Discussions importantes débattues au Parlement d'Angleterre par les plus célèbres orateurs


Discussions importantes, débatues au parlement d'Angleterre, par les plus célèbres orateurs, depuis trente ans ;

renfermant un choix de Discours, Motions, Adresses, Répliques &c. accompagné de Réflexions politiques analogues à la situation de la France, depuis les États-Généraux.

Ouvrage traduit de l'Anglais.

TOME PREMIER.

À PARIS,

Chez Maradan & Perlet, Libraires, hôtel de Châteauvieux, rue S. André des Arcs.

1790.

 

 

[p.j]

Discours préliminaires

 

On ne connoîtra bien l'utilité du Livre que nous présentons au Public, que lorsqu'on l'aura lu. Dans ce nombre d'articles de tous les genres il en est très peu qui n'offre un point d'instruction, une réminiscence, l'occasion d'appliquer ce qui s'est passé en Angleterre à ce qui se fait en France.

Les bornes de l'autorité y sont sagement posées, mais non détruites, & l'on s'appercevra qu'un Roi d'Angleterre a tout, excepté le pouvoir d'être despotique. On emploie souvent le mot Nation fans en abuser, & l'on réalise cette Puissance parce que l'on ne l'applique pas indistinctement à tout.

Le Peuple y conserve de grands droits,[p.ij] mais ce sont ceux qu'il a permis d'exercer & non ceux qu'il exerce. Il n'a pas une double action, la sienne immédiate, & celle de ses commettants. Il propose, mais il écoute ; on raisonne avec lui, & pour réponse, il ne court pas chercher des gibets.

Dans cet ensemble de discussions, sur tous les sujets, on peut appercevoir la marche qu'il faudroit suivre pour arriver à la tranquillité. Sans se livrer aux idées d'un seul, on trouvera de quoi épurer les siennes, ou se fortifier contre les doutes qui accompagnent les meilleurs projets lorsqu'ils ne font pas mûris des succès de l'expérience.

La France riche de son sol, de sa position, de sa population, résistoit aux abus. La Noblesse partageoit la souveraineté, le Clergé s'étoit souvent mis au-dessus, le Peuple avoit ignoré longtemps qu'il étoit malheureux, ou croyoit qu'il étoit né pour l'être. L'état mitoyen s'étoit emparé des finances, d'une partie de l'administration de la justice, du commerce [p.iij] en grand. On connoissoit à peine la nature de don gouvernement. Quelques Livres remplis de vérités amères contre les traitans consoloient leurs victimes ; s'il survenoit de temps en temps un ministre habile & dissipateur comme ça…, ou économe comme…, ou travailleur comme l'Abbé…, les finances n'étoient pas réparées, mais on écrivoit quelles le seroient, & le calme momentané revenoit. La Cour se permettoit toutes sortes de prodigalités, mais les individus recueilloient ; les Grands imitoient les Princes, mais c'étoit autant de canaux par où couloit l'abondance.

Des hommes, trop savants peut-être pour notre bonheur, vinrent nous dire que nous étions malheureux, pauvres, ruinés ; qu'une petite portion de l'espèce dévoroit la substance de la plus nombreuse, que nous étions tous égaux, & qu'il falloit dès-lors faire un partage égal. Ces idées nées de la philosophie furent saisies avec feu, & chez une Nation qui saisit tout avec une ardeur voisine de l'enthousiasme, [p.iv] on en vint bientôt à abjurer l'autorité royale, à rejetter toute espèce d'impôt ; à débarrasser le Clergé, à se passer de la Cour, & tout en disant que le pouvoir législatif étoit distinct du pouvoir exécutif on s'empara des deux.

L'intention est pure. Tout se fait à l'honneur de la liberté. Dans une marche aussi rapide il n'a pas été possible de réfléchir sur la meilleure forme de gouvernement. Il viendra quand il pourra. Il a paru essentiel d'avoir une déclaration des droits, & puis une bonne Constitution. Quant à la manière de l'employer, on s'en occupera incessamment.

On est certainement très-loin d'avoir rempli un si haut ministère. Mais il faut convenir aussi qu'on a cependant beaucoup fait de chemin. Et lorsque dans les prochaines Législatures on aura perdu la manie de pérorer, & pris le parti d'exposer simplement ses raisons, sans prétendre donner toujours un discours oratoire, on s'appercevra bien vite du pas immense fait dans une science presque inconnue aux Français.[p.v] Pour accélérer ce moment, nous avons imaginé de donner au Public un ouvrage où se trouvât tout-à-la-fois la théorie & la pratique, la règle & le modèle, le fruit du talent & de l'expérience. C'est le tableau des questions agitées depuis trente ans au Parlement d'Angleterre.

On y prendra d'abord l'idée de la Constitution Anglaise, & l'on s'en instruira d'après ceux qui ont le mieux pesé ses vices & ses avantages. On y verra que presque tous les Gouvernemens établis pour protéger les sociétés n'ont servi souvent qu'à les opprimer ;& que ce qui auroit dû mettre un frein à la cupidité, & à la malignité humaine, n'a fait que leur fournir de nouveaux alimens. Que le meilleur ou le moins imparfait des gouvernemens, est un mélange de monarchie, d'aristocratie, & de démocratie de manière que chacun de ces pouvoirs sert aux deux autres de contre-poids, & que tous trois peuvent se soutenir dans une parfaite égalité & dans une même indépendance. Une semblable doctrine publiée [p.vj] par un seul homme en impose, sans doute, quand elle est appuyée d'une excellente logique & des preuves postérieures de l'histoire ; mais elle fait bien plus de sensation quand elle est le résultat des pensées générales de ce qu'il y a de mieux chez un peuple éclairé,voué spécialement à ce genre de méditations. On plie sous un faix d'autorités, & l'orgueilleuse raison qui se révolte contre une opinion isolée se soumet à celle de la multitude. C'est donc dans ces fragmens qu'il faut étudier la Constitution ; ils apprendront à rejetter les notions fausses & à suppléer aux anciens écarts de l'esprit humain.

La seconde section expose ce qu'est le pouvoir d'un Roi d'Angleterre ;& nous osons dire qu'à cet égard la plupart des idées françaises ont besoin d'être réformées. Un Roi s'identifie avec la Loi. La Loi est le point central de toutes les volontés, & l'âme de tous les pouvoirs ; mais comme la Loi est un être métaphysique, ou une puissance morale, il s'ensuit que l'être réel qui est identifié avec[p.vij] elle a réellement tous les pouvoirs dans sa, main. Cela est, & cela doit être pour l'action continuelle de gouverner. Cette action est un mouvement rapide & continu qui ne doit jamais être suspendu. La seule action des Chambres n'est pas de faire, mais de tout préparer, mais de s'opposer à ce que l'on outre-passe les droits immenses de la royauté. Une société peut exister sans Roi, mais dès qu'elle en a créé un, il doit être maître & souverain ; autrement elle a le fardeau sans recueillir les avantages qui tiennent au gouvernement d'un seul. Ces principes sont d'autant mieux développés dans l'Ouvrage présenté au Public, que les Anglais s'expliquent avec une vérité austère. Leurs idées passeront aisément dans l'esprit des Lecteurs qui réfléchissent en raison de la gravité des sujets.

Lorsqu'elles s'y feront bien ancrées, si je puis hasarder cette réflexion, on passera à l'examen de ce qui concerne le Parlement, ce Corps puissant destiné à prévenir le despotisme, & à contrebalancer le pouvoir d'un seul. C'est en le voyant agir qu'on[p.viij] appréciera son utilité. La grande habileté des Membres les plus respectables n'est pas d'étendre son pouvoir, mais d'assurer son indépendance par la réforme des abus. C'est en le rendant nécessaire qu'on le rendra éternel. M. Burke traita ce sujet il y a quelques années, avec une profondeur & une clarté qui réfléchiroit sa lumière bien loin si on vouloit le suivre dans ses grands développemens. Quelle source pure & abondante d'instruction !

Il n'y a guère moins d'intérêt dans la Section suivante qui traite du Ministère. Dans cette lutte continuelle entre les Chambres & les Ministres, il est difficile que les abus subsistent, du moins est-ce un grand moyen de rendre les fautes sans danger. De cette surveillance naît l'activité, & la crainte des fausses combinaisons. Les hommes sont naturellement portés aux passions qui donnent des jouissances ; ils n'en seront sauvés que par la vigilance du parti opposé. De toutes les prétentions absurdes dont se nourrissent les États despotiques, plaçons à la tête[p.xix] celles des Ministres qui veulent glacer la langue du peuple, & ne recevoir que des adorations de ceux qui se croient immolés, ou négligés, ou malheureux : on verra que souvent on abuse du droit de réclamation. Puisqu'il faut que les hommes soient toujours en de-çà ou au de-là du but, c'est un bien qu'ils portent toutes leurs forces sur l'examen de la chose publique, & des mains auxquelles elle est remise.

Des instrumens du pouvoir exécutif on passe à la connoissance du Militaire Anglais. Il est intéressant de savoir non-seulement ce qu'il coûte, & comment il est organisé ; mais on rencontre aussi d'autres questions non moins intéressantes, telles que celle-ci : Est-il convenable, ou utile d'avoir dans tous les tems une nombreuse armée sur pied ? On y verra que ce ne sont pas les troupes nombreuses qui ont jamais renversé la liberté des Peuples de l'Europe ;& que souvent elles ont servi à rétablir la paix entre les Puissances belligérantes, paix bienfaisante à[p.x] laquelle est attaché le succès des manufactures anglaises ; plein de ces idées séduisantes, vous êtes forcé de les abandonner à la voix d'un Orateur qui vous prouve que, pendant la paix, les peuples voisins cultivant les arts, ils peuvent se fournir eux-mêmes des objets qui leur sont nécessaires. Des discussions toujours si piquantes acquièrent un nouveau degré d'intérêt dans un moment où nous nous occupons de la formation de deux armées ; l'une nationale pour garder nos personnes, l'autre pour opposer à ceux qui tenteroient de venir détruire notre ouvrage.

La Marine présente aussi des idées lumineuses dont il est toujours utile de faire l'application, puisque les flottes Britanniques sont à peu-près les seuls ennemis que nous ayons à redouter, sur-tout si le système Espagnol venoit à changer.

Le Commerce est tellement lié au pouvoir maritime que l'on ne croit pas changer d'objet, en passant de l'un à l'autre. Puisse un si grand exemple engager les Français à chercher dans cette inépuisable[p.xj] source de richesses, un dédommagement à la finance qui disparoîtra, & au secours passager de la dilapidation, moyen de rendre au peuple une partie de ce dont on le surimposoit. Il faut que le Commerce soit un agent bien puissant, puisqu'en 1780, sir George Blacquiers proposa avec succès un bill tendant à naturaliser tout Marchand Manufacturier & autres étrangers qui viendroient établir leur domicile dans le Royaume. Cette Section offrira des vérités pratiques, bien au-dessus de certaines discussions métaphysiques.

Après le Commerce viennent les Finances. Les discours sur cette partie essentielle prouvent, dans le Gouvernement plus d'adresse, & dans le peuple plus de confiance. La nature des impositions est si bien connue, leur nécessité si bien démontrée, leur emploi si fidellement marqué, que chacun peut se convaincre de la sagesse de l'administration, lors même qu'elle condamne à des sacrifices toujours douloureux. En France, au contraire, nos Ministres n'ont décidé les prêteurs que[p.xij] par des intérêts abusifs, & lorsque ce moyen destructeur & peu honorable, n'a plus été employé, la confiance s'est retirée, & le Ministre est demeuré livré aux horreurs des besoins.

En Angleterre, dépasse-t-on le terme fixé, cent voix s'élèvent contre le Ministre indiscret, il est forcé de reprendre honteusement sa proposition ; mais rarement on expose gratuitement sa considération & sa renommée. On fait comme ailleurs de beaux préambules, mais on les fonde sur des vérités économiques & non sur son éloquence. Si l'on expose des fautes énormes telles que les dépenses pour la guerre d'Amérique, on travaille à ce que ces fortes erreurs ne soient pas perdues pour la génération qui suit.

L'ordre & l'intelligence sont, il est vrai, deux grands pivots de la prospérité nationale mais sa base seroit chancelante, si on ne la fondoit sur la morale. La Religion qu'on peut en appeller la fille, est, entre les mains du Gouvernement, un ressort vigoureux ; on verra dans la[p.xiij] partie qui traite cette matière fondamentale, que la tolérance est le premier des biens, pourvu qu'elle ne dégénère pas en une insouciance méprisante. Elle paroît plus liée à la politique que dans d'autres pays, & tout ce qui a été extrait sur cette matière, (si intéressante par elle-même), a le mérite d'un choix sévère & très-piquant.

À la veille de recevoir des réglemens contre la licence de la Presse[1], on lira avec plaisir ce que les Anglais entendent par liberté de publier sa pensée ; dans ce pays où l'on croit tout permis, le Lord Chancelier déclaroit en 1739, que quiconque attaque le caractère d'un autre par des libelles ou des écrits diffamatoires, ne pouvoit, suivant les loix de la nature & de la Constitution Britannique, obtenir aucun pardon de son crime. En rapprochant l'opinion de M. Wilkes de celle du Lord Chancelier, on pense comment lemême objet est différemment envisagé ;[p.xiv] & c'est du choc libre des sentimens que naît le bon parti dans une tête sage & bien organisée.

De la dénonciation au public, qui se fait par la voie de la Presse, on passe aux dénonciations intentées contre quelques Particuliers, qu'il faut nommer accusations. Les grands procès commencés dans l'Inde & instruits à Londres, & qui devroient l'être dans le Bengale pour y être terminés de façon ou d'autres ; fournissent matières à de longues réflexions, moins sur la déprédation de l'accusé, que sur l'abus de l'autorité presque par-tout inséparable de la nécessité de la confier.

Pour prévenir les émeutes, on la restreint quelque fois mal-à-propos. Ce mot émeutes ne signifie pas seulement les insurrections populaires qui naissent au milieu du trouble & des préventions, ou font causées par des conspirateurs secrets contre ceux mêmes qu'ils emploient à l'exécution de leurs desseins ; mais de ces révoltes plus réfléchies sur les vaisseaux, dans les garnisons, qui ne font rien à la chose[p.xv] publique, & coûtent la vie à quelques victimes jettées dans les troubles par des mains qui se dérobent à la vengeance de la Loi.

Dans le dernier volume, le théâtre change. L'Irlande est d'abord le lieu de la scène ; ensuite l'Amérique. Ces deux contrées ont eu à se plaindre de la Métropole. L'une se soustrait à la tyrannie Ministérielle, l'autre compose parce qu'il faut céder au plus fort. Ce morceau (peut-être le plus curieux de l'ouvrage) rendra intelligibles des articles parsemés dans nos feuilles politiques, & qui demandent des explications préliminaires qu'offre la Section que nous annonçons.

Celle sur l'Amérique contient les pièces d'un grand procès perdu par l'Angleterre contre la liberté ; grande leçon pour les Rois & pour les Peuples. On voit où conduisent les erreurs d'un Ministre opiniâtre : combien il est imprudent de renforcer un peuple libre, & sur-tout de mépriser une indignation qu'on a allumée. La postérité rendra un inutile hommage à M. Wilkes, mais les Salles de Westminster[p.xvj] ont plusieurs fois retenti de ses plaintes sur l'injustice de la guerre d'Amérique. II a prédit l'impossibilité de réussir en se montrant aussi humain qu'habile politique. Il a donné le vrai sens aux mots trahison, rébellion. Aux erreurs du principe il a joint la preuve de la conduite absurde des Ministres, même pour défendre cette cause perfide. Mais il falloit triompher de l'entêtement, de l'orgueil, de la rapacité ; il a succombé, & treize royaumes ont été détachés de la domination Britannique ; il est des fautes qui sont pour l'éternité.

On n'a pas voulu priver les lecteurs de plusieurs morceaux qui n'appartiennent à aucune des Sections dont nous avons rendu compte. On les a classés sous le nom de Sujets divers. Ils correspondent à quelques-uns des objets qui nous occupent maintenant ; tel est: un discours de sir Bunbury sur la nécessité d'une nouvelle police sur les prisons. Son moyen principal est de transporter les coupables dans l'Afrique ou dans les Indes. C'est la loi[p.xvij] du Talion. Un homme trouble la société, il est juste qu'il en soit retranché. Telle est la Pétition des débiteurs insolvables, au nombre de cinq mille remplissant les prisons de la Capitale, & demandant pour toute grâce, du travail.

Enfin les quatre volumes sont terminés par des Lettres de différentes Personnes qui figureront un jour dans l'Histoire, & dont il est intéressant de connoître le caractère & les opinions particulières.

Ce font des Lettres, des Généraux Gates, Burgoyne, Washington ; de M. le Comte d'Estaing, de M. le Marquis de la Fayette, de M. de la Luzerne, de M. B. Franklin, &c. &c. sur des sujets qui, pour la plupart, sont anecdotes. Il n'est pas difficile de voir qu'une collection aussi variée, de morceaux aussi piquans, aussi rapprochés de nos besoins, ne peut qu'inspirer un vif intérêt, & former un véritable Cours de droit public. On a pour Professeurs des hommes de la plus juste célébrité.

Outre cette source d'instructions, le[p.xviij] lecteur aura sous ses yeux le portrait des principaux personnages d'Angleterre, le parallèle des Anglais & des Français qui se sont distingués dans la même carrière.

La Traduction est fidèle, & s'élève avec les originaux. On croit souvent lire des ouvrages pensés & écrits dans notre langue, tant celui qui nous enrichit de ces débats Anglais, a bien saisi le ton de ceux qu'il naturalise dans nos bibliothèques. M.D.L.

[p.1]

 

Discussions importantes, tirées du Parlement d’Angleterre.

 

Première section. Constitution britannique.

 

Discours de sir John Saint-Aubin, dans lequel il s'efforce de prouver combien il seroit important de rendre au peuple son ancien droit de renouveller fréquemment les parlemens. Les princes qui ont agi par des principes contraires, ont été les tyrans de la nation. L'auteur de cet éloquent discours entre, à ce sujet, dans bien des détails instructifs.

 

Le 13 Décembre 1732.

M. l'Orateur,

La matière qui fait le sujet du présent débat, est d'une telle importance, que je serois honteux de retourner vers mes électeurs, sans avoir[p.2]auparavant expliqué de la manière la plus claire, autant que je le pourrai, les raisons qui m'ont déterminé à donner, sans différer, mon consentement à l'objet dont il est question.

Le peuple, par un ancien usage, a un droit incontestable de renouveller souvent les parlemens ;& cet ancien usage, nos ancêtres l'ont confirmé par différentes loix qu'ils ont faites à mesure & autant de fois qu'ils les ont jugées nécessaires pour appuyer ce privilège essentiel.

Les parlemens étoient généralement annuels, & jamais ils ne furent prorogés au de-là de trois années, jusqu'au règne remarquable de Henri VIII. Ce prince, monsieur, insatiable & immodéré dans ses désirs déréglés & dans ses volontés arbitraires, étoit impatient de toute contrainte. On le vit sacrifier les loix divines comme les loix humaines, toutes les fois qu'elles parurent s'opposer à son avarice & à son ambition. Dans cette vue, il introduisît les parlemens de longue durée, sachant bien qu'ils deviendroient par là, un instrument à lui, & propre à satisfaire ses deux passions. On fait quelle obéissance servile ces parlemens portèrent à toutes ses volontés absolues.

Si l'on passe au règne de Charle I, il faut avouer que ce prince avoit un caractère bien différent. Charles avoit un fonds naturel de vertu[p.3]& de religion ; mais voici ce qui fit ses malheurs. De misérables flatteurs abusant de sa bonté naturelle, lui conseillèrent de négliger la fréquence des parlemens. Trop docile à ces leçons, & dans tout ce qu'il fit, constamment opposé aux sentimens du peuple, le roi porta si haut les prétentions de sa prérogative, que pour la restreindre, la chambre des communes usurpa ce pouvoir fatal & indéterminé, qui amena la terrible catastrophe où périt le souverain, & qui en même temps renversa toute la constitution. C'est pour nous, monsieur, une grande leçon, qui devroit nous apprendre sans doute, à ne pas enivrer la couronne avec ces complimens outrés & ridicules d'un nouveau pouvoir ; comme en même tems, à ne pas refuser au peuple les privilèges qui lui appartiennent par un ancien usage. Nous devons au contraire, conserver cette balance égale & juste, qui assure à la nation & au souverain, une mutuelle sécurité. Tant que cet heureux équilibre sera maintenu exactement, il rendra notre constitution, l'envie & l'admiration du monde entier.

D'après le règne du roi son père, Charles II prit à dégoût les parlemens, & il eut fort envie de les laitier de côté ; c'étoit un projet impraticable : mais de fait, il parvint à ce but ; car il se créa cet éternel parlement, qui par sa durée,[p.4]devint pour lui, comme une armée de vétérans exactement disciplinés, & si bien dressés à toutes ses mesures, qu'ils ne connoissoient pas d'autres ordres que ceux du général qui les tenoit à sa solde. Ce fut là un moyen sûr & merveilleux pour subjuguer la nation.

Comme on fait que dans un pays libre, si le pouvoir absolu s'y montroit d'abord trop ouvertement, il révolteroit les esprits, on eut soin de séduire le peuple avec les apparences & avec les formes de l'ancienne constitution : mais réellement, elle n'existoit plus que dans son imagination ; car, vrai fantôme, sans substance & sans réalité, ce corps, avoit entièrement perdu sa dignité, son autorité & toute sa force : c'étoit, en un mot, ce parlement remarquable, qui à juste titre, mérita d'être appellé le parlement pensionné, & qui dans la suite, fut sans doute un modèle trop bien copié par plusieurs de nos derniers parlemens.

Dans le tems de la révolution[2], le peuple réclama de nouveau, ses anciens privilèges ;& comme il sortoit d'éprouver le malheur des longs & serviles parlemens, il fut déclaré qu'on le renouvelleroit fréquemment; mais il paroît qu'on ne saisit par d'abord le vrai sens de cette[p.5]déclaration :& comme dans tout nouvel établissement l'intention des parties n'est jamais assez clairement expliquée ; depuis ce moment, les débats ne cessèrent point entre la couronne & le parlement, jusqu'à ce qu'il eut obtenu la loi triennale.

Le préambule de cette loi, fort étendu, est plein de force :& l'on remarque dans le corps de ce bill, des expressions qui me font croire, que bien qu'il n'eut pas eu lieu au tems de la révolution, cette loi cependant entendoit & déclaroit en suivre le premier esprit ;& par-là, représenter en partie le contrat original sur lequel pose toute la base de notre constitution.

Le titre de sa majesté à la couronne, en émane originairement :& si d'après un examen à cet égard, il paroissoit qu'on s'en fût écarté en quelques points, ces écarts seroient autant de larcins injustement faits à ce titre :& j'ose dire à ce sujet, que cette chambre qui a déjà rendu tant de services à sa majesté, voudra bien revenir à ces premiers principes de notre gouvernement, pour renouveller ce titre, & lui rendre toute sa force.

La vrai raison qu'on auroit d'abroger la loi septennale, monsieur, seroit, je pense, la manière dont elle s'est introduite. Le peuple dans ses craintes, a souvent recours aux remèdes les plus désespérés, [p.6]qui, si on ne les détruit pas à propos, portent ensuite une atteinte funeste à la constitution qu'ils se proposoient d'affermir. Telle est la nature de cette loi septennale. On ne voulut d'abord que l'opposer à un mal passager ; le mal a cessé, mais les suites dangereuses du remède subsistent toujours : car il a changé l'essence des parlemens ; il a étendu leur durée au de-là du terme ordinaire ;& par là, il a apporté avec lui la contradiction la plus injuste, je veux dire, que l'on peut en toutes circonstances, usurper le privilège du peuple le plus essentiel & le plus incontestable, celui de se choisir lui-même ses représentans ; abus d'une telle conséquence, d'un effet si dangereux, qu'il feroit honte à notre législation, s'il subsistoit assez long-tems pour passer à la postérité.

Mais puisque voici le tems où il est permis à la vertu & à l'esprit patriotique de se montrer, saisissons ce moment favorable pour révoquer ces loix qui violent & enfreignent nos libertés ;& substituons-leur d'autres loix, capables de rétablir l'ancienne vigueur de notre constitution,

La nature de l'homme est si perverse, que les liens de toute espèce se relâchent d'eux-mêmes & perdent toute leur force, si on ne les resserre fréquemment. Par cette raison, les parlemens [p.7]de longue durée deviennent indépendans du peuple ;& dès qu'ils le font, il s'en suit toujours ailleurs des dépendances les plus funestes.

Les parlemens de longue durée favorisent les connivences du ministre avec les membres des chambres ; ils lui procurent la facilité de pratiquer avec eux différens moyens de se les rendre tout dévoués à ses desseins, ce qui ne peut être que l'ouvrage du tems.

La corruption, par elle-même est si basse qu'elle révolte au premier abord : rarement on se rend à la première tentative, il faut de longue-main préparer ses batteries, il faut dresser ses pièges de loin, pour gagner insensiblement les esprits ;& ce n'est qu'après un nombre de combats que l'on vient à se soumettre. J'avoue qu'il y a de certaines âmes assez lâches pour se plonger d'elles-mêmes dans la fange des actions les plus avilissantes ; mais la plupart des hommes prennent plus de précautions, & ne cèdent que par degrés : un ou deux ont abandonné leurs drapeaux dès la première campagne, plusieurs dans une féconde ; mais le plus grand nombre qui n'a pas cette disposition décidée au vice, ne se rend qu'après une troisième attaque.

Par cette raison, les parlemens de courte-durée ont été les moins sujets à la corruption.[p.8]On les a comparés pour cela à des courants d'eau, qui perdent de leur limpidité, à mesure qu'en s'écoulant, ils font à une plus grande distance de leur source.

Je m'attends qu'on va dire que la fréquence des parlemens, est une source de nouvelles dépenses : je pense précisément le contraire, car je crois que ce seroit le vrai moyen de remédier au danger de la vénalité dans les élections, principalement depuis que vous y avez pourvu par une loi sage, qui coopère à cette réforme.

D'où peut provenir dans les élections cette vénalité dans les suffrages ? Ce n'est point de la part des gentilshommes des provinces, qui certainement ont été choisis sans cette influence. Cette invention, monsieur, appartient uniquement à d'indignes & malheureux ministres, qui, en différens tems, ont entraîné les princes foibles dans des projets tellement désastreux, qu'ils auraient craint de se faire appuyer par les vrais représentans du peuple. Les longs parlemens, monsieur, ont introduit la corruption, parce qu'ils étoient faits pour se vendre chèrement.

Les gentilshommes des provinces n'ont pas d'autre soutien que leur fortune privée, qui n'ont point le but mercenaire de ramper, ne peuvent pas venir à bout de triompher des[p.9]pratiques de la cour, dans ces tems sur-tout où le trésor public s'épuise pour acheter les villes & bourgs qui ont le droit d'élection. Ces gentilshommes peuvent bien faire quelques efforts, mais sans succès; & le tems d'un nouveau combat s'éloignant, ils se découragent dans cette lutte pour le bien, ils regardent leur païs comme déjà perdu, & se retirent de désespoir : le désespoir produit l'indolence, disposition la plus propre à l'esclavage ;& c'est bien ce qu'entendent nos hommes d'état, qui ne veulent pas réveiller la nature de cette léthargie par de fréquentes élections. Ils savent que le véritable esprit de la liberté (comme toute autre vertu de l'esprit) ne peut conserver sa vivacité qu'autant qu'on la tient dans un mouvement & dans une action continuels ;& qu'il leur est impossible d'asservir la nation tant qu'elle sera continuellement sur ses gardes.

Que les gentilshommes des provinces, en cherchant des occasions fréquentes de se distinguer, mettent donc de la chaleur dans la poursuite du bien public, & ils feront éclater ce zèle & ce courage qui surmontent à la fin les injustes influences par lesquelles des créatures de la couronne, sans être seulement connues dans les provinces qu'elles représentent parviennent à supplanter des personnages, qui ayant de la[p.10]fortune & un grand caractère, demeurent dans ces mêmes provinces.

Je n'avance pas cela d'après une simple spéculation : j'habite un pays où cette vérité est trop connue : j'en appelle à cet égard, à plusieurs membres de cette chambre, à. un plus grand nombre encore, qui n'y sont pas, & qui sont absens par cette raison-là même. C'est, monsieur, un vice qui depuis long-tems dévore les parties les plus vitales de notre constitution : mais j'espère que le tems va venir où vous sonderez cette plaie dans sa juste profondeur : car si un ministre parvient à familiariser les provinces avec la vénalité, s'il a la liste de ses affidés dans son portefeuille ; si avec des ordonnances sur le trésor royal, il s'attache ces faux représentans du peuple ; si ces enfans de ses intrigues sont prêts, en toutes circonstances, à rapprocher les mesures les plus hétérogènes de son administration ; s'ils volent & tournent en loix les rêves les plus ridicules de leur digne patron, si leur principal objet est de maintenir son despotisme ; s'ils osent porter à l'autorité & à la confiance qui est due au parlement les coups les plus terribles, en accordant au roi la liberté d'imposer la nation, sans limites & sans autre examen, ce qui seroit la manière la plus dangereuse de faire sa cour à sa majesté : c'étoit là, dis-je,[p.11]le misérable état de la Grande-Bretagne, sans doute le peuple auroit le droit de se plaindre, mais alors les portes de cette chambre, où de telles plaintes devraient être entendues, lui seroient fermées pour toujours.

Je crains que la maladie de l'état ne soit d'une nature compliquée, & je pense que la présente motion est sagement dirigée pour en éloigner d'abord les désordres les plus considérables. Rendez au peuple son ancien droit de renouveller fréquemment les parlemens, c'est le vrai moyen de rétablir l'autorité déchue des deux chambres, c'est le moyen de mettre notre constitution en état d'opéré elle-mêmeà sa propreguérison.

Toutes choses considérées, monsieur, mon avis est, que je ne puis mieux exprimer mon attachement à sa majesté, ni témoigner plus de zèle pour la liberté du peuple, pour l'honneur & la dignité de cette chambre, qu'en appuyant la motion que l'honorable membre vient de proposer.

On peut conclure de ce discours que les orateurs Anglais, quoique plus exercés, ne font pas supérieurs aux Français.

On ne peut trop peser fur cette vérité fondamentale, que le privilège du peuple le plus essentiel [p.12]& le plus incontestable, est celui de choisir lui-même les représentans. La convocation des états de 1789 a été trop précipitée, mal organisée. Des choix imparfaits ont conduit insensiblement à la défection de quelques membres, & dès lors au peu de confiance.

On ne peut trop applaudir au projet de renouveller fréquemment les assemblées nationales, moins pour prévenir la corruption que la légèreté. On finirait par regarder cette assemblée comme un district renforcé.

 

Réplique éloquente de sir Robert Walvole, au discours précédent. Elle contient des détails instructifs sur la Constitution Britannique. L'orateur conclut que la révocation du bill septennal seroit dans tous les tems d'une funeste conséquence.

 

Du 13 Mars 1734.

M. le Chancelier de l'Échiquier,

Quoique la question dont il s'agit, ait été déjà très-amplement combattue, de manière qu'il reste peu de chose à dire à cet égard, j'espère cependant que la chambre voudra bien me permettre d'exposer quelques-unes des[p.13]raisons qui me portent à être contre cette motion.

Je dois observer en général que les personnes qui ont parlé en sa faveur, se font beaucoup trompées par rapport à la nature de notre constitution. Il est certain qu'elle forme un gouvernement mixte, & sa perfection consiste en ceci, que la monarchie, l'aristocratie & la démocratie y font mélangées, & pour ainsi dire entrelacées de manière qu'elles nous procurent tous les avantages de chacun de ces gouvernemens, fans nous exposer aux dangers ni aux inconvéniens d'aucun.

Le gouvernement populaire, le seul dont je veux parler ici, est sujet à bien, des inconvéniens. Ce gouvernement, en général, trop lent à en venir à ses résolutions, rarement est assez prompt à se décider, & assez expéditif à exécuter : il est toujours flottant dans le parti qu'il veut prendre, & jamais assuré dans les mesures qu'il a résolu de suivre. Le peuple est de plus exposé à des soulèvemens, & continuellement déchiré par des séditions, par des factions, qui le mettent en butte à ses voisins pour en devenir souvent la proie & la victime. Par toutes ces raisons, nous devrions nous garder dans tous les réglemens que nous projetions concernant notre constitution, de préférer trop la forme[p.14]de gouvernement qu'on appelle démocratique. Or, à mon avis, c'est ce que fait la loi triennale ;& ce qui arriveroit encore infailliblement, si cette loi étoit rétablie.

Il est évident que les élections triennales rendroient notre administration trop lente dans ses opérations, parce qu'alors, une administration prudente ne se décideroit pas dans une affaire importante, sans avoir auparavant étudié, & le pouls du parlement, & encore celui du peuple ;& dès-lors, les ministres travailleroient avec un désavantage certain, je veux dire, que les secrets de l'Etat, ne devant pas être divulgués d'abord, les ennemis des ministres (car ils auront toujours des ennemis), auroient la facilité d'exposer au peuple leurs mesures, de les lui rendre défavorables, & pourroient leur opposer des nouvelles élections, avant qu'ils eussent le tems de justifier leurs desseins & de publier les raisons qui prouveroient la droiture & la sagesse de leurs entreprises.

On fait d'ailleurs, monsieur, par l'expérience, que dans tout pays, ce qu'on appelle peuple, est enclin à s'écarter trop aisément dans les succès, comme à s'abattre trop facilement dans l'adversité. Voilà ce qui le rend toujours flottant & indécis dans ses opinions par rapport aux affaires de l'Etat, & ce qui fait que jamais il n'a longtems [p.15]une même manière de penser. Or, comme cette chambre est généralement choisie par la voix libre & impartiale du peuple, qu'elle représente, si l'on renouvelloit souvent ce choix, nous pourrions nous attendre que cette chambre feroit flottante & indécise, comme l'est ordinairement le peuple ;& que l'impossibilité où l'on seroit de régir les affaires de la nation, sans le concours de cette chambre, forceroit les ministres à se plier aux circonstances, & conséquemment à tourner à tout vent, comme à changer de système aussi souvent, & avec la même facilité que les esprits du peuple auroient pu changer.

La loi septennale, monsieur, ne nous expose point à ces désavantages, parce que, si les ministres après avoir consulté le parlement (& ils le peuvent toujours aisément) se décident à quelque entreprise, ils ont ordinairement assez de tems avant que les nouvelles élections soient venues, pour en instruire le peuple d'une manière convenable, & pour lui faire voir la droiture & la sagesse de leurs opérations ;&le peuple quelquefois montroit mal à propos ou trop de fierté ou trop de découragement, & sans sujet, vouloit changer d'avis, celui qui tient le timon des affaires de l'Etat, auroit encore assez de tems pour faire revenir les esprits de leurs injustes préventions, avant qu'une élection eût lieu.[p.16]Quant aux séditions, aux factions, l'on conviendra, monsieur, que dans les gouvernemens monarchiques & aristocratiques, elles proviennent ordinairement de la violence & de l'oppression ; mais que dans un Etat démocratique, ce qui toujours les occasionne, c'est la trop grande part qu'on laisse prendre au peuple dans les affaires ; car, dans tout pays & dans tout gouvernement, il y a toujours des esprits inquiets & remuans, qui dans une condition, soit basse, soit élevée, ne peuvent jamais rester en repos. Ces hommes factieux ont-ils en main le pouvoir, ils n'en ont jamais allez, à moins qu'ils ne voient tout ramper fous leur despotisme ;& s'ils ne font pas en place, ils ne se lassent point d'intriguer contre ceux qui sont à la tête de l'administration, sans égard ni à la justice ni aux intérêts de leur propre pays. Dans un gouvernement populaire, des tels hommes ont trop d'avantages ; ils ont des occasions trop fréquentes d'échauffer le peuple, de soulever les esprits, de leur inspirer des impressions dangereuses contre ceux qui gouvernent les affaires publiques, de provoquer les murmures & les mécontentemens de la populace, mécontentemens qui souvent éclatent en factions & en séditions.

Ce seroit donc pour nous, monsieur, un malheur si le parlement devenoit annuel ou triennal :[p.17]des élections aussi fréquentes augmenteroient le pouvoir du peuple, de manière que ce pouvoir détruiroit ce mélange égal & salutaire, cet heureux équilibre qui fait la beauté & tout le prix de notre constitution. Notre gouvernement, en un mot, deviendroit absolument démocratique, & dès lors, infailliblement il pencheroit vers la tyrannie. Or pour maintenir notre constitution dans toute sa force, pour la prémunir contre les coups de despotisme, nous devons conserver cette loi par laquelle notre constitution est parvenue au mélange le plus égal, & qui l'a porté à la plus grande perfection où jamais elle se soit élevée avant que cette loi eut lieu.

Quant à la corruption, à la vénalité : s'il étoit possible d'asservir par une voie aussi basse, la majorité des électeurs de la Grande-Bretagne, pour se choisir des sujets capables de sacrifier leur liberté ; s'il étoit possible de gagner par de tels moyens, la majorité de cette chambre pour la faire consentir à s'ériger un pouvoir arbitraire ; j'avouerois d'abord, messieurs, que les merveilleuses combinaisons faites par les membres de l'opposition sont justes, & que leurs résultats sont exacts : mais je suis persuadé que les une & les autres sont impossibles.

Comme généralement, les membres de cette[p.18]chambre sont & doivent être toujours des personnes distinguées, qui par leur fortune & par leur caractère représentent dans leur province, est-il probable qu'aucune d'elles pour une pension ou pour une place, s'engageât à consentir au renversement de la constitution Britannique ; renversement qui rendroit tout à fait précaire & incertain ce qu'elle vient d'obtenir & même toute sa fortune ?

Il faut, monsieur, convenir de plus par rapport à la vénalité, que le prix en doit hausser ou baisser en proportion dela vertu du sujet que l'on veut acheter : il faut convenir encore, que dans cette circonstance, le caractère qu'il peut avoir, & que l'esprit patriotique dont il peut être doué présentent de nouvelles difficultés à vaincre. Lorsque les droits du peuple ne sont point ouvertement attaqués, lorsqu'il ne voit pas qu'aucun danger le menace, quelques électeurs, peut-être, pour un présent de dix guinées, seront portés à voter en faveur d'un candidat plutôt que pour un autre ; mais si le parti de la cour venoit à empiéter sur les droits de la nation, la nation alors reprendroit bientôt l'esprit qui lui convient ;& dans cette circonstance, je suis persuadé qu'aucun, ou bien peu même de ces électeurs que j'ai désignés, se laisseroienr corrompre pour voter en faveur d'un[p.19]partisan du Ministère : non, monsieur, ils ne le feraient point, s'agiroit-il de dix fois dix guinées.

Il peut y avoir des moyens de vénalité dans la nation, & je crains bien qu'il y en ait toujours ; mais ce n'est pas une preuve que des étrangers[3] ayant eu la préférence par cette voie : car un gentilhomme peut avoir naturellement beaucoup d'ascendant & même assez de crédit sur sa province pour pouvoir l'obliger à préférer des personnes qu'il lui plaît de recommander ;& si d'après sa recommandation, l'on choisit un ou deux de ses amis qui se trouvent être étrangers à son bourg, on ne doit pas insérer de-là que ces étrangers aient été élus leurs représentans, par des moyens de corruption &de vénalité.

Il est bien étonnant, monsieur, que l'on donne à entendre que c'est avec les deniers publics que l'on trafique des élections ; il est, dis-je, surprenant que cette assertion soit échappée à des membres du parlement, qui ne peuvent ignorer avec quelle difficulté un schelling forte de la caisse ; combien est exact l'emploi du revenu public accordé pour une année, combien scrupuleusementces dépenses sont examinées,[p.20]la session suivante, dans cette chambre, & encore dans l'autre chambre, s'il lui prend envié de faire une nouvelle révision de ces comptes.

Quant aux gentilshommes ici en place, s'ils ont, en cela, plusieurs avantages, en pouvant compter sur quelque chose de plus que leur fortune privée, ils ont aussi un nombre de charges» étant obligés de vivre à Londres, eux & leur famille, ce qui les force à une dépense beaucoup plus considérable que celle des personnes d'une égale fortune, qui vivent dans la province. Cet éloignement leur cause de plus, un désavantage évident, pour soutenir leur influence dans la province. Le gentilhomme de province au contraire, en demeurant au milieu de ses électeurs, & en leur achetant pour fa famille tout ce dont il a besoin journellement, conserve avec ces électeurs des liaisons & une correspondance suivie, qui n'exigent aucune dépense extraordinaire ; pendant que celui qui vit à Londres, n'a pas le moyen d'entretenir une correspondance particulière avec ses amis de province, sans y faire deux ou trois voyages par an, le plus souvent sans autres affaires &sans autre objet, ce qui lui devient fort onéreux : d'où il faut conclure, que le gentilhomme ici en place, ne peut pas, même en sept ans, éviter de[p.21]dépenser beaucoup, dans le tems d'une nouvelle élection. Et je suis réellement convaincu, monsieur, que si je pouvoir, dans ce moment, discuter à fond le fait, il vous seroit évidemment prouvé que nos gentilshommes ici en place, sont réellement moins coupables que tous autres de corruption à l'égard de leurs électeurs.

Que l'on puisse contester, que souvent le peuple remue & fermente sans aucune juste raison, voilà ce que je suis en vérité bien surpris d'entendre, après que l'expérience toute récente devroit nous avoit convaincus du contraire, Ne savons-nous pas quels troubles s'élevèrent dans la nation vers le fin du dernier règne de la reine[4] ? Peut-on ignorer quel fatal changement fut introduit ou du moins confirmé dans les affaires, par une nouvelle élection, qui tomboit dans ces tems orageux ? Ignorons-nous combien les esprits étoient agités lors de l'avènement de sa majesté[5] à la couronne, & que, si l'on eut assigné une élection dans ce moment où les esprits étoient échauffés, cette élection auroit eu vraisemblablement pour la nation des suites aussi funestes que la première ? Heureusement [p.22]ces malheurs se trouvèrent prévenus par cette loi même qu'on veut abolir aujourd'hui.

Comme donc, par la suite, de pareilles émeutes peuvent se renouveller souvent, je dois croire que les élections fréquentes sont dangereuses. Par cette raison, & autant que mes vues peuvent s'étendre dans l'avenir, je pourrois d'avance assurer aujourd'hui, que je regarderai dans tous les tems la révocation du bill septennal d'une funeste conséquence.

Il est extraordinaire que sir Robert Walpole ne fasse pas attention au vice fondamental de sa doctrine. Il raisonne comme si une autre puissance que celle du peuple avoit droit de fixer la durée du pouvoir confié à Ses délégués. D'ailleurs, il ne détruit pas une seule des raisons de son adversaire, & les craintes qu'il met en avant ne peuvent pas entrer en balance avec les raisons décisives de M. de St.-Aubin. Quelque parti que l'on prenne, la lecture de semblables discours est essentielle avant la convocation de la seconde législature.

[p.23]

 

Discours du Lord Noël Sommerset, sur l'origine des gouvernemens. Développement de la Constitution Britannique ; ses avantages sur tout autre gouvernement. Cette Constitution ne peut être entamée que par le ministre ; échec qui la menace & qu'elle doit appréhender.

 

Du 13 Février 1738.

Le gouvernement, monsieur, est un mal : c'est la nature perverse de quelques hommes qui leur a fournis tous les autres. Le genre humain, par la nécessité de garantir sa vie, & le fruit de ses travaux contre les usurpations d'hommes injustes & portés à la rapine, a été obligé de se former en société, & de promettre obéissance à des magistrats ; mais souvent, ce qui n'avoit été établi que pour protéger cette société, n'a servi qu'à l'opprimer; & ce qui auroit dû être un frein pour arrêter les inclinations criminelles des médians, n'a fait que fortifier leurs mains, & garotter celles de l'innocence. Pour prévenir ce fatal désordre, plusieurs fortes de gouvernemens furent inventées, qui peuvent toutes se rapporter à ces trois : le gouvernement monarchique, l'aristocratique & le démocratique ;[p.24]car route forme de gouvernement doit être nécessairement un de ces trois, ou un mélange de deux, ou de tous les trois réunis.

Il a été prouvé, monsieur, que le souverain pouvoir, lorsqu'il réside, soit dans un seul monarque, soit dans un nombre de nobles, dégénéré en tyrannie. Lorsqu'il appartient au peuple, il n'est guère possible de l'empêcher de courir vers l'anarchie ;& son premier pas ordinairement tend à la tyrannie monarchique ou aristocratique, principalement & ce peuple est nombreux, & si ses domaines sont étendus. Les législateurs par cette raison, & pour obvier a ces inconvéniens se sont efforcés d'imaginer une grande diversité dans ces mélanges ; mais de tous ces rapprochemens qu'on a pu combiner, aucun je pense, ne donne un gouvernement meilleur & plus durable, qu'un égal mélange de ces trois gouvernemens.

Je ne déciderai pas comment les Germains, nos ancêtres, adoptèrent d'abord cet heureux rapprochement ; je n'avancerai pas qu'il ait été le fruit de l'expérience ou de leur sagacité naturelle. Mais d'après les plus anciennes notions de leur histoire, il est confiant que tel paroît avoir été la première forme du gouvernement établi parmi eux. Le souverain pouvoir résidoit toujours dans une assemblée composée de leur roi ou de leur[p.25]général, des nobles ou des chefs des familles, & du peuple ou des soldats. Toutes les affaires importantes croient examinées & terminées dans ces assemblées générales. Le prince & les nobles en proposoient le sujet, prenoient un parti :& c'étoit le peuple qui consentoit ou qui désapprouvoit. L'autorité & les privilèges de ces trois pouvoirs législatifs, peut-être ne furent pas d'abord aussi distinctement déterminés qu'ils le sont aujourd'hui, par notre constitution ; ou s'ils le furent, il n'en est pas parvenu de connoissance certaine jusqu'à nous. Au reste, il est; évident que le même esprit qui a fondé notre constitution, croit le même qui domina dans la forme de leur premier gouvernement ;& ce même esprit se fait toujours remarquer depuis le commencement de notre histoire jusqu'à nos jours.

Je vois en effet, monsieur, que l'esprit de ce gouvernement, dans la forme de notre Constitution Britannique, fut un mélange égal de monarchie, d'aristocratie & de démocratie ; de manière que chacun de ces trois pouvoirs législatifs servit aux deux autres de contrepoids, & que tous trois pussent se soutenir dans une parfaite égalité & dans une même indépendance. Qu'on ne s'écarte point de ce plan, & chacun de ces trois corps sera toujours la sauvegarde [p.26]de notre constitution & du peuple, contre la violence & l'oppression des deux autres pouvoirs réunis ou séparés. Si le roi vouloir s'emparer de toute la puissance ;& conjointement avec ses ministres, s'il tentoit d'opprimer la nation ; les deux chambres, sans doute, se réuniraient pour s'opposer à ces tentatives. Si la chambre des pairs aspiroit à une autorité souveraine & arbitraire, certainement le roi & les communes se joindraient ensemble contre les pairs. Si les communes, au contraire, comme il est déjà arrivé vouloient dominer sur le roi & la chambre des lords, ces deux pouvoirs se réuniraient infailliblement à leur tour,& une dissolution du parlement & une nouvelle élection sauroient bientôt prévenir une fatale catastrophe. Encore une fois, quand bien même, dans ce corps législatif, deux de ses membres réunis trameraient ensemble l'asservissement de la nation, ils ne pourraient parvenir à ce but, sans la concurrence du troisième ;& ce troisième, au contraire, avec l'assistance du peuple, viendrait à bout, non-seulement de renverser leur projet, mais encore d'en punir les auteurs.

Aussi, monsieur, tant que notre constitution ne sera point entamée, tant que les trois pouvoirs constitutifs demeureront toujours dans la forme de notre gouvernement, égaux & indépendans, [p.27]le peuple ne pourra jamais être opprimé, ni voir s'élever & s'établir le pouvoir arbitraire.

On en doit conclure, que par notre seule constitution, considérée en elle-même, s'il ne s'y joint pas quelque mauvaise influence, nous n'avons rien à appréhender ;& que l'unique chose à craindre, seroit sa dissolution. Par cette raison, nous devons essentiellement y veiller, & nous garantir avec soin de toutes les pratiques qui pourraient la détruire. Les seuls moyens par lesquels cette constitution pourroit l'être, conséquemment les seuls malheurs dont nous avons à nous préserver, c'est qu'un des trois pouvoirs de ce corps législatif ne parvienne à gagner les deux autres ; ou, que l'un des trois, par la distribution ou par la discontinuation des deux autres, ne devienne assez puissant pour s'emparer de l'autorité souveraine & absolue.

Comme le droit de convoquer, de proroger, de dissoudre les parlemens appartient à la couronne, comme la partie exécutrice de nos loix lui appartient encore, & aujourd'hui plus pleinement & avec beaucoup plus d'extension que dans la première forme de notre constitution ; comme sa majesté est assurée pour la vie d'un revenu, certainement très-considérable, je ne pense pas qu'on ait à craindre que l'une des[p.28]deux chambres se rende assez redoutable pour asservir l'autre, & pour dominer le roi. C'est pourquoi nous n'avons pas aujourd'hui à redouter que l'une des deux chambres envahisse la puissance des deux autres corps, comme la nation l'a déjà vu.

Mais, monsieur, à mon avis, ce qui est à craindre aujourd'hui, le voici : c'est que la couronne ne vienne à bout de gouverner despotiquement à son gré les deux chambres du parlement, de manière à les rendre dépendantes du roi ou plutôt de ses ministres. Oui, je le déclare hautement, nous sommes, à cet égards, réduits à une telle extrémité, qu'il n'y a que la sagesse reconnue de sa majesté, que fa justice & sa modération qui puissent nous préserver de ce danger.

Oui, je l'avoue, j'ai une si mauvaise opinion de l'espèce humaine, que je crois le plus grand nombre des hommes prêt à sacrifier le bien public à leur intérêt particulier, souvent à un chétif avantage personnel, principalement s'ils le peuvent sans s'exposer en même-temps à des reproches ou à l'infamie. Voilà, je suis fâché de le dire, ma façon de penser du plus grand nombre des hommes. D'après cette opinion, lorsque je considère les sommes considérables, & la multitude des places, des postes,[p.29]des emplois en tout genre & de différente importance, dont la couronne dispose journellement, & combien encore un nombre de loix pénales nouvellement établies ont accru, ont étendu ce pouvoir, je tremble que sa majesté ne laisse ses ministres employer tous ces avantages pour intriguer, pour acheter des votes aux élections, ou même dans le parlement, qui rendroient bientôt la couronne maîtresse de gouverner les deux chambres ;& si les votes aux élections ou dans le parlement, par des moyens de corruptions, venoient à se répéter fréquemment, la fréquence de ce crime paroîtroit le justifier, & la multitude des coupables sembleroit étouffer le reproche que s'attire aujourd'hui, à juste titre, une pratique aussi infâme.

[p.30]

 

Discours de M. William Putteney, dans lequel il fonde qu'un honnête homme est forcé de voter différemment, suivant la situation des affaires, sa conscience & les circonstances qui changent les choses que pour lui il ne connoît ni gouvernement ni principes que ceux qui le rendent libre.

 

Le 3 Février 1738

Je pense, monsieur, qu'un honnête homme qui vote suivant que la situation présente des affaires le demande, Se d'après les lumières de sa propre conscience, s'il voit changer les circonstances qui l'année précédente l'avoient déterminé à son avis, ou s'il s'apperçoit qu'il s'est trompé dans la manière de les avoir saisies ; je dis, monsieur, que toujours honnête homme dans l'un & l'autre cas, il sera dans la présente session d'un avis directement contraire à celui de la session précédente.

Si jamais j'ai voté pour une armée sur pied, dans un tems de paix, c'étoit, monsieur, lorsque ma conscience me disoit que la conservation de nos libertés l'exigeoit. Mais quoique j'aie été persuadé qu'il étoit nécessaire alors de la garder sur pied pendant une année, il ne[p.31]s'ensuit pas que j'agisse d'une façon contradictoire, si je ne suis pas aujourd'hui pour que cette armée soit perpétuelle. Ainsi, monsieur, quoiqu'un membre du parlement, dans toutes les circonstances, ait toujours été de l'avis du ministère ; quoique, durant toute sa vie, il ait toujours paru constamment attaché à son parti, cependant il ne doit jamais craindre ni rougir de lui être opposé, du moment que son propre jugement ou la situation des choses a pu changer : non, monsieur, ce n'est pas là agir sur d'autres principes que ceux d'un homme honnête & qui aime son pays. Or, comme toute distinction de Wigs & de Torys est absolument abolie aujourd'hui, j'espère voir que notre nation ne connoîtra plus d'autres dénominations ni de partis que ceux de la cour & de l'opposition.

L'honorable membre parle beaucoup d'établissement, de gouvernement, d'administration : pour moi, monsieur, je ne connois ni d'établissement, ni de gouvernement, ni d'administration qu'il faille maintenir, que pour la conservation des libertés du peuple : car je ne m'embarrasse point du tout quel nom porte le prince sous lequel je dois être esclave, s'il a le nom de Thomas, de Jacques ou de Richard ; mais ce dont je suis certain, c'est que jamais je ne ramperai sous un George.

[p.32]

 

Discours éloquent & énergique de M. Sands. Avantages de la Constitution Britannique sur les monarchies absolues. Accusation contre un ministre présent à la chambre (sir Robert Walpole), & dénonciation au parlement de ses torts, malversations, crimes & attentats. Projet d'une adresse au roi, qui supplie sa majesté d'éloigner de ses conseils ce ministre qui, tout couvert de rubans, de tributs de dignités, ne peut dans sa place faire aucun bien, parce qu'il n'a point la confiance de lanation qui le déteste & qui le méprise.

 

Du 16 Avril 1740.

M. l'Orateur,

Entre plusieurs prérogatives attachées à notre heureuse constitution, il y en a une également avantageuse au roi & à la nation : c'est cette méthode invariable, établie par la loi, qui autorise le peuple à réclamer contre les injustices, & à porter à son souverain ses plaintes, & même ses avis, soit contre les mesures qu'il suit, soit contre les personnes qu'il emploie. Dans les monarchies absolues, le peuple peut[p.33]souffrir & se plaindre ; mais si ses souffrances sont publiques, ses plaintes doivent être cachées, Dans ces monarchies, l'on ne doit pas plus murmurer contre les ministres & leurs opérations que contre le roi même : ou si l'on s'avise de le faire, le petit nombre des personnes qui osent le tenter, deviennent bientôt victimes d'une telle imprudence, & leur perte est affinée. C'est un grand malheur pour le peuple, lequel est la cause d'une infinité de sévères punitions, &souvent de cruelles tortures. C'est également un malheur pour le monarque, comme pour la nation qui gémit sous sa verge despotique ; car le prince n'ayant pas de moyens de s'instruire des torts ministériels, continue d'employer les mêmes personnes & suit les mêmes mesures, jusqu'à ce que le mécontentement universel éclate par un soulèvement général, qui enveloppe à la fois sous les mêmes ruines, le ministre & le souverain. Cette populace n'est pas en état de faire attention, & s'en embarrasse peu, si les vues du prince sont droites, ou s'il est trompé par son conseil :& le despote, souvent toute sa famille, sont renversés par un torrent qu'on ne peut plus arrêter, & ils sont sacrifiés au ressentiment de cette populace offensée.

C'est, monsieur, ce qui ne peut jamais arriver dans ce royaume, tant que le roi crée des parlemens [p.34]pour siéger dans la règle& avec la liberté qui leur appartient, tant que ces parlemens s'acquittent fidèlement de ce qu'ils doivent à leur roi, à leurs constituans, & à leurs pays. Comme membres de cette chambre, nous sommes obligés, monsieur, de présenter à sa majesté, de la part du peuple, non-seulement ses plaintes, mais encore ses sentimens sur les mesures qu'elle fuit, & sur les personnes qui la conseillent & qu'elle emploie dans la partie exécutrice du gouvernement. Aussi, tant qu'il existera un parlement, & qu'il remplira son devoir, il ne peut pas s'élever un mécontentement, que sa majesté ne soit informée d'où il provient, & des moyens d'y remédier. Si des motifs personnels nous retiennent lâchement, nous en empêchent, ou nous font seulement différer de porter ces représentations à la majesté, nous abandonnons dans cette circonstance, nous trahissons notre devoir envers la patrie & nos constituants ;& nous manquons en même tems à la loyauté due à notre souverain.

Voici, monsieur, mon avis, qui doit être celui de quiconque a une parfaite connoissance de notre constitution ; connoissance qui m'empêche de différer davantage la motion par laquelle je concluerai ce que j'ai à dire à cet égard. Je crois, monsieur, qu'il n'y a personne ici qui puisse ignorer [p.35]que les mesures de notre gouvernement au dedans & au dehors, les années dernières, ont été désavantageuses à la plus grande partie de la nation : je pourrois dire, presque à tout individu, (j'en excepte les auteurs & fauteurs de ces maux). Je crois, monsieur, qu'il n'y a pas un membre de cette chambre, s'il veut dire franchement ce qu'il pense, qui n'avoue qu'un seul homme dans l'administration, est universellement regardé, & est en effet le seul conseiller, le seul promoteur, & le premier auteur de tous ces désordres. C'est dans les maisons comme sur les tous le bruit général, aussi, lui seul est-il en butte aux mécontentemens, aux reproches & à toutes les malédictions du peuple. Le peuple a souffert, il se plaint du passé & du présent, & il ne peut espérer de soulagement pour l'avenir, tant qu'il verra ce même homme avoir quelque part au conseil, ou dans le maniement des affaires. Voilà, monsieur, les sentimens du peuple à cet égard, dont en honneur & par notre devoir, nous sommes obligés d'informer sa majesté, & la vraie manière de le faire, comme l'exige notre constitution, c'est de présenter à sa majesté une adresse qui éloigne ce ministre.

