un gouverneur de son choix : si vous souffrez qu'il place sa créature à la tête de vos affaires, vous aurez à peu-près perdu le droit d'élection ; lorsque le moment du repentir arrivera, il ne sera plus en votre pouvoir de réparer la faute : je propose, en forme de motion, qu'il soit résolu :

« Que sir Thomas Rumbold ayant résigné le gouvernement du fort Saint-Georges, comme il est nécessaire que la personne qu'on lui donnera pour successeur, unifie à d'autres qualités requises une connoissance locale de ce gouvernement & de ses dépendances, il sera donné pour instruction, aux directeurs, de choisir quelqu'un qui soit ou qui ait été l'un des serviteurs de la compagnie ».

[p.357]

 

Huitième section. Finances d'Angleterre.

 

C'est une manie incurable chez les gens qui pensent : ils veulent toujours ouvrir les yeux du public sur certaines opérations, tandis que l'administration a répété cent fois, qu'elle vouloit gouverner un peuple d'aveugles, & ne recevoir, ni avis, ni représentations. Les sujets doivent travailler, combattre & payer ; les ministres, penser & ordonner, mais sur-tout jouir. La cour, le parlement en discorde sur tout le reste, se réunissent pour établir ce nouveau code : mais leurs soins paternels sont sans succès. On exile les auteurs ; ils écrivent dans leur exil : on les enferme dans la bastille, ils rêvent dans leurs cachots aux belles opérations du ministère. Si cette liberté de penser continue, il faudra en brûler quelques-uns au lieu de leurs ouvrages, & surtout, leur mettre un bâillon comme à Lally ; car de leurs bûchers, ils pourroient bien encore faire entendre cette maudite vérité, qui déconcerte le plan des grands hommes de nos jours. Si cette envie vous prenoit sérieusement, messieurs[p.358]& consorts, réfléchissez cependant, que les gens de lettres sont presque tout. Leur plume sert la judicature, la finance & le ministère ; elle trace successivement un livre économique ou anti-économique, un mémoire, un manifeste ;& tout ce qui va au public, est composé ou revu par eux. « Dans la machine du gouvernement, comme dans la boîte d'une montre, c'est toujours une roue de cuivre qui fait tourner une aiguille d'or. »

[p.359]

 

Réplique de M. Shippen, à la motion de sir Robert Walpol, tendante à assurer au nouveau Roi ; un revenu plus considérable que celui de sept cent mille livres sterlings dont jouissoit annuellement son prédécesseur. On trouve dans ce Discours des détails curieux sur l'emploi que la Reine Anne faisoit de son revenu ;& sur les traces & subsides ruineux qui s'étoient joints aux sept cent mille livres annuelles accordées a Georges premier.

 

Du 3 Juillet 1727.

M. l'Orateur,

Je pense comme l'honorable membre qui a parlé le premier, (sir Robert Walpole) par rapport à l'heureux avènement de sa majesté[11] au trône ; qu'il ne peut y avoir d'autres débats à cet égard, sinon, qui de nous fera éclater davantage son zèle pour contribuer au service de sa majesté ; pour lui exprimer de la manière la plus étendue, ses sentimens de fidélité, de loyauté & de respect. Mais en même-tems, l'honorable[p.360]membre conviendra, qu'il faut que ce juste hommage s'accorde avec ce que nous devons à ceux que nous représentons, qu'il s'accorde avec la confiance que la nation a placée en nous ; qu'il s'accorde enfin, avec cette réserve dont la chambre doit user, à laquelle elle s'est obligée, toutes les fois qu'il plaît à la couronne d'y avoir recours ;& alors, que la chambre des communes exerce le grand privilège qui lui a été confié, d'accorder les subsides.

Aujourd'hui, cependant, malgré tout ce qu'on a pu dire ; je pense que nous nous écartons autant de la loi que nous nous sommes imposée, d'une juste économie, que nous excédons le revenu accordé au feu roi[12], soit que l'honorable membre fasse monter au plus haut cet excédent, à 93,000 livres sterlings par an ; soit que, suivant un autre calcul, que je crois beaucoup plus exact, il passe 130,000 livres sterlings.

Au reste, je me souviens très-bien, que si les finances du feu roi ont été portées annuellement à une somme de 700,000 livres, (regardée aujourd'hui comme très-insuffisante), cette somme, cependant, ne lui a jamais été accordée sans de graves & de longs débats, où tous ceux du parti[p.361]de la cour, convenoient eux-mêmes que ce revenu, étoit très-ample, & bien capable de satisfaire sa majesté. Et ces pétitions ne se faisoient point brusquement & sans réflexions, mais après un mûr examen ; après que toutes les branches de la liste civile de la reine[13] se trouvoient insuffisantes ; après avoir plusieurs fois supputé les charges de l'état, ce qui exigeoit l'entretien de la famille royale, & ce qui étoit nécessaire pour soutenir l'honneur & la dignité de la couronne ; après avoir pesé avec attention, quels fonds seroient suffisans pour répondre à l'ordinaire & à l'extraordinaire du gouvernement civil, pour remplir les augmentations convenables & nécessaires, des gages, des pensions, des gratifications, des charités de sa majesté, ainsi que le service secret au-dedans & au-dehors du royaume ; en un mot, tout ce qui pouvoit contribuer à l'avantage d'une juste & sage administration.

Plusieurs de ces pétitions ont été présentées par l'honorable membre lui-même, & par quelques autres, qui alors dans les grands emplois, furent à portée d'éprouver les bontés de sa majesté ;& qui, par cette raison, se seroient bien gardés de chercher à abaisser la majesté royale, par un revenu trop mesquin & trop borné.[p.362]Non, monsieur, les changemens survenus dans la famille royale, ne sont point des raisons d'en augmenter la dépense. Si l'établissement demandé pour la reine, doit être beaucoup plus considérable ; si son grand caractère & ses vertus royales, que vous avez justement relevées dans votre dernière adresse, autorise sa majesté à un degré de splendeur inconnu aux reines qui l'ont précédée avant elle ; si, dis-je, l'établissement de la reine doit être augmenté, je pense au moins que l'état qu'on peut faire au prince Frédéric, doit être, sans doute, beaucoup moindre que celui qui étoit assuré à sa majesté, lorsqu'il étoit prince de Galles. D'ailleurs, les heureuses intentions de la majesté, de travailler à l'aggrandissement & à la félicité de ses peuples ;& pour répondre à leurs vœux, de ne point s'absenter du royaume, nous font espérer qu'une infinité de dépenses particulières & personnelles, occasionnées principalement par les fréquens voyages du feu roi à son électorat d'Hanovre, seront interrompues, & même cesseront tout-à-fait.

Et il ne faut pas objecter le tems où l'on accordoit au feu roi 700,000 livres, pour dire, en comparant la recette avec la dépense, que l'expérience des derniers tems, prouve que ce revenu ne suffisoit point aux besoins du gouvernement[p.363]civil ; car l'expérience ne prouvera jamais la vérité de cette assertion, sous le règne de la reine, puisque rarement, toutes les branches de sa liste civile, ont-elles monté à 600,00 liv. sterlings ; le plus communément, à 550,000 liv. environ ; quelquefois même, peu au-dessus de 500,000 livres, comme les états justificatifs, soumis précédemment à cette chambre, en font foi. Et je veux croire, quoiqu'on dise pour mon honorable ami, que ces comptes fournis par la trésorerie, doivent être vrais & exacts ; j'en demande pardon à la chambre, j'aurois dû dire l'honorable membre, car il n'y a point d'amitié entre nous. Il me permettra de plus, d'observer, quand il avance que les branches de la liste civile de la reine, alloient à 700,000 livres environ, par an, qu'il a dû nous faire entendre par-là, non pas sa dépense précise, mais seulement un total très en gros, ce qui ne rend pas son argument absolument exact.

Quoique le revenu de la reine fût si modique, il est à remarquer, cependant, qu'elle n'eut recours au parlement qu'une seule fois, durant un règne de treize années, pour éteindre les dettes contractées pour le gouvernement civil. Mais je dois à cet égard, la justice à la mémoire de cette princesse incomparable, de rappeller ici les motifs[p.364]de ces déficit, qu'une piété, qu'une libéralité rares & sans exemples, occasionnèrent.

Sa majesté donnoit annuellement, pour suppléer les secours du pauvre clergé, les dîmes & premiers fruits, que l'honorable membre qui présente la motion, fait monter aujourd'hui à 19,000 liv. sterlings par an. Elle faisoit au duc de Malhorough, une pension de 5,000 livres sterlings sur les postes ;& sur le revenu de ces mêmes postes, elle sacrifoit toutes les semaines, pour le service public, une réserve de 700 livres, sacrifice considérable, si l'on fait attention que ces sommes réunies, lui eussent procuré pour ce seul objet, un total de 8,000 livres sterlings. Elle consacra quelques 100,000 liv. sterlings, pour faire bâtir au duc le château de Blenheim. Elle faisoit une pension de 4,000 livres sterlings au prince Charles de Dannemarck. La reine essuya des pertes considérables sur le contrat de l'étain laminé. Elle procura d'amples secours aux malheureux Palatins[14]. Enfin, elle abandonna 100,000 livres, peur suppléer aux frais de la guerre.

Voilà, monsieur, les motifs de la munificence royale de cette grande princesse, & quelques[p.365]autres, que ma mémoire infidèle dans ce moment, peut omettre, qui mirent sa majesté dans la nécessité de faire au parlement, une demande de 500,000 livres. Mais la reine étoit si peinée de cette surcharge pour son peuple, & elle avoit si bien pris le parti de ne plus se trouver dans une extrémité semblable, qu'elle avoit ordonné dans ses dépenses pour le gouvernement civil, une réduction considérable. J'ai lu ce projet de réduction, tel qu'il fut rédigé peu de tems avant sa mort, & tel qu'il devoit avoir lieu, à commencer à la Notre-Dame prochaine. Ce seroit abuser de votre patience, de m'arrêter ici à chacun des articles qui le composent ; j'en rappellerai seulement trois ou quatre.

Les paiemens du trésor de l'épargne étoient réduits, de 85,000 livres sterlings, à 75,000 livres. Les appointemens des ministres chez l'étranger, de 75,000 liv. à 30,000 livres. Les pensions & gratifications, qui montoient à plus de 87,490 liv., étoient réduites à 60,000 livres ;& le service secret, de 27,000 à 10,000 livres, somme étonnamment modique, en vérité ! lorsqu'on la compare avec les profusions exorbitanttes, employées dans les derniers tems, à cet objet. En un mot, il avoit été résolu que toutes les dépenses par an, ne passeroient pas 459,941 livres, & cela, sans éclipser la gloire de la couronne ;[p.366]tandis que plusieurs de nos membres assurent bonnement qu'elle ne peut le maintenir aujourd'hui avec honneur, sans doubler, peu s'en faut, ce même revenu.

Il s'ensuit donc évidemment, que le rapprochement qu'on fait ici des tems passés, n'a point de rapport au règne de la reine ;& quoiqu'on parle en général & au pluriel, de ces tems, que ;cette assertion doit être uniquement appliquée à la dernière administration. J'ose même avancer à cet égard, que si l'on suit les mêmes principes, & si les mêmes ministres relient en place, un million de livres sterlings par an, ne suffira jamais pour faire face aux déprédations dont cette chambre s'est plaint si souvent, & avec tant de justice. Car il est notoire, & le fait est encore récent & frais dans la mémoire de chacun de nous, qu'à 700,000 livres par an, il s'est joint une infinité de taxes éventuelles, & levées des sommes considérables ;& que cette masse énorme d'argent, s'est perdue dans cet abîme sans fond, du service secret.

D'abord & notamment, furent imposés 250,000 livres sterlings, de la manière la plus illégale, pour nous même à l'abri, disoit-on, d'une invasion de la part de la Suède. On établit dans ce tems deux bureaux d'assurance, d'une manière aussi régulière, par un bill sorti[p.367]de cette chambre, à la fin de la session, & après que le comité de subsides eut été fermé ; dans le tems où l'honorable membre venoit de rentrer dans le ministère. Et les intéressés, dupes de cette entreprise, payèrent près de 300,000 livres sterlings pour leur privilège. Tout-à-coup s'ouvre une nouvelle scène d'affaires en Suède, où notre inimitié se change en une alliance. Pour cet objet, il est accordé implicitement, un nouveau subside de 72,000 livres, afin de conclure un excellent marché & engagement, mais secret, avec cette couronne. Dans ce même tems, on obtient encore près de 24,000 livres sterlings, pour brûler deux vaisseaux marchands qui venoient de pays infectés de la peste. Cette chambre avoit payé, & les vaisseaux & les marchandises ; c'étoit un sacrifice fait à la sûreté publique, sans faire tort à leurs propriétaires. Mais la plus grande partie de ces marchandises se trouvèrent transportées sans bruit, dans les pays voisins du port où étoient les vaisseaux, & où elles furent vendues peu de tems après. On demanda encore, & il fut accordé une somme de 500,000 livres sterlings, pour l'acquittement des dettes de la liste civile :& ce fut à cette occasion, que sa majesté déclara dans son message :« Qu'elle étoit résolue de faire à l'avenir des retranchemens dans sa dépense ».[p.368]Mais malgré cette résolution, en moins de quatre ans, les besoins du gouvernement civil ayant rendu ces retranchemens impraticables, il fut de nouveau demandé & obtenu plus de 500,000 livres sterlings, pour remédier à de nouveaux embarras dans les finances. Je dois aussi faire mention des navires Espagnols, pris dans le fameux combat naval sur la Méditerranée, qui infailliblement ont produit des sommes considérables. Il n'est pas possible d'oublier les 115,000 livres comprises en bloc dans un article général, lors de la dernière session, & dont il n'a été dit qu'un mot ; savoir :« Qu'il avoit été disposé de cette somme pour l'utilité publique, pour assurer la paix de l'Europe, & pour maintenir la sûreté du commerce & de la navigation de la Grande-Bretagne ».

Eh bien ! malgré la multitude de ces subsides, & d'autres extraordinaires, je suis certain qu'il reste encore aujourd'hui dans le gouvernement civil, un vuide de plus de 600,000 livres sterlings : si cela est, il faut assurément qu'il y ait eu dans l'administration, une négligence bien coupable, pour ne pas dire pis : il faut qu'il y ait eu un esprit de vertige bien inconcevable, pour que tant de sommes accumulées se soient dissipées d'une manière invisible, & en[p.369]aussi peu de tems ! Mais ce qui étonne sur-tout, c'est que ces extravagances soient arrivées sous l'administration de ceux-là même, qui prétendent surpasser leurs prédécesseurs par leur habileté dans le maniement des finances, & par leur soin à y pourvoir.

Nous ne devons pas être surpris, si toutes ces sommes ayant été dissipées sans qu'il en ait été rendu aucun compte, & si l'emploi qui en a été fait, n'étant pas de nature à être avoué, ces pratiques ont excité la censure universelle. Personne, hormis ceux qui ont disposé de ces sommes, ou qui étoient dans le secret, n'est en état de réfuter ses réflexions qui se font ouvertement contre le ministère, & même contre les deux chambres du parlement… Je ne puis en dire davantage.

Au reste, je désire de toute mon âme, que le tems qui est un grand maître pour dévoiler les vérités les plus cachées, & pour découvrir les iniquités les plus secrètes, nous révèle les noms de ces hommes assez lâches, s'il y en a eu, qui, les esclaves achetés & les instrumens corrompus d'une indigne & vaine administration, ont sacrifié à un avantage personnel le bien général. Que s'il ne s'est point trouvé de tels hommes, tout le crime de ces malversations.[p.370]& tout le poids de cette accusation ne peuvent retomber que sur les ministres mêmes.

Mais ce qui fait l'objet de la joie universelle dans tout le royaume, toutes choses vont changer. Nous voici parvenus au moment d'une meilleure administration ; nous avons lieu d'attendre que bien loin de suivre ces sourdes pratiques, elles ne seront plus qu'en horreur & en exécration. L'on ne peut même avoir le moindre doute à cet égard, si l'on considère que le prince qui vient de monter sur le trône, veut se choisir des ministres instruits, fidèles, économes ;& que sa majesté ne permettra point que les affaires de l'état, au-dedans & au-dehors, par une impéritie condamnable, se traitent à force d'argent, & que la corruption en soit le mobile. La sagesse du roi le rendra capable de gouverner lui-même ;& la bonté de son cœur le portera, non-seulement à surveiller lui-même l'emploi des différentes branches de la liste civile ; mais par justice envers ses parlemens & par amour de son peuple, à exiger la plus exacte répartition de tous les autres fonds publics, conformément à chacun de leurs objets perspectifs de dépenses.

Aujourd'hui donc, & en conséquence de la certitude de l'économie de sa majesté, vertu qui, (entre une infinité d'autres), la rend extrêmement[p.371]chère à ses sujets ; je crois, sans qu'on puisse s'en offenser, pouvoir proposer quelques amendemens dans la présente pétition, pour la restraindre à 700,000 livres sterlings ;& dans cette réduction, je consulte autant le service de sa majesté, l'honneur & la dignité de sa couronne, que ceux qui accordent tout sans restriction. Dans cette manière de penser, que je soumets à la chambre, je dis que voter au-delà du revenu du feu roi, ce n'est voter qu'une indemnité, & en faveur des Ministres, dont la conduite, si, comme je l'ai déjà fait connoître, étoit développée sous vos yeux & duement examinée, mériteroit moins vos éloges que votre censure.

Le surplus d'ailleurs de ses branches, appartient à la caisse d'amortissement, que je regarde comme un dépôt sacré, établi pour la décharge graduelle de la dette nationale. Je pense que ce seroit une sorte de sacrilège, d'avoir diverti la plus petite partie de son usage originel, sous quelque prétexte que ce puisse être :& si je suis surpris que l'honorable membre aille détruire aujourd'hui son projet chéri, & qu'il renverse le monument vanté de sa gloire ; on ne sera pas moins étonné, je l'avoue, de me voir soutenir moi-même, un établissement de sa façon,[p.372]qui pût faire passer son nom avec quelque avantage à la postérité.

