L'Assemblée nationale aux François


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L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX FRANÇOIS

11 février 1790

L'ASSEMBLÉE NATIONALE, s'avançant dans la carrière de ses travaux, reçoit de toutes parts les félicitations des provinces, des villes, des communautés, les témoignages de la joie publique, les acclamations de la reconnoissance ; mais elle entend aussi les murmures, les clameurs de ceux que blessent ou qu'affligent les coups portés à tant d'abus, à tant d'intérêts, à tant de préjugés. En s'occupant du bonheur de tous, elle s'inquiète des maux particuliers : elle pardonne à la prévention, à l'aigreur, à l'injustice ; mais elle regarde comme un de ses devoirs de vous prémunir contre les influences de la calomnie, & de détruire les vaines terreurs dont on chercheroit à vous surprendre. Eh ! que n'a-t-on pas tenté pour vous égarer, pour ébranler votre confiance !On a feint d'ignorer quel bien avoit fait l'assemblée nationale : nous allons vous le rappeler. On a élevé des difficultés contre ce qu'elle a fait :nous allons y répondre. On a répandu des doutes, on a fait naître des inquiétudes sur ce qu'elle fera : nous allons vous l'apprendre. Qu'a fait l'assemblée ?

Elle a tracé d'une main ferme, au milieu des orages, les principes de la constitution qui assure à jamais votre liberté.

Les droits des hommes étoient méconnus, insultés depuis des siècles ; ils ont été rétablis pour l'humanité entière, dans cette déclaration qui sera à jamais le cri de ralliement contre les, oppresseurs, & la loi des législateurs eux-mêmes.

La nation avoit perdu le droit de décréter & les lois & les impôts : ce droit lui a été restitué ;& en même temps ont été consacrés les vrais principes de la monarchie, l'inviolabilité du chef auguste de la nation, & l'hérédité du trône dans une famille si chère à tous les François.[p2]

Nous n'avions que des états-généraux : vous avez maintenant une assemblée nationale, & elle ne peut plus vous être ravie.

Des ordres, nécessairement divisés & asservis à d'antiques prétentions, y dictoient les décrets, & pouvoient y arrêter l'essor de la volonté nationale. Ces ordres n'existent plus : tout a disparu devant l'honorable qualité de citoyen.

Tout étant devenu citoyen, il vous falloit des défenseurs citoyens, & au premier signal on a vu cette garde nationale qui, rassemblée par le patriotisme, commandée par l'honneur, par-tout maintient ou ramène l'ordre, & veille avec un zèle infatigable à la sûreté de chacun pour l'intérêt de tous.

Des privilèges sans nombre, ennemis irréconciliables de tout bien, composoient tout notre droit public : ils sont détruits ;& à la voix de votre assemblée, les provinces les plus jalouses des leurs, ont applaudi à leur chute ; elles ont senti qu'elles s'enrichissoient de leur perte.

Une féodalité vexatoire, sipuissante encore dans ses derniers débris,couvroit la France entière : elle a disparu sans retour.

Vous étiez soumis, dans les provinces, au régime d'une administration inquiétante : vous en êtes affranchis.

Des ordres arbitraires attentoient à la liberté des citoyens : ils sont anéantis.

Vous vouliez une organisation complette des Municipalités : elle vient de vous être donnée ;& la création de tous ces corps, formés par vos suffrages, présente en ce moment, dans toute la France, le spectacle le plus imposant.

En même temps l'assemblée nationale a consommé l'ouvrage de la nouvelle division du royaume, qui seule pouvoit effacer jusqu'aux dernières traces des anciens préjugés ; substituer à l'amour-propre de province l'amour véritable de la patrie ; asseoir les bases d'une bonne représentation, &fixer à-la-fois les droits de chaque homme & de chaque canton, enraison de leurs rapports avec la chose publique ; problème difficile, dont la solution étoit restée inconnue jusqu'à nos jours.

Dès long-temps vous désiriez l'abolition de la vénalité des charges de magistrature : elle a été prononcée. — Vous éprouviez le besoin dune réforme, du moins provisoire, des principaux vices du code criminel : elle a été décrétée, en attendant une réforme générale. —De toutes les parties du royaume nous ont été adressées des plaintes, des demandes, des réclamations : nous y avons satisfait autant qu'il étoit en notre pouvoir. — La multitude des engagements publics effrayoit : nous avons consacré les principes sur la foi qui leur est dûe. — Vous redoutiez le pouvoir des ministres : Nous leur avons imposé la loi rassurante de la responsabilité.