Si le mécontentement général ne s'étoit élevé que depuis peu, si ces plaintes n'étoient point appuyées sur des raisons solides & justes, j'aurois[p.36]attendu, monsieur, qu'elles se fussent dissipées, & je les aurois jugées indignes de l'attention du parlement ; mais puisque dès leur commencement elles ont été trop bien fondées, puisqu'elles durent depuis tant d'années, & que chaque année, par la conduite confiance du ministre, elles acquièrent de nouvelles forces, j'attendois toujours qu'un autre membre plus capable que moi de donner du poids à ce qu'il propose, se fût chargé de la présente motion : comme donc jusqu'à ce moment, personne ne s'est présenté dans cette vue, comme nous voici d'ailleurs à la dernière session de ce parlement, je serois fâché qu'il prit fin, avant de répondre aux désirs du peuple, qui à cet égard, sont justes, bien fondés & conformes aux principes de notre gouvernement. J'espère, que l'on ne me saura pas mauvais gré de hazarder ce que je pense être de mon devoir, comme membre de cette chambre, & comme attaché à son heureuse constitution.

J'en ai dit assez, monsieur, pour qu'on ne puisse pas se méprendre sur la personne que je désigne ;& je suis assuré que chacun reconnoît l'honorable membre qui est au parquet, assis devant moi : vous voyez tous qu'il le prend aussi pour lui-même, & qu'il ne s'y méprend point.

Non; je ne crois pas qu'il se soit jamais élevé contre un ministre, dans ce royaume, un soulèvement [p.37]plus général, ni qui ait duré plus longtems ;& l'on peut dire que cette persévérance dans le mal, est une preuve trop manifeste de la perte de la liberté dans notre gouvernement : car un peuple vraiment libre ne veut, ni ne peut être gouverné par un ministre qu'il déteste & qu'il méprise.

En ne proposant qu'une adresse qui l'éloigne des conseils de sa majesté, je ne vois point de nécessité de le charger d'aucun crime. Il a déplu au peuple, & le peuple à de justes soupçons sur sa conduite : en voilà assez. C'est un sujet bien fondé d'une pareille adresse, & une cause suffisante de l'éloigner du ministère ; par la raison qu'un souverain dans ce royaume, ne doit point se servir d'une personne désagréable à toute la nation ;& quand un ministre est détesté à ce point, notre devoir est d'en instruire sa majesté, afin qu'elle puisse donner satisfaction à son peuple, par la disgrâce d'un tel homme.

Au reste, monsieur, je ne porte point d'accusation particulière d'aucun crime contre lui dans ce moment, je demande seulement qu'on examine a conduite, qui montrera que les mécontentemens du peuple ne sont pas sans fondemens ;& s'ils sont vrais, si ce dont il est généralement accusé est prouvé, on avouera que les moyens, par lesquels il est monté aux premières places[p.38]qu'il a occupées jusqu'ici, ne pouvoient que révolter tous les honnêtes gens. On l'accuse d'avoir fait & défait le trop fameux contrat de banque ; d'avoir mis à couvert d'un juste châtiment des gens, qui, par des pratiques indignes & usuraires, ont trahi la confiance qu'ils avoient captée par leur projet de la compagnie du Sud, & qui ont ainsi ruiné une multitude de familles ; d'avoir fait un chaos de la justice, en soumettant à une punition trop sévère les moins coupables, pour sauver les criminels les plus odieux : on lui reproche d'avoir cédé à cette compagnie du Sud, sept millions sterlings qu'elle s'étoit obligée elle-même de payer au public, & d'avoir abandonné une grande partie de cette somme à d'anciens actionnaires qui n'avoient nullement souffert de cette entreprise.

Voilà par quels degrés il est monté au ministère, & vous conviendrez qu'ils ne pouvoient que prévenir contre son élévation, & inspirer, d'avance l'effroi de son administration. Voilà, monsieur, par quelles voies il est entré contre le vœu général de la nation, & je puis vous assurer, que les mesures qu'il a prises depuis, n'ont pas été pour lui faire recouvrer son amour & son estime. Il a poursuivi comme il a commencé, opprimant l'innocent, trompant[p.39]les crédules, souvent les coupables, épuisant le trésor public, & attaquant les libertés du peuple. Je pourrois prouver tout cela depuis son premier pas dans l'administration jusqu'à ce jour, mais je me bornerai à quelques articles les plus remarquables.

J'observerai en général, que par ses conseils & par son influence, on a toujours maintenu sur pied une armée plus considérable que ne l'exigeoit la sûreté du gouvernement, contre les principes de notre constitution, & de plus, que cette armée a été souvent augmentée sans sujet ; que plusieurs escadrons ont été équipés aux frais considérables de la nation, pour gêner notre commerce, sans aucune raison d’ailleurs, &visiblement sans dessein de s'en servir contre l'ennemi, ou en faveur de nos alliés. Je me plains de ce que tous les moyens proposés dans le cours des années dernières, pour la sauvegarde de notre constitution, contre l'ennemi le plus à craindre, la corruption, ont été rejettes & rendus sans effet, par ses mesures ; tandis que, d'un autre côté, plusieurs loix pénales ont passé, qui ont réduit un grand nombre des sujets de sa majesté à devenir les victimes du pouvoir arbitraire d'un ministre & de ses créatures.

Je puis avancer qu'il n'y a pas un article des dépenses publiques qui ne soit augmenté par[p.40]une nouvelle création d'officiers inutiles, que toute révision & recherches d'usage, fur le maniement des deniers publics, ont été prévenues ou arrêtées ; que les votes de crédit[6] à la fin d'une session du parlement, qui toujours avoient été regardés d'une conséquence très-dangereuse, font devenus si fréquens, qu'il s'est passé peu de sessions sans vote de ce genre ; que la somme de la liste civile s'est accrue à un point excessif depuis le commencement de son administration, somme qui alors étoit déjà plus forte qu'elle ne l'avoit encore jamais été dans les premiers temps.

A cela, qui ne regarde que le dedans du royaume, j'ajouterai par rapport au-dehors, que depuis que ses conseils ont commencé à prévaloir[p.41]dans les affaires étrangères, le commerce & les intérêts particuliers de cette nation ont été sacrifiés dans toutes les négociations & dans tous les traités ; que la confiance dans nos alliés les plus anciens & les plus naturels, a été peu considérée ; que la faveur de nos ennemis les plus à craindre a été recherchée, & que c'est principalement à cette conduite la plus révoltante, qu'on doit attribuer la triste situation actuelle des affaires de l'Europe.

Je sais, monsieur, ce qu'on va m'objecter ; que les principales démarches de sa dernière conduite dans les affaires publiques, au-dedans comme au-dehors, ont été autorisées ou approuvées par le parlement. On dira que ce que je viens d'avancer doit être regardé moins comme une accusation personnelle contre un ministre, qu'une plainte générale portée contre les conseils de sa majesté & contre notre parlement. Mais à considérer les choses dans leur vrai point de vue, c'est cela même qui devient beaucoup plus aggravant, & qui forme contre le ministre que j'attaque, l'accusation la plus formelle.

D'après les principes de notre constitution, nous ne pouvons avoirun seul & premier ministre, nous devons toujours avoir plusieurs premiers ministres & grands officiers d'état.[p.42]Chacun a son département particulier, & l'un ne doit pas se mêler des affaires qui sont du ressort d'un autre. Il est cependant au su de tout le monde, que ce seul ministre ayant obtenu une influence particulière dans tous les bureaux, avoir pris sur lui seul la direction de toutes les affaires, & qu'il renvoyoit tout officier d'état, qui ne vouloit pas suivre ses ordres dans des choses, qui cependant n'étoient pas de son département. Par-là il a monopole toutes les faveurs de la couronne ; seul, il s'est rendu maître de toutes les places, des pensions, des titres, des rubans, aussi-bien que des grâces civiles, militaires & ecclésiastiques.

Cela seul en lui-même, monsieur, est un attentat contre notre constitution, & l'odieux de cet attentat, il a su l'aggraver encore. Après s'être emparé de toutes les faveurs de la cour, il a, aux élections & dans le parlement, fait une humble soumission à sa direction, dans la vue d'aspirer à quelques honneurs & préférences, & de se faire par-là comme un titre, pour conserver ce qu'il avoit obtenu.

Ce que je vais avancer, monsieur, est si généralement connu que je n'aurai pas besoin de preuves : que de personnes qui avoient droit de prétendre à des places dont elles étoient digues, ont été frustrées de leurs espérances,[p.43]sur ce seul soupçon, qu'elles n'étoient pas aveuglément dévouées à ses intérêts personnels ! Des hommes en place, du plus haut rang & d'un grand caractère, ont perdu leurs portes, sans autre raison, qu'ils ne pouvoient s'abaisser jusqu'à sacrifier leur honneur & leur conscience à la conduite qu'il a tenue dans le parlement On n'a pu leur reprocher ni crime ni mauvaise conduite, ni négligence, & l'on ne peut donner d'autre cause de les avoir dépouillés de leurs offices. Ce ministre n'en est pas seulement convenu, il s'en est lui-même vanté. Il a osé dire, dans cette chambre, & que lui-même ne seroit qu'un bélître de ministre, s'il ne pouvoit pas déplacer tout officier qui oseroit au parlement traverser ses mesures.

Quiconque a entendu un pareil aveu, a-t-il besoin d'autres preuves de ses crimes & de ses malversations ? N'est-ce pas là se glorifier hautement de l'attentat le plus odieux que puisse commettre un ministre dans ce royaume ? N'est-ce pas ouvertement avouer qu'il a abusé des faveurs de la couronne, pour obtenir une majorité vendue dans les deux chambres ; majorité qu'il a tenue dans un esclavage & une dépendance absolue de lui seul ? Qui de nous ignore que le roi lui-même, par notre constitution, n'a pas le droit d'examiner dans le parlement, la conduite particulière [p.44]d'aucuns de ses membres, & encore moins, d'après cette connoissance, de leur faire un moyen & un titre pour obtenir ou conserver par cette conduite les faveurs de la couronne ? Et nous irions approuver un ministre, qui non-feulement fait, mais qui avoue publiquement des choses qui mériteroient la hart, quand il n'eût fait que les conseiller à son souverain.

C'est, monsieur, par une telle forfaiture que ce ministre a obtenu l'agrément & l'autorisation du parlement dans toutes ses démarches. C'est pourquoi cette sanction, loin d'être pour lui une décharge, devient un poids accablant contre ses malversations qu'il est venu à bout de faire approuver par les deux chambres. Par cette raison, en considérant chaque démarche de son administration, cette sanction qu'il vous oppose, a moins de force en sa faveur que n'ont de poids les chefs d'accusation portés contre lui. Si on lui reproche d'avoir été foible ou méchant, & si on le prouve ; il a beau se prévaloir d'avoir été approuvé, d'avoir été autorisé par le parlement ; on lui répondra, que le parlement a été séduit & trompé par de vaines assurances, par de fausses explications ;& qu'il a intimidé, qu'il a subjugué la majorité, par les mesures & par les délits dont il n'a pas rougi lui-même de se vanter.[p.45]Le ministre contre lequel s'élève avec tant de force M. Sands, est sir Robert Walpole. Dans tous les pays devroit régner la même liberté. La France ne sera vraiment libre que lorsque chacun pourra hautement attaquer le ministre incapable, négligent, léger, dissipateur. On peut, & l'on doit dire ouvertement ce que l'on pense de l'administration. Ce n'est point une simple permission, c'est un droit inhérent à tout citoyen. Il traite alors de sa chose.

 

Discours du Lord Raymond, dans lequel il démontre les inconvéniens considérables du bill proposé, qui ne donne d'accès dans l'administration qu'à un petit nombre de personnes le plus en faveur & déjà dans les affaires, & qui exclue également de l'armée & des emplois civiles tous les jeunes gens qui ont de la fortune.

 

Du 6 Avril 1742.

Je ne m'élève pas seulement contre quelques articles du présent bill, mais contre toute sa contexture :&, milords, quoiqu'il ait été déjà[p.46]bien épluché dans les deux chambres, par des hommes dont je ne prétends pas assurément avoir ni l'habileté ni l'expérience, je me croirois cependant coupable, si autant qu'il est en moi, Je ne m'opposois pas à un bill qui frappe la Constitution Britannique à sa racine, & qui entame à la fois, les libertés du peuple & la prérogative de la couronne. Dans le discours que je vais suivre, j'espère vous démontrer pleinement ce que j'avance ;& s'il m'arrivoit, dans ce que je vais hasarder, de m'égarer, ce seroit chez moi plutôt l'esprit que le cœur qui se tromperoit.

Pour apprécier ce bill, à sa juste valeur, il faut remonter à son origine, considérer à qui il doit fa naissance, comment & dans quel temps il parut. Milords, ce béni germe fut planté par l'esprit de parti & de division, élevé, nourri par la fureur & les mécontentemens ;& son fruit amer fut la perte de la liberté anglaise. Ce bill fut le premier degré par lequel Olivier Cromwel & quelques-autres parvinrent à fouler la liberté de leurs semblables. Il a été imaginé pour diviser & pour détruire le parlement, ce boulevard de notre constitution. Et, en vérité, milords, il seroit bien étonnant si les parlemens alloient aujourd'hui caresser de nouveau ce ver rongeur, qui depuis sa naissance n'osa jamais[p.47]se montrer ; mais qui, aujourd'hui que le tems est chargé, nébuleux, & nous couvre comme d'un voile épais, se présente comme l'avant-coureur d'une tempête.

Le préambule de ce bill élève un étendard de division entre le peuple & le trône : il sépare ouvertement leurs intérêts ;& conséquemment, l'un & l'autre ne peuvent plus agir de concert. Ce sont-là des principes bien différens de ceux qui nous furent inculqués dès l'enfance ;& j'ose assurer que cette doctrine ne peut être que funeste, puisque tout état divisé contre lui-même ne peut subsister long-tems.

Mais, milords, pour éclaircir la matière, voyons, (supposé que le bill passe,) quel effet peut avoir cette exclusion presque générale des communes ; quel effet peut avoir un bill qui excluroit de cette chambre tout le monde, excepté un petit nombre de personnes occupant les places les plus importantes, un bill qui en excluroit encore ceux qui sont dans les armées.

D'abord par rapport aux grandes places qui excluent de la chambre des communes, & aux petites qui n'en excluent point, qu'il me soit permis de faire ici quelques questions. Si hormis ceux qui font dans la plus grande faveur, qui ont le plus de crédit, & en qui font, pour ainsi dire, concentrées les affaires publiques.[p.48]nous éloignons tout le monde, comment à l'avenir, pourrons-nous trouver des hommes capables de remplir ces places : car en leur enlevant les petits portes, nous leur ôtons les vrais échelons qui les font monter aux plus hautes ? Comment des jeunes gens sans expérience, pourront-ils acquérir assez de connoissances dans les affaires pour les manier habilement, & pour répondre d'une gestion à laquelle tient la félicité ou le malheur de la nation? Milords, comment trouverons-nous des sujets propres à ces postes importans ? C'est un fait incontestable, que ce sont les affaires qui font les hommes ;& que la plus grande capacité dont un homme puisse être heureusement doué par la nature ne peut jamais lui apprendre. Le sentier difficile & embarrassé, la forme & la routine que doivent posséder des officiers publics, c'est l'usage qui l'apprend, l'usage seul. Si on leur ôte tout moyen de pratiquer, comment nos jeunes gens parviendront-ils à ces connoissances ? Ce sera donc par inspiration, ou par une toute autre voie, & la seule alors que je fâche, ce seroit que les grands hommes d'aujourd'hui daignassent ouvrir une école publique de politique intérieure & étrangère ; mais je crains fort qu'on ne réussisse pas à leur persuader de changer leur état en celui de pédagogue : ajoutez à cela que nos ministres auroient peu d'envie,[p.49]sans doute, de multiplier beaucoup les élèves dans leur science[7].

Qu'en conclure ? sinon, que des jeunes gens ayant de la fortune & de la naissance, ne peuvent accepter de grandes places ; puisque du moment qu'ils les acceptent, ils deviennent inhabiles à servir leur pays dans le parlement, & portent sur eux, comme le type infamant de l'esclavage ; ou qu'en s'y refusant, ils ne peuvent parvenir à la connoissance des affaires, de manière à mériter la confiance publique. Qu'arrivera-t-il ? qu'il faudra que les jeunes gens sans fortune, sans naissance, qui d'abord avoient, pour ainsi dite, balayé la poussière des bureaux obscurs, obtiennent les places les plus éminentes & les plus lucratives, comme étant les seuls sujets capables de les remplir ;& il fera bien à craindre que ces nouveaux parvenus, qui devront tout ce qu'ils ont à la couronne, ne lui montrent une souplesse sans bornes ; que le roi n'aie que de mauvais ministres, & que la nation n'en soit la victime.

Quant aux officiers de l'armée, je pense, milords, que le même raisonnement à leur égard, acquière encore plus de force, d'autant[p.50]plus que les malheurs qui en résulteroient, seroient d'une conséquence immédiate, plus dangereuse & sans remède. Ce bill exclura de l'armée, & par la même raison, des emplois civils, tous les jeunes gens qui auront de la fortune. Dès lors, votre petite & grande noblesse dépourvue d'une louable & noble ambition, s'abandonnera, comme les italiens, à une oisive & molle inutilité. Mais je dois vous rappeller, milords, que cette nation doit son salut à des hommes de l'armée qui avoient des propriétés. Au nom de Dieu, ne permettons pas que l'on renverse cette grande barrière de notre liberté.

L'on pourra dire que nous n'avons pas besoin d'une armée sur pied, que nous sommes défendus par notre île, que nous avons une flotte puissante, de forte que ces troupes ne peuvent être qu'inutiles & dangereuses.

Je n'examinerai point tout ce qu'on peut répondre à cette assertion compliquée ; qu'il me soit seulement permis d'admettre une hypothèse, qui, sur le pied où sont aujourd'hui les affaires de l'Europe, peut se réaliser une fois en vingt ans ;& j'espère que notre liberté est assez bien affermie pour n'être pas en danger tous les vingt ans : il est cependant très-probable, que dans ce laps de tems, soit pour défendre notre propre pays, soit pour conserver la balance de l'Europe, ce[p.51]qui est d'une égale & stricte nécessité, nous auronslevé une armée considérable. Quand cette armée aura rempli le but pour lequel elle avoit été levée, nous croirons, sans doute, qu'il fera également à propos de la congédier, &par-là, de vous décharger vous-même & le peuple d'un fardeau si onéreux. Mais vous verrez, milords, qu'il aura été plus facile à ces troupes de leur faire prendre les armes, que de les leur faire quitter :& je suis porté à examiner, quelque éloquent & pathétique que soit le vote des deux chambres, qu'on ne leur persuadera point, que leur intérêt seroit de sacrifier leur pain, lorsqu'en se soutenant ensemble, vos personnes & vos biens seront à leur discrétion. Dans une telle circonstance, un prince qui ne seroit pas le père de ses sujets, comme sa majesté ; un prince qui auroit moins de droiture que d'ambition, seroit assez puissant avec une pareille armée, pour se rendre aussi absolu que le roi de France.

Par ce que je viens de vous exposer, il me semble prouvé, milords, qu'on ne peut défendre & assurer nos libertés, qu'en conservant dans nos armées les officiers qui ont de la fortune & des terres dans le pays, dont les intérêts sont les mêmes que les nôtres. Ce fut par un ramas de misérables sans feu ni lieu, d'esclaves, de banqueroutiers, de déserteurs, que Rome à la fin[p.52]succomba, & devint la victime de l'ambition d'un seul homme.

Pour défendre ce bill on pourra vous dire, milords, que les personnes d'une fortune beaucoup moindre, sont employées au parlement & y siègent.

N'avons-nous pas un acte, des qualités requises pour y être admis ? Et si cet acte du parlement n'est plus en vigueur, s'il n'est pas observé, croirez-vous que celui-ci le fera davantage ? Non, je ne le pense pas ;& bien que tout le monde n'en soit pas d'accord avec moi, ce bill seroit à la fois contraire à l'intérêt de la couronne, à celui de tout particulier, comme à l'intérêt général de la nation. Mais si la somme fixée dans l'acte de qualification, n'est pas déjà suffisante, portez-la plus haut ; c'est le seul moyen d'obtenir de votre bill tout ce qu'on eut pu vainement en attendre.

Pour conclure, milords, sera-ce un compliment bien flateur pour sa majesté de lui dire :« Vous ne méritez point la confiance dont vos ancêtres avoient joui toujours jusqu'ici, de pouvoir juger du mérite & de le récompenser par des places ; nous voulons par un acte public, vous faire connoître que nous n'avons plus en vous cette même confiance » ? Quel compliment encore est-ce faire à ceux que la[p.53]nation s'est choisie, de leur déclarer :« Vous avez beau être les représentans de la nation, nous ne comptons plus sur votre intégrité ? »Milords, sont-ce là les moyens d'attacher le peuple à son souverain, le prince à ses sujets, & généralement, tous les hommes les uns aux autres ?

 

Discours éloquent de M. Wilkes, contre le Bill qui alloit donner au Roi le pouvoir de faire arrêter les personnes accusées ou suspectées de haute trahison dans l'Amérique ou en Haute-mer.

 

Du 17 Février 1777.

Messieurs,

Je ne puis garder le silence sur un bill aussi important que celui-ci, & dont le fort est encore pendant devant la chambre. L'administration l'avoit d'abord présenté sous une forme qui alarmoit justement cette capitale. S'il eût passé sous cette forme, tous les sujets du royaume étoient en danger ; la liberté de chaque individu, dans cette île, n'eût plus été que précaire, chancelante & dépendante arbitrairement de la volonté d'un ministre.[p.54]L'esprit du bill, dans son état originel, étoit une vraie oppression, une tyrannie pour tout l'empire. Ce bill a continué dans cet état jusqu'à ce jour ; mais par le zèle patriotique d'un honorable membre attaché à la loi, il vous est représenté avec une clause qui semble raffiner les sujets qui résident dans le royaume, en déclarant qu'ils ne sont pas les objets du bill.

Parlons donc du bill amendé par la clause. Les expressions correctives, hors du royaume, sont lâches & captieuses ; elles ne désignent pas nettement les personnes que le bill frappe. En effet, des anglais, qui passeroient en France ou dans les Pays-Bas, pourroient être arrêtés dans leur partage, comme suspects &hors du royaume. La correction auroit donc dû être plus forte, telle que celle-ci, hors de l'Europe, ou, encore mieux, comme l'avoit proposé un honorable membre, restreindre le bill aux trahisons commises dans nos Colonies Américaines, par des personnes actuellement résidentes dans cette partie du globe. Pourquoi rejetter des paroles si claires, si explicites, M ce n'est pour quelque sombre dessein qu'on n'ose pas avouer. On emploie des expressions qui laissent une porte ouverte à la vengeance royale ou ministérielle.

Le bill, tout corrigé qu'il est, n'exige ni le serment des témoins qui accusent, ni l'audition [p.55]de l'accusé dans sa justification, ni la confrontation avec les témoins, ni la nécessité de deux témoins pour fonder un emprisonnement à raison de haute trahison en Amérique, comme la loi l'ordonne en Angleterre. Est-il possible de donner un pouvoir plus despotique à un bâcha de l'empire Turc ? Quelle sécurité reste-t-il aux sujets dévoués que le bill regarde, contre la méchanceté d'un magistrat corrompu ? Le poursuivra-t-on dans les tribunaux ? Il sera sûrement indemnisé, & peut-être récompensé par une administration arbitraire. On intentera une action contre l'offenseur ; mais nous savons très-bien que l'amende à laquelle il fera condamné, pour grande qu'elle soit, fera payée par le peuple, & non par le coupable. Un statut formel, du règne d'Édouard VI, n'admet l'emprisonnement pour trahison, que sous le serment de deux témoins irréprochables, tant nos ancêtres avoient à cœur de protéger la liberté personnelle.

Le bill, dont il est question aujourd'hui, demande notre attention la plus scrupuleuse. Nous ne savons que trop, par l'expérience journalière, quelle est la conduite de certains officiers subalternes vendus à nos ministres, pour trafiquer de la justice, sous couleur d'une magistrature légale. Il y a actuellement dans la[p.56]prison de Newgate, un marchand américain, Ebnezer Smith Plat, accusé de haute trahison dans la Géorgie américaine. Il a été emprisonné par le juge Addington, sans qu'on lui ait permis de voir les témoins qui déposent contre lui, pas même d'entendre lire leur déposition. Il avoit été jugé auparavant sur la même accusation à Kingston dans la Jamaïque, & renvoyé absous.

J'ai lu une copie authentique de l'ordre de son emprisonnement. Il y est accusé en général, de haute trahison. Je ne me vante pas d'une profonde connoissance dans la procédure criminelle, je n'en ai que la lecture attentive, qui convient à tout gentilhomme ; mais j'établis ma croyance sur des autorités que tout le monde respecte. Blackstone & Burne, ces deux grands Jurisconsultes, conviennent que l'ordre d'arrêter, d'emprisonner, doit exprimer spécialement la cause de l'emprisonnement ; par exemple, pour avoir conspiré contre la personne du roi, ou pour avoir levé des troupes contre lui ;& alors c'est aux cours de justice à juger si l'accusation est de nature à recevoir caution pour l'accusé, ou non. Si donc un juge subalterne, qui rit sous les yeux des grands juges dans cette capitale, ose se rendre coupable d'un emprisonnement illégal, que ne doit-on[p.57]pas craindre, dans un pays lointain, des instrumens abjects & serviles du pouvoir ? Ne faudroit-il pas du moins, en suspendant la loi habeas corpus, insérer dans le bill la nécessité du serment des témoins qui accusent, & de leur confrontation avec l'accusé ?

Le cas de Plat, nous donne un exemple d'une autre violation de la loi habeas corpus, cette loi si sacrée que les ministres abhorrent, & qu'ils ne conservent à l'Angleterre que pour l'éluder en Amérique. Voici le fait : Plat, fut d'abord confiné sur le vaisseau l'Antelope pour trois mois, de-là transféré sur le Boréas, ensuite envoyé sur la Pallas pour être amené en Angleterre. A son arrivée à Portmouth, il fut prisonnier sur le Centaure pendant trois semaines, & après sur le Barfleur. Le 4 janvier dernier, il obtint pourtant un habeas corpus ; mais avant que l'habeas corpus pût arriver à Portsmouth, il fut de nouveau relégué sur le Centaure. C'est ainsi que l'habeas corpus fut éludé ; mais ses amis ayant déclaré qu'ils alloient se pourvoir, Plat fut enfin envoyé dans cette capitale, & emprisonné à Newgate de la façon la plus illégale. Je parle devant un grand nombre de gentilshommes, qui peuvent me contredire, si j'ai avancé une seule circonstance contre la vérité.[p.58]Sur cela, meilleurs, peut-on veiller de trop près, trop suspecter des ministres qui osent fouler aux pieds nos loix les plus sacrées ? Ne devons-nous pas au peuple Anglais de maintenir la sanction du serment, le nombre des témoins, leur confrontation avec l'accusé, & toutes les autres formes légales dont on ne trouve pas la moindre trace dans ce bill arbitraire & destructeur. La liberté personnelle doit-elle dépendre du simple soupçon d'un juge qui agit vraisemblablement par les ordres du ministre, & qui est toujours prêt à faire sa cour au pouvoir par le sacrifice de la vertu publique & de l'innocence, & dont peut-être l'incapacité seule peut égaler l'amour sordide du gain qui le possède.

Je gémis sous la fureur extravagante qui a éclaté dans toutes les mesures qu'on a prises contre les Américains, & en particulier dans le bill en question, il oppose un mur d'airain à une réconciliation qui devroit faire l'objet de nos vœux les plus ardens. Le bill, tel qu'il a été présenté à la chambre dans son premier état, porte les marques d'un système régulier de despotisme, conçu dans le sein de l'administration. Réfléchissons un moment, messieurs, sur la différence de deux cas qui se présentent, l'un en Amérique, l'autre en Angleterre. Un sujet, soupçonné seulement de haute trahison[p.59]en Amérique, par exemple, pour avoir donné quelque assistance au Congrès, ou à quelque ennemi du roi, peut être amené en Angleterre, constitué prisonnier jusqu'à ce que son procès lui soit fait, sans lui accorder sa liberté en donnant caution : tel est l'esprit du bill. D'autre part, dans ce royaume, un sujet suspecté, & même actuellement accusé de haute trahison ; par exemple, d'avoir conspiré la mort du roi, ou levé des troupes contre lui, peut obtenir un habeas corpus, rester libre, admis à caution par la cour du banc du roi. Il suit de-là, que la seule suspicion de trahison, en Amérique, est un plus grand crime aux yeux de nos ministres, qu'un acte ouvert de trahison en Angleterre. Pouvons-nous imaginer que les Américains n'useront pas de représailles, ou prétendons-nous les intimider ?Leur cause est bonne ;&, malgré tous les contes frivoles de nos succès imaginaires, la justice prévaudra enfin. Ils se débattent actuellement dans la souffrance ; mais le courage & la confiance ne les abandonneront pas. Au milieu des événemens, le premier signal d'une guerre étrangère nous obligera à rappeller nos flottes & nos soldats, & l'Amérique alors sera libre & indépendante. Ce bill n'est propre qu'à irriter, sans intimider. Le Congrès y répondra, sans doute avec une fierté[p.60]digne de lui. Plût au ciel que le parlement Britannique égalât ce congrès de héros qui, peut-être, est au-dessus du sénat Romain en sagesse, en courage, en amour incorruptible de la patrie !

« Une autre clause du bill est d'autorise le roi à faire arrêter, par un ordre singulier, signé de sa main, & confiner en telle ou telle place du royaume qu'il lui plaira, comme si c'étoient les prisons ordinaires, les personnes suspectes de haute trahison dans la guerre des Colonies ». Une telle clause peut avoir des effets plus funestes que le bannissement ou le confinement même hors du royaume. Un pouvoir susceptible des abus les plus criants ne doit être confié à qui que ce soit, sans restriction, pas même au roi. Il pourroit à son gré, jetter les personnes suspectes, ou prétendues suspectes, dans des cachots mal-sains, au milieu des marais putrides, ou les étouffer dans des souterrains ténébreux en leur refusant le jour & l'air qu'on ne refuse à personne.

Ainsi, messieurs, je rejette le bill, de quelque façon qu'on le corrige ; rien de plus dangereux que de donner la moindre atteinte à la loi habeas corpus. Non, je ne consentirai jamais à grossir le pouvoir de la couronne aux dépens de la sûreté des sujets. Je ne veux pas armer[p.61]les ministres d'une forme inconstitutionelle & redoutable pour le public.

On a beaucoup parlé, messieurs, dans le comité & dans la chambre, des anciens dictateurs & de l'étendue de leur pouvoir. On a passé en revue plusieurs périodes de l'histoire Romaine, qui ont fourni beaucoup d'application aux circonstances où nous nous trouvons. Les comparaisons, entre cette vertueuse république & notre monarchie corrompue, sont, à mon avis, plus brillantes que solides, plus belles que justes. Le très-honorable membre, sous la galerie, a remarqué que notre glorieux libérateur, Guillaume III, étoit dictateur en Angleterre, après la suspension de la loi habeas corpus. Mais, si vous la suspendez aujourd'huije regarde le noble lord au ruban bleu, comme le dictateur de notre tems. Attendez-vous à l'exercice du pouvoir le plus illimité, le plus despotique. Le premier acte important du dictateur Romain dans les affaires publiques, étoit de créer un général de la cavalerie pour le seconder. Si la reconnoissance publique a quelque poids dans les arrangemens du nouveau dictateur, je suis sûr qu'il jettera les yeux sur le noble lord (George Germaine) assis à sa droite, qui s'est acquis une gloire immortelle, en chargeant les ennemis de notre patrie à la tête de la cavalerie Anglaise.[p.62]A propos des dictateurs Romains, si nous en voulons chez nous, je voudrais, du moins, qu'on créât un nouvel office très-élevé, vraiment sublime, un conservateur des loix. Toutes les magistratures Romaines ne cessoient pas par la création d'un dictateur, les tribuns du peuple conservoient leur autorité.

Un membre de la chambre a relevé un mot, dont je me suis servi en plaidant la cause de nos Colonies :bienveillance universelle. Il en a ri, il s'est efforcé d'en démontrer l'impossibilité ; mais en cela, meilleurs » il ne nous a présenté que ses idées étroites, égoïstes, que la sécheresse de son propre cœur & celle de sa patrie[8]. Ses sentimens sont resserrés dans un petit cercle, où le bien public n'entre point, foibles sentimens des clans écossaises[9]. Un Anglais a des idées infiniment plus relevées, plus étendues. Son cœur se dilate, & il y fait entrer la prospérité du genre-humain ; il ne sent pas même d'aigreur contre les orateurs corrompus qui veulent faire passer un bill cruel, persécuteur, tel qu'est celui qui fait le sujet de nos débats ; il[p.63]fait les vœux les plus ardens pour la liberté & le bonheur de cet empire, naguère si florissant. La bienveillance universelle, la généreuse humanité, ne forment pas moins le caractère de la partie méridionale de cette île, que la good nature, excellente qualité dont les étrangers n'ont pas même le nom[10].

Je ne dis plus qu'un mot : la plus belle sentence de l'antiquité est celle qui fut reçue à Rome avec tant d'applaudissemens par un peuple libre[11],& que le sénat Anglais doit adopter contre toute mesure d'oppression & de cruauté.

M. Wilkes, l'idole du peuple & la terreur des rois, eut pour premier talent une audace étonnante, même en Angleterre. On lui sçut gré des injures qu'il adressoit aux têtes couronnées : aussi vit-il souvent son carrosse traîné par cette portion tumultueuse qui croit qu'on ne le sert que lorsqu'on s'arme contre toute autorité.[p.64]Ce tribun du peuple réunit des contraires assez rares, tels que la gaité d'un aimable débauché, & les noirs projets d'un conspirateur en faveur de la liberté, tels que les grands mouvemens de l'éloquence & les grâces de la poésie ; tels qu'une ambition sans bornes & une grande sensibilité.

Il vint en France en 1765 & 1766. On lui fit plusieurs offres qui pouvoient convenir à un homme dont les affaires étoient fort dérangées. La fierté avec laquelle il les rejetta, donna une certaine idée de son caractère moral à M. le duc de Choiseul, qui n'aimoit pas les Anglais. Lorsqu'on lui rendit la réponse de M. Wilkes, ces B…là, dit-il, ont toujours quelques côtés par lesquels il faut les estimer.

M. Wilkes n'est pas un homme d'état, mais un de ces hommes qui font toujours quelque chose dans un état. C'est moins un protecteur de la liberté, qu'un ennemi de la tyrannie. Il fait peu pour la commune, mais il veille à ce qu'on ne lui fasse pas de mal. Souvent il dépasse la mesure ; mais dans le rôle qu'il joue, on ne réussit que par l'exagération & sans un peu d'enthousiasme, on passe pour timide aux yeux de ses commettans.

[p.65]

 

Discours de sir Edward Digby. Que Sa Majesté, pour la disposition des charges & de ses faveurs, ne doit pas considérer dans le Parlement la conduite de ses membres, comme on a osé l'avancer.

 

Du 23 Mars 1741.

C'est, monsieur, une doctrine nouvelle & absolument incompatible avec la Constitution Britannique, d'avancer ici, que sa majesté peut & qu'elle doit dans la disposition des charges & de ses faveurs, considérer dans cette chambre la conduite de ses membres.

Quand sa majesté ne seroit pas aussi convaincue qu'elle peut l'être, de la sagesse & de la droiture de ses propres mesures, elle ne doit en aucune façon prendre garde à ce qui a pu être dit ou fait ici particulièrement par aucun membre de la chambre. Et celui-là est un traître à l'état, qui ose donner de pareils conseils à sa majesté. Et si jamais on faisoit au roi des rapports touchant la conduite de quelques membres particuliers du parlement dans cette chambre, ou par rapport à une élection, sa majesté devroit alors se conduire[p.66]comme on dit qu'agît le roi Guillaume, par rapport à des papiers d'un complot qu'il avoit découvert.

En feuilletant ces écrits, ayant eu lieu de soupçonner plusieurs de ses courtisans d'être entrés dans cette conspiration, il jetta dans le feu tous ces papiers, afin qu'ils ne pussent lui fournir davantage des préventions contre ceux qu'il s'étoit choisi pour amis.

Le même monarque donna, dans une autre circonstance, une preuve de sa générosité & de son respect pour notre constitution. Une place s'étoit trouvée vacante à l'armée, & un gentilhomme qui avoit plus de droits que personne d'y prétendre, avoit été membre de cette chambre & un de ceux qui s'étoient distingués dans le parti de l'opposition (ce qui arrive rarement à nos officiers d'aujourd'hui). Les ministres ne manquèrent pas suivant l'usage, de vouloir empêcher qu'on lui accordât la préférence, par la raison, disoient-ils, qu'il s'étoit opposé dans le parlement aux mesures du roi : mais le roi sçut leur répondre :« Qu'il avoit été satisfait de ce gentilhomme comme officier dans son service militaire, & que sa conduite dans le parlement, ne faisoit rien à l'affaire ».[p.67]On trouvera fort extraordinaire que le roi des Français, pour leur marquer sa confiance, choisisse des ministres dans le sein de l'assemblée nationale, & que deux mois après, cette même assemblée décrète que les ministres ne pourront plus être choisis dans son sein. Dira-t-on que les deux pouvoirs, ont fait ce qu'ils devoient, & qu'il est aussi louable de voir l'assemblée prévenir ce moyen de corruption, qu'il est sage, de la part du roi, de chercher toutes les voies de rapprochement ? Il me semble que la première précaution est outrée, & que l'assemblée s'est ôté un excellent ressort d'utilité publique.

[p.68]

 

Réclamations d'un Irlandais, en forme de Lettre, contre un Bill injuste, qui de nouveau exclut des places honorables & lucratives une partie de la Nation.

 

Du 11 Septembre 1778.

Aux véritablement vertueux& zélés soutiens de la Constitution, les Protestans non-Conformistes.

Hac scripti, non otii abundantiâ, sed amoris ergà te.

Amis et Concitoyens,

Les termes me manquent pour exprimer l'indignation dont je suis transporté lorsque je songe à l'insulte non provoquée que l'on vous a faite, en mutilant le bill qui contenoit une clause dont l'effet eût été de révoquer la loi offensante qui vous excluoit d'occuper des places honorables & lucratives, sous ce même gouvernement qui dût d'abord son salut à la valeur & à la bonne conduite de vos ancêtres, & qui leur dût ensuite son établissement. Ainsi les ministres paroissent être déterminés à tenir dans l'oppression & dans l'abjection une patrie si[p.69]vertueuse & si brave de la nation, en passant une loi aussi injuste, que contraire à la saine politique. En 1641, 1688 & 1714 vous avez sauvé la constitution au risque de votre vie & de tout ce que vous possédiez ; depuis, dans toutes les circonstances, vous avez supporté l'élection de la maison d'Hanovre au trône de cet empire, jadis puisant ; malgré tout cela, en 1778, le parlement étant convenu de faire un acte de justice en votre faveur, on vous voit traités avec dédain ; votre loyauté si bien connue, si souvent mise à l'épreuve, ne trouve au lieu de supports que des ennemis décidés.

Après cette chaîne d'affronts, de bévues & d'insultes, que nous avons éprouvés, j'ai cru que la sagesse pourroit encore une fois reprendre ses droits dans les conseils, mais il semble que la folie ou quelque chose de pire, a pris ici possession permanente : chaque instant chaque pas que nous faisons nous conduit à une destruction certaine, & l'on peut comparer l'histoire de nos jours à la farce des vingt-six Infortunes d'Arlequin : cependant, amis & concitoyens, il nous reste une consolation, le continent occidental est ouvert à notre postérité ;& il faut convenir que ceux-là seront heureux qui verront leurs enfans établis dans ces contrées libres & florissantes, dans cet empire naissant[p.70]de la liberté & de la vertu ! Quant à moi ; lorsque la paix sera rétablie, je suis déterminé, comme je l'ai été long-tems, à établir une partie de ma famille dans ce pays, où la liberté civile & religieuse fait partie de la constitution ; où les parlements ne font pas composés d'esclaves aspirants, de gens à places & pensionnés de la cour, d'hommes enfin dont les principes font ennemis de la félicité publique, dans un pays où le trésor public n'est ouvert qu'aux besoins publics, & où l'intérêt du peuple représenté est l'unique règle de la conduite du représentant.

J'ai toujours formé les vœux les plus ardents pour la conclusion d'une paix honorable entre l'Amérique & la Grande-Bretagne : actuellement j'ai un double motif de la délirer avec anxiété ; car je crois que l'existence même des trois royaumes dépend de cette paix ; je crains que les mesures que l'on a récemment adoptées ne manquent d'efficacité : les ministres n'ont point arrangé leur plan de conciliation d'une manière qui s'accorde avec l'état actuel des affaires : un peu moins de roideur eût pu obtenir, en 1774, ce qu'en 1778 ou 1779, on ne pourra se procurer qu'en se permettant les actes de condescendance les plus humiliants ![p.71]Les Américains savent que très-peu d'Irlandais ont fécondé les ministres dans le système qu'ils ont si malheureusement adopté d'abord, auquel ils se sont ensuite attachés avec tant d'obstination : ils savent que nous avons toujours recommandé qu'on leur assurât la paix, la liberté & la sécurité : par conséquent, mes dignes concitoyens, nous sommes certains qu'ils nous feront une réception favorable & fraternelle, & je regarde comme très-probable qu'avant deux ans, plusieurs, ou plutôt un très-grand nombre de nous se trouveront réunis sur ce continent.

Par l'influence de la cour on nous a refusé notre droit inhérent de présenter des adresses au trône par le canal du parlement : ce refus est cause que nos manufacturiers vont rester dans un état de détresse : la pauvreté, la famine & l'oppression ne tarderont pas à diminuer parmi nous le nombre des habitans, & ceux-là seuls connoîtront l'abondance & le bonheur, à qui la fortune accordera la faveur de passer promptement au monde occidental : ici, je ne puis me dispenser de comparer les déclarations du gouvernement avec ses actions : le langage de la cour constamment respiré la tolérance , la compassion & l'humanité : on a vu ses partisans exprimer le désir de venir au secours de deux[p.72]millions de Romains Catholiques : comment ont-ils rempli l'objet de cette déclaration ? Ils ont passé un acte dont l'effet est de sauver la fortune de quelques particuliers, de permettre aux fermiers, papilles opulents, d'affermer des terres a long bail. Une loi si partiale n'est favorable qu'aux riches ; voilà à quoi se réduit ce qu'ils ont fait de bien, voilà le chapitre du mal : ils ont rejette une motion faite dans la chambre des communes par un membre respectable, à l'effet de donner un secours immédiat & permanent à plus de vingt mille pauvres papistes qui mourroient de faim dans les rues de la capitale, & à un nombre de ces malheureux répandus en proportion dans le royaume, & qui languissent dans cette même situation. Ces infortunés n'avoient pas un ami en cour : ils ne pouvoient pas procurer au gouvernement l'assistance d'un parlement ! Ils n'avoient point d'influence dans les élections des comtés : ils ne pouvoient pas prêter à bas intérêt aux membres prodigues du parlement, l'argent dont ils ont besoin pour payer une partie de leurs dettes. Quiconque vivra assez pour voir la prochaine session du parlement, verra que le gouvernement ne pourra pas trouver les fonds d'un nouvel emprunt au-dessous de 8 pour 100 : par conséquent nos détresses seront multipliées,[p.73]l'homme à argent s'occupera de la rentrée de ses fonds, voudra être payé de tout ce qui lui est dû, parce qu'il préférera 8 pour 100 à 6.

Le malheureux marchand ou manufacturier sera chargé de nouvelles taxes pour soutenir ces cormorans de l'état, ces hommes à places, à pensions, ces inutiles, dénués de tout mérite. Les serviteurs de la couronne nous ont souvent répété que le gouvernement régleroit ses dépenses sur ses revenus ; il n'y a que l'insolence & l'hypocrisie de cette déclaration qui puissent en égaler la fausseté.

La prorogation de notre parlement (plût à Dieu que c'eût été sa dissolution) va priver nos manufacturiers, nos marchands & nos négociants des adoucissements qu'ils ont long-tems attendus, à moins que la sagesse, l'unanimité & la rigueur de la nation entière ne se déploient pour présenter des humbles pétitions & des mémoires à notre très-gracieux souverain, dont la justice, la sagesse & l'humanité sont les garans du succès, que doivent attendre les humbles prières de ses fidèles & loyaux sujets Irlandais. L'insolence insupportable & la jalousie de deux ou trois villes de la Grande-Bretagne, ne doivent pas l'emporter sur ce qui assureroit le bonheur de deux millions cinq cent mille individus, dont la loyauté est reconnue.[p.74]En formant des assemblées de comtés, en prenant tous les soins possibles, pour que ces assemblées ne soient pas tumultueuses, on pourroit faire des observations, calculer les moyens d'obtenir des adoucissemens à notre fort, dresser des projets de pétitions : chaque cité, chaque comté pourroient déléguer deux ou trois de ses habitans, & les revêtir (pour l'espace d'un an) des pouvoirs proportionnés a l'importance de l'objet ; une pareille assemblée formée de représentans sans places, sans pensions & par conséquent indépendans, ne pourroit manquer de produire les plus heureux effets : c'est alors que nous sentirons que l'influence bienfaisante du père de son peuple s'étend sur nous : notre malheur est que les détresses de cette nation ont été trop long-tems sans pouvoir parvenir à l'oreille du roi, actuellement que plus de la moitié de l'empire est évidemment perdue, il est tems que l'on s'occupe du salut & du bien-être de ce qui reste.

… Nunquam lïbertas gratior extat

Quam sub rege pio…

Je suis, &c.

Signé Edward Newenham.

[p.75]

P. S. Environ un an avant que l'acte du timbre fût produit au parlement, j'ai averti, les électeurs de ce royaume des intentions du gouvernement à l'égard de cet acte odieux ; je hasarde actuellement de leur prédire qu'avant Noël 1779, il est probable que le coup si long-tems redouté, sera porté au peu de propriété qui nous reste, par l'établissement d'un taxe foncière générale. Les serviteurs de la couronne amuseront le peuple, en lui déclarant qu'on lui fera de grands avantages dans la partie du commerce, que l'on supprimera ou que l'on allégera les autres taxes, mais j'espère que les électeurs, dans toute l'étendue de ce royaume, ne perdront pas un moment: pour envoyer des instructions fermes & vigoureuses à leurs représentans, & pour prendre la résolution de ne jamais voter en faveur de quiconque ne promettroit pas de s'opposer à cet acte. Personne n'est plus disposé que moi à servir le gouvernement lorsqu'il s'agit d'accorder les subsides nécessaires : mais je ne puis souffrir que l'on taxe le peuple lorsque le produit de ces taxes est absorbé par les pensions données aux P-ns, aux M-ux (en toutes lettres Wheres, Pimps) & à d'autres gens aussi indignes que flétrissans pour le gouvernement. Si la rapacité & la prodigalité sans bornes des administrations précédentes[p.76]a plongé ce malheureux pays dans la détresse & dans les dettes, que l'administration actuelle s'enorgueillisse de nétoyer l'étable d'Augias, alors nos revenus suffiront pleinement pour faire face aux dépenses de la nation, chacun fera une distinction juste entre ces dépenses & la prodigalité du gouvernement ; les premières ont l'avantage & la sûreté du peuple en vue, les secondes n'ont d'objet que la corruption de ses représentans ; au surplus ce sont les membres du parlement, qui se laissent corrompre, que l'on doit regarder comme étant les plus criminels, car s'ils étoient honnêtes, par une suite nécessaire, le gouvernement seroit vertueux : c'est le représentant qui est le principe du mal.

[p.77]

 

Réponse de leurs excellences le comte de Carlisle, sir Henri Clinton, &William Eden, écuyer, à une Adresse de remercimens des habitans de la cité de New-Yorck ci-devant habitans des Colonies, à ces commissaires de Sa Majesté, à leur départ.

 

Du 20 Octobre 1778.

Messieurs,

Nous sommes satisfaits de voir que les efforts que nous avons faits pour remplir la commission de sa majesté, ont pu à quelques égards vous être avantageux, ou paroissent mériter votre approbation : comme nous croyons que le grand objet de la guerre est le rétablissement de la constitution civile, & la conservation des fidèles sujets de sa majesté dans ces Colonies, nous ne pouvons pas douter que le roi & le parlement n'adoptent les mesures qui paroîtront devoir plus probablement & plus promptement remplir ces deux objets. Nous nous estimerions heureux si les observations que nous avons faites, & le rapport que vous nous autorisez à faire concernant[p.78]le nombre, la loyauté & le zèle des sujets fidèles de sa majesté sur ce continent, peuvent en aucune manière accélérer & favoriser l'accomplissement d'un objet si intéressant pour toutes les parties des domaines de sa majesté. Nous nous flattons que ce que nous avons fait pour exécuter la commission de sa majesté, ne sera pas absolument inutile, & nous espérons que la séparation à laquelle vous voulez bien donner quelques regrets, sera plus favorable qu'elle n'apportera d'obstacles aux mesures par lesquelles nous avons jusqu'à présent tâché de remplir ce qui étoit en notre pouvoir.

[p.79]

 

Discours prononcés par le colonel Barré & par M. Fox pour appuyer cette motion proposée :« Qu’il n'y a pas un citoyen qui n'ait le droit de connoître la nature & les détails des estimations demandées au ministre, malgré les expressions méprisantes dont il se sert envers la nation ».

 

Du 22 Mars 1779.

Il plaît au noble lord de traiter le corps du public, de populace, de lecteurs des cafés, il n'a manqué à ses expressions que celle de canaille, & je suis persuadé que c'est cette expression qu'il cherchoit, & qui ne s'est pas présentée je n'invite pas moins le noble lord à considérer que tous ces lecteurs des cafés, tous les individus qui composent cette populace ou canaille, font les mêmes individus qui contribuent au paiement de l'extraordinaire des troupes ; que comme tels, ils ont droit de connoître du moins l'emploi qui a été fait de leur argent. Un fait qu'ils remarqueraient tous comme moi, est que si la somme portée au chapitre des extraordinaires pour le service de 1778, étoit divisée en autant de portions qu'il y avoit de[p.80]têtes dans nos armées, en verroit que chaque portion monte à quarante livres sterlings par homme, dans le cours d'une année, d'une année remarquable par l'inactivité, d'une année dans le cours de laquelle on n'a rien fait, d'une année enfin, pendant laquelle on a entretenu moins de troupes en Amérique que les années précédentes : au reste le noble lord avance que les extraordinaires des troupes ont été portés plus haut dans le cours de la dernière guerre ; je le prie de vouloir bien nous dire en quelle année.

Continuation du même sujet par M. Fox.

La seule objection plausible qui ait été faite à la motion, consiste à dire qu'elle est nouvelle & sans exemple ; mais le noble lord a-t-il donc oublié que la guerre actuelle est nouvelle & sans exemple dans sa nature ; nouvelle &c sans exemple dans la manière dont elle a été conduite ; nouvelle & sans exemple dans ses conséquences ! Ne se rappelle-t-il pas que la conduite qu'il a tenue comme ministre, ainsi que celle de ses collègues, a été nouvelle & sans exemple ? Ne se doute-il pas que les moyens de mettre un terme à la guerre doivent être également nouveaux & sans exemple ? Que ce n'est que du développement nouveau & sans[p.81]exemple de nos efforts, d'un degré d'activité & de rigueur entièrement nouveau & sans exemple, que nous pouvons espérer de nous voir tirer de la situation alarmante dans laquellenous nous trouvons, tandis que l'expérience Journalière nous démontre la nécessité de renoncer à l'inutilité des formes, d'adopter de nouvelles mesures, de nous conduire d'une manière nouvelle & sans exemple. Est-ce-là le moment de parler contre l'innovation ? Le noble lord forme une autre objection contre la motion ; il ne faut pas, dit-il, que la populace & les lecteurs des cafés (car telle est la dénomination qu'il donne au corps entier du. peuple Anglais) entrent dans les détails des estimations immensesdont il s'agit. Je pense bien différemment, je soutiens que le peuple en général est directement intéressé à la motion, qu'il a droit de connoître l'emploi qui a été fait de son argent, qu'il a droit de se faire rendre compte de sa manière dont la guerre a été conduite, qu'il a droit de demander des éclaircissemens sur tout ce qui concerne l'administration de ses affaires. C'est de ces droits seuls & de celui d'enquête qui résulte des autres, lorsque ses affaires sont mal administrées, qu'il peut espérer une meilleure administration Le tems est venu où le droit d'enquête ne peut être trop mis en usage, & si les[p.82]ministres avoient quelque notion de la honte, ils devroient rougir des artifices qu'ils emploient pour prévenir cette enquête, pour fermer toutes les avenues à la vérité, pour entretenir le public dans un état de cécité à l'égard de ses affaires.

Nous aurons trop souvent occasion de parler de M. Charles Fox, pour ne pas mettre son portrait sous les yeux de nos lecteurs.

Il est le troisième fils du lord Holland. Le premier bienfait qu'il tint de la fortune, fut un père qui ne contraria pas son inclination, qui devina son génie, & n'imagina pas que parce qu'il étoit son père, il falloir qu'il lui fût supérieur. Il céda, non-seulement à ce besoin prématuré de s'occuper d'affaires, mais même il excita ce talent naissant en le consultant. En donnant un continuel exercice à son émulation, il enfla sa vanité ; l'espoir de voir cet homme extraordinaire, le rendit indulgent : de-là l'origine de cette jeunesse orageuse, qui a plus nui à sa réputation qu'à son talent.

Un trait rare, & peut-être unique dans Charles Fox, c'est qu'il allia les plaisirs, le jeu avec les études, la frivolité de la parure & l'ardeur de briller, la manie des conquêtes, & le besoin des suffrages politiques.[p.83]Malgré les écarts du jeune âge, Charles Fox, est élu à dix-neuf ans membre du parlement pour Mechwift, province de Sussex. Un peuple exercé distingue les talens du malheur des passions, & croit qu'il faut mieux employer des esprits pleins de sève & d'ardeur, que des hommes finis qui ne savent plus que douter.

Son premier discours avertit l'Angleterre qu'elle possédoit un génie de plus. On distingua, sur-tout, la justesse la plus profonde, & la clarté décidée la plus soutenue, deux qualités qui sont le fruit de l'expérience, & rarement appartenant aux premiers essais. La force de son talent se portoit toujours sur le point de la difficulté qu'il dominoit avec un art admirable.

Ce n'est pas de l'adresse qu'il employoit ; son caractère brûlant & hardi la rejettoit, mais la raison, cet instrument sublime, entre les mains de celui qui fait l'employer. Le lord North en connoissoit tout l'empire, car M. Fox s'étant brouillé avec lui en 1772, le ministre sentit combien il étoit important de regagner son suffrage. Il y parvint pour peu de tems, car M. Fox ne tarda pas à revenir au parti de l'opposition, quoiqu'il fût assis sur les bancs des lords de la trésorerie. Cette inconstance lui valut la lettre suivante du lord North.[p.84]« Sa majesté a jugé à propos d'établir une nouvelle commission pour la trésorerie, & je n'ai pas apperçu votre nom sur la liste de ceux qui doivent remplir les offices ».

De ce moment Fox jura au ministre une haine immortelle, & il a été bien fidèle à sa parole.

Mais en revenant au parti populaire, il opère un autre changement. Il abjure le luxe, & la simplicité la plus affectée remplace l'élégance la plus recherchée, & de ses goûts il ne conserve que la passion du jeu.

Quelle bizarrerie de la nature ! L'homme qu'elle choisit pour déposer sur lui ses présens les plus rares, est celui qu'elle disgracie d'un autre coté ; petite stature, air commun, voix désagréable, geste faux.

On l'a comparé avec un français célèbre. Peut-être sont-ils égaux en talens, mais l'un a sur l'autre un grand avantage, c'est d'être toujours demeuré immuablement attaché à un parti, & de n'avoir pas même donné à ses ennemis le droit de le calomnier avec succès.

Le grand talent de M. Fox est la fécondité des ressources, le brillant de l'expression, malgré une grande volubilité de langue, & l'art de déshonorer les objections de ses adversaires, en les remettant sous les yeux de ceux qui l'écornent.[p.85]Joignez à cet avantage de la discussion une célérité dans les affaires, qui ne nuit jamais à la justesse. Son premier coup d'œil le décide ; on le surnomme l'homme du peuple, il est également celui de l'état, car servir le premier est servir l'autre.

 

Extrait du Discours du nouveau ministre, le comte de Hillsborough, contre les assemblées des différens comités inconstitutionelles, & toutes tendances à la révolte.

 

Du 8 Février 1780.

Ces pétitions, ces associations sont des manœuvres dangereuses : leur principe est fondé sur la violence de l'esprit de parti ; séditieuses de leur nature, elles conduisent directement à la rébellion : les pétitions enfin sont des libelles en elles-mêmes : ceux qui les rédigent & les présentent sont des factieux ; elles sont notoirement l'ouvrage de l'opposition, dont l'unique vue est de répandre dans l'état les semences de la dissention, de l'anarchie & du désordre : c'est précisément de cette manière que l'on s'y est pris, lorsqu'on leva en Amérique l'étendard de la révolte :[p.86]c'est au moyen de pareilles associations que les tumultes se sont récemment élevés en Irlande. Je crains bien que ces comités de correspondance ne se changent bientôt en comités de sûreté (faisant allusion à ce qui s'est passé du tems de Cromvell). Je vous demande, mylord, s'il seroit légal, s'il seroit conforme à l'esprit de la constitution de voir des milliers de sujets armés, obséder les portes du parlement, dicter impérieusement les mesures que doit prendre le tribunal de la nation.