Si sa majesté étoit exactement informée de tous ces faits, sans doute elle aimeroit mieux se contenter d'un revenu assuré de 700,000 liv. par an, plutôt que d'obtenir, par un zèle inconsidéré, ce qui avoit été demandé d'abord, & de paroître en cela surcharger le peuple, qui a souffert depuis long-tems, pressuré de toutes les manières, par des taxes énormes & accablantes.

Nous sommes d'autant plus assurés des intentions bienfaisantes de sa majesté, que sa résolution déterminée, émanée du trône, & qu'il lui a plû gracieusement de nous témoigner, est :« Quelle veut par tous les moyens possibles, mériter l'attachement & l'affection de ses sujets ; affection qu'elle regardera comme le plus ferme appui & la plus grande sûreté de sa couronne ».

[p.373]

 

Discours de lord Carteret. Il démontre les inconvéniens d'appliquer à des objets qui lui sont tout à-fait étrangers, les fonds de la caisse d'amortissement, & les abus multipliés qui résultent de cette mauvaise direction. Cette coiffe fraudée d'abord clandestinement d'une infinité de petites sommes, est aujourd'hui par un nouveau Bill, ouvertement, & en une seule fois, pillée, en faveur de Sa Majesté, d'une somme de cinq cent mille livres sterlings. Il indique un moyen de prévenir tous les malheurs dont on est menacé à ce sujet, & qui consiste à ne plus souffrir qu'il soit rien détourné de cette caisse, pour des objets étrangers à sa destination.

 

Du 30 Mai 1733.

Je ne cacherai point, milords, mon opinion, que les créanciers de l'état ont, de droit, une sorte d'inspection sur les fonds de la caisse d'amortissement, que je regarde comme sacrés. C'est ce droit qui assure leur sécurité pour leurs arrérages & le remboursement de leur principal. Toute la nation peut exiger que ces fonds soient appliqués comme ils doivent l'être, parce qu'il[p.374]n'y a qu'un semblable emploi qui puisse nous libérer d'une infinité de taxes accablantes qui pèsent sur le pauvre, qui sont une source d'entraves pour notre commerce & pour nos manufactures. Je soutiens donc, que vouloir appliquer ces fonds à tout autre usage, c'est frauder les créanciers de l'état du droit qui leur appartient, & commettre une injustice criante envers toute la nation.

La motion dont il s'agit tombe dans des circonstances bien tristes, où, à raison des impôts multipliés que nous payons, le prix des nécessités & des commodités de la vie, est tellement haussé, qu'il est impossible à nos commerçans & manufacturiers de vivre à aussi bon marché, & de donner les marchandises du pays à un prix aussi bas que peuvent le faire nos voisins. Il arrive de-là, milords, que nos voisins ont beaucoup d'avantages sur nous, & que notre commerce tombe visiblement tous les jours. Car si un journalier soit en France, soit en Allemagne, peut vivre mieux pour six sols par jour qu'en Angleterre pour un shelling ; nous pouvons être certains que le plus grand nombre de nos commerçans iront de préférence s'établir dans ces pays, à moins que la bonne politique de l'Angleterre, ou la mauvaise politique de ces voisins ne s'y oppose.[p.375]Si celui qui a une manufacture voit que l'on peut se procurer en France pour six sols le même travail, qui lui coûteroit ici un shelling ; ce fabriquant Anglais ne peut plus soutenir la concurrence, & dans tous les marchés du monde, il est forcé de vendre à sa perte. Conséquemment, le seul moyen de maintenir notre commerce, est d'abolir toutes ces taxes, qui grèvent & ruinent le laboureur & le commerçant ;& toute la nation le fait, que la seule voie pour y parvenir, est un juste emploi des fonds de la caisse d'amortissement. Combien donc est-il révoltant de voir cette caisse dépouillée d'une somme aussi considérable à la fois ; d'autant plus que toute la nation doit nécessairement en conclure, que nous gémirons donc toujours sous ces impôts accablans & que bientôt nous ne pourrons plus absolument les supporter, par le dépérissement total de notre commerce & de nos manufactures ?

Cette caisse d'amortissement, milords, a été clandestinement fraudée, d'une infinité de petites sommes, dérobées en différens tems, qui, réunies, sont un total effrayant :& aujourd'hui, par le nouveau bill qu'on veut faire passer, (qui accorde à sa majesté une somme, à tirer de cette caisse) c'est ouvertement, sans détours, & d'un seul coup, y piller 500,000 livres sterlings.

Après un emploi aussi mal entendu de ces[p.376]fonds, y a-t-il un créancier de l'état, qui puisse désormais compter sur son principal ? Aucun de ces créanciers qui puisse être sûr, même de ses arrérages ? Il voit en effet, par le nouveau bill, la moitié des fonds de la caisse, appliqués au service de l'année courante ;& cela, milords, il le voit fait & passé ; il le voit dans le temps de la paix & de la tranquillité la plus profonde ! Quelle certitude à présent peut-il avoir qu'on n'emploiera pas tout ce qui reste des fonds de cette caisse au même objet, l'année suivante ? Il doit donc se regarder sans espérance de recouvrer jamais sa mise. Or, si ces fonds étant appliqués aujourd'hui au service de l'année, les intérêts s'accumulent, grossissent la dette, & la caisse, par suite, se montre prête à manquer, à qui les capitalistes auront-ils recours, seulement pour leurs arrérages ? La caisse d'amortissement prenant une direction tout-à-fait étrangère à son objet, ses annuités, ou une partie au moins, doivent être arriérées, & à la fin tout paiement doit cesser.

Telles sont les craintes que cette mauvaise direction doit naturellement faire naître parmi les créanciers de l'état ;& si elles venoient à s'élever parmi eux, ce seroit le choc le plus terrible que pût éprouver jamais le crédit national. En conséquence, milords, & pour prévenir ces terreurs, il est absolument nécessaire d'en venir[p.377]à une résolution qui tranquillise les esprits, & qui les assure qu'à l'avenir il ne sera plus rien détourné de son objet, dans la caisse d'amortissement, sous quelque prétexte que ce puisse être.

 

Réplique du Duc de Newcastle, dans laquelle il prétend prouver que le nouveau Bill loin de pouvoir inspirer des allarmes, sera au contraire avantageux pour les créanciers de l'État ;& pour les grands Terriens.

 

Du 30 Mai 1733.

Milords,

Je m'étonne d'entendre dans cette chambre, des nobles lords affirmer que les créanciers de l'état, ont, en quelque sorte, un droit d'inspection sur la caisse d'amortissement. Certainement ils n'en ont point. Ils ont le droit seulement de recevoir les intérêts de leur mise, à mesure qu'ils échoient ; intérêts d'ailleurs pour le paiement desquels il y a d'autres fonds assignés de cette manière ; tant que leurs arrérages leur sont exactement payés, ils n'ont point à craindre, & ils n'ont rien à dire.

Tout le monde sait que lors de la création de[p.378]cette caisse, dès sa première origine, le parlement fut le maître d'en disposer, & qu'il a toujours conservé le pouvoir d'en appliquer une partie à l'acquittement des dettes de l'état, ou à tout autre objet qu'il pense être le plus convenable. Et cette année, une partie de ces fonds a déjà été appliquée à l'acquit de la dette publique, autant qu'il a été convenable & nécessaire.

Par le même bill, milords, un million sterling doit être consacré à éteindre une partie de la dette nationale ;& cette somme est beaucoup plus considérable que les créanciers ne le désiroient & pouvoient même l'espérer. Les circonstances sont si heureuses, le crédit national est si bien établi, qu'aucun de ses capitalises ne désire son remboursement : au contraire, milords, bien loin qu'ils redemandent leurs fonds, nous voyons les actions de la caisse monter au plus haut période, & les effets de cette caisse d'autant plus recherchés qu'ils ont plus à courir. Nous devons donc profiter d'un moment si favorable pour songer. à consacrer une partie de ces fonds où ils sont le plus nécessaires. Or, c'est l'objet du nouveau bill.

Ce bill va d'abord au secours des grands terriens, qui, durant plusieurs années, ont supporté la plus grande partie de la charge publique. Il leur alloue une somme de 500,000 liv.[p.379]qui, appliquée au service courant de la présente année, les décharge en partie, du fardeau sous lequel ils ont souffert depuis long-tems. Il faut donc convenir que le nouveau bill qui allège les grands terriens & qui pourvoit au service de l'année, sans qu'il soit besoin de contracter de nouvelles dettes, sans charger le peuple d'aucun nouvel impôt, doit faire le bien de l'état. Un tel but, qui ne peut inspirer ni alarmes, ni craintes, ni jalousies, est avantageux ;& par conséquent, milords, il mérite hautement votre suffrage & votre approbation.

 

Discours de M. William Pulteney. Un Ministre ne devroit jamais hasarder de pétitions pour des flottes des troupes & de nouvelles taxes sans en donner des raisons satisfaisantes ; sans fournir tous les éclaircissemens nécessaires que le Parlement est en droit d'exiger.

 

Du 23 Janvier 1734.

Je crois, monsieur, que le plus grand nombre des personnes ici assemblées, au moment où l'honorable membre, (sir Robert Walpole) a parlé, ont été comme moi bien trompées dans leur attente. Lorsque nous avions lieu, en effet,[p.380]dans le présent débat, d'attendre quelque chose de satisfaisant de sa part, non-seulement il nous a dit qu'il n'avoit pas de raisons à nous donner sur ce qu'on désiroit obtenir aujourd'hui de la chambre, mais il nous a même peu fait espérer d'avoir, dans aucun tems, les éclaircissemens que le parlement de la Grande-Bretagne est en droit d'exiger. Devons-nous accorder de puissantes flottes, voter de nombreuses armées imposer de nouveaux fardeaux sur le peuple ? il n'a rien été dit sur tout cela qui puisse nous satisfaire. Quelle réponse pouvons-nous donc faire à nos constituans, s'ils viennent à nous demander pourquoi nous avons augmenté l'armée, toujours dangereuse & contraire aux libertés de notre pays ? Pourquoi nous avons consenti à aggraver encore la charge publique, déjà beaucoup trop pesante, pour que la nation puisse la supporter ? À toutes ces questions raisonnables, importantes, en vérité, je ne sais encore autre chose à répondre, si ce n'est que Sa Majesté dans son discours, nous a dit que la guerre vient d'éclater dans toute l'Europe, guerre dans laquelle nous n'avons aucune sorte d'intérêt ; ses ministres nous ont encore appris que nous avons de quoi nous effrayer des armées & des flottes que nos voisins viennent de lever & d'équiper ; ils nous invitent à considérer la nécessité où ils[p.381]sont de faire toutes ces levées & ces préparatifs considérables, dans les parties de l'Europe les plus éloignées de notre île.

Nous sommes tous, monsieur, pénétrés, sans doute, de zèle & d'attachement pour la personne de sa majesté & pour son gouvernement ; mais gardons-nous cependant de flatter les ministres de sa majesté, ni sa majesté elle-même, de trouver en nous un zèle aussi aveugle. Ce zèle seroit contraire à la dignité du parlement ;& je suis certain que les parlemens, il y a trente à quarante ans, auroient eu bien de la peine à montrer une telle condescendance à l'égard des ministres de la couronne.

L'observation faite, monsieur, par plusieurs de nos membres, me paroît, je l'avoue, digne d'une sérieuse attention. Je veux dire que d'après la demande, qui vient de nous être présentée, il est à craindre qu'on n'entende toujours garder sur pied les treize mille hommes, même dans le tems de la paix la plus assurée ;& que cette augmentation de troupes, soit sollicitée aujourd'hui, dans la vue seulement, que, quand de telles circonstances se présenteront, les ministres aient, par-là, occasion de se faire un grand mérite de la réduction de treize mille hommes, qu'on voudroit ajouter maintenant.

Nous savons tous quelles craintes, quels[p.382]murmures du peuple éclatèrent, les années dernières, lorsqu'ils s'agit de continuer l'armée, dans un tems où nous jouissions de la plus grande tranquillité au-dedans & au-dehors. Or, si l'on va aujourd'hui adopter de nouveau les mêmes mesures, également dans un tems de paix, tout Anglais en conclura, que cette armée est sur pied, non pas pour nous défendre contre les ennemis du royaume, mais uniquement pour la sûreté de ceux qui ont justement encouru la haine du peuple, & pour les mettre à l'abri du ressentiment qu'ont dû provoquer leurs injustices & le pillage de la nation. Si nous étions réduits à cette malheureuse situation, le peuple assurément seroit un effort pour la conservation de son ancienne constitution ; (ce seroit bien le cas de le faire sans doute !) Et alors, je présume que ceux qui nous auroient exposés à cette crise, verroient que leurs treize mille hommes ne seroient point capables de résister au peuple de la Grande-Bretagne. Comme j'ai une bonne opinion de plusieurs officiers, de l'armée, je suis assuré d'avance que dans un pareil événement, ils se comporteroient comme firent leurs prédécesseurs au tems de la révolution[15], & que le plus grand nombre se mettroit bientôt du côté du peuple.[p.383]Si nous devons, monsieur, avoir quelque part à la guerre, l'addition de treize mille hommes n'est rien ; si nous n'y avons point d'intérêt, quelle nécessité de surcharger le peuple de cette nouvelle dépense ? L'honorable membre ne nous dit pas positivement que nous sommes ou ne sommes pas, que nous devons être ou n'être pas engagés dans la guerre, mais que par des rapports & par des conséquences, cela est possible ;& il paroît, monsieur, que cette tournure adroite est toute la satisfaction qu'il veut bien accorder à l'assemblée, pour en obtenir l'objet de sa demande.

La chambre des communes de la Grande-Bretagne se contentera-t-elle de ce petit subterfuge ? Le regardera-t-elle comme un titre suffisant pour laisser entamer notre constitution, & pour charger nos constituans de nouvelles taxes ? Quelque fâcheux que soit la situation de l'état, (& je pense, monsieur, qu'elle l'est assez), si dans cette circonstance l'on a besoin des conseils du parlement, si l'on veut en avoir des subsides, assurément, il faut du moins lui fournir tous les éclaircissemens nécessaires, & des raisons satisfaisantes, pour ne pas s'y refuser. Mais il paroît qu'à l'avenir, on ne nous donnera plus d'autres raisons d'une pareille demande de la part de la couronne, sinon qu'il lui a plu de la[p.384]faire ;& si l'un de nous paroît douter que ce soit là un titre suffisant pour se rendre d'abord au vœu de la cour, nous devons nous attendre qu'on regardera ce délai comme un manque de respect à la couronne. Mais, monsieur, pour l'amour de Dieu, respectons-nous nous-mêmes & nos concitoyens ; autrement nous n'avons plus que faire ici ;& la nation n'a plus jamais d'avantages à espérer des assemblées de cette chambre.

 

Plaintes de sir William Wyndham, contre l'administration qui, sans y avoir été préalablement autorisée par le Parlement, a grevé la nation d'une somme considérable pour un objet peu important.

 

Du 24 Février 1735.

D'après un léger coup-d ‘œil que j'ai pu prendre des comptes dans ce moment, sur le bureau, il ne m'est pas possible d'entrer dans quelque détail particulier sur aucun article, mais je ne puis m'empêcher d'en faire remarquer un, qui me semble bien extraordinaire.

Il s'agit de près de deux cent cinquante mille livres sterlings, dont on a chargé les comptes, non pas pour construire des vaisseaux, mais pour[p.385]bâtir des maisons. Je me garde bien de décider si ces maisons étoient nécessaires ; mais quand elles l'eussent été ; sous aucun ministère, la somme étoit trop considérable, pour avoir été avancée, sans une autorisation préalable du parlement, &c. je suis certain qu'elle n'a pas même été demandée.

Ce que l'on pensera aujourd'hui par rapport à l'importance d'une pareille somme, je l'ignore ; mais ce dont je suis certain, c'est que nos ancêtres, même ceux du dernier siècle, auroient été extrêmement réservés à charger le peuple d'un impôt qui monte au moins à six sols par livre sterling[16] sur toutes les terres de la Grande-Bretagne, pour élever des bâtimens à des officiers de l'amirauté. Je pense encore qu'il faut regarder comme un peu extraordinaire de voir aujourd'hui des ministres oser faire, de leur propre chef, ce que des parlemens du tems passé, auroient à peine jugé faisable. Il est vrai que les derniers parlemens sont devenus d'un excellent naturel, qu'ils ont témoigné beaucoup de confiance aux ministres, & qu'ils ont généralement, (je n'oserois dire, & aveuglément) approuve toutes leurs mesures. Voilà, sans doute, ce qui[p.386]les a fait présumer de leur pouvoir plus qu'il ne devoient. Pour moi, je suis en état de vous certifier que, jusqu'à ce moment, aucun ministre n'avoit encore osé prendre sur lui, dégrever la nation d'une somme aussi considérable, sans y avoir été autorisé auparavant par la sanction du parlement.

 

Demande de nouveaux subsides de la part de Sa Majesté ; faite à la Chambre des Pairs.

 

Du 9 Avril 1777.

George Roi,

Sa majesté se reposant entièrement sur le zèle & l'affection de la chambre, s'est déterminée à donner connoissance aux pairs de la détresse dans laquelle elle se trouve à l'occasion de l'état compliqué de la liste civile dont les dettes excédoient, au 5 janvier dernier, la somme de six cents mille livres sterlings. Sa majesté attend, de l'attachement de cette chambre, quelle a si souvent éprouvé dans des occasions pareilles, qu'on lui donnera les moyens de liquider ces dettes, & en même-tems, qu'on augmentera les revenus de la liste civile, de la manière la plus propre[p.387]à mettre sa majesté en état de soutenir l'honneur & la dignité de sa couronne.

 

Invectives du Marquis de Rockingham, contre l'emploi des sommes considérables consacrées par les Ministres à ce qu'on appelle le service secret, dans un moment où Sa Majesté demande une augmentation dans la liste civile.

 

Du 16 Avril 1777.

Quels sont ceux que le ministre comble de ces douceurs ? Je n'ignore pas qu'il s'en trouve à la cour, mais je sais aussi qu'il y en a à Bridewell (le Bicêtre de Londres) : on y voit encore le fameux David Brown Dignam. Cet homme qui a été employé par le gouvernement, étoit au service des ministres ; par malheur, il a été convaincu de faux, & le ministère a perdu en lui un espion utile, un délateur officieux. Quand on voit le trésor d'une nation ouvert à de pareilles canailles, ne doit-il pas paraître plaisant que l'on s'adresse au parlement de cette nation pour obtenir de lui, quoi ? une taxe sur le pauvre industrieux, pour que le fruit de ses sueurs serve à engraisser des scélérats de cette trempe. On devroit bien sans doute établir une différence entre[p.388]les octrois de nécessité & les subsides appliqués à l'usage d'une légion d'espions & de délateurs.