L'impôt de la gabelle vous étoit odieux : nous l'avons adouci d'abord, & nous vous en avons promis l'entière destruction ; car il ne nous suffit pas que les impôts soient indispensables pour les besoins publics, il faut qu'ils soient justifiés encore par leur égalité, leur sagesse, leur douceur.[p.3]

Des pensions immodérées, prodiguées souvent à l'insu de votre roi, vous ravissoient le fruit de vos labeurs : nous avons jeté sur elles un premier regard sévère, & nous allons les renfermer dans les limites étroites d'une stricte justice.

Enfin, les finances demandoient d'immenses réformes : secondés par le ministre qui a obtenu votre confiance, nous y avons travaillé sans relâche, & bientôt vous allez en jouir.

Voilà notre ouvrage, François, ou plutôt voilà le vôtre ; car nous ne sommes que vos organes, & c'est vous qui nous avez éclairés, encouragés, soutenus dans nos travaux. Quelle époque que celle à laquelle nous sommes enfin parvenus ! Quel honorable héritage vous allez transmettre à votre postérité ! Élevés au rang de citoyens, admissibles à tous les emplois, censeurs éclairés de l'administration, quand vous n'en serez pas les dépositaires, sûrs que tout se fait & par vous & pour vous, égaux devant la loi, libres d'agir, de parler, d'écrire, ne devant jamais compte aux hommes, toujours à la volonté commune ; quelle plus belle condition !Pourroit-il être encore un seul citoyen, vraiment digne de ce nom, qui osât tourner ses regards en arrière, qui voulût relever les débris dont nous sommes environnés, pour en recomposer l'ancien édifice ?

Et pourtant, que n'a-t-on pas fait pour affoiblir en vous l'impression naturelle que tant de biens doivent produire ?

Nous avons tout détruit, a-t-on dit : c'est qu'il falloit tout reconstruire. Et qu'y a-t-il donc tant à regretter ? Veut-on le savoir ? Que sur tous les objets réformés ou détruits, on interroge les hommes qui n'en profitoient pas ; qu'on interroge même la bonne-foi des hommes qui en profitoient ; qu'on écarte ceux-là qui, pour ennoblir les afflictions de l'intérêt personnel, prennent aujourd'hui pour objet de leur commisération, le fort de ceux qui, dans d'autres temps, leur furent si indifférents ;& l'on verra si la réforme de chacun de ces objets ne réunit pas tous les suffrages, faits pour être comptés.

Nous avons agi avec trop de précipitation... & tant d'autres nous ont reproché d'agir avec trop de lenteur ! Trop de précipitation !Ignore-t-on que c'est en attaquant, en renversant tous les abus à-la-fois, qu'on peut espérer de s'en voir délivré sans retour ; qu'alors, & alors feulement, chacun se trouve intéressé à l'établissement de l'ordre ; que les réformes lentes & partielles ont toujours fini par ne rien réformer; enfin, que l'abus que l'on conserve devient l'appui, & bientôt le restaurateur de tous ceux qu'on croyoit avoir détruits ?

Nos assemblées sont tumultueuses... Et qu'importe, si les décrets qui en émanent sont sages ? Nous sommes, au reste, loin de vouloir présenter à votre admiration les détails de tous nos débats. Plus d'une fois nous en avons été affligés nous-mêmes ; mais nous avons senti en même temps qu'il étoit trop injuste de chercher à s'en prévaloir, & qu'après tout cette impétuosité étoit l'effet presque inévitable du premier combat qui se soit peut-être jamais livré entre tous les principes &toutes les erreurs.[p.4]

On nous accuse d'avoir aspiré à une perfection chimérique… Reproche bizarre, qui n'est, on le voit bien, qu'un vœu mal déguisé pour la perpétuité des abus. L'assemblée nationale ne s'est point arrêtée à ces motifs servilement intéressés ou pusillanimes : elle a eu le courage, ou plutôt la raison de croire que les idées utiles, nécessaires au genre humain, n'étoient pas exclusivement destinées à orner les pages d'un livre, & que l'être suprême, en donnant à l'homme la perfectibilité, apanage particulier de sa nature, ne lui avoit pas défendu de l'appliquer à l'ordre social, devenu le plus universel de ses intérêts, &. presque le premier de ses besoins.