La constitution de la Grande-Bretagne dépend entièrement de l'équilibre qui doit rigidement subsister entre les trois états ; cet équilibre peut être aussi-bien dérangé par la tyrannie que le peuple exerceroit sur la couronne & fur le parlement, qu'il le seroit par la tyrannie qu'exerceroit la couronne sur le parlement & le peuple : craignez donc de voir des comités de correspondance & d'association convertis en comités de sûreté ; cet idée me fait frémir.

[p.87]

 

Seconde section. Du roi d’Angleterre.

 

Discours de M. Shippen, dans lequel il démontre vivement que les adresses de remercimens à Sa Majesté sont abusives, par la manière dont elles sont conçues.

 

Du 13 Janvier 1732.

Je me lève moins pour donner mon avis contre les termes de l'adresse dont il est aujourd'hui question, que pour proposer à ce sujet une motion. Ç'a été, monsieur, une ancienne coutume en pareille circonstance, de présenter une adresse de remercimens à sa majesté, de son très-gracieux discours émané du trône ; mais de telles adresses, dans les premiers tems, étoient exprimées dans des termes généraux, elles ne contenoient point alors de longs paragraphes de flateries & de complimens au roi, pour des négociations, pour des traités & des succès qui n'avoient point été communiqués à la chambre,[p.88]& que par conséquent la chambre étoit censée parfaitement ignorer. Il est vrai, monsieur, que depuis quelques années, nous avons adopté l'usage de complimenter le trône dans toute occasion semblable, par de longues adresses ;& cet usage a été suivi si exactement, qu'on a lieu aujourd'hui de craindre qu'ils ne deviennent bientôt une nécessité de voter des adresses à sa majesté, conçues dans les termes & les expressions qu'il aura plu à ceux-là même de dicter, dont les opérations sont exaltées dans ces complimens.

J'avoue, monsieur, que je suis si peu courtisan, que je ne puis prodiguer des actions de grâces pour des choses que je ne connois point, ni applaudir quand je n'en fais pas le sujet. Non, je ne suis point contre les adresses de remercimens, à moins qu'elles ne s'écartent trop de la forme ancienne. Au reste, quand il m'arriveroit d'être absolument seul de mon avis (& j'espère ne pas l'être), je persisterois toujours à m'opposer à ces adresses, telles que je les désigne : quand il n'y auroit d'autre raison que celle-ci, d'empêcher qu'une telle motion ne paroisse inscrite sur les journaux de la chambre, comme ayant passé tout d'une voix. Et prenez garde, monsieur, que si l'on néglige aujourd'hui de prendre acte sur les registres de cette clause, comme je le demande, ces humbles adresses au[p.89]trône, passeront à la fin comme une chose d'usage, sans qu'on y fasse la moindre attention, sans qu'on ose s'y opposer :& il en sera de ces adresses, comme aujourd'hui de certaines manières, qui, par un semblable abus, éprouvent de longs débats avant de pouvoir être seulement mises sur le tapis, avant d'être entamées.

Ce n'est pas la première fois qu'on me voit contraire à de pareilles adresses ; j'y ai toujours été opposé ;& si je me montre en cela peu courtisan, je prouve du moins mon attachement à l'honneur & à la dignité de la chambre. Quand de telles adresses d'ailleurs lui furent proposées, on lui promit, on l'aura même qu'on ne tirerait aucun avantage par la suite des expressions avancées dans tout ce qui est de complimens :& cependant tous les membres de cette chambre savent, que lorsqu'il s'est présenté une occasion favorable d'examiner les choses plus particulièrement, & qu'il s'est élevé des débats à cet égard, on n'a pas manqué de dire, qu'on ne pouvoir revenir sur des négociations terminées ; par la raison, que la chambre les avoit toutes approuvées par son adresse de remerciment à sa majesté.

Pour l'amour de mon pays, je souhaite de toute mon âme que tout soit bien, que toutes nos affaires au-dedans comme au-dehors, soient[p.90]dans l'état florissant dans lequel on nous les représente ; mais ces opérations ministérielles qui doivent nous procurer cette prospérité & cette stabilité qu'on nous promet, nous ne pourrons en juger que lorsqu'on nous les aura communiquées. Ainsi, je ne pourrois que par anticipation adopter la proportion d'une adresse de remercimens à sa majesté, pour des opérations que nous n'avons pas eu la faculté de connoître ni d'examiner. Mon avis est donc, moniteur, que la première partie de la motion déjà faite ait lieu, mais que la seconde, toute en complimens, soit mise de côté.

 

Autre Discours du même, où il représente que les adresses de remerciment au Roi devroient être beaucoup plus simples & plus courtes ; ou que si l'on s'étendoit davantage, ce devroit être pour avoir égard aux réclamations du peuple.

 

Du 13 Janvier 1733.

Je suis prêt sans doute à donner mon consentement aux adresses de remercimens à sa majesté, de son très-gracieux discours émané du trône, mais je serai toujours opposé à celles qui sont[p.91]d'une longue étendue, & qui ne devroient être que dans les termes les plus concis & les plus généraux. Tel étoit l'ancienne coutume du parlement, & j'observe à cet égard, qu'en général, tous les changemens substitués à nos anciens usages, n'ont guères été pour faire mieux que nos ancêtres.

Au reste, si nous voulons continuer l'innovation de ces adresses d'une prolixité démesurée, nous devons faire attention à l'esprit actuel du peuple. Il est certain qu'il y a aujourd'hui dans le public des jalousies, des soupçons, des craintes. L'on appréhende dans cette session du parlement, des tentatives destructives des libertés, & du commerce de la nation. Voici donc quel est dans ce moment l'esprit très-général & très-remarquable du peuple, de désirer que l'on protège & défende son commerce & ses libertés, contre les entreprises qui les menacent.

[p.92]

 

Discours de M. William Pitt sur le projet d'une adresse à Sa Majesté (George II), pour la complimenter sur le mariage du prince de Galles (père de George III, aujourd'hui régnant), avec la princesse de Saxe-Gotha.

 

Du 14 Avril 1736.

M. L'ORATEUR,

Tout incapable que je sois de m'énoncer aussi éloquemment que l'honorable membre, (M. Littleton), qui vous présente une motion d'adresse à sa majesté, pour la complimenter sur le mariage de son altesse royale, le prince de Galles, avec la princesse de Saxe-Gotha, & bien qu'il me soit difficile de le faire d'une manière convenable, qui réponde à la dignité & à l'importance de cette grande affaire ; cependant, comme je suis vivement frappé des avantages sans nombre qui résultent pour mon pays, de cette illustre alliance, denrée depuis long-tems, je ne puis, monsieur, m'empêcher de vous exprimer, en peu de mots, mes sentimens, & de joindre mon humble offrande, quoique de peu de valeur, à la grande oblation[p.93]de complimens & d'actions de grâces que vous devez présenter à sa majesté.

Toute vive & considérable que soit l'allégresse publique, (& certes, elle est sans bornes pour ce nouveau bienfait émané du trône) ; en nous l'accordant cependant, la haute satisfaction qu'a dû éprouver sa majesté elle-même, doit encore surpasser la nôtre ;& si quelque chose peut dans ce moment, charmer davantage un cœur vraiment royal, comme la douceur de combler les vœux ardens d'un peuple libre & loyal, ce ne pourroit être jamais que la satisfaction pure & sans mélange de répondre dans un épanchement paternel aux souhaits humbles, fourmis & justes d'un fils digne de toute sa tendresse. Je veux dire, monsieur, que toutes sortes de raisons appelloient son altesse royale à cette illustre alliance, demandée au roi ;& que le roi ayant accordé au prince sa demande, notre reconnoissance à cet égard, & notre attachement à fa majesté, nous sont un devoir de la complimenter & de lui en faire nos très-humbles remercimens.

Le mariage d'un prince de Galles, monsieur, a été dans tous les tems un événement d'une très-grande importance pour le bien public, pour les contemporains du prince, & pour les générations suivantes ; mais jamais il ne s'en[p.94]est vu un plus digne d'attention, ni d'une conséquence plus sensible & plus chère à la nation, que celui qui fait l'objet de l'allégresse publique, puisque en effet, un caractère digne de l'amour & du respect des peuples peut embellir, peut ajouter encore à la dignité & au rang suprême de l'héritier de la couronne.

Si ce n'étoit pas une témérité pour moi de suivre cet auguste prince dans ses momens de retraite, pour le contempler dans le jour le plus doux de sa vie domestique, nous le verrions toujours grand, s'adonner à des actes de bienfaisance & de toutes les vertus sociales. Mais quelque touchante, quelque attachante que soit une pareille scène, cependant, comme elle n'est que privée, je craindrois de blesser la modestie de cette vertu à laquelle je ne veux que rendre justice, en l'exposant aux regards de cette chambre.

Au reste, monsieur, l'attachement filial de son altesse royale à ses augustes parens, sa paillon noble & généreuse pour la liberté, son juste respect pour la Constitution Britannique, sont des vertus trop éclatantes pour avoir échappé à l'admiration publique, & pour ne lui pas assurer les applaudissemens & les bénédictions du peuple. C'est cet heureux assemblage de qualités rares & sublimes qui font de son altesse[p.95]royale le précieux ornement & le ferme appui (s'il devenoit nécessaire) d'un trône si dignement rempli par sa majesté.

J'ai été entraîné, monsieur, à m'étendre sur les grandes qualités de son altesse royale, parce que ce sont elles qui ont forcé la justice & la bonté du roi à répondre aux vœux de la nation, & à conclure cette grande affaire qui nous promet un accroissement de forces dans la succession protestante de l'illustre & royale maison d'Hanovre. L'esprit de la liberté, qui, il y a longtems, avoit désigné cette succession, ce même esprit aujourd'hui se complaît à la voir dans une longue perspective, se perpétuer dans la postérité la plus reculée ; il se réjouit de la sagesse du choix qu'il a plu à sa majesté de faire d'une princesse, elle-même ornée des vertus les plus aimables, relevées par les qualités éminentes d'une ancienne & annuité famille, & dont un de leurs illustres ancêtres a eu la gloire de se sacrifier lui-même dans la cause la plus noble pour laquelle un prince puisse s'armer jamais ; je veux dire pour la liberté, & pour la religion protestante.

Tels sont, monsieur, les avantages inestimables de cette grande alliance qui va être l'objet de nos publiques actions de grâces envers sa majesté. Fasse le ciel qui est juste & qui[p.96]favorise ce prince, qu'il voie son auguste famille déjà nombreuse, s'accroître encore ; qu'il ait la douceur de se voir revivre dans les en-fans de ses enfans ! Et pour rassembler tous nos souhaits dans un seul & bien sincère, puisse cette royale famille être immortelle comme nos libertés, & comme la Constitution Britannique qu'elle doit maintenir !

 

Projet d'adresse à Sa Majesté (George II), pour le complimenter sur la mort de la Reine son épouse, par M. Henri Fox.

 

Du 24 Janvier 1738.

Ç'a toujours été dans cette chambre une coutume de faire à sa majesté une adresse de remercimens de son discours émané du trône, au commencement de chaque session du parlement : mais le coup affreux (la mort de la reine), qui depuis notre dernière assemblée, a frappé à la fois sa majesté, la famille royale, & toute la nation, exige dans cette circonstance, que nos remercimens à sa majesté de ses gracieuses assurances, soient accompagnés des témoignages de notre condoléance par rapport à cette[p.97]perte inexprimable, perte que je lis dans les yeux de tous ceux qui m'écoutent, & qui sera long-tems dans ce royaume, l'objet des regrets de tout sujet qui retient dans son sein une étincelle de reconnoissance & de loyauté.

Ces messieurs n'ont pas manqué d'observer que le dernier discours de sa majesté, a été beaucoup plus court que les autres ; ils doivent en attribuer la cause au triste souvenir d'une princesse qui lui a été extrêmement chère dans toutes les positions de sa vie, comme femme, mère & reine : et si sa mort a été un sujet d'affliction générale pour toute la nation,nous en avons été nous-mêmes sensiblement affectés, on peut dire que le cœur du roi l'a été encore plus profondément. Tant qu'elle vécut, elle allégea les soins dugouvernement par ses conseils, qui n'avoient d'autre but que la gloire de sa majesté, & le bonheur du peuple.

Nous avons eu bien des preuves de ce que j'avance, sur-tout lorsque dans l'absence de son auguste époux, le souverain pouvoir fut remis en ses mains royales. Vous le savez, monsieur, avec quelle modération elle savoit gouverner ; quelle satisfaction elle éprouvoit à récompenser, & quelle répugnance elle avoit à punir. Mais ce dernier office, qui est désagréable, par sa prudence, elle étoit venue à[p.98]bout de le rendre rarement nécessaire. C'est pourquoi, monsieur, si les vues & les intérêts de plusieurs d'entre-nous différent trop souvent, je m'assure que dans cette circonstance, nous nous réunirons pour payer tous ensemble la dette de notre reconnoissance à la mémoire de la reine, & pour nous acquitter en même-tems du tribut de nos devoirs envers le meilleur des souverains.

 

Discours du lord Delawar, dans lequel il reconnoît que la modicité des revenus de la Famille Royale est une preuve de la modération de Sa Majesté.

 

Du 22 Février 1739.

Il n'y a point de nation qui ne soit jalouse de voir les plus jeunes enfans de la famille royale, faire une figure dans le monde, qui en soutienne la dignité ; il n'y a point de peuple en Europe qui n'ait cette vanité. L'état qu'il a plu à sa majesté de leur faire, est assurément très-modique. On ne peut pas dire que vingt-quatre mille livres sterlings par an, soit un revenu trop considérable, partage entre quatre princesses ;& quinze mille livres de rente,[p.99]est moins, je crois, que ce qu'aucun second prince du sang ait obtenu jusqu'ici. On avoit affiné à Charles second, pour ses deux plus jeunes frères, dix mille livres sterlings. La chétive pension accordée au duc, mentionnée dans le bill qui vient de passer, est donc une nouvelle preuve de la modération de sa majesté ;& que toutes ses vues n'ont pour but que d'alléger le fort de ses sujets, & de faire le bonheur de son royaume.

Qu'on rapproche les pensions de l'état de maison de nos princes, & l'on verra que la nation Française a long-temps entretenu plusieurs rois. Ceux de Suède & de Danemarck n'ont pas les revenus qui se sont dépensés annuellement chez tel ou tel prince Français. Au reste depuis cinquante ans tout est changé ;& le parlement n'est plus obligé de se récrier sur la modicité des pensions.

[p.100]

 

Discours de sir Robert Walpole, sur les inconvéniens de la modération excessive de Sa Majesté, par rapport à la liste civile ; sur la nécessité de pourvoir du vivant de Sa Majesté la Famille Royale. L'auteur de ce Discours entre à ce sujet dans quelques détails.

 

Du 3 Mai 1739.

Le message qui vient d'être lu, j'ose le dire, ne peut pas éprouver de difficultés dans cette chambre. Tout bon & loyal sujet de sa majesté, ne peut considérer qu'avec satisfaction, les nombreux descendans de la ligne royale, nous attirer pour long-tems, le bonheur & la tranquillité des trois royaumes :& l'attachement que montre la maison régnante aux libertés de cette nation, lui donne tout lieu d'espérer que les princes qui succéderont à la couronne, suivront les exemples de sa majesté jusqu'ici toujours attentive à conserver & à maintenir les droits de ses sujets.

Sa majesté, monsieur, a toujours été si réservée à demander pour sa propre famille, que dans le cas où la mort lui enlèveroit ce prince,[p.101]elle feroit dans une position plus incertaine qu'aucuns gentilshommes d'Angleterre qui auroient un peu de fortune. Dans un tel événement (que le ciel éloigne), personne ici d'après l'histoire de notre constitution, ne peut dire de quelle manière la famille royale pourroit être pourvue.

Au reste, je pense que le parlement réfléchira avec gratitude sur les avantages du présent règne, & qu'il assurera un état convenable à la royale lignée de sa majesté. Car je m'imagine qu'il n'y a ici personne qui souhaitât un sort pareil à ses plus jeunes enfans, & qui posât sur une base aussi peu solide. Les parlemens sont soumis à des changemens comme les autres corps ;& ce seroit une négligence impardonnable au Roi, comme père, s'il abandonnoit une famille aussi nombreuse à l'incertitude d'un sort que lui feroit un parlement à venir & après sa mort.

Le vrai, le seul moyen de pourvoir les plus jeunes enfans de sa majesté, est donc de le faire, tandis qu'elle est sur le trône. Mais, monsieur, il ne suffit pas d'avoir la plus haute idée (comme nous l'avons tous, j'en suis assuré), des vertus qui brillent dans le prince héritier du trône, il faut encore prendre garde[p.102]que la providence a favorisé son altesse royale[12]d'une jeune famille. Or comme personne ne peut répondre des événemens, si les deux premières têtes royales venoient à manquer, avant que les enfans de son altesse fussent majeurs, le gouvernement nécessairement tomberoit en régence. Et, monsieur, qu'il me soit permis d'observer à ce sujet, qu'il n'y a point d'exemple dans cette nation, & qu'il n'existe point de loi positive, qui puisse déterminer à l'égard de la famille royale, à qui devroit être dévolue la régence. Cette confédération seule suffit pour justifier la demande que sa majesté a fait à la chambre. Ce n'est d'ailleurs rien de plus que ne fît un simple particulier, qui voudrait mettre ses plus jeunes enfans au-dessus d'une dépendance précaire. Et j'ose dire qu'il n'y a personne ici qui ne fut fâché de voir fa majesté dans une position que tout père regarderait comme dure & déraisonnable.

J'espère donc que la chambre sera pleinement convaincue, combien il est à propos, combien il est digne du roi comme père, d'avoir cette solicitude ;& combien il est convenable à nous-mêmes, comme chambre des[p.103]communes, d'y faire droit de la manière la plus efficace. La seule considération qui nous soit permise, c'est de prendre garde auquantum demandé par le ménage. Je puis avancer à ce sujet, qu'en y acquiesçant, ce sera la plus petite concession octroyée jusqu'ici à la couronne. Oui, je le soutiens, que ce qui compose aujourd'hui l'entier revenu assuré sur les quatre têtes royales, ne fait pas la moitié de ce qui fut regardé sous les parlemens antérieurs, comme suffisant à peine pour une seule. Le roi Jacques, monsieur, n'étant que duc d'York, avoit 100,000 livres sterlings par an qui furent arrêtés par un acte du parlement ;& ce que le parlement alors accorda aux jeunes princes, est je crois le seul exemple qui puisse servir dans la circonstance présente, parce qu'on n'en voit point d'autres depuis la restauration[13] ; car avant ce tems la couronne eut des apanages considérables, de de sorte que sans avoir recours au parlement, elle avoit de quoi pourvoir les plusjeunes princes. Charles II eut des enfans légitimes à pourvoir, ceux du roi Jacques furent mariés, & on leur fit leur maison avant qu'il montât sur le trône. Leroi Guillaume n'eut point[p.104]d'enfans ; la reine Anne n'en eut point après son couronnement, & les filles du feu roi furent mariées avant son avènement au trône.

De tout cela je conclus, monsieur, qu'il ne s'est jamais fait de pétition de la part de la couronne, plus juste ni plus modérée. En effet, il s'agit de faire un état aux plus jeunes princes qui ne peuvent erre pourvus sans le consentement du parlement, & cette demande est si bornée, que la seule objection qu'on puisse faire à cet égard, j'ose le dire, c'est que la somme est beaucoup trop modique. Mon humble motion est donc monsieur, qu'il me soit permis de proposer un bill qui assure à sa majesté une somme de 15,000 liv. sterlings par an, pour son altesse le duc de Cumberland & ses enfans ;& en même tems une seconde somme de 24,000 livres de rente, pour les princesses Amélie, Caroline, Marie & Louise.

[p.105]

 

Discours du comte de Chesterfield, contre l'usage actuel de faire des complimens au Roi, conformément & d'après ce que le Discours de Sa Majesté paroit insinuer à la Chambre.

 

Du 23 Octobre 1739.

Je sais, milord, que depuis quelques années, c'est une coutume de faire des adresses de cette chambre à sa majesté, une sorte d'écho, qui réponde au discours émane du trône. Or, comme le propre de l'écho, est de rendre les derniers mots d'une phrase ; de cette manière nous ne devons jamais manquer de répéter les derniers articles du discours de sa majesté. Tel est, dis-je, depuis les dernières années, la coutume qui s'est introduite dans cette chambre. Je ne puis penser cependant, qu'un scrupuleux attachement à ce nouvel usage, s'accorde bien avec le caractère que nous devons conserver, ni qu'il soit nécessaire pour prouver notre respect à notre souverain.

[p.106]

 

Discours prononcé par l'Orateur des Communes (sir Fletcher Norton), lorsqu'il présenta au Roi le bill qui pourvoit à ce que Sa Majesté puisse soutenir avec plus d'éclat sa Maison, pour l'honneur & la dignité de la Grande-Bretagne.

 

Du 7 Mai 1777.

Très-gracieux Souverain,

Le bill qu'il est de mon devoir de vous présenter, & que vos fidelles communes vous prient de passer, a pour titre &c. &c.

Par ce bill, sire, vu les circonstances qui l'ont précédé & accompagné, vos communes ont donné la marque la plus signalée de leur zèle& de leur attachement envers votre majesté : car dans un temps de détresse publique, dans un temps où le peuple qu'elles représentent succombe fous un fardeau déjà trop pesant, vos fidelles communes ont sursis à toute autre affaire, & avec autant de célérité que leur manière de procéder pouvoir le permettre, elles se sont empressées d'accorder à votre majesté, non-seulement un subside considérable, mais une[p.107]augmentation inouïe à votre revenu, augmentation qui n'a point d'exemple, augmentation qui excède les plus grandes dépenses de votre majesté.

Vos communes ont fait tout cela dans l'espoir bien fondé, que vous voudrez bien employer sagement ce qu'elles vous accordent avec tant de bonnes volontés ; persuadées, comme tout sujet doit l'être, que secondées par l'économie & la prudence de votre majesté, la richesse & la grandeur du souverain couvriront du plus brillant éclat la nation qui se rend à sa demande.

 

Discours de sir Cecil Wray : Que Sa Majesté, de sa pleine autorité, peut imposer un pays conquis.

 

Du 6 Avril 1778.

Dès que l'Amérique eut une consistance, le droit de découverte & de conquête, ainsi que le partage des terres, appartiennent entièrement au roi[14] ;& il fut en son pouvoir de les[p.108]accorder suivant son bon plaisir, à qui, & aux conditions qui plurent a sa majesté. Le roi usa de ce pouvoir en toutes circonstances sans le consentement du parlement, & même dans quelques-unes, malgré son consentement ; car jamais le parlement n'a pu supposer que ces droits féodaux lui appartinssent.

Mon objet n'est pas de rechercher dans quel tems le roi les céda au parlement, ou dans quel tems le parlement les usurpa. Je soutiens seulement, que si l'Amérique n'a pas consenti à cette cession, cette cession ne la lie nullement ;& que les droits de l'Amérique sont toujours les mêmes, comme dès le commencement, lorsque ses chartes lui donnèrent une constitution.

La dernière décision du banc du roi, a solidement établi ces principes. Le roi, de sa pleine autorité, peut imposer un pays conquis, jusqu'à ce que par une, proclamation, ou d'une autre manière, il ait abandonné sa prérogative en établissant un autre pouvoir.

[p.109]

 

Discours de M. Fox, dans lequel il s'oppose à l'adresse proposée de remercimens à Sa Majesté, de son discours émané du trône à l'ouverture de la session ; discours qu'il appelle un Libelle contre le Parlement. Il se plaint amèrement des fautes, des inepties, des faux, &c. des Ministres, qui perdent la Nation.

 

Du 26 Novembre 1778.

Je m'oppose à l'adresse, dans la forme sous laquelle on nous la représente, parce qu'elle n'est que l'écho d'un discours faux dans ses assertions, & contenant un libelle absolu contre le parlement : on y fait dire au roi que les mesures tracées par la sagesse du parlement n'ont point eu de succès ; il étoit bien plus simple d'appeller ces mesures, celles de l'administration ; car certainement le parlement n'a pas donné pouvoir aux commissaires d'accorder aux Américains le droit de siéger au sénat Britannique, le parlement n'a pas décidé qu'un certain nombre de représentants de la part du corps législatif de la Grande-Bretagne aura voix dans les assemblées provinciales. Telles sont cependant[p.110]les mesures qui n'ont point réussi, car à d'autres égards, nos armes ont eu plus de succès qu'il n'étoit naturel de l'espérer ; nos commandans se sont conduits de manière à établir leur réputation, & n'ont point voulu que la gloire nationale perdît de son état : nous n'avons essuyé d'échecs que dans les cas où les ministres n'ont pas pourvu à ce qu'exigeoit de forces la nature des diverses expéditions qui ont été entreprises. Ce sont les ministres qui ont souffert qu'une armée composée de braves gens se consumât dans la captivité, en les négligeant ; ou pour mieux dire, en les abandonnant ils les ont exposés aux tentations séduisantes de la liberté, rendue plus précieuse encore par l'appas des établissemens qui leur étoient offerts, s'ils vouloient renoncer à ce même gouvernement qui les abandonnoit. Eh ! pourquoi cette armée a-t-elle été traitée de la sorte ? Parce que les ministres n'ont pas donné aux commissaires pouvoir de traiter de sa rançon !

Pourquoi ce pouvoir n'a-t-il pas été donné ? parce que les ministres sont vétilleux ;« parce » que, disoit-il, ratifier la convention de Saratoga, c'eut été reconnoître l'indépendance ». Cela s'appelle disputer sur les mots reconnoître ou laisser jouir. Actuellement une chose que je serois singulièrement curieux de connoître,[p.111]c'est la façon de penser des membres campagnards, qui, imaginant bonnement qu'ils alloient être amplement soulagés du fardeau des taxes, au moyen de celles qu'on alloit lever en Amérique, ont ouvert leurs bourses au gouvernement ; aujourd'hui que l'on a plus qu'ouvertement renoncé à l'idée même de lever ces taxes, sont-ils toujours disposés à soutenir l'administration ? Une chose qui pourroit les encourager à le faire ; c'est le talent marqué des ministres pour adopter des plans & les mettre à exécution, lorsqu'il n'est plus tems de s'en promettre aucun effet, par exemple, celui que l'on a nommé Conciliatoire eût pu être raisonnable & utile s'il eût été proposé plutôt ; mais à quelle époque en a-t-on fait l'ouverture au parlement ? Lorsque le traité conclu avec la France rendoit toute proposition inadmissible de notre part. L'absurdité en général a caractérisé toutes les démarches de l'administration, tout ce qu'elle avoit d'espoir se confinoit dans la Pensylvanie ; c'est-là que le gouverneur Johnstone avoit le plus grand nombre d'amis ; c'étoit de ses amis seuls que l'on attendoit des services essentiels : admirez la sagacité des mesures !le vaisseau, le même vaisseau, qui porte les commissaires chargés de gagner la seule portion des Américains que l'on supposoit attachés à la Grande-Bretagne[p.112]porte aussi des ordres inconnus aux commissaires eux-mêmes, en vertu desquels le commandant en chef doit évacuer la capitale de cette même Pensylvanie où tout devoit s'arranger !

Un autre encouragement, sans doute, est la conduite de l'amirauté, & particulièrement de son premier lord, considérée dans tous ses détails ; combien ces messieurs ne doivent-ils pas se féliciter d'en avoir imposé à la nation, en lui présentant des états faux… Il en a été de même de toutes les déclarations & de toutes les mesures, de tous les plans passés & actuels ! Aujourd'hui, par exemple, qu'une guerre juste réunit toutes les classes de citoyens contre l'ancien ennemi de la nation, à quoi bon envoyer des troupes en Amérique ? Est-ce en Amérique que nous humilierons la France ? Non, c'est dans ses possessions mêmes, c'est-là qu'il faut l'attaquer, & la raison en est sensible : comme dans sa conduite avec l'Amérique, elle n'a que son intérêt en vue, il lui est à peu près indifférent que l'Amérique souffre plus ou moins, pourvu qu'elle en tire le parti qu'elle s'est proposée d'en tirer, mais si nous l'attaquons elle-même dans ses possessions & ses propres établissements, si nous la forçons a sentir les pertes qu'elle fait, à raison de son alliance[p.113]avec l'Amérique, sont plus considérables que les avantages qu'elle s'étoit promis de cette alliance, cet intérêt personnel, ce même principe qui la lui a fait contracter, la détermineroit à la dissoudre.

 

Discours du lord George Gordon, sur le même sujet mais plus violent que le précédent & dans lequel Sa Majesté n'est point ménagée. Suit une invective contre les Ministres. L'orateur finit par proposer au lieu d'une adresse de remercimens, des remontrances à Sa Majesté & par demander des comptes aux Ministres.

 

Du 26 Novembre 1778.

M. l'Orateur,

Je suis fâché, au moment même de la rentrée du parlement, de me trouver dans la nécessité de déclarer mon opposition aux mesures de l'administration ; ce qui me fait le plus de peine, c'est que cette opposition ait précisément pour objet une adresse de compliment que l'on se propose de présenter à notre souverain actuel ;[p.114]mais, monsieur, il n'est pas raisonnable d'attendre, de la part des amis de la liberté, beaucoup de complimens pour ce même roi, sous le gouvernement duquel la cour de la Grande-Bretagne a été rendue méprisable aux yeux de la France ; l'amitié, le commerce & l'assistance de l'Amérique, ont été peut-être pour jamais, ravis à ses sujets.

La détresse du peuple au-dedans, ses possessions négligées au-dehors, sont des objets qui deviennent tous les jours plus insupportables, & qui ne me permettent pas, en qualité d'un de ses représentans, de complimenter sa majesté, ni d'approuver sa conduite dans des circonstances pareilles : en vérité, M. l'Orateur, complimenter sa majesté dans la situation présente, c'est, à mon avis, beaucoup plus donner à l'univers un exemple de la servilité des communes, que de l'informer d'aucun avantage particulier qui découle du gouvernement de sa majesté.

Ses communes le féliciteront-elles sur son combat naval ? Le féliciteront-elles sur sa retraite par terre ? Le complimenteront-elles sur la troisième année de l'indépendance de l'Amérique ? Le remercieront-elles des honneurs & de émoluments qu'il a accumulés sur ses favoris pendant le cours de cet été, particulièrement[p.115]sur le noble lord au cordon-bleu (lord North), ministre qui préside ostensiblement au démembrement de l'empire ? Les membres se réjouiront-ils en apprenant par le discours de sa majesté que ses gracieuses intentions sont de continuer la guerre d'Amérique ? Déclareront-ils qu'ils sont prêts à imposer un surcroît de taxes sur le peuple qui les constitue ? Enfin, répondront-ils à sa majesté que ce même peuple payera ces nouvelles taxes sans qu'il s'élève une révolte dans nos propres foyers ? Je parle d'une révolte par nous-mêmes, parce que nos constituans ont déjà beaucoup souffert, long-tems & avec patience. Ils ont supporté une imposition graduelle de taxes, ils l'ont supportée jusqu’à ce que cette oppression soit devenue insupportable pour eux ; ils ont vu les revenus de l'état prodigués en pensions données aux sujets les moins dignes ; ils ont vu leur commerce avec l'Amérique absolument anéanti ; ils ont vu leurs concitoyens se révolter avec succès, & se soustraire au gouvernement ruineux de la Grande-Bretagnepour se mettre sous la protection d'un Congrès sage & vertueux.

Toutes ces calamités, & quantité d'autres, qu'il seroit difficile d'énumérer, ont été accumulées sur ce pays depuis l'avènement du roi actuel : cette considération m'induit à penser[p.116]que ce moment n'est pas absolument celui où l'on peut applaudir à sa sagesse, & donner de l'appui à ceux qui le conseillent.

On a beaucoup parlé des conseillers de sa majesté. Je leur ai marqué mon opposition, en parlement, avec beaucoup de constance & de fermeté, & j'ai de leurs talens publics une aussi mauvaise opinion que puisse l'avoir aucun membre de ce côté de la chambre (côté de l'opposition) ; mais ce sont les serviteurs choisis de sa majesté, que depuis son avènement au trône, elle a tirés de tous les partis ;& c'est conformément à ses désirs qu'ils ont fait la guerre à nos Colonies, & que l'Amérique aujourd'hui est perdue pour la Grande-Bretagne. Leur mauvaise & malheureuse conduite les a rendus méprisables aux yeux de plusieurs de leurs concitoyens ; actuellement ils ne peuvent guère compter que sur la faveur & la fermeté de sa majesté : aussi je ne vois pas de changement à espérer, car je ne crois pas que sa majesté se rende coupable de l'ingratitude qu'il y auroit à abandonner ses fidèles serviteurs dans leur détresse & je n'entends pas dire que le peuple pense à choisir un Congrès, ni à proclamer un protecteur.

Mon humble opinion est que les circonstances demandent hautement que l'on présente au roi[p.117]des remontrances, dans lesquelles on déduira les griefs sans exemple qui nous assiègent sous le gouvernement de sa majesté. Lorsque le peuple sera disposé à demander qu'on le soulage, je l'accompagnerai avec le plus grand plaisir ; mais on ne me verra pas faire des complimens, tandis que notre devoir est de demander qu'on nous rende des comptes. Je crains, monsieur, de parler trop haut ; comme en continuant, ce qui n'est en moi qu'un sentiment de liberté, pourrait paraître l'effet de la passion & de l'emportement : je n'en dirai pas davantage, mais j'espère, monsieur l'orateur, que vous vous lèverez vous-même dans toute la force de votre autorité, & que vous vous opposerez à cette dangereuse adresse : ce sera faire honneur à vous-même, à la chambre & à la nation.

C'est ici le cas de rapporter une distinction lumineuse.

« Que ceux qui confondent la dénonciation d'un fait avec la dénonciation des personnes, la délation secrète & l'accusation publique, les plaintes d'un simple citoyen contre un autre citoyen avec l'avis donné dans le sein du corps législatif, l'accusation dirigée par devant les tribunaux ordinaires avec une citation faite dans[p.118]l'assemblée nationale, & dont le seul objet est de provoquer l'action du comité des recherches ; que ceux-là, dis-je, qui confondent ainsi & les tems, & les choses, & les hommes, n'admettent pas mes principes, j'y consens ; mais il n'est aucun de vous qui ne fâche que chez un peuple voisin, qui depuis long-tems a des loix politiques & qui les révère, la dénonciation dans le corps législatif est regardée comme un devoir ; que là, sur cette dénonciation, l'accusé subit un premier jugement, qui décide s'il doit être légalement poursuivi, que s'il l'est, & s'il n'est pas convaincu, l'opinion publique lui tient compte de son innocence, comme au dénonciateur de sa délation. Si l'un s'est justifié, l'autre s'est montré bon citoyen. Le premier n'étoit chargé que de sa propre défense ; le second étoit forcé de veiller à la défense de l'état. Croyez-le, meilleurs, à ce prix seulement les peuples sont libres. Lorsqu'elle est exercée auprès d'un despote, la délation fait horreur ; mais dans l'assemblée nationale, mais au milieu des dangers qui nous environnent, je la regarde comme la plus importante de nos nouvelles vertus ; c'est une arme purement défensive, ou plutôt c'est le palladium de notre liberté naissante. »

[p.119]

 

Proclamation de Sa Majesté, qui ordonne un jour de jeûne général dans toute l'Angleterre, pour implorer la protection divine, par rapport à la guerre d'Amérique.

 

Du premier Janvier 1779.

George Roi,

Nous, prenant dans la plus sérieuse considération les hostilités justes & nécessaires dans lesquelles nous sommes engagés avec le roi français, & la rébellion dénaturée qui se soutient dans quelques-unes de nos provinces &colonies d'Amérique septentrionale ; attendant avec confiance du Dieu tout-puissant, qu'il daignera répandre ses bénédictions spéciales sur nos armes, tant par terre que par mer, avons résolu, & de l'avis de notre Conseil privé, ordonnons par la présente, qu'il sera observé un jour de jeûne public & d'humiliation dans cette partie de la Grande-Bretagne, appellée Angleterre, dans nos-états de Galles, & dans la ville de Berwick sur la Tweed, le mercredi, dix février prochain, afin que nous & notre peuple, nous humiliant[p.120]ainsi devant la Majesté divine, nous puissions en obtenir le pardon de nos péchés, Se faire agréer, de la manière la plus religieuse & la plus solennelle, nos prières & nos supplications au Dieu tout-puissant, le conjurant de détourner de dessus nos têtes les jugemens rigoureux que nos péchés multipliés, & nos prévarications ont justement mérités, à l'effet d'implorer ses bénédictions & son assistance sur nos armes, & d'en obtenir le retour de la paix, sa perpétuité, la sûreté & la prospérité pour nous & pour nos royaumes.

Nous commandons strictement que le jeûne public soit observé avec révérence & dévotion par nos fidèles sujets d'Angleterre, nos états de Galles, & la ville de Berwick fur la Tweed, sous peine de telle punition que nous pourrions justement infliger à ceux qui négligeroient ou dédaigneroient de remplir un devoir si religieux & si nécessaire. Afin que ledit jour soit solemnisé avec plus d'ordre, nous avons donné des instructions aux très-révérends archevêques & aux révérends évêques d'Angleterre, pour qu'ils composent une forme de prière relative à la circonstance, & qu'il soit fait usage de cette prière dans toutes les églises, chapelles & tous les autres lieux consacrés au culte divin ;[p.121]leur recommandant de prendre foin qu'elle soit distribuée à tems dans leurs diocèses respectifs.

Donné à notre Cour de Saint-James, le premier Janvier 1779, dans la dix-neuvième année de notre règne.

Dieu sauve le roi.

Une proclamation pareille ordonne également qu'il soit observé en Écosse un jour de jeûne général, le jeudi 9 février prochain.

 

Réponse de Sa Majesté à l'adresse des Pairs du Parlement d'Irlande.

 

Du 12 Avril 1780.

George Roi,

Sa Majesté reçoit de la plus gracieuse manière, & avec la plus haute satisfaction, l'adresse soumise & loyale qui lui a été présentée de la part des pairs ; c'est avec plaisir que sa majesté s'apperçoit qu'ils expriment dans les termes les plus forts la juste reconnoissance que leur inspirent les mesures salutaires prises pour alléger la misère des sujets de sa majesté en[p.122]Irlande, & les bienfaits qu'ils ont reçus du parlement anglais, assisté du concours unanime de cette nation. Sa majesté reçoit aussi avec la plus grande satisfaction, les assurances que lui donne la chambre des pairs, de faire tout ce qui dépendra d'elle pour entretenir entre les deux royaumes l'union & la bonne intelligence, si nécessaire au bien général de l'un & de l'autre. Mais ce qui mérite sur-tout l'approbation royale de sa majesté, est l'engagement qu'ont pris les pairs de ne rien oublier pour rendre inutiles les efforts que pourraient faire des gens malintentionnés, à l'effet de faire naître des soupçons dans l'esprit de ses sujets, & par-là détacher leur attention des grands avantages qui doivent résulter de la liberté du commerce. La Chambre des pairs peut compter fur la continuation des bonnes grâces & de la protection de sa majesté, ainsi que du soin qu'elle aura toujours de veiller aux véritables intérêts de ses fidèles sujets d'Irlande.

[p.123]

 

Discours du lord North, dans lequel il soutient qu'il y a de l'indécence de fixer à Sa Majesté l'usage & la distribution de la somme accordée par la Nation à la Couronne pour la liste civile. Inconvéniens d'exposer à découvert bien des détails à ce sujet. L'abus des mots est la cause d'une infinité d'imputations faussement hasardées.

 

Du 21 Février 1780.

Il y a de l'indécence de fixer à sa majesté l'usage & la distribution de la somme accordée par la nation à la couronne pour la liste civile. Inconvéniens d'exposer à découvert bien des détails à ce sujet. L'abus des mots est la cause d'une infinité d'imputations faussement hasardées.

Sous le nom de liste civile, on entend une somme accordée par la nation à la couronne, dans la vue d'en soutenir dignement la splendeur. Cette somme est particulièrement appliquée aux besoins ou au service du roi : il a toujours été entendu qu'elle étoit à la disposition exclusive de sa majesté. Je demande si la chambre qui, au nom de la nation, a solemnellement fait[p.124]cette convention avec la couronne, auroit bonne grâce aujourd'hui de prescrire à cette couronne l'usage, la distribution précise de cette somme qui a été accordée sans conditions quelconques. Indépendamment de ce qu'une prétention pareille, directement contraire à l'usage, répugnante aux bienséances, pour ne rien dire de plus, seroit à tous égards, irrégulière & déplacée. Ce qui ajoute encore aux motifs de rejetter la motion nouvelle & sans exemple qui l'autorise, c'est sa parfaite inutilité. A quoi peut-il être bon de déposer sur la table la liste demandée ? Lui-même (sir George Saville) ne prévoit pas, dit-il, l'usage qu'on en peut faire. Quant à moi, je le prévois ; comme il n'est pas au pouvoir de l'opposition de citer tel ou tel abus qui existeroit dans la manière dont les deniers de la liste civile se dépensent, elle seroit bien aise d'éplucher, pour tâcher d'y trouver des abus qu'elle soupçonne, mais dont elle ne peut pas affirmer l'existence.

Au reste, quoique toutes les raisons que je viens d'exposer, & beaucoup d'autres considérations accessoires soient plus que suffisantes pour me déterminer à rejetter en totalité la seconde motion de l'honorable baronnet, je ne ferai cependant point de difficulté, si l'on veut se contenter de l'inspection de l'état général[p.125]des pensions dont la liste civile est chargée, c'est-à-dire, que je produirai in globo le montant de toutes les pensions payées annuellement, soit depuis que le roi mon maître a daigné m'appeller à la place que j'occupe, soit depuis le commencement du règne de sa majesté.

J'ai déjà rendu aux talens de M. Burke, l'hommage qui leur est dû. J'ai donné à son plan de réforme les éloges que mérite un travail immense, dirigé par les vues les plus pures, tendant au plus grand bien de l'état ; je ne pour-rois que me répéter, si je cherchois à renouveller le tribut de respect. que m'imposent, & la vaste étendue de ses lumières, & le zèle patriotique qui a présidé à ses savantes & pénibles recherches ; mais quelque haute que puisse être l'estime que je fais de ses sentimens, quelque pénétré que je sois de la nécessité qui conseille ou ordonne la plus stricte économie dans l'emploi des deniers publics, je ne puis regarder une réforme dans la liste des pensions, comme faisant raisonnablement ou décemment partie d'un système général d'économie : sous quelque point de vue que je l'envisage, je ne vois pas que l'inspection de cette liste puisse remplir aucun des deux objets, qui seuls peuvent la faire désirer : objet d'utilité , en facilitant des retranchemens économiques,[p.126]objet de malignité, en. exposant les serviteurs de la couronne à la censure. Ces deux assertions pourroient être regardées comme hardies; & comme il importe infiniment que je les mette au-dessus de toute réfutation, je regarde comme indispensable de développer à la chambre la nature des pensions, à la charge de la liste civile, & de lui en déclarer le montant actuel.

Ces sortes de pensionssont payées, ou par le trésorier général de sa majesté, ou par rescriptions sur la cause de l'échiquier ; celles qui sont payées à cette dernière caisse, ne sont pas des pensions, à proprement parler, mais des salaires. L'on me demandera pourquoi des salaires purs & simples sont appellés pensions à l'échiquier même ?À cela je répondrai que ce défaut d'exactitude dans les dénonciations, provient du mélange des mots normands & latins, qui, introduits dans tous les papiers de l'échiquier, forment un jargon difficile à entendre, & que dans cette confusion de dialectes, on a appellé pensions, ce que l'on devoit appeller salaires. Par exemple, les salaires ou appointemens annuels du lord chancelier, fixés à cinq mille livres sterlings, sont payés à l'échiquier, sous le titre de pension ; il en est de même de[p.127]ceux du lord Chambellan, dulord Steward (grand-maître d'hôtel) du grand Justicier, des lords chargés de la haute police en Ecosse, & debeaucoup d'autres officiers supérieurs. Tous ces apointemens réunis, montent annuellement à une somme de 17,736 livres 13 schellings 4 pences sterlings. L'échiquier est également chargé sous la dénomination fausse de pensions, d'une somme de 10,989 livres 3 schel. sterlings, payée aux protestants français & à leur clergé ; aux prédicateurs luthériens, au grand aumônier, aux chapelains de Windsor, de Whitehall, au ministre de Newmarket, &c, &c, &c. L'échiquier paie également une somme considérable, pour ce qu'on appelle improprement pensions, & ce qui n'estqu'une continuation de gages conservés aux domestiques des diverses branches de la famille royale, successivement éteintes ; tels que les domestiques de la feue reine Caroline : ceux de la princesse douairière de Galles : cet objet seul monte à plus de 13,000 livres sterlings. Tous ces objets comme l'on voit, enflent prodigieusement ce que l'on appelle indistinctement la liste des pensions. Ce qui se paie à l'échiquier à vrai titre de pensions, ne monte qu'à 1415 livres sterlings distribuées entre les descendans de diverses personnes qui, sous différens règnes,[p.128]ont rendu des services importants à l'état ou au prince ; dans cette dernière classe, sont compris les descendants de la personne qui, dans une occasion particulière, sauva la vie à Charles II ; il en est à-peu-près de même du reste. Les pensions payées par le trésorier-général de sa majesté, montent à 47,532 livres 14 schel. sterlings, qui, ajoutées à la somme ci-dessus payée à l'échiquier, forment en totalité une somme de 61,583 livres sterlings, payées à titre de pensions.

Que voudroit-on savoir de plus ? A quoi pourroient être utiles les détails que je supprime ? A peine la totalité des pensions à payer excède-t-elle de mille livres sterlings la somme assignée par le parlement à cet emploi particulier. Y a-t-il là de quoi se récrier ? Si le montant des pensions excédoit considérablement la somme assignée à leur paiement, il seroit peut-être du devoir du parlement de chercher à réprimer un abus qui contrarieroit les sages dispositions qu'il a faites à cet égard ; mais non-seulement la totalité des pensions à payer, excède à peine la somme assignée par le parlement à cet emploi, la somme effectivement payée ne monte pas, à celle que le parlement a jugée raisonnable, à beaucoup près puisque, vu la retenue de 5 schelings pour liv. (15 pour cent), faite[p.129]fur toutes les pensions au-dessus de 100 livres sterlings, ce qui effectivement payé, ne monte qu'à 45,000 livres sterlings; ensorte que la liste civile se trouve chargée de 15000 livres sterlings de moins que le parlement ne lui passe pour le paiement des pensions.

Après avoir établi ces faits qui ne peuvent être contredits, combien ne dois-je pas être étonné d'entendre les imputations de prodigalité & d'abus, hasardées contre l'administration de la liste civile ? Lorsque ces faits seront publiquement connus, combien ne seront pas étonnés ceux que l'on a engagés à présenter des, pétitions relatives à cet objet, & à d'autres sujets de plaintes également destitués de fondement ? Ils verront enfin à quel point leur religion a été surprise ; mais il y a plus, si les soupçons que l'on a affectés relativement à l'article des pensions, avoient quelque même fondement, la décence seule s'élèveroit avec indignation contre l'idée d'exposer au grand jour les noms des dames & autres personnes que le besoin a réduites à la ressource que la munificence royale ouvre en secret à l'infortune vertueuse ; que l'opposition ôte donc, si elle l'ose, si elle le peut, à la majesté royale, la consolation d'étendre un bras secourable à l'adversité : s'il étoit possible qu'elle réussît dans une entreprise[p.130]fi odieuse, quel seroit le résultat de cette grande opération ? De quelles sommes immenses le public seroit-ii redevable aux vues patriotiques de nos économistes ? Ils épargneroient une somme de 45,000 livres sterlings.

Je propose donc que l'on fasse à la motion de l'honorable baronnet, les amendemens suivans. Premièrement, qu'en demandant une liste des pensions, il soit dit :des pensions payées à l'échiquier, ou par le trésorier général de Sa Majesté. En second lieu, qu'au lieu de demander les noms des personnes qui jouissent des pensions, on se borne à demander en communication, le montant total des pensions annuellement payées depuis 1770, en distinguant le total de chaque année.

 

Extrait de la Réplique de M. Dunning au Discours précédent, ou il demande que l'on produise une liste détaillée de toutes les pensions payées par le Roi, & non pas simplement le montant de ces pensions.

 

Du 20 Février 1780.

J'applaudis sincèrement au noble lord, & je le félicite cordialement sur l'assurance & l'air de triomphe avec lequel il vient de parler : il[p.131]est possible cependant que ce triomphe soit de peu de durée, & que cette victoire ne soit qu'apparente ; car enfin S. S. peut-elle croire de bonne foi que la chambre ignore qu'une réduction opérée sur la liste civile, produira au profit du public, quelque chose de plus qu'une épargne de 45,000 livres sterlings ? La chambre ne sait-elle-pas, le monde entier ignore-t-il, qu'en réformant cette liste, l'essaim de créatures qui environnent le ministère dont elles dépendent, est balayé ? Chacun ne sait-il pas, le noble lord ne pense-t-il pas lui-même, que ce coup de balai diminueroit considérablement l'influence de la couronne ? Que du même coup on détruiroit un monceau d'insectes sous les pas du ministre, au soleil de la corruption ! Personne ne sait mieux tout cela que le noble lord ;& c'est parce qu'il le sait mieux, parce qu'il en est plus persuadé que personne, qu'il refuse la communication qu'on lui demande de cette liste mystérieuse. Il offre de vous donner le montant total des pensions annuellement payées, pourquoi vous marque-t-il cette condescendance ?parce que cette notice est dans les mains de tout le monde, parce que ce n'est pas de ce total que vous avez besoin ; mais la liste détaillée, circonstanciée, la liste qui vous apprendroit à qui ces pensions[p.132]sont payées. Le papier seul enfin qui vous est nécessaire. Si vous croyez une réforme indispensable, il le garde pour lui, il vous en refuse la communication :& de quel subterfuge le noble lord appuie-t-il son refus ? Il vous dit que cette motion est nouvelle & sans exemple. Voici une assertion qui seule démontre la solidité & la vérité des autres : après avoir eu la témérité de l'avancer, que dira le noble lord, si, en ouvrant les journaux de la chambre, je mets sous ses yeux une motion absolument la même, faite en 1710, sous le règne d'Anne, acceptée & mise en exécution le même jour[15].

[p.133]

 

Humble Adresse du Haut-Shérif ou du Grand-Juré du comté de Limerick, tenant leurs Assisses du Printems de l'année 1780, présentée au Roi par le comte de Hilsborough, l'un des secrétaires d'Etat de Sa Majesté.

 

Du 18 Mars 1780.

Très-Gracieux Souverain,

Nous, les très-obéissants & fidèles sujets de votre majesté, le haut-schérif & le grand juré du comté de Limerick, pénétrés de la plus vive reconnoissance, demandons humblement qu'il nous soit permis de remercier sincèrement votre majesté du soin paternel qu'elle a bien voulu prendre dans les circonstances présentes, du commerce & de la prospérité de son royaume d'Irlande.

Si l'attachement inébranlable que nous avons voué à la personne sacrée de votre majesté, à sa famille & à son gouvernement, étoit susceptible d'augmentation, nous aurions trouvé de nouveaux motifs de redoubler de zèle & de fidélité, pour les bontés dont votre majesté vient de nous combler, & auxquelles nous[p.134]devrons l'extension de commerce dont ce royaume pourra tirer de si grands avantages.

Nous ne saurions nous faire sur une autre preuve que votre majesté nous a donnée de son amour paternel, en nommant pour son vice-roi une personne dont l'administration pleine de justice & de désintéressement, lui assure des droits à la reconnoissance de notre postérité la plus reculée.

Qu'il nous soit aussi permis d'ajouter que, tandis que nous ressentons avec la plus vive reconnoissance, les bienfaits que nous tenons de votre majesté, bienfaits qui promettent à ce royaume de nouvelles forces & lui offrent une source intarissable de richesses & de prospérités ; c'est avec la plus grande satisfaction que nous réfléchissons que notre bien-être ne peut que nous mettre plus en état de signaler, les sentimens de zèle & d'affection que nous conserverons toujours pour votre majesté & son gouvernement ;& que cet heureux événement doit également contribuer au bien général de tout l'empire.

[p.135]

 

Discours de sir Fletcher (l'Orateur des Communes) qui seconde la motion proposée :« Que l'influence de la Couronne s'est accrue, s'accroît & doit être diminuée. »

 

Du 6 Avril 1780.

Nous touchons au moment décisif ; il faut ici dire oui ou non, car enfin, il s'agit d'une question de fait, les raisonnements sont superflus, les sophismes inutiles : ou l'influence de la couronne s'est trop accrue ou elle ne s'est pas trop accrue. Dans le premier cas, la conséquence est simple, elle doit être diminuée ; alors la marche est simple encore, on s'occupera des moyens d'opérer cette diminution : il reste à savoir s'il se trouvera uncertain nombre de membres qui luttant contre l'évidence prétendront nier que l'influence de la couronne se soit trop accrue : s'il s'en trouve parmi nous, je les félicite d'avance de l'accueil qu'ils recevront de leurs constituants, lorsqu'ils auront donné à leurs pétitions un démenti formel dans tous les cas ; il résultera de cette motion un très-grand bien, en ce que le peuple saura qui aura voté pour lui ou contre lui.

[p.136]

 

Discours de M. Fox, président du comité de Westminster, après la lecture de quelques résolutions prises dans les assemblées précédentes, adressé aux Francs-Tenanciers & autres personnes de la Cité, au nombre de plus de huit mille.

 

Du 6 Avril 1780.

Messieurs,

Nous nous sommes assemblés ici en conséquence de notre dernier ajournement, pour délibérer sur les mesures qu'il faut prendre pour le bien de la cause commune à laquelle nous avons tous le plus grand intérêt. C'est avec plaisir que je saisis cette occasion de vous donner avis, que notre dernière assemblée n'a pas été tout-à-fait inutile, & qu'il en est résulté des conséquences dont il y a lieu de bien augurer. Quoique l'événement n'ait pas égalé nos espérances, il a du moins servi à nous convaincre de l'importance du poids dont est le peuple dans la chambre des communes. J'ai présenté, messieurs, votre pétition, comme vous m'en aviez requis ;& dès cet instant, on[p.137]a cessé de traiter avec le mépris accoutumé, l'expression du sentiment & du désir de la nation. Cette chambre, messieurs, commença dès-lors à s'appercevoir que votre voix méritoit quelqu'attention, & nous avons gagné sur des ministres pervers & sur leurs partisans, l'avantage de nous voir au-dessus du ridicule & du mépris. C'est ici le beau côté du succès qu'ont eu les efforts que j'ai faits dans votre cause ; je n'ai rien à ajouter de plus ; car quoique votre pétition ait été accueillie avec décence, avec égard, voilà tout ce que nous avons pu obtenir. Ils ont, au moyen de l'influence corrompue & dangereuse que la couronne a usurpée, réussi à rendre inutile en grande partie, l'objet de vos remontrances, & à s'assurer une majorité contre les partisans de l'économie, de la liberté & du bon ordre. Unissons-nous donc dans l'intention sincère & décidée de résister aux efforts insidieux que feront toujours les ministres, pour jetter la division parmi nous, nous réduire au silence, & nous accabler de mépris : je vous ai dit, meilleurs, que le grand objet de votre pétition n'avoit pas été rempli , vous en serez mieux convaincus par le résumé de ce qui s'est passé au parlement, depuis l'instant où j'ai présenté votre pétition. Un membre,[p.138]recommandable par ses talens & son intégrité, (le sieur Burke) a présenté un bill pour régler les dépenses nationales. Cette tentative a réuni en partie, mais les points principaux & un grand nombre de clauses importantes ont été rejettés par l'intrigue & l'influence ordinaire du ministre. Sir George Savile, non moins respectable que le premier, fit une motion tendante à obtenir une liste exacte de ceux qui ont des pensions sur le trésor public ; cette mesure, par la raison qu'elle étoit juste & sage, a été rejetée. Quelque équitable que doive paroître le droit que la nation réclame de connoître l'emploi que l'on fait d'un argent qu'elle paie, une majorité dans la chambre des communes, a donné sa négative dans ces deux occasions, & nié ainsi qu'elle eut ce droit.

Vous pouvez vous rappeller, messieurs, l'état florissant du royaume avant l'avènement du roi actuel au trône : vous savez tous, & vous n'avez que trop de raisons de le savoir, que ce pays est plongé dans l'état le plus déplorable, & qu'il a atteint son plus bas périgée en politique. Il seroit inutile de répéter ces tristes vérités, vous ne les sentez que trop ; mais la cause de ces malheurs ne vous est peut-être pas connue comme à moi, je vais vous l'expliquer, si vous[p.139]le trouvez bon. Peu de personnes de cette nombreuse assemblée se sont mêlées autant que moi des affaires politiques, aussi je crois pouvoir dire, sans être présomptueux, que je suis en état de vous instruire & de vous éclairer sur la vraie source de nos malheurs. Sa majesté a été instruite, par ses mauvais conseillers, de la grande, mais pernicieuse maxime, divide & impera : c'est la devise royale. Pour la réduire en pratique, le ministre a divisé les Colonies & les a séparées de la mère-contrée. Ils ont divisé l'Irlande, & voudraient finir par diviser l'Angleterre pour remplir le but de cette maxime favorite. Ce principe pernicieux, messieurs, doit convaincre tous les corps de l'Etat, de la nécessité où nous sommes de nous tenir étroitement unis : si le ministre réussit à mettre la division parmi nous, ce jour sera pour lui un jour de triomphe, & la nuit le palais de Buckingham, (palais où réside la reine), seroit sans doute illuminé. Veillons donc sur nos propres intérêts. Parmi toutes nos infortunes, j'ai la consolation de pouvoir vous informer que le ministre lui-même a reçu un échec, lorsqu'il a tâché d'introduire la maxime suivante, comme faisant partie de la constitution politique du royaume , que le roi a le même[p.140]droit à l'argent qui lui revient de la liste civile, qu'un particulier à ses revenus & qu'il peut le dépenser de même, sans que le pouvoir législatif puisse faire intervenir son autorité.