 

Discours du Duc de Graffton ; dans lequel, à l'occasion des nouveaux subsides demandés par le Roi, il avance que les Ministres dont on vante la sagesse & l'économie, devroient donner à la Chambre les états de leurs dépenses ;& prouver la nécessité de l'augmentation qu'ils sollicitent

 

Du 16 Avril 1777.

Milords,

Avant de prendre des conclusions dans l'affaire importante que nous agitons, je ne puis m'empêcher de vous observer que vous êtes sur le point de prodiguer les richesses publiques sans avoir sous les yeux aucune pièce justificative qui puisse vous donner la moindre connoissance à cet égard. On vous parle de dépenses extraordinaires : où en sont les états ? On nous vante la sagesse & l'économie des ministres & de la couronne : où en sont les preuves ? Où trouverons-nous des garans suffisans de la probité du ministre ? Nous ignorons l'étendue des[p.389]dettes du souverain, & nous ne pouvons suppléer à ses besoins, puisque les ministres ne nous donnent aucun éclaircissement sur la nature & l'étendue de ces besoins. La prétendue nécessité d'accorder les secours que l'on nous demande, n'est donc fondée que sur quelque déficit dans la caisse du trésorier.

Quant à l'honneur & à la dignité de la couronne, à Dieu ne plaise que l'un & l'autre cessent d'être soutenus dans tout leur éclat ; mais, milords, j'ose assurer qu'un revenu clair de huit cent mille livres sterlings est plus que suffisant, s'il est bien administré ; j'en parle avec connoissance de cause, quand j'assure même que l'on pourroit épargner de grosses sommes sur une recette aussi considérable. Je supplie donc vos seigneuries d'examiner les comptes des différens bureaux : qu'on les produise : votre qualité de gardiens héréditaires de l'état exigent que vous vous les fassiez présenter. N'allez pas prodiguer inutilement le trésor public. Je consens à perdre tout ce que nous avons de plus cher, l'honneur & la réputation, si je ne démontre pas clairement que le revenu tel qu'il est à présent, suffit pour fournir amplement aux besoins de la couronne.

Je demande donc que les bordereaux soient produits.

[p.390]

 

Discours éloquent de M Wilkes. Il s'étonne de ce qu'un revenu de huit cent mille livres sterlings, accordé à Sa Majesté, ayant paru jusqu'alors plus que suffisant à ses Ministres mêmes, lord North osoit, après un relevé de comptes arrangés à son gré, former une nouvelle demande. Il soutient que toutes ces sommes se sont absorbées dans le service secret de la corruption à acheter la majorité des voix dans le Parlement, à pensionner des gens de lettres les moins méritans, &c. Il rappelle, à Sa Majesté l'économie des Rois ses prédécesseurs les plus recommandables, & lui proposent l'exemple du Roi de France (Louis XVI). Il finit par demander une exacte revue de ta liste civile, & de n'accorder aucune augmentation avant le plus sévère examen.

 

Du 16 Avril 1777.

Messieurs,

Il n'est pas un gentilhomme dans cette chambre, ou dans le royaume, qui ait plus à cœur que moi la splendeur & la dignité de la couronne pour la maintenir dans son vrai lustre. J'avois l'honneur de siéger dans cette chambre[p.391]lorsqu'on y agita, au commencement du règne de sa majesté, l'affaire de la liste civile. Alors tous les bons citoyens se flattoient d'avoir un roi plus que patriotique. J'acquiesçai au don annuel de 8.oo,ooo livres sterlings, que M. Legge, chancelier de l'échiquier, demandoit pour le roi, dans la forme ordinaire. Le parlement accorda, & le roi accepta avec reconnoissance. Les ministres du tems témoignèrent à la chambre combien le roi étoit satisfait, & qu'il s'estimoit heureux d'être délivré de la désagréable nécessité d'importuner le parlement, à l'exemple de ses prédécesseurs, pour remplir les vuides de la liste civile. Les ministres convinrent que la somme accordée étoit suffisante, ample & largement proportionnée aux besoins & à la splendeur de la couronne. Le roi s'en expliqua lui-même dans un discours émané du trône :« Je ne puis assez vous remercier de ce que vous venez de faire pour moi ». La nation se crut donc assurée qu'on ne lui demanderoit plus rien au-delà de 800,000 livres sterlings par an, pour la liste civile. Par cette convention du roi avec son peuple, tout le monde étoit persuadé que le roi seroit au-dessus de toutes ses dépenses.

Aujourd'hui néanmoins, le noble lord au ruban bleu, arrangeant des comptes à son gré, forme une nouvelle demande& moi je lui réponds,[p.392]& à vous, messieurs : sommes-nous les représentans du peuple & ses hommes de confiance ? Si nous le sommes, la conscience nous dit que le peuple nous a confié sa fortune ; que nous sommes les gardiens de la bourse publique, que nous devons arrêter le mal qui va toujours en croissant ; qu'il ne faut pas souffrir que les tributs de la nation soient au pillage. Quoi donc, approuverons-nous de nouvelles taxes pour suppléer à la profusion de la cour ? Que devient la convention solemnelle sur la liste civile ? Serons-nous complices de cette violation ? Le droit qu'à le Parlement de contrôler, de limiter les dépenses du trône ne seroit plus qu'un mot vuide de sens. Ce droit est cependant la vie du parlement ; quelle trace en reste-t-il ? Les comptes qu'on vient de laisser sur notre bureau sont-ils des preuves de l'économie anglaise si vantée ?

Dans la crise présente, il y a, Messieurs, une singulière cruauté à vouloir toujours pressurer un peuple presque épuisé par une guerre contre nature, & par l'énorme poids de la dette nationale, dont à peine nous pouvons payer les intérêts, N'est-il donc plus de compassion pour les souffrances d'un pays appauvri ? Le peuple n'est-il donc plus rien dans la balance du gouvernement ? Est-ce ici le tems qu'un ministre doit choisir avec la contenance aisé & confiante que vous luivoyez,[p.393]pour demander encore à un peuple qui ne peut plus rien donner ?

Mais voici un nouveau sujet d'étonnement. Après une dépense de neuf millions sterlings, pour une guerre injuste ; après avoir forcé les Américains, qui nous ont assisté si souvent, si puissamment, à devenir nos ennemis, & à chercher notre humiliation pour trouver leur gloire & leur sûreté ; après la perte de la moitié de notre empire, on viendra nous parler de la brillante couronne Britannique, d'une couronne qui vient de perdre la moitié de ses rayons. Vraiment nous sommes bien disposés à entendre vanter l'heureux état de la nation, lorsqu'on vient de nous enlever plus de pays que nous n'en conservons, lorsque le plus grand soin du gouvernement se borne à de nouvelles taxes, La liste civile doit-elle donc s'accroître à proportion de nos pertes ? sa nature est-elle analogue, dans le corps politique, à la rate dans le corps humain ? La rate, selon la remarque du chancelier Bacon, s'enfle & grossit à proportion du dessèchement & de la consomption des autres parties.

Regardons derrière nous, Messieurs, voyons ce qu'ont fait les rois & les parlemens antérieurs ; ou, si vous voulez, ne considérons que l'ère glorieuse de la révolution, La liste civile ne fut accordée au roi Guillaume III, pour sa vie, qu'en 1698,[p.394]& de quelle somme étoit-elle ? Sept cent mille livres sterlings. Les embarras, les troubles de son gouvernement & de toute l'Europe, sont assez connus. Ses grandes & généreuses vues, pour le bonheur public, étoient sans cesse traversées par les Torys, comme les amis de la liberté sont maintenant en butte aux modernes Torys en Amérique.

La reine Anne n'eut que le même revenu ;& loin d'en demander davantage, elle prit annuellement sur elle cent mille livres sterlings, pour soutenir la longue guerre contre la France. Bien plus, elle employoit en même-tems deux cent mille l. sterlings à la construction de Blenheim, & cent mille au soulagement d'une de nos provinces.

George Ier n'avoit aussi que le même revenu en commençant son règne ;& si, dans la suite, il fut poussé a huit cent mille, nous en savons la cause. Ce fut les grandes dépenses auxquelles il fut forcé par la rébellion du comte de Mar, & d'autres parjures Écossais, qui, malgré le serment de fidélité, allumèrent une guerre impie contre un Prince juste & bienfaisant.

George II, sans se prévaloir de sa nombreuse famille, ni de la rébellion que lui avoit occasionné de grandes dépenses, ne demanda pas d'augmentation dans la liste civile. Pourquoi Ceorge III ne pourroit-il pas soutenir sa maison[p.395]avec le même revenu ? On nous produit des comptes qui excédent considérablement le montant de la liste civile. On nous donne une semaine pour les examiner. Ils sont si volumineux, si embrouillés, qu'un de Moivre[17] ne s'en tireroit pas dans un an. C'est un chaos d'hiérogliphes Égyptiens, c'est un labyrinthe sans fil.

Mais, Messieurs, après la convention solemnelle entre le roi & la nation, après le consentement qu'il en a marqué, après le remerciment qu'il en a fait, qu'avons-nous besoin de ces comptes ? Sa Majesté vouloit une somme fixe, annuelle, pour n'avoir plus rien à demander durant tout son règne. Le parlement l'a octroyée. Devoit-on s'attendre à de nouvelles demandes ?

Oui, dit le lord au ruban bleu ; car le roi a des dettes, Cette assertion nous oblige à examiner les causes qui ont occasionné ces dettes. On nous fait observer que la famille royale est très-nombreuse. Elle l'est effectivement, mais la liste civile a été mesurée sur cette dépense. Le roi a deux frères chéris de la nation, dont l'entretien ne doit certainement pas l'endetter. Le duc de Glocester, qui auroit bien de la peine à subsister honorablement en Angleterre, paroît[p.396]condamné à passer sa vie en pays étrangers. Le duc de Cumberland, plus heureux, vit dans sa patrie : il possède toutes les vertus, & il soutient avec dignité, l'état modeste d'un simple gentilhomme. Il s'en faut beaucoup que la fortune de ces deux princes soit proportionnée à la splendeur de leur naissance.

En quoi donc le roi a-t-il pu contracter la grande dette qu'on nous présente à payer ? Il n'éblouit pas nos yeux par une magnificence extérieure ;& dans l'intérieur de sa maison, on ne reproche aucune profusion au lord grand-maître, qui est en place dès le commencement de son règne, ou peu s'en faut : à peine avons-nous l'apparence d'une cour. Les anciens rois d'Angleterre, avec un moindre revenu, tenoient une cour pompeuse & brillante. La résidence de Sa Majesté, l'été dernier, à Windsor, ne ramenoit point à nos idées le faste de nos Henri & de nos Edouard. Où sont les palais qu'il a bâtis ? Il n'a élevé aucun édifice, aucun monument qui ait pu piquer la curiosité des étrangers, & les attirer dans notre île. Un honorable membre nous parle de l'entretien des maisons royales : nos anciens rois vivoient dans des palais, & non dans des maisons. Comment le roi a-t-il donc pu s'endetter ?

Je vais révéler à la chambre ce qui se dît publiquement[p.397]hors de ces murs, ce que la nation soupçonne, & ce qu'il est de notre devoir d'approfondir. On soupçonne que la liste civile s'épuise par l'achat de la majorité des voix, en faveur de la cour ; majorité qui se soutient depuis la création du parlement actuel. On dit que nous suivons trop fidèlement le précepte de l'évangile, donnez, on vous donnera ;& que la couronne achette le parlement, avec l'argent du peuple. La corruption est un ulcère qui ronge le corps du parlement. Oui, messieurs, on est généralement persuadé que la dette royale n'a été contractée que par la corruption des représentans du peuple, & que ce brigandage des deniers publics a été partagé par la majorité de la chambre. Souffrirons-nous encore long-tems ces soupçons odieux, & peut-être trop bien fondés ?

S'il nous reste une étincelle de vertu, pouvons-nous, devons-nous nous contenter de titres vagues, obscurs, mystérieux, que l'on met aux dettes du roi ? tant pour des services secrets, tant pour sa poche, tant pour des bontés royales, tant pour des pensions & annuités. Voilà de quoi engloutir toute la liste civile, à quelque hauteur qu'on pût la pousser.

Qu'il me soit permis de dire un mot sur un autre titre, tant pour récompenser des gens de lettres, pour le patronage littéraire. Nous entendons[p.398]dire à toute heure que le génie & le savoir sont aujourd'hui échauffés par le feu de la faveur royale. Effectivement, deux célèbres docteurs, Shebbeare&Jonhson, se trouvent compris dans les pensionnaires du roi. Certes, la pitié de notre souverain envers son aïeul GeorgeII, & notre libérateur Guillaume III auroit dû l'empêcher de fouiller la liste civile du nom de ces deux docteurs. Ils ont publié, l'un & l'autre, que la famille régnante n'a aucun droit au trône„ & qu'elle est usurpatrice. Ils ont employé la plaisanterie & l'outrage contre la mémoire de George II & de Guillaume III ; mais ils ont un mérite qui a racheté leurs torts, ils sont connus pour être les avocats à gage du despotisme. Deux autres exemples de la faveur royale, pour les lettres, sont assez ridicules. David Hume est pensionné pour avoir attaqué la religion chrétienne, & le docteur Beattie, pour la même audace. Voilà comme on prodigue les deniers publics.

Ces petits abus, j'en conviens, sont d'une mince conséquence. La grande masse de la dette royale n'est pas motivée dans les comptes, c'est un mystère ;& de là, n'a-t-on pas droit de soupçonner qu'elle a été contractée pour des fins criminelles ? Il faut, pour satisfaire le peuple, en faire la recherche ;& j'espère que la[p.399]chambre donnera des instructions au comité sur ce sujet.

Mais voici une réflexion encore plus importante. Supposons, messieurs, que le parlement acquiesce à la demande du roi, quelle assurance avons-nous que d'autres demandes ne succéderont pas à celle-ci ? Sera-ce le dernier tour d'adresse de la cour ? Où sont les gages de l'économie & de la modération pour l'avenir ? Ne vous appercevez-vous pas qu'en comptant légèrement sur nos suffrages, on nous traite avec indécence & mépris ?

Transportons-nous au-delà du détroit de Calais, & voyons ce qui se passe actuellement dans une monarchie voisine, par rapport aux dettes de la maison royale. Le jeune monarque déclare que, « pour concilier avec une sage économie les dépenses que l'éclat de sa couronne peut exiger, toutes les dettes de sa maison seront acquittées, dans le cours de six ans ;& que pour l'avenir, l'année révolue de toutes les dépenses, tant par entreprises que par fournitures, sera payée comptant au trésor royal, dans le courant de l'année suivante, à raison d'un douzième par mois. » Puisse cet esprit de justice & de réforme, passer le détroit, pour arriver à cette capitale. Le roi de France a aussi deux frères, qui ont trouvé dans leur souverain[p.400]un ami tendre & généreux, qui les met en état de soutenir le rang élevé où ils sont nés.

La conduite de notre premier roi, de la maison de Hanover, George Ier. semble avoir servi de modèle à celle de Louis XVI. Son premier message à cette chambre, du 11 Juillet 1711, disoit, « qu'étant résolu de faire des retranchemens aux dépenses de la liste civile, pour l'avenir, & que les retranchemens ne pouvant se faire sans payer les dettes présentes, il avoit ordonné d'en mettre les comptes sous les yeux de la chambre, espérant qu'elle lui donneroit pouvoir d'emprunter, pour cet objet, sur les revenus de la liste civile même, sans l'augmenter & sans charger le peuple d'un nouveau fardeau. »

Lorsque j'entends vanter la splendeur actuelle du diadème Britannique, l'étendue de notre empire, & la grandeur de notre roi ; j'avoue que les brillans de sa couronne ne m'éblouissent plus, & qu'au contraire la diminution que j'y apperçois ne me présente que l'obscurité. Cela me rappelle ce qu'on disoit de Philippe IV, roi d'Espagne, lorsque Louis XIV lui enlevoit ses provinces dans les Pays-Bas :« la grandeur de Philippe ressemble à celle des fossés, qui s'agrandissent à proportion des terres qu'on leur ôte. »[p.401]Le noble lord (Cavendish) qui est assis près de moi, a dit qu'il désireroit une exacte revue de l'établissement de la couronne, par rapport à la liste civile : j'approuve fort cette idée. La totalité de l'établissement, ou peu s'en faut, demande un nouveau règlement ;& en particulier, je pense que les juges ne doivent pas être payés sur la liste civile, mais par le public ; car ce n'est point assez que le roi ne puisse pas les déplacer ; il faut encore qu'il n'ait pas le pouvoir de les faire mourir de faim. Leur indépendance doit s'étendre à leur salaire comme à leur commission.

J'ai observé, Messieurs, dans les comptes qu'on nous a remis, un article qui mérite attention :« au lord Howe & sir William Howe, envoyés pour rétablir la paix dans l'Amérique, à chacun cent livres sterlings par semaine. » Le noble lord au ruban bleu s'est servi fort à propos du terme d'ambassadeur. Avons-nous donc reconnu les colonies de l'Amérique pour état souverain, comme sont les Provinces-Unies de la Hollande ? Si cela n'est pas encore, il faudra y venir. Les lentes opérations des deux frères, ne rétabliront pas sitôt la paix en Amérique : ce sera la guerre de Troye ; dix ans l'achèveront à peine. Ainsi, la nation pourra faire son compliment aux deux frères Howe, qui auront touché plus[p.402]de cent mille livres sterlings, sur le pied de cent livres par semaine, sans compter leur paie comme officiers, & le savoir faire. Mais, messieurs, quelle connexion a cet article avec la liste civile, avec la maison du roi ?