Il est impossible, a-t-on dit, de régénérer une nation vieille & corrompue…Quel'on apprenne qu'il n'y a de corrompu que ceux qui veulent perpétuer des abus corrupteurs, & qu'une nation se rajeunit, le jour où elle a résolu derenaître àla liberté. Voyez la génération nouvelle. Comme déjà son cœur palpite de joie & d'espérance ! Comme ses sentiments sont purs, nobles, patriotiques ! Avec quel enthousiasme on la voit chaque jour briguer l'honneur d'être admise à prêter le serment de citoyen ! … Mais pourquoi répondre à un aussi misérable reproche ? L'assemblée nationale seroit-elle donc réduite à s'excuser de n'avoir pas désespéré du peuple François ?

On n'a encore rien fait pour le peuple, a-t-on osé dire… Et c'est sà cause qui triomphe par-tout. Rien, fait pour le peuple ! Et chaque abus que l'on a détruit, ne lui prépare-t-il pas , ne lui assure-t-il pas un soulagement ? Étoit-il un seul abus qui ne pesât sur le peuple ?

Il ne se plaignoit pas… C'est que l'excès de ses maux étouffoit ses plaintes… Maintenant, il est malheureux... Dites plutôt : il est encore malheureux; mais il ne le sera pas long-temps : nous en faisons le serment.

Nous avons détruit le pouvoir exécutif... Non : dites le pouvoir ministériel ;& c'est lui qui détruisoit, qui souvent dégradoit le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif, nous l'avons éclairé en lui montrant ses véritables droits ; fur-tout nous l'avons ennobli en le faisant remonter à la véritable source de sa puissance, la, puissance du peuple.

Il est: maintenant sans force… Contre la constitution & la loi : cela est vrai; mais, en leur faveur, il sera plus puissant qu'il ne le fut jamais.

Le peuple s'est armé… Oui, pour sa défense : il en avoit besoin. Mais, dans plusieurs endroits, il en est; résulté des malheurs… Peut-on les reprocher à l'assemblée nationale ? Peut-on lui imputer des désastres dont elle gémit, qu'elle a voulu prévenir, arrêter par toute la force de ses décrets, & que va faire cesser sans doute l'union, déformais indissoluble, entre les deux pouvoirs & l'action irréfutable de toutes les forces nationales ?

Nous avons passé nos pouvoirs : la réponse est simple. Nous étions incontestablement envoyés pour faire une constitution : c'étoit le vœu, c'étoit le besoin de la France entière. Or, étoit-il [p.5] possible de la créer, cette constitution, de former un ensemble même imparfait, de décrets constitutionnels, sans la plénitude des pouvoirs que nous avons exercés ? Dirons plus : sans l'assemblée nationale, la France étoit perdue ; sans le principe qui soumet tout à la pluralité des suffrages libres, & qui a fait tous nos décrets, il est impossible de concevoir une assemblée nationale ; il est impossible de concevoir, nous ne disons pas une Constitution, mais même l'espoir de détruire irrévocablement le moindre des abus. Ce principe est d'éternelle vérité : il a été reconnu dans toute la France ; il s'est reproduit de mille manières dans ces nombreuses adresses d'adhésion, qui rencontroient sur toutes les routes cette foule de libelles, où l'on nous reproche d'avoir excédé nos pouvoirs. Ces adresses, ces félicitations, ces hommages, ces serments patriotiques, quelle confirmation de ces pouvoirs que l'on vouloit nous contester !

Tels sont, François, les reproches que l'on fait à vos représentants, dans cette foule d'écrits coupables, où l'on affecte le ton d'une douleur citoyenne. Ah ! vainement on s'y flatte de nous décourager : notre courage redouble ; vous ne tarderez pas à en ressentir les effets.

L'assemblée va vous donner une constitution militaire, qui, composant l'armée de soldats-citoyens, réunira la valeur qui défend la patrie, & les vertus civiques qui la protègent sans 1'effrayer.

Bientôt elle vous présentera un système d'impositions, qui ménagera l'agriculture & l'industrie, qui respectera enfin la liberté du commerce ; un système qui, simple, clair, aisément conçu de tous ceux qui payent, déterminera la part qu'ils doivent, rendra facile la connoissance si nécessaire de l'emploi des revenus publics, & mettra sous les yeux de tous les François le véritable état des finances, jusqu'à présent labyrinthe obscur, ou l'œil n'a pu suivre la trace des trésors de l'état.

Bientôt un clergé-citoyen, soustrait à la pauvreté comme à la richesse, modèle à-la-fois du riche & du pauvre, pardonnant les expressions injurieuses d'un délire passager, inspirera une confiance vraie, pure, universelle, que n'altéreront ni l'envie qui outrage, ni cette sorte de pitié qui humilie, il fera chérir encore davantage la religion; il en accroîtra l'heureuse influence par des rapports plus doux & plus intimes entre les peuples & les parleurs ;& il n'offrira plus le spectacle, que le patriotisme du clergé lui-même a plus d'une fois dénoncé dans cette assemblée, de l'oisiveté opulente, & de l'activité sans récompense.