Cette doctrine surprenante, en vérité, a été rejettée avec indignation, au point que les plus vils suppôts de la royauté auroient honte d'en faire mention. Que résulteroit-il d'une pareille maxime ? Le roi pourroit alors faire tel usage qu'il lui plairait de son revenu, l'employer même contre l'état, tandis que les deux chambres seraient réduites au silence, & n'oseroient lever le doigt pour arrêter le mal dont elles seroient spectatrices muettes ; mais puisque cette doctrine a été abandonnée, même par ses plus zélés partisans, il seroit inutile de vous expliquer plus au long les malheurs qu'elle auroit entraînés. Le colonel Barré a été le troisième qui ait tâché de vous faire rendre justice, en demandant qu'il vous fût permis de présenter un bill pour nommer des commissaires à l'effet d'examiner l'emploi fait des deniers publics. Ici le ministre voyant qu'il ne gagnerait rien par la force, a eu recours à un stratagème auquel un galant homme n'aurait jamais pensé. Il vint à la chambre, & proposa lui-même de[p.141]nommer une commission pour faire l'enquête nécessaire. Que s'en suivra-t-il ? comme ayant présenté le bill, il aura le droit de spécifier quels en seront les objets, & de choisir les membres du comité. Est-ce là donc le moyen de trouver la vérité ? Le ministre fait bien qu'il lui importe de choisir ; ce seront des personnes absolument à lui. Cette commission sera confiée à des gens qui en tireront un émolument, & qui le devront au particulier même dont ils devront examiner la conduite ; celui qui les paie & sur lequel ils fondent leurs espérances pour l'avenir. Est-il un seul homme parmi vous, messieurs, qui voulût souscrire à une pareille mesure ? Si votre intendant vous eût fait tort, si vous lui disiez que votre intention est de nommer des personnes pour examiner ses comptes, que penseriez-vous, si. au bout de deux ou trois jours, il venoit vous dire qu'il a lui-même nommé ses juges ? Ne le prendriez-vous pas pour un homme aussi fou que fripon ? Le jour où le ministre a ouvert le budjet, c'est-à-dire, celui où vous avez été pillés, je lui demandai si son intention étoit de continuer la guerre en Amérique ? Il ne jugea pas à propos de me répondre & ainsi je ne saurais vous dire rien de satisfaisant à cet égard.[p.142]Je finirai, messieurs, par dire quelque chose sur ce qui me regarde personnellement. Vous m'avez sollicité volontairement pour représentant de Westminster à la prochaine élection ; comme le choix que vous avez bien voulu faire de moi est absolument libre, & sans que j'aie fait la moindre démarche pour obtenir cet honneur, je ne m'étendrai pas sur la conduite que j'ai toujours tenue au parlement, & le parti qu'on m'a vu prendre dans les affaires publiques ; je me contenterai de vous dire que je ferai tous mes efforts pour faire réussir votre pétition dans ces trois points principaux ; savoir, d'établir un plan solide d'économie ; d'augmenter de cent membres le nombre actuel de ceux qui composent le parlement, & de tâcher d'en faire abréger la durée.

[p.143]

 

Discours de M. T. Pitt, dans lequel il appuie le projet d'une Adresse au Roi, proposée par M. Dunning, qui supplie Sa Majesté de ne point proroger la session actuelle pour s'occuper de suite des pétitions du peuple, conformément aux résolutions déjà prises par la Chambre.

 

Du 24 Avril 1780.

En conséquencede ces résolutions, divers comtés ont suspendu leurs démarches ; celui de Cambridge a supprimé son comité, déclarant qu'il s'en rapportoit à la chambre & à la droiture des intentions qu'elle avoit manifestées : que voulez-vous que des gens qui agissent avec cette franchise pensent de votre foi & de votre honneur, si vous violez aujourd'hui les engagemens solemnels que vous avez contractés avec eux ? Voulez-vous les réduire au désespoir ? Voulez-vous éteindre sans ressource le peu de confiance que la nation commençoit de placer dans votre intégrité ? Réfléchissez-y sérieusement. Le sort de l'empire est attaché au sort de la motion actuelle !on peut comparer les mécontentements du peuple à une quantité[p.144]de courants qui réunis tous à un même point, forment bientôt un tout : lorsque vous parlerez de construire des digues, le torrent aura déjà emporté jusqu'aux matériaux nécessaires à sa construction : on impute à quelques membres de l'opposition des vues ambitieuses : je crois que l'on a tort ; quoi qu'il en soit, on a doublement tort si l'on me place dans le nombre des hommes ambitieux. Le repos, la retraite, voilà mon ambition ; voilà les biens dont le soin de ma santé épuisée me recommande la jouissance : je proteste que si dans ces dispositions paisibles, je soutiens les fatigues attachées à la profession d'un membre actif, mon objet, mon unique objet est de contribuer, s'il est possible, au salut de ma patrie qui semble dévouée à sa perte ; de l'arracher à la ruine qui s'approche à grands pas, d'empêcher qu'une seconde guerre civile ne s'allume dans son sein ; de tourner ses armes contre ses ennemis naturels, & de soutenir la guerre dans laquelle elle se trouve engagée, avec cette rigueur décisive qui ne peut naître que de l'unanimité.

[p.145]

 

Discours du Roi au Parlement, dans lequel Sa Majesté lui rend compte des mesures qu'elle a prises pour réprimer les insurrections, & de ses intentions paternelles pour conserver & maintenir tous les droits & libertés de la Nation.

 

Du 25 Avril 1780.

Milords et Messieurs,

Les outrages commis dans différentes parties de cette métropole, par des bandes d'hommes abandonnés & forcenés, ont éclaté avec tant de violence en actes de félonie & de trahison, ont tellement renversé toute autorité civile, ont fait craindre si directement la subversion immédiate de tout pouvoir légal, la destruction de toute propriété, & la confusion dans tous les ordres de l'état, que je me suis vu contraint par tous les liens du devoir, par ceux de l'affection que je porte à mon peuple, de réprimer par-tout ces insurrections tenant de la révolte, & de pourvoir à la sûreté publique, en employant de la manière la plus immédiate & la plus efficace, les forces que le parlement m'a confiées.[p.146]J'ai ordonné que l'on mît sous vos yeux copie des proclamations publiées à cette occasion ; on a donné les ordres nécessaires pour que le procès fut fait le plus promptement possible aux auteurs & fauteurs de ces insurrections, ainsi qu'à ceux qui ont personnellement commis ces actes criminels, afin qu'ils soient punis ainsi que les loix de leur pays le prescrivent, & la justice publique l'exigent.

Il n'est pas nécessaire (mais dans ce moment-ci je crois convenable) de vous renouveller l'assurance solemnelle que mon objet unique est de prendre, pour la règle & la mesure de ma conduite, les loix de ce royaume, & les principes de notre excellente constitution à l'égard, soit de l'église, soit de l'état, & que je regarderai toujours comme le premier devoir du trône, comme la plus haute gloire de mon règne, le soin de conserver & maintenir la religion établie dans mes royaumes, d'assurer & perpétuer, autant qu'il sera en mon pouvoir, les droits & les libertés de mon peuple.

[p.147]

 

M. Burke venait de faire une motion tendante à supprimer les places de Maîtres de la garde-robe, de la grande garde-robe du Roi & toutes les autres places dépendantes de ces deux premières ; comme par une infinité de petites attaques, & de jeux de mots en jeux de mots, on s'éloignait infiniment de la question, le général Conway y ramène la Chambre, prouve la nécessité d'une réforme dans les finances, & à ce sujet fait un beau parallèle de celles du Roi de France (Louis XVI) & de la conduite de ses Ministres, avec l'administration Anglaise.

 

Du 28 Avril 1780.

Revenons sur nos pas, recueillons nos esprits, & voyons de quoi il s'agit : ce comité est assemblé pour prendre en considération diverses clauses faisant partie d'un bill fondé sur un plan général d'économie ; la voix du peuple s'est fait entendre, il n'a qu'un cri pour l'économie : cette chambre, sans distinction de parti, est convenue dès long-tems qu'il faut substituer un système d'économie à un système de dissipation : en un mot, la nation entière.[p.148]unanime à cet égard, est entrée avec la France dans un nouveau genre de guerre. C'est une guerre de finances que nous avons à soutenir contre nos ennemis ; l'issue de cette guerre doit être nécessairement notre ruine ou la leur : or, je crains bien que nous ne nous y prenions un peu tard ; la France a de l'avance sur nous, nous ne pouvons courir que sur ses traces en jouant le rôle d'imitateurs : quel trajet il nous reste à faire ? Quel espace immense à parcourir avant que nous puissions même découvrir de loin le but auquel elle touche peu s'en faut ?

Ici le général Conway lut à la Chambre la traduction de quelques-uns de ces préambules touchans qui immortaliseront les édits de Louis XVI, sa sagesse personnelle, & celle de ses ministres ; il représenta le jeune prince, successeur & émule du bon, du grand Henri, parlant à ses sujets comme un père parle à ses enfans, leur exposant la situation dans laquelle il a trouvé sa famille lors de son avènement au trône, les faisant jouir, pour ainsi dire, par anticipation des fruits de sa sagesse, en leur communiquant ses vues d'économie & de réforme.

Louis XVI, continua le général, a succédé à un prince dont le règne a été une chaîne non-interrompue de dissipation & de prodigalité ;[p.149]il a senti que l'économie étoit le seul remède qui pût être efficacement appliqué à un mal qui, tirant déjà sur la consomption, conduisoit à pas lents vers sa dissolution le corps politique de l'état. Pénétré de cette vérité, ce roi patriote a tourné toutes ses vues du côté de l'économie ; affermi dans son destin par de sages conseils, inébranlable dans sa résolution, il a eu la force d'exécuter le projet qu'il avoit eu la grandeur d'âme de concevoir. Un peuple heureux en recueille déjà les fruits. Une marine créée, une guerre dispendieuse à soutenir, des dépenses immenses en tous genres Louis XVI pourvoie à tout, & ses sujets n'ont pas encore payé un denier de taxe extraordinaire ; tandis que nous, pour suppléer à une partie de ces mêmes besoins, nous avons déjà augmenté de quarante millions sterlings, la masse des intérêts annuels que nous payons, tandis que pour assurer le paiement de ces quarante millions, nous avons été obligés de recourir à une infinité de taxes aussi onéreuses que nouvelles. Comment ce roipatriote s'y est-il pris pour détourner de ses sujets le poids qui nous accable ? Il a entr'autres opérations économiques, considérablement retranché des dépenses de sa maison, il a sacrifié en grande[p.150]partie la vaine pompe de sa cour, à la satisfaction de soulager ses sujets. Oserons-nous comparer cette cour à la nôtre ? Hélas ! si nous hasardons la comparaison, sous quel point de vue différent n'envisagerons-nous pas les ministres de la Grande-Bretagne & ceux de la France ? Combien les ministres Français n'ont-ils pas acquis de droits à la vénération, à la confiance, à la bénédiction des peuples, en donnant à leur maître les avis salutaires si favorablement recueillis, si heureusement suivis ? Combien les ministres Anglais, éclipsés par le mérite, par la gloire des premiers, ne sont-ils pas blâmables, pour avoir négligé de donner à leur prince ces avis salutaires dont dépend le destin des empires » ?

[p.151]

 

Extrait de quelques débats parlementaires entre lord North, le général Conway & M. Dunning, par rapport au discours précédent, lord North les termine par une réplique motivée à ce même discours, dans laquelle il détruit la comparaison établie par M. Burke entre les finances du Roi de France & celles du Roi d'Angleterre.

 

Du 28 Avril 1780.

Si ce parallèle étoit mortifiant en général pour le ministère Anglais, il étoit de nature à déplaire plus particulièrement encore à lord North qu'a ses collègues, parce qu'étant ministre des finances, le désavantage du contraire tomboit plus directement sur lui : aussi ne fut-il pas maître de son premier mouvement ;& se levant avec beaucoup d'émotion, & quelque chose de plus que de la chaleur, il prit soin (dit la phrase anglaise) de cacher le ministre derrière le souverain ; il parut ne voir que la gloire du roi compromise dans le parallèle, & dit :

« Que lorsqu'il s'agissoit de patriotisme, d'affection paternelle, & de toutes les vertus qui[p.152]illustrent, & l'homme & le prince, le roi son maître ne le cédoit à aucun monarque, à aucun souverain de la terre ».

Le général Conway indigné, appella le noble lord à l'ordre, en observant à la chambre qu'il n'avoit point établi de comparaison entre les rois d'Angleterre & de France, mais entre les ministres de France & d'Angleterre.

« Les premiers, continua-t-il, n'ont visiblement en vue que la gloire de leur souverain & le bien de son peuple, tandis que les seconds marquent une indifférence parfaite pour l'honneur de leur maître, pour le bien-être des sujets : je sais que le roi que je sers ne le cède en vertu à aucun prince de la terre, mais je ne souffrirai pas que la vertu du maître soit un écran qui dérobe à l'œil du peuple la folie & l'incapacité des serviteurs ».

Lord North se défendit mal, en cherchant à prouver qu'en parlant comme il venoit de le faire, il n'avoit eu d'autre intention que celle de rendre au roi la justice qui lui étoit due.

« En ce cas, lui répondit M. Dunning, votre intention étoit hors de propos, infiniment déplacée parce que vous devez savoir que la chambre des communes n'est pas la tribune où se prononcent les panégyriques du souverain dont[p.153]nous connoissons & apprécions les vertus, & dont vous n'avez parlé que pour exercer ici l'influence de son nom ».

Après avoir répondu à diverses objections relatives au fond de la question, lord North entreprit de réfuter les assertions diverses contenues dans le parallèle qui lui tenoit tant à cœur… « Un honorable membre, disoit-il, s'est donné la peine de nous lire quantité de préambules d'édits émanés du cabinet de Versailles ;& parce que ces productions sont généralement de nature à faire honneur aux talens de leurs auteurs, il en conclut que les finances de la France sont dans le meilleur état possible. Cette conclusion me paroît un peu forcée. Je ne vois dans un édit quelconque, que l'exposition d'un dessein, d'un plan plus ou moins avantageux ; mais tant qu'il n'a pas été mis en exécution, je ne puis juger de son effet. Je conviendrai que ces préambules, productions admirables de très-habiles gens, sont généralement conçus en termes infiniment séduisans, infiniment étudiés, destinés à produire sur le peuple l'effet que l'on veut qu'ils produisent : je ferai plus, je conviendrai à l'égard des finances de la France, qu'elles sont entre les mains d'un homme très-habile (M. Necker), très-intègre,[p.154]dont les talens & le mérite ont des droits aux plus grands éloges ; mais résultoit-il de tout cela que tout est bien en France, & que tout est mal en Angleterre ? Est-il quelqu'un dans cette chambre qui puisse dire précisément en quel état sont les finances de la France ? Cependant lorsque l'on veut comparer deux choses, il faudrait commencer par en constater la nature précise ; il faudrait aussi que ces deux choses fussent susceptibles de comparaison. Or, rien n'en est moins susceptible que la maison du roi de France, & la liste civile du roi d'Angleterre, les fonds assignés à la première excèdent, mais infiniment de beaucoup, ceux de la seconde ; les fonds de la première sont entièrement appliqués à leur objet distinct, tandis qu'il faut tirer des fonds de la seconde les appointemens des ambassadeurs & une infinité de sommes diverses, employées à des usages publics : en général, il n'est pas possible de comparer, à aucun égard, les finances des deux royaumes parce que leur constitution diffère autant en ce point que dans le système de législation. S'agit-il ici de faire un emprunt ; pour en assigner les fonds, le ministre n'a de ressource que celle d'une taxe spécifique, Il n'en est pas de même en France, le ministre peut[p.155]anticiper sur les ressources à venir. Le système de monarchie absolue lui fournit des expédiens inconnus dans une monarchie limitée ; c'est. un des avantages particuliers du gouvernement absolu. En poussant la comparaison (que je crois avoir démontrée inadmissible), on fait sonner bien haut la réforme opérée dans la maison du roi de France, & les opérations économiques qui se sont récemment succédées dans cette monarchie : certainement où règne l'abondance, il est aisé de mettre l'économie en pratique. Le roi de France a trois fois au moins le revenu du roi d'Angleterre, il a pu, sans se gêner, renoncer à un tiers de ce revenu, & se trouver encore deux fois plus riche que le roi d'Angleterre. Si le roi d'Angleterre étoit aussi riche que le premier, & si dans le sein d'une abondance égale, il n'économisoit rien, on auroit moins mauvaise grâce à blâmer ses ministres, de ce qu'ils ne lui donneraient pas de meilleurs avis. Au reste, quelque bornée que soit ici la liste civile, il ne faut pas croire qu'elle soit administrée sans économie. Le roi a fait au public des avances considérables qui l'ont nécessairement arriéré ; mais lorsque ces avances rentreront, on se retrouvera au pair, & j'ai la satisfaction d'annoncer que la liste civile est en[p.156]général en si bon ordre que lorsqu'il s'agira d'établir la maison du prince de Galles, il y sera pourvu de ses propres fonds, sans solliciter l'assistance du parlement.

Henri Seymour Conway, militaire & administrateur ; c'est-à-dire, membre du parlement, se fit dans cette place autant d'ennemis qu'il en falloit pour perdre son régiment. Le lord Dewonshyre lui légua à sa mort cinq mille livres sterling, comme une espèce de dédommagement des places qu'il avoit perdues, & comme une marque de l'estime qu'il avoit pour son intégrité & pour ses vertus. Il fut nommé en mil sept cent soixante-cinq, secrétaire d'état pendant l'administration du marquis de Rockingham, & l'année suivante il soutint avec beaucoup d'honneur la révolution du bill, qui obligeoit les Américains à se servir de papier timbré, ce qui étoit alors la cause de tant de troubles dans les Colonies, mais cette révocation y ramena, au moins pour un temps, la tranquillité passée.

Dans la fuite il quitta une place de secrétaire d'état pour celle de lieutenant général d'artillerie, & finit par être gouverneur de Jersey. La voie de conciliation fut le principe dont[p.157]il ne s'éloigna jamais ; en 1780, il propose un bill qui ne tendoit qu'au retour de la paix, mais le parlement crut devoir le rejetter. Ce n'étoit ni esprit de parti, ni vues particulières, ses intentions étoient pures & ses idées saines. Qui voudra s'en convaincre, n'a qu'à écouter M. Burke en plein parlement.

« Je me rappelle, dit-il encore avec plaisir, la situation de cet homme célèbre (le général Conway) qui soutint avec tant de fermeté la proposition de révoquer le bill, concernant les Colonies. Lorsque dans ces tems de crise, les intérêts & le commerce de cet empire attendoient sous ces portiques de retrouver dans vos résolutions leur ancienne splendeur & le retour de la lumière, qui, après de longues ténèbres devoit les éclairer, & raffermir le bonheur national. Lorsqu'enfin vous vous déterminâtes en leur faveur, & que les portes s'ouvrant offrirent aux yeux du public, celui qu'il considéroit comme son libérateur. Le peuple se pressa autour de lui & le força à entendre les expressions & les transports de la reconnoissance, qu'il venoit de mériter avec tant d'honneur : il s'environnoit avec cette joie pure & sensible qu'éprouvent des enfans au retour d'un bon père, & celle qu'éprouvent des esclaves auprès de leur[p.158]libérateur. Toute l'Angleterre & l'Amérique se joignirent pour l'applaudir ; il ne parut point insensible à la plus grande récompense qu'un homme peut obtenir pour ses vertus, l'amour & l'admiration de ses compatriotes. J'ignore ce qu'un autre auroit senti dans une pareille situation ; mais je sais que je ne l'aurois pas changée pour tout ce qu'un grand roi auroit pu m'offrir.

C'est cet homme estimable qui en 1782 proposa au parlement de mettre fin à la guerre. Son opinion prévalut ; depuis il a été regardé comme médiateur entre l'Angleterre & les États-Unis.

Un homme sage, pur, expérimenté a seul défillé les yeux de sa nation, & plus fait que cinq ans de malheurs instructifs. On cite toujours les Démosthènes, & pourquoi pas les Scipions ? Les vertus valent mieux que les talens.

[p.159]

 

Proclamation de Sa Majesté qui promet une récompense de cent livres sterlings à chacun de ceux qui découvriront & dénonceront les auteurs des émeutes populaires.

 

Du 21 Juin 1780.

George Roi,

Informé que les derniers troubles & tumultes qui ont infesté cette métropole & ses environs, ont été supportés & encouragés par des sommes d'argent ou autres récompenses, promises & distribuées à ceux qui y ont eu part; que l'on a fait usage de cloches, de pavillons & autres signaux durant lesdits troubles & tumultes, pour diriger les factieux dans leurs actes & procédés criminels ;& afin d'avertir des tentatives ou des préparatifs faits pour s'y opposer, pour les arrêter & les anéantir : en conséquence, ayant le tout mûrement considéré, & de l'avis de notre conseil-privé, afin de découvrir & d'amener à justice lesdits coupables, il nous a plu gracieusement de promettre, que si aucun particulier découvre ceux qui, par eux-mêmes ou par leurs agens, ont donné,[p.160]offert, ou promis de donner argent, ou autre récompense pour prendre part auxdits tumultes, &c ; que s'il fait connoître ceux qui ont fait usage de cloches, étendards ou autres marques & signaux pour diriger les insurgens, &c ; de manière que les déliquans puissent avoir leur procès fait, le délateur, après la conviction desdites personnes, recevra pour récompense la somme de cent livres sterlings ;& les commissaires chargés d'exécuter l'emploi de notre échiquier, sont par ces présentes requis de faire ledit paiement en conséquence.

Donné en notre Cour de Saint-James, le 21 Juin 1780, la vingtième année de notre règne.

Dieu sauve le Roi.

[p.161]

 

Humble Adresse à Sa Majesté, des très-honorables les Seigneurs spirituels & temporels assemblés en Parlement pour la remercier de son très-gracieux Discours émané du Trône par rapport à la cessation des dernières émeutes élevées par un nombre de fanatiques.

 

Du 26 Juin 1780.

Très-gracieux Souverain,

Nous les sujets très-fidèles & très-soumis de votre majesté, les seigneurs spirituels & temporels assemblés en parlement, demandons qu'il nous soit permis de faire nos très-humbles remerciments à votre majesté du très-gracieux discours qu'elle a prononcé de son trône.

Nous nous sentons pénétrés de détestation & d'horreur pour les outrages commis dans différentes parties de cette métropole, par une bande d'hommes abandonnés & forcenés ; outrages qui ont dégénéré avec tant de violence, en des actes tenant de la trahison & de la félonie, & qui annonçoient si directement une subversion immédiate & totale de l'autorité civile, la ruine des particuliers , & la confusion de tous les ordres de[p.162]l'état, qu'ils exigeoient l'interposition la plus prompte & la plus efficace des forces confiées par la loi à votre majesté.

Qu'il nous soit permis de témoigner à votre majesté la très-vive reconnoissance que nous inspirent le soin paternel & l'attention qu'elle a marqués pour la protection de ses sujets, lesquels se sont manifestés par les mesures que votre prudence a su ordonner dans cette nécessité urgente, pour mettre fin par tout à ces émeutes séditieuses, & pourvoir à la sûreté générale par le prompt rétablissement de la tranquillité publique.

Nous remercions votre majesté d'avoir bien voulu donner communication à cette chambre des proclamations publiées dans cette conjonction alarmante.

Nous apprenons avec satisfaction, qu'on a donné les ordres nécessaires pour faire instruire sans délai le procès des criminels, & pour les punir ainsi que la loi le prescrit, & que la justice publique l'exige.

Quoique la conduite uniforme de votre majesté ne rendît point nécessaire le renouvellement de vos gracieuses assurances à votre parlement, cependant la manière dont elles nous ont été communiquées, nous fait ressentir les plus vives émotions d'affection & de reconnoissance.[p.163]Une pareille déclaration des principes de justice & de sagesse, qui sont la règle de votre majesté, doit la rendre de plus en plus chère à tous ses sujets, & lui assurer, de leur part, la confiance la plus entière, ainsi que le zèle & l'attachement les plus illimités.

 

Discours très-gracieux de Sa Majesté aux deux Chambres du Parlement, avant de le proroger.

 

Du 28 Juillet 1780.

Mylords et Messieurs,

C'est avec une grande satisfaction que je me vois en état de mettre un terme à cette longue cession du parlement, afin que vous puissiez retourner à vos résidences respectives, & vous occuper de vos affaires particulières, après avoir si laborieusement rempli vos devoirs relatifs au service public : je saisis cette occasion d'exprimer ma reconnoissance sincère à raison des preuves nouvelles que vous m'avez données de votre affection, de votre zèle & de la justesse avec laquelle vous distinguez les intérêts réels & permanens de votre pays.[p.164]Votre magnanimité, votre persévérance dans la poursuite de cette guerre juste & nécessaire, m'ont mis en état de développer des efforts capables, j'espère, avec l'aide de la divine providence, de déconcerter les desseins violens & injustes de mes ennemis, & de les amener à se prêter aux termes équitables d'une honorable paix.

Le développement de ces efforts a été accompagné de succès sur mer & sur terre :& la tournure prospère & importante que les affaires ont récemment prises dans l'Amérique septentrionale, offre, dans la plus belle perspective, le retour de la loyauté & de l'affection de mes sujets des Colonies, ainsi que leur heureuse réunion avec leur mère-contrée.

Messieurs de la Chambre des Communes,

Je me sens dans l'obligation particulière de vous remercier des subsides amples & considérables que vous avez votés de si bonne grâce, & de la confiance que vous reposez en moi : aucun genre d'attention ne sera épargné de ma part, pour que ces subsides soient efficaces & fidèlement appliqués à leur objet.

Mylords & Messieurs,

Trouvez bon que je vous recommande instamment[p.165]de m'aider, par votre influence & votre autorité dans vos comtés respectifs, comme vous l'avez fait en parlement par votre appui unanime, à mettre à l'abri des troubles à venir la paix du royaume, & à veiller au maintien de la sûreté publique ; faites sentir à mon peuple le bonheur dont il jouit, les avantages distingués qu'il retire de notre excellente constitution, soit en matières religieuses, soit en matières d'état ; prémunissez-le contre le danger de l'innovation ; faites-lui envisager les conséquences funestes de commotions pareilles à celles qui ont été récemment excitées ; ayez soin d'imprimer dans les esprits cette vérité importante, que toutes insurrections rebelles dont l'objet est de résister aux loix, ou de les réformer doivent nécessairement finir par la destruction des personnes qui osent faire de pareilles tentatives, ou par la subversion de notre libre & heureuse constitution.

Alors le lord Chancelier, par ordre de Sa Majesté, dit :

Mylords & Messieurs,

La volonté & le bon plaisir du roi, font que ce parlement soit prorogé au Jeudi 24 Août prochain, pour être tenu alors ; en conséquence ce parlement est prorogé au Jeudi 24 Août prochain.[p.166]

 

Proclamation de Sa Majesté qui dissout le Parlement prorogé au Jeudi 28 Septembre, & qui annonce la convocation d'un nouveau Parlement.

 

Du premier Septembre 1780.

George Roi,

Attendu que de l'avis de notre conseil-privé, nous avons jugé convenable de dissoudre le parlement, actuellement prorogé au Jeudi 28 Septembre courant ; à cet effet, nous publions cette proclamation royale, & dissolvons en conséquence, par la présente, ledit parlement: les lords spirituels & temporels, les chevaliers citoyens & bourgeois, les commissaires pour les comtés & bourgs, de la chambre des communes, sont dispensés de s'assembler ledit Jeudi 28 Septembre courant. Au reste, désirant & voulant assembler notre peuple le plutôt possible, & prendre son avis en parlement, nous faisons connoître par la présente à tous nos amés sujets, notre volonté & bon plaisir royal, de convoquer un nouveau parlement ; nous déclarons de plus, par la présente, que, de l'avis[p.167]de notre conseil privé, nous avons aujourd'hui donné ordre à notre chancelier de Grande-Bretagne de faire distribuer des lettres circulaires en la forme due, pour convoquer un nouveau parlement, lesquelles lettres porteront date du 2 Septembre courant, pour le rapport en être fait le Mardi 31 Octobre suivant.

Donné à notre cour de Saint-James, le premier Septembre 1780, dans la vingtième année de notre règne.

Dieu sauve le roi.

Cette proclamation est accompagnée d'une autre, dont l'objet est d'ordonner l'élection des seize pairs Écossois vient ensuite un ordre du roi en son conseil, en vertu duquel les convocations respectives de Cantorbery & d'York seroient dissoutes, si elles existoient en réalité ; mais comme elles n'existent que de nom, leur dissolution est de pure forme : au reste, on entend par convocation une assemblée du clergé, divisée comme le parlement en chambre haute & en chambre basse ; la première composée des archevêques & évêques ; la seconde de députés qui représentent le reste du clergé. Il est souvent faitmention dans l'histoire de ces convocations, dont l'origine remonte au règne[p.168]d'Edward I ; mais depuis que le clergé a renoncé au droit de se taxer lui-même, & ne prend plus la peine de faire des canons, ses assemblées sont devenues inutiles, & l'on ne conçoit guère pourquoi l'usage de les convoquer subsiste encore.

[p.169]

 

Troisième section. Du Parlement d’Angleterre.

 

Discours de l'Évêque de Bangor, sur le Bill pour prévenir les moyens de corrompre les Électeurs des Membres du Parlement, Il s'oppose à ce Bill, parce qu'en aggrandissant le pouvoir de la Chambre des Communes, il tend à rompre l'équilibre nécessaire entre les trois puissances.

 

Du 21 Janvier 1731.

Quoique le bill dont il s'agit ne semble être au premier coup-d’œil qu'un bill d'abnégation de soi-même[16] ; qu'il ne se montre pas autrement à plusieurs membres du parlement regardés comme particuliers, & que réellement il soit dans le fait ce qu'il paroît être ; je soupçonne cependant que la chambre des[p.170]communes considérée comme corps, trouvera dans cet acte un agrandissement considérable de pouvoir. Or tout ce qui tend à rompre l'équilibre nécessaire entre les puissances essentielles de notre constitution, doit tôt ou tard la ruiner toute entière ;& il est aussi contraire à cette constitution de voir la chambre des communes, ou celles des pairs indépendante, que de voir le roi s'emparer d'une autorité arbitraire & absolue. Tout bon Anglais attaché à la liberté & aux loix de son pays, ne désirera pas plus l'un que l'autre. Qu'on punisse donc la corruption, qui à force d'argent travaille sourdement contre l'état ; mais sans donner ainsi autant de prépondérance à une des trois puissances de notre constitution, & de manière à rendre l'une capable de subjuguer les deux autres.

On n'a pas même soupçonné cette première législature d'avoir cédé à aucun appas de corruption ; il y a même une justice à placer ici un éloge bien mérité. On a porté des remercimens au roi, divers particuliers ont obtenu l'hommage de la nation, l'assemblée seule n'a point excité son enthousiasme ; cependant abandonner sa famille, ses affaires domestiques, venir exposer peut-être ses jours, & du moins les passer dans[p.171]un travail continu & pénible, c'est faire œuvre de citoyen, c'est acquérir des droits incontestables à la reconnoissance des hommes, si les hommes en masse pouvoient adopter le sentiment ; quelque soit le zèle de ses soumissions, cette législature aura toujours eu le rare courage d'avoir commencé, la destruction des grands abus , & développé de grandes idées.

 

Discours de M. William Pulteney. Invitation aux Membres de la Chambre de montrer plus de respect pour les anciens usages& pour la dignité du Parlement. Abus &bassesse dans l'énoncé des dernières Adresses au Trône. Les complimens ridicules & forcés ne peuvent qu’insulter Sa Majesté. La forme d'une motion qui n’aura point ces défauts.

 

Du 27 Janvier 1735.

Monsieur l’Orateur,

Comme c'est ici un nouveau parlement, j'espère que nous commencerons par montrer plus de respect: pour les anciens usages& pour la dignité des parlemens, qu'on ne l’a fait les années dernières. Dans les premiers tems[p.172]les adresses de cette chambre en remerciment du discours de sa majesté, émané du trône, étoient toujours conçues dans les termes les plus généraux. Nos ancêtres n'auraient jamais voulu condescendre à entrer dans aucun détail particulier concernant le discours de sa majesté. Quand ils approchoient le roi pour lui faire hommage de leur affection & de leur fidélité, ils auroient regardé comme contraire à cette même fidélité dont ils venoient l'assurer, d'approuver, dans cette occasion, les mesures du ministère ;& ce qui est plus, de lui témoigner leur satisfaction, de telles mesures qu'ils connoissoient à peine.

Oui, monsieur, les membres de cette chambre sont les commissaires d'office établis par la nation, pour s'instruire avec soin, & pour présenter ensuite au roi tous les sujets de plaintes du peuple, ainsi que les crimes & les malversations des serviteurs de sa majesté. Ce seroit donc manquer à notre fidélité envers le souverain, & à notre devoir envers la nation, d'approuver aveuglément la conduite de ses serviteurs. Mais quand nous avons mis toute l'attention nécessaire à examiner la conduite d'un ministre, lorsqu'après en avoir délibéré, nous avons été convaincus qu'il s'est comporté avec prudence, avec sagesse , & pour l'avantage[p.173]du bien public ; alors , notre devoir est de faire une adresse de remercimens au nom du peuple, & de féliciter sa majesté de la fidélité de son ministre ; mais d'aller sans aucun autre examen, faire l'apologie de toutes les opérations ministérielles, c'est plutôt le langage qui convient à des sycophantes & à des esclaves du premier ministre, que le discours plein de franchise d'un loyal & fidèle sujet envers son souverain.

Je dois avouer, monsieur, que la présente motion pour le projet d'une adresse à sa majesté, est plus générale & plus conforme aux anciens usages du parlement, que la plupart de celles que j'ai encore entendues depuis que j'ai l'honneur d'être membre de cette chambre. Mais je voudrois qu'on ne pût pas dire à cet égard, que cette réserve dans les louanges qu'on a trop prodiguées jusqu'ici, que cette modestie, (qui ne nous est pas ordinaire) ne provient pas de la part du ministre qui propose la motion de la conscience de sa mauvaise administration. Pour l'amour de mon pays, je souhaite de tout mon cœur qu'on puisse l'attribuer à d'excellentes actions, à un mérite supérieur qu'ordinairement accompagne une grande modestie.

Au reste, comme en pareille circonstance,[p.174]j'ai toujours été contre les éloges qui regardent les ministres, & comme l'adresse dont il s'agit, ou du moins comme la plus grande partie de cette adresse, renferme une approbation générale de nos dernières mesures, particulièrement à l'égard de la guerre présente ; mesures dont le plus grand nombre des membres de cette chambre, n'est aucunement instruit, j'ai lieu de le croire, je ne puis y souscrire ;& d'ailleurs, parce que je n'ai point appris à être assez complaisant pour donner ma sanction à ce que je ne connois point, & moins encore à ce que je soupçonne être tout-à-fait mal.

J'eus l'honneur, monsieur, d'être membre de cette chambre dans le dernier parlement, & je me rappelle qu'on y proposa différentes motions pour revoir l'état des affaires étrangères & les dernières transactions. Ces motions me parurent très-sensées, & je pensai qu'il étoit nécessaire de les adopter, avant que la chambre pût accorder les demandes faites à ce sujet ; mais toutes ces belles motions furent sans effet & mises au néant.

J'ai toujours mal auguré des œuvres de ténèbres, & je n'aime point les opérations qui ne peuvent soutenir le grand jour : aussi, est-il à craindre que plusieurs de nos dernières transactions, si elles étoient exposées aux regards[p.175]publics, ne pussent être approuvées de personne.

On nous a long-tems amusé avec de belles espérances de bénéfices, qui dévoient provenir de plusieurs négociations fatiguantes par leur prodigieuse lenteur, & qui ont immensément coûté à l'état ; bénéfices qui devoient augmenter sensiblement. Nous sommes demeurés long-tems dans cette attente ;& quand une de ces négociations a pu être terminée, on nous a dit de prendre patience, & que la prochaine combleroit tous nos désirs. Nous avons eu, en effet, comme on l'avoit exigé, beaucoup de patience ; nous l'avons même portée si loin, que j'appréhende fort aujourd'hui, qu'au lieu de ces bénéfices qui devoient, ou qui sembloient devoir s'accroître, & dont on nous avoit vainement bercés, il ne nous soit resté que des désavantages réels & des dangers imminens : car toute la suite de nos affaires me paroît combinée, & n'avoir d'autre but que de démêler, de dénouer le nœud qui arrête nos négociateurs, très-occupés, très-embarrassés aujourd'hui, & de réparer quelque bévue qui les a conduits à une seconde sottise, pire que la première, & d'une plus grande conséquence.

Oui, monsieur, toutes les dernières négociations ne paroissent pas avoir d'autre objet,[p.176]sinon de nous tirer de quelque mauvais pas où nous a jettés une première fausse démarche ;& nous pourrions nous dire fort heureux, si après avoir employé des sommes énormes, nous pouvions seulement nous retrouver dans notre première situation. Si quelqu'un danscette chambre, peut me montrer, que les dernières opérations ont produit quelque accroissement, ou quelque nouvel avantage, soit dans notre commerce, soit dans les possessions que nous avions acquises, je consens à la présente motion. Mais lorsque je considère les dépenses extraordinaires dans lesquelles la nation a été forcée d'entrer, & les pertes considérables qu'ont essuyé plusieurs de nos négocians, sans aucune satisfaction, sans aucun dédommagement, je ne puis être assez lâche pour en témoigner ma reconnoissance, ni faire éclater mon contentement de la dernière administration, jusqu'à ce que l'on me prouve que ces pertes publiques & particulières ont été, en quelque forte, balancées par des avantages pour la nation.

Par une autre raison, je suis en vérité bien surpris du second article de la présente motion :« De témoigner à sa majesté notre reconnoissance pour ne nous avoir pas trop inconsidérément précipités dans une guerre ruineuse & destructive ». Ce n'est pas là, assurément[p.177]un sujet de la complimenter. Il n'est pas à présumer que sa majesté eut pu faire cette lourde faute : ce n'étoit pas possible ; ou, si la chose l'avoit été, elle auroit certainement causé à la nation un tort considérable. Or, dans le langage ordinaire de la société, lorsque nous remercions un homme, lorsque nous lui témoignons notre reconnoissance pour ne nous avoir pas été fait un tort sensible, n'est-ce pas , par cette manière de s'exprimer, jetter sur sa personne du mépris, & avouer qu'il étoit capable de nous faire beaucoup de mal par sa méchanceté ou par sa foiblesse, ou par son imprudence, que nous avions lieu de nous y attendre ;& lorsque nous avons été trompés dans cette attente, que le dommage n'a pas été aussi considérable que nous devions le craindre, ne disons-nous pas alors, par manière de plaisanterie :« nous devons en vérité, lui en avoir beaucoup d'obligation » !

Si cette partie de la motion ne concernoit que les ministres, sans doute, je la laisserois passer sans aucune observation, & je serois prêt d'y souscrire ; mais comme elle regarde sa majesté, j'espère que ceux qui ont dressé cette motion, auront soin d'y faire des changemens, s'ils veulent y conserver cette article de leur adresse au trône. Cela montre, monsieur,[p.178]combien il est facile de tomber dans des bévues, lorsqu’onse charge de faire des complimens ridicules & forcés.

Afin d'éviter ces excès, je désire donc que nous nous bornions à une adresse générale de remercimens à sa majesté, pour son très gracieux discours émané du trône, qui l'assure de notre affection envers sa personne royale, de notre attachement à son auguste famille, & de notre zèle pour son service.

Au reste, monsieur, comme il est incontestable que rien de ce qui est contenu dans nos adresses ne peut prévenir toute révision ultérieure des choses que la chambre est endroit d'examiner, ni l'empêcher de censurer ce qui, d'après cet examen, mériteroit de l'être, je ne proposerai point de correctif à la première partie de la motion, mais je ferai une remarque, qui d'abord s'offre d'elle-même à tout membre de cette chambre, & à toute personne instruite des affaires publiques, c'est que jusqu'ici, tout le poids de la guerre n'a pesé que sur notre nation, pendant que toutes les autres puissances de l'Europe n'y sont pas encore entrées, pendant qu'elles n'ont pas encore avancé un schelling. Nos propres alliés qui nous doivent des secours, comme il a plu à sa majesté de nous le dire, les Hollandais eux-mêmes, n'ont[p.179]pas supporté la moindre charge de cette guerre. Enfin, puisqu'il nous avoit été dit par sa majesté, que les causes ou les motifs de cette guerre ne nous regardoient point, nous ne devons y prendre part que pour conserver la balance de l'Europe ;& si tous nos alliés ont un égal intérêt à cette guerre, il est juste qu'ils en supportent à proportion une partie des frais. Mais comme ils n'en ont encore rien fait, je pense qu'il nous est indispensable de faire entrer quelques observations à cet égard dans notre adresse à sa majesté. Je propose donc pour cela, un amendement à la première partie de cette adresse, comme il suit :

« Que la chambre donnera des preuves réelles & effectives de son zèle ; qu'elle lèvera volontiers tous les subsides nécessaires à l'honneur & à la sûreté de sa majesté & de ses royaumes ; qu'elle fournira aux frais de la guerre, à proportion des avances qui seront faites par les autres puissances qui doivent des secours, par rapport à cette guerre, & qui n'y sont point encore entrées. Quelques succès enfin que puissent avoir les gracieux efforts de sa majesté pour nous procurer les avantages de la paix & la tranquillité générale de l'Europe ; que toujours la chambre des communes saura la mettre en état d'entreprendre ce que[p.180]demandent la justice, l'honneur & le véritable intérêt de son peuple ».

La différence qui se trouve entre une assemblée nationale & un parlement d'Angleterre, c'est que l'une se représente le roi comme délégué, & l'autre comme puissance. Il y a entre le roi d'Angleterre & son parlement un besoin mutuel, au lieu que l'assemblée nationale seule dicteroit les loix. Pourquoi reviennent-ils si souvent, ces fiers insulaires, sur les expressions trop humbles de leurs adresses ? C'est que le pouvoir royal tend toujours à s'accroître, & il est fort sage de le contenir dans de justes bornes. Mais l'anéantir, obscurcir l'éclat du trône, élever des questions qui conduisent sans cesse à l'extinction de l'autorité, c'est vouloir & ne pas vouloir ; un roi doit être ce que le mot énonce, ou il n'en faut pas. Voilà ce que pensent les Anglais, qui peut-être nous valent bien en matière d'administration.

[p.181]

 

Discours véhément du comte de Carteret. Le devoir du Parlement, sur-tout de la Chambre haute, est de donner au Souverain les avis les plus sincères, lorsqu'ils sont demandés, & lors même que la couronne ne paroît pas les désirer. Son droit est d'avoir une inspection sur les mesures que Sa Majesté est conseillée de suivre, & sur les Ministres qu'elle emploie, & son devoir d'avertir le Souverain de son danger & d'éloigner du trône un Ministre foible ou méchant. Différens moyens parlementaires dont on peut se servir dans cette circonstance. Rien ne peut empêcher le Parlement d'user du droit incontestable qu'il a de présenter une humble Adresse à Sa Majesté, afin que gracieusement il lui plaise d'éloigner de sa présence & de ses conseils sir Robert Walpole, le principal auteur de la situation fâcheuse de l'Europe, & de l'état déplorable ou est réduite la Grande-Bretagne.

 

Du 13 lévrier 1740.

Milords,

J'ai une motion, que par devoir, je crois être obligé de vous présenter, comme très sincèrement[p.182]attaché à notre heureuse constitution, à notre très-gracieux souverain, à mon pays, & comme membre de cette chambre. Cette motion n'est pas sans exemple ; cependant, comme elle est d'une nature extraordinaire, je demande que d'abord il me soit permis de vous exposer pourquoi je la fais, mais j'espère vous en donner de si fortes raisons, qu'il n'y aura pas un lord dans cette chambre qui ne soit décidément porté à y adhérer.

Le droit du parlement, milords, sur tout de cette chambre, est de donner à notre souverain les avis les plus sincères, non-seulement lorsqu'ils sont requis, mais encore lors même que la couronne paroît le désirer moins. Notre devoir, comme membres de cette chambre, nous oblige strictement d'avoir une attentive inspection sur les mesures que sa majesté est conseillée de suivre, & fur les ministres qu'il lui plaît d'employer dans l'administration des affaires de l'état ;& lorsque nous sommes persuadés que les mesures qu'il plaît à sa majesté de poursuivre, sont mauvaises, & que les ministres dont il lui plaît de se servir sont méchans ou foibles, notre devoir, notre affaire, tant que nous sommes dans le parlement, est d'avertir notre souverain de son danger, & d'éloigner du trône ces perfides conseillers.[p.183]Quant aux moyens parlementaires d'éloigner un ministre, je n'ai pas besoin d'instruire vos seigneuries qu'il y en a de différens genres ;& qu'excepté un, tous tendent en l'éloignant, à le punir, lorsqu'on use contre lui de la procédure par împéachement, par le bill d'attainder, ou par le bill des peines & amendes, on veut le punir en l'éloignant. Mais il y a une manière de procéder dans le parlement, qui ne fait qu'éloigner des conseils du roi le ministre, sans ajouter aucune peine contre lui. Ce moyen est une humble adresse à notre souverain, pour que gracieusement il lui plaise d'éloigner un tel homme de ses conseils.

En conséquence, milords, la motion que je propose à vos seigneuries est de leur demander s'il ne seroit pas à propos de présenter une humble adresse à sa majesté, « À, cette fin, que gracieusement il lui plaise d'éloigner à toujours de sa présence & de ses conseils, le très-honorable sir Robert Walpole, chevalier de l'ordre très-noble de la Jarretière, premier commissaire en exercice de la charge de trésorier de l'échiquier, chancelier & sous-trésorier de l'échiquier, & l'un des très honorables membres des conseils-privés de sa majesté ».

Je crois, milords, qu'on ne peut mettre en doute, que les deux chambres du parlement[p.184]ont le droit de donner de tels avis à la couronne, par la voie d'une humble adresse : je crois encore qu'on ne peut pas dire que la chose n'ait pas été pratiquée jusqu'ici, & soit sans exemple : Il ne sera donc pas hors de propos de rappeller, milords, à votre souvenir, quelques-uns de ces exemples qui existent dans les registres du parlement : seulement, je dois faire observer la différence de procéder par l'impeachement, par le bill d'attainder, par le bill des peines & amendes, ou simplement par la voie d'une humble adresse à la couronne.

La première manière de procéder, qui est criminelle, qui doit être juridique, & par serment, exige que l'on produise des preuves des faits ; mais quand il ne s'agit que d'une simple adresse au roi, pour que gracieusement il plaise à sa majesté d'éloigner un ministre de ses conseils, un coup d'œil général sur sa conduite ministérielle, un examen général des affaires de l'état, est un sujet suffisant pour autoriser une pareille adresse ; de même que le bruit commun dans cette circonstance, est suffisant pour en justifier la teneur ; car dès qu'on n'insiste point sur aucun fait particulier, il ne s'agit plus de fournir des preuves particulières.

Voici, milords, la différence de ces procédures, & la raison en est bien simple. Lorsqu'un[p.185]homme doit être puni dans sa personne, dans sa liberté ou dans son état, il ne suffit pas d'alléguer un crime ou une négligence criminelle, il faut appuyer légalement cette accusation de preuves ou de fortes préemptions : mais parce qu'un ministre ne sera plus admis dans les conseils du roi, pour cela, il ne souffrira ni dans sa personne, ni dans sa liberté, ni dans son état ; aussi, son caractère foible ou pervers généralement reconnu, est une vraie cause pour l'éloigner.

Dans tout pays, il est confiant qu'un homme foible est peu propre au ministère ;& celui qui a encouru la haine universelle, ne doit point être continué dans son administration, parce que la haine du peuple peut rejaillir sur le trôné même, & refroidir l'affection des sujets envers leur souverain… Si je puis prouver que les affaires de l'Europe ne sont parvenues à la malheureuse situation où elles se trouvent aujourd'hui, que par la manière dont s'est gouvernée notre nation ; si je puis montrer que l'état déplorable dans lequel est tombée notre nation, vient uniquement de cette conduite, ces argumens doivent nécessairement convaincre tout lord qui m'écoute, que ce ministre a été, sinon le seul agent, au moins la principale cause de tout ces malheurs. Si le[p.186]peuple est généralement mécontent du maniement des affaires publiques, & si ce mécontentement universel est uniquement dirigé contre un seul homme dans l'administration ; comme notre gouvernement est toujours, (je l'espère,) un gouvernement populaire, cela seul suffit à cette chambre, pour faire connoître à sa majesté le caractère de son ministre, par une humble adresse qui tende à l'éloigner de ses conseils. Si entre ses ministres, il y en a un qui ait usurpé ou qui passe généralement pour avoir usurpé le seul pouvoir de conduire les affaires de l'état, de disposer de tout, des honneurs, des postes, des places & emplois, notre devoir est de faire une adresse à sa majesté, pour éloigner ce ministre, parce qu'un homme de cette trempe, est incompatible avec la constitution de notre gouvernement.

Il ne s'agit point aujourd'hui, milords, de perdre le tems à examiner en quoi domine le caractère du ministre ;& si dans sa mauvaise administration, il est coupable ou de foiblesse, ou de perversité ; car l'une ou l'autre est un sujet suffisant de l'éloigner. Mais je dois observer ici, que jusqu'à ce qu'il soit disgracié, il est impossible de donner des preuves manifestes de l'une ou de l'autre imputation ; car les ministres artificieux se fervent toujours d'instrumens,[p.187]de sous-agents, qui tant que leur protecteur a la suprême puissance, se gardent bien de révéler les secrets pernicieux qui leur ont été confiés dans leur poste. Mais comme des confidens de cette espèce, sont rarement fidèles plus long-tems que leur propre intérêt l'exige ; éloignez le ministre, ôtez-lui les moyens de récompenser la coupable fidélité de ses coopérateurs, & l'histoire secrète de ses basses intrigues commencera bientôt à se découvrir d'elle-même, & à devenir publique par des preuves légales.

Supposez que le roi ait été conseillé par le principal ministre de garder une confiante alliance & amitié avec l'ennemi & le rival le plus invétéré & le plus redoutable de la nation ;& que pour cette alliance, ce ministre ait indignement manqué à l'intérêt & à l'amitié de nos alliés les plus naturels & les plus anciens : tant que le ministre sera en place, on rejettera cette faute sur sa foiblesse ou bien sur son ignorance des vrais intérêts de son pays, mais éloignez-le de la présence & des conseils du roi, on saura que c'est ici perfidie ; il sera évident que les ennemis de la Grande-Bretagne l'auront corrompu, ou que sciemment & méchamment, il aura sacrifié à des vues particulières & personnelles[p.188]le bonheur de sa patrie. S'il a employé quelqu'un dans ses négociations de corruption ; s'il s'est jamais livré dans la société avec des amis, jusqu'à leur faire connoître les motifs de sa coupable administration, & les raisons qu'il aura eues de mal conseiller son souverain, quelques-uns de ces confidens par un motif d'intérêt, ou par un mouvement de conscience, seront portés à tout révéler, dès qu'il n'y aura plus de danger de le faire ; mais tant que seul, il jouit de l'oreille du souverain, ce ne peut être l'avantage de personne, d'accuser le premier ministre. Il seroit trop dangereux pour tout particulier de l'oser, parce que le pouvoir de la couronne seroit mis en œuvre pour en détruire la croyance, comme pour en prévenir l'effet :& conséquemment, le châtiment tomberait sans doute, non pas sur le ministre coupable & criminel, mais sur l'honnête & courageux dénonciateur.

On peut compter sur une administration pure dans un pays où l'on attaque impunément l'habileté d'un ministre ; mais lorsqu'on sera réputé séditieux, dénonciateur, mauvais citoyen, parce qu'on inculpera les gens en place, si loin[p.189]de vous récompenser, on pense beaucoup faire que de vous laisser une liberté, souvent menacée, il n'y aura jamais d'administration. Le plan de M. Necker, lu à l'assemblée le 14, a été frondé dans tous les clubes, dans toutes les sociétés ; au lieu de ces puériles censures pourquoi ne pas démontrer hautement dans un écrit bien raisonné le vice de ce plan ? C'est un si honnête homme ! personne n'en doute ; mais un homme honnête accablé de chagrin & de préjugés se trompe comme un autre. Son honnêteté est pour lui, ses erreurs sont contre les autres.

[p.190]

 

Discours éloquent du comte de Chesterfield sur le projet d'un Bill contre les moyens de corrompre la Chambre des Communes par rapport aux Membres de cette Chambre qui reçoivent des pensions secrettes de la Couronne.

 

Du 22 Février 1740.

Milords,

Des membres de cette chambre beaucoup plus capables que moi, viennent de s'expliquer à l'instant, & si amplement, en faveur de la motion concernant la seconde lecture du bill des pensions, qu'il me reste peu de chose à dire, & que je serai très-court sur cet objet. Un noble duc a dit que ce bill pourroit être regardé comme un acte pour prévenir un abus seulement prévu, mais non un bill fait pour remédier à un mal éprouvé ; car on a moins avancé qu'insinué dans le préambule de cet acte :« Que l'on emploie aujourd'hui de sourdes pratiques, pour corrompre, & pour gagner par-là, une injuste influence dans l'autre chambre ». Voilà, milords, la vraie raison qui a fait imaginer & proposer ce bill.[p.191]On ne peut assurer, n'en ayant pas de preuves, que de tels moyens sont mis en usage ;& pour parvenir à cette connoissance, on propose d'en venir à bout, par ce bill. Ils soupçonnent, disent-ils, ces menées, mais ils ne peuvent les prouver. Ce crime est d'une nature si obscure & si secrette, que rarement on pourroit le prouver par témoin. Par cette raison, on voudrait essayer au moins qu'il fût prouvé à l'avenir, par le serment d'une des deux parties. C'est le moyen auquel on est forcé d'avoir recours dans les cas qui n'admettent pas d'autres preuves. C'est pourquoi ce n'est pas ici une preuve qu'on n'ait pas senti le mal ; car un homme peut en éprouver un très-sensiblement, & cependant n'être pas en état de le prouver.

La multitude des plaintes réunies qui nous viennent de toutes parts des trois royaumes, sont une preuve très-suffisante qu'on a lieu de soupçonner qu'on s'est servi, & qu'on se sert encore aujourd'hui de telles pratiques. La chambre des communes nous a trop de fois adressé ce bill, pour n'être pas une nouvelle démonstration qu'un pareil soupçon a pénétré dans cette chambre, & pour être en même tems un argument puissant de la nécessité qu'un pareil bill passe en loi. Sans doute l'autre chambre est censée être un meilleur juge que nous-mêmes, de tout[p.192]ce qui se passe ou doit se passer dans son intérieur. Il est clair qu'on a lieu de soupçonner que de telles pratiques ont été & sont encore mises en usage pour obtenir une funeste prépondérance contre les opérations de la chambre ;& que cette chambre a combiné ce bill pour remédier à un mal, s'il a déjà agi, ou pour le prévenir, si l'on n'a fait que le pressentir. Que cet abus ait déjà existé, ou qu'il règne encore, c'est ce que je ne prétends pas assurer, mais je me garderai moins encore d'affirmer le contraire.

Au reste, si cet abus a lieu, je puis avec confiance venger de ce soupçon sa majesté. Je suis certain qu'elle ignore absolument ces intrigues, comme je suis certain qu'elle dédaigneroit des moyens aussi bas. Assurément, je ne ferai pas un tel aveu en faveur des ministres actuels, ni d'aucune espèce de ministres, passés ou à venir. Je pense donc ne pouvoir servir plus fidèlement ni avec plus d'avantages sa majesté & ses successeurs, qu'en mettant leurs serviteurs dans l'impossibilité d'obtenir dans l'une des deux chambres une funeste prépondérance. Une telle entreprise peut être nécessaire à la sûreté du ministre, mais jamais, ni en aucune manière, à celle de son maître ; elle est même contraire à la tienne : car plus ces mesures rassurent le[p.193]ministre, plus elles sont opposées aux vrais intérêts de sa majesté, plus elles menacent les droits & les libertés de la nation.

C'est une chose, milords, en vérité bien étrange de prétendre que ce bill blesse & entame en quelque sorte la prérogative royale. Quelle prérogative, milords ? La couronne en a-t-elle une particulière de corrompre par argent & d'enfreindre la loi, en remplissant la chambre des communes de ses pensionnaires ? Parler ainsi, c'est au contraire dépouiller la couronne de son crédit & de son autorité, sous l'ombre de soutenir sa prérogative.

Si le roi savoit que quelqu'un dans l'autre chambre eut reçu de lui une pension ou quelque chose de semblable, & qu'il y garde sa place ; ou sa majesté déclareroit elle-même cette récompense, ou elle retirerait cette pension, par la raison, qu'elle fait que les gratifications secrettes sont absolument contre la loi. Ce bill ne peut donc en aucune manière porter atteinte à la prérogative royale, qui ne doit avoir d'autre but que le bien public. Ce bill, il est vrai, peut diminuer les prétentions des ministres qui ne travaillent qu'à détruire cette prérogative. La couronne, d'ailleurs, est toujours maîtresse de récompenser le mérite d'une manière convenable, c'est-à-dire, ouvertement. Le nouveau bill[p.194]est dirigé & peut avoir son effet seulement contre les gratifications clandestines distribuées par les ministres. Or celles-ci sont scandaleuses, & jamais elles n'ont été & ne seront jamais prodiguées que pour des services de cette espèce.

La vraie générosité & le vrai mérite au contraire, milords, se plaisent au grand jour : il est aussi glorieux pour l'une de donner, que pour l'autre de recevoir ;& dans ce conflit de justice, le prince comme le sujet, ne redoutent point la lumière, ils aiment à déclarer ouvertement ces récompenses, sans avoir à craindre d'être accusés de corruption.

