Discussions importantes débattues au Parlement d'Angleterre par les plus célèbres orateurs, tome 4


DISCUSSIONS IMPORTANTES, DÉBATUES AU PARLEMENT D'ANGLETERRE, PAR LES PLUS CÉLÈBRES ORATEURS, Depuis trente ans ; Renfermant un choix de Discours, Motions, Adresses, Répliques, &c. accompagné de Réflexions politiques analogues à la situation de la France, depuis les États-Généraux.
Ouvrage traduit de l'Anglois.
TOME QUATRIÈME.
À PARIS,
Chez Maradan &Perlet, Libraires, hôtel de Châteauvieux, rue S. André des Arcs.
1790.

 

[p.1]

 

Table des matières Contenues dans ce quatrième volume.

 

Douzième section. Des affaires d'Irlande.

 

Discours de lord Nugent, sur la situation déplorable du commerce d'Irlande,

1779.  _____________________________________________________ Page 1

Extrait du discours de M. Burke, sur le danger de considérer l'état de détresse

du commerce d Irlande, 1779. _____________________________________ 5

Discours du marquis de Rockingham, en faveur de l'Irlande, 1779. ________ 7

Discours de lord Shelburne, à la chambre, sur la motion précédente, 1779.  12

Discours du comte de Bristol, sur le même sujet, 1779. ________________ 18

Adresse des trois ordres à leurs représentans, sur leur conduite à tenir au

parlement, 1779. _______________________________________________ 19

Discours de M. Lerecorder, en faveur de l'Irlande, 1779. _______________ 22

Discours de Newenham, sur le même sujet, 1779._____________________ 24

Dénonciation d'une émeute, 1779. _________________________________ 29

Plainte d'une insulte faite à l'orateur de la chambre, 1779. ______________ 31

[p.2]

Rapport, sur le projet d'assassiner le procureur général, 1779 ___________ 32

Discours du roi, aux chambres assemblées, 1779 _____________________ 37

Discours de lord Leswisham, pour remercier le roi de son discours, 1779. _ 40

Discours de John Cavendish, contre la motion de Leswisham, 1779. ______ 42

Discours de Grenville, sur la justice qu'on doit à la nation, en punissant les

auteurs de sa ruine, 1779. ________________________________________ 44

Discours de M. Adam, qui dément son ancien attachement au parti de l'opposition,

1779. _________________________________________________________ 46

Discours de lord Littleton, sur les associations nombreuses de l'Irlande, 1779. 51

Discours de lord Sandwich, à l'effet de justifier des reproches à lui faits, 1779. 54

Discours de Shelburne, contre les ministres coupables de la dissolution des deux

royaumes, 1779 __________________________________________________ 59

Discours de lord Hillsborough, contre l'accusation précédente, 1779. ________ 65

Réplique de lord Abingdon, contre lord Hillsborough, 1779. ________________ 68

Discours du comte de Gower, qui approuve les reproches faits aux ministres,

1779. ___________________________________________________________ 70

Discours du duc de Richmont, au discours de lord Hillsborough,
1779. ___________________________________________________________ 72

Discours du général Conwav, sur la nécessité de satisfaire l'Irlande opprimée,

1779. ___________________________________________________________ 75

Réplique de lord North, au discours précédent, 1779 _____________________ 77

Discours de M. T. Luttrell, pour qu'il ne fût pas[p.3]voté pour le service de 1780,

plus de matelots que l'année précédente, 1779 _________________________ 79

Continuation du même sujet par sir Bunbury, 1779. _____________________ 81

Exposition du plan de lord North, sur la liberté du commerce

d'Irlande. _______________________________________________________ 83

Discours du duc de Leinster, sur son mécontentement contre l'administration,

1779. __________________________________________________________ 89

Nouveau développement du plan de lord North, 1779. ___________________ 90

Discours de George Gordon, contre le plan de lord North, 1779. ___________ 96

Discours de lord North, en faveur de lord Germaine accusé, 1779. _________ 99

Discours de M. Burke, sur la liberté des débats parlementaires,

1779. _________________________________________________________ 102

Discours de M. Forester, à l'administration et au parlement, relativement au vœu

de l'Irlande, 1779. _______________________________________________ 104

Continuation du même sujet, par M. Grattan, 1779 _____________________ 107

Continuation du même sujet, par M. Metge, 1779. ______________________ 108

Pétition du comté d'Yorck, pour obtenir le redressement des griefs qui oppriment

la nation, 1779 ___________________________________________________ 111

Discours de M. Sawbridge, sur la nécessité d'une association générale, 1780.  114

Discours de M. Wilkes, sur la situation désespérée de l'état, 1780. _________ 116

Discours de M. Fox, sur les prodigalités de l'administration, 1780. _________ 120

Discours de George Saville, qui déclare que[p.4]le comté de