On nous propose de reconnoître deux points de la plus grande importance, l'insuffisance & l'augmentation de la liste civile, sans en entendre les preuves. Nous n'avons point de données pour résoudre ce problème. On ne veut que de la soumission ; c'est par cette soumission passive & aveugle que nous perdons l'Amérique. Nous avons proscrit les habitans de Boston, sans les entendre ; nous avons traité de même les autres colonies, en adoptant contre elles des mesures violentes & sanguinaires. Le ministère nous pousse ; gardons-nous de faire le moindre pas ultérieur, sans regarder de bien près, sans crainte & tremblement. Nous risquons de lui fournir des armes contre nous & nos libertés. L'influence de la cour sur le parlement ne fera que croître ; le pouvoir de la couronne deviendra monstrueux. Les ministres ne connoissent qu'un besoin, l'argent, qu'ils appellent le nerf de la guerre & de tout. Si nous continuons à être faciles à leurs demandes, tout est perdu.

Une doctrine proscrite par nos devanciers, sur l'introduction légale des troupes étrangères[p.403]dans le royaume, est maintenant avouée publiquement. Le ministre, à qui nous ouvrons la bourse du peuple, reçoit en même tems le pouvoir du glaive. Combien de nations ont perdu leur liberté par la corruption interne des représentans, & par l'admission des armées mercenaires ! Pour justifier l'introduction des troupes étrangères, on affecte de répandre de fausses alarmes, des craintes imaginaires de factions, de discorde, de troubles, d'insurrections : supposons-le. N'est-il pas notoire que les dissentions civiles ont été souvent favorables à la liberté ? Montesquieu le remarque pour l'Angleterre :« On y voit, dit-il, la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde & de la sédition ; le prince toujours chancelant sur un trône inébranlable. »

Je conclus enfin, à ce que la chambre, avant que de payer les dettes du roi, examine avec la plus grande attention, les causes qui ont pu les occasionner, sauf à voir ensuite s'il convient d'augmenter le revenu de la couronne. (Traduction de l'abbé Coyer).

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Harangue de l'Orateur des Communes au Roi ; dans laquelle il lui annonce qu'elles ont voté une somme considérable pour la liquidation des dettes de la liste civile.

 

Du 7 Mai 1777.

Les fidèles communes de votre majesté, ont voté une somme considérable, pour la liquidation des dettes de la liste civile ; convaincues qu'en mettant votre majesté en état de soutenir sa dignité dans tout son lustre, elles ne peuvent que travailler au bien de la nation ; elles ont donné avec une extrême libéralité, quoique les tems soient durs & fâcheux, & qu'en général, nous soyons taxés au-delà de nos moyens ; elles vous ont accordé un revenu bien supérieur à vos besoins, fondées sur l'espérance que votre majesté emploiera sagement ce que ses fidèles communes lui accordent de si bonne grâce.

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Discours véhément de M. Burke, contre lord North, prononcé dans le Comité de voies & moyens formé à l'effet de calculer les fonds nécessaires au paiement des subsides accordés au Roi ; il se récrie sur l'énormité des sommes employées & de celles qu'on demande ;& sur l'utilité & le danger de leur emploi ; se trouvant vraiment consommées dans les frais d'une triple guerre contre l'Amérique déjà perdue pour l'Angleterre, contre la France & l'Espagne, guerre qu'il est impossible de soutenir & de terminer heureusement.

 

Du 31 Mai 1779.

Rien de si exact, rien de si vrai, que le tableau que l'honorable membre vient de nous tracer, des faits qu'entraînera la campagne de I779 : il est certain qu'ils monteront à la somme énorme de vingt millions sterlings, quand même la paix se signeroit demain ; il est également certain qu'à l'époque de cette même paix, supposée signée demain, la nation se trouveroit chargée d'une dette non-hypothéquée, de dix millions sterlings, qui, ajoutés à dix autres millions non-hypothéqués de dettes contractées dans le cours de la guerre d'Amérique, formeraient une dette[p.406]non-hypothéquée, de ving millions, lesquels, au denier vingt, établissent un intérêt annuel d'un million sterling ; enfin, il est certain encore, que ce million sterling non-hypothéqué, ajouté à un autre million sterling hypothéqué, que la nation paie annuellement pour l'intérêt d'une dette de vingt millions, complette les deux millions sterlings que le peuple Anglais doit payer annuellement pour avoir eu le plaisir de perdre l'Amérique.

Autant que l'on en peut juger par l'extérieur, quelque puisse être d'ailleurs l'intérieur du noble lord, sa contenance est passablement bonne, on voit qu'il se prépare pour une autre campagne en Amérique, & il nous étale d'avance ses moyens : les fonds d'amortissement, nous dit-il, produiront beaucoup plus cette année-ci qu'ils ne l'ont fait l'année dernière : nous tirerons parti de l'impôt sur les maisons & sur les domestiques, & au lieu de nous laisser en déficit, comme ils l'ont fait cette année, l'année prochaine cet impôt rendra au-delà de sa première appréciation… D'ailleurs, nous dit encore le noble lord, nous avons l'année prochaine une bonne somme d'argent à attendre des Indes Orientales, qui nous passera de plus un revenu annuel & déterminé en considération des produits de ses possessions territoriales.… Et puis,[p.407]ajoute le noble lord, dans un an ou deux la caisse d'amortissement recevra une augmentation annuelle de deux cent mille livres sterlings par l'extinction de quelques annuités qui sont encore à sa charge… L'on voit que ce sera une belle & bonne année que cette bienheureuse année prochaine ; en attendant que tant de prospérités nous enivrent, considérons sous leur vrai point de vue, les promesses d'or, dont le noble lord est si prodigue : son objet dans ce moment-ci est d'engager cette chambre & la nation en général à continuer la guerre d'Amérique.

On ne nous parle plus de lever des subsides pour le service de cette année ; on nous parle des augmentations qui surviennent dans la caisse d'amortissement & des revenus fixes que nous allons tirer de la compagnie des Indes Orientales, c'est-à-dire, qu'on cherche à alimenter notre espoir de la fumée d'une supposition peut-être impossible, suivie d'une autre supposition plus impossible encore.

1°. Supposition de l'état florissant dans lequel se trouve la caisse d'amortissement & d'un revenu fixe que nous tirerons de la compagnie des Indes.

2°. Supposition, bien plus hasardée, que les prêteurs regarderont ces objets comme des sûretés[p.408]suffisantes. Au reste, pour le moment occupons-nous du plus essentiel : j'ai dit que le noble lord se prépare pour une autre campagne en Amérique ; il nous l'avoit annoncé dès le commencement de cette session, & à prendre la substance de tout ce qu'il nous a dit depuis, à ce sujet, elle reviendroit à ceci ;« Nous ferons cette campagne encore, mais elle sera infiniment moins dispendieuse que les précédentes, parce que les dispositions des Américains à rentrer dans l'obéissance, l'impossibilité où se trouve le Congrès de soutenir son pouvoir usurpé, les efforts vigoureux & unanimes de l'Angleterre, sont des circonstances favorables qui annoncent que les destins de l'Amérique seront décidés dans le cours de l'année prochaine »… Tout cela est à merveille en spéculation ; mais quelque chose de plus positif, c'est que voilà dix millions sterlings à ajouter au fardeau qui me paroissoit déjà assez proportionné à nos forces ; voilà un demi-million sterling d'intérêts payables à perpétuité ; en un mot, voilà une perte certaine ; considérons quels sont les profits en spéculation, à quoi les porterons nous ? À rien, absolument à rien ! L'Amérique est perdue, irrévocablement perdue : qu'avons-nous pour nous dédommager de cette perte une triple guerre à soutenir ; une guerre contre[p.409]la France, une guerre contre l'Espagne, une guerre contre l'Amérique, contre cette même Amérique que nous avons perdue, & à qui il ne reste plus que de coopérer dans le grand ouvrage de notre ruine, de notre destruction : mais pour marcher avec ordre dans l'examen que j'entreprends de notre situation actuelle, je commencerai par établir ce que j'ai avancé, que l'Amérique est perdue pour nous.

Depuis quelque tems nous nous assemblons régulièrement deux fois la semaine pour entendre le témoignage des officiers qui ont servi en Amérique, & prendre leur opinion sur le degré de probabilité qu'ils assignent aux succès que l'on peut se promettre de la continuation de cette guerre ; nous avons prolongé nos séances bien avant dans la nuit ; nous avons interrogé, consulté, répliqué, confronté, &c. qu'avons-nous appris ? Que les Américains en général entretiennent des dispositions hostiles contre nous, que le pays, où nous leur faisons la guerre nous présente à chaque mille quelque forteresse naturelle ; que les rebelles sont parfaitement bien disciplinés ; qu'il n'est pas de peuple qui les égale en adresse, lorsqu'il s'agit de construire à la hâte des ouvrages de campagne & les défenses de toute espèce ; que vu la nature du pays & la disposition des habitans[p.410]il est à peu près impossible de se procurer des informations ; que le pays en général est coupé de rivières larges, profondes & rapides, abonde en criques, est couvert de bois & de marais ; qu'en un mot il est impossible d'y faire la guerre avec succès, quelques considérables que soient les forces que nous pourrions employer pour réussir.

Aujourd'hui, du moins, on ne m'objectera pas que ce que je dis est de la déclamation d'opposition ; que je parle d'après des ouï-dire, des conjectures, je ne suis que l'écho des deux généraux qui ont commandé en Amérique, leur déclaration se trouve confirmée par tous les officiers de grade supérieur qui ont servi sous eux. Ces vérités de fait étant établies, que nous reste-t-il à faire ? Très-certainement si nous ne pouvons pas recouvrer l'Amérique, s'il est seulement prouvé qu'il est dangereux de nous obstiner à la recouvrer, nous ne devons nous occuper que des moyens d'y renoncer de la manière qui nous compromette le moins. Point du tout, ce n'est pas de ces moyens que s'occupe le noble lord ; c'est des voies & moyens que l'on peut mettre en usage pour heurter de front toutes ces difficultés qui ne le déconcertent pas ; le refrein ordinaire est une autre campagne ; je me rappelle que lors du premier budget, lorsque le noble lord nous dit que la[p.411]campagne seroit moins dispendieuse, qu'on la nourriroit modérément, vingt gros pourvoyeurs, munitionnaires, entrepreneurs, gens à contrats, s'écrièrent derrière lui, nourrissez-la bien, nourrissez-la bien. C'est ainsi que ce pays dévoué doit être saigné jusqu'à ce que mort s'ensuive : mis au pillage jusqu'à ce qu'il ne lui reste pas un scheling. En effet qu'importe tout cela aux gens à contrats, avides corbeaux, oiseaux de proie insatiables ; qu'ont-ils à faire, quelle est leur occupation naturelle ? sucer le sang de leur patrie, dessécher jusqu'aux principes de sa vie, se repaître de ses entrailles, se gorger de sa substance, & remplir finalement leurs panses dévorantes des restes de son cadavre froid ! Mais revenons aux moyens du noble lord, à ces heureux moyens qui doivent le mettre en état de continuer cette guerre ruineuse ; ils sont de trois espèces !

Une augmentation de deniers dans la caisse d'amortissement, deux cent mille livres sterlings qui reviendront annuellement au moyen de l'extinction de quelques annuités, un revenu fixe, annuel & permanent que l'on tirera de la compagnie des Indes Orientales ! À cela je réponds 1°. que le noble lord fait parfaitement bien que la caisse d'amortissement ne suffit pas aux paiement déjà assignés sur elle : que les cinq pour[p.412]cent ajoutés au produit des douannes & de l'exercise, la taxe sur les chevaux de poste, & le droit de contrôle, vu la manière dont ces objets divers sont perçus, ne peuvent être versés dans le trésor de l'échiquier à l'expiration du quartier de noël, & que le noble lord ne pouvant ignorer tout cela, que bien loin de trouver une augmentation de deniers dans la caisse d'amortissement, il y trouvera nécessairement une diminution ou déficit montant presque à la somme qui suffiroit pour payer cette année l'intérêt de l'emprunt de sept millions : c'est-à-dire, à plus de quatre cent mille livres sterlings. Voilà à quoi se réduisent de ce côté les ressources du noble lord.

2°. Il n'est pas possible que le noble lord nous parle sérieusement, lorsqu'il comprend dans les voies & moyens pour l'année 1780, le montant des annuités qui ne seront éteintes qu'en 1781 & 1782.

3°. Le noble lord se propose d'engager les revenus fixes qu'il compte tirer de la compagnie des Indes. Hélas ! les mêmes objections s'élèvent contre cette troisième ressource ! Je suppose que le noble lord s'est arrangé avec la compagnie, que l'on est réciproquement convenu des termes, que l'acte est passé & le revenu certain : quand tout cela sera fait, l'argent[p.413]arrivera-t-il à tems pour payer les intérêts qui seront dûs en 1780 ? Cela est impossible : mais il y a plus, je regarde comme absolument impraticable le projet d'établir un revenu fixe :& j'ose prédire que le noble lord sera convaincu de cette triste vérité, lorsqu'il entrera en négociation avec les hommes à argent : ils n'auront pas de confiance dans une hypothèque si précaire. Dans le fait, il faut convenir que ce que nous possédons de territoire dans les Indes Orientales nous procure certains avantages à l'égard du commerce & de la force militaire ; mais c'est à ces égards seuls que ces possessions nous sont utiles. Nous avons déjà fait la tentative que l'on veut renouveller aujourd'hui, & nous nous sommes vu dans la nécessité de renoncer à un revenu annuel, mais idéal, de quatre cent mille livres sterlings, lorsque nous avons. vu que la compagnie faisoit banqueroute, & s'adressoit à cette chambre pour en recevoir du soulagement. L'établissement militaire sur le pied où il a été monté dans les Indes, absorbe absolument tout le produit des terres : encore une fois tous les avantages que nous pouvons jamais tirer de ces possessions, se réduisent à ceux qui en résultent pour le commerce, à celui d'une augmentation dans la masse des propriétés dont le produit se consomme dans l'intérieur[p.414]du royaume, enfin au poids qu'elles nous donnent dans ces contrées & à la préférence qu'elles nous y assurent sur la Hollande, la France, l'Espagne, & sur toutes les autres puissances de l'Europe qui y possèdent quelque territoire : il est certain que la compagnie est en état de défendre ses possessions dans cette partie du monde ; qu'elle peut y nuire à nos ennemis, qu'elle ajoute en conséquence un degré de force & de dignité à la dignité & à la force collectives de l'empire Britannique : mais si nos possessions dans les Indes Orientales doivent passer sous la protection de la couronne, si elles doivent être gouvernées à l'instar d'une province militaire, je crains bien qu'elles ne subissent le sort de nos possessions Occidentales, & qu'un beau jour on ne nous les enlève.

Je crois avoir démontré que continuer la guerre en Amérique est une chose impraticable : je crois avoir démontré que les moyens du noble lord sont impraticables ; de cette double démonstration, il résulte que pour assigner des fonds aux intérêts de l'emprunt que l'on sera l'année prochaine, il faudra ajouter quelqu'impôt onéreux au fardeau dont le peuple est déjà surchargé ; que le nouvel impôt ne rendra pas une somme proportionnée à son évaluation, inconvénient familier que l'on a éprouvé les trois dernières années ;[p.415]que pour suppléer au déficit, on puisera encore dans la caisse d'amortissement, qu'ainsi l'on anticipera éternellement sur les produits : il ne me reste plus qu'à demander à la chambre s'il est sage d'employer des ressources si dangereuses à la continuation d'une guerre démontrée impraticable.

Mon honorable ami (M. Hartley) a invité le noble lord à faire quelque proposition, conforme aux circonstances, pour gagner l'Espagne de vitesse & tâcher de se réconcilier avec l'Amérique avant que la cour de Madrid ait violé sa neutralité ; la raison qu'il en a en donnée est, que si l'Espagne se déclare contre nous, il ne sera plus tems de traiter avec l'Amérique, qui ne voudroit entendre à aucuns termes ; je ne vois pas à cet égard, les choses du même œil dont mon honorable ami paroît les voir ; je ne crois pas que l'Espagne puisse être gagnée de vitesse, & certainement pour me servir de l'expression de mon honorable ami, l'Amérique ne voudroit entendre à aucuns termes, parce l'Espagne n'est plus une puissance neutre ou médiatrice ; il n'y a que peu de jours que sa neutralité & sa médiation se sont évanouies ; quand je dis peu de jours, il n'y en à peut-être pas cinq ! Rien de si récent & rien de si vrai ! Je conviens avec mon honorable ami que l'Espagne enfin liguée avec la France, fera[p.416]pencher la balance contre nous : cependant je ne me sentirois pas découragé, si nous pouvions nous débarrasser de la guerre d'Amérique ; nous avons souvent eu la France & l'Espagne à combattre ensemble, nous les avons vaincues sur l'élément qui nous est propre, sur l'Océan ; je me flatte encore que si nous étions unis, si nos conseils étoient sagement & vigoureusement dirigés, si la nation enfin développoit ses ressources & ses efforts, nous résisterions à ceux des deux monarchies ennemies ; je ne verrois point qu'il y eut lieu de désespérer, si l'on rétablissoit la confiance parmi le peuple, si l'on anéantissoit le système dangereux de la cour ; si l'on confinoit dans ses limites constitutionelles l'influence de la cour ; mais le moment est critique, il veut être saisi ; rappellez vos troupes, qui se consument en vain en Amérique ; cette première démarche faite, si les Américains ne veulent pas former avec nous une connexion politique, du moins, lors qu'ils verront que la maison de Bourbon s'est liguée pour consommer l'ouvrage de notre ruine totale, ils sentiront l'inimitié expirer dans leurs cœurs ; ils oublieront les maux que nous leur avons faits ; leurs âmes s'ouvriront aux douces émotions qui naissent dans celle d'un enfant à l'aspect d'une mère infortunée, dont la vivacité mal entendue ou l'imprudence ont occasionné[p.417]les égaremens & les malheurs. Au reste, l'Amérique ne voulût-elle consentir qu'a la neutralité, je ne désespérerois pas encore : je regarderois mon pays comme en état, non-seulement de résister à la maison de Bourbon unie, mais même de triompher de ses efforts combinés ; pendant ce tems-là, l'Amérique démêleroit dans la conduite de ces deux monarchies, que ce n'est pas de sa liberté qu'elles s'occupent, mais de l'exécution d'un plan formé par l'ambition de nos ennemis communs, dont l'objet unique est la ruine d'une mère jadis indulgente & tendre pour elle. Ici je répéterai encore, & pour cause, que toute espèce de négociation avec l'Espagne est rompue, & que cette puissance est récemment & ouvertement liguée avec la France ! Le noble lord le sait parfaitement, je le somme de me contredire ; s'il ne le fait pas, mon assertion est positive : dans ce cas, je le conjure de ne pas perdre un seul instant, & de saisir le moment unique que le moindre délai lui enlèveroit sans retour ; les destins de l'empire, l'existence même de ce pays sont attachés à la célérité, à la vigueur, à l'unanimité. Il me reste un mot à dire ; mon honorable ami nous a présenté des états des forces navales de l'Espagne, je les crois corrects, parce que j'en ai reçu moi-même de parfaitement conformes, les voilà : pour le[p.418]moments nous sommes supérieurs à la France sur l'Océan, dans les Indes occidentales, je crois même que nous le sommes dans les Indes orientales ; nous ne lui sommes inférieurs que dans la Méditerranée, où nos deux importantes forteresses sont très-certainement à la merci de la maison de Bourbon : mais que deviendra notre supériorité, si, comme le dit mon honorable ami, l'Espagne met quarante-huit vaisseaux de ligne dans la balance ; si nous perdons une fois en Europe l'empire de la mer, nous le perdrons par-tout ; la raison en est simple, dès que la maison de Bourbon aura établi sa supériorité sur les mers Européennes, elle interceptera tout ce que nous ferons passer dans les deux Indes, de vivres, de munitions, d'approvisionnemens militaires, &c. privés de ces secours, il faut que nos possessions éloignées tombent au pouvoir de nos ennemis.