Lorsque l'amiral Vernon étoit membre de la chambre des communes, le plus grand nombre étoit contre lui : on n'aimoit point à l'y voir ;& je crois que s'il y étoit encore, ce seroit la même chose aujourd'hui. Si le roi cependant lui accordoit maintenant une récompense, la majorité, (je le crois), ne pourroit pas voter que ce fût à titre de corruption. Je sais trop que les majorités ont souvent fait des choses bien extraordinaires, mais jamais je ne croirai qu'elle eût une autre manière de penser à l'égard de l'amiral qui a si bien mérité de l'état, & qui s'est montré digne d'en être récompensé : car tandis qu'aux îles Bastimentos,[p.195]nos vaisseaux & nos matelots périssoient dans la pourriture, il fit des choses surprenantes, & avec six navires seulement, deux mille gens de mer, & deux cent soldats mal équipés & demi-nuds, tirés de la Jamaïque, il vint à bout de ce qu'une flotte beaucoup plus considérable, secourue de plus de huit mille hommes, n'auroit pas osé entreprendre[17]. Lorsque la guerre fut décidée, nouveau Cincinnatus, on le tira de ses champs qu'il labouroit, pour labourer les pleines liquides de l'Océan, & comme le bien de son pays exigeoit la plus grande célérité, il ne demanda que trois jours pour mettre ordre à ses affaires, avant de partir. Et bien ! ce grand homme, en tems de paix ne ressentit aucune des faveurs de la cour ; il n'éprouva même que des refus, lorsqu'il auroit mérité des préférences. La raison en est simple, il n'avoit point les qualités essentielles du courtisan, qui, en tems de paix, lui font obtenir les premières places dans le service, soit de mer, soit de terre.Voilà ce qu'on vit lorsque l'amiral étoit membre de la chambre des communes, & voilà la vraie cause pour laquelle il ne l'est[p.196]plus aujourd'hui. Mais s'il rentrait dans le parlement, ce qui arrivera sans doute, le nouveau bill ne pourra pas empêcher sa majesté de le récompenser d'une manière convenable :& l'amiral en acceptant une récompense méritée, ne s'exposera a aucun inconvénient.

Ce bill ne peut donc nullement bleffer les prérogatives de la couronne, ni empêcher personne de recevoir une récompense juste & méritée, la feule que* le trône est en droit & doive accorder suivant sa prérogative. Mais cette même prérogative de la couronne, comme les autres, est tellement fouie à la censure du parlement, que s'il y avoit abus, le parlement sauroit faire les informations nécessaires à cet égard, & punir les conseillers de ces contraventions.

Il est : en vérité remarquable, milords, il est même plaisant de voir, dans cette circonstance, une pareille délicatesse concernant le parjure, & de la part de ceux qui en d'autres circonstances ont inventé, ont établi une multitude de sermens, imposés à des hommes que leurs propres intérêts exposent à de violentes tentations, souvent même à se parjurer. N'est-ce pas aujourd'hui le cas de la plupart des sermens publics, qui regardent ceux qui reçoivent les deniers de l'état, ou qui exercent une charge quelconque ?[p.197]Ce parjure n'est-il pas une des principales objections des non-conformistes, qui se refusent à l'acte du test & de municipalité ? Et montrerons-nous moins de chaleur pour la conservation de notre constitution que pour celle de notre église ? Le révérendissime banc[18], devroit être du moins circonspect à faire usage de cet argument; car s'il ne veut pas permettre le serment pour la conservation du premier article, il donneroit à penser à bien des gens, qu'on ne doit pas tolérer l'autre, pour la conservation du second.

Maintenant, milords, je crois que tous les inconvéniens qu'on a prétendu résulter de ce bill sont dissipés : c'est pourquoi je m'arrêterai à quelques-unes des raisons avancées pour nous prouver que ce bill est inutile. Je dois observer ici, que le plus grand nombre des argumens dont on s'est servi pour cela, sont vraiment vigoureux pour annuler également les loix qui empêchent d'admettre à laisser siéger & voter dans l'autre chambre les pensionnaires.

S'il est impossible en effet de supposer qu'un homme, ayant de la naissance & de la fortune, puisse, sous l'appas d'une pension, se porter à[p.198]faire ce qui est contre son devoir, &si nous pouvons supposer qu'il n'entre guère que de pareils sujets dans l'autre chambre ; je suis dès lors assuré, que toute loi qui en éloigne les pensionnaires, est absolument inutile, & doit être révoqué :si ces raisons, milords, l'emportent à votre avis, & vous font refuser l'article proposé, je m'attendrai à voir le renvoi du bill, suivi d'une motion pour la révocation des loix dont je viens de parler : je m'attendrai même, dans les prochaines sessions, à voir peut-être un nouveau bill, qui forcera de n'admettre, dans la chambre des communes, que ceux qui tiendront des places ou des pensions de la cour. Or, comme l'énoncé d'un pareil bill doit dire que les plus fidèles sujets de sa majesté seront choisis pour être membres du parlement, ceux-là, sans doute, seront plus fidèles au roi, qui recevront l'argent du roi. Quant à moi, ce que je puis vous garantir, milords, c'est que de tels hommes seront très-fidèles, qu'ils seront très-soumis au ministre, & par cette raison-là même, je les excluerois du parlement. Les vrais intérêts du roi & du peuple (son ministre a beau le lui cacher) sont précisément les mêmes ; mais les intérêts du ministre en général, sont distinctes&séparés, souvent même ils sont diamétralement contraires[p.199]à ceux du roi & de la nation. J'éloignerois du parlement pour cela, autant que je le pourrois, tout membre qui a des motifs de préférer l'intérêt du ministre à ceux du roi & du peuple: & je dis que c’est le cas de toute personne, quel que soit son état & sa famille, qui est à la solde du ministre.

Ceux qui disent qu'ils comptent beaucoup sur l'honneur, sur l'intégrité, sur l'impartialité de personnes comme il faut & bien nées, semblent croire que notre constitution ne peut jamais être dissoute, tant qu'il y aura en Angleterre quelque ombre de parlement. Mon opinion, milords, est si différente, que si jamais notre constitution étoit détruite, si jamais une monarchie absolue étoit établie dans ce royaume, je suis convaincu que ce seroit toujours sous cette ombre. Notre constitution consiste en deux chambres, qui forment comme un boulevard pour se défendre des atteintes réciproques l'une de l'autre, également, contre les entreprises de la couronne. Si jamais on éloignoit cette barrière, si la couronne par des moyens de corruption, par des places, par des pensions, & à force d'argent, obtenoit de gouverner à son gré les deux chambres avec un ascendant décidé ; de ce moment notre constitution seroit tout à fait anéantie, la couronne n'auroit pas[p.200]besoin de faire de nouvelles tentatives, il seroit même ridicule de vouloir se défaire des formes de parlement ; car sous ces apparences, le monarque seroit plus absolu, & il gouverneroit plus arbitrairement que sans elles. Un gentilhomme fortuné ne voudroit pas sans doute, pour l'amour d'une pension sacrifier les formes du gouvernement ; car aujourd'hui, par un service vénal, il s'assure son infâme salaire ;& si ces formes cessoient, il ne pourroit plus espérer que son paiement lui fût continué davantage : au contraire, un tel homme, tant qu'il est dans le parlement, est lié, il est engagé, par la pension qu'il reçoit, à soutenir les mesures les plus insensées, à consentir aux demandes les plus exorbitantes, à établir les loix les plus oppressives, à laisser passer les comptes les plus révoltants ; à sauver les criminels les plus odieux, à condamner les gens les plus innocens ;& tout cela suivant le caprice du ministre qui le tient à ses gages. Or, si le plus grand nombre des membres de cette chambre est composé de pareils sujets, n'est-il pas ridicule de citer notre constitution, & de dire qu'il nous reste encore quelque liberté ?

Oui, il n'y a que la corruption qui puisse nous réduire à un état si déplorable. Les Romains étoient aussi braves & aussi libres que nous ;[p.201]& ce furent les mêmes moyens qui les corrompirent & qui les subjuguèrent. Le but de cette chambre est donc de prévenir une si affreuse catastrophe.

Si l'on vouloit réfléchir à tout, & considérer avec attention toutes les conséquences qui résultent de la corruption; certes, milords, il ne seroit pas nécessaire d'établir des loix contre cette vile ennemie de l'état. Du premier abord, elle paroîtroit si horrible, que personne ne voudroit l'approcher ; car ceux qui reçoivent de l'argent à titre de corruption, devraient prendre garde ; que non-seulement ils vendent leur sentiment & leur pays, (peut-être s'en embarrasseroient-ils peu) ; mais qu'ils se livrent eux-mêmes, & qu'ils deviennent les esclaves nés de qui les achète, non pour leur propre avantage, mais pour le seul profit du ministre qui les paie : jamais un homme ne corrompit un autre pour le plaisir de l'obliger. Si l'on vouloit donc y faire attention, on refuseroit avec un souverain mépris, toute offre de ce genre ; mais malheureusement, on ne doit pas s'y attendre. Les historiens de toutes les nations, notre propre histoire même, nous prouvent qu'on ne peut pas y compter. Des moyens de corruption s'offrent-ils, on ne songe d'abord qu'à assouvir une faim insatiable &honteuse ;& en dévorant l'appât trompeur[p.202]on sacrifie la liberté de la patrie, le bonheur de sa postérité, sa propre liberté même, qui évidemment ne tenoient qu'à ce refus.

Voilà ce qui impose la nécessité dans tout état libre, d'inventer, s'il est possible, des loix salutaires contre la corruption ;& comme celles de nos loix qui excluent de la chambre des communes les pensionnaires, sont prouvées être sans effet, nous devons au moins essayer la ressource proposée car fût-elle sans pouvoir, elle peut avoir cet avantage, de nous porter à imaginer un autre remède plus efficace. Or, dès que celui-ci sera trouvé & qu'il sera employé, nous serons moins exposés au danger de tomber dans cette langueur affreuse, d'où n'a jamais pu sortir sain un état libre, une fois qu'il en a été cruellement atteint.

Notice sur le Comte de Chesterfield.

Philip Dormer Stanhope, comte de Chesterfield, naquit en Septembre 1695 : il reçut son éducation académique à Cambridge, & quitta, cette université en 1714, avec le caractère d'un vrai pédant, s'il faut s'en rapporter à lui-même. Vouloit-il se faire écouter, il citoit Horace ; pour être[p.203]plaisant ou caustique, il se rappelloit Martial ;& quand il lui prenoit fantaisie d'être homme de cour, il parloit comme Ovide. Les anciens, à ses yeux, méritoient seuls d'être étudiés, & les auteurs classiques étoient des guides également sûrs & agréables.

Avec ces idées il vint à la Haye, où la société lui apprit bientôt qu'il s'étoit fait illusion sur la plupart de ses principes. Cet extrême défit de plaire (fidèle garant d'un heureux naturel), l'excitoit sans cesse à en acquérir les moyens. Il observoit chez les hommes à la mode, l'aisance dans les manières ; l'enjouement & le sel dans les conversations, & jusqu'à ces riens, tels que la façon de se présenter, de se mettre, qu'on ne néglige qu'aux dépens d'un ridicule.

Avant d'être parvenu à l'âge où la loi permet l'usage de sa liberté, il fut membre du parlement à la première session du roi George I, pour le bourg de Saint-Germain, & dans la suivante, pour celui de Leftwithiel ; la louable prétention de s'y distinguer dirigea ses études vers les connoissances de l'administration. Si la faveur ne présidoit pas aux dispositions des cours, le nombre & la qualité des places qu'il occupa, suffiroit pour établir son mérite ; il peut se passer de ces preuves incertaines. Dans l'espace de quatre ou cinq ans, on le vit en 1717,[p.204]chambellan du prince de Galles, capitaine des gardes à pied en 1723, conseiller privé, ambassadeur extraordinaire & plénipotentiaire en Hollande en 1728. La façon dont il traita des intérêts de sa patrie, justifia le choix de sa cour. Ses services étoient si importans, qu'ils méritèrent, dès la seconde année de son ambassade, l'ordre de la Jarretière, & la charge de Grand-maître de la maison du roi en 1730.

Ces faveurs n'achetèrent pas son suffrage : l'intérêt public lui parut opposé à la conservation du nombre des troupes, & au bill de l'accise ; dès-lors il résista aux vues de la cour. Sa fermeté lui coûta sa charge de grand-maître ; ces forces de sacrifices ne font pénibles que lorsqu'on est au-dessous des dignités.

Fidèle au serment que tout anglais fait à la liberté, il s'en montra l'intrépide défenseur. Les ducs de Bolton & le lord Cobham ayant été privés de leur régiment, pour avoir en parlement, préféré leur avis à celui de la cour, il se joint au duc de Marlboroug, pour faire passer un bill tendant à assurer la constitution, en prévenant la perte des emplois, autrement que par un procès en forme. En 1738, il s'opposa avec son éloquence ordinaire à l'augmentation de l'armée, & fit tous ses efforts pour qu'on en vint à une rupture avec l'Espagne. La guerre fut[p.205]déclarée ; le ministère trompa l'espoir du peuple anglais par une suite de mauvaises opérations ; le comte de Chesterfield les exposa à ses yeux.

Dans les années suivantes, même zèle patriotique. Il s'exprima, sur l'électorat d'Hanovre, en des termes qui n'ont jamais été oubliés à Saint-James.

Par une de ces révolutions si fréquentes dans les cours, le ministère anglais changea à la fin de l'année 1744. Le comte de Chesterfield fut envoyé une seconde fois ambassadeur à la Haye. Ses instructions portoient d'engager les Hollandais à se déclarer pour l'Angleterre. La cour de Versailles avoit chargé l'abbé de la Ville de prévenir ce traité, qui eut lieu malgré les soins du ministre français. Le comte dédaignoit ces vains détours, dont la politique fait depuis longtems une de ces principales ressources. Il leur démontra que lorsque l'intérêt des deux nations leur commandoit de se réunir, toutes les considérations étrangères dévoient disparoître. L'alliance fut consommée ; les Hollandais s'engagèrent à fournir soixante mille hommes pour la cause commune.

Il quitta la Haye pour passer en Irlande, dont il avoit été nommé vice-roi. Au départ du roi pour Hanovre, il fut encore choisi pour un des lords régens. L'Irlande se rappellera longtems ;[p.206]avec admiration & avec reconnoissance, la sagesse & la douceur de son gouvernement. Il y assembla le parlement le 8 octobre 1745, & pendant cette époque critique, où la rébellion éclatoit en Écosse, il trouva l'art difficile de contenter les protestans & les papistes.

La charge de secrétaire d'état fut le terme de ses travaux politiques. Étant devenu sourd, il chercha dans une vie privée une ressource contre cette infirmité ; ses yeux suppléèrent à ses oreilles ; ses livres & sa plume occupèrent son utile loisir. Il s'engagea comme volontaire dans l'ouvrage moral périodique, intitulé, le Monde, publié en 1753 par monsieur Moore ; ce qu'il a fourni est un des ornemens de ce livre.

Il termina sa brillante & laborieuse carrière le 24 Mars de l'année 1773. Peu de personnes ont égalé & égaleront son éloquence, sa fermeté d'esprit, & sa profonde connoissance des hommes ; qualités rares avec lesquels on les gouverne.

Pope, dont il étoit l'ami, a joint son éloge à celui du lord Bath.

Pourrois-je oublier Bultney, Chesterfield, tant que l'urbanité romaine & l'esprit attique auront le pouvoir de me charmer.

Si sa morale avoit été moins relâchée, il eut été la merveille de son siècle. Sa passion[p.207]pour le jeu, sa duperie, même à cet égard, sont connues. Il traite ce défaut avec bien de l'indulgence dans ses lettres ; il est moins sévère encore sur quelques devoirs, la base de la société, & il est tout-à-fait dangereux dans les conseils qu'il donne à son fils pour parvenir jusqu'au cœur des femmes. Quand la séduction est érigée en principe, la vie domestique est troublée ; les sermens sont violés, les mœurs outragées. Les victimes que nous voyons tous les jours ensevelies dans les horreurs de la solitude, n'effraient-elles point les cruels auteurs de leurs longues infortunes ?

La poésie étoit un délassement de ses occupations politiques. Il a laissé de fort bonnes épigrammes, & quelques morceaux dans lesquels on apperçoit les traits d'un grand-maître.

Son dernier ouvrage n'est pas celui qui fait le plus d'honneur à sa mémoire. Nous voulons parler de son testament, l'acte le plus important de la vie qu'on réserve presque toujours à ces derniers instants, où nous ne sommes plus que l'ombre de nous-mêmes. Un grand âge ou des infirmités excusent les inconséquences qui déparent celui du comte de Chesterfield. Il défend à son héritier d'aller en Italie, & il avoit confié l'éducation de ce même héritier à[p.208]une personne connue par sa prédilection pour ce pays. Il appelle ses domestiques ses amis infortunés, ses égaux par la nature, & il leur laisse un don également au-dessous de leurs besoins & de leurs services. Il oublie entièrement son excellente épouse, bien faite pour changer les fausses idées qu'il avoit de son sexe. L'homme a trois âges donc il n'y en a qu'un d'utile ; des deux autres, le premier est l'âge des folies & des erreurs, & le dernier celui des sottises & des foiblesses.

[p.209]

 

Considérations du comte de Chesterfield, sur la révocation de l'Acte de l'établissement de la maison d'Hanovre, par rapport à la limitation des Étrangers.

 

Du 26 Novembre 1741.

Les restrictions particulières relatives aux étrangers dans cet acte qui est sur le point d'être révoqué, étoient réputées sacrées par le premier parlement, qui ne manquoit pas de complaisance pour le feu roi, en déclarant que cette exception seroit insérée dans tous les actes futurs de naturalisation ; cela fut même énoncé dans l'acte de naturalisation du prince d'Orange, gendre du roi. Mais il me semble que MM. Prévôt, Bouquet & autres vont recevoir une marque de distinction que le gendre du roi n'a pu obtenir. Pourra-t-on dans la suite refuser le même privilège aux princes étrangers protestans de la plus haute naissance & du plus grand mérite, dont plusieurs appartiennent de près à sa majesté & à la famille royale, qui probablement préféreront le service d'Angleterre à tout autre ?

Les pauvres raisonnemens militaires dont on[p.210]se sert pour justifier la révocation de cette loi sacrée, sont trop foibles pour être vrais, & trop méprisables pour qu'on y réponde sérieusement, à moins que ce ne soit quelques malheureux officiers Anglais, qui sont par-là en quelque façon déclarés incapables de faire le service de capitaines, majors, &c. Il faut donc qu'il y ait quelque autre raison, & peut-être qu'il n'est que trop aisé de la trouver.

C'est peut-être qu'on se dit, periculum faciamus in anima vili ? Si cet acte passe, il aura des conséquences. Quelque prince étranger d'un mérite reconnu, s'adressera d'abord au roi, & ensuite au parlement, pour demander la même faveur qu'on a accordée à MM. Prévôt, Bouquet & Compagnie. Peut-on la refuser avec décence ? D'ailleurs, peut-être le tems viendra que les généraux & officiers supérieurs seront aussi nécessaires en Angleterre que les grands capitaines & les majors le sont en Amérique.

De grands maux ont toujours eu de petits commencemens pour applanir le chemin insensiblement, comme le cardinal de Retz observe très-judicieusement, lorsqu'il dit qu'il est persuadé que les Romains parvinrent par degré à un tel point d'extravagance, qu'ils ne furent pas fort surpris, ni fort allarmés, lorsque Caligula déclara qu'il vouloit faire son cheval consul ;[p.211]de sorte que par l'abus progressif des exemples, la génération suivante verra probablement, même sans surprise ni aversion, des étrangers commander vos troupes, & donner leurs suffrages pour les subsides dans les deux chambres du parlement.

Quant à l'utilité de ces héros étrangers, il est impossible de répondre sérieusement à ces raisonnemens. Quelle expérience en prouve la nécessité ? Le cap Breton, la plus forte place d'Amérique, fut pris très-irrégulièrement dans la dernière guerre par nos troupes irrégulières Américaines. Le chevalier Johnson battit dernièrement & fit prisonnier, non pas selon les règles, le général Dieskau qui étoit à la tête de ses forces régulières ;& le général Braddock, qui avoit été très-judicieusement choisi dans toute l'armée pour être notre Scipion Américain, fut détruit très-irrégulièrement par des ennemis invisibles & inconnus jusqu'alors.

Comment est-ce que ces héros étrangers s'accorderont avec des officiers Anglais du même corps, qui sont en quelque façon par acte du parlement, déclarés incapables de conduire des opérations militaires, jusqu'à ce qu'ils soient instruits par les grands maîtres étrangers dans l'art de tuer les hommes ? Ne seront-ils pas plus portés à conseiller qu'à obéir à leur colonel, à interpréter[p.212]qu'à exécuter ses ordres ? Coopéreront-ils volontiers avec nos troupes & nos officiers d'Amérique, qu'ils regarderont & traiteront certainement comme un vil troupeau, sans expérience & sans discipline ? Comment cela peut-il être autrement ? Et y a-t-il rien de surprenant lorsque ces messieurs savent qu'ils sont nommés officiers par un acte du parlement, contraire à un autre des plus sacrés ?

Oh ! mais il n'y a que la moitié de cette légion foudroyante, qui doive être étrangère ! tant pis ; car alors, selon les principes que nous avons posés, elle ne peut être qu'à moitié disciplinée. De plus, si l'objet est moindre que celui qui lui est sacrifié, un tel sacrifice n'en est que plus absurde & devient suspect.

Premièrement, cette légion devoit être toute composée d'étrangers, depuis le premier jusqu'au dernier officier ; ce qui, selon le principe d'utilité & de nécessité absolue d'employer des officiers étrangers, étoit plus raisonnable ; mais en mitigeant l'acte, comme on dit, il sera mille fois plus absurde. Et comment l'acte s'applique-t-il ? Réellement l'acte sacré de l'établissement de la maison d'Hanovre doit être révoqué, & dans la partie la plus essentielle, pour obliger quelques capitaines & majors étrangers, qui doivent être commandés par des officiers Bretons[p.213]d'un rang supérieur, & qui selon cet acte du parlement, sont supposés n'être pas instruits de leur profession.

On a dit, mais il ne faut pas faire attention à tous les faux rapports, que ce plan absurde fut, il y a quelque tems, anéanti par la prudence & la bonté de sa majesté ;& je suis porté à croire, par l'équité de la chose même, que cela est vrai. Il est certain que je ne puis supposer que ce soit une des raisons pourquoi on le propose sous une autre forme, & qu'on veut forcer la nation à y souscrire : mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'on se dégoûta une fois à cet égard ;& après une dépense considérable pour faire passer cet acte, les héros étrangers étoient contents d'argent, au lieu de lauriers, & renonçoient à leur projet ; mais peut-être qu'une condescendance aux souhaits unanimes de toute la nation Anglaise fut envisagée comme une complaisance, dont l'exemple étoit dangereux, & la révocation de cet acte comme utile. Néanmoins j'ai assez de candeur pour croire que ce projet est absurde & mal conçu ; autrement je serois forcé de croire que c'est l'acte le plus dangereux qui ait jamais été proposé.

[p.214]

 

Discours du comte de Sandwich ; dans lequel il remarque qu'un duc d'Hanovre, s'il compare son état présent avec celui de ses ancêtres ;& l'Électeur avec le Roi d'Angleterre ; doit être très-reconnoissant des bienfaits très-gratuits & très-volontaires du puissant peuple de la Grande-Bretagne.

 

Du premier Février 1742.

Je m'imagine, milords, lorsqu'un roi de la maison d'Hanovre promène ses regards sur sa marine, fait la revue de ses troupes, considère ses revenus, contemple la splendeur de sa couronne & l'étendue de ses domaines, qu'il ne peut malgré lui, s'empêcher de comparer son état présent avec celui de ses ancêtres ;& lorsqu'il donne audience aux ambassadeurs des cours étrangères, qui, peut-être, n'entendirent jamais parler d'Hanovre ; lorsqu'il règle l'emploi de ses finances qui ont coûté cher à plusieurs ;& qu'il réfléchit que tous ces honneurs, ces richesses, cet éclat au dedans, & ces respects au dehors, sont des présens très-gratuits, très-volontaires du puissant peuple de la Grande-Bretagne ; lors, dis-je, que ce prince[p.215]réfléchir à tout cela, comme sans doute, il lui arrive quelquefois, je m'imagine qu'il doit sentir son cœur, comme inondé par une reconnoissance immense envers ses bienfaiteurs ; qu'il doit être prêt à sacrifier pour leur bonheur, non seulement de petits intérêts, & des goûts momentanés, mais son repos, sa sûreté, sa vie ; qu'il doit prévenir leurs plaintes, leur alléger tout fardeau, & les aider de tout son pouvoir ; qu'il doit enfin regarder son royaume comme une pépinière de troupes prêtes au besoin, mais sans écraser ses meilleurs sujets.

Il faut au moins espérer, milords, que les princes de la maison d'Hanovre auront les mêmes égards pour cette nation, qu'ils ont eus pour des rois qui ne leur avoient procuré aucun avantage, qu'ils devoient même regarder comme leurs ennemis, à qui ils ne pouvoient demander des secours d'argent, ou s'il leur arrivoit d'en demander, qu'ils n'obtenoient pas.

Il fut un tems, milords, avant que personne de la maison d'Hanovre portât la couronne de la Grande-Bretagne, où le grand monarque de France, Louis XIV, s'adressa à l'électeur, comme à un prince que la situation de ses finances épuisées devoit naturellement porter à[p.216]très-bas prix les vies de ses sujets. Le duc saisit avec empressement l'occasion de conclure avec l'opulent monarque ce marché avantageux. Il lui promit ces secours d'hommes, & il en demanda le prix d'abord, afin d'être en état lui-même de les lever. Le crédit du prince Hanovrien n'étoit pas assez bien établi, pour que le roi de France osât avancer la somme. Louis eut des soupçons & ne s'en cacha point : il craignoit qu'on reçût l'argent sans lui fournir ce renfort ; aussi avec sa prudence ordinaire, il insista pour que l'on fit d'abord marcher les troupes qu'il payeroit ensuite, ce qui suspendit le traité. Mais le roi ayant autant besoin d'hommes, que le duc étoit pressé d'argent ;& le roi comprenant qu'il étoit impossible à un prince aussi pauvre de lever des soldats sans un secours pécuniaire, il offrit enfin une petite somme, qui fut acceptée de grand cœur, quoique beaucoup inférieure à ce qu'on avoit exigé d'abord. Les Hanovriens entrèrent donc au service de la France, & le duc s'estima heureux de pouvoir se récréer au son de l'argent du monarque.

Telles furent les conditions auxquelles dans ce tems, on accorda les troupes Hanovriennes : or ce que produisit l'amour de l'argent ou la[p.217]crainte d'une puissance supérieure, nous avons droit de l'attendre aujourd'hui, comme les effets naturels de l'affection & de la reconnoissance.

Comme on aura plus d'une fois occasion de parler dans ce recueil de l'électorat d'Hanovre, quelques lecteurs ne seront pas fâchés de trouver ici un précis de l'état actuel de ce duché. L'extrait suivant est tiré de deux papiers du tems, imprimés en 1787, alors je commençois à m'occuper de cette collection, & à recueillir tout ce qui pourroit l'améliorer.

« La surface de l'électorat d'Hanovre est un peu au de-là de soixante-dix milles quarrés. On estime sa population actuelle huit cent mille âmes. Le subside que ce pays est tenu de fournir à la caisse militaire, forme seul un objet de 65,000 guinées. Les autres provinces du roi d'Angleterre en Allemagne, sont moins chargées. Chaque père de famille ayant une femme & deux enfans au-dessus de quatorze ans paie en imposition directe, près de deux guinées par an, quoiqu'il ne possède ni terre ni bétail ».

« On évalue les revenus de l'état à plus de quatre millions de rixdallers. Les droits d'assise[p.218]sont employée au paiement des troupes. La dernière guerre a occasionné quatre millions & demi de dettes qui ne sont pas encore acquittées.

Les troupes que l'on entretient en tems de paix montent à environ vingt-cinq mille hommes ; savoir, 4,220 de cavalerie ; 13,450 d'infanterie réglée & d'artillerie ; 5,500 de milices ;& 2,400 d'infanterie de garnison.

Outre plusieurs branches de commerce, lin, chanvre, tourbe, sel, fil, toile, fer ouvré & les productions minérales, qu'on fait monter à 11 à 1,2oo,ooo rixdallers ; les habitans s'occupent beaucoup de l'éducation des abeilles. On assure qu'ils en retirent par an près de 300,000 rixdallers ».

[p.219]

 

Discours de M. Temple Luttrel qui dénonce à la Chambre les vexations abominables dans un pays libre de la presse des Matelots, joint à sa réclamation celles de plusieurs honnêtes Patriotes ; il fait la peinture des horreurs qui se pratiquent à ce sujet. M. Luttrel prend de-là occasion de se plaindre d'autres abus de ce genre ; par rapport aux Mariniers.

 

Du 11 Mars 1777.

Monsieur l'Orateur ;

Il y a une maxime fondamentale :« qu'il faut adopter toute loi dont il résulte pour l'état plus de bien que de mal ». Or, les effets inconstitutionels, l'oppression, l'inefficacité de la manière actuellement en usage de lever des hommes pour la marine, par les exactions de la presse, sont autant d'abus vivement sentis par toute la nation. Un homme de poids, un officier dans la marine, (le gouverneur Jonhstone), qui fait un des ornemens distingués de ce corps législatif, & dont le caractère privé & public honore la nature humaine, ayant traité précédemment de la pratique de presser les matelots,[p.220]dit, « qu'elle déshonore le gouvernement ; heurte de front l'esprit de notre constitution, & viole les loix de l'humanité ». C'est pourquoi tout plan dont le but seroit de remédier au mal, auroit des droits à une juste discussion & à une politique bien entendue.

Je suis assuré que les observations de ce membre respectable, frapperont tout le monde, & qu'on les regardera comme justes & importantes ; n'est-ce pas un spectacle abominable dans un pays libre comme le nôtre, qu'on ne s'y procure un grand nombre de matelots que par le fer & le feu, presque toujours dans les ténèbres de la nuit ? Souvent ce sont des gens enivrés de porter& de ponche, qui entrés de force dans les maisons les plus paisibles, vont arracher à ses foyers le maître sage, honnête & tranquille ; qui ravivent par-là, à toute une famille, ses moyens de subsistance ;& cela, pour le transporter sur un esquif, le réceptacle de la presse, pour le consigner à la garde d'un navire, au milieu d'une contagion physique & morale, d'un cloaque de pressiers, pour traverser ensuite des mers lointaines ; où, & combien de tems ? C'est ce que nul mortel ne peut lui dire. Mais, monsieur, ce qu'il y a de plus révoltant, c'est qu'enlevé de chez lui par surprise, on ne lui laisse pas la douceur[p.221]de dire un tendre adieu à sa femme, à ses enfans ni de prendre quelques mesures pour leur subsistance à venir, dans un moment où ils vont être privés de son aide, où il va les quitter pour commencer un nouveau genre de vie auquel ses membres & ses facultés ne sont peut-être nullement propres, & pour lequel ils n'avoient point été formés. N'est-ce pas-là, monsieur, un sujet grave de reproche contre une nation sage & généreuse, de n'avoir jamais travaillé à remédier à des maux si affreux & si étendus ? Car, on le sait, à l'approche d'une recrue à presser, dans toute ville ou cité, quels troubles, quels tumultes, quelles émeutes s'élèvent dans une circonférence de dix à douze milles, & quelle source en un mot elle devient de vexations sans nombre pour les personnes de tout état, dans toute l'étendue de la Grande-Bretagne.

Le lord maire représenta en 1770, au bureau de l'amirauté, que la cité de Londres étoit tellement dans le trouble, causé par l'effroi d'une troupe à presser, que les commerçans & tout leur monde n'osoient sortir ni suivre leurs affaires les plus urgentes. Une personne d'Yorkshire, digne de foi, homme de mérite, ci-devant l'un des membres de cette chambre, m'informe par un billet, que telle est dans ce[p.222]moment, dans cette partie de l'Angleterre, l'appréhension générale d'une bande de pressiers à Tadcaster, que les laboureurs de sa terre se sont dispersés bien loin, comme une volée de perdrix, & que la moitié de ces journaliers, n'osent retourner à leurs travaux jusqu'à ce que l'intendant de ce seigneur, les ait bien assurés de la protection immédiate de leur maître. Ils ont toujours peur de rentrer au logis, même de nuit; & par cette raison, ne se permettent qu'un léger sommeil où ils peuvent, sur de la paille, dans des étables, & hors de son domaine.

Dans la partie occidentale de l'Angleterre, on y est tellement effrayé par des bandes de pressiers, qu'une lettre que je reçois d'Exester, du 9 février, m'observe qu'il n'y a plus de pêche dans l'endroit, depuis plus de quinze jours, circonstance incroyable, & qu'on n'y a vue à peine de mémoire d'hommes. Un autre correspondant me peint les calamités des côtes voisines avec des couleurs aussi fortes que s'il y avoit dans l'endroit la famine, la peste, ou quelques-uns de ces fléaux les plus terribles dont la providence afflige des villes qu'elle châtie dans sa colère :« les marchés déserts, & dès lors le prix des denrées les plus nécessaires à la vie extrêmement haussé ; une multitude de[p.223]familles dans les classes inférieures, réduites à la dernière misère par le peu de sûreté des chefs de ces familles, dont le travail & l'industrie les faisoient subsister depuis long-tems ».

Avec quelle licence, monsieur, la presse ne s'est-elle pas déchaînée dans la ville de Lancastre, où l'on enlevoit de force des hommes à tous égards, les moins propres au service de mer, qu'on envoyoit à Londres les fers au cou & aux pieds dans le panier du carosse de voiture, & comme je l'ai entendu dire, sous les ordres d'un sergent de milice, au mépris des loix les plus sacrées de notre constitution, & cela avec une dépense considérable & inutile ; car en voici l'excellent résultat ; on a été forcé de les relâcher comme absolument incapables de la tâche pour laquelle on les avoit transportés avec tant de peines.

Les divisions, les animosités élevées dans cette métropole même de votre empire, par rapport à la presse des matelots, par rapport à la suite d'affaires, de procès pendants à ce sujet dans les cours de Westminster-Hall, vont occasionner, & pour le gouvernement & pour la nation entière, beaucoup de craintes & d'embarras. Dans plusieurs ports le long de la côte nord-est de l'Angleterre, vous avez actuellement sur pied des attroupemens, des communions dangereuses[p.224]de mariniers, pour s'opposer aux procédés inouïs de la part des recruteurs de la presse ;& chaque jour de la poste nous apporte de nouveaux détails de personnes qui ont été blessées, estropiées, ou à qui l'on a ravi la vie injustement dans ces émeutes.

Monsieur, il n'y eut pas moins de cent vingt hommes pressés dernièrement sans distinction, dans les environs de Bethnal Gréen & de Spitalfields, desquels, soixante-dix à quatre-vingt, après s'être tristement arrachés à leur famille désolée, après avoir souffert tout ce qu'on peut imaginer de plus dur, ont obtenu leur congé comme étant nullement propres au service maritime.

Ayant déjà touché légèrement le chapitre des maux & des outrages très-inconstitutionnels concernant les manufacturiers, les artisans & les gens de la campagne, qui jamais n'ont connu par la pratique ni par la théorie le fait des gens de mer, je vais jetter un coup-d'œil rapide sur votre cruauté envers les mariniers de profession. Ils sont exposés non-seulement aux mêmes surprises & violences indignes que les hommes de terre, mais lorsqu'on les a pris pour le service de sa majesté, des vaisseaux marchands, souvent, sous l'apparence de leur payer ce qui leur étoit dû par le négociant, on les trompe[p.225]avec des billets frauduleux, en acquittement de leurs salaires. Pour appuyer ces recruteurs, un nombre de braves officiers, un nombre d'hommes sous leurs ordres, y ont laissé la vie, ou n'en sont sortis que mutilés cruellement, pour remplir cette partie ingrate de leur devoir. Une infinité de gens de mer ont perdu la vie dans les eaux, en tentant à la nage, pour se sauver du vaisseau, de gagner la terre ; ou y ont péri atteints de coups de fusil, tirés par des sentinelles, au moment où ils cherchoient les moyens de s'échapper à la saveur des ténèbres de la nuit ; d'autres, enfin, sont tombés dans des accès de frénésie & de désespoir, parce qu'ils ne voyoient point le moindre rayon d'espérance de pouvoir jamais être secondés, à réclamer, d'après les loix, leur délivrance.

M. Temple Luttrel déclare que pour s'absenter il faut avoir de meilleures raison à donner que des affaires particulières : ainsi, aller prendre les eaux, aller voir sa femme incommodée, ne sont que des prétextes. Mais n'est-il pas des motifs encore plus coupables ? Tels que la désapprobation donnée à tout ce qui se fait. Pourquoi un particulier se croit-il mieux pensant[p.226]que tous les autres ? Si l'on n'a pas le bonheur de triompher, n'est-ce rien que de combattre, d'empêcher une partie des maux qu'on redoute ? La manière dont les arrêtés d'Anjou & d'un comité de Dijon s'expriment sur ce sujet nous défend de le continuer ; nous serions trop au-dessous. Ils disent :« que nul supplice assez honteux ne pourroit sans doute être infligé aux députés, qui traîtres à la patrie, traîtres à leurs commettans, traîtres envers la nation entière, vils instrumens du despotisme & des ennemis de l'état, se seroient répandus dans les provinces, pour y déprimer les opérations bienfaisantes de l'assemblée nationale, & exciter les peuples à la discorde & à la sédition ; mais que ceux mêmes qui, moins criminels, ne craindroient pas néanmoins de braver de tels soupçons, par une plus longue absence, mériteroient encore de partager l'infamie publique, réservée aux grands coupables ».

« Qu'au milieu des dangers dont la patrie est incessamment entourée, il importe que les bons citoyens & les gens de bien se rallient, & qu'un des moyens les plus assurés d'imprimer une terreur salutaire à ceux qui oseroient manquer à leur devoir, c'est que, de tous les coins du royaume, il s'élève un cri d'indignation contre les députés qui abandonneroient[p.227]sans nécessité, les fonctions augustes auxquelles ils ont l'honneur d'être appellés ».

« Que les députés retirés avant le décret du 14 octobre, qui violant le serment qui les lie aux fonctions dont ils sont honorés, & sourds au vœu de l'assemblée & de la nation qui les y rappelle, ne se rendraient pas sans délai dans cette assemblée ; comme encore les députés qui s'en seroient absentés depuis ce décret, ou s'en absenteroient, sans s'être conformés à ce qu'il prescrit, sont dès ce moment déclarés parjures, traîtres à la patrie, & indignes à jamais de remplir aucune fonction publique ».

[p.228]

 

Autre Discours de M. Temple Luttrel qui paroissant aux Communes ; après une longue absence, s'en explique & donne en même tems la raison de l'absence de trente autres Membres de la Chambre ; dans un tems où les Ministres incorrigibles profitent de la nonchalance & de la corruption du Parlement. Il entre là-dessus dans de grands détails ; il demande que l'opposition rédige un mémoire, dans lequel elle expose les raison de sa conduite.

 

Du 17 Mai 1779.

Depuis les vacances du parlement, je n'ai point paru ici ; dans un tems où tant d'affaires partagent & absorbent l'attention de la chambre, je sens que pour s'absenter il faut avoir de meilleures raison à donner que des affaires particulières ou une légère indisposition, aussi m'empressé-je de déclarer que ce n'est aucun de ces motifs qui m'a empêché de me rendre au parlement. On ne m'y a pas vu, parce que je suis convaincu qu'il est du devoir de tout membre des communes, qui n'est pas ligué avec les ministres incorrigibles, actuellement en place, de fuir ce lieu de corruption, de cesser de donner[p.229]de la conséquence à des débats pour rire, & de les couvrir du masque d'une discussion raisonnable, ce qui ne peut aboutir qu'à tromper & trahir leurs commettans. En pensant ainsi, j'ai la satisfaction de voir que je ne suis pas le seul : je puis produire une liste contenant les noms de plus de trente membres, aussi respectables qu'il est possible de l'être, qui tous se sont retirés dans leurs terres, & déclarent hautement que leurs motifs sont les mêmes que les miens… Il est tems que l'opposition se distingue, qu'elle se retire en corps, qu'elle rédige un mémoire en forme d'appel au peuple ; que dans ce mémoire elle expose les raisons de sa conduite, & le danger imminent auquel l'état se trouve exposé depuis, que par l'influence de la corruption le parlement seconde aveuglément les mesures ruineuses du gouvernement. Je n'abuserai pas long-tems de la patience de messieurs ; je puis, en peu de mots, exposer les nouveaux motifs d'inquiétude qui exigent que l'opposition fasse enfin quelque chose en faveur de la nation.

1°. Il s'en faut de beaucoup que l'esprit de révolte soit confiné à bord de la défiance, il est presque généralement répandu à bord de tout ce qui s'appelle vaisseau de guerre, trois raison en sont cause : ou bien, lors de l'instruction du procès[p.230]de l'amiral Keppel, les équipages ont vu avec regret que l'on changeoit leurs capitaines, ou bien ils n'ont aucune confiance dans les officiers généraux qu'on leur a récemment donnés, ou bien ils ne sont pas payés. Plusieurs des équipages appartenans aux vaisseaux les plus considérables, ont refusé de lever l'ancre avant d'avoir reçu le montant de leur paie ; plusieurs centaines de matelots, auxquels il est dû deux ou trois années de paie, ont été dispersés à bord d'autres vaisseaux d'une manière arbitraire, illégale, & sans recevoir un seul schelling. À Plymouth à bord de l'Egmont, vaisseau de soixante-quatorze canons, on a tenu pour fait de mutinerie un conseil de guerre, qui a condamné trois ou quatre hommes à mort, quelques autres au fouet, on a décimé le reste des mutins, que l'on a distribués sur les autres vaisseaux pour inoculer la contagion dont ils étoient infectés. Comment a-t-on fait pour les remplacer à bord de l'Egmont ? On a fait passer sur le vaisseau les gens de la frégate la Pearl qui arrivoit de Neuw-York, & on les a envoyés sur mer sans leur parler de l'argent qui leur est dû. D'après les comptes produits sur le bureau, il paroît que le 31 décembre dernier le trésorier de la marine avoit entre ses mains près de deux cent mille livres sterlings pour l'usage[p.231]de la marine, & que de cette somme, environ quarante mille livres sterlings faisoient partie de la paie due aux gens de mer. Pourquoi donc ne pas donner au moins ces quarante mille livres en à compte, & ne pas s'empresser ensuite à suppléer au déficit ? Que l'on se garde bien de faire sortir un seul vaisseau du port tant qu'il sera dû un sol à la marine, nous touchons à un moment où de deux choses l'une ; il faut que votre flotte appareille, ou que les Français soient maîtres de la mer.

Qu'on se rappelle l'exposé des motifs de M. Mounier, la lettre de M. de Laly-Tolendal, on verra que l'Angleterre nous avoit appris il y a dix ans ce qu'il falloit leur répondre. Les mêmes événemens reviennent sans cesse, & les mêmes êtres ne font qu'habiter la même terre sous des noms différens.

[p.232]

 

Discours de l'Orateur des Communes ; où il se plaint de quelques torts qui le mettroient dans le cas de quitter sa place si on ne lui faisoit pas une réparation convenable.

 

Du 7 Mai 1777.

C'est par ordre de la chambre que j'ai rendu public ce que j'ai dit : je fuis fier de pouvoir avancer ici, que j'ai mérité & reçu les remercimens de mes confrères, ou du moins de ceux qui savent apprécier les vrais intérêts du peuple qu'ils représentent. Pourquoi le public ignoreroit-il des choses auxquelles il a le plus grand intérêt & le plus direct ? Pourquoi ne feroit-on pas connoître à sa majesté les sentimens de ses sujets ? J'ai fait mon devoir comme orateur & comme citoyen ;& je déclare solemnellement qu'à moins que cette chambre ne me fasse justice, à moins que ceux qui m'ont blâmé par ignorance ou par intérêt, n'effacent le souvenir de leurs torts, par une réparation convenable[19], je quitte cette chaire où vous m'avez placé, & vous pouvez choisir quelqu'un qui remplisse mieux vos vues.

[p.233]

 

Journal des procédés du Parlement ; relativement à la notification du manifeste d'Espagne, contenant l'extrait des Discours ; à ce sujet de M. Burke, du colonel Barré ; de lord North du duc de Richemont, avec le message de Sa Majesté ; tiré d'un papier du tems.

 

Du 16 Juin 1779.

Le mercredi 16 juin, le vicomte de Weymouth informa la chambre des pairs, que dans la matinée même, il avoit reçu des mains de l'embassadeur d'Espagne un manifeste du roi son maître, qui lui ordonnoit de quitter l'Angleterre, & contenoit d'ailleurs des expressions alarmantes & hostiles ; ajoutant qu'en conséquence il présenteroit le lendemin à la chambre un message de la part de sa majesté : le ministre finit par la motion ordinaire, afin que tous les pairs fussent convoqués pour le lendemain ; ce qui fut convenu.

Pendant que les choses se passoient, comme on voit, assez tranquillement dans la chambre des pairs, un orage terrible s'élevoit dans celle des communes ; lord North, chargé d'annoncer à messieurs ce que le vicomte de Weymouth[p.234]annonçoit à milords, eut à peine prononcé le mot manifeste, que M. Burke tombant dans un violent accès de patriotisme, se livra à toute l'impétuosité de son génie :

Le voilà donc connu ce secret plein d'horreur !

Quiconque a entendu le sublime Lekain prononcer ce vers glaçant, peut se former une idée de M. Burke.

« Le voilà donc délivré ce manifeste ! le prestige est donc dissipé » !

« O ciel ! messieurs se rappellent-ils du moins avec quelle légèreté le ministre a traité jusqu'au dernier moment les inquiétudes qu'on lui marquoit sur le compte de l'Espagne ? Combien lui & ceux de son parti ont affecté de regarder cet événement comme improbable ? Avec quelle hauteur, quel mépris offensant ils paroissoient nous écouter, lorsque nous leur parlions de la possibilité d'une guerre avec l'Espagne, avec quel dédain ils en rejettoient jusqu'à l'idée ? Bon Dieu ! on les voyoit se réjouir, triompher de ce que nous leur paroissions si ignorans, si insensés ! — » Mes bonnes gens que vous êtes (nous disoit-on, nous répétoit-on avec le sourire d'une commisération hautaine) ne voyez-vous pas, ne sentez-vous pas qu'il n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de s'unir à nos ennemis ; que[p.235]l'Espagne ayant elle-même des colonies précieuses, elle ne sera pas assez insensée de donner un exemple aussi dangereux que le seroit l'acte de secourir des Colons rebelles » ? Tel a été le langage confiant & invariable du gouvernement. Oh ! monsieur, combien avons-nous été déçus ? Combien avons-nous passé de nuits à rêver de la bonne-foi Espagnole, & jusqu'au dernier moment, les ministres n'ont cessé de proclamer, la trompette à la bouche, que l'Espagne seroit ruinée si elle entroit en guerre avec nous ! ce qui est excellent, c'est qu'ils connoissent mieux les intérêts de l'Espagne, que l'Espagne ne les connoît elle-même. Ils prennent la peine de rédiger le système politique de la maison de Bourbon, & de lui enseigner ce qu'il est de son intérêt de faire ou bien ce qui lui seroit préjudiciable, attention d'autant plus surprenante de leur part, qu'ils ne savent pas conduire leurs propres affaires. Enfin, le moment de crise, le moment annoncé est arrivé ; oh, monsieur, quelle nuit longue, quelle nuit obscure, quelle triste & funeste nuit a été cette session entière, & quel moment choisit-on pour y mettre un terme ? Celui où nous nous trouvons à la fois sur les bras la France, l'Espagne & l'Amérique ; quelle sera l'excuse des ministres » ?…[p.236]Ici l'orateur crut être en droit d'appeller M. Burke à l'ordre, & lui signifia que s'il n'avoit pas de motion à faire, il ne pouvoit pas le laisser continuer.

« Une motion, une motion, continua M.Burke ; oui, j'aurois une motion à faire : ce seroit de décréter le premier ministre » (désignant lord North).

À ces mots, il s'éleva de toutes les parties de la chambre un cri confus de, faites la motion, faites la motion. M. Burke ayant essayé de reprendre son discours, l'orateur revint à la charge, & appella encore l'honorable membre à l'ordre ; ce qui fut presque généralement blâmé. On prouva à l'orateur qu'il n'avoit pas le droit d'interrompre aucun membre. M. Burke reprit donc la parole, & continua ainsi :

« Quelque criminels que puissent être les ministres, qui nous ont précipités dans cet abîme de calamité, quelque scandaleuse, quelque honteuse que puisse être la manière avec laquelle ils en ont imposé au public, notre premier devoir est de voler à l'assistance de sa majesté, & de la seconder dans les efforts qu'elle pourra faire pour nous tirer du mauvais pas où nous sommes. Je me flatte que demain, lorsque nous prendrons en considération le message du roi, je verrai tous les esprits réunis ;&[p.237]qu'étouffant, pour le moment, le juste ressentiment dont je dois les animer, la conduite de ceux qui nous ont réduits à cette situation funeste, messieurs, n'oublieront pas qu'ils sont Bretons, qu'ils marcheront au-devant du danger avec une fermeté mâle ; j'espère enfin que le développement de nos efforts répondra à l'importance extrême du motif qui exige de nous ce développement. C'est pour disposer les esprits à mieux recevoir les impressions que notre situation doit naturellement faire sur eux, que je vais faire une motion différente de celle que l'on attend de moi. Je demande que la chambre se forme immédiatement en comité, pour prendre en considération l'état de la nation. Avant de nous embarquer dans une guerre contre la maison de Bourbon, il est naturel que nous considérions la nature & l'étendue des moyens qui nous mettront en état de soutenir cette guerre ;& ce qui doit nous occuper avant toute autre chose, c'est de calculer, de sang-froid & avec impartialité, si nos ministres actuels sont des hommes à qui l'on puisse confier avec sûreté la conduite de cette nouvelle guerre ».

La motion fut secondée par M. David Hartley, & appuyée par quelques membres, entre[p.238]autres par le colonel Barré, qu'il est curieux d'entendre.

« II est, dit-il, une circonstance inconcevable qui me passe & dont il faut que messieurs soient instruits. J'ai rencontré le noble lord au moment où il entroit dans la chambre ; il a passé près de moi, & je déclare sur mon âme que le manifeste de l'Espagne étoit dans ce moment-là bien loin de ma pensée ; car le sourire de la satisfaction animoit les traits & le maintien du lord. En vérité, je ne crois pas lui avoir remarqué jamais plus de sérénité, plus d'enjouement, pas un trait dans son visage qui n'annonçât la jubilation. Je prends Dieu à témoin que dans le moment même j'ai cru de bonne foi qu'il accouroit pour nous communiquer quelque joyeux événement, quelque nouvelle victoire, digne d'embellir les annales de l'administration. J'avouerai que je ne pensois pas qu'il fût dans la nature humaine de porter cet air de sérénité dans un tems si marqué par les calamités publiques, & j'en soupçonnois moins que tout autre le noble lord auteur de ces mêmes calamités » !

« Je ne me rappelle pas, répondit lord North, si lorsque je suis entré dans la chambre je souriois ou non ; ce que je sais, c'est que l'air de[p.239]tristesse & d'abattement ne convient pas dans le tems du danger. Un Anglais doit sentir en Anglais, & ne pas se laisser abattre aisément. Il est vrai encore que ce manifeste est d'une nature très-hostile, la traduction en sera faite aujourd'hui, & demain elle sera présentée à la chambre. Mais, encore une fois, il ne faut pas se laisser abattre, il y a long-tems que cet événement a été prévu ».

Que dirons-nous de plus ? on sent que le ministre n'étoit pas à son aise, mais il falloit essuyer la bordée, souffrir de la chaleur du premier moment.

Sir George Sacville jetta sa pierre à son tour ; lord John Cavendish en prit une d'un poids assommant, & la jetta immédiatement après. Il conjura M. Burke de retirer sa motion, « parce que, dit-il, je voudrais que la chambre nes'occupât d'aucune espèce de motion, qu'aprèsqu'elle aurait infligé aux ministres les châtimens qu'ils méritent ».

M.  Turner poussa les choses plus loin, s'il est possible, il alla au fait, & déclara qu'il s'opposeroit à ce qu'il ne fût accordé aucun argent, avant que les ministres actuels n'eussent été traités comme ils doivent l'être.

M. Baker fut de ce dernier avis, & parla très-haut au noble lord. Alors M. Burke prit[p.240]le parti de retirer sa motion, & la chambre s'ajourna au lendemain.

Le jeudi 17, les pairs étant assemblés & les trois lords commissaires ayant donné le contentement du roi aux bills qui se trouvoient prêts à le recevoir. Lord Ravensworth se leva, & pressa les ministres de déclarer à la chambre, avant qu'elle prît le message du roi en considération, si l'on se proposoit de proroger incessamment le parlement, ou si en conséquence de la situation critique des affaires, le grand conseil de la nation continueroit ses séances, afin que le roi pût profiter de ses avis. Personne n'ayant répondu, après une courte pause, lord Weymouth présenta le message du roi au chancelier, qui en fit la lecture.

George Roi,

« L'ambassadeur du roi d'Espagne ayant délivré un papier au lord vicomte de Weymouth, & lui ayant signifié qu'il avoit reçu ordre de sa cour de quitter immédiatement l'Angleterre, sa majesté a cru nécessaire d'ordonner qu'une copie de ce papier fût mise sous les yeux de son parlement, comme étant un objet de la plus haute importance pour sa couronne & pour[p.241]son peuple : sa majesté déclarant en même tems qu'en conséquence de cette déclaration hostile elle s'est trouvée obligée de rappeller son ambassadeur de Madrid.

Sa majesté déclare de la manière la plus solemnelle, que son désir de conserver, de cultiver la paix & un commerce amical avec la cour d'Espagne, a été uniforme & sincère ; que sa conduite à l'égard de cette puissance, n'a pas été guidée par d'autres motifs, par d'autres principes que ceux de la bonne foi, de l'honneur & de la justice ; c'est avec la plus grande surprise que sa majesté remarque les prétextes qui servent de fondement à cette déclaration, vu que quelques-uns des griefs énumérés dans ce papier ne sont jamais venus à la connoissance de sa majesté, soit par représentation de la part du roi catholique, soit par aucun autre avis qui eût pu lui parvenir d'ailleurs ; vu enfin, que dans tous les cas où il lui a été porté des plaintes, elles ont été traitées avec la plus grande attention, & qu'on s'est occupé sur le champ du redressement de ces griefs.

Sa majesté a la confiance la plus ferme dans sa fidèle chambre des pairs, & ne doute pas qu'elle ne s'empresse de concourir avec le zèle & l'esprit public qu'elle a si souvent annoncés, à seconder sa majesté dans la résolution qu'elle[p.242]a prise de développer tous les efforts & toutes les ressources de la nation pour résister aux atteintes hostiles de la cour d'Espagne, & pour les repousser ; elle se flatte qu'au moyen des bénédictions qu'il plaira à Dieu de répandre sur la droiture de ses intentions & l'équité de sa cause, elle sera en état de faire avorter les entreprises dangereuses que ses ennemis pourroient faire contre l'honneur de sa couronne, le commerce de son royaume, les droits & les intérêts communs de tous ses sujets ».

La lecture du message étant finie, lord Weymouth présenta le manifeste de l'Espagne au clerc, qui le lut à haute voix, & cette lecture étant finie, le vicomte de Weymouth fit à l'ordinaire, la motion suivante.

« Qu'il soit présenté une humble adresse à sa majesté, pour la remercier de son gracieux message, &c. »

Les paroles du message construites en forme d'adresse, suivant l'usage.

Lord Abingdon & le duc de Richemond, s'étant levés à la fois pour proposer un amendement à l'adresse, par convention d'honnêteté, celui du comte Abingdon passa le premier, il étoit conçu en ces termes :

« Le tout néanmoins, dans l'espoir & l'humble[p.243]confiance qu'éveillée, comme votre majesté doit enfin l'être à l'approche de la ruine qui menace l'état, par l'incapacité & la foiblesse des ministres auxquels l'administration du gouvernement a été confiée ; votre majesté verra la nécessité d'éloigner ces ministres de vos conseils royaux & de votre présence, & de leur en substituer d'autres qui (par un changement de système & en obtenant la confiance des loyaux sujets de votre majesté) puissent former du tout, un seul corps, une seule âme ; unique moyen qui vous reste de préserver l'existence politique de cet empire, grand jadis, aujourd'hui expirant ».

Lorsque le comte d'Abingdon eut cessé de parler, le duc de Richemond se leva à son tour pour proposer l'amendement qu'il avoit annoncé.