Bientôt un système de lois criminelles & pénales, dictées par la raison, la justice, l'humanité, montrera, jusque dans la personne des victimes de la loi, le respect dû à la qualité d'homme ; respect sans lequel on n'a pas le droit de parler de morale.

Un code de lois civiles, confié à des juges désignés par votre suffrage, & rendant gratuitement la justice, fera disparoître[p.6] toutes ces lois obscures, compliquées, contradictoires, dont l'incohérence & la multitude sembloient laisser, même à un juge intègre, le droit d'appeler justice sa volonté, son erreur, quelquefois son ignorance ; mais jusqu'à ce moment vous obéirez religieusement à ces mêmes lois, parce que vous savez que le respect pour toute loi, non encore révoquée, est la marque distinctive du vrai citoyen.

Enfin nous terminerons nos travaux par un code d'instruction & d'éducation nationale, qui mettra la constitution sous la sauvegarde des générations naissantes ;& faisant palier l'instruction civique par tous les degrés de la représentation, nous transmettrons, dans toutes les classes de la société, les connoissances nécessaires au bonheur de chacune de ces classes, en même temps qu'à celui de la société entière.

Voyez, François, la perspective de bonheur & de gloire qui s'ouvre devant vous Il reste encore quelques pas à faire ;& c'est où vous attendent les détracteurs de la révolution. Défiez-vous d'une impétueuse vivacité, redoutez sur-tout les violences, car tout désordre peut devenir funeste à la liberté. Vous chérissez cette liberté ; vous la possédez maintenant : montrez-vous dignes de la conserver ; soyez fidèles à l'esprit, à la lettre des décrets de vos représentants, acceptés ou sanctionnés par le roi ;distinguez soigneusement les droits abolis sans rachat, & les droits rachetables, mais encore existants. Que les premiers ne soientplus exigés; mais que les féconds ne soient point refusés. Songez aux trois mots sacrés qui garantissent ces décrets :la Nation, la Loi, le Roi. La nation, c'est vous : la loi, c'est encore vous ; c'est votre volonté : le roi, c'est la gardien de la loi. Quels que soient les mensonges qu'on prodigue, comptez sur cette union. C'est le roi qu'on trompoit :c'est vous qu'on trompe maintenant, et la bonté du roi s'en afflige ; il veut préserver son peuple des flatteurs qu'il a éloignés du trône ; il en défendra le berceau de son fils : car, au milieu de vos représentants, il a déclaré qu'il faisoit de l'héritier de la couronne le gardien de la constitution.

Qu'on ne nous parle plus de deux partis. Il n'en est qu'un : nous l'avons tous juré ; c'est celui de la liberté. Sa victoire est sûre, attestée par les conquêtes qui se multiplient tous les jours. Laissez d'obscurs blasphémateurs prodiguer contre nous les injures, les calomnies ; pensez seulement que, s'ils nous louoient, la France seroit perdue. Gardez-vous sur-tout de réveiller leurs espérances par des fautes, par des désordres, par l'oubli de la loi. Voyez comme ils triomphent de quelques délais dans la perception de l'impôt. Ah ! ne leur préparez pas une joie cruelle ! Songez que cette dette… Non, ce n'est plus une dette :c'est un tribut sacré, &c'est la patrie maintenant qui le reçoit pour vous, pour vos enfants ; elle ne le laissera plus prodiguer aux déprédateurs qui voudroient voir tarir pour l'état le trésor public, maintenant tari pour eux ;ils aspiroient à des[p.7] malheurs qu'a prévenus, qu'a rendu impossibles la bonté magnanime du roi. François ! secondez votre roi ; par un saint & immuable respect pour la loi, défendez contr'eux son bonheur, ses vertus, sa véritable gloire ; montrez qu'il n'eut jamais d'autres ennemis que ceux de la liberté ; montrez que pour elle & pour lui votre confiance égalera votre courage ; que pour la liberté dont il est le garant, on ne se lasse point, on est infatigable. Votre lassitude étoit le dernier espoir des ennemis de la révolution ; ils le perdent : pardonnez-leur d'en gémir ;& déplorez, sans les haïr, ce reste de foiblesse, toutes ces misères de l'humanité. Cherchons, disons même ce qui les excuse. Voyez quel concours de causes a dû prolonger, entretenir, presque éterniser leur illusion. Eh ! ne faut il pas quelque temps pour chasser de sa mémoire les fantômes d'un long rêve, les rêves d'une longue vie ?Qui peut triompher en un moment des habitudes de l'esprit,des opinions inculquées dans l'enfance, entretenues par les formes extérieures de la société, long-temps favorisées par la servitude publique qu'on croyoit éternelle, chères à un genre d'orgueil qu'on imposoit comme un devoir, enfin mises sous la protection de l'intérêt personnel qu'elles flattoient de tant de manières. Perdre à-la-fois ses illusions, ses espérances, ses idées les plus chéries, une partie de sa fortune : est-il donné à beaucoup d'hommes de le pouvoir sans quelques regrets, sans des efforts, sans des résistances d'abord naturelles, & qu'ensuite un faux point d'honneur s'impose quelquefois à lui-même ? Eh ! si dans cette classe naguères si favorisée, il s'en trouve quelques-uns qui ne peuvent se faire à tant de pertes à-la-fois, soyez généreux; songez que, dans cette même clause, il s'est trouvé des hommes qui eut osé s'élever à la dignité de citoyens, intrépides défenseurs de vos droits, & dans le sein même de leur famille, opposant à leurs sentiments les plus tendres, le noble enthousiasme de la liberté.