[p.419]

 

Message de Sa Majesté qui demande à ses fidèles Communes des subsides qui la mette en état de fournir aux dépenses extraordinaires du service militaire pour l'année 1779.

 

Du 1 Juin 1779.

George Roi.

Sa Majesté se reposant sur les marques répétées de zèle & d'affection que lui ont donné ses fidèles communes, & considérant que de l'état critique des affaires actuelles, il peut naître des événemens de la plus haute importance, & dont les suites pourroient être de la plus dangereuse conséquence, si l'on n'employoit pas immédiatement les moyens les plus propres de les prévenir, désire que cette chambre le mette en état de fournir aux dépenses extraordinaires déjà faites ou à faire, à raison de services militaires pour l'année 1779, & de prendre toutes les mesures que la nature & le cours des affaires pourront exiger.

Signé George Roi.

Il fut convenu sur le champ que la chambre se formeroit le lendemain en comité général, pour prendre le message en considération.

[p.420]

 

Discours du Procureur-général à l'ouverture du Budget, lors de la formation de la Chambre des Communes du Parlement d'Irlande en Comité de Subsides. Il consent à ce que la durée des Bills pécuniaires soit bornée à six mois.

 

Du 25 Novembre 1779.

Après ce qui s'est passé dans le commencement de cette cession, connoissant comme je le dois les dispositions de la chambre, à l'égard de l'octroi des subsides & de la durée des bills pécuniaires, je ne ferai point un vain étalage du zèle ministériel, en vous proposant aucun bill pour la durée ordinaire de deux ans : je sais qu'à l'égard du terme, vous voulez qu'il soit borné à six mois ; je me renferme donc dans le cercle des résolutions suivantes que je vous propose.

Résolu qu'une somme, &c. &c.

[p.421]

 

Discours de sir Charles Bunbury, dans lequel il expose plusieurs considérations par rapport aux Subsides demandés & aux estimations proposées par le Ministre. Éloge ; à ce sujet, de l'administration des finances du Roi de France & de celles du Roi d'Espagne.

 

Du 8 Décembre 1779.

Avant de voter en faveur des estimations immenses qui vous sont proposées, je voudrais que vous considérassiez jusqu'à quel point il peut être sage ou politique de les approuver ; jusqu'à quel point ce qui reste de ressources à ce pays opprimé & dépérissant tous les jours, est capable de fournir aux dépenses qu'exigent ces estimations : en vérité pour vous engager à donner à ces objets l'attention très-sérieuse qu'ils méritent, je ne sais exactement comment m'y prendre… Bornons-nous pour le moment à considérer les propositions du ministre sous deux points de vue : sommes-nous en état de supporter les dépenses immenses qu'entraînent ces estimations ? En supposant que nous puisions faire ce dernier effort, sera-t-il assez efficace pour nous faire arriver au vrai but de la guerre,[p.422]celui d'obtenir une paix honorable ? J'ignore quelles sont les expressions dont je pourrois faire usage avec succès, pour vous faire envisager la rapidité avec laquelle, du faîte de l'abondance & de la prospérité, ce pays est tombé dans l'abîme effrayant de l'indigence & d'une ruine absolue : mais si vous vous aveuglez sur tout ce qui saute aux yeux, si vous fermez l'oreille à tout ce que les hommes peuvent vous dire, il est une voix puissante qui finira par se faire entendre : cette voix est celle de l'intérêt ; elle vous crie depuis long-tems ;« Regardez autour de vous ; voyez vos rentes qui diminuent tous les jours, vos fermes qui tombent en ruine, vos fermiers qui font banqueroute ! sont-ce-là des symptômes de la prospérité ? Je ne vois que des campagnes désertes ; que des villes où les soldats occupent la place des fabriquans : partout le commerce, l'agriculture, les manufactures languissent… Eh ! ce n'est pas là le spectacle le plus affligeant ; l'enceinte de ces murs en offre un plus déchirant mille fois, pour une âme sensible, parce qu'il ôte jusqu'à l'espoir de voir renaître des jours plus sereins ! Que voit-on dans cette chambre ? d'un côté, une minorité dont une partie en proie à l'accablement, atteste par sa taciturnité, qu'elle ne voit point de salut pour l'état ; tandis que l'autre partie[p.423]se livrant aux transports du ressentiment, nomme hautement les auteurs de nos maux, qu'elle accable du poids de son indignation : d'un autre côté, une majorité plus morne encore, dont les membres muets en présence du ministre parlent plus haut que personne lorsqu'ils ne sont plus sous ses yeux, publient & approuvent hautement la conduite de ceux qui se sont opposés aux mesures en faveur desquelles ils viennent de voter » ! Celle qui fait l'objet de mes observations sera-t-elle, comme tant d'autres, inconsidérément adoptée ? En vérité, si l'on ne s'aveugle de propos délibéré, il est aisé de se former une idée de la situation de ce pays : sa dette, comme on le sait, monte à la somme monstrueuse de cent quatre-vingt-dix millions sterlings. Le Ministre a déjà emprunté vingt millions sterlings, à un intérêt que seul dans le royaume il peut avoir l'audace de payer ; parce que les loix ont pourvu à ce qu'aucun particulier ne put impunément faire un trafic odieux de l'usure : cet intérêt fou, qu'il paie à ceux qui lui prêtent, n'est pas seulement à charge à l'état, il est ruineux pour les particuliers ; il n'est plus possible de trouver de l'argent à emprunter, parce que l'usure ne peut se pratiquer impunément qu'avec le ministre : or, l'on sent que ce[p.424]défaut de circulation, est la mort du commerce.

Je vous invite donc à rapprocher le tableau des estimations immenses qu'on nous présente, de l'état d'appauvrissement dans lequel se trouve plongé un peuple gémissant sous le poids des impôts ; impôts qui, multipliés & variés au point de mettre l'industrie humaine dans l'impossibilité d'en imaginer de nouveaux, produisent le double effet, de vexer le peuple, & de produire peu pour le trésor public. Une autre comparaison que je vous invite à faire, c'est celle de nos finances avec celles de la France & de l'Espagne : il y a deux ans que la première de ces puissances est en guerre avec nous ;& elle n'a pas encore imposé sur ses sujets la moindre des taxes extraordinaires qu'ils étoient dans l'usage de payer en tems de guerre : elle se propose d'emprunter deux millions sterlings pour le service de 1780 ; mais l'intérêt de cet emprunt ne sera pas à la charge des sujets, il sera payé du produit des épargnes du gouvernement. L'Espagne fraîche encore, & qui à peine est entrée en guerre, a plus d'or qu'il n'en faut dans ses coffres pour la soutenir pendant deux ans, sans incommoder ses sujets : or je demande au noble lord, je demande à son partisan le plus outré s'il croit sincèrement que nous puissions,[p.425]avec toutes nos ressources si vantées, résister encore long-tems à la confédération puissante qui nous menace ?&c. &c. &c.

 

Discours plein de force de M. Fox, contre l'augmentation allarmante des dépenses nationales, & particulièrement de celles connues sous le nom des extraordinaires de l'armée. Éloge, à ce sujet ; de l'administration des Finances du Roi de France. M. Fox finit par demander qu'il soit fait une réforme dans l'extraordinaire de l'armée ;& qu'il soit établi un Comité à l'effet de faire une enquête sur les dépenses publiques.

 

Du 15 Décembre 1779.

Ces dépenses sont prodigieuses ; c'est un mal dévorant qui empire tous les jours, & si l'on n'y applique un remède prompt & efficace, la mort politique de ce pays est inévitable : indépendamment de la profusion & de la prodigalité qui ruinent les empires, ainsi que les particuliers ; ces sommes énormes, dont l'emploi est inconnu & qui forment, strictement parlant, la liste civile de lord North, sont dans les mains du ministre une source empoisonnée de corruption, & ne servent qu'à augmenter l'influence[p.426]de la couronne ; cette influence funeste, dont aux jours de la révolution nos sages ancêtres n'ont pas même soupçonné la possibilité, lorsqu'ils posèrent les limites de la prérogative royale : ce n'est pas que je sois ennemi de cette prérogative ; au contraire, en supposant qu'on n'en abuse pas, je la regarde comme aussi précieuse dans la constitution que les droits même du peuple : ce que je hais en elle, c'est sa nature empiétante, c'est cette maudite influence qui en émane, qui, éternellement déguisée sous le voile de l'autorité législative, sappe lentement l'édifice de notre constitution… J'allois dire sage, quoique l'on soit tenté de rire lorsque l'on considère que les graves & vertueux personnages, auxquels nous devons cette constitution, si admirable d'ailleurs, n'ont pas prévu, que faute de quelques restrictions, il s'éleveroit, avec le tems, sur les débris de leur ouvrage, un nouveau pouvoir, plus fatal à leur postérité que celui qu'ils venoient d'abolir. Au nombre des fautes de ces hommes vénérables, on peut placer, comme n'étant pas la moins considérable, celle qu'ils ont faite, en assignant au roi une liste civile, montant à une somme fixe & déterminée pour tous les tems, dans toutes les circonstances, où l'empire peut se trouver ; de sorte que le premier magistrat, qui devrait se ressentir plus immédiatement[p.427]de la prospérité ou des infortunes de la nation, est condamné par l'égalité confiante de sa position à l'indifférence à l'égard de l'une ou des autres, parce qu'il sait que ses revenus personnels ne peuvent ni croître ni diminuer : il est certain que la liste civile du roi est une source de corruption, peu propre à se concilier de sages apologistes ; mais si on la rapproche de cette autre branche des dépenses nationales, comprises sous le titre d'extraordinaires de l'armée, (des troupes de terre) de cette branche que je ne puis regarder que comme étant la liste civile de lord North ; on trouvera que la première n'est rien en comparaison : l'une, à quelques égards, est soumise à une sorte d'inspection ; l'autre n'en connoît point, & s'accroît tous les jours ; en vérité, le moment de la réforme paroît être arrivé, ou il n'arrivera jamais : nous sommes embarqués dans une guerre qui nous coûte déjà 42 millions sterlings : la nation est chargée pour jamais de payer l'intérêt énorme d'un million 800 livres sterlings ! Il est tems d'enrayer.

Dans cette masse monstrueuse de dettes, contractées depuis quatre ans, l'article seul des extraordinaires de l'armée monte à huit millions sterlings ! On ne trouvera pas dans notre histoire d'exemple approchant de ce fait, trop malheureusement constaté : assurément l'économie n'étoit[p.428]pas la vertu favorite de lord Chatham ; cependant, sous l'administration glorieuse de ce grand homme, les articles de dépenses, compris sous la dénomination d'extraordinaires de l'armée, ne montoient pas, à beaucoup près, si haut qu'ils montent aujourd'hui, c'est-à-dire, qu'avec moins de moyens ; nous remplissions les quatre parties du monde de la gloire du nom Anglais. Aujourd'hui, dans tous les départemens du trésor public, il semble que l'objet de l'administration soit uniquement d'enrichir quelques créatures, quelques favoris : tout se fait par entreprise, par adjudication de faveur : la dernière idée qui se présente, est celle de retrancher les dépenses superflues.

Lors de la dernière guerre, l'entreprise des approvisionnemens pour l'armée, qui servoit dans l'Amérique septentrionale, n'étoit pas divisée & subdivisée ; elle étoit confiée à un seul homme solvable, assujetti à des conditions si strictes, qu'il eût été difficile de faire un meilleur marché pour le public. Quels sont aujourd'hui les munitionnaires employés ? Ce n'est point un sir William Baker, ce n'est point un négociant, respectable, habile, riche & indépendant, ce sont diverses personnes : c'est un M. Atkinson, & autres gens, dont les noms & les connexions sont trop connues ; pour qu'il soit nécessaire d'en[p.429]faire mention. Comment se sont aujourd'hui les adjudications pour ces sortes d'entreprises ? Ce n'est pas à l'enchère, ce n'est pas en donnant des notices publiques ; c'est dans un coin qu'elles se font clandestinement entre le ministre & ses protégés, au point que quelques-uns de ces marchés n'ont été connus des autres membres du bureau que huit mois après qu'ils ont été faits.

Indépendamment d'une infinité d'articles, répréhensibles dans le chapitre des extraordinaires de l'armée, il en est deux, dont l'abus est plus frappant, & qui tire plus à conséquence que le reste ; le premier est l'usage dans lequel on a récemment mis les gouverneurs des îles occidentales de tirer sur le trésor ; le second est ; l'usage également nouveau, de distribuer des présens parmi les Indiens : si ces deux usages avoient lieu antérieurement à l'époque de la guerre actuelle, ils étoient à peine perceptibles : il pouvoit arriver que les gouverneurs tirassent sur le trésor pour quelques centaines de livres sterlings : aujourd'hui leurs traites forment un objet de quatre-vingt-dix mille livres sterlings. À l'égard des présens faits aux Indiens, on ne connoissoit pas cet article, aujourd'hui porté à 117 mille livres sterlings dans le mémoire du surintendant des affaires des Indiens dans les districts méridionaux de l'Amérique ! Quel a été l'effet de[p.430]ces présents ? À force d'intriguer, le gouverneur Tryon a réussi à faire parcourir par les Indiens l'étendue du territoire qui se trouve entre les derrières de la Susquehanna& les parties septentrionales de la Virginie ;& nous avons actuellement, dans un de nos forts, quelques centaines de ces mêmes Indiens, que nous payons à raison de quatre schelings (4 livres 12 sous tournois) par jour, pour chaque homme ! Avons-nous tiré plus d'avantages des sommes payées par l'administration aux gouverneurs de nos îles ? Qu'est devenue la Dominique ? Qu'est devenu Saint-Vincent ? Qu'est devenue la Grenade ? Ces îles ont-elles été mises dans un meilleur état de défense ? Quelle a été la conduite du gouverneur Morris ? La plus infâme qu'il fut possible d'adopter : ce gouverneur, dont l'occupation essentielle a été d'opprimer les Caraïbes au dernier excès, & même de leur faire la guerre, a plus tiré sur notre trésor qu'aucun autre ! Quel emploi a-t-il fait de cet argent, & quel fruit en avons-nous tiré ? Saint-Vincent a capitulé sans essayer même de se défendre, quoique sa garnison fût supérieure en nombre aux forces ennemies, auxquelles elle s'est rendue ! Tel est l'emploi que l'on fait des deniers publics ; telle est l'utilité de la plupart des articles compris sous le titre général d'extraordinaires de l'armée ! Comparons[p.431]actuellement ce système de prodigalité ; de dissipation extravagante, avec le système économique qui distingue aujourd'hui la France, qui fait de son administration l'objet de l'admiration ;& le fondement de la confiance de l'Europe.

Les ministres de S. M. T. C. ont conseillé à leur maître de faire ce que la constitution de ses états n'exigeoit pas de lui ; d'instruire ses sujets du véritable état de ses finances ; de leur faire part de la manière dont l'emploi en étoit fait ; d'éloigner dans tous les départemens les dépenses, non-seulement superflues, mais celles qui ne sont pas tout-à-fait indispensables ; de simplifier les moyens de perception ; de rapprocher dans un même tableau, sous un seul & même point de vue, les chapitres de recette & de dépense, afin que les sujets pussent avoir la consolation de voir que le dernier n'absorbe pas mal-à-propos le premier : vous avez vu, ces jours-ci, milords, un édit de S. M. T. C., portant création de cinq millions de rentes viagères ; il est étonnant que les papiers publics ne vous en aient pas fait connoître un autre d'une nature bien plus alarmante pour ce pays : le premier nous apprend que le roi de France peut lever les subsides nécessaires au service de l'année prochaine, sans exiger de ses sujets les impôts extraordinaires[p.432]que sous les règnes précédens, ils étoient dans l'usage de payer, en tems de guerre ; le second nous démontre que nous avons affaire à une nation qui cherche dans l'économie le principe de sa force, & qui, par l'adoption prudente de son nouveau système, a trouvé le secret d'ajouter tous les jours à l'immensité de ses ressources. (Ici, tirant l'édit de sa poche, le comte de Shelburne en lut un passage…)

Je demande si dans la conduite de nos administrateurs on remarque le moindre indice qui annonce qu'ils prennent un intérêt si marqué à la prospérité de la nation ? Depuis que lord North préside au bureau du trésor, tout est relâchement dans son département ; (ici l'orateur fit des citations, des énumérations d'abus divers ;&c) ; c'est à ces abus qu'il s'agit de remédier : la question n'est pas de savoir s'il reste encore quelques ressources, mais s'il reste quelque moyen d'empêcher que l'on n'ait recours à de nouvelles & dernières ressources ; vraiment je sais très-bien que les ministres seroient prompts à découvrir quelques objets susceptibles de nouveaux impôts. Dans une brochure fiscale récemment publiée, il a été donné à entendre qu'il restoit encore à taxer les chevaux, les selles, &c : mais les rêveries d'un commis des bureaux ne sont pas les moyens propres à sauver les nations,[p.433]ni à nous diriger dans les procédés qu'exige la situation pressante de notre pays : le premier cas à faire est celui qui conduira a une enquête dont l'objet soit de nous aider à découvrir l'origine des abus qu'il s'agit de supprimer. Je suis uni à une classe de citoyens (l'opposition) déterminés à fonder la blessure jusqu'au fond ; à fixer les yeux du peuple sur l'intention dangereuse des ministres ; à pénétrer ce même peuple du sentiment de sa situation ; à l'aider à se réintégrer dans l'état de sûreté & de bonheur auquel on l'a arraché : que les ministres en pensent tout ce qu'ils voudront ; ils trouveront que toutes les parties de ce qu'ils appellent opposition sont intimement & sincèrement unies, que les membres de cette opposition ne se rebuteront pas ; qu'ils persévéreront dans le parti solide qu'ils ont pris, jusqu'à ce qu'ils aient réussi à effectuer une réforme devenue indispensable ; que quelque changement qui puisse survenir dans le ministre d'ici à la rentrée du parlement, après les vacances des fêtes, ils reparoîtront, remplis de leurs devoirs, uniformément déterminés à repousser toutes les tentatives qui pourroient être faites pour ajouter encore aux calamités dont ce pays est déjà affligé : qu'aucun d'eux n'acceptera ni place, ni émolumens à la disposition de la couronne, jusqu'à ce que sa[p.434]majesté soit convaincue des erreurs qu'on lui a fait adopter, & paroisse disposée à placer sa confiance dans d'autres hommes qui la serviront le mieux possible selon l'étendue de leurs talens, qui agiront, par eux-mêmes, & ne se soumettront point aux instructions secrètes d'autrui.