« Ce moment, dit sa grâce, est d'une importance imposante ; nous sommes dans une situation bien critique, lorsque je dis critique, je n'emploie pas ce mot dans le sens qu'on lui donne vaguement. On l'a mille fois prostitué pour peindre quelques circonstances dangereuses dans lesquelles le royaume se trouvoit ; mais quiconque connoît notre histoire, sait que jamais l'Angleterre ne s'est vue dans une situation vraiment critique, si ce n'est aujourd'hui. II est vrai que je me fuis long-tems préparé à recevoir le coup ;[p.244]on l'a si souvent prédit ici & ailleurs, que le manifeste de l'Espagne devroit moins nous surprendre. Cependant ce coup est si vif, qu'au moment où on le reçoit, il n'est pas possible de se défendre d'un mouvement d'étonnement & de trouble ; lorsque je m'exprime ainsi, je désire que l'on ne me soupçonne pas de regarder ce moment-ci comme propre au découragement : l'homme ne doit se laisser abattre par aucune circonstance de la vie, il le doit infiniment moins lorsque le danger le menace. Dès qu'il se présente, la première idée doit être de le repousser ; c'est au cri du danger que j'accours ici, non pour m'opposer à l'adresse, mais pour seconder le noble vicomte qui la propose. En considérant avec un peu d'attention le papier présenté au noble vicomte par l'ambassadeur d'Espagne, il est aisé de démêler que son contenu est tout uniment un prétexte pour faire la guerre ; je n'ai jamais douté que telle n'ait été, dès les commencemens, l'intention de l'Espagne, qui n'attendoit que l'occasion de la mettre en exécution ; les raisons qu'elle allègue sont des prétextes tous purs, & des prétextes dont la cour de Madrid devroit rougir. Je suis cependant étonné de ce que le noble vicomte n'a pas notifié à la chambre, qu'il soumettoit à sa considération un état de ce qui s'est passé entre les[p.245]cours de Londres & de Madrid, relativement aux griefs dont il est fait mention dans le manifeste, & que l'on y porte à cent ; sans doute, que telle est l'intention du ministère… En vérité, dans un moment pareil à celui-ci, mon intention n'est pas de revenir sur un sujet aussi propre à aggraver nos peines, que l'énumération des erreurs passées des serviteurs du roi ; c'est en avant qu'il faut aller, & au lieu de perdre le tems à récapituler infructueusement des fautes sans remède, il s'agit de former un système vigoureux de mesures efficaces, & d'aller au-devant du danger avec un degré de fermeté & de confiance proportionné à son étendue. Quelque soit donc ma façon de penser & de voir en général sur le compte de l'administration, je ne m'en prendrai personnellement à qui que ce soit pour le moment, & loin de projetter de nouvelles semences de dissention & d'animosité, je ne m'occuperai que de ce qui pourrait opérer une réunion de tous les partis. Quant à moi, je suis prêt à sacrifier ma vie, ma fortune pour mon roi & pour mon pays ; mais comme le sacrifice est de quelque prix, avant que je le fasse, j'ai le droit de demander si l'on en fera un bon usage ; c'est dans cette vue que je vais proposer un amendement à l'adresse : comme mon intention est de remplir fidèlement l'offre que[p.246]je fais de ma vie & de ma fortune, je crois être en droit de déclarer en quelles conditions cette offre est faite ; sa grâce lut alors son amendement, conçu en ces termes :

« Que dans un moment aussi critique que celui qui se présente à la considération du parlement, dans le moment de danger leplus imminent que le pays ait jamais éprouvé,nous tromperions sa majesté & la nation, sien déplorant le funeste effet des conseils,qui, en divisant & en épuisant les forces del'empire par des guerres civiles, qui ont engagé nos ennemis naturels à profiter de notre état de foiblesse & de détresse, nous ne représentions pas à sa majesté que l'unique moyen de résister aux forces combinées qui menacent ce pays, est de changer totalement le système qui nous a embarqué dans les difficultés que nous éprouvons en Amérique,en Irlande & chez nous-mêmes ; que si en faisant usage de ce moyen, on consulte uneéconomie prudente, en développant d'une manière convenable les efforts d'un peuple libre & uni, nous espérons que sa majesté, avec l'aide de la divine providence, sera enétat de faire face à tous ses ennemis, & deréintégrer la Grande-Bretagne dans son ancienne situation respectée &heureuse ».[p.247]En attendant considérons celle dans laquelle nous nous trouvons ; nous avons à combattre les efforts unis de la France & de l'Espagne, & cela avec un désavantage sensible : il est vrai que lors de la dernière guerre nous nous sommes vus supérieurs à ces deux mêmes puissances ; mais il faut observer que nous les battîmes l'une après l'autre ; la France étoit presque épuisée lorsque l'Espagne se déclara, & dans ce tems-là nous avions l'Amérique qui combattoit à nos côtés ; l'Irlande étoit en état de nous soutenir & le faisoit de bonne volonté, aujourd'hui les choses sont bien différentes. Avant d'entrer en guerre, nous avons dépensé la moitié des sommes que la dernière guerre nous a coûté en totalité ; l'Amérique, loin de combattre pour nous, est liguée avec la France & l'Espagne. Cette première puissance n'est point du tout épuisée, & la seconde est un ennemi frais qui entre en campagne ; l'Irlande est dans un état de détresse si absolue, qu'en lui supposant même pour nous la meilleure volonté du monde, elle ne pourroit nous être d'aucune utilité ; mais le cas est bien plus inquiétant, & il est probable que l'effet de notre oppression sera de forcer ce peuple loyal à se révolter, parce qu'il n'a pas le tems d'attendre le loisir du parlement ; telle est notre situation, telle est celle de nos ennemis. Près de trente[p.248]vaisseaux de ligne, quinze frégates, ou à peu près, ont appareillé de Brest le 3 Juin pour joindre la flotte Espagnole, égale en nombre de vaisseaux à celle de France ; qu'avons-nous à opposer à ces deux flottes de la maison de Bourbon, qui montent à soixante vaisseaux de ligne & environ trente frégates ? Nous avons trenteun vaisseaux & six frégates, c'est-à-dire, la moitié moins ; c'est-à-dire, enfin, que si les deux flottes en viennent aux mains, la nôtre aura contre elle le désavantage d'une inégalité immense ! À l'égard de nos forces de terre, je regarde l'Irlande comme étant en danger ; un fait certain est que la flotte de Brest a beaucoup de troupes à bord aux ordres du général de Vaux, ancien & vaillant lieutenant général, ayant sous lui plusieurs officiers généraux, ensorte qu'il n'est pas douteux que la France médite une attaque contre quelque partie des domaines de la couronne Britannique. Au surplus, il s'en faut de beaucoup que je me sente découragé ; l'Angleterre pour le moment ne manque ni d'hommes ni d'argent ; tant qu'il restera un schelling dans le royaume, il doit être au service public, & les hommes doivent offrir également leur service en personne ; il y a plus, si la nature des événemens l'exigeoit, une moitié de la nation devroit prendre les armes, tandis que l'autre moitié pourvoiroit aux[p.249]choses nécessaires à la subsistance de la première. Nous avons assez d'officiers sans emploi pour commander tout ce qui, dans le royaume, est en état de porter un fusil sur l'épaule.

« Aucuns des quatre amendemens ne futreçu, & l'adresse pure & simple fut votéepar une majorité considérable ».

Tandis que les choses se passoient ainsi dans la chambre des pairs, lord North remplissoit dans celle des communes les pénibles fonctions de son ministère ; il fut plus heureux que la veille, & l'adresse qu'il proposa, passa unanimement.

[p.250]

 

Protest de quelques Pairs, au nombre de vingt, qui le firent enregistrer & le souscrivirent contre les adresses des deux Chambres, en réponse au message de Sa Majesté.

 

Du 22 Juin 1779.

Parce que l'amendement proposé, recommandant a sa majesté un changement de système dans les principes & la conduite de la guerre, nous paroît être fondé sur toutes les considérations que la prudence & l'expérience peuvent suggérer & rendre nécessaire par la grandeur extrême des dangers qui nous environnent.

L'abandon formel du droit de taxer l'Amérique septentrionale, proposé par les mêmes ministres qui, au prix du sang de cinquante mille hommes & de trente millions sterl. ont dans le cours de trois années tenté successivement d'établir cette prétention, prouve nécessairement, ou que ces principes de législation qu'ils avoient d'abord établis ensuite abandonnés, comme ils l'ont fait, étoient injustes en eux-mêmes, ou que le développement des forces entières de la Grande-Bretagne dirigées[p.251]par eux, n'étoit pas suffisant pour effectuer la dépendance raisonnable de ses propres colonies ; dilemme déshonorant pour eux, ruineux pour nous, dont l'alternative, quelle qu'elle puisse être, prouve qu'ils sont entièrement indignes de la confiance future d'un souverain & d'un peuple qui, en ayant eu pour eux plus qu'aucun roi ou aucune nation, n'en ont jamais placé dans aucuns ministres, en ont été les victimes d'une manière dont les archives du parlement & les calamités de la nation ne sont que de trop fidèles témoins.

Si les forces entières de la Grande-Bretagne & de l'Irlande, secondées par les concessions pécuniaires les plus prodigues, assistées de trente mille Allemands, développées pendant longtems sans essuyer d'obstacle de la part d'aucune puissance étrangère, ont échoué dans le coûts de trois campagnes devant les provinces de l'Amérique septentrionale, qui ne s'étoient pas préparées à en soutenir l'effort, nous nous regarderions nous-mêmes, comme également indignes de toute espèce de confiance, si pour nous soustraire aux efforts réunis & secours d'argent de la France & de l'Espagne, ajoutés à la résistance que l'Amérique septentrionale nous a oposée avec succès, nous nous reposions[p.252]sur les talens de ceux qui ont échoué lorsqu'ils n'avoient à faire face qu'aux simples Colonies.

Dans une situation pareille, un changement de système nous a paru être, le parti qu'il étoit de notre devoir indispensable de conseiller ; nous avons regardé ce changement comme l'unique moyen de produire cette union de conseils, cet effort volontaire de tous les individus de l'empire, qu'il est indispensable de développer dans cette heure de danger : nous avons concouru avec empressement, en faisant l'offre sincère de notre sang & de nos biens pour soutenir sa majesté contre les attaques de ses ennemis.

Ces gages précieux, tant de ce qui nous appartient personnellement, que de ce qui appartient à nos concitoyens (de ce qui doit nous être & ne nous est pas effectivement moins cher) nous donnent pleinement le droit de demander quelques sûretés qui nous répondent que l'emploi en sera fait avec jugement, efficacité ; pour remplir les vues dans lesquelles nous les offrons, & qui nous en répondent mieux que l'opinion que nous pouvons nous former d'après celle que toute la terre paroît avoir de l'incapacité totale des ministres de sa majesté.[p.253]Afin de ne point embarrasser le gouvernement dans un moment si difficile, nous avons évité de recommander aucune mesure spécifiée, mais nous ne nous faisons pas scrupule de déclarer premièrement que, quelque puisse être, à l'avenir, la conduite de la Grande-Bretagne, à l'égard de l'Amérique, le parti que l'on prendroit de rassembler nos forces à temps pour résister & nuire à nos rivaux naturels & anciens ennemis, nous paroît indubitablement convenable & expédient.

En second lieu, nous croyons que cet avis est donné d'autant plus à propos, que nous connoissons l'attachement obstiné que les ministres ont pour ce malheureux système, pour lequel ils ont porté leur prédilection fatale au point d'exposer la sûreté de l'état, & de souffrir que les forces navales de nos ennemis naturels, anciens, jaloux & puissans, s'accrussent sous leurs yeux sans faire la moindre attention pour l'arrêter dans ses combinaisons insidieuses & sa direction hostile, jusqu'au moment où cet accroissement est parvenu au degré où il se trouve aujourd'hui.

Troisièmement, l'adoption de ce plan nous paroît fortement recommandée par la triste situation à laquelle la mauvaise conduite & la[p.254]négligence criminelle des ministres nous ont réduits : nos meilleures ressources dissipées & consumées, l'empire Britannique démembré, mis en pièces ; une combinaison des plus puissantes nations formée contre nous, avec une supériorité navale décidée en leur faveur, tant à l'égard du nombre des vaisseaux que de l'activité des préparatifs; enfin la Grande-Bretagne aujourd'hui, pour la première fois, étant livrée à elle-même, entièrement exposée, & sans un seul allié, nous nous regarderions comme complices des crimes des ministres, & contribuant à notre propre destruction, si nous négligions aucun des moyens possibles d'assurer l'emploi convenable de toutes les forces qui nous restent, en nous reposant aveuglément sur des personnes qui nous ont fait perdre la confiance de toutes les nations de l'Europe. La disposition mâle dans laquelle le parlement paroîtroit être d'employer la sagesse nationale à la guérison des maladies nationales, rétabliroit notre crédit & notre réputation au dehors, & engageroit les nations étrangères à rechercher cette même alliance qu'elles fuient aujourd'hui ; ajouteroit un degré de vigueur aux efforts que nous ferions chez nous ; donneroit la vie & l'action à cet esprit particulier, à la Grande-Bretagne qui, sous la[p.255]direction de sages conseils & d'une providence protectrice, s'est trouvée si souvent supérieure à l'avantage du nombre, mais qui ne peut tirer son existence que de l'opinion bien fondée où l'on seroit que cet esprit doit développer ses ressorts sous des ministres & des commandants qui jouissent de l'estime & de l'affection du peuple.

Nous avons demandé en vain qu'on nous présentât quelque plan sur lequel nous puissions fonder de plus heureuses espérances, ou que l'on nous donnât quelque raison qui déterminât à adhérer au système actuel.

Nous avons demandé en vain que l'on nous fît connoître quelles ont été les circonstances de la médiation, quels sont les griefs dont la cour d'Espagne se plaint, afin de nous mettre en état de peser la justice de la guerre dans laquelle nous allons nous engager. Parce que cette justice est l'unique fondement sur lequel nous puissions supposer que portera la protection de la providence divine.

Nous avons exposé avec force, la nécessité de prolonger les séances du grand-conseil de la nation, afin que dans une crise si difficile, sa majesté ne fut pas privée de l'avis du parlement.[p.256]Toutes ces représentations ont été accueillies avec un silence morne & peu satisfaisant, qui ne nous a que trop donné lieu de conclure que l'intention des ministres est de persévérer dans la malheureuse carrière, où toutes nos infortunes ont pris naissance ; après avoir fait tout ce qui étoit en notre pouvoir pour ouvrir les yeux de la chambre & l'engager à mieux envisager les choses, nous prenons cette précaution pour nous-mêmes, pour nous laver des suites qui peuvent résulter de la continuation de ces mesures.

[p.257]

 

Humble Adresse des très-honorables les Lords spirituels & temporels assemblés en Parlement, au Roi, pour le remercier de son très-gracieux Message & de la communication qu'il leur avoit faite du papier délivré par l'ambassadeur du Roi d'Espagne ; au lord vicomte de Weymouth.

 

Très-gracieux Souverain,

Nous les très-fournis & loyaux sujets de votre majesté les lords spirituels & temporels, assemblés en parlement, demandons la permission de faire à votre majesté nos humbles remercimens à raison de votre très-gracieux message, & de la communication à nous faite du papier délivré au lord vicomte de Weymouth par l'ambassadeur du roi d'Espagne, papier que nous ne pouvons considérer que comme étant de la plus haute importance pour la couronne & pour le peuple de votre majesté, & parce que vous nous avez informés qu'en conséquence de cette déclaration hostile, votre majesté s'est trouvée dans la nécessité d'ordonner à votre ambassadeur de se retirer de cette cour.

Qu'il nous soit permis d'assurer à votre majesté que parmi les preuves multipliées que nous avons eues des soins constants de votre majesté, [p.258]& de l'intérêt qu'elle prend à la sûreté & au bonheur de votre peuple. La déclaration que fait votre majesté du désir sincère qu'elle avoit de conserver & de cultiver, la paix & un commerce amical avec la cour de Madrid, ne peut manquer de nous inspirer les plus hauts sentimens de reconnoissance & d'attachement, & qu'animés par l'exemple de votre majesté, on nous verra avec une fidélité & une résolution inébranlables, vous offrir le sacrifice de notre sang & de nos biens, marcher à vos côtés, & soutenir votre majesté contre tous les desseins & toutes les tentatives de vos ennemis au préjudice de l'honneur de votre couronne, des droits & des intérêts communs de tous les sujets de votre majesté.

L'adresse des communes est, peu s'en faut, conçue dans les mêmes termes.

Réponse du Roi aux adresses des deux Chambres.

Je vous remercie de cette adresse loyale & affectionnée ; j'ai placé la plus haute confiance dans votre appui, j'espère que le courage & la vigueur de mon peuple, à l'aide de la protection divine, me mettront en état de repousser toutes les atteintes hostiles qui pourroient être portées à mes états, à l'honneur de ma couronne & aux droits de mes sujets.

[p.259]

 

Extrait de la Séance de la Chambre des, Communes, qui montre l'alarme générale qu'occasionnoit la réunion de la France & de l'Espagne dans le moment de détresse ou se trouvoit la nation. Différens plans proposés pour le doublement des milices du Royaume. Discours ou plutôt ex-abrupto violent de M. Fox, contre l'alliance de l'opposition avec les Ministres. Tirés d'un papier du tems.

 

Du 22 Juin 1780.

Il s'agissoit de la seconde lecture du bill pour doubler les milices du royaume : cette séance se passa en délibérations sur les moyens de se défendre. Divers membres proposèrent différens plans dont voici les plus remarquables :

« Renvoyer, congédier les ministres, ou point de salut pour l'Angleterre ».

Sir George Young proposa que le royaume entier prît les armes, que l'on formât un cordon tout le long des côtes, & que l'on établît par-tout des postes pour donner l'alarme.

Sir W. Meredith suggéra une autre idée ; son avis étoit que tout seigneur, tout citoyen notable devoit sur le champ fournir un cheval à[p.260]un de ses gens, & l'envoyer tout équipé à un certain rendez-vous, où cette valetaille seroit exercée, formée aux évolutions militaires, & destinée à harasser, sinon à repousser l'ennemi.

Sir George Sacville conseilla que l'on s'attachât sur-tout à dénicher de leurs repaires les gens de mer accoutumés à servir à bord des vaisseaux côtiers, espèce d'hommes nombreuse & brave.

Le général Burgoyne, recommanda le rappel des officiers réformés à demi-paie ; que l'on formât des postes sur toutes les avenues ; que l'on distribuât tout ce que l'on pouvoit rassembler d'hommes, en petits corps avantageusement placés ; que les côtes, les défilés & les chemins principaux fussent hérissés de canons.

L'avis de sir Charles Bunburg fut qu'il ne s'agissoit pas tant de se préparer à recevoir l'ennemi qu'à le repousser ; que par conséquent l'objet essentiel étoit de rendre la flotte de sir Charles Hardy plus formidable, s'il étoit possible, que les flottes combinées de la France & de l'Espagne ; que pour y réussir, le parti le plus expédient à prendre, étoit de lever effectivement les trente mille hommes en question : mais qu'au lieu de compter sur eux pour le service de terre, il falloit en convertir quinze mille en[p.261]matelots & quinze mille en soldats de la marine.

Quant à moi, M. R. Whitworth, j'ai aussi à donner un avis que j'ai déjà mis en pratique pour mon compte :« J'ai trente fermiers, jeleur ai adressé une lettre circulaire pour lessommer de fournir chacun un homme. Ils lefourniront certainement, que tout seigneur,tout propriétaire foncier en fasse autant, &l'on aura des hommes ».

Lord Nugent offrit le dernier avis & amena une scène plus violente encore que tout ce que nous avons vu jusqu'ici. S'étant avisé de dire :« Que si dans ce moment-ci l'Angleterre n'avoitpoint d'alliés étrangers, elle avoit contractéla plus heureuse des alliances, en réunissantles partis qui la divisoient ».

M. Fox partit comme l'éclair. Voici un de ces terribles abrupto qui lui sont familiers.

« L'opposition, l'alliée des ministres ! Non, l'idée seule en fait horreur ; non, aucun membre de l'opposition n'a pu s'allier avec ceux dont la trahison a vendu ce pays à la perdition ! Quand je dis trahison, j'emploie le terme dans son acception la plus stricte. Mais, demandera-t-on, leur trahison consiste-t-elle à entretenir des connexions avec la France ? C'est ce que je ne prendrai pas sur moi d'affirmer. Consiste-t-elle[p.262]en ce qu'ils ont vendu leur opinion a d'autres hommes dont ils sont les esclaves & les instrumens, je les soupçonnerois volontiers d'être des traîtres de cette dernière espèce… Une alliance ! entre qui ? L'opposition alliée ! avec qui ? Avec des hommes qui sachant que nous étions menacés d'une invasion de la part des forces combinées de deux puissantes monarchies, ont envoyé sir Edward Hughes avec sept vaisseaux de ligne aux Indes Occidentales, où il n'y a pas d'ennemis à combattre, laissant le cœur du royaume sans défense. S'allier ! avec qui ? Avec des hommes qui se sont alliés eux-mêmes avec l'opprobre & la ruine ! Une alliance ! avec qui ? Avec des hommes qui dans les mêmes circonstances ont envoyé l'amiral Arbuthnot en Amérique, avec sept vaisseaux de ligne ! Non, ce seroit s'allier avec l'opprobre & la ruine. Une alliance ! avec qui ? Avec des hommes qui ont convoyé sir Charles Hardy avec une flotte de trente vaisseaux, sachant que les flottes combinées de la France & de l'Espagne montent au moins à cinquante, peut-être soixante navires, sachant & avouant que dans peu de jours ils devoient avoir six ou sept vaisseaux de plus à mettre en mer ! S'allier avec de pareils hommes, ce seroit s'allier avec l'opprobre & la ruine. Une alliance ! avec qui ? Avec des hommes qui[p.263]ont dégoûté du service tout ce que nous avions d'anciens officiers précieux à la nation, par leur expérience & leur popularité ! S'allier avec des hommes dont la foiblesse & l'orgueil ont forcé tous les potentats de l'Europe à nous abandonner, à nous contempler dans le moment de détresse, spectateurs tranquilles sans nous prendre en pitié; sans nous offrir le moindre secours ! Non, non, encore une fois, s'allier avec de pareils hommes, ce seroit s'allier avec la ruine, l'opprobre & l'infamie.

[p.264]

 

Discours de M. Wilkes aux Électeurs du comté de Middlefex. Lord North, à la dernière élection de ce comté, ayant accordé à un Candidat & refusé à un autre une place, en vertu de laquelle le siège qu'occupe au Parlement celui qui en est pourvu, devient vacant ; les Électeurs se proposèrent ; dans une de leurs assemblées de faire présenter une pétition aux Communes, pour en obtenir une réparation de l'atteinte injurieuse portée à leurs droits ainsi qu'à ceux de tous les Électeurs de la Grande-Bretagne. C'est à ce sujet que M. Wilkes leur adresse ce Discours.

 

Du 10 Novembre 1779.

Messieurs les Électeurs,

Je m'estime très-heureux d'avoir cette occasion de vous renouveller personnellement l'assurance de mes respects ;& d'être honoré de vos ordres : je ne me suis point trouvé aux dernières assemblées de ce comté, parce qu'en ne prenant point part à leur objet, j'ai cru vous marquer mieux mon respect : je n'ai pas osé prendre sur moi de vous suggérer même quels pouvoient[p.265]être mes désirs relativement au choix que vous aviez à faire pour donner un successeur à notre ami défunt[20] : sa perte sera long-tems regrettée & cruellement sentie de tous ceux qui, parmi nous sont véritablement amis de la liberté : rien ne pouvoit surpasser son zèle pour vos droits constitutionnels & légaux ; son attachement inébranlable pour le véritable bien-être de ce pays, ni le respect qu'il portoit au système des loix de ce même pays.

On aura de la peine à égaler ses talens prodigieux, les connoissances qu'il avoit acquises dans sa profession, qu'il a développées dans une infinité d'occasions importantes, & toujours dans la cause généreuse de la liberté : rien ne pouvoit me causer une satisfaction plus vraie que de penser que le successeur que vous lui avez donné, possède ce même esprit de liberté, ces mêmes principes d'indépendance, toujours supérieurs aux menaces du pouvoir, à tous les artifices de la corruption. Son excellent prédécesseur a souvent rendu ce témoignage à son mérite ;& c'est avec plaisir que je saisis cette occasion de donner aux vertus publiques de M. Wood le tribut d'éloge qui leur est dû, ainsi[p.266]que celui de la reconnoissance que je lui ai vouée du zèle qu'il a développé en vous servant ; zèle auquel il a sacrifié, dans ce moment de crise intéressante, les aisances de la retraite d'une vie privée.

Je remarque, messieurs, dans l'avertissement des shérifs, que vous êtes assemblés pour prendre en considération quelques circonstances répréhensibles de la dernière élection, & qui ont répandu dans le corps des électeurs une alarme fondée & générale : quelques soient les résolutions que vous puissiez prendre relativement à la conduite arbitraire que le ministre a tenue récemment, en accordant à un candidat une place qu'il refusoit à un autre, permettez que je vous offre mes services & mon zèle pour les mettre en exécution : je développerai tous mes efforts en obéissant à vos ordres ; je serai prêt en tout tems, à porter vos plaintes à la chambre des communes, & même au trône : par la chaleur avec laquelle on me verra constamment servir mes dignes constituans, je désire vous convaincre de la reconnoissance dont me pénètrent vos bontés accumulées.

[p.267]

 

Discours très-violent de M. Maskall, dans lequel il s'oppose à la motion de M. Wilkes ; que M. Townshend avoit appuyée, & sur laquelle il avoit même enchéri. Il prétend que ce n'est pas à la Chambre des Communes qu'il faut s'adresser pour obtenir le redressement de ses griefs ; que cette Chambre n'est composée en très-grande partie que d'hommes vendus au ministère, &c.

 

Du 10 Novembre 1779.

Non, messieurs, mon avis n'est point que l'on présente une pétition pareille : le comté a trop mis la chambre des communes à l'épreuve pour ne pas être convaincu qu'il y a de la folie à s'adresser à elle pour en obtenir le redressement de ses griefs : l'honorable membre qui a fait la motion est une exception glorieuse à ce qui constitue le caractère de la chambre, je lui accorde le tribut de respect qui lui est dû, ainsi qu'à plusieurs autres membres respectables ; mais d'après la conduite des communes, je ne puis me prêter à une mesure tendante à honorer un corps qui s'est condamné lui-même à l'avilissement & à la honte, présenter une pétition à la[p.268]chambre des communes, à une majorité vénale d'hommes pensionnés ou placés par le ministre, d'hommes qui se sont dévoués à la volonté de ce ministre, & dont tout le système consiste à donner largement les deniers du public ; afin d'en recevoir une portion ! Une maudite chambre des communes, que l'on a constamment vue sanctifier toutes les mesures du ministre, quelque près qu'elles approchassent de la trahison ; telles que le massacre des électeurs lors de l'élection de M. Wilkes ; le bill relatif au Canada ; la suspension de l'habeas corpus ; la manière dont elle a traité la motion de M. Wilkes. Une chambre des communes enfin, dont mille traits confirment la vénalité & l'infamie !est-ce à de pareils hommes que le comté de Middlefex présenteroit une pétition ? Non, messieurs, non : je me flatte, j'espère que l'on mettra en usage tout autre langage que celui de la supplication ;& que lorsque les habitans du comté se présenteront devant la chambre des communes, ils auront à la main d'autres armes qu'un rouleau de parchemin barbouillé d'encre.

[p.269]

 

Discours du comte de Carlisle, dans lequel il prévient les allégations qu'on peut avancer contre la motion du comte de Shelburne ; par rapport à la réforme & aux retranchemens proposés ; que quant à la formation d'un Comité tiré des deux Chambres il la juge impossible, parce qu'il prévoit que les Communes refuseroient de traiter avec les lords d'une matière relative à l'administration des deniers publics. Il est d'avis que l'on fasse une enquête.

 

Du 8 Février 1780.

Dans la motion du noble comte, il me semble qu'il y a deux choses distinctes à considérer ; 1°, jusqu'à quel point il peut être nécessaire ou convenable d'appuyer de tout le pouvoir de la chambre une enquête qui promette de produire les effets salutaires que l'on paroît en attendre ; 2°, Si la chambre, pour parvenir à cette fin, peut ou doit employer le moyen proposé, de conformer un comité tiré des deux branches du corps législatif.

À l'égard de la première considération, il paroît que la chambre ne doit point faire difficulté[p.270]de convenir, que dans les circonstances difficiles où la nation se trouve, il est nécessaire & convenable d'adopter tout ce qui peut tenir à un système sage d'économie nationale; qu'il est plus nécessaire, plus convenable encore de commencer par mettre un terme à tout ce qui s'appelle prodigalité ou profusion ; que les irrégularités qui se sont glissées dans le département des finances, par un effet de la facilité de l'administration actuelle & des administrations précédentes, demandent une suppression immédiate, que les richesses énormes qui, du trésor public, coulent dans les coffres de quelques particuliers, sont un abus insupportable dans des temps de détresse nationale ; qu'en un mot, de quelque manière que l'on s'y prenne pour réformer, il est toujours indispensable d'en venir à une réforme. Quelques personnes pensent qu'il faudroit attaquer l'arbre par ses racines ; d'autres croient que le temps sanctifie les abus, & que plus un individu s'est engraissé long-tems aux dépens du public, moins on doit songer à lui retirer une substance qu'il s'est appropriée. Une troisième classe imagine que par-tout où l'abus peut être découvert, il faut le supprimer. Une grande objection qui s'élève contre la réforme générale, est naturellement dans la bouche de tous ceux qui doivent en souffrir ; ils vous disent[p.271]que ce dont on a long-tems joui, a contracté une apparence de propriété à laquelle il est difficile de renoncer, parce qu'on l'a regardée comme sacrée & inviolable : à cette objection, on répond que toute propriété qui n'existe que dans la bourse d'autrui, n'est qu'une jouissance passagère, un droit pécuniaire assujetti aux vicissitudes, & qui doit cesser au moment où la communauté la trouve onéreuse : c'est ainsi que les notions varient, que les opinions se déterminent : un sentiment de générosité partiale peut rendre odieuse & révoltante, aux yeux de quelques nobles lords, l'idée de dépouiller des individus de ce dont ils sont en possession ; mais cette partialité séduira-t-elle le public ? Croira-t-il de sa dignité de manifester ces égards généreux au détriment de l'état envers quelques individus ? Toutes ces choses sont à peser.

Quant au second objet des considérations de la chambre, quant au moyen proposé de former un comité tiré des deux branches du corps législatif, très-certainement il me paroît impraticable, & il n'obtiendra pas mon consentement : comment parviendroit-on à traiter amicalement d'un système d'économie, d'une affaire qui tient au département des finances, dans une assemblée dont une partie commenceroit[p.272]par dire à l'autre : vous ne devez point vous mêler de ce qui a rapport à l'administration des deniers publics ? Certainement, milords, ceux de vous à qui les communes feroient cette objection, n'auroient rien à répondre, vous ne trouverez dans vos journaux aucun exemple de comité mixte qui puisse autoriser la création de celui que l'on propose : je suis donc d'avis que l'on fasse une enquête, & qu'à cet égard la motion soit admise ; mais quant au comité, je le regarde comme impraticable, & la partie de la motion qui le propose doit être retranchée.

[p.273]

 

Noble Réplique du duc de Grafton au Discours précédent. Les deux Chambres doivent se réunir & traiter ensemble sur les réformes économiques à faire dans l'administration des finances en convenant auparavant d'une manière de procéder qui ne léseroit en rien le privilège des Communes.

 

Du 8 Février 1780.

Il est plus simple de proposer des amendemens que de rejetter totalement la motion : l'objection des deux nobles lords qui ont parlé les derniers, fondée sur la répugnance qu'auroient les communes à traiter conjointement avec les pairs du royaume, des matières de finances ; cette objection, dis-je, seroit levée dans une courte conférence : il seroit facile de convenir d'une manière de procéder qui ne léseroit en rien le privilège des communes : l'objet dont il s'agit est d'une si grande importance pour la nation, que tous les obstacles devroient naturellement s'applanir : les grands corps, les individus, tous doivent le prêter : il s'agit de réforme dans l'administration des finances, d'un système[p.274]d'économie, par conséquent de retranchemens ; ces retranchemens peuvent s'étendre très-loin. Il est possible que certains émolumens dont je jouis, ainsi qu'un autre duc (de Richemond) en vertu d'un acte du parlement, émolumens qui forment une partie très-considérable de ma fortune, paroissent susceptibles de diminution ; il est possible même que l'on songe à les supprimer : dans ce cas, je serois certainement fondé à me plaindre d'une injustice, à gémir avec mes enfans de la perte de leur fortune, des embarras dans lesquels les jetteroit un jour une perte si considérable ; mais j'aurois une consolation, je me dirais, ce que j'ai perdu, le public l'a gagné, & le coup qui a anéanti ma fortune, a détruit l'influence de la couronne.

[p.275]

 

Mémoire lu & approuvé dans plusieurs assemblées des Députés de différens comtés, cités & villes d'Angleterre tenues dans la cité de Westminster, contenant les motifs d'un plan d'association proposé par ces Députés, pour obtenir du Parlement le redressement des griefs nationaux.

 

Du 11 au 20 Mars 1780.

Si jamais il y eut une époque dans l'histoire de ce pays qui ait dû éveiller les soupçons du peuple & l'exciter à montrer son courage, c'est sans doute dans le moment présent. D'autres temps ont été témoins de quelques attentats particuliers contre les libertés des sujets, ou tendant à les restreindre dans des circonstances particulières. Mais quelques fussent leurs efforts pour y réussir, ils ont été en général rendus inutiles, parce que l'amour du bien public qui a toujours distingué la nation Anglaise, n'abandonna jamais nos ancêtres, & ne permit jamais le triomphe complet du pouvoir arbitraire. Leurs représentans étoient toujours prêts à se rendre au vœu de la nation, & derrière ce retranchement, ils se crurent toujours en sûreté. Quelle est notre situation présente ? Par les[p.276]suites d'un système despotique qui s'est soutenu sans interruption, pendant près de dix-neuf ans, & qui se trouve presque mis en exécution par une administration destructive, la constitution a été frappée d'un coup mortel. L'esprit de domination ne s'est point arrêté à tel ou tel acte particulier ; on a attaqué à la fois la liberté publique dans son ensemble. Nous voici arrivés à cet instant de crise, que le plus sage des écrivains politiques (Montesquieu) a marqué pour l'époque de la décadence absolue de la Grande-Bretagne ; au moment où le corps législatif deviendra aussi corrompu que le pouvoir exécutif & en dépendra.

Jettons un coup-d'œil rétrograde sur les loix promulguées dans les dix dernières sessions, formant ensemble un code progressif de la prérogative ; laquelle a déjà abîmé dans son tourbillon les premiers principes de l'administration civile, religieuse, militaire & commerçante, tant dans ce royaume que dans ses dépendances, sans excepter les différentes branches de la famille royale, & peut-être même la succession au trône ; prenons-y garde, & doutons, s'il est possible, que le pouvoir exécutif ait suborné le corps législatif. Observons cette majorité vénale soumise au clin-d'œil du ministre, donnant, de séance en séance, la sanction législative à des propositions dont dépend le destin de la patrie; souvent[p.277]s'opposant directement aux premiers principes de la constitution & aux intentions du peuple ; tandis qu'un petit nombre de personnes indépendantes ont fait inutilement entendre la voix de la justice & de la raison, à laquelle on n'a opposé que les menées du grand nombre ; jugeons d'après cela, combien cette subornation est puissante ! mais allons plus loin, considérons le pouvoir immense de la couronne sur le corps législatif, par la manière de conférer les emplois publics, ou lorsque ces emplois ne sont pas allez lucratifs, ou en assez grand nombre pour séduire l'avarice ou l'ambition des âmes, vénales, voyons-la palier des contrats ruineux, accorder des pensions multipliées, dont quelques-unes sont connues, tandis que l'on cache avec soin la destination des autres. D'après cela ne doit-on pas convenir que l'époque fatale de notre ruine est arrivée, « Puisque le corps législatif est devenu aussi corrompu que le pouvoir exécutif, & qu'il dépend absolument de ce dernier » ?

Il nous étoit donc réservé sous ce joug insupportable d'oppression, qui dans tout autre temps, n'eut présenté à la nation Anglaise qu'un point de vue désolant, (l'influence extraordinaire, générale & dévorante de la couronne), de voir s'y joindre encore une guerre malheureuse avec[p.278]l'Amérique, premier fruit de despotisme »& que l'on n'a entretenue que pour établir le système favori du pouvoir arbitraire. L'influence dont nous parlons s'est servie de nouveaux moyens, pour tenir le parlement en servitude, en sachant appliquer pour cela une grande partie des subsides qui ont de beaucoup excédé ce qu'on en a accordé dans aucune guerre précédente, subsides obtenus, en prétextant les nécessités de l'état ; tandis que la nation, considérée par rapport à son commerce, & à la misère des particuliers, excepté ceux qui se sont enrichis à ses dépens, est plongée dans l'état de pauvreté la plus humiliante. Jamais peuple n'éprouva un passage si rapide de la prospérité à la situation la plus abjecte, elle commença à se faire sentir & à nous accabler, du moment où nous l'entrevoyions à peine : nous en ressentons les terribles effets dans la diminution de la valeur des biens fonds, dans la décadence de nos manufactures, dans la stagnation du commerce, dans les impôts accumulés, enfin, dans la nullité du crédit national dans toutes ses parties. Et tandis que nous devons craindre de voir tout aller de mal en pis, on traite les remontrances justes & modérées d'un peuple opprimé, avec une indifférence méprisante, & sans vouloir y faire droit, on les a négligés jusqu'à présent avec la dernière insensibilité. Nous voyons[p.279]au contraire les oppresseurs du peuple, continuer à être caressés, & leur mauvaise conduite, recueillir les honneurs & les récompenses. On rejette ceux dont l'intégrité leur assureroit les suffrages du peuple, & parmi tous ces sujets de plaintes nous avons la douleur de voir qu'une administration justement détestée, quoique devant être regardée comme responsable de ce qui se fait par ses ordres, cherche à se faire un rempart de la personne du roi, d'un prince dont les prérogatives tendent à, le déclarer incapable de rien faire de mal.

Tels font les griefs dont nous devons nous efforcer d'obtenir le redressement, à moins que nous ne voulions être stigmatisés comme des esclaves par la postérité la plus reculée. II est dans la nature de l'Anglais de ne voir qu'avec indignation les progrès de l'influence de la couronne, comme il est de l'essence d'un membre du parlement de s'y opposer : sera-t-il dit que la nation & ses représentans, non-seulement oublieront, mais couvriront leur caractère distinctif d'une honte ineffaçable ? Il n'y a que trop longtems qu'on nous le reproche : ceux-là même qui ont le plus contribué à mettre en usage les artifices de la corruption, nous ont dit que c'est: au défaut de vertu publique dans le choix de nos représentans, que nous devons attribuer les coups violens portés à notre liberté. Il est donc[p.280]tems de pratiquer cette vertu, & quoi qu'il en puisse résulter, de montrer une opposition ferme, efficace, contre les espérances conçues par le despotisme : alors peut-être les princes sauront s'enorgueillir d'avoir pour sujets, des hommes qui savent placer l'honneur au-dessus de tout.

C'est donc par une nécessité fondée sur des raison que l'honneur & le bon sens ne sauroient rejetter, que des remontrants de tant de comtés, cités & villes d'Angleterre ont pris l'alarme, se sont adressés au parlement, & ont commencé les associations fondées sur la constitution même, afin de donner tout le poids nécessaire à leurs remontrances. Tant que ces griefs subsisteront, nous ne nous relâcherons point, & tous tant que nous sommes, éclairés sur les dangers qui nous menacent, nous nous réunirons jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'une seule voix dans toute l'Angleterre.

Dans des circonstances aussi pressantes nous sommes convaincus que rien ne peut opérer un redressement efficace, si ce n'est la résolution ferme & agissante de rendre au parlement sa liberté & son indépendance, en réformant tous les abus qui ont ouvert la porte à cette influence corrompue, & que le seul moyen d'y réussir, est d'établir une union intime & indissoluble entre tout ce qui reste encore d'êtres indépendans[p.281]en Angleterre, constamment résolus d'agir avec vigueur.

En conséquence, nous recommandons essentiellement à toutes les classes de citoyens, surtout à ceux qui ont droit de suffrage dans les élections, s'ils ont à cœur leur liberté, leurs biens, les avantages de la prospérité, de se réunir, dans la ferme résolution d'obtenir de leurs représentans, cette réforme salutaire au moyen de laquelle on fermera pour toujours entrée à la corruption, & de persévérer jusqu'à ce qu'ils l'aient obtenue, sans s'arrêter à aucune autre considération.

D'abord il est évident qu'il est indispensable d'introduire une réforme dans l'établissement civil, qui fournit un fonds inépuisable pour exercer la corruption par une quantité d'emplois, ou inutiles de leur nature, ou trop bien payés pour le peu de fonctions qu'ils imposent ; établissement nuisible par les dépenses excessives qui se font en pensions non méritées, par la perte qu'occasionne la manière de percevoir les deniers publics & d'en rendre compte. Il est presque impossible, que tant que ces objets de séduction existeront, ceux qui y seront exposés puissent résister, & par conséquent être parfaitement libres.

En second lieu, on sait par expérience, que[p.282]c'est sur-tout des représentans des comtés que les communes d'Angleterre doivent attendre leur indépendance ; dans la situation présente des affaires, on ne peut guère se promettre l'avantage sur le parti qui se laisse corrompre sans augmenter le nombre des chevaliers, représentans des comtés, & choisis avec le plus grand soin. C'est l'espoir que nous avons de voir les choses changer en mieux, lorsqu'on aura retranché différentes branches de l'arbre de la corruption ; c'est l'augmentation proposée qui consolidera fortement les intérêts de la nation dans la partie la plus essentielle de ses représentans. Moins de cent chevaliers de comtés ajoutés au nombre ordinaire, ne suffïroient pas dans ce moment pour donner l'avantage au parti indépendant. D'un autre côté si l'on n'en fixoit pas le nombre, l'espoir fondé sur ces nouvelles mesures, seroit peut-être déçu. C'est la réduction du nombre des représentans des bourgs que nous devons attendre pour nous déterminer à cet égard.

À ces précautions il faut en ajouter une autre, celle de limiter à un temps plus court la durée du parlement, ce que l'on ne peut faire dans toutes les règles de la constitution qu'en réduisant sa durée à un an… (On cite ici avec quelques détails les différens rois qui voulurent abréger la durée des parlemens) ; envain objecteroit-on[p.283]les dépenses que ce nouveau règlement occasionneroit, & le tumulte auquel il pourroit donner lieu. On ne doit rien craindre de pareil si l'on considère ce qui se passe dans les villes municipales, quand elles choisissent leurs officiers ; dont les fonctions expirent avec l'année. D'ailleurs, la nécessité où nous nous trouvons de chercher à exclure la corruption, doit l'emporter sur toute autre considération, & rien ne paroît plus propre à nous conduire à ce but désiré, que la limitation dont nous parlons. Trois ans peuvent être un objet suffisant pour engager un homme à se laisser gagner. Le représentant qui ne le feroit que pour un an, ne paraîtrait pas mériter que l'on prît la peine de le tenter, ou bien, dans le cas où il le seroit, il ne succomberoit sûrement pas, à moins qu'il ne se décidât à renoncer pour toujours à l'espoir de se remettre sur les rangs.

Quand une fois cet objet principal sera rempli, les autres réformes devenues si nécessaires auront leur tour. Afin d'en assurer le succès, nous vous conjurons de ne donner vos suffrages, l'élection prochaine & celles qui la suivront, qu'à celui des candidats qui s'engagera à tout faire au parlement pour établir cette réforme salutaire dans tous les points qui l'exigeront.

[p.284]

 

Discours de sir James Lowther, en présentant à la Chambre des Communes la pétition du comté de Cumberland ; ayant le même objet que le Mémoire précédent. Il assure que le peuple est disposé à se faire justice lui-même ; s'il n'obtient pas le redressement de ses griefs.

 

Du 5 Avril 1780.

Qu'il me soit permis d'observer que cette pétition est signée par plus de trois mille des principaux habitans du comté, en y comprenant les propriétaires les plus riches & les plus distingués, à tous égards : j'ajouterai qu'il n'en est aucun qui ne se soit présenté de lui-même ; qu'il n'a été pratiqué aucune manœuvre pour grossir le nombre des souscripteurs ; que moi-même j'étois absent lorsque la pétition a été rédigée, & que je ne fais en la présentant, qu'obéir à la réquisition formelle de mes constituants. Je supplie la chambre de considérer sérieusement la nature des plaintes diverses énoncées dans cette pièce très-importante ; de bien se convaincre d'une vérité absolue, c'est que, si pour fruit de ses démarches constitutionnelles,[p.285]le peuple ne recevoit pas le redressement qu'il demande, il se feroit justice lui-même ; il commenceroit par se refuser au paiement de tout impôt quelconque, & persisteroit dans son refus, jusqu'à ce qu'on eût fait droit à sa juste requête : je le répète, que les ministres se pénètrent à tems de cette vérité ; je les en supplie, qu'ils n'imaginent pas que des dragons pourraient impunément remplir les fonctions de collecteurs : je les préviens qu'ils trouveraient de la résistance, & la cause seroit infailliblement portée devant des jurés que l'on tirerait du voisinage : j'ai déjà dit que j'étois absent, lorsque la pétition a été rédigée, je n'étois donc point à la tête des suppliants, je ne leur ai donc point suggéré les moyens qu'ils avoient à employer pour se faire entendre au parlement ; cependant j'avouerai que j'obéis d'autant plus volontiers à leurs ordres, que ma façon de penser, à l'égard des griefs dont ils demandent le redressement, est parfaitement conforme à la leur.

Il y a une phrase remarquable dans ce petit discours. « Si le peuple ne recevoit pas le redressement qu'il demande, il se feroit justice[p.286]lui-même ». Nous avons vu le même parti pris & effectué en France. Il y a environ vingt ans que le peuple de Moskou déchira son archevêque sur les marches de l'autel, parce qu'il n'avoit pas voulu montrer une certaine relique :& dans les derniers troubles de Pologne, il y a eu plusieurs exemples de ces exécutions féroces. Une seule chose peut calmer le peuple, ce n'est pas la force, mais la justice & la raison. Il pliera sous le glaive de l'une, & cédera à l'empire de l'autre.

[p.287]

 

Discours hardi de M. Fox, dans lequel il engage son ami M. Dunning à se retirer avec lui de la Chambre après toutefois une nouvelle tentative ;& à n'y rentrer que lorsqu'on aura fait droit aux pétitions du peuple.

 

Du 24 Avril 1780.

Le ministre ayant recouvré une majorité de trente & une voix contre la motion de M. Dunning. « Qu'il fut présenté une humble adresse au roi, aux fins de supplier sa majesté de ne point dissoudre le parlement, &de ne point proroger la session actuelle, avant qu'on n'eût pris dans cette chambre des mesures efficaces pour diminuer l'influence dela couronne, & opérer le redressement desautres griefs énoncés dans les pétitions dupeuple ».

Et M. Dunning ayant demandé que le comité s'ajournât au lundi suivant ; … « ou plutôt jamais, reprit M. Fox : les délibérations du comité sont déformais superflues ; il ne lui reste rien à faire ; il vient de rejetter complètement les pétitions du peuple ; il vient de violer sa foi, la parole qu'il avoit donnée à ce peuple de s'occuper du[p.288]redressement de ses griefs ; en un mot, il vient d'anéantir ses résolutions du 6 avril ; au reste, si mon honorable ami veut encore faire une tentative, en cas de succès, qu'il persévère ; ou s'il n'est pas plus heureux qu'aujourd'hui, qu'il s'unisse à l'association, qu'il se retire de la chambre avec la ferme résolution de n'y rentrer que lorsqu'on aura fait droit aux pétitions du peuple : continuer d'assister aux séances, est un jeu ; participer à la violation des promesses faites par la chambre, est une infamie ! Après cette dernière tentative, nous irons trouver nos constituans, nous leur dirons que la chambre des communes est déterminée à ne point faire ce qu'elle a déclaré être son devoir ; qu'après avoir constaté par une résolution solemnelle, (du 6 avril) que l'influence de la couronne devoit être diminuée, elle s'est opposée à toutes les mesures qui pouvoient tendre à opérer cette diminution ».

[p.289]

 

Discours de M. Burke dans une circonstance délicate & qui produisit beaucoup d'effet dans toute l'assemblée. Représentant ci-devant du comté de Bristol, il déclare aux Électeurs qu'il se retire du nouveau concours ;& qu'il renonce à l'élection actuelle.

 

Du 9 Septembre 1780.

Messieurs,

Je renonce à l'élection. Dans tout le cours de ma vie, je me suis fait une régie d'établir de la proportion entre mes efforts & les objets que j'avois en vue ;& l'on ne peut pas dire que jamais je me sois fait remarquer par la poursuite active & hardie des avantages qui m'étoient personnels.

Je n'ai pas formellement sollicité les suffrages de cette cité entière, mais j'en ai assez vu pour me convaincre intérieurement que votre choix ne tombera pas finalement sur moi. Votre cité, messieurs, est dans un misérable état de dissention, & je suis déterminé à supprimer la part que mes prétentions peuvent avoir eue à ses malheureuses divisions. Je n'ai pas agi avec précipitation ;[p.290]j'ai essayé tous les moyens que me suggéroit la prudence ; j'ai attendu les effets qui pouvoient résulter de tous les hasards. Si j'aimois les contestations, la partialité de mes amis nombreux (que vous savez être des personnes du plus grand poids & les plus respectables de la cité), me fourniroit les moyens d'en soutenir une très-vive ; mais j'ai cru qu'il étoit infiniment mieux de saisir le moment où mes forces me relient en entier, ainsi que ma réputation, pour faire de bonne heure & par prévoyance une retraite à laquelle je pourrais être à la fin contraint par la nécessité.

Ce que je vois ne me surprend nullement, ne m'émeut pas le moins du monde ; j'ai longtems lu le livre de la vie, & je lis un peu d'autres livres ; il ne m'est rien arrivé qui ne soit arrivé à des hommes qui valoient beaucoup mieux que moi, & cela dans des tems & chez des peuples qui valoient à tous égards autant que le siècle & le pays dans lesquels nous vivons. Dire que je ne suis point du tout affecté, ne seroit ni décent, ni vrai ; l'honneur de représenter Bristol m'étoit cher, à beaucoup d'égards, & certainement je préférerais de beaucoup cette représentation à toute autre du royaume. J'y étois attaché par l'habitude, & en général il est plus désagréable d'être rejetté, après avoir été mis[p.291]long-tems à l'épreuve, que de n'avoir jamais été élu ; mais, meilleurs, je ne veux voir en vous que la bienveillance dont vous m'avez honoré autrefois ; je ne veux me livrer à d'autres sentimens qu'à ceux de la reconnoissance. Je vous remercie du fond de mon cœur, de ce que vous avez fait pour moi, vous m'avez accordé un long bail actuellement expiré : j'en ai rempli les clauses, & j'en ai pleinement recueilli les profits : je remets en vos mains votre terre. En l'occupant, je n'en ai dérangé ni perdu pas un buisson, pas une pierre j'ai servi le public pendant quinze ans, je vous ai servis en parlement pendant six années : ce qui est passé est en sûreté, & n'est pas au pouvoir de la fortune : ce qui est à venir est dans des mains plus sages que les nôtres, & celui entre les mains de qui est cet avenir, fait mieux que qui que ce soit, s'il seroit mieux pour vous & pour moi que je fusse dans le parlement ou même dans le monde.

Messieurs, le triste événement d'hier nous apprend, par une leçon solemnelle, qu'il ne faut pas se donner trop de peine pour atteindre aucun des objets de l'ambition ordinaire. Le digne citoyen[21]qui nous a été enlevé au moment de l'élection, au milieu de la contestation, dans[p.292]un tems où ses désirs & ses espérances étoient aussi vifs que les nôtres, nous a appris, d'une manière bien sensible, quelles ombres nous sommes, & quelles ombres nous poursuivons.

Il est d'usage qu'un candidat, qui renonce à ses prétentions, prenne congé en écrivant une lettre aux schérifs ; mais j'ai reçu à la face du jour le dépôt que vous m'aviez confié, & c'est à la face du jour que j'accepte de vous ma démission. Je ne rougis point, en portant les yeux sur vous ; ma présence ici ne peut rien déranger dans l'ordre des affaires : je prends humblement & respectueusement congé des schérifs, des candidats & des électeurs, désirant de toute mon âme que votre choix soit le meilleur possible, dans un tems qui exige que le service ne soit pas nominalement rempli, si jamais tems l'a exigé comme aujourd'hui. Ce n'est pas un jeu, une bagatelle qui vous rassemble ici ; je tremble lorsque je considère la nature du dépôt dont j'ai eu la présomption de demander qu'on me chargeât. J'avois peut-être placé trop de confiance dans mes intentions ; elles étoient réellement pures & intègres & j'ose dire que je ne forme pas des vœux à votre désavantage, lorsque je demande pour vous au ciel, que celui que vous choisirez pour me succéder, quel qu'il soit, puisse me ressembler exactement en toutes choses,[p.293]excepté par mes talens pour le service, & par mes succès à vous plaire.

M. Burke réunit les deux grands caractères du talent ; une imagination brillante & un esprit orné de toutes les connoissances utiles. Avec ces deux ressorts, il est fécond en expédiens, & jamais embarrassé des obstacles que l'envie ou les événemens font trouver sur sa route.

Lui-même se suscite les plus considérables. Il se livre si complettement à un parti, & s'enchaîne tellement aux systèmes qu'il adopte ou qu'il enfante, il obéit si aveuglément à un penchant secret & impérieux pour les fonctions, qu'il se rapproche pas les côtés foibles du commun des hommes, dont la nature l'a éloigné en lui marquant une place supérieure.

Un autre de ces défauts, est d'embrouiller l'avenir, & d'alarmer ses auditeurs sur les maux qui se préparent ; alors il offre à leurs esprits effrayés quelques lueurs d'espérance, & les esprits échauffés voient en lui un esprit consolateur, qui remédiera à des maux que la terreur rend présens à leurs yeux. Ce charlatanisme oratoire lui a souvent réussi.

On lui reproche encore d'être par état opposé[p.294]du ministère ; qu'il soit bien ou mal intentionné, éclairé ou incapable, il considère l'éloquence comme un domaine qu'il doit faire valoir, & qui rapporteroit peu, s'il ne s'exerçoit que sur des hommes à succès. C'est ainsi que le peignent ceux qui prétendent le connoître ; le vulgaire lui croit les vertus de Burrhus, le talent de Cicéron, la sagesse de Caton, & tout ce qu'un mortel ambitieux peut avoir acquis dans la pratique du bien.

[p.295]

 

Adresse de remercimens présentée à leurs Électeurs par MM. Shéridan & Monclon, nouvellement élus Représentans du bourg de Stafford.

 

Messieurs,

Hier, à la fin de l'élection, n'ayant pas eu l'occasion de vous remercier, comme nous le désirions, à raison de l'indépendance & de la fermeté de l'appui que nous avons reçu de vous ; nous avons recours à cette manière la plus prompte d'exprimer la reconnoissance que nous inspire la confiance mâle que vous avez placée en nous, & l'honneur éminent que vous nous avez fait, en nous choisissant pour représenter en parlement le bourg libre de Stafford ; nous avons trouvé en vous des hommes qui savent agir comme ils parlent, & nous mériterons la continuation de votre amitié, en vous servant fidèlement, comme vous nous avez servis. Si nous vous trompons, il vous fera facile de nous congédier, comme nous le mériterions. Désormais des candidats indépendans ne craindront plus de se présenter ; car vous venez de prouver que vous savez faire usage de vos droits, que vous êtes déterminés à ne pas vous en départir, & à maintenir libre le bourg de Stafford. Le 10 Septembre 1780.

[p.296]

 

Discours du lord Chancelier aux Communes; il leur notifie les ordres de Sa Majesté pour procéder au choix d'un Orateur de la Chambre.

 

Du 31 Octobre 1780.

Messieurs,

Sa majesté m'ordonne de vous informer qu'elle diffère de vous exposer les raisons qui l'ont déterminée à convoquer le parlement actuel jusqu'à ce que les communes aient un orateur ; en conséquence le bon plaisir de sa majesté est que vous vous rendiez sur le champ à l'endroit où les communes s'assemblent ordinairement, & que vous y procédiez au choix d'un orateur ;& que demain à deux heures après midi, vous présentiez à sa majesté, à la barre de cette chambre, la personne que vous aurez choisie, pour recevoir son approbation royale.

[p.297]

 

Discours du lord Germaine aux Communes ; il les invite à se conformer aux ordres de Sa Majesté que vient de lui notifier le lord Chancelier. Après avoir tracé les talens nécessaires dans un Orateur des Communes, & donné quelques éloges à l'Orateur précédent, il propose à la Chambre pour lui succéder, M. Cornwall comme ayant toutes les qualités requises pour remplir cette place importante.

 

Du même Jour.

La première affaire qui se présente est. celle qu'il a plu au roi d'indiquer à la chambre, qui en se conformant aux gracieuses intentions de sa majesté va ouvrir cette session par l'exercice du premier, du plus cher de ses droits, celui de choisir elle-même son orateur : si ce droit est infiniment précieux, l'usage qu'en doit faire la chambre est de la plus haute importance : plus les fonctions d'un orateur des communes de la Grande-Bretagne sont élevées, plus ces mêmes communes doivent donner d'attention au choix qu'elles ont à faire : leurs yeux, en ce moment, doivent se fixer sur un homme capable de remplir la chaire avec dignité, & de[p.298]concilier cette dignité avec l'esprit de déférence ; sur un homme parfaitement instruit des loix du pays, & plus particulièrement encore des loix & usages du parlement ; sur un homme sincèrement attaché aux droits & aux privilèges des communes, qui ait à la fois les talens & l'intégrité nécessaires pour les défendre, sur un homme enfin, (& cette dernière qualité est la plus indispensable de toutes) qui, dans toutes les occasions possibles, se conduise avec la plus stricte impartialité.