Plaignez, François, les victimes aveugles de tant de déplorables préjugés ; mais, sousl'empire des lois, que le mot de vengeance ne soit plus prononcé. Courage, persévérance, générosité, les vertus de la liberté ; nous vous les demandons au nom de cette liberté sacrée, seule conquête digne de l'homme, digne de vous, par les efforts, par les sacrifices que vous avez faits pour elle, par les vertus qui se font mêlées aux malheurs inséparables d'une grande révolution. Ne retardez point, ne déshonorez point le plus bel ouvrage dont les annales du monde nous aient transmis la mémoire. Qu'avez-vous à craindre ? Rien, non rien, qu'une funeste impatience : encore quelques moments… C'est pour la liberté !Vous avez donné tant de siècles au despotisme ! Amis, citoyens, une patience généreuse au lieu d'une patience servile. Au nom de la patrie, vous en avez une maintenant ; au nom de votre roi, vous avez un roi : il est à vous ; non plus le roi de quelques milliers d'hommes, mais le roi des François… ; de tous les François. Qu'il doit mépriser maintenant le despotisme ! qu'il[p.8] doit le haïr !Roi d'un Peuple libre, comme il doit reconnoître l'erreur de ces illusions mensongères, qu'entretenoit sa cour qui se disoit son peuple ! Prestiges répandus autour de son berceau, enfermés comme à deffein dans l'éducation royale, & dont on a cherché, dans tous les temps à composer l'entendement des rois, pour faire, des erreurs de leurs pensées, le patrimoine des cours. Il est à vous : qu'il nous est cher ! Àh ! depuis que son peuple est devenu sa cour, lui refuserez-vous la tranquillité, le bonheur qu'il mérite ? Désormais, qu'il n'apprenne plus aucune de ces scènes violentes, qui ont tant affligé son cœur ; qu'il apprenne, au contraire, que l'ordre renaît ; que partout les propriétés font respectées, défendues ; que vous recevez, que vous placez sous l'égide des lois, l'innocent, le coupable… De coupables ! il n'en est point, si la loi ne l'a prononcé. Ou plutôt, qu'il apprenne encore, votre vertueux monarque, quelques-uns de ces traits généreux, de ces nobles exemples qui déjà ont illustré le berceau de la liberté Françoise. Étonnez-le de vos vertus, pour lui donner plutôt le prix des siennes, en avançant pour lui le moment de la tranquillité &. le spectacle de votre félicité.

Pour nous, poursuivant notre tâche laborieuse, voués, consacrés au grand travail de la constitution, votre ouvrage autant que le nôtre, nous le terminerons, aidés de toutes les lumières de la France & vainqueurs de tous les obstacles. Satisfaits de notre conscience, convaincus, & d'avance heureux de votre prochain bonheur, nous placerons entre vos mains ce dépôt sacré de la constitution, sous la garde des vertus nouvelles, dont le germe, enfermé dans vos âmes, vient d'éclore aux premiers jours de la liberté. Signé : Bureaux de Pusy, Président ; Laborde de Mereville ; l'abbé Expilly ; le vicomte de Noailles ;Guillotin ; le baron de Marguerittes ;le marquis de la CostE, Secrétaires.

À PARIS, de l'Imprimerie Nationale. Et réimprimé, à Grenoble, chez Ve. Giroud & Fils. 1790.