C'est dans ces dispositions, milords, que je vous propose deux résolutions à prendre ; je vais présenter la première en forme de motion régulière, je laisserai la seconde sur la table jusqu'après les fêtes, afin que vous & ceux des nobles lords, qui sont absens, ayez le tems convenable de la prendre en considération & d'en peser toute l'importance.

(Première motion) « Que l'addition allarmante qui se fait annuellement à la dette nationale, déjà énorme, sous le titre de l'extraordinaire de l'armée ou des services divers, demande une réforme, vu que l'acte de porter les dépenses nationales au-dessus des octrois faits par le parlement, est dans tous les tems une invasion des droits fondamentaux du parlement ;& que dans la situation déplorable ou se trouve actuellement la Grande-Bretagne & l'Irlande, la plus grande économie est indispensablement nécessaire ».

(Seconde motion) « Qu'il soit nommé un comité, formé des membres des deux chambres[p.435]du parlement, qui ne tiennent de la couronne ni pensions ni émolumens quelconques, à l'effet d'examiner sans délai, les dépenses publiques ainsi que la manière dont il en est rendu compte, & particulièrement celles dont se font les adjudications pour les entreprises : ledit comité sera chargé de prendre en considération, quelles sont les épargnes qui peuvent être faites (observant qu'elles soient compatibles avec la dignité, la justice & la gratitude publiques) en abolissant des places, soit anciennement, soit nouvellement créées, ou les survivances desdites places dont les fonctions n'ont plus lieu, ou paroîtront n'être pas d'une utilité qui réponde aux émolumens qui y sont attachés, & en réduisant en général, les salaires, profits, & toutes espèces de concessions qui paroîtront n'être pas raisonnables, afin que le produit desdites épargnes puisse contribuer à la diminution des dépenses ruineuses dont l'état est surchargé, & nous mette en état de pousser la guerre actuelle contre la maison de Bourbon, avec cette vigueur décisive qui ne peut être que le résultat du zèle de la nation, de sa confiance & de son unanimité ».

Ces propositions, milords, sont le fruit de quatorze ans de réflexions sur les causes de l'augmentation survenue dans les dépenses publiques ; elles me paroissent suggérer le meilleur moyen[p.436]possible d'ébaucher un système de réforme. On a fait de tems à autre diverses propositions relatives au même objet ; quelques personnes ont cru que si le parlement étoit renouvellé chaque année ce seroit un moyen de réussir ; d'autres ont proposé l'abolition de certaines places & toutes les pensions en cédant une certaine somme : mes idées sont parfaitement compatibles avec ces deux systèmes…

 

Discours de M. Burke, dans lequel il compare l'administration des Finances de la France, avec celle de l'Angleterre ; il oppose la sagesse du Ministre Français (M. Necker) à l'impéritie & à la prodigalité des Ministres Anglais. M. Burke s'élève ensuite contre la corruption qui s'étend par-tout & finit par annoncer un plan de réforme dans l'économie, qu'il soumettra incessamment au Parlement,

 

Du 15 Décembre 1779.

Monsieur,

Je dois communiquer à la chambre les réflexions tristes que m'arrache une circonstance dangereuse, & on ne peut pas plus alarmante ;[p.437]ce papier que vous voyez dans mes mains, est une gazette Française, contenant un édit du roi de France, en vertu duquel ce prince se propose de faire un emprunt de cinq millions tournois en rentes viagères. (Ici, M. Burke lut le préambule de l'édit.) Ce que le préambule de cet édit donne à penser de l'état des finances de nos ennemis, mérite la plus sérieuse attention de notre part. Pendant que nous accumulons millions sur millions de dettes hypothéquées & non hypothéquées, la prudente économie de M. Necker a mis sa cour en état de n'avoir encore eu recours au peuple, que pour un emprunt qui ne paroîtra qu'une bagatelle, si on le compare avec le nouveau fardeau dont nous nous voyons surchargés ; mais ce qui rend le contraire infiniment plus frappant, dans l'état où se trouvent les finances des deux nations belligérantes, c'est que pour payer les intérêts de son emprunt, la France n'a pas besoin de créer le plus léger impôt. Ils seront payés du produit des épargnes que ce ministre prudent & sage a faites, en retranchant les superfluités sur la liste civile de son prince : aussi les Français sont-ils si éloignés de sentir le poids des impôts énormes sous lesquels l'Angleterre gémit, que dans la seconde année d'une guerre coûteuse, ils ne sont taxés que comme ils l'étoient en tems de paix : tous les[p.438]impôts qu'ils étoient dans l'usage de payer en tems de guerre sont encore en réserve ; c'est une batterie masquée qui, au moment où nous nous y attendrons le moins, jouera sur nous.

Lorsque nos ennemis nous donnent la leçon d'une économie salutaire, lorsqu'une puissance arbitraire donne un si bel exemple de réforme à un état qui se dit libre, quoique livré à tous les excès d'un despotisme insensé, n'est-il pas tems que cette chambre adopte quelque système de réforme, avant que notre ruine soit consommée ? On a proposé aujourd'hui un système de cette espèce, non pas dans cette chambre, mais dans celle des pairs, que-rien ne peut excuser de se mêler de ces sortes de matières, si ce n'est la négligence & la corruption qui règnent dans celle-ci.

Hélas ! cette chambre est le dernier recoin du monde, où une mesure salutaire puisse être accueillie ! Je crains bien que la corruption n'y soit trop enracinée, pour qu'une plante salutaire puisse jamais naître de son sol infecté. Le noble lord qui préside au bureau du trésor, a dit ce soir qu'il laissoit à la prudence de la chambre la décision de la question ; cela est à merveille, mais n'est-il pas trop connu que la prudence de cette chambre est sous la garde & à la discrétion de ce noble lord ? Et n'en sera-t-il pas toujours[p.439]ainsi, tant que des retranchemens dans le maniement des deniers publics ne mettront pas la corruption hors de sa portée ? Ces retranchemens, non-seulement rendront au peuple son bonheur, son opulence, sa liberté ; ils feront plus, ils rendront à la couronne sa prérogative, qui, quelque chère qu'elle soit à nos ministres actuels, grâce à leur foiblesse, s'est réduite à rien dans les mains de sa majesté : que la corruption soit bannie une fois ; que la constitution recouvre son énergie, & nous ne verrons pas la prérogative de la couronne s'en détacher, comme nous le voyons aujourd'hui ; nous ne verrons pas (en faisant allusion aux associations militaires de l'Irlande) une armée indépendante du pouvoir exécutif, auquel la constitution avoit si sagement confié l'autorité nécessaire, pour contenir les troupes ; nous ne verrons pas un peuple arracher l'épée à la main royale de sa majesté, à laquelle elle appartient constitutionnellement, & parce qu'il la juge incapable de la manier, & de s'en servir à sa discrétion pour sa propre défense ; mais si l'on n'apporte pas du changement dans ce système, il peut résulter des effets funestes de la foiblesse d'une autorité corrompue : ces effets peuvent s'étendre si loin, devenir si universels dans toutes les parties de l'empire, que le peuple[p.440]en général peut finir par prendre le parti d'agir de lui-même, & pour lui-même.

Lorsque le système de réforme fût proposé pour la première fois dans la chambre des pairs, il est curieux de connoître la nature & le fondement des objections que l'on y opposa : un noble lord n'a pas hésité d'y déclarer, qu'il seroit très-déplacé dans les circonstances actuelles, d'adopter un plan d'économie, parce que cette mesure pourroit intimider & décourager le peuple ! Voilà un raisonnement que je n'entends pas, je l'avoue : je ne puis pas dire, si la manière, dont nous autres Plébéiens, membres de cette chambre, envisageons & sentons les choses, diffère de celle dont les nobles sont affectés ; si les ressorts qui meuvent l'âme du Patricien & du Plébéien, sont d'une trempe différente ; ce dont je suis certain, c'est que mon âme ne seroit pas affaissée, si l'on me disoit que l'intention des ministres est d'adopter un plan d'économie, relatif à l'emploi des deniers publics ; si ma façon de voir n'est pas celle d'un noble pair, il faut croire que la constitution d'un être dans les veines duquel un sang noble circule, semblable à celle des vaporeux, n'est émue que par des sensations désagréables, & tout-à-fait opposées à celles qui sont les délices des autres êtres.[p.441]Au reste, la corruption qui dévore l'Angleterre, cette source de tous ses maux, de toute son humiliation, n'est pas confinée dans l'enceinte de cette chambre ; il n'est pas une maison dans le royaume où elle ne se soit pas ouvert un accès d'une manière ou d'une autre : elle a déjà ébranlé l'empire jusques dans son centre ;& quiconque désire arracher son pays à la destruction, prête à l'anéantir, est obligé de donner toute l'assistance qui est en son pouvoir, pour apporter quelque remède à ce fléau dévorant. J'avoue qu'une tâche pareille est infiniment au-dessus de mes foibles talens ; mais, pénétré de la nécessité pressante qui exige une réforme dans l'administration des finances ; témoin de la répugnance qu'ont les ministres à mettre la main à une œuvre qui détruiroit leur système favori de corruption, j'ai hasardé de rédiger un plan que je soumettrai à la considération du parlement, immédiatement après les vacances, dont l'objet est de produire dans les départemens officiels de l'état, une épargne annuelle de deux cent mille livres sterlings, & de sauver, au profit du public, les salaires de cinquante membres du parlement, qui sont actuellement à la solde du ministre : il seroit plus décent, sans doute, qu'un pareil plan fût présenté par quelque membre de l'administration ; mais si on a vu le noble lord, si célèbre[p.442]par ses talens pour les finances, mettre sans cesse son esprit. à la torture, pour imaginer quelque nouvel impôt, on ne l'a jamais vu s'occuper des moyens de retrancher les dépenses inutiles, &c.

 

Humble Pétition de la Noblesse, des Notables, du Clergé, des Francs-Tenanciers & autres habitans de Sussex, aux honorables Communes de la Grande-Bretagne, assemblées en Parlement pour le redressement des griefs alarmans qui ruinent la Nation, & sur les moyens d'y pourvoir par une révision des dépenses publiques, par une stricte économie , & sur-tout en n'accordant pas de nouveaux subsides, qu'on n'ait remédie à ces griefs.

 

Du 22 Janvier 1780.

Représentent,

Que vos supplians ne peuvent être témoins du déclin rapide de l'empire Britannique sans conjurer cette honorable chambre, au nom de ce que l'honneur, l'intérêt & la religion ont de plus sacré, d'éloigner de nous la ruine qui menace cette nation récemment heureuse & prospère, en développant, dans toute leur étendue, les[p.443]pouvoirs dont cette honorable chambre est revêtue par la constitution.

Que dans le grand nombre des causes qui ont contribué à la situation malheureuse dans laquelle nous nous trouvons, espérant que cette honorable chambre ne tardera pas de les prendre toutes en considération, & d'y apporter redressement ; vos supplians demandent qu'il leur soit permis de faire particulièrement remarquer la négligence de l'économie publique ; grief qui a besoin d'un remède immédiat.

Que vos supplians regardent le système de finance, tel qu'il est actuellement établi, comme étant de la tendance la plus ruineuse, puisque, par ce système, la dette nationale est si peu diminuée en tems de paix, si considérablement augmentée en tems de guerre, qu'elle s'accroît sans fin, & que des ressources secondes étant insuffisantes pour y faire honneur, des ressources épuisées peuvent encore moins faire face à une dette si énorme.

Que vos supplians sont alarmés, en voyant que l'usage du gouvernement est de présenter au parlement des estimations fausses relativement aux dépenses publiques ; parce que ces estimations étant toujours insuffisantes, & la dépense les excédant toujours, la reddition des comptes essuie pendant des années entières des détails inconcevables, [p.444]occasionnés par la profusion extravagante avec laquelle les deniers publics s'épuisent, par l'existence de pensions qui n'ont point été méritées, par la quantité des emplois sans fonction, & par le taux exorbitant des émolumens attachés aux places, objets qui se sont prodigieusement accrus, & qui s'accroissent encore tous les jours.

En conséquence, vos supplians regrettent que l'on se soit départi de l'ancien usage où l'on étoit de nommer un comité de trois commissaires des comptes, pour examiner de tems à autre les dépenses publiques ; cette révision étant propre à prévenir les abus dont ils se plaignent.

Que vos supplians pensent que l'influence illégale de la couronne, tirant son principal appui de la possession de la bourse publique, possession qui n'est restreinte par aucune inspection, cette influence dangereuse pour la liberté, est la cause principale de toutes nos calamités.

Que vos supplians croient qu'il est de leur de voir d'informer cette honorable chambre, des détresses qu'ils éprouvent à raison des pertes du commerce, de la décadence des manufactures, de la diminution survenue dans la valeur des terres, du haut prix des espèces & de l'accroissement des impôts : ces impôts sont si universels & si onéreux, qu'à moins que l'on n'emploie la plus rigide[p.445]économie pour restreindre nos charges dans les limites de la stricte nécessité, il ne sera plus possible au peuple de fournir aux efforts extraordinaires qu'exige la conduite vigoureuse de la guerre contre la France & l'Espagne.

Vos supplians demandent donc humblement & attendent fermement que, répondant à la haute confiance que la nation lui a marquée, cette honorable chambre prendra des mesures efficaces pour que l'argent que fournissent avec tant de difficultés les fortunes particulières & l'industrie des commerçans du royaume, soit employé avec économie & fidélité aux objets pour lesquels il est donné ; pour qu'il soit établi des réglemens en vertu desquels il sera rendu promptement un compte exact des dépenses publiques, pour que l'on adopte quelque plan, aux fins de réduire tous les émolumens exorbitans attachés aux places, d'abolir tous les emplois sans fonctions & toutes les pensions non méritées.

Que par ces moyens, l'influence dangereuse & inconstitutionnelle de la couronne peut être diminuée, & les fardeaux du peuple peuvent être allégés.

Vos supplians demandent de plus, qu'il ne soit accordé aucun nouveau subside, qu'aucune taxe nouvelle ne soit imposée sur les sujets, jusqu'à[p.446]ce que leurs justes griefs aient reçu les redressemens qui paroîtront convenables à la sagesse & à la justice de l'honorable chambre.

 

Fragment d'un discours de M. Burke, dans lequel il requère la Chambre de ne point différer la seconde lecture de son Bill relatif à l'économie nationale & demande à lord North s'il se proposoit ou non d'y former quelque opposition.

 

Du 23 Février 1780.

Rien n'est si simple que mon bill ; son principe & son objet sont connus ; il porte sur deux points uniques qui n'ont rien de compliqué ; 1° retrancher de la liste civile toutes les places inutiles qui sont à sa charge ; statuer que tous les deniers qui seront votés à l'avenir pour cette même liste civile, seront strictement appliqués aux objets pour lesquels ils seront particulièrement destinés par le vœu du parlement : ce premier objet rempli, s'il reste du surplus, soustraire ce surplus à l'avidité ministérielle, empêcher qu'il ne serve à étendre les progrès de la corruption & le rendre utile au public, en versant les deniers dans sa caisse d'amortissement ; 2° assurer au roi la[p.447]jouissance de ses revenus, empêcher que les sommes votées pour l'entretien de sa famille, de son aisance particulière, de sa dignité & de son indépendance, ne soient employées à corrompre le parlement : il n'y a rien de compliqué à tout cela, rien qui demande de longues délibérations : les délais peuvent être dangereux dans un moment où le peuple en suspens, fixe sue le parlement un regard d'inquiétude & de soupçon. Au reste, le bill va être imprimé, je n'aurai point de discussion avec le ministre pour un jour de plus ou de moins :& si la chambre croit que dans le cours de huit jours elle aura un tems suffisant pour méditer sur le bill, je demande que la seconde lecture en soit faite d'aujourd'hui en huit.

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Discours de M. Fox, dans lequel il presse vivement lord North de manifester ses intentions au sujet du nouveau Bill de M. Burke ; dont ce Ministre différoit la discussion.

 

Du 23 Février 1780.