Le digne orateur qui a récemment occupé la chaire pendant près de deux parlemens, a rempli les devoirs qui y sont attachés avec une activité, une intégrité, une dignité peu communes ; lorsqu'il y fut appellé les facultés de son corps répondirent à celles de son esprit, il avoit toute la vigueur qu'exige le poste laborieux auquel on l'élevoit ; mais malheureusement pour le public, on a vu dans le cours de la dernière session que cette vigueur l'abandonnoit, & que sa santé étoit extrêmement dérangée : ce fait étant connu de tout le monde, il ne seroit pas décent de ma part de proposer que pour prix de ses longs, de ses importants services, on exposât encore cet honorable membre aux fatigues d'un travail dont la longue assiduité a visiblement altéré sa constitution : ce[p.299]seroit le mal récompenser de ses travaux ;& si j'étois capable de faire une proposition pareille, certainement la chambre ne s'y prêteroit pas : c'est d'après cette considération, cette considération seule, que j'ai jetté les yeux sur un autre membre que je vais proposer pour orateur : je me flatte que lorsque je le nommerai, au seul nom de Cornwall, tous ceux des membres actuels qui ont servi dans les parlemens précédens, sentiront comme moi combien cet honorable membre possède à un degré éminent toutes les qualités requises dans un sujet appellé à ce poste important, qu'ils se rappelleront comme moi les services signalés qu'il avoit rendus à son pays avant qu'il fût membre du parlement : en deux mots, M. Cornwall est connu pour être parfaitement instruit des loix du royaume, de celles du parlement, des formes, des règles, ordres & procédés particuliers à la chambre des communes : je ne crois donc pas faire une motion sujette à rencontrer beaucoup d'opposition, en demandant comme je le fais en forme « que M. Cornwall soit choisi orateur ».

[p.300]

 

Discours de M. Dunning, qui s'oppose à l'élection d'un nouvel Orateur. La chaire ne devant point être regardée comme vacante ; sir Fletcher Norton qui a rempli pendant près de deux Parlemens, les fonctions d'Orateur, à la satisfaction de la Chambre, doit être continue.

 

Du 31 Octobre 1780.

J'avouerai que j'ai été on ne peut pas plus étonné, lorsque je me suis rendu ici d'entendre dire généralement, que l'on se proposoit de nous donner M. Cornwall pour orateur : ce n'est pas que je ne rende toute la justice due au mérite & aux talens de cet honorable membre ; personne ne les apprécie mieux que moi, ne les respecte davantage, & si la chaire étoit naturellement vacante, je le nommerois, ou du moins sa nomination ne rencontrerait aucune objection de ma part ; je me flatte qu'il en est persuadé lui-même ; mais dans la vérité & dans le fait, la chaire n'est pas vacante, & ne peut être regardée comme l'étant, aussi long-tems que nous verrons parmi nous sir Fletcher Norton en état, selon toutes les apparences, de continuer les fonctions honorables[p.301]qu'il a remplies, pendant près de deux parlemens à la satisfaction de la chambre : j'avouerai que rien ne me paroît si singulier, si contradictoire que d'entendre le noble lord & l'honorable membre qui a secondé sa motion, déclarer qu'ils ne connoissent personne plus capable que sir Fletcher Norton de remplir la place d'orateur des communes avec l'intégrité, la dignité, les talens qu'elle exige, & nous en proposer en même tems un autre : si la considération qui détermine le noble lord à cette proposition, est effectivement le mauvais état de la santé de sir Fletcher Norton, il seroit du moins naturel que le noble lord nous instruisît des raison qu'il a eu de supposer que la constitution de notre orateur est altérée au point de l'empêcher de continuer son service : sir Fletcher a-t-il été consulté ? S'est-il excusé ? A-t-il dit lui-même qu'il ne se sentoit pas en état de continuer ? A-t-il demandé la permission de résigner ? J'attends une réponse à ces questions naturelles : si je n'en reçois point, j'opposerai à la motion du noble lord celle-ci, que je fais également dans les formes :« Que sir Fletcher Norton continue d'occuperla chaire ».

[p.302]

 

Discours de M. Townshend. Il ne se contente pas d'appuyer la motion de M. Dunning, il avance que personne n'est moins propre que M. Cornwall à remplir la place des Communes. Il observe ensuite à la Chambre que c'est la fermeté patriotique du dernier Orateur, sir Fletcher Norton, qui l'a rendu désagréable à la Couronne.

 

Du 31 Octobre 1780.

Je seconde cette dernière motion de mon honorable ami, & je pousserai plus loin que lui les observations que me suggère la conduite extraordinaire du noble lord qui a fait la première : mon honorable ami déclare que si la chaire étoit vacante, il ne s'opposeroit pas à l'élection de M. Cornwall : je pense moi, que si la chaire étoit vacante, elle ne pourroit être remplie par quelqu'un qui fût moins propre à l'occuper que ne l'est M. Cornwall : avant de m'expliquer je proteste qu'il n'entre aucune personnalité dans ce que j'ai à dire.

L'usage confiant de la chambre des communes a été, de tems immémorial, de ne choisir pour orateur qu'un membre parfaitement indépendant :[p.303]on n'est pas indépendant lorsque l'on tient de la couronne une place quelconque : M. Cornwall occupe une place à la disposition de la couronne : il y a plus, M. Cornwall, en sa qualité de membre des communes, n'a pas même l'avantage de représenter un comté ou un bourg libre : il est représentant pour l'un des cinq ports : il est de notoriété publique & très-récente, puisqu'il ne faut pas remonter plus loin qu'à l'époque de la dernière élection, que l'élection n'est libre dans aucun des cinq ports, la place d'orateur ne doit être constitutionnellement occupée que par un membre affranchi à tous égards de l'influence de la couronne ; le premier des devoirs d'un orateur des communes est de protéger les droits & les privilèges du peuple contre les atteintes & l'influence de la couronne, influence qui s'est accrue & s'accroît tous les jours : un membre qui occupe une place à la disposition de la couronne, qui reçoit une pension du trésor de la couronne, qui représente un des cinq ports à la dévotion de la couronne, sera-t-il un bon gardien de ces droits, de ces privilèges, qu'il est dans la nature de la couronne de chercher à envahir ? On nous parle du mauvais état de la santé de sir Fletcher Norton, & l'on cherche à nous persuader que cette considération seule a fait jetter les yeux sur quelqu'un qui le remplaçât :[p.304]cette considération n'est pas la seule, j'en connois une plus puissante ; tandis que l'on recommande à l'orateur qui sera choisi, cette impartialité stricte dont le noble lord & le membre qui le seconde font un éloge affecté, on punit sir Fletcher Norton d'avoir fait preuve de cette même impartialité : on se rappelle le discours que cet homme intègre eut la fermeté de prononcer dans une occasion mémorable[22] ; ce discours, qui lui fit tant d'honneur, qui prouva si évidemment combien il étoit touché des calamités qui affligoient son pays ;& on le punit d'avoir osé faire preuve de fermeté & de patriotisme. Cette circonstance qui ne peut qu'être présente à la mémoire de messieurs les déterminera sans doute à seconder comme moi la motion de mon honorable ami.

[p.305]

 

Discours de sir Fletcher Norton. Sensible à ce qui venoit d'être dit d'obligeant en sa faveur, il en fait d'abord ses remercimens. Il déclare que l'altération de sa santé le force de résigner. Il se plaint que le Ministre lord Germaine ; tout en faisant de lui un éloge affecté, veut l'éconduire d'une manière déshonorante, & le somme de déclarer le vrai motif de ce traitement offensant.

 

Du 31 Octobre 1780.

Je déclare que j'étois préparé à ce qui vient de se passé lorsque je suis entré dans cette chambre ;& je respecte ici ce que j'ai déjà dit, que j'ai apporté toute la vigueur de corps & d'esprit, dont j'ai été capable, lorsque j'ai été appellé au poste éminent auquel je renonce ; mais que les fonctions pénibles de cette même place, ayant infiniment dérangé ma santé, peut-être même mes facultés intellectuelles ; ayant peu à espérer du tems, qui accumulant les années ne pourroit qu'ajouter au dérangement intérieur, j'ai si décidément pris le parti de résigner, que si le dernier parlement eût eu une session de plus, je n'eusse pas fait le service : je n'en suis[p.306]pas moins flatté de l'opinion que mon honorable ami veut bien conserver en ma faveur ;& en déclarant que je renonce à l'honneur d'être élu, je suis sensible à celui que l'on me fait de jetter encore les yeux sur moi ; mais quand même je céderois à des invitations si flatteuses, quand même je pourrois encore espérer de réunir en ma faveur la pluralité des suffrages, que penseroit-on dans le monde de me voir céder à cette tentation ? La partie modérée du public se demanderoit pourquoi un homme qui reconnoît lui-même ses infirmités, accepte une place qui demande la constitution la moins altérée ? Peut-être l'autre partie, qui n'est pas la moins nombreuse, diroit-elle de moi que j'accepte la place pour en recueillir les émolumens sans en remplir les fonctions ; dans une situation pareille, je ne puis que persister dans mon refus : j'ai sans doute bien des remercimens à faire au noble lord qui a bien voulu dire tant de choses obligeantes sur mon compte ; je suis on ne peut pas plus sensible à l'attention délicate qu'il marque pour ma santé : il me permettra cependant d'observer que je ne crois pas, & ne puis croire sans déceler des symptômes d'altération dans mon esprit, que ma santé soit précisément la cause de la motion qu'il vient de faire ; car enfin ni moi ni aucun de mes amis ou parens ne lui a dit que je ne me[p.307]sentois pas en état de continuer : je le somme donc de déclarer hautement pourquoi j'étois réservé à l'affront de me voir congédier ainsi ? Si j'ai commis quelque faute qui ait mérité ce traitement offensant, qu'on l'expose au grand jour ; que l'on m'inflige quelque punition exemplaire, s'il en est de plus sévère que celle d'un affront publiquement reçu : je me crois en droit d'exiger cette explication, & du noble lord & de l'honorable membre qui a secondé sa motion.

[p.308]

 

Discours de M. Fox. Échauffé par la plainte que venoit de porter à la Chambre sir Fletcher Norton de l'insulte qu'il avoit reçu ; il prend la défense de son honorable ami. Il reproche vivement au lord Chancelier & au lord Germaine leur injustice & leur perfidie. Il les presse de déclarer le motif de l'expulsion de sir Fletcher Norton.

 

Du 31 Octobre 1780.

Le système invariable de ce règne infortuné, car je dirai toujours qu'il est infortuné, est d'opprimer, de dégrader, d'avilir les personnages les plus éminens, les plus propres à illustrer la nation, & particulièrement ceux dont la conduite a mérité & reçu d'une manière plus marquée l'approbation des communes. Entre une infinité d'exemples présents à l'esprit de tous les membres, je me bornerai à citer celui de mon honorable parent (l'amiral Keppel) & de notre honorable orateur sir Fletcher Norton. Avant que le torrent de la corruption eut subverti tous les principes de la justice & des bienséances les plus ordinaires, lorsqu'un orateur des communes rentroit dans la classe des particuliers, il y emportoit, y conservoit toute sa dignité, il étoit d'usage de lui[p.309]accorder des récompenses proportionnées à ses services ; aujourd'hui c'est l'outrage qui les accueille : à deux pas de la chaire qu'ils quittent ; l'outrage ! eh pourquoi outrage-t-on notre digne orateur, ce président vénéré, dont plus d'une fois les votes de la chambre & les applaudissemens de la nation ont consacré la sagesse de sa conduite ? Pourquoi se voit-il condamné à l'insulte ? Cette nouvelle incartade vient du ministre… On voudrait nous persuader que sir Fletcher Norton n'est plus en état d'occuper la chaire, par ce que sa santé est épuisée : nos yeux nous disent le contraire : c'est donc par le mensonge qu'on veut nous persuader : sir Fletcher Norton demande hautement au ministre quelles sont les raison de son expulsion ? le ministre ne répond mot : la réponse en effet doit être embarrassante, mais on peut l'aider, on peut suppléer a son silence : je demande, par exemple, s'il paroît improbable que la raison principale de l'expulsion de notre digne orateur, prend son origine dans l'époque mémorable à laquelle la majorité des communes ayant établi par son vote, que l'influence de la couronne s'étoit accrue, s'accroissoit & devoit être diminuée, Sir Fletcher Norton se trouva faire partie de cette majorité. Toutes les fois que le ministre a trouvé depuis l'occasion de punir quelque membre convaincu d'avoir contribué[p.310]à établir cette décision, il ne l'a pas manquée : nous avons vu deux nobles lords (le marquis de Camarthen & le comte de Pembroke) sceller de leur disgrâce cette résolution vindicative.

Si la raison de l'expulsion de notre digne orateur se présente d'elle-même, celle du choix que le ministre fait pour le remplacer n'est pas moins frappante: M. Cornwall a précisément suivi une conduite opposée lors de la décision de cette grande question, il a voté pour la couronne ; il n'a pas voulu contribuer à établir la grande vérité consacrée par la décision de la majorité : qu'avons-nous donc à attendre d'un homme qui, appelle à un poste dont toute l'importance consiste à défendre les privilèges du peuple contre les prétentions de la couronne, s'est montré si ouvertement dominé par l'influence de cette même couronne, qu'il n'a pas voulu même reconnoître que cette influence s'accrût ou existât ? d'un homme qui, en cette occasion, a marqué le pouvoir qu'a sur lui cette influence, au point de blâmer la chambre de la décision la plus propre à lui faire honneur ? Avouez, monsieur, qu'un homme pareil est heureusement choisi pour donner de la confiance au peuple, & que nos privilèges sont en de bonnes mains ! mais, qu'importe au ministre que le peuple soit alarmé ou[p.311]non : il s'est accoutumé à ne compter pour rien, ni le vœu, ni les démarches, ni les représentations, ni les résolutions les plus sérieuses du peuple : abusant de la disposition loyale & paisible des sujets, prenant pour une timidité pusillanime ce qui n'est de leur part qu'une modération portée à l'excès, il n'est jamais embarrassé ; il ose tout, ne craint rien, pas même de faire la plus sanglante insulte au bon sens national : la défaite la plus maladroite, le prétexte le plus absurde, la supercherie la plus grossière ; tout lui est également bon, tout répond à ses vues ; il ne se donne pas la peine de se dire : mais ceci est improbable, mais cela n'est pas croyable, le peuple n'en voudra rien croire : non, le ministre parle, & l'infaillibilité contestée ailleurs est, par un privilège particulier, nécessairement attachée à ce qu'il dit. Observez, je vous supplie, avec quelle confiance, avec quel front il entreprend de vous démontrer qu'il faut changer d'orateur, par la raison qu'il n'est pas possible d'en trouver de meilleur que celui que nous avions ! Ces faits racontés par abstraction ne seroient pas croyables, il faut pour concevoir leur existence avoir vu, avoir entendu ce que nous venons de voir & d'entendre : mais n'est-il pas positif & exactement vrai que le noble lord qui a fait la motion, nous a dit en termes non équivoques parfaite[p.312]ment clairs, que sir Fletcher Norton est l'homme à tous égards le plus digne, le plus capable que la chambre puisse choisir pour orateur ? N'est-il pas également vrai que l'honorable membre qui a secondé cette motion, a dit en termes précis à M. Cornwall que pour exercer dignement ses fonctions, il ne pouvoit pas prendre un modèle plus parfait que son prédécesseur ! C'est donc parce que sir Fletcher Norton est donc de toutes les qualités requises, parce qu'il a tous les talens, toute l'intégrité, toutes les connoissances, toute la dignité qu'exige la place qu'il occupoit, qu'on lui ôte cette même place, qu'on la donne à un homme, à qui l'on recommande expressément de prendre son prédécesseur pour modèle, parce qu'il n'en trouveroit pas de meilleur. juste ciel ! à quels subterfuges pitoyables est réduit le ministre ? Comment croit-il que la nation pourra supporter dans sa bouche un pareil langage… C'est ajouter l'ironie à l'outrage ; c'est abuser de l'habitude de braver le sens commun : ce qu'il y a d'excellent, c'est que ces ministres qui affectent de prendre un intérêt si tendre à la santé de notre digne orateur, ne lui ont pas même demandé depuis trois jours qu'il est à Londres, comment il se portoit, ils ont deviné qu'il se portoit mal ; ils savent mieux que lui ce qu'il éprouve, ce qu'il sent, à quel point sa[p.313]constitution veut être ménagée, combien ces ministres ne sont-ils pas attentifs ? à quels rafinemens de délicatesse ne portent-ils pas les égards ? On se rappelle ce que l'un d'eux, le lord au ruban bleu, nous dit d'affectueux, de tendre dans la dernière session, lorsque la chambre fut alarmée par la déclaration que lui fit son orateur de l'état d'épuisement dans lequel il se trouvoit : la sincérité paroissoit sur ses lèvres, nous partageâmes tous son émotion, sa sensibilité, ses expressions nous touchèrent, elles n'étoient cependant que des sons, des mots vides, des complimens qui ne signifioient rien, des protestations dénuées de sentiment ; car enfin le noble lord au ruban bleu est présent & se tait ; sir Fletcher Norton demande au ministre qui a fait la motion, quelles sont les raison de son expulsion, les motifs de l'insulte qu'il reçoit ; le ministre ne répond rien: l'autre ministre également présent, le ministre au ruban bleu, ce ministre qui, dans l'occasion que je viens de rappeller, fit un si bel étalage de sensibilité, répondra-t-il ? Non : il s'en gardera bien : c'est lui qui a arrangé tout cela, qui a chargé son collègue de faire une motion qu'il ne pouvoit pas faire décemment lui-même, après la petite comédie qu'il avoit jouée.

[p.314]

 

Discours de M. Digby. Il appuie le sentiment de M. Ellis, qui venoit de soutenir qu'on n'est nullement obligé de rendre compte à la Chambre des motifs, qui, dans aucune circonstance, déterminent à opiner d'une manière ou d'une autre. Il expose une des raison qui ne le font pas pencher en faveur du dernier orateur des Communes.

 

Du 31 Octobre 1780.

Si l'on me demandoit quels sont les motifs qui me déterminent à voter en faveur de la motion du noble lord (George Germaine), je répondrois d'abord, pour ma propre satisfaction, que je ne connois personne au monde qui ait le droit de me faire une question si contraire à toutes les règles du parlement ; ensuite de mille raison que j'aurois peut-être de voter ainsi, réservant dans mon sein celles que je ne jugerois pas à propos d'assigner, j'en ajouterois quelques-unes à celle que vient de donner l'honorable membre qui a parlé le dernier. Premièrement, je ne suis pas du nombre de ceux qui ont voté les remercimens de la chambre en faveur de sir Fletcher Norton, à raison du discours qu'il[p.315]prononça à la barre de la chambre des pairs, lorsqu'il présenta le bill portant augmentation de la liste civile : j'ai précisément voté contre, parce que j'ai regardé ce discours comme offensant pour le roi (ici l'opposition cria à l'ordre) ; parce qu'en général il n'est pas permis de nommer le roi, crainte que le respect dû à la majesté du trône n'influe sur les délibérations.

En second lieu, l'opposition paroît si satisfaite de son ancien orateur, qu'il n'est pas étonnant que moi, qui suis du parti contraire, je n'en sois pas également émerveillé ; c'est parce que l'opposition demande de le conserver, que je sens la nécessité de faire un autre choix.

En troisième lieu, je n'ai jamais regardé sir Fletcher Norton comme l'homme du monde le plus propre à faire un bon orateur des communes ; j'ai remarqué en lui une âme si élevée, un génie si vaste, si supérieur à tous, qu'il n'étoit pas possible qu'il descendît aux minuties qui forment une partie essentielle de ses fonctions ; il a introduit un relâchement dangereux dans l'observation des ordres de la chambre : tels sont les motifs que je juge convenable de faire connoître ; ceux que je puis avoir d'ailleurs, je les garde pour moi.

[p.316]

 

Extrait d'une Séance concernant la nouvelle élection d'un Orateur de la Chambre des Communes.

 

Du premier Novembre 1780.

Le roi s'étant rendu à la chambre des pairs, & les communes ayant été mandées à la barre, M. Cornwall qu'elles avoient élu orateur de la chambre, le jour précédent, adresse à sa majesté le discours suivant.

Plaise à Votre Majesté :

« Vos fidèles communes de Grande-Bretagne assemblées en parlement, conformément aux ordres de votre majesté, ayant procédé au choix d'un orateur, je suis fâché d'avoir à informer votre majesté que leur choix est tombé sur moi : je sens intérieurement combien je manque des talens nécessaires pour remplir les devoirs attachés à une place si importante, & je supplie très-humblement, votre majesté, de fournir à vos communes les moyens de reprendre leur procédé en considération, en les renvoyant dans leur chambre pour y délibérer de[p.317]nouveau sur leur choix & en former un plus digne.

Le lord chancelier s'étant approché du roi pour recevoir les instructions de sa majesté, répondit en ces termes :

M. Cornwall,

« Quelque peu de confiance que vous ayez dans vos propres facultés : sa majesté connoît si bien l'étendue de vos talens, elle est si persuadée que vous possédez l'activité, l'intégrité & toutes les autres qualités requises pour remplir dignement le poste important auquel vous avez été si justement appellé, que sa majesté ne peut se dispenser de donner l'approbation la plus complette au choix que ses communes ont fait en vous nommant leur orateur : en conséquence c'est par l'ordre exprès de sa majesté que je vous déclare qu'elle approuve & confirme ce choix, & que vous, êtes de ce moment orateur de la chambre des communes de Grande-Bretagne ».

M. Cornwall sollicite de nouveau pour lui, toute l'indulgence de sa majesté, & en même[p.318]tems sa bienveillance pour la chambre des communes.

Sire,

« Puisqu'en approuvant le choix de vos communes, votre majesté confirme la nomination qu'elles ont faite de moi, & me constitue leur orateur, je supplie très-humblement votre majesté d'agréer les remercimens dus à l'opinion favorable que votre majesté a bien voulu se former de mes foibles talens, & en même tems de daigner m'accorder d'avance son gracieux pardon de mes imperfections & des fautes que je pourrai faire ; afin que si à l'avenir il m'échappoit quelque parole déplacée, si je faisois quelque chose de blâmable, la faute ne regardât que moi, & ne pût jamais être imputée à vos fidèles communes ; afin même que vos communes de Grande-Bretagne soient mieux en état de remplir leurs devoirs, tant envers votre majesté qu'envers leur pays, dans l'humble pétition que je présente en ce moment à votre majesté, je réclame pour elles & en leur nom tous les anciens droits & privilèges, particulièrement celui en vertu duquel leurs personnes & celles de leurs serviteurs ne peuvent être arrêtées ni autrement molestées ; celui de jouir de la liberté de[p.319]la parole dans leurs débats ; celui de trouver en toutes occasions un accès libre près de votre personne royale : je demande en même tems pour elles, & en leur nom, que leurs procédés reçoivent en tout tems de la part de votre majesté l'interprétation la plus favorable ».

Le lord chancelier, ayant pris une seconde fois les ordres & les instructions du roi, répliqua en ces termes :

Monsieur,

« Le roi m'a ordonné de dire qu'il a la plus haute confiance dans la soumission, la loyauté, l'affection de ses communes, tant à l'égard de sa personne que de son gouvernement ; ainsi que dans la sagesse, la fermeté & la prudence qui régleront leurs procédés en conséquence c'est avec la plus grande satisfaction que sa majesté leur accorde l'exercice de tous leurs privilèges, dans le sens le plus étendu, & de la manière pleine & complette dont ils ont été accordés aux parlemens précédents, soit par sa majesté soit par aucun de ses prédécesseurs royaux. Quant à la partie de votre pétition qui a rapport à vous-même, quoique sa majesté soit persuadée[p.320]que personne au monde n'a moins besoin que vous de prendre cette précaution ; afin que vous vous chargiez avec la plus grande confiance possible de la tâche difficile qui vous est: imposée, sa majesté m'a ordonné de vous assurer qu'elle sera toujours disposée à donner l'interprétation la plus favorable & à vos paroles & à vos actions ».

[p.321]

 

Discours très-gracieux de Sa Majesté aux deux Chambres assemblées ; à l'ouverture du quinzième Parlement de Grande-Bretagne ; il leur témoigne la résolution où il est de poursuivre la guerre d'Amérique, & il demande des subsides pour en soutenir les frais.

 

Du premier Novembre 1780.

Milords et Messieurs,

C'est avec une satisfaction plus qu'ordinaire que je vous trouve rassemblés en parlement dans un tems où les élections récentes peuvent me fournir l'occasion de recevoir les informations les plus certaines, relativement aux dispositions & aux vœux de mon peuple, vœux & dispositions auxquels je suis toujours enclin à donner la plus grande attention, à marquer le plus grand égard.

La situation difficile dans laquelle se trouvent actuellement les affaires publiques est suffisamment connue ; toutes les facultés, toutes les forces des monarchies de France & d'Espagne sont en action dans toute l'étendue de leur développement, à l'effet d'appuyer la rébellion de mes colonies de l'Amérique Septentrionale, & d'attaquer mes états, sans avoir reçu la[p.322]moindre provocation on le moindre sujet de plainte : l'objet de cette confédération, qu'on ne déguise pas, est manifestement de satisfaire une ambition qui ne connoît point de bornes, en détruisant le commerce de la Grande-Bretagne, & en portant un coup fatal à sa puissance.

Au moyen des forces que le dernier parlement a mis entre mes mains, & des bénédictions que la divine providence a répandues sur la bravoure de mes flottes & de mes armées ; j'ai été en état de résister aux entreprises formidables de mes ennemis, & de frustrer les grandes espérances qu'ils avoient conçues. Les succès signalés qui ont accompagné le progrès de mes armes dans les provinces de la Géorgie & de la Caroline, succès qui ont fait tant d'honneur à la conduite & au courage de mes officiers, à la valeur & à l'intrépidité de mes troupes, qui se sont acquis une réputation égale à tout ce qu'aucun siècle fournit de brillans exemples : ces succès, dis-je, produiront, à ce que j'espère, des effets importans, en préparant une conclusion heureuse à la guerre. Mon désir le plus sincère est de voir cette grande fin accomplie ; mais je suis persuadé que vous conviendrez avec moi que nous ne pouvons nous procurer les termes d'une paix sûre & honorable, qu'en faisant des préparatifs assez puissans, assez respectables pour[p.323]convaincre nos ennemis que nous ne nous soumettrons pas à recevoir la loi de la part d'aucune puissance quelconque, & que nous sommes unis dans la ferme résolution de n'être arrêtés par aucune difficulté, par aucun danger, dans la défense de notre pays, & pour la conservation de nos intérêts essentiels.

Messieurs de la Chambre des Communes,

J'ai ordonné que l'on mît sous vos yeux les estimations relatives aux dépenses de l'année prochaine ; je vois & sens, avec beaucoup d'anxiété & de peine, que les services divers que la guerre exige, entraînent inévitablement des dépenses considérables & onéreuses ; mais je ne vous demande de subsides que ceux qui vous paroîtront exiger votre propre sécurité, votre bien-être permanent, & la nature pressante des affaires.

Milords & Messieurs,

Je place une confiance entière dans le zèle & l'affection de ce parlement, intérieurement convaincu que, dans tout le cours de mon règne, l'objet confiant de ma sollicitude & le vœu de mon cœur, ont été de servir les vrais intérêts de tous mes sujets, d'ajouter à leur félicité, & de conserver inviolable notre excellente constitution, tant en matières religieuses qu'en matières d'état.

[p.324]

 

Extrait du Discours du lord Westmorland, avant de proposer à la Chambre, une adresse de remercimens à Sa Majesté de son très-gracieux Discours, pour ramener ceux des Membres qui étoient indisposés de la ferme résolution qu'annonçoit Sa Majesté de continuer la guerre. Il cherche à justifier cette résolution par des motifs d'honneur.

 

Du premier Novembre 1780.

Dans les circonstances où nous sommes, songer à la paix, ce seroit se soumettre d'avance à recevoir la loi ; nous ne pourrions faire qu'une paix de concession ; par conséquence une paix honteuse pour le présent, ruineuse pour l'avenir. Si nous renonçons à l'Amérique, nous n'en serons pas quitte pour la perte de cette partie de nos possessions : il faudra renoncer aussi à celles que nous avons dans les deux Indes : nous verrions bientôt l'empire florissant de la Grande-Bretagne confiné dans l'enceinte de notre île. Ne pensons donc point à la paix, le moment n'en est pas venu : pensons à pousser la guerre avec toute la vigueur dont nous sommes capables. On objectera des difficultés ; on observera que la[p.325]nation est déjà surchargée d'impôts ; que les tems sont durs, l'argent rare, le commerce souffrant, qu'il sera difficile de lever les subsides nécessaires. Toutes ces objections sont malheureusement trop fondées ; mais la difficulté n'est pas impossibilité ; mais l'Angleterre a vu plus d'une fois des tems difficiles ; mais elle a fait des efforts auxquels elle n'est pas encore réduite pour soutenir des guerres qui l'intéressoient incomparablement moins. Quelles sommes immenses n'a-t-elle pas dépensées dans les querelles de la maison d'Autriche ? Quels trésors n'a-t-elle pas dissipés pour faire déterminer les frontières de la Hollande, & pour prendre part aux dissentions de cette même Hollande ? Aujourd'hui nous combattons pour le salut de l'existence politique de notre empire, pour la préservation de notre liberté, de notre commerce, pour tout ce qui peut être cher à l'homme ! D'ailleurs, si notre situation n'est pas exempte d'embarras, sommes-nous donc les seuls qui souffrions de cette guerre ? Jettons les yeux sur ces mêmes puissances qui ont tourné leurs armes contre nous ?… Dans le cours du dernier parlement, on s'est beaucoup attaché à tourmenter les ministres, à leur imputer indistinctement toute les calamités nationales. On a sur-tout[p.326]beaucoup tiré parti du contraire éternellement présenté de la guerre actuelle, comparée au petit nombre d'années glorieuses qui ont terminé la dernière guerre ; la comparaison n'est point admissible. La guerre que nous avons actuellement à soutenir contre la maison de Bourbon, a éclaté dans un moment où nos forces étoient déjà employées & affoiblies en Amérique. La France & l'Espagne, jouissant de tous les avantages d'une longue paix, ont saisit ce moment inégal pour armer contre nous leurs forces combinées. Lors de la dernière guerre, les choses étoient précisément dans l'ordre inverse ; lorsque nous attaquâmes la France, elle étoit déjà épuisée par ses guerres d'Allemagne ;& dans les premières années, elle n'avoit pas l'assistance de l'Espagne. Cette dernière puissance ne se montra que lorsque son allié n'étoit plus en état de la seconder ; ensorte qu'elle ne parut, pour ainsi dire, que pour participer aux calamités, aux revers de la première : la comparaison n'est donc point admissible, lorsqu'on la hasarde, elle ne peut que faire honneur au ministre actuel ; car toutes les circonstances considérées, toutes les dispositions appréciées, on est forcé de convenir qu'il a fait humainement tout ce qu'il étoit possible de faire. N'envisageons donc dans les[p.327]circonstances actuelles que la nécessité de continuer avec vigueur une guerre dans laquelle nous avons maintenu jusqu'à présent l'honneur des armes Britanniques, & dont nous ne ressentons les effets que dans une proportion infiniment petite en comparaison de ce qu'elle coûte à nos ennemis. Je finirai par vous proposer, Milords, le grand exemple des Romains ; prenons, comme eux, pour maxime de ne jamais traiter avec l'ennemi, lorsque nous sommes dans l'infortune, & de ne jamais faire de paix qu'à la suite de la victoire.

[p.328]

 

Discours du marquis de Carmarthen, au sujet de l'adresse proposée de remercimens à Sa Majesté de son très-gracieux Discours, il s'oppose à la continuation de la guerre, surtout à cause du défaut d'unanimité dans les différens bureaux de l'administration.

 

Du premier Novembre 1780.

Il est un autre endroit de l'adresse qu'il m'est également impossible d'approuver ; il y est parlé d'unanimité en termes plus propres à la détruire qu'à la faire naître : pour supposer la possibilité de la faire régner dans tous les ordres de l'état, & pour en assurer les fruits, il faudroit qu'il fut premièrement constaté qu'elle règne parmi les ministres. Or, ce ne sont pas les ministres qui nous en donnent l'exemple ; ce que je vais dire, n'est appuyé, j'en conviens, d'aucune autorité ; mais c'est le bruit public, mais c'est ce que l'on entend dire aux personnes qui sont le plus à portée de savoir ce qui se passe dans le cabinet, où tout est divisé en petites cabales, en petites factions : on n'y voit que des complots éclore & avorter ; de-là la fluctuation éternelle[p.329]des esprits ; de-là cette contradiction dans les ordres, cette confusion dans leur exécution, cette inconséquence dans les mesures les plus décisives ; tous ces êtres hétérogènes qui composent les divers conseils, sont si antipathiques les uns aux autres, ont tant de petits intérêts à ajuster entr'eux, que tous attelés au char de l'état, l'un tire à droite, l'autre à gauche ; celui-ci regimbe, l'autre se débarrasse du harnois ; cependant rien ne se décide, ou si quelque chose paroît décidé aujourd'hui, demain des intérêts contraires feront triompher une résolution opposée, aujourd'hui il est convenu qu'il faut conduire la guerre avec vigueur, demain un ministre dira qu'il ne faut pas se dégarnir de troupes ; qu'il ne faut point en envoyer en Amérique ni ailleurs, qu'il vaut mieux tenter la voie de la négociation ;après-demain il sera décidé que la négociation est impraticable, & qu'il faut vaincre ou périr : cependant les dépêches s'expédient, nos commandans reçoivent des ordres auxquels ils se conforment, arrive un paquebot qui leur porte des ordres contraires, les dispositions étoient faites à grands frais, les vaisseaux sous voiles, les bataillons en marche : point du tout, retournez à votre mouillage, à votre poste ; comment au milieu de tout ce désordre,[p.330]nos commandans peuvent-ils se conduire de manière à se faire honneur, à faire du bien à leur pays ? Tant que la guerre sera conduite par de pareils hommes, le degré de vigueur n'y fera rien, elle fera en elle-même un mal dont on ne peut se promettre aucun bien ; ainsi tout ce qui tend à encourager la continuation de la guerre d'Amérique, me paroît contraire aux vrais intérêts de la Grande-Bretagne.

[p.331]

 

Discours du comte d'Abingdon. Il s'oppose au premier article de l'Adresse proposée de remercimens à Sa Majesté qui consistoit à la complimenter sur l'heureux accouchement de la Reine. Il pense d'ailleurs que l'on doit désormais supprimer toutes sortes d'Adresse ; puisqu'elles deviennent superflues.

 

Du premier Novembre 1780.

Quant à moi, dit-il, je me déclare également & contre l'adresse & contre l'amendement : les amendemens ne sont que des palliatifs, je ne conviendrai point comme le noble marquis, qui a parlé le dernier, que l'on doit se réjouir de la naissance d'un nouveau prince, parce que je ne vois pas quels apanages sont réservés à une si nombreuse progéniture : le roi avoit treize Colonies qui pouvoient faire un sort aux treize enfans qu'il avoit lorsqu'il les a perdues : il ne reste plus d'apanage pour eux ; où le quatorzième en trouvera-t-il ? Veut-on que je me réjouisse de cette idée déchirante ? Non : je ne me réjouis pas de la naissance d'un nouveau prince ; parce que sous l'administration actuelle, il est possible que les choses s'arrangent de manière[p.332]qu'il meure un jour de faim : or, ce n'étoit pas la peine de naître ; or, sa naissance n'est pas un objet de réjouissance ; d'ailleurs que signifient aujourd'hui les adresses, les choses sont arrivées à un point qui annonce une révolution nécessaire dans le système actuel ; les associations viennent de se former par-tout, les affaires vont prendre une tournure nouvelle qui rendra superflues les minuties, telles que des adresses, & j'espère que le peuple obtiendra une nouvelle magna charta. C'est sous le règne du bon roi Jean que l'ancienne a été obtenue : il est tems que le peuple sache à quoi s'en tenir, & se fasse donner une déclaration positive de ses droits : on appelle ce pays-ci une terre de liberté, j'y vois une terre d'esclavage, le système du gouvernement actuel est arbitraire, despotique, tyrannique ; car gouvernement arbitraire, despotisme ou tyrannie sont mots synonymes, qui expriment le caractère d'un gouvernement qui régit par sa volonté & non par la loi.

[p.333]

 

Réponse de Sa Majesté à l'Adresse de remercimens de la Chambre des Pairs de son très gracieux Discours, émané du trône, où elle témoigne sa satisfaction de ce qu'ils ont pris la sage résolution de soutenir la guerre avec vigueur.

 

Du 7 Novembre 1780.

Milords,

Je vous remercie sincèrement de cette adresse très-respectueuse & très-loyale, la joie que vous exprimez au sujet de l'accroissement de ma famille & de l'heureux rétablissement de la reine, m'est extrêmement agréable.

La résolution sage & courageuse que vous avez prise de continuer la guerre avec vigueur, & de maintenir à tous hasards les intérêts essentiels, la dignité & l'honneur de la Grande-Bretagne, me cause la plus haute satisfaction, & ne peut que produire les effets les plus salutaires au-dedans & au-dehors.

[p.334]

 

Motion de M. T. Townshend dont l'objet est que la Chambre fasse ses remercimens à sir Fletcher Norton, pour la conduite qu'il a tenue dans le cours des deux derniers Parlemens.

 

Du 20 Novembre 1780.

Je ne fonde pas ma motion sur le trait de la vie de sir Fletcher Norton, qui lui fait peut-être le plus d'honneur, sur ce qu'il eut la fermeté, dans une certaine occasion (l'affaire de l'augmentation de la liste civile) de parler à la barre de la chambre des pairs avec la dignité qui convenoit à son état, & le patriotisme éclairé qui formoit le trait le plus marqué de son caractère : la chambre a déjà consacré ce trait de sa vie par un vote de remercimens ; cette action a par conséquent reçu dans le tems le prix qu'elle méritoit, il ne s'agit plus de la récompenser : mais la conduite de sir Fletcher Norton offre une infinité d'autres traits qui lui donnent des droits au nouvel honneur que je sollicite pour lui, honneur le plus signalé que puisse recevoir un sujet Britannique : l'assiduité confiante qu'il a donnée aux affaires publiques & particulières de la chambre, la civilité, l'empressement avec[p.335]lesquels on l'a toujours vu remplir cette dernière partie de ses fonctions : l'impartialité avec laquelle il a occupé la chaire pendant une longue période de tems, particulièrement marquée par la diversité des opinions, la vivacité des altercations : l'obligation enfin que lui a la chambre d'avoir fait passer le bill de M. Grenville, relativement aux élections contestées, tels sont les droits de sir Fletcher Norton à la reconnoissance de la chambre. Je prévois l'objection qu'on pourra faire : on alléguera peut-être que le parlement actuel a peine créé, n'est pas censé devoir prendre connoissance de ce qui a rapport à deux parlemens qui ne sont plus : je réponds à cela que la chose n'est pas sans exemple, qu'au bout de trente-trois ans de services, M. Onflow a reçu les remercimens du parlement alors existant, non-seulement pour les services que ce parlement avoit reçus, mais aussi pour ceux qu'en avoient reçus les parlemens précédens qui n'existoient plus. Je propose donc :

« Que les remercimens de cette chambre soient faits au très-honorable sir Fletcher Norton, chevalier, ci-devant orateur de cette chambre ; à raison de la conduite qu'il a tenue tandis qu'il occupoit la chaire de cette chambre, dans le cours des deux derniers parlemens ».

[p.336]

 

Discours de sir William Gordon, dans lequel il combat cette motion, sous prétexte qu'une pareille proposition est sans exemple.

 

Du même jour.

À l'ouverture de cette session j'ai fait partie de la majorité qui a appellé l'orateur actuel à la chaire ; ayant approuvé ainsi le choix de la chambre, il entrerait aujourd'hui de l'inconséquence dans ma conduite, si je votois des remercimens en faveur de sir Fletcher Norton : je suis étonné même que la proposition ait pu en être faite, je ne la vois justifiée par aucun exemple, car celui que l'on cite de M. Onflow n'a aucun rapport au cas actuel. Pourquoi donner à ceux qui viendront après nous un exemple que la sagesse de nos prédécesseurs n'a pas cru devoir nous donner. Ces remercimens de la chambre constituent le plus éminent honneur que puisse recevoir un sujet Britannique, & les honneurs les plus éminens ne doivent être dispensés que dans les plus éminentes occasions, ils sont l'apanage exclusif du mérite porté au plus haut degré : si vous les accordez légèrement, ils perdront de leur prix.

[p.337]

 

Discours éloquent, rempli de détails instructifs & d'érudition, prononcé par M. Burke ; en présentant à la Chambre des Communes son plan pour mieux assurer l'indépendance du Parlement, & une réforme générale dans l'administration.

 

Du 11 Février 1780.

Les circonstances politiques, les opérations de l'ennemi, le vœu du peuple exigent cette réforme. Comparaison, à l'avantage de la France, des finances des deux royaumes. Nécessité de rectifier ou d'abolir toutes les jurisdictions qui ne produisent qu'une influence corrompue, & de vendre les domaines publics qui sont inutiles ou dangereux ; de réunir à la couronne & à sa jurisdiction ordinaire, les cinq principautés de Galles ;Lancastre, Cornwall, &c ; en supprimant toutes les places qui séparent les membres de l'empire du corps de l'empire ; de convertir les domaines fonciers de la couronne en propriété particulière. Inutilité de la moitié des établissemens de la maison du roi ; la table du roi pourroit être servie à tant par tête & par couvert, à l'exemple du roi de Prusse. De la[p.338]manière de s'assurer des entrepreneurs les plus propres au service. On devroit supprimer tous les emplois subordonnés au surintendant des finances, qui ne font que le gêner dans ses opérations, & simplifier ou réunir les fonctions d'une infinité d'emplois qui se touchent naturellement. Révision de l'hôtel des monnoies, de l'artillerie, &c. De l'exécution de ce plan suit la suppression de l'inspecteur général des forêts, des deux grands justiciers, du maître de la maison du roi, de l'intendant de la maison du roi, de l'intendant de sa garde-robe, du garde des bijoux, &c. &c ;& dans les autres départemens, d'un nombre de trésoriers, de sous-trésoriers, de contrôleurs, de caissiers, sous-caissiers, d'une infinité de commis inutiles, &c. &c. &c.

Monsieur l'Orateur,

Pour remplir l'engagement que j'ai contracté avec la chambre, obéir aux réquisitions fortes & justes de mes constituans, & me conformer, comme j'en suis persuadé, au vœu unanime de la nation entière, je me lève à l'effet de soumettre à la sagesse du parlement un plan de réforme dans plusieurs parties de l'économie publique.

J'ai tâché de digérer ce plan, de manière qu'il[p.339]comprît dans son exécution une réduction considérable de toute dépense faite mal à propos ; qu'il convertît des titres dénués de produits en fonds réels & productifs ; qu'il conduisît & forçât presque à administrer avec l'économie de la prévoyance, cette partie des deniers publics, qui de sa nature est livrée à la discrétion de la confiance ; qu'il rendît assez difficiles les moyens de contracter des dettes à la charge de l'état, (dettes qui avec le tems doivent affecter la force & le crédit national) pour qu'ils soient presqu'impraticables ; mais j'avouerai que le point auquel je me suis le plus attaché, l'objet qui a occupé de préférence toutes les facultés de mon esprit, a été la réduction de cette influence corrompue qui en elle-même est la source intarissable de toute prodigalité, de tout désordre, qui nous accable d'un poids plus pesant que ne l'est celui de plusieurs millions de dettes ; influence qui énerve la vigueur de nos armes, bannit la sagesse de nos conseils, dépouille de leur autorité les parties les plus augustes de notre constitution.

Je vous assure bien solemnellement, monsieur, du fond d'une conscience irréprochable, que rien au monde ne m'a porté à une pareille entreprise, que mon zèle pour l'honneur de cette chambre, que l'amour du bon ordre, que l'affection[p.340]habituelle & réfléchie que je porte à la cause & aux principes du gouvernement ; je connois parfaitement la démarche, j'en prévois les conséquences, je m'y livre avec un tremblement qui ébranle jusqu'aux fibres les plus intérieurs de mon être ; je sens que je m'engage dans une affaire très-désagréable en elle-même, qui m'écarte totalement d'une conduite prudente, & que je crois la plus répugnante qu'il soit possible d'imaginer à la tournure naturelle de mon esprit & de mon caractère. Je fais que tout ce qui tient à la parcimonie, a quelque chose de désobligeant en soi ; je sais que tout ce qui est réforme doit nécessairement produire sur telle ou telle personne l'effet d'une espèce de punition ;& en vérité, toutes les vertus rigides qui imposent des privations sont d'un si haut prix, que leur acquisition excède presque les facultés de l'humanité… Ceux de meilleurs qui, comme moi, tirent sur le déclin de la vie, & se forment une idée du souverain, d'après les rois des tems passés, peuvent craindre le courroux d'un prince régnant ; ceux qui s'occupent plus de l'avenir, & qui plus jeunes, s'intéressent davantage au tems qui n'est pas encore, peuvent redouter les ressentimens du successeur, voir devant leurs yeux, une avenue longue, aride, solitaire, un[p.341]demi-siècle enfin, de désespoir& d'exclusion, ce n'est pas une perspective agréable pour qui entreprend un voyage politique.

Indépendamment de tout cela, monsieur, les ennemis privés qu'attirent toutes les tentatives, de cette espèce, sont innombrables ; leur inimitié est d'autant plus envenimée, d'autant plus dangereuse, qu'une sorte de respect humain les force à dissimuler la cause de leurs ressentimens : il est peu de ces hommes illustrés par le sang, dont les connexions sont naturellement étendues, qui ne sentent au vif le tranchant de la réforme, dans la personne d'un parent proche, d'un ami intime, d'une connoissance agréable, d'une créature bien dépendante, chèrement protégée: à celui-ci, ce sont des émolumens que l'on retranchera ; ce sera de la protection ; de l'influence que l'on ôtera à cet autre, on enlèvera à tous quelqu'objet de poursuite : des gens qui se verront forcés à une indépendance involontaire, détesteront les auteurs d'un bien qui leur paraîtra ressembler si fort à un mal.

Lorsque le titulaire étant déplacé, la place qu'il occupoit passe à un autre, on peut opposer la reconnoissance du second au ressentiment du premier, l'ami que l'on oblige à l'ennemi que l'on provoque ; mais des opérations de la nature de la mienne ne concilient l'affection[p.342]de personne : le bien que chaque individu retire d'un avantage public, est comparativement si peu de chose, s'opère si lentement en se perdant dans le labyrinthe compliqué d'une révolution si peu sensible ; d'un autre côté, une privation personnelle est sentie si vivement, son opération est si rapide, que la froide recommandation de quelqu'avantage public n'a jamais contrebalancé & ne contrebalancera jamais la sensation vive que produit une perte privée… Vous savez que rien n'est plus ordinaire que de voir des hommes, qui, n'ayant eu qu'un cri pour la réforme, n'aiment point du tout l'austérité de son aspect, lorsqu'elle se rend à leur invitation. La réforme est une de ces choses, qui, pour plaire, veulent être vues à une certaine distance : ceux qui en paroissent les plus épris, l'aiment mieux dans la spéculation que dans la réalité. lorsqu'elle touche à quelqu'une de leurs vieilles préventions, à quelqu'intéret personnel, ils deviennent scrupuleux, captieux, chacun fait ses exceptions particulières ; l'un arrache le cheveu noir, l'autre arrache le gris ; il faut accorder ce point-ci à l'un, ce point-là à un autre : tout le système s'écarte de son principe, il est disjoint, morcelé, à peine reste-t-il des traces de ce qu'il étoit originairement ; c'est ainsi qu'éprouvant d'un côté la résistance du pouvoir, de l'autre, assailli[p.343]par les fausses notions de la popularité ; celui qui l'entreprend est renversé avec son entreprise, & le pauvre réformateur est éconduit du théâtre au milieu des huées de ses amis & de ses ennemis.

Oui, je sais que je m'expose à la haine si je réussis, au mépris, si j'échoue ; mon excuse est dans la conviction où je suis, où vous êtes vous-mêmes, de la nécessité absolue & urgente qui exige que l'on fasse quelque chose qui approche de mon plan.

Quant aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, mon intention n'est point d'en exagérer les difficultés, d'ajouter à ce qu'elles ont de frappant, par la force du coloris ; au contraire, je remarque, & je remarque avec plaisir, que nos affaires offrent une perspective qui promet un peu plus qu'elle ne promettoit lors de l'ouverture de la session actuelle, nous avons eu quelques succès, qui peuvent conduire à d'autres; mais, ceux qui les exagèrent & qui les portent beaucoup plus haut que je n'ose le faire, pensent que de pareils avantages ne peuvent pas servir de fondement à l'espoir d'une paix qui ne seroit pas ruineuse & déshonorante. Les choses étant en cet état, des lueurs de succès servent, à nous faire redoubler d'activité ; c'est un bien pour nous, si elles tendent au contraire à accroître notre présomption : de pareils succès sont plus funestes que des revers. Au reste, que l'état[p.344]de nos affaires promette autant que l'on voudra se le figurer, il n'en est pas moins vrai, qu'il ne fait encore que promettre : or, nous ne devons pas perdre de vue, que, réduits à la moitié de notre force naturelle, nous sommes en guerre avec des puissances confédérées, dont chacune nous a seule & séparément mis à deux doigts de notre perte ; nous ne devons pas oublier que tandis que d'un côté nous présentons un flanc nud, aucune alliance ne couvre l'autre, que tandis que nous mettons dans la balance nos succès & nos pertes, nous accumulons des dettes, qui dans le cours de l'année seule, monteront au moins à quatorze millions sterlings : cette perte est certaine.

Mon intention n'est pas de nier que nos succès ne soient aussi brillans qu'il plaira à n'importe qui de les représenter, que nos ressources ne soient inépuisables, ainsi que quelques personnes le prétendent : je conçois en effet qu'elles consistent dans tout ce que le peuple possède, s'il consent à s'en dépouiller ; rien de si aisé que de taxer, tout homme à projets peut imaginer de nouveaux impôts, tout brouillon d'état peut ajouter aux taxes qui subsistent : mais est-il bien sage de n'en connoître d'autre mesure que la patience de ceux qui doivent les supporter ?

Tout ce dont je demande que l'on convienne[p.345]au sujet de nos ressources, c'est qu'il n'est pas probable qu'on les augmente en les dissipant : quelqu'immenses que puissent être nos richesses, l'on me permettra d'avancer qu'un plan de réforme n'en retranchera rien ; je crois que l'on ne me disputera pas encore que les ressources, qui de leur nature sont un fardeau pour les sujets, ne doivent pas être des objets de préférence, des objets de premier choix pour un honnête représentant du peuple.

Voilà, monsieur, à quoi se borne tout ce que j'ai à dire relativement aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, & à nos ressources : je m'étendrai un peu plus sur les opérations de l'ennemi, parce que ce sujet me paroît naturellement lié à celui de nos délibérations actuelles. Lorsque je jette les yeux au-de-là du pas de Calais, je ne puis m'empêcher de me rappeller ce que dit Pyrrhus occupé à reconnoître le camp des Romains :« Ces barbares n'ont rien de barbare dans leur discipline ».

Lorsque je considère, comme je l'ai fait avec assez d'attention, les procédés du roi de France, je suis fâché de le dire, mais je n'y vois rien qui décèle le caractère & le génie d'une finance arbitraire ; je n'y découvre aucune de ces fraudes hardies que se permet un roi banqueroutier ; aucuns de ces efforts désespérés qui annoncent[p.346]le despotisme en détresse ; point de retranchemens aux capitaux des dettes : point de suspension au paiement des intérêts ; point de vols déguisés sous le nom d'emprunts ; point de haussement dans la valeur des espèces ; point d'altération dans leur substance; je ne vois plus ni Louis XIV, ni Louis XV ! au contraire, je vois avec étonnement un système régulier & méthodique de crédit public sortir des mains du pouvoir arbitraire au milieu de la guerre & de la confusion : je vois un édifice posé sur les fondemens naturels & solide de la confiance, s'élever par de belles gradations, ordre sur ordre, conformément aux justes règles de l'art & des proportions. Combien les choses ont changé de face ? Je vois des principes, de la méthode, de la régularité ; l'économie, la frugalité, la justice rendue aux individus ; des soins dispensés au peuple ; telles sont à présent les ressources avec lesquelles la France fait la guerre à la Grande-Bretagne. Que Dieu dissipe le présage ! Mais si nous voyons jamais en France le génie de la guerre & de la politique s'élever pour seconder ce qu'on y fait dans le bureau des finances… Je détourne mes yeux des conséquences.

L'année dernière, le noble lord au ruban bleu, a traité tout cela avec mépris : il ne pouvoit pas concevoir que le ministre des finances[p.347]françaises pût fournir aux dépenses de l'année avec un emprunt qui n'excède pas dix-sept-cent mille livres sterlings ; que ce même ministre pût assigner des fonds à cet emprunt, sans lever quelqu'impôt. Cependant la seconde année offre le même spectacle à nos yeux : un emprunt léger, qui n'excède pas deux millions cinq cent mille livres sterling, va suffire encore à nos ennemis pour le service de cette année ; ils ne lèvent point d'impôts pour assigner des fonds à cette dette ; ils n'en lèvent point pour les services courants. Je sais, de bonne part, qu'il n'existe aucune anticipation dans la perception des deniers publics ; que de justes compensations dédommagent ceux que la réforme a plus ou moins affectés ; que l'amortissement des anciennes dettes, continue comme si l'on jouissoit d'une paix profonde ; que même les paiemens dont la suspension avoit été autorisée en tems de guerre, ne sont point suspendus. Une réforme générale, exécutée dans tous les départemens du revenu, y apporte une addition annuelle de plus d'un demi million ster., en facilitant & simplifiant toutes les fonctions de l'administration : la maison du roi, cette maison, auparavant, l'empire de la prodigalité, cette forteresse vierge qui n'avoit jamais été attaquée, non-seulement le roi ne l'a point[p.348]défendue, il l'a livrée dans les formes à l'économie de son ministre ! Point de capitulation, point de réserve ; l'économie est entrée en triomphe dans la splendeur publique du monarque, dans ses amusemens privés, dans les appointements de tout ce qui l'approchoit de plus près par le sang : l'économie & l'esprit public se sont chargés de dépouilles honorables ; ont enlevé à l'extravagance du luxe ; pour être appliqué à des services utiles, un revenu de près de quatre cent mille livres sterlings ; ensorte que cette réforme de la cour, jointe à celle qui l'avoit précédée dans les finances, assure au public un revenu annuel de neuf cent mille liv. sterl. & plus.

Le ministre qui fait ces choses est un grand homme ; le roi qui désire qu'elles soient faites est infiniment plus grand : il faut que nous rendions justice à nos ennemis, ces actions sont d'un roi patriote ! Je ne crains point les vastes armées de la France ; je ne crains point les dispositions guerrières de sa brave & nombreuse noblesse ; cette marine même, cette marine puissante qu'elle a si miraculeusement créée, ne m'alarme point : Louis XIV a eu toutes ces choses ; avec toutes ces choses, la monarchie française est tombée, plus d'une fois, prosternée aux pieds de la Grande-Bretagne ; c'étoit[p.349]la nullité du crédit public, qui empêchoit que la France ne se relevât après ses défaites, qu'elle ne se relevât même après ses victoires & ses triomphes : c'étoit la prodigalité de la cour, c'étoit le désordre des finances qui fappoient les fondemens de toute sa grandeur : le crédit ne peut exister à côté du besoin…

Ce n'est, monsieur, dans aucune vue sinistre que je mets devant vos yeux ce tableau raccourci & très-imparfait de ce qui se passe actuellement en France ; tableau dont le dernier détail m'est parvenu environ huit jours après l'enregistrement de l'édit (du 28 Janvier) : mon objet est de faire naître parmi nous, l'esprit d'une noble émulation ; puisqu'il faut que les nations se fassent la guerre, qu'elles ne se la fassent pas avec une malignité basse & déshonorante, mais que la première palme qu'elles se disputent soit celle de la venu, les deux parties n'ont pas d'autre moyen de tirer quelqu'avantage de la guerre : les Français nous ont imités, que leur exemple nous remette sur la voie, nous porte à nous imiter nous-mêmes, c'est-à-dire, ce que nous étions dans les jours les plus beaux & les plus heureux. Si dans toute espèce de gouvernement la frugalité publique fait partie de la force nationale, c'est une espèce de force dont nos ennemis sont en posession avant nous.[p.350]Je sais parfaitement, monsieur, que ce tableau que je viens de vous présenter de l'économie Française & de ses résultats, même encore à présent ; est légèrement traité par quelques personnes, qui avant de parler, devroient avoir pris la peine de s'instruire ; on n'a rien épargné de ce qu'on pouvoit faire pour représenter ces opérations comme autant d'impostures destinées à tromper le public : permettez-moi de vous observer, monsieur, que la création d'une marine, & deux années de guerre passées sans avoir recours aux impôts, sont des impostures d'une espèce bien singulière ! mais supposons que ce sont des impostures : quel en peut être l'objet ? Que peut s'en promettre M. Necker ? D'avilir la couronne qu'il sert, de rendre son administration méprisable ? Non ! non, il sait que la manière de penser du genre humain est si claire, si décidée en faveur de l'économie publique, il connoît si bien la nature & la valeur des ressources qu'elle assure, que pour mériter la réputation d'économe, il se livre à toutes les espèces d'artifices en économie. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'affecter une conduite qui tende à le discréditer… Eh ! bien, servons M. Necker à sa guise, luttons avec lui de finesse, & faisons en réalité ce qu'il ne fait qu'en apparence, convertissons son clinquant Français en or Anglais.[p.351]Au reste, si les seules apparences de la frugalité & d'une bonne administration font tant de bien à la France, cette illusion mise en réalité feroit-elle donc tant de mal à l'Angleterre ? L'espace qu'occupe un trajet de vingt milles sur mer, changeroit-il si prodigieusement la constitution même de la nature que la prodigalité dût produire dans notre île, le bien que l'économie produit sur le continent ? Au nom de Dieu, qu'il ne soit pas dit que l'économie est la seule mode Française que nous refuserons d'adopter !

À l'égard de la troisième espèce de nécessité de réforme, les désirs du peuple, je dirai peu de chose, les ministres paroissent contester ce point & affecter de douter si le peuple désire réellement un plan d'économie dans le gouvernement civil, ce doute est trop ridicule, monsieur, il est impossible que le peuple ne le désire pas, il est impossible qu'une prodigalité, qui prend sa source dans son indigence lui plaise : quelques petites factions composées d'hommes pensionnés & de leurs créatures, peuvent tenir un autre langage, mais la voix de la nature s'élève contre ces gens-là, & cette voix se fera entendre. Le peuple Anglais ne peut ni ne veut trouver bon que des représentans refusent à leurs constitution ce qu'un souverain absolu offre volontairement[p.352]à ses sujets : dans ses pétitions, voici comment le peuple s'exprime :« Avant que l'on impose de nouveaux fardeaux sur ce pays,nous demandons qu'il soit pris par cette chambre des mesures efficaces pour rechercher & réformer les abus énormes qui se sont introduits dans la manière de dépenser les deniers publics ».

Le noble lord au ruban bleu a traité ces expressions de langage factieux, il se trouve cependant que dans les adresses qu'il nous présente, le peuple emploie presque mot pour mot les termes dont le roi de France se sert en s'adressant à son peuple, avec cette différence seule, que le peuple Anglais ne rend pas l'idée que se forme le roi de France, de ce qui est dû à ses sujets lorsqu'il leur parle ainsi :« Pour convaincre nos fidèles sujets du désir que nous avons de ne recourir à de nouvelles impositions qu'après avoir épuisé toutes les ressources que l'ordre & l'économie peuvent fournir, &c…

Les désirs du peuple Anglais, moins étendus que les concessions volontaires du roi de France sont en vérité bien modérés : ce peuple se borne à demander que l'on unisse les ressources de l'économie à celles que présentent les impôts avec lesquelles nous nous sommes déterminés à commencer[p.353]la guerre ; il ne prétend pas que vous vous reposiez uniquement sur l'économie, mais que vous lui donniez la première place parmi les voies & moyens que vous adopterez dans le cours de la présente session.

Au reste, s'il étoit possible que les désirs de nos constituans, désirs à la fois si naturels & si modérés, ne fussent d'aucun poids aux yeux des communes qui porteroient leurs regards ailleurs, je tournerois aussi mes yeux sur l'objet qui fixeroit les leurs, je ne traiterois la question qu'autant qu’elle tient à la politique, & j'entreprendrais de prouver que réformer le plutôt possible des abus connus, est une mesure de nécessité qui intéresse directement le gouvernement pour sa propre conservation.… Il a existé, monsieur, il existe encore bien des personnes qui aiment mieux lutter avec leur situation que d'en tirer de l'instruction ; ces personnes s'opposent à tout ce qui annonce un désir de réforme, comme s'il s'agissoit d'une procédure criminelle que l'on commencerait contre elles ; elles se croient bien justifiées en alléguant qu'elles ne font qu'adhérer au système pernicieux qu'elles ont trouvé établi, & que ce système n'est point de leur invention, que c'est un héritage d'absurdité qui leur a été transmis par leurs ancêtres ; qu'elles pourraient citer une longue filiation non[p.354]interrompue de mauvais administrateurs qui les ont précédés ; elles tirent leur orgueil de l'ancienneté de leur maison, & défendent leurs bévues, comme s'il s'agissoit de la défense de leurs héritages, tremblant à chaque pas de déroger à leur ancienne noblesse, & s'opposant à ce que leurs écus soient barrés, parce qu'elles pensent qu'une barre les dégraderoit à jamais. C'est ainsi que l'infortuné Charles I, justifioit sa conduite, en citant pour exemple celle du Stuart qui avoit régné avant lui, & de tous les princes de la maison de Tudor ; ses partisans eussent remonté au besoin jusqu'aux Plantagénètes, & eussent trouvé dans leur île & chez l'étranger assez de mauvais exemples pour faire preuve d'une lignée également ancienne & illustre; mais il est des tems où les hommes ne supportent plus les choses mauvaises en elles-mêmes, par la raison que leurs ancêtres en ont supporté de plus mauvaises ; il est un tems où la tête grise de l'abus n'inspire plus de respect ; à raison de son grand âge. Si le noble lord au ruban bleu allègue, pour justifier sa conduite, l'exemple de ses prédécesseurs, il est pardonné ; mais s'il s'oppose à la réforme devenue nécessaire, alors il s'approprie tous les abus attachés à sa place, il s'en déclare l'auteur en les défendant ; on cesse de voir en lui un officier public, remplissant[p.355]des fonctions qui demandent de nouveaux réglemens, il devient un criminel qu'il faut punir : c'est très-sérieusement que j'invite l'administration à considérer jusqu'à quel point il est sage & prudent d'adopter à tems un système de réforme : une réforme faite à tems, est un arrangement amiable fait avec un ami revêtu du pouvoir ; une réforme tardive est une condition imposée à un ennemi vaincu : une réforme faite de bonne heure s'opère avec réflexion ; une réforme tardive s'opère dans un état d'effervescence. lorsque les choses sont en cet état, le peuple ne voit rien de respectable dans un gouvernement, il voit l'abus, & ne veut rien voir de plus ; il se livre aux transports d'une populace effrénée ; irritée à l'aspect. d'un mauvais lieu, elle ne s'amuse pas à parler de réglemens ni de police, elle prend le chemin le plus court, elle renverse l'objet qui révolte ses yeux, elle démolit l'édifice. Telle est ma façon de voir relativement au véritable intérêt du gouvernement ; mais s'il est de son intérêt que la réforme soit faite à tems, il est de celui du peuple qu'elle s'exécute avec modération, parce que ce n'est qu'ainsi qu'elle peut être permanente ; c'est dans la modération seule qu'est le principe de ses avantages multipliés : toutes les fois que nous tâchons de faire bien, il faut que nous nous ménagions les[p.356]moyens de faire mieux encore, nous devons faire une pause, regarder en arrière, considérer l'effet de ce que nous avons fait, après cela nous pouvons aller en avant avec confiance, parce que nous marchons avec le flambeau de l'expérience ; au contraire, si l'on met de la chaleur, de la précipitation dans l'ouvrage de la réforme, si l'on se livre à cette manière d'opérer, que des hommes moins réfléchis que zélés appellent faire de la bonne besogne, le tout est en général si crû, si brut, si indigeste, mêlé de tant d'imprudences, de tant d'injustices, si contraire au cours de la nature & des institutions humaines, que les personnes mêmes qui ont paru y mettre plus d'empressement, sont les premières à se dégoûter de leur propre ouvrage…

Je pense, monsieur, que lorsque les désirs du peuple nous sont connus, notre devoir est de chercher à les remplir, non dans l'esprit d'une obéissance littérale qui pourroît être incompatible avec le principe même de ses désirs, mais bien moins encore dans l'esprit contentieux de la chicane, qui nous donneroit l'air d'adversaires engagés dans un procès avec nos constituans : rien ne seroit, monsieur, si déshonorant pour un membre des communes de subtiliser avec le peuple, de tirer avantage d'une expression mal appliquée, pour le frustrer de[p.357]l'objet de ses justes réclamations. Nous avons des obligations à nos constituans, qui nous ont confié un dépôt d'une si haute importance & qui ont imprimé un caractère sacré sur des hommes ordinaires lorsque nous marchons devant eux, notre cœur doit être plein de pureté, d'intégrité, d'amour filial, non pas de cette crainte, l'apanage de la servitude, & qui entraîne toujours quelque chose de bas avec elle…

Vous voyez donc en moi, monsieur, un médiateur impartial entre le gouvernement & le peuple, offrant à l'un & à l'autre un plan dont l'effet puisse être à la fois & prompt & tempéré. Mon intention est d'aller droit à la source de la prodigalité & de l'influence corrompue, non pas de les suivre dans tous leurs effets. Pour remplir mon objet, à peine ai-je été embarqué dans l'entreprise, que je me suis vu forcé de rejetter un plan proposé il y a un an ou deux par M. Gilbert, membre distingué du parlement, tendant à asseoir une taxe de vingt-cinq pour cent sur toutes places & pensions pendant la durée de la guerre d'Amérique : à considérer cette taxe comme une punition infligée à ceux qui nous ont embarqués dans cette guerre, elle méritoit mon approbation entière ; mais sous toute autre vue, elle me paroissoit susceptible de plusieurs objections, & je n'y remarquai[p.358]pas ce qui me paroissoit être le premier objet à gagner, les moyens de mettre un terme aux ravages de l'influence. J'ai toujours regardé les places à la disposition de la cour comme des objets peu propres à être taxés, à raison de la difficulté qui se trouve à asseoir une taxe de cette espèce avec égalité : nous avons dans notre établissement plusieurs places avec fonctions, nous en avons d'autres qui produisent de gros émolumens, & dont les titulaires n'ont aucune fonction à remplir : nous en avons purement de décorum, destinées à annoncer la majesté d'une nation puissante ; d'autres enfin assujetties à des formalités coûteuses, plus propres à ternir qu'à relever l'éclat de la nation & de la cour Britanniques : tels sont, monsieur, nos établissemens divers ; sévir avec une rigidité égale contre des objets si différens, seroit précisément le rebours de la réforme. Supposons, par exemple, que deux hommes reçoivent chacun un salaire annuel de huit cent livres sterlings, que l'un n'a rien du tout à faire dans sa place, que l'autre est écrasé d'ouvrage dans la sienne. Chargez ces deux places d'une retenue de vingt-cinq pour cent, vous ôtez à l'un des deux pourvus, deux cent livres qui lui étoient dus, & vous donnez à l'autre six cent livres, qu'il ne devroit pas avoir : le public vole le premier, le second vole le public.[p.359]Mais malheureusement, dans ce double vol, le public est la partie la plus lésée ; le calcul est facile à faire : vous jettez six cent livres sterlings dans l'eau, pour en épargner deux cent ! D'ailleurs, si vous laissez l'assiette de cette taille à la discrétion du ministre, il trouvera les moyens d'en affranchir les places qu'il favorisera, & celles qu'il lui plaira de créer. C'est ainsi que la liste civile se charge de dettes accumulées, & que le public est obligé de payer & repayer avec un intérêt onéreux les sommes produites par une taxe peu judicieuse. On sait que tel a été l'effet de toutes les taxes imposées jusqu'à présent sur des pensions & des emplois : or cette connoissance, que nous avons acquise, ne doit pas nous encourager à recourir au même expédient ; un plan de cette espèce n'est pas propre à produire, mais bien à empêcher la réforme, il présente à l'avidité nécessiteuse du public, l'ombre d'un gain présent, & détourne son attention des abus qui, dans la réalité, sont les grandes causes de ses besoins ; mais je ne m'étendrai pas davantage sur cet objet, parce que, quoiqu'on en puisse dire, je sais que le noble lord au ruban bleu pense comme moi à cet égard.

Je suis si convaincu qu'il est de notre devoir de tenter tout ce qui peut être fait pour le soulagement de la nation, que malgré tout ce que[p.360]je viens de dire, je ne rejetterois pas tout-à-fait l'idée même d'imposer une taxe, lorsque aura supprimé les places inutiles, lorsque celles qui échapperont à la proscription seront rangées dans des classes distinctes, lorsqu'on aura établi dans ces classes une juste proportion entre le montant des salaires & la nature plus ou moins pénible des fonctions, de sorte que l'on puisse établir une règle d'assiette uniforme & égale ; lorsque le pouvoir arbitraire, que le ministre exerce sur la liste civile, sera limité, de manière qu'il ne lui fera plus possible de rendre en secret à sa créature ce qu'on lui aura ôté publiquement. Lorsque, dis-je, tous ces réglemens préliminaires, seront faits, si l'on juge qu'une taxe imposée sur les places restantes soit un objet digne de l'attention publique, on me trouvera prêt à donner les mains à une réduction de leurs émolumens.

Ainsi, monsieur, après avoir plutôt différé l'exécution qu'absolument rejetté l'idée d'une taxe à imposer sur les emplois publics, le premier pas que j'ai à faire est de proposer quelque moyen efficace de soulager immédiatement le peuple ; je suis certain que si nous n'allons pas tout droit à la source de. ses griefs, nous ne ferons rien pour lui ; à quoi serviroit-il d'expulser les abus par une porte ? si nous leur en laissons une autre ouverte ?[p.361]À quoi seroit-il bon d'établir un système d'économie partielle relative à tel ou tel objet, si nous laissions anéantir l'économie dans son principe ? Il s'en faut de beaucoup que le blâme du désordre qui règne dans tous les départemens, doive retomber en entier sur nos ministres : tant qu'on laissera subsister des institutions directement incompatibles avec toute bonne administration, il sera impossible d'introduire aucun système de réforme efficace & durable. Au moment donc où je conçus l'idée de soumettre à vos lumières un plan de réforme, je jugeai qu'il étoit indispensable de jetter un coup-d'œil général sur l'état de ce pays, de considérer sommairement ses jurisdictions, ses établissemens divers. Le tout attentivement examiné, je posai sept règles fondamentales que voici :

1°. Que toute jurisdiction qui occasionne plus de dépenses, donne plus de tentations à l'oppression, fournit plus de moyens, plus d'instrumens à l'influence corrompue qu'il n'en résulte d'avantages réels pour l'administration de la justice, devrait être abolie,

2°. Que tous domaines publics, qui prêtent plus à la vexation, au désir d'intimider, d'exercer son influence sur ceux qui en jouissent, dont l'administration est plus dispendieuse en proportion, [p.362]qu'ils ne servent à accroître les revenus publics, doivent être vendus.

3°. Que tous emplois plus onéreux que proportionnément avantageux pour l'État ; tous emplois qui peuvent être annexés à d'autres, en réunissant & simplifiant leurs fonctions, doivent, dans le premier cas, être supprimés ; dans le second, être réunis.

4°. Que l'on devroit abolir tous les emplois qui interceptent la perspective du surintendant général des finances, qui détruisent sa surintendance, qui l'empêchent de prévoir des dépenses accidentelles & d'y pourvoir, de prévenir certaines dépenses dans leur origine, de les arrêter dans leur progrès, de s'assurer qu'elles seront appliquées à leur véritable objet. Un ministre, à l'insçu duquel on peut dépenser les deniers publics, ne peut jamais dire, ni ce qu'il peut dépenser, ni ce qu'il peut, épargner.

5°. Qu'il est convenable d'établir un ordre invariable dans tous les paiemens, parce que ce moyen empêche les effets de la partialité, assure la préférence aux services, non à raison de l'importunité des demandeurs, mais du rang & de l'ordre de leur utilité.

6°. Qu'il est à propos de fixer invariablement les charges attachées à chaque établissement particulier,[p.363]parce que la connoissance certaine de leur montant est la vie de tout ordre & de toute bonne administration.

7°. Que toutes les cailles subordonnées devroient être suprimées, parce qu'elles tirent à elles le plus d'argent qu'elles peuvent, le gardent le plus long-tems, & rendent compte le plus tard possible, parce qu'elles tendent à embarrasser les comptes publics & à faire naître à l'égard du gouvernement des soupçons qui vont plus loin encore que l'abus même.

C'est, monsieur, sous l'autorité & la droiture de ces principes que mon plan est tracé : dans tous les départemens où ils ne peuvent pas être directement & solidement appliqués, je ne désire pas que l'on fasse le moindre changement ; une constitution économique est la base nécessaire d'une administration des finances.

Je reviens à la première règle fondamentale en économie ; j'observerai, monsieur, à l'égard des jurisdictions souveraines, que quiconque jetteroit un coup-d'œil rapide sur ce royaume, croiroit d'abord y voir un système de monarchie solide & uniforme ; que toutes les jurisdictions inférieures sont autant de rayons divergens qui partent d'un même centre ; mais en y regardant de plus près, le spectateur y trouveroit beaucoup de confusion ; ce n'est point une monarchie à parler[p.364]strictement, mais de même que sous nos rois Saxons ce pays fut une heptarchie, il présente aujourd'hui une espèce étrange de pentarchie, il est divisé en cinq principautés distinctes, indépendamment de la principauté suprême.

Je n'en demanderai pas moins que l'on me donne une raison plausible qui justifie l'existence de ces principautés distinctes ? Lorsqu'un gouvernement s'écarte des principes de l'unité (chose qui n'est pas à désirer), c'est ordinairement pour remplir quelque vue politique qui ne peut être remplie autrement ; les subdivisions n'y peuvent être admissibles qu'en faveur de quelques princes, de quelques grands dont on veut conserver la dignité, ou bien pour soutenir sous un chef quelconque une confédération aristocratique, ou enfin pour conserver les franchisés du peuple dans quelques provinces privilégiées : c'est pour remplir ces différentes vues qu'existent les subdivisions établies en faveur des électeurs & d'autres princes de l'empire, les jurisdictions établies dans les cités impériales & les villes anséatiques, les distinctions accordées en France aux pays d'états, à certaines cités, à certaines ordres. Tous ces règlemens ont un objet, & quelques-uns de ces objets sont très-bons, mais quel objet peut avoir l'Angleterre, & que peut-il revenir au roi de ces subdivisions ?[p.365]Bien loin que ces principautés contribuent à son aisance, à sa dignité, elles rendent parfaitement ridicule & son autorité suprême & son autorité subordonnée. Il n'y a, pour ainsi dire, que deux jours que le duc de Lancastre osa plaider contre le roi : je crois que le roi gagna son procès, mais comme le duc n'étoit pas en état de payer les dépens, le roi en fut pour tous les frais de cette petite comédie royale, amusement ruineux & l'un des menus plaisirs qui devroient être réformés. Au reste, si le duché de Lancastre ne rapporte pas annuellement au trésor quatre mille livres sterlings, il en vaut quarante ou cinquante mille à l'égard de l'influence : mais, dira-t-on, ces principautés font partie des domaines de la couronne. Si la couronne se respectoit assez peu pour tenir ce langage, je répondrois qu'il faudroit lui donner une indemnité, & abolir les subdivisions de l'empire : je propose en conséquence que ces cinq principautés soient réunies à la couronne & à sa jurisdiction ordinaire, que l'on supprime toutes les places dont l'utilité n'existe que dans l'inutilité d'une subdivision qui sépare les membres de l'empire du corps de l'empire. C'est ainsi, monsieur, que je me conforme à la première règle que j'ai posée : disputez-en le principe & l'application,[p.366]où donnez les mains à la mesure salutaire que je propose.

Passons à la seconde règle d'économie ou de réforme, c'est-à-dire, à mon second objet, les possessions territoriales de la couronne : une possession de cette nature est sans contredit la pire que puisse former le domaine de la couronne. Des pièces de terre dispersées, dont la valeur est indéterminée, & qui exigent que leur possesseur donne continuellement à leur exploitation des soins personnels, conviennent à des particuliers, jamais à une administration publique ; elles peuvent prospérer sous les yeux d'un intendant honnête, non pas sous ceux d'un officier public.

Si les terres conviennent mieux aux particuliers qu'à la couronne, que la couronne les vende aux particuliers : à l'égard des forêts où la couronne, propriétaire foncière, à l'usage exclusif du bois & du gibier, tandis que le peuple y exerce des droits divers, tels que celui de pâture commune &autres communautés, je propose que dans cette partie, les droits de la couronne soient évalués, qu'il lui soit accordé une portion de terre pour le montant de l'évaluation, & que cette portion soit vendue au profit du public. À l'égard des futaies je voudrois[p.367]qu'elles fussent examinées, qu'il fût dressé un état de ce qu'elles contiennent de bois, & que tout ce qui ne seroit pas utile à la marine fût vendu, faisant enclore les parties desdites forêts, qui paroîtroient les plus propres à fournir à perpétuité aux besoins de la marine.

Quant à ceux des droits de forêts qui s'étendent sur les terres & les possessions d'autrui, comme ils ne produisent rien à la couronne, & sont onéreux pour le sujet, je voudrais qu'ils fussent abolis sans indemnité.

Les sommes qui proviendroient de la vente des forêts ne monteroient pas, je pense, à beaucoup près, si haut que bien des gens l'imaginent, & il seroit contraire à mes vues de chercher à en tirer strictement le plus grand prix possible, parce qu'en portant ce prix trop haut, on ôteroit à l'acquéreur les deniers qu'il doit employer au défrichement & à la culture de son acquisition. Le revenu principal que je me propose de tirer de ces déserts incultes, je l'attends de la population & de l'agriculture : si l'une s'accroît, si l'autre se perfectionne, elles fourniront infiniment plus aux revenus de la couronne que tout ce que l'on peut attendre, en affermant les meilleures terres qui lui appartiennent : il est, je crois, monsieur, superflu d'ajouter que de cette vente, j'excepte les châteaux, les jardins[p.368]& parcs appartenans à la couronne, & celles des forêts que choisiroit sa majesté pour y prendre le plaisir de la chasse.

Au moyen de cette partie de la réforme, la place dispendieuse d'inspecteur général des forêts tombe avec l'influence qui l'accompagne, deux grands justiciers tombent avec la longue suite de leurs créatures.

Après avoir ainsi disposé des domaines fonciers de la couronne, après les avoir convertis en propriété particulière, de manière que rentrés dans le cours de la circulation, préparés par les sécrétions politiques de l'état, ils fassent partie des revenus dont la gestion plus facile est mieux entendue, je passe au corps suprême du gouvernement civil : je m'en approche, monsieur, avec cette timidité respectueuse qu'éprouveroit un jeune médecin qui entreprendroit la cure de sa mère.

Quelle cure, monsieur, si l'on en juge par la nature, par la complication des maladies ! elles sont si graves que tous les pas que l'on feroit vers la méthode, vers la prudence & la frugalité seroient absolument inutiles, si on laissoit subsister un système de confusion & de prodigalité.

Il est impossible, monsieur, pour un homme quelconque, d'être économe par tout où il n'y[p.369]a point d'ordre établi pour les paiemens, partout où, d'un coup-d’œil, il ne peut pas rapprocher les états actifs & passifs de la recette & de la dépense pour le courant de l'année qui commence, par-tout où les divers officiers qui lui sont subordonnés peuvent dépenser ce qu'ils jugent à propos. Un fait certain, c'est que ni le noble lord, qui préside actuellement au bureau du trésor, ni aucun de ses prédécesseurs n'a encore pu, je ne dis pas connoître, mais même conjecturer à peu près qu'elles seroient les dépenses du gouvernement pour le cours d'une seule année ; en sorte que loin de pouvoir comparer la dépense à la recette, ils ont toujours été réduits à établir leurs calculs sur des possibilités ; assurément, dans cet état des choses, c'est servir le roi & ses ministres, que de mettre l'économie à leur portée. Qu'ils jettent donc avec moi les yeux sur la liste civile, le premier objet qui attire l'attention est la maison du roi : je regarde la constitution de cet établissement comme remplie d'abus, elle est fondée sur des usages qui se perdent dans les tems reculés, & qui existent en majeure partie sur des principes féodaux. lorsque ces principes étoient en vigueur, il étoit assez ordinaire de voir, dans les maisons même des particuliers, les emplois les plus bas occupés par[p.370]des personnes distinguées, incapables par leur rang même d'en remplir les fonctions. Ces emplois s'obtenoient en vertu de lettres-patentes ; ils étoient quelquefois à vie, quelquefois héréditaires. Si ma mémoire ne me trompe pas, en vertu de ces lettres-patentes, un homme de qualité fut cuisinier héréditaire d'un comte de Warwick !

Je crois que c'est un comte de Glocester qui exerçoit les fonctions d'intendant chez un archevêque de Cantorbery : on trouveroit des exemples de cette espèce dans les archives de la maison de Northumberland & ailleurs. Ces anciens usages avoient la nécessité pour motif & pour excuse ; les nobles avoient besoin de la protection des grands, & le lien domestique, s'il n'étoit pas le plus noble, étoit le plus étroit. Dans la maison du roi on trouve, non-seulement de fortes traces de cette féodalité, on y reconnoît encore les principes d'une corporation, ayant ses magistrats particuliers, ses loix & ses cours de justice. Pour contenir la multitude remuante qui composoit anciennement la maison de nos rois cette institution pouvoit être nécessaire, & c'est à cette nécessité qu'il faut rapporter l'origine de l'ancienne cour, appellée Green cloth (drap ou tapis verd), composée du maréchal, du trésorier & des autres grands officiers[p.371]de la maison. Les riches particuliers du royaume qui avoient en petit & proportions gardée, des établissemens pareils, se sont insensiblement corrigés, & ont employé à des spéculations de commerce au-dehors les sommes que dévoroit en-dedans l'inutilité de leur établissement domestique ; ils ont perdu dans la société quelque chose de leur influence, mais ils en ont été dédommagés par les convenances, les aisances de la vie, & une forte de splendeur plus compatible avec les mœurs & les usages du tems, dont le torrent irrésistible a détruit l'appareil de la maison royale même ; mais avec cette différence essentielle ; que les particuliers se sont débarrassés & de la maison & de la dépense, tandis que la royauté en supprimant ce qu'il y avoit de majestueux & d'auguste dans ce qui l'environnoit, en a conservé tout ce qui n'étoit que dispensieux. S'il a existé jadis des raison qui justifioient, qui exigeoient peut-être ces établissemens, elles n'existent plus ; pourquoi la dépense qu'ils entraînoient existe-t-elle? La laisser subsister plus long-tems, c'est embaumer superstitieusement un cadavre qui ne vaut pas les parfums qu'on emploie pour le conserver, c'est brûler des essences précieuses dans un sépulcre, c'est présenter à boire & à manger à des morts.[p.372]Ces anciens établissemens étoient aussi fondés sur un troisième principe, moins compatible encore que les deux premiers avec les idées que nous nous formons aujourd'hui de l'économie. Dans ces tems reculés, la maison du prince étoit nombreuse, & les moyens de fournir aux besoins de tant de monde très-bornés : les espèces étoient rares, les impôts arbitraires se levoient en nature, les pourvoyeurs royaux précédés par la terreur de la prérogative, s'élançoient des portiques de l'édifice gothique sur tout ce qui se présentoit à leur rapacité : au lieu d'argent, ils rapportoient le butin enlevé dans cent marchés, & le déposoient dans cent cavernes, dont chacune avoit un officier particulier pour présider à ses opérations. Les denrées ainsi enlevées au malheureux cultivateur, arrivoient dans l'état de pure nature, & passoient nécessairement, avant d'être mises en usage, par les mains des officiers divers chargés de leur préparations ; de-là la beurrerie, la paneterie, & cette multitude d'offices ruineux dont la plupart sont trop vils pour être nommés.

Je ne dis pas, monsieur, que tous ces établissemens, dont le principe n'existe plus, aient été uniquement conservés, dans la vue d'étendre l'influence de la couronne : la négligence est entrée pour beaucoup dans leur conservation ;[p.373]mais ce dont je suis certain, c'est que les considérations relatives à l'influence ont empêché que personne fît la tentative de les supprimer ; c'est qu'au moins la moitié des établissemens de la maison du roi n'est conservée que dans la vue de maintenir cette influence. Cependant il est facile de se convaincre qu'il n'est point de revenus royaux, quelqu'immenses qu'ils puissent être, qui puissent fournir aux charges, aux dépenses diverses qu'entraînent à la fois, & la conservation des anciens établissemens, & la dissipation du luxe moderne, & la corruption politique du parlement.

Si notre intention est de rétablir l'ordre dans la maison du roi, la question qui se présente d'elle-même, se réduit donc à ceci, économiserons-nous en détails ? économiserons-nous par principes ? Les exemples me paroissent plus propres que toutes les spéculations du monde, à décider cette question.

Au commencement du règne actuel, lord Talbot fut mis à la tête d'un département considérable de la maison du roi ; jamais homme plus propre aux fonctions les plus importantes, ne fut appellé au service d'aucun prince ; jamais serviteur ne soigna avec plus d'intégrité, plus de zèle, plus d'affection, les intérêts de son maître : on parloit alors de l'économie comme[p.374]d'une maxime qui devoir caractériser le règne naissant. Le noble lord en conséquence tourna toutes ses vues du côté de la réforme, & en 1777, lorsqu'il fut question de liquider les dettes de la liste civile, il déclara dans la chambre des pairs qu'il alloit diminuer les dépenses des tables & de la cuisine du roi : effectivement peu de tems après, il supprima diverses tables, & à la grande satisfaction des personnes qui y avoient droit, il augmenta leurs gages, leur donnant en argent les repas qu'ils prenoient en nature : mais malheureusement le service de ces personnes exigeant continuellement & partout leur présence, on ne put se dispenser de leur donner à manger par-tout où ce service les appelloit, de sorte que ce premier pas fait vers l'économie, doubla la dépense ! Voici un autre malheur infiniment plus fâcheux, & dont je ferai une mention particulière, parce que sa cause tient au principe de notre prodigalité en général. J'ai dit que le lord Talbot avoit essayé de réformer la cuisine du roi ; mais lorsqu'il en avoit conçu le louable projet, il n'avoit pas vu l'écueil dangereux contre lequel tout plan économique doit échouer, il n'avoit pas prévu l'inconvénient affreux attaché à l'usage de faire exercer les fonctions d'une place quelconque par quelqu'un qui n'en est pas le titulaire ; le tournebroche[p.375]de la cuisine du roi étoit membre du parlement. Cette circonstance fit tout avorter, le département de lord Talbot devint plus dispendieux que jamais, la dette de la liste civile s'accumula, tous les serviteurs domestiques du roi furent perdus, ses fournisseurs n'étant plus payés firent banqueroute, pourquoi ? parce que le tournebroche du roi étoit membre du parlement. Le sommeil de sa majesté étoit interrompu, son oreiller étoit hérissé d'épines, la paix de son esprit absolument détruite, pourquoi ? parce que le tournebroche du roi étoit membre du parlement.

On ne payoit plus les juges, la justice s'exiloit du royaume, les ministres étrangers restoient dans l'inaction, le système de l'Europe étoit dissous, la chaîne de nos alliances brisée, toutes les roues du gouvernement étoient enrayées tant dans l'intérieur du royaume que chez l'étranger, pourquoi ? parce que le tournebroche du roi étoit membre du parlement.

Telle étoit, monsieur, la situation des affaires, & telle étoit la cause de cette situation, lorsque sa majesté se présenta une seconde fois au parlement pour l'engager à payer des dettes occasionnées par l'avidité des membres de ce même parlement, qui occupoient une infinité[p.376]de places diverses, visibles & invisibles. Je crois que tel seroit le sort de toute tentative que l'on feroit économiser en détail, le tournebroche du roi se retrouveroit dans tous les départemens ; la précaution d'établir des bureaux de contrôle ; d'inspection, de révision des comptes, quand même les membres du parlement ne s'en mêleroient pas, & de tous les actes de prodigalité les plus ridicules, les vols les plus hardis, les fraudes les plus subtiles ne dérangeroient pas tant un plan économique, que les précautions multipliées que l'on prend contre le vol & la fraude. Nous voyons dans plusieurs de nos établissemens des bureaux de révision de comptes où les appointemens sont de cent livres sterlings ; d'autres bureaux qui entraînent la même dépense, créés pour surveiller les premiers, & le tout pour assurer une recette qui ne monte pas à vingt schellings.

Afin donc d'éviter l'inconvénient de ces détails minutieux qui produisent l'effet de la négligence la plus absolue, afin d'obliger les membres du parlement à donner leur attention aux intérêts publics, non pas aux fonctions serviles de l'économie domestique, je propose, monsieur, que l'on économise par principes, c'est-à-dire, que l'on mette les affaires sur le[p.377]pied que l'expérience indique être le meilleur, conformément à la nature des choses & à la constitution de l'esprit humain.

Dans toutes les circonstances de l'espèce actuelle, les principes d'économie radicale prescrivent trois choses, 1° de tout donner à l'entreprise en gros ; 2° de ne donner les entreprises qu'à des personnes qui en connoissent parfaitement la nature ; 3° de n'employer que des personnes qui aient un intérêt immédiat à ce que la chose qu'elles entreprennent soit bien faite.

Les principes du commerce ont répandu tant de lumières sur toutes les branches de consommation, qu'en un instant, à deux liards près, on peut savoir à quel taux telle ou telle fourniture peut être faite : il n'est point de marchés à l'abri de la fraude ; mais lorsqu'ils sont scellés par un contrat, on a l'avantage, en cas de fraude, de la part du fournisseur, d'en connoître toute l'étendue : en employant des personnes qui font commerce des objets même qu'elles s'engagent à vous fournir, vous êtes certain que ce ne sera pas faute de connoissance de leur part que vous serez lésé : en rendant court le terme du contrat, vous êtes certain que la personne qui s'engage avec vous trouvera son intérêt à vous satisfaire, & fera de son mieux pour vous engager à le renouveller.[p.378]Des membres du parlement ne sont point au fait de toutes ces choses, & s'ils s'en acquitent mal, c'est qu'ils n'ont point d'intérêt à mieux faire, parce qu'ils savent comme nous que ce n'est pas leur talent, & qu'ils n'en ont d'autres que le vote qu'ils donnent comme membres du parlement qui leur a procuré la place qu'ils occupent & qui les y maintient. Je propose donc que les tables du roi (quelqu'en soit le nombre, & celui des couverts que sa majesté jugera à propos d'ordonner) soient divisées en classe par l'intendant de la maison, & que leur service soit adjugé à des entrepreneurs, à tant par tête ou par couvert ; que le prix & les conditions du contrat soient communiqués au bureau du trésor, en reçoivent l'approbation, & que ledit prix, en supposant lesdites conditions fidèlement remplies, y soit exclusivement payés ; que l'on n'adjuge les diverses entreprises qu'à des personnes dont la profession est de vendre les articles qui en forment l'objet, & qu'aucun membre du parlement ne soit admis à ces adjudications ; par ce moyen on peut supprimer presque tous les emplois subordonnés au lord intendant, ce qui simplifie toutes ses fonctions, & en rend l'exécution infiniment plus satisfaisante. C'est ainsi que le roi de Prusse est servi, & que ce monarque offre l'exemple éminent[p.379](bien rare en vérité !) de la possibilité d'unir l'ordre à la vigueur, les détails minutieux aux vues les plus variés, aux plans les plus compliqués : ses tables sont servies par entreprise & à tant par tête. Avouons, monsieur, qu'aucun prince ne doit rougir d'imiter le roi de Prusse, & particulièrement d'apprendre à son école quelle est la meilleure manière de concilier l'état d'une cour avec les moyens de pousser vigoureusement une guerre ; j'ai oui dire que d'autres cours l'ont imité, & s'en trouvent bien.

Les principes que je viens d'établir sont le fil qui nous conduira dans le labyrinthe des autres départemens. Que vous voyez, monsieur, dans les fonctions relatives à la grande garde-robe[23] qui ne puisse être exécuté par le lord chambellan ? ses appointemens sont très-honnêtes; il a assez de tems pour vaquer aux soins qu'exige cette place ; il a un vice-chambellan pour l'aider. Pourquoi ne donneroit-il pas à des personnes qui en feroient métier, l'entreprise de toutes les choses qui sont du ressort de ce département ? Cette opération simple sauveroit les dépenses attachées à une place, qui, pour[p.380]offrir le spectacle de murailles nues ou tapissées de toiles d'araignées, dans le cours d'un petit nombre d'années, a coûté cent cinquante mille livres sterlings à la couronne : au reste, si elle ne fournit point de tapisseries au palais[24], elle fournit au parlement des membres dépendans. À quoi bon, monsieur, cette autre place, connue sous le nom de garde-robe ambulante ? À quoi bon celle créée pour la garde des bijoux ? Tout cela n'entre-t-il pas naturellement dans le département du chambellan ? Toutes ces inutilités onéreuses produisent d'autres inutilités également onéreuses. Pour payer ces trois établissemens inutiles, il existe trois trésoriers inutiles, dont deux ont une bourse à porter, l'autre un long bâton. Le trésorier de la maison n'est qu'un vain nom, le caissier & le trésorier de la chambre reçoivent & paient de grosses sommes qu'il n'est point du tout nécessaire qu'ils reçoivent & paient : on peut former des classes de toutes les personnes attachées à la maison du roi, de tous ses fournisseurs, & les faire payer à l'échiquier sur des prescriptions du bureau du trésor.[p.381]Le bureau des ouvrages (pour les édifices royaux), qui de 1770 à 1777 a coûté environ quatre cent mille livres sterlings, & si je m'en souviens bien, n'a pas moins coûté en proportion depuis le commencement du règne actuel, est précisément dans le cas des autres établissemens, & demande la même réforme. En vain l'œil cherche par-tout quelque ligne visible qui réponde en partie à une si grande dépense, il ne découvre pas un édifice qui soit de la grandeur & de l'importance d'un colombier : il faut avouer que les bonnes œuvres de ce bureau sont bien cachées & parfaitement invisibles ; mais quoique la perfection de la charité consiste à se cacher, je crois, monsieur, & vous croyez avec moi, que le caractère de la magnificence est de paroître & de frapper les yeux.

Ce bureau qui devroit être composé d'architectes, est devenu une place de membres du parlement ; il a aussi son trésor particulier, son trésorier ou payeur, & crainte que les grandes affaires de cette caisse importante ne deviennent trop fatigantes, ce payeur a un député qui partage ses profits & le soulage dans les soins qu'il se donne. Je propose donc, monsieur, qu'en démolissant tous les restes gothiques d'établissemens ruineux, l'on renverse aussi cet échafaudage nuisible, que l'on fasse main basse sur son[p.382]trésor, que l'on confie cette partie à un architecte qui ne soit pas membre du parlement : les jardins du roi doivent être soumis au même règlement.

Quoique l'hôtel des monnoies ne soit point un département de la maison du roi, on reconnoît les mêmes vices dans son établissement, extrêmement dispendieux pour la nation, surtout à raison des membres du parlement ; il a ses officiers de parade & de dignité, son trésor comme les autres ; il forme une espèce de corporation, qui jadis fut d'une très-grande importance, parce qu'il étoit ce qu'est aujourd'hui la banque, le centre de toutes les négociations pécuniaires, tant pour la nation que pour l'étranger. Heureusement, au nombre des projets arbitraires qu'une nécessité despotique dictoit à Charles I, ce prince s'empara de tout l'argent qui s'y trouvoit, en sorte que l'établissement ne s'est jamais relevé de ce coup. Ce n'est plus une banque, ce n'est plus un comptoir ouvert pour la remise des deniers, c'est tout uniment une manufacture, & rien de plus, & l'entreprise doit en être faite sur les principes communs à toutes les manufactures, c'est-à-dire, par contrat qui assure au meilleur marche possible la meilleure exécution, en prenant les sûretés, & en établissant les réglemens convenables.[p.383]L'artillerie est un objet d'une importance infiniment plus grande, elle appartient au département militaire ; mais comme dans les vices de son établissement, elle a une affinité, une parité avec ceux dont je m'occupe, je crois qu'il est à propos d'en parler en même tems. Si cet établissement ne répond pas à ses objets militaires, en revanche il me paroît répondre merveilleusement aux objets parlementaires, là se trouve aussi un trésor comme dans tous les autres départemens inférieurs du gouvernement ; là, le pouvoir militaire est subordonné au pouvoir civil ; là, le service de terre & celui de mer se trouvent confondus : j'avoue que leur objet est à peu près le même ; mais si on les examine en détail, on s'appercevra qu'il feroit beaucoup mieux de les séparer, pour introduire une réforme nécessaire dans ce département. Je propose seulement que l'on y rétablisse les choses dans leur ordre naturel, que le pouvoir civil y soit subordonné au pouvoir militaire ; cette opération seule anéantit la majeure partie des dépenses, & toute l'influence attachée à cet établissement. Je propose que l'on donne à des entrepreneurs tout ce qui peut être exécuté par entreprise, & qu'autant qu'il sera possible toutes les estimations soient d'abord approuvées, ensuite payées par le bureau du trésor ; c'est ainsi[p.384]qu'en suivant le cours de la nature, la nation se trouvera soulagée du fardeau que lui impose ce département dispendieux & immense, son service se trouvera proportionné aux besoins de l'état ; il faut encore que le paiement des dépenses qu'il entraîne, soit immédiatement soumis à l'inspection du ministre supérieur des finances. Ce dernier principe est la clef de mon plan total, & j'espère qu'il pourra être appliqué ci-après à d'autres objets.

Au moyen de ces réglemens, indépendamment des trois trésors subordonnés qui sont établis dans les trois principautés inférieures, on en supprime cinq autres également subordonnés ; on supprime le trésorier de la maison, son contrôleur & son caissier, le trésorier de la chambre, le maître de la maison du roi, le bureau entier, dit du Green Cloth, un nombre considérable d'emplois subordonnés dans le département de l'intendant de la maison du roi, l'établissement entier de la grande garde-robe, de la garde-robe ambulante, le dépôt des bijoux, la garde-robe proprement dite, le bureau des ouvrages, & presque toute la branche civile du bureau de l'artillerie : toutes ces suppressions, indépendamment de l'économie pécuniaire, affranchiront la nation d'un poids considérable d'influence ;& bien loin de nuire aux services[p.385]publics, y ajouteront un degré d'activité : lorsque l'on aura fait quelque chose d'approchant, le public alors commencera enfin à respirer ; mais ; monsieur, il reste encore des caissiers à supprimer, il reste celle du trésorier des troupes, celle du trésorier de la marine.

La première de ces caisses a donné long-tems au public de l'inquiétude,' des soupçons ;& l'envie est entrée pour quelque chose dans le louche que l'on a jetté sur cette partie de l'administration des finances, mais elle n'entrera sûrement pour rien dans les réflexions, dans les propositions de réforme que je vais faire sur cet objet.

Je ne pense pas, monsieur, que les émolumens fixes attachés à la place de trésorier des troupes soient trop considérables, en proportion de ses fonctions, & du rang des personnes qui l'occupent ordinairement : ce qu'il y a de répréhensible dans ce bureau, ce que la nation trouve d'odieux dans ses profits, c'est la profession de banquier que l'on y pratique.

La caisse de la marine, mutatis mutandis, est dans le même cas : eh ! quelles sont les caisses qui ne font pas valoir l'argent qu’elles ont en dépôt ? Pour prévenir ces inconvéniens, je propose que ces bureaux de trésoriers ne soient plus des banques ou des trésors, mais de simples bureaux d'administration, que ces trésoriers[p.386]ne soient plus que des payeurs chargés de liquider en espèces les petits objets & les grosses sommes en traites sur la banque d'Angleterre.

Il relie encore une autre caisse subordonnée à supprimer, celle du trésorier chargé du paiement des pensions. Je propose que les pensions de toute dénomination, soient directement payées à l'échiquier, & que le fond de soixante mille livres sterlings soit annuellement assigné à ce paiement : je pense que cette somme doit suffire pour récompenser tout ce qu'il y a de vrai mérite dans le royaume. S'il survenoit quelque cas extraordinaire, le parlement pourra y pourvoir au moyen d'une adresse ; mais dans tous les cas ordinaires, on répondrait aux demandeurs qui n'auroient pas été placés sur la liste, le public est pauvre, la liste des pensions qui nous a été présentée, sur le pied où elle s'est soutenue pendant les sept dernières années, monte à cent mille livres sterlings par an : voilà quarante mille livres sterlings épargnées pour le public. Dans ces cent mille livres dont la liste civile étoit chargée, je ne comprends pas quantité de places sans fonctions qui ne sont dans le fait autre chose que des pensions : comme il faut se ménager du moins la perspective de voir ces pensions s'éteindre, je propose qu'on en fixe le montant en forme de salaires. On me demandera,[p.387]monsieur, pourquoi regardant ces emplois, comme des pétitions, je n'en demande pas la suppression, & ne propose pas d'y substituer des pensions ? Je n'aurois aucune répugnance à voir prendre ce parti, mais j'en suis à le proposer ; ce seroient de nouvelles pensions ajoutées aux nouvelles, le peuple verroit cet accroissement, & ne voudroit peut-être pas voir d'un autre côté la suppression de places à l'existence desquelles il est accoutumé : au reste je laisse ce point à la discrétion de la chambre, en lui observant que je ne crois pas qu'aucun département de l'administration ait été sujet à moins d'abus que ceux dont il s'agit ; en jettant les yeux sur la liste des personnes qui ont occupé ces places, nous y trouvons les noms des descendans des Walpole, des Palham, des Twonshend, hommes auxquels le pays doit ses libertés, sa majesté, sa couronne : c'est comme héritier d'un de ces grands noms qu'un certain duc (le duc de Newcastle dont la salle à manger est sous la chambre des communes) fait actuellement un très-bon dîner sous nous, tandis que nos bouches ne sont remplies que de sons vuides sans substance, tandis que dessus sa tête nous parlons d'économie affamée ; mais il forme la branche aînée d'une ancienne maison tombée en décadence, réparée par les récompenses accordées[p.388]à des services qu'une autre maison a rendus : je respecte le titre originel, je respecte dans la lignée d'un grand homme, les honneurs, les richesses qu'il a méritées ; que ces sources précieuses ne tarissent jamais ! puissent-elles toujours couler avec leur pureté primitive ! Puissent-elles à jamais rafraîchir & fertiliser la république !

Je crois, monsieur, devoir assigner les raisons pour lesquelles dans le cours de la réforme, je touche à certains objets, & j'en respecte d'autres : c'est qu'au nombre des limites que j'ai posées moi-même, les considérations dues au service de l'état tiennent immédiatement le second rang après le respect dû aux loix ; c'est par déférence pour ces considérations que je n'insiste point sur un certain objet qui entre dans les vues des pétitions diverses qui vous ont été présentées ; je parle de la réduction des émolumens exorbitants attachés à certaines places, dont les fonctions fixent le titulaire près de la personne du souverain : ici, monsieur, il faut considérer que la plupart de ces places assujettissent à des services très-assidus, à une représentation très-dispendieuse : un secrétaire d'état, par exemple, ne doit point étaler la lésine aux yeux des autres nations : nos ministres près des cours étrangères ne doivent point[p.389]s'y rendre méprisables, d'ailleurs toutes les personnes chargées d'affaires publiques négligent nécessairement leurs affaires particulières. Or, si elles emploient leur tems à empêcher que les intérêts de l'état ne souffrent pas, il est juste que l'état veille à ce que leurs intérêts particulières souffrent le moins possible.

Ayant assigné les raison pour lesquelles je me suis posé moi-même des limites dans la réduction de certains emplois ou de leurs profits, on s'attend peut-être à m'entendre dire quelque chose sur ceux qui sont dans l'état d'une inutilité éminente ; je veux parler du nombre d'officiers qui, par la nature de leurs places, accompagnent la personne du roi : en ne regardant l'état que par abstraction, c'est-à-dire, comme une république, & en n'envisagent ces officiers que sous les rapports qu'ils ont avec l'état, j'admets qu'ils paroissent n'être d'aucune utilité ; mais dans la constitution des établissemens, il est une infinité de choses, qui au premier coup-d'œil, paroissent ne rien signifier, qui cependant examinées de plus près, produisent indirectement des avantages très-essentiels. C'est d'après les considérations les plus mûres que je me suis déterminé à ne rien retrancher, soit dans le nombre, soit dans les émolumens des places d'honneur, auprès de la couronne :[p.390]ces émolumens, excepté dans un cas ou deux, n'excèdent guères le prix qu'il est juste d'attacher à l'assiduité du service : des hommes de qualité aiment naturellement à être à la cour : les femmes de qualité l'aiment infiniment davantage ; mais tous les genres de service qui exigent une présence confiante, assujettissent à tant de contrainte, que s'il n'en existoit que l'embarras sans compensation, vous ne tarderiez pas à voir toute la noblesse du royaume abandonner la cour : les inconvéniens les plus graves résulteroient, monsieur, de cette désertion : les rois aiment naturellement la basse compagnie ; ils sont si fort élevés au-dessus du reste des hommes, que tous leurs sujets ne peuvent que leur paroître égaux entr'eux ; ils sont plus portés à haïr qu'à aimer leur noblesse, à raison de la résistance occasionnelle que peut rencontrer leur volonté, dans la vertu, dans l'orgueil ou la pétulence des grands : il faut convenir cependant que plusieurs membres de la noblesse sont aussi disposés que peuvent l'être les plus vils des hommes, à jouer le rôle de flatteurs, de parasittes, de bas complaisans & bouffons ; mais ils ne sont pas parfaitement propres à remplir cet objet de leur ambition : le défaut d'une éducation & d'une habitude contractée dès l'enfance pour ces petits rôles, & d'ailleurs quelques,[p.391]étincelles cachées de dignité, ne leur permettront jamais d'égaler un castrat d'Italie, un charlatan, un joueur d'instrumens, un comédien, ni aucuns baladins de cette espèce régulièrement exercés par la pratique : les empereurs Romains se jettèrent presque dès les commencemens entre les mains de ces gens-là, & l'inconvénient qui en résulta s'accrut jusqu'au déclin, & jusqu'à la ruine finale de l'empire.

Il est donc de la plus haute importance d'arranger l'établissement de manière que, soit qu'il l'approuve, soit malgré lui, un prince soit sans cesse environné de la fleur de sa noblesse ;& je regarde comme une circonstance heureuse, le préjugé qui fait que cette noblesse s'enorgueillit d'une pareille servitude ; je me suis bien gardé par conséquent de tenter même la réforme d'aucune des places d'honneur qui fixent leurs titulaires près de la personne du roi ; il existe cependant dans ses écuries deux emplois sans fonctions ; le changement survenu dans les usages, la nature même de la chose, tout conspire à les rendre inutiles ; je parle des capitaines des divers équipages de chasse : comme ils ne sont d'aucune utilité, comme ils ne contribuent en rien à la splendeur de la couronne, je propose qu'on abolisse leurs emplois : il n'est[p.392]pas décent que des seigneurs illustres soient des valets de chiens appartenans à un roi.

En général mon intention est que l'on ne touche aux emplois que dans deux cas ; dans celui où ils sont totalement inutiles, ou lorsque leur utilité n'est pas proportionnée à l'influence qui opprime la liberté des délibérations du parlement, c'est par cette raison que de toutes les places proprement dites places d'état, je ne désire la suppression que de deux. La première est la place nouvellement créée de troisième secrétaire d'état pour les Colonies,

Nous savons qu'il n'y a que peu d'années que toute la correspondance des Colonies étoit réunie au département du secrétaire d'état pour les affaires du sud, nous savons que ce n'est-pas à raison d'un surcroît de travail que ce secrétaire d'état s'est défait de cette partie de son département, qu'au contraire, elle a été recherchée avec chaleur, à raison de l'influence que l'on y voyoit attachée : en vérité il faudroit bien peu connoître l'histoire de nos bureaux, pour ignorer combien les fonctions relatives à l'Amérique ont toujours été légères sur les épaules de l'atlas, sur lequel portoit ce côté ministériel de la sphère : il est certain que pour conduire les affaires politiques, de l'Amérique, il falloit[p.393]être doué de beaucoup de jugement, de beaucoup de modération ; mais les détails officiels n'étoient qu'une bagatelle depuis la création de la nouvelle place ; une chaîne d'accidents & de revers a mis sous nos yeux presque toute la correspondance du bureau de ce secrétaire favori, à dater du premier moment où il est entré en fonctions : je ne parlerai ni de la qualité de cette correspondance, ni des effets qu'elle a produits ; je ne parle que de sa quantité, qui, si elle eut ajouté quelque chose, eut du moins ajouté bien peu au travail du bureau le plus occupé : je demande si dans celui du secrétaire d'état, qui étoit précédemment chargé de ce département, les sacs de velours & les tiroirs rouges sont si complètement remplis, qu'il soit impossible d'y introduire quelques papiers de plus.

Convenons que le travail de cette troisième place, dont je propose la suppression, n'est pas assez considérable pour que l'on ne puisse pas en charger l'un des deux secrétaires d'état anciennement établis : si l'un d'eux le trouvoit trop pénible, qu'ils se le partagent ; que l'Amérique Septentrionale (libre ou soumise) soit réunie au département du secrétaire d'état pour le sud ; il seroit superflu d'ajouter la moindre chose pour démontrer l'inutilité de cette troisième[p.394]place : j'observerai seulement, & l'histoire de sa création est trop récente pour que nous ayons pu l'oublier, qu'elle doit son existence à des arrangemens de convenance & d'intrigue politique ; qu'on ne l'a tirée du néant que pour donner quelque couleur à l'accroissement exorbitant de la liste civile, & en même tems un nouveau degré d'énergie à l'influence & à la corruption.

Il existe, monsieur, un autre bureau récemment détaché du premier : je parle du bureau du commerce & des plantations ; celui-ci est une espèce de couche dont la douce chaleur produit une influence tempérée, une espèce de serre chaude ou la maturité s'opère doucement; où huit membres du parlement reçoivent annuellement mille livres sterlings de salaire pour un certain tems limité, pendant lequel ils mûrissent & préparent pour la saison convenable leur prétention à des salaires de deux mille livres sterlings, qu'on leur passera pour faire encore moins qu'ils ne font, pour les récompenser des travaux longs & pénibles qui les ont usés dans ce département inférieur. J'ai connu à fond ce bureau pendant nombre d'années : les deux objets prétendus de son institution ont été en grande partie les objets de mon étude particulière : je puis assurer à la chambre, sans avoir l'intention[p.395]d'offenser aucun de ses membres, que si ce bureau ne produit point de mal, il ne produit aucun bien, qu'il n'est d'aucune utilité. Vous serez convaincu, monsieur, de la vérité de mon assertion, si vous êtes persuadé, comme il est généralement vrai, que le commerce qui forme l'objet principal de ce bureau, n'est jamais si florissant que lorsqu'on le livre à lui-même ; l'intérêt, ce grand guide du commerce, n'est point un guide aveugle, il sait mieux que personne comment se frayer un chemin, & ses meilleurs réglemens sont les besoins qu'il éprouve ; mais quand même il seroit dans la nature des choses que la jeunesse pût guider l'âge mûr, que l'homme sans expérience pût instruire celui dont l'expérience a soigné l'instruction, & qu'un bureau d'état fût la meilleure école du négoce, nous savons que ce bureau manque également d'autorité & de capacité ; sa naissance est originairement due à la manie des expériences qui caractérisoit le règne de Charles second, son objet étoit de tromper le peuple en substituant l'apparence de ses fonctions aux services réels, qu'eût rendu le parlement s'il se fût régulièrement assemblé tous les ans ; sa destination étoit en même tems la corruption de ce même parlement, lorsqu'on lui permettoit de s'assembler : cet enfant de corruption fut conçu eu 1668, traîna des[p.396]jours languissans pendant trois ou quatre ans ; mourut de convulsion en 1673 ; jamais enfant ne donna moins d'espérance, ne laissa moins de regrets après lui, on l'enterra sans cérémonies, & il étoit parfaitement oublié lorsque sous le règne de Guillaume, l'étrange vicissitude de négligence & de vigueur, de succès & de revers qui accompagnoient les armes de ce prince, rendit l'année 1695 remarquable par les détresses qu'essuya le commerce, désolé par les pirateries des croiseurs Français : la chambre des communes à cette époque prit sur elle de former de ses propres membres un bureau de commerce, & s'emparant des fonctions de l'amirauté & du trésor, parut vouloir détacher ces départemens du système général du gouvernement exécutif : la cour alarmée des conséquences de ces premiers effets de la fermentation, ressuscita en 1696 ce bureau du commerce que vous avez vu enseveli en 1673. Telle est en peu de mots l'histoire de la régénération du bureau de commerce, il a répondu à son objet ; il s'agissoit d'appaiser la fermentation du parlement : les partisans n'imaginèrent rien de mieux que de substituer à un bureau qui eût été dangereux, un bureau qu'ils savoient ne pouvoir être qu'inutile.

En effet, ce bureau, qui se dit aussi bureau[p.397]des plantations, n'a jamais été de la moindre utilité aux Colonies, il est clair que les établissemens florissans de la nouvelle Angleterre, de la Virginie, du Maryland, & de toutes nos riches Colonies dans les indes occidentales, sont d'une date antérieure à la première création du bureau dont il s'agit, la Pensylvanie & la Caroline furent établies par Charles pendant l'éclipse de ce bureau, c'est-à-dire, dans l'intervalle de tems qui s'écoula entre son extinction & sa régénération : il n'existe que deux Colonies qui lui doivent leur origine, la Géorgie dont les progrès furent très-lents, excepté dans les derniers tems ; qui même ne fit jamais de progrès, que lorsqu'elle se fut affranchie de tous les réglemens que le bureau du commerce avoit introduits dans sa constitution originelle : cette Colonie a coûté des sommes immenses à la nation, tandis que celles qui ont eu le bonheur de n'être pas tenues sur les fonts par le bureau du commerce, n'ont jamais coûté un schelling, excepté ce que l'on a dépensé si à propos en les perdant ; mais la Colonie de Virginie, toute foible qu'elle étoit, a toujours porté jusqu'au dernier moment & porte encore dans ses traits où règne la pâleur de la mort, la parfaite ressemblance de ceux qui lui ont donné l'existence ; elle a toujours eu, & conserve encore actuellement un[p.398]établissement payé par le peuple Anglais au profit de l'influence de la couronne, elle n'a jamais été en état de prendre sur elle les frais de son gouvernement, ou elle ne l'a jamais voulu.

La province de la nouvelle Écosse étoit l'enfant le plus jeune, l'enfant favori de ce bureau : bon Dieu ! quelles sommes n'ont pas coûté à cette nation les mois de nourrice payés pour ce difforme & débile enfant ? Ils nous reviennent, monsieur, à sept cent mille livres sterlings ! il ne nous a pas encore dédommagés. Il ne peut pas même payer les frais de son gouvernement, qui pèsent encore avec tout leur poids sur les épaules meurtries du peuple d'Angleterre.

Je vais, monsieur, exposer un fait propre à présenter dans tout son éclat la valeur réelle de la surintendance officielle : dans la province de la nouvelle Écosse, il se trouvoit un petit recoin négligé, habité par des Français neutres qui, ayant eu la bonne fortune d'échapper aux soins paternels de la France & de l'Angleterre, d'être exclus de sa protection des conseils & des bureaux du commerce, prospéroient en silence sans secours étranger, sans que qui que ce fût y fit attention ; vous allez voir combien notre nation paroît avoir plus de talens pour détruire que pour fonder une colonie. Dans le cours de la dernière guerre nous avons extirpé[p.399]ce peuple innocent & digne d'un meilleur sort[25] !

Fin du Tome premier.