Je ne sais, mais il y a quelque chose de suspect dans la conduite du noble lord ; pourquoi cette affectation d'ignorance ? S'il ne connoît pas mot pour mot toutes les clauses du bill, il sait que chacune de ses parties sera examinée, discutée par le comité, qu'il n'en sera pas exclus, qu'il pourra former toutes les objections de détail qui lui paroîtront convenables : ce qu'on lui demande, c'est de déclarer s'il se propose ou non de s'opposer au principe du bill : il sait certainement à quoi s'en tenir là-dessus, & il seroit décent de sa part de s'expliquer, s'il médite quelqu'opposition ; il est important que l'on sache quand il lui plaira la manifester, parce que je crois fermement que lorsqu'il s'agira de la discussion d'un objet si important, à moins d'une impossibilité absolue, aucun membre ne s'absentera de la chambre : en deux mots, s'il faut combattre, que le noble lord fixe le jour du combat, & que chaque membre[p.449]arrive préparé. Une autre considération qui rend la conduite du noble nord plus alarmante encore, c'est que tandis qu'il temporise à l'égard, du bill, l'affaire des subsides se conduit avec précipitation ; que pensera le peuple, si tous les subsides sont votés avant que l'on ait passé le bill qu'il demande d'une voix unanime ? Voici ce qui peut arriver en suivant cette marche dangereuse ; il est possible que lorsque le ministre aura rempli ses vues, le parlement ne soit pas dissous ; mais il est possible aussi qu'il soit prorogé avant que la grande affaire du bill économique soit terminée & ce n'est qu'à cette dernière vue que je puis attribuer le parti que prend le noble lord de traîner l'affaire en longueur.

On voit un ministre plein d'ambition,d'orgueil & de talent, employant ce triple ressort pour faire réussir ses projets. L'ambition lui fraye une route nouvelle. L'orgueil le soutient contre toutes les difficultés ; le talent lui vaut la confiance de son maître, duquel seul il peut tenir le pouvoir d'agir. Pour se ménager le suffrage de la multitude ; il renonce volontairement aux honoraires qui accompagnent les premières places de l'état. Pour s'assurer l'estime des sous-coopérateurs de l'administration des finances, les plans ne sont plus enveloppés du mystère qu'on avoit cru en assurer le succès. Pour n'être pas soupçonné[p.450]de favoriser l'avidité des courtisans, il les traite avec une indifférence qui déconcerte également la souplesse des uns & la hauteur des autres. D'après ces principes, il examine, projette, bouleverse, réforme, supprime, diminue selon les besoins. Chaque pas le conduit au but qu'il s'est proposé ; il rend compte de tout & met le peuple dans le secret de l'administration. Cette marche nouvelle ranime la confiance ; le crédit renaît, des fleuves d'or coulent vers les caisses royales.

D'un autre côté, on apperçoit une multitude consternée, rêvant aux moyens de parer les coups de la réforme ; les craintes qui précèdent le bouleversement dans les fortunes, la décadence des maisons, l'exil forcé de plusieurs familles, le brusque anéantissement des gens en charge ;& à travers les murmures, les emportemens, les accens du désespoir, des voix se plaignent de ce qu'on ne leur a donné ni le tems de se préparer à leur chute ; ni celui d'y suppléer. Parmi cette foule de malheureux, plusieurs attaquent celui qui les écrase, tantôt en démontrant le vice de ses calculs, tantôt en substituant l'examen à l'enthousiasme ; quelquefois en versant le fiel de la satyre, plus souvent le ridicule sur la personne. Les rapprochemens adroits de ses défauts & de ses talens diminuent l'éclat de ceux-ci. Tant[p.451]d'efforts contre lui divisent son génie ; il est obligé d'enlever à son ministère la réflexion & le tems qu'il doit à sa défense. Il entrevoit que les pamphlets altèrent la considération, élèvent des inquiétudes, amènent des doutes, suscitent des craintes, conduisent à des réflexions qui supposent la possibilité d'errer ; l'orgueil, cet orgueil si dominant est révolté de cette apparence de changement ; le ministre ne veut voir au-dessus de lui que son maître ; il exige plutôt qu'il ne sollicite. Un roi qui veut le bien, mais qui le voudroit sans qu'il coûtât tant de pleurs, croit compenser la perte passagère qu'il fait dans ses finances, en rendant la respiration à mille familles toujours tremblantes sous le couteau de la réforme.

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Discours de M. David Hartley. Il propose qu'au lieu de voter de l'argent d'une manière vague & indéfinie, il soit accordé au gouvernement une somme en forme de vœu de crédit ; de l'emploi de laquelle le Ministre soit responsable & tenu de rendre compte.

 

Du 23 Février 1780.

C'est outrager le peuple que de disposer de son argent, avant d'avoir statué sur la validité de ses pétitions dont cette table est surchargée ; dans ces pétitions, il demande expressément qu'il ne soit voté aucune somme pour aucune branche du service public, sans avoir sous les yeux les estimations des dépenses. Avez-vous ces estimations sous les yeux ? Non. On vous présente des apperçus vagues, dans lesquels rien n'est spécifié & tout paroît supposé : je sens parfaitement que le service doit être fait, que les besoins du gouvernement sont pressans ; mais ne pourroit-on pas trouver quelque moyen de concilier cette considération avec les égards dûs au cri unanime de la nation :& sans affoiblir le service en refusant les sommes qu'exigent l'entretien & l'aggrandissement de la marine, ne pourroit-on pas ménager[p.453]au peuple quelques sûretés capables de le tranquilliser sur l'emploi qui sera fait de son argent ? La somme que l'on va demander excédera 700 mille livres sterlings : dans les articles qui forment cette masse, il s'en trouve de si généraux, si indéfinis, qu'il est impossible au parlement de s'en former la moindre idée : on vous dit idem 101 mille livres sterlings pour les réparations, & l'on ne vous dit pas en quoi consistent ces réparations, à quel point elles peuvent être plus ou moins nécessaires, plus ou moins pressantes.

Au lieu de voter de l'argent de cette manière vague & indéfinie, je propose qu'il soit accordé au gouvernement une somme en forme de vœu de crédit, dans lequel chaque partie du service & de l'emploi seroit spécifié ; que le ministre soit responsable & chargé de produire l'année prochaine, les pièces nécessaires à la justification de l'emploi.

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Discours de M. Luttrell, très-instructifs par les détails qu'il contient, contre les abus multipliés du service extraordinaire de la Marine ;& sur les moyens d'y remédier.

 

Du 23 Février 1780.

Les extraordinaires de la marine, destinés à construire, reconstruire & réparer les vaisseaux de guerre nécessaires au service de l'année courante 1780, montent à 697,903 livres sterlings ! somme qui est actuellement le triple de ce qui a jamais été dépensé dans ce genre, pendant la plus brillante & la plus coûteuse année de l'administration du comte de Chatam. En 1759, les extraordinaires montèrent à 227,052 livres sterlings ; depuis 1757, c'est-à-dire, depuis vingt-trois ans, on a lancé, comme neufs, cent vaisseaux de ligne, trois par année, l'une dans l'autre, pendant les neuf années de l'administration du comte de Sandwich ;& un peu plus de cinq par année pendant les quatorze ans qui ont précédé immédiatement son administration. Indépendamment de ces cent vaisseaux neufs, si l'on consulte la liste des vaisseaux annuellement réparer, pendant le cours de ces vingt-trois ans,[p.455]trouvera qu'il y en avoit cent treize Anglais, treize François ou Espagnols, & neuf de soixante canons ou plus, achetés pour le service du roi ; en sorte que, depuis 1757, notre marine a été successivement portée jusqu'à deux cent trente cinq vaisseaux de ligne : voyons ce qu'ils sont devenus.

En décembre 1757, nous avions en service effectif soixante-dix vaisseaux de ligne, non compris les vaisseaux d'hôpital, de prison, de garde, &c. &c. En décembre 1779, nous en avions soixante-dix-sept en état de servir, en ne comprenant pas dans ce nombre le Royal Oak, le Nonsuch, le Prince Oswales, le Saint-Albans& le Montmouth, qui avoient besoin de plusieurs mois de réparations : il est donc évident que pour entretenir notre marine à peu-près sur le pied de soixante-dix à quatre-vingt vaisseaux de ligne, il a fallu, une année dans l'autre ; en tems de paix, pourvoir aux moyens quelconques, d'ajouter dix vaisseaux ou neufs ou réparés à ceux qui étoient en état de servir. Je demande si nous avons la perspective de voir cette addition en temps de guerre ? Malgré l'énormité des dépenses qu'annoncent les estimations actuelles, il est de notoriété qu'en 1780, nous n'aurons que trois vaisseaux de ligne neufs, trois autres réparés : en 1781, sept de ligne neufs & un réparé ; en[p.456]1782, cinq de ligne neufs, & un réparé : or, il est à remarquer que de ces vaisseaux qui sont à réparer, plusieurs sont annoncés depuis 1774 & 1775, comme. presque en état de servir ; que chaque année on a demandé de l'argent pour leur réparation, & qu'ils ont coûté trois fois plus d'argent à la nation, sous prétexte de les radouber, qu'il n'en eût coûté, s'il eût été question de les construire à neuf.

On a travaillé pendant huit ans au Warrior de soixante-quatorze canons, & la chambre a déjà payé pour le corps de ce vaisseau pour ses mâts & ses vergues 52,000 livres sterlings. On travaille à l'Anson, de soixante-quatre canons, depuis la même époque ; il a déjà coûté près de 40,000 1. sterlings au public : on porte aujourd'hui dans les estimations qu'on nous présente, le César, de soixante-quatorze canons, comme devant être construit ; or, il y a deux ans que la chambre a payé la moitié de ce qu'il peut coûter, & que, dans le rapport qui lui a été fait, on a passé ce vaisseau comme étant sur les chantiers, & passablement avancé ! L'amirauté ne s'en tient pas à ces sortes de supercheries ; elle nous fait payer chaque vaisseau qu'elle nous fournit au moins un tiers en sus du prix qu'elle passe aux constructeurs : ceux-ci entreprennent la construction d'un vaisseau de soixante-quatorze canons pour 28,29 ou 30 mille livres sterlings. D'un vaisseau de[p.457]soixante-quatre, pour 22 mille livres sterlings : nous payons ces derniers trente-quatre, les premiers 40 mille livres sterlings : que devient le surplus de cet argent ? C'est ce que les ministres savent mieux que nous.

Il seroit tems de remédier à tous ces abus, & sur-tout de chercher quelque moyen de perfectionner parmi nous la construction, & d'augmenter le nombre de nos vaisseaux ; car si nous n'y prenons garde, les forces navales de nos ennemis s'accroîtront en proportion du déclin des nôtres : un fait incontestable & alarmant, c'est que vingt-cinq ou trente des vaisseaux principaux que nous avons actuellement en commission, ne seront même plus susceptibles de réparations dans trois ans ; la disette seule nous force à nous en servir faute de meilleurs ; ils sont un assemblage de pièces & de morceaux, dont la forme & l'ensemble ne subsistent qu'à force de chevilles, de porques & d'allonges ; symulacres inutiles, destinés à tromper à la fois & les amis & les ennemis, par l'apparence du nombre, & à endormir la nation dans le sein d'une sécurité funeste.

Mais ces vaisseaux fussent-ils dans un état de résistance effective, puissions-nous compter sur leur service, il nous resteroit toujours un objet, d'inquiétude trop fondé : nous ne pouvons pas[p.458]nous dissimuler qu'à l'égard du nombre, de ce nombre dont nous tâchons, à si grands frais, de conserver l'apparance, nos ennemis ont trois vaisseaux à opposer à deux des nôtres ; leur marine combinée dans toutes les patries du monde, forme un total effrayant de plus de cent vingt vaisseaux de ligne : qu'aurons nous ce printems ? À tout tirer, au plus quatre-vingt-deux, quatre-vingt-trois vaisseaux ! À l'égard de frégates, soit que l'on en considère le nombre, soit que l'on en calcule la force, la maison de Bourbon a le même avantage sur nous en proportion : par quelle fatalité tous ces faits sont-ils incontestables ? Si l'on ouvre les journaux de la France, j'annonce que l'on y trouvera la preuve affligeante de l'assertion que je vais faire : depuis Janvier 1771, c'est-à-dire, depuis que lord Sandwich préside au bureau de l'Amirauté, l'administration a reçu du parlement, pour construire, reconstruire & réparer, un million & demi sterling de plus qu'il n'en a jamais été accordé à aucun ministre, dans le même espace de tems, depuis que l'Angleterre est une puissance maritime.

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Murmures de sir Charles Bunbury, contre les taxes énormes dont est surchargée la Nation, & à propos du nouvel impôt proposé sur la drèche.

 

Du 12 Avril 1780.

Tel est l'état obéré de la nation au moyen des taxes énormes dont elle est surchargée ; que quoique né gentilhomme & possédant un revenu honnête, je ne crois pas qu'il me soit possible dans peu de vivre, non plus que mes confrères, d'une manière conforme à mon rang ; les bévues continuelles des ministres nous ont conduit pas-à-pas vers une précipice qui devient de plus en plus inévitable ; l'homme bien né se trouvera bientôt dans le cas de maudire sa naissance, puisqu'il aura perdu les moyens de la soutenir avec dignité. Au reste, le ministre nous ruine de bonne foi, il nous avertit ; ses impôts & la manière de les percevoir, tout annonce qu'il ne nous reste que peu de ressources. Le commis des barrières, en nous demandant la quittance de ce que nous avons dû payer pour le privilège de voyager en poste, ne ressemble pas mal à ces quêteurs de paroisse qui se tiennent[p.460]à la porte des églises ; ceux-là semblent nous dire, non pas, ayez pitié des pauvres ; mais « passans souvenez-vous de la guerre d'Amérique ». Eh ! oui, nous nous en souviendrons ! Comment jamais oublier une injustice qui nous coûte si cher !

 

Message du Roi à la Chambre des Communes, présenté par lord North ; à l'effet d'en obtenir un subside pour le service militaire de l'année 1780.

 

Du 30 Mai 1780.

George Roi,

Sa majesté se reposant sur le zèle & l'affection qu'elle a toujours éprouvé de la part de ses fidèles communes, considérant que dans cette conjoncture critique il peut naître des incidens de la plus grande importance, dont les suites pourroient être plus dangereuses si l'on n'employoit pas immédiatement les moyens les plus propres à les prévenir ; désire que cette chambre le mette en état de fournir à toutes les dépenses faites ou à faire, à raison du service, soit des troupes de terre, soit de l'artillerie, pour l'année 1780, & de prendre toutes les mesures que la tournure des affaires peuvent exiger.

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Extrait du Discours éloquent de M. Fox, au sujet de l'amendement proposé par M. T. Townshend & M. Fitz-Patrictk, pour l'adresse de remercimens à Sa Majesté de son très-gracieux discours. Il parle à cette occasion de la félicité domestique de Sa Majesté ; mais il se récrie sur l'injustice de la guerre d'Amérique, sur ses mauvais succès, & sur la nécessité d'une paix prochaine. Il propose de tourner les armes contre les Français & d'attaquer leurs possessions en Amérique. Il finit par une réprimande contre les détracteurs de la maison de Bourbon.

 

Du 5 Novembre 1780.

Je ne vois pas que l'on ait formé encore aucune objection solide contre l'amendement proposé, & secondé par mes deux honorables amis, (M. T. Townshend & M. Fitz-Patrictk) ;& je vois distinctement que les motifs qui leur ont suggéré cet amendement, sont sages, raisonnables, décisifs, pressans : le roi, dans son discours, invite le parlement à unir les efforts de la nation & pour le maintien de ses intérêts essentiels : l'amendement dit que nous sommes déterminés à concourir[p.462]avec sa majesté dans toutes les mesures propres à maintenir les intérêts essentiels de ce pays ; que peut-on demander de plus ? N'est-ce pas se conformer implicitement aux vues de sa majesté ? Mais on n'est pas satisfait de cette déclaration de la chambre, parce qu'elle laisse au parlement la liberté de distinguer ce qui fait partie des intérêts essentiels de la nation, de ce qui peut être contraire à ces mêmes intérêts ; on prévoit que la continuation de la guerre d'Amérique ne sera peut-être pas regardée comme favorable à ces intérêts essentiels ;& comme cette continuation est une mesure favorite, on veut que l'adresse soit conçue de manière que sans dire expressément qu'elle l'approuve, la chambre ne dise pas non plus qu'elle la désapprouve, & laisse à cet égard au ministère le choix de la continuer ou non. Au reste, il faut savoir gré au ministère des égards qu'il marque à la chambre des communes : dans l'adresse qu'il a fait approuver par celle des pairs ; il leur fait déclarer clairement qu'ils veulent continuer la guerre ; il ne nous a pas proposé une déclaration si formelle, il se contente d'un aveu tacite de notre part ; mais à travers ces ménagemens étudiés, il n'en perce pas moins que l'on veut nous embarquer dans une continuation de la guerre : or, je demande en quel tems, dans quelles circonstances, sous[p.463]quels auspices, sous la conduite de qui ? Sous celle de ces mêmes ministres, qui nous ont à-peu-près mis dans l'impuissance de la continuer, s'il étoit de notre intérêt essentiel de le faire.

Assurément je ne formerai point d'objections contre le commencement de l'adresse : je féliciterai de bon cœur sa majesté, sur l'accroissement de sa félicité domestique : puisse-t-elle s'accroître long tems, elle forme toutes ses jouissances ! Infortuné à tous les autres égards, infortuné au dehors, infortuné dans ses états, à raison de la conduite des affaires civiles, le roi n'est heureux que dans sa vie privée, & c'est sur son bonheur domestique que je me fais un plaisir de le féliciter ; mais, dans ce moment d'embarras & de détresse, dans un moment où le plus beau diamant de sa couronne lui est enlevé ; dans un moment où l'Amérique est détachée de l'empire Britannique, pour ne s'y voir jamais réunie ; dans un moment où la discorde, les dissensions civiles éclatent avec violence dans les parties de cet empire qui nous restent encore, mais qui paroissent disposées à la révolte : dans un moment pareil, dis-je, porter des félicitations aux pieds du trône, n'est pas loyauté, c'est une insulte ! Quoi, nous dit-on, refuserez-vous les expressions de votre reconnoissance aux biens de toute espèce, dont vous jouissez sous le gouvernement de sa[p.464]majesté ?… Combien de tems verrons-nous encore le bouclier sacré de sa majesté, couvrir les bévues d'une administration foible ! Si par les biens dont on jouit sous le gouvernement du roi, on entend les vertus de sa majesté, je suis prêt à reconnoître avec respect, qu'à cet égard, nous jouirions de tout ce qu'il est possible de désirer ; mais, si par ces biens ou ces bénédictions, on entend les projets, les actions des ministres de sa majesté. Je déteste cette espèce de biens, je l'ai en horreur ! Le règne actuel présente une chaîne continuelle de revers humilians, de calamités & de détresse : cette chaîne, déjà longue, prend annuellement un degré d'accroissement, qui cependant ne peut plus guère s'étendre, car du cabinet des ministres, elle touche, peu s'en faut, aux portes de la ruine ; un chaînon de plus, elle aura rempli l'espace qu'elle doit embrasser ! Je me rappelle qu'il y a précisément six ans, que les débats de la chambre portèrent sur l'objet qu'ils ont aujourd'hui ; il s'agissoit de prononcer sur le degré de justice ou d'injustice, d'avantage ou de danger que présentoit la guerre d'Amérique : si dans six ans à venir j'ai l'honneur d'occuper encore un siège au parlement, je ne doute pas que le même objet ne soit remis sur le tapis : certainement, si j'eusse prédit, il y a six ans, que nous nous occuperions aujourd'hui de[p.465]ce qui nous occupoit alors, on n'eût pas ajouté foi à ma prédiction ; je ne la hasardai pas, mais l'expérience m'a enhardi ;& si l'on continue la guerre, je prédis que dans six ans, on reprendra l'éternelle question, qui consiste à savoir, s'il est convenable ou non de continuer la guerre d'Amérique : cependant il me paroît que les événemens devroient avoir décidé cette question mieux que tous les raisonnemens du monde : depuis l'époque dont je parle, qu'avons-nous gagné à cette guerre d'Amérique ? Nous avons échangé Boston pour New-York, & Philadelphie pour Charles-Town !« Mais, s'écrie-t-on, nous avons dernièrement remporté à Camden une victoire signalée, mais les généraux Gates & Sumpter ont été mis en déroute par lord Cornwallis & le colonel Tarleton ; ces avantages sont les avant-coureurs de beaucoup d'autres, infiniment plus décisifs. » C'est ainsi que l'on raisonnoit au commencement de la guerre, lorsque nos troupes battirent les Américains à Long-Island ; lorsqu'elles eurent remporté l'avantage à l'affaire de Brandgwine, on s'écria :« que c'étoit l'avant-coureur de la réduction de toutes les provinces, & que la rébellion alloit disparoître du continent. » La prise de Ticonderago fit bien plus de bruit encore, parce qu'elle avoit quelque chose de plus éclatant : que ne se[p.466]promit-on pas de ce succès ? Quel fut l'événement ? Comment est-il possible, qu'instruits comme nous le sommes par l'expérience, nous bâtissions encore des projets chimériques ; nous fondions des espérances, si souvent déçues, sur un avantage passager ! Je conviendrai que la victoire de Camden fait un honneur infini aux troupes qui l'ont remportée ; mais c'est à ces troupes que nous en devons la gloire, & c'est aux ministres que nous devons la honte d'avoir vu lord Cornwallis réduit à la situation dangereuse, qui, ne lui laissant qu'un parti désespéré à prendre, produisit le prodige que nous admirons dans sa victoire : d'ailleurs, quel avantage réel présente cette victoire ? Encore une fois, je n'y vois qu'un sujet d'admiration, & j'y trouve, sous d'autres points de vue, la plus alarmante des informations ; je remarque, que lorsqu'on nous a assurés que la majeure partie des Américains étoit portée pour nous, on nous a trompés, puisqu'il est évident au contraire, par toutes les circonstances de cette affaire, qu'ils sont presqu'unanimement attachés à la cause du Congrès : j'observe qu'au moment où le général Gates mit le pied dans la Caroline, ces mêmes Américains, qui avoient prêté serment au gouvernement Britannique, se rendirent en foule à ses drapeaux, emportant avec eux les armes que le général Anglais[p.467]leur avoit confiées ; circonstance qui réduisit lord Cornwallis à la nécessité cruelle de faire des exemples, d'ordonner des exécutions ; extrémités si horribles ; que quiconque connoît l'âme noble, généreuse & sensible de ce brave officier ; sait combien il a dû souffrir. C'est donc à ces horreurs infructueuses que nous conduit la plus brillante de nos victoires ; à quoi nous avoient conduit celles qui l'avoient précédée & qu'elle a obscurcies ? Hélas, si nous jugeons de l'espoir dont on nous berce aujourd'hui, par l'expérience du passé ; si les rayons du succès naissant sont effectivement, comme on le prétend, avant-coureurs de quelques grands événemens, quels tristes pressentimens marchent à la suite de ces avant-coureurs ! ils nous ont toujours annoncé des revers ; la perte d'une armée entière a été la suite de la prise de Ticonderago ;& nous exagérions les récits de quelques funestes succès, lorsque nous apprîmes l'évacuation de Philadelphie. Des hommes accoutumés à penser, à comparer, à prévoir, ne devoient pas apprendre la reddition de Charles-Town sans craindre quelque nouveau revers ; en effet, à peine en a-t-on reçu l'avis, que l'on a été informé de la perte de Rhode-Island, c'est-à-dire, du seul port que nous eussions en Amérique, pour faire hiverner nos vaisseaux ;& pour rendre cette perte plus[p.468]sensible encore, les Français s'y établissent : ce sentiment de terreur justifié par l'expérience, se réveille involontairement dans les esprits libres de préventions, toutes les fois que vous parlez de vos succès avant-coureurs.

Si je m'exprime ainsi, ce n'est pas que je ne sente parfaitement bien que l'on peut tirer des avantages infinis du succès que nous devons à l'excellente conduite, à l'intrépidité étonnante de lord Cornwallis ; il est possible d'en tirer le plus grand parti, si l'on pense à en faire le fondement d'une paix honorable : que les ministres en tirent ce parti, ils auront des droits aux applaudissemens, à la reconnoissance de leur pays ; mais nous en ont-ils même présenté l'espoir dans le lointain ? N'est-il pas évident au contraire par l'adresse pour laquelle ils sollicitent nos sufrages qu'ils ne s'occupent que des moyens de continuer la guerre ? la raison en est simple, moins cette guerre est populaire plus elle affermit leur sécurité ! C'est cette guerre, cette guerre seule qui les maintient en place : leurs partisans nous disent qu'ils l'ont conduite avec une vigueur qui a étonné l'Europe ; vraiment je le crois : certainement ils ont fait des efforts ; mais un fou à lier fait aussi des efforts surnaturels & qui étonnent les spectateurs. Nos ministres se sont embarqués dans la guerre comme[p.469]des insensés ; la nation s'y est trouvée embarquée, la maladie a gagné, elle s'est communiquée à la nation en partie, & cette nation brave, généreuse & remplie de vigueur, s'est débatue de toutes ses forces : or, il est notoire que les forces d'un forcené ou d'une forcenée sont infiniment supérieures à celles d'un être raisonnable : mais au grand étonnement de l'Europe, qu'ont-ils gagné ? Ils ont affoibli, épuisé nos ressources, énervé les ressorts de l'état, & à peu près anéanti nos facultés en tout genre, au point de rendre presqu'impossible le développement d'aucuns efforts ultérieurs. Un honorable membre trouve mauvais que l'on dise hautement que la guerre d'Amérique est injuste, parce que, dit-il, quand même on le penseroit, il est dangereux de le publier. J'ignore s'il y a du danger à dire ce qu'on pense ; mais je sais qu'il est du devoir de tout honnête homme de le faire ; je pense, moi, que la guerre d'Amérique est injuste ; je l'ai dit cent fois dans cette chambre, je l'ai dit mille fois ailleurs ; je le dirai en tout tems, & par-tout où j'aurai occasion de le dire ; je le dirois à l'univers entier, si ma voix avoit assez d'étendue pour faire entendre dans toutes les parties de cet univers.

Un honorable baronet, Sir Richard Sutton ; s'est attaché à nous prouver que pour nous concilier[p.470]l'Amérique, la voie de la négociation étoit devenue impraticable ; qu'il n'étoit pas possible de supposer que ceux qui, sur ce continent, sont à la tête des affaires, fussent assez lâches, assez perfides pour abandonner ceux à qui ils doivent leur consistance, &c. : l'honorable baronet a conclu de cette circonstance, qu'il n'y avoit de ressources que dans la continuation d'une guerre vigoureusement poussée, & contre l'Amérique & contre ses alliés. J'observerai en passant, que si je me permettois ce soir d'établir une doctrine pareille, de faire un éloge si marqué de la foi américaine, de la fidélité avec laquelle l'Amérique tient à ses engagemens, demain tous les papiers-nouvelles me dénonceroient à la nation comme partisan de la rébellion, &c. Mais le parti dominant peut, selon l'occasion, tout hasarder sans tirer à conséquence : moi, sans chercher à dégrader les Américains, sans prétendre élever le moindre soupçon sur leur bonne foi, je vois en eux des hommes, par conséquent des êtres qui, comme leurs semblables, dans tout ce qu'ils peuvent faire, sont naturellement gouvernés par un mélange de raison & d'intérêt subordonné aux circonstances ; en les envisageant sous ce point de vue, je pense qu'on pourrait les détacher de la maison de Bourbon, par la simple cessation des hostilités. Vous entendez donc,[p.471]me dira-t-on, que l'on retire les troupes du continent ? Oui. Mais songez-vous que dans le moment même, l'Amérique est indépendante ? Et bien, quel mal y a-t-il à cela ? Elle sera indépendante, & nous aurons la paix ! Il faut une fin à toutes choses, une guerre juste ou injuste ne peut pas être éternelle ; que les ministres nous disent :« vous aurez la paix & l'Amérique ne sera pas indépendante ». Je les félicite ; je félicite la nation ; je me réjouis : mais les ministres ne diront pas cela, ils savent que cela ne peut pas être, ils en sont aussi intimement convaincus que moi-même ; c'est donc en pure perte qu'ils prodiguent ce qu'il reste de sang & de finances à la nation ; mais disons mieux, disons que c'est par une suite de leur embarquement funeste, par un défaut sensible de prévoyance & d'appréciation. On vante leurs efforts ! Vraiment ils en ont fait qui ne sont pas au pouvoir des hommes ordinaires, ils ont opéré des prodiges ; ils ont changé l'ordre des choses, perverti la nature elle-même ; par leur manière de conduire la guerre, ils ont donné à la France tous les avantages que la nature avoit assignés à une île, & ils ont assujetti l'Angleterre à tous les inconvéniens que l'on croyoit réservés pour un continent. Nos opérations en Amérique nous[p.472]coûtent cent fois plus que celles des Français ne leur coûtent ; en sorte qu'abstraction faite des hasards de la guerre, nos ennemis sont sûrs de nous ruiner, seulement en gagnant du tems ; nous n'avons d'espoir que dans l'activité, dans nos efforts multipliés & la victoire : pour eux, il suffit de temporiser ! Je demande s'il ne seroit pas mieux de réunir toutes nos forces contre eux. De retirer nos troupes de l'Amérique, de les employer contre les possessions Françaises ? On a dit, dans le cours de le dernière guerre, que la France avoit été conquise en Allemagne : si jamais l'Amérique est conquise, elle ne pourra l'être qu'en France : voilà ce qu'il est permis de dire de son ennemi. Plusieurs membres, en parlant de la France, se sont livrés à des expressions peu ménagées : l'aigreur qui s'exhale en paroles ne produit pas beaucoup d'effet : celle que l'on a marquée, ce soir, en parlant de cette nation, me rappelle un vieux mot, qui ne paroîtra peut-être pas déplacé : ici nos bons pères disoient, dans des occasions pareilles à celle-ci, & répétoient, d'après les ennemis d'Alexandre. « Ne parlons pas mal d'Alexandre, mais battons-le bien ». Voilà exactement ce que je me dis au sujet de la maison de Bourbon :« Battons la France, n'en parlons pas mal ;& pour la[p.473]battre plus sûrement, plus efficacement, renonçons à la guerre d'Amérique ; que tout le poids de nos armes tombe sur la maison de Bourbon

 

Réplique de lord George Germaine à M. Fox. Il soutient la justice de la guerre d'Amérique, démontre les dangers auxquels on s'exposeroit si on l'abandonnoit, assure que son succès dépend de la vigueur avec laquelle on la continuera, & finit par s'opposer à l'amendement proposé.

 

Du 5 Novembre 1780.

Comme dans le cours de sa harangue, l'honorable membre a jugé à propos de faire plusieurs allusions dont il ne m'est pas possible de douter que je ne sois l'objet, je crois ne pouvoir pas me dispenser de répondre, & que la chambre l'attend de moi : je me lève donc, mais en déclarant, une fois pour toutes, que lorsqu'il plaira à n'importe quel membre, de s'avilir au point de se permettre des invectives personnelles, & de me choisir pour leur objet, je traiterai, & les invectives & leur auteur, avec le mépris qu'ils méritent.[p.474]Parmi quantité de choses diverses, alléguées par l'honorable membre, il lui a plu de dire que lord Cornwalis méritoit tous les éloges possibles, à raison de la bonne conduite & de la bravoure dont il a fait preuve dans l'affaire de Camden ; que cependant s'il s'agissoit de voter pour lui des remerciemens, il refuseroit sa voix, parce que l'honneur qu'il s'est acquis, il se l'est acquis dans la guerre d'Amérique. Assurément, on ne pouvoit pas donner une idée plus défavorable de cette guerre, & il est naturel que quiconque pense comme l'honorable membre, refuse son suffrage à cette partie de l'adresse, qui annonce le projet de continuer la guerre avec vigueur ; mais ceux qui, comme moi, ont toujours regardé la guerre d'Amérique comme juste, comme nécessaire, comme inévitablement commencée pour soutenir les droits indubitables de la Grande-Bretagne & du parlement britannique, verront l'adresse d'un autre œil, & voteront comme moi, en sa faveur, précisément parce qu'elle recommande la vigueur.

Dans le cours des débats, plusieurs membres ont marqué beaucoup de sévérité dans leurs remontrances ; ceux qui ont voté pour l'amendement ont condamné la guerre d'Amérique & ont sommé les ministres d'y renoncer ; aucun d'eux n'a indiqué comment l'on pourroit s'y prendre,[p.475]de quelle manière les serviteurs de sa majesté pourront conduire une affaire qui présente des difficultés égales à son importance. On parle de traiter avec l'Amérique, mais oublie-t-on que l'Amérique ne traitera jamais que sous la dictée de la France ; qu'elle n'est pas l'alliée, mais la dépendante absolue de la France, qui permettra difficilement à ses sujets de faire une paix séparée. Les choses étant incontestablement dans cet état, quel est le moyen qui reste de traiter avec l'Amérique ? celui de lui ôter l'appui de la France, d'humilier la France, de la blesser dans ses flancs, blessant l'Amérique : je n'espère pas plus que ne l'espère l'honorable membre, que ce pays puisse jamais subjuguer l'Amérique, mais je n'ai pas renoncé à l'espoir qu'on puisse la ramener : je suis parfaitement convaincu, que plus de la moitié des habitans de l'Amérique est attachée à notre gouvernement dont le devoir est de soustraire ses amis à la tyrannie du congrès & de les rendre à la liberté ; voilà donc une belle occasion pour ceux des honorables membres qui sont les avocats constans de la liberté, de se distinguer dans sa cause., en favorisant des mesures dont l'objet est d'affranchir les Américains du gouvernement illégal, oppressif & arbitraire de leurs chefs actuels : si messieurs[p.476]désirent savoir à quelles conditions le congrès seroit disposé à traiter avec la Grande-Bretagne, je puis les satisfaire : accordez l'indépendance à l'Amérique ; le Congrès traitera demain. C'est ce que je ne vous conseillerois pas, & j'espère ne voir de ma vie, un traité résultant d'une condition, équivalente à la destruction totale de ce pays :« Retirons nos flottes & nos armées de l'Amérique » disent ceux des membres qui ne conseillent pas directement de reconnaître son indépendance ! Quelle seroit la suite de cette mesure ? La France & l'Amérique unies ne tarderoient par d'envoyer des forces puissantes contre Terre-Neuve ; elles s'empareroient de nos pêcheries, & détruiroient cette excellente pépinière de notre marine : le Canada succomberoit immédiatement après ; on nous enleveroit ensuite ce qui nous reste de possessions dans les Indes Occidentales, & je ne doute pas que nous ne fussions vigoureusement attaqués dans toutes les parties du monde ; intimement persuadé que tous ces événemens seroient la suite inévitable de la mesure proposée. Je me déclare donc sans hésiter pour les mesures vigoureuses, pour la continuation de la guerre poussée avec tout le développement de nos moyens, de nos ressources : je pense sincèrement que l'existance de ce pays[p.477]dépend uniquement de ce développement unanime universel, & qu'une conduite opposée décéleroit une espèce de frénésie qui ne peut être justifiée que par le désespoir.

On s'est beaucoup étendu dans le cours de cette séance sur les mauvais succès de la guerre en général : on s'est exprimé en termes qui sembleroient indiquer du découragement : ce moment est il celui du découragement ? Indépendamment de ce qu'il y auroit de dangereux à s'y livrer, je ne vois pas ce qui pourroit l'occasionner ; la dernière campagne n'a pas été sans succès ; nous avons beaucoup gagné en Amérique, qu'ont fait les Français & les Espagnols dans les Indes Occidentales ? De quels avantages ont-ils à se glorifier ? malgré la grande supériorité qu'avoit M. de Guichen sur l'amiral Rodney, l'amiral Anglais domine aujourd'hui sur ces mers ;& la Jamaïque que pendant tout l'été on nous a journellement représentée comme perdue, est dans un état de sécurité parfaite : je puis prendre sur moi d'assurer à la chambre, que l'année prochaine nous aurons une marine qui, considérée, soit à l'égard du nombre des vaisseaux, soit à l'égard de l'équipement, surpassera tout ce que nous avons eu dans le cours de cette guerre & de la précédente : toutes ces considérations[p.478]mûrement pesée, je ne puis voter pour l'adresse, parce qu'elle n'engage pas la chambre à approuver des mesures spécifiées, & lui laisse la liberté entière d'agir selon que les circonstances paroîtront le demander à sa sagesse.

Fin du Tome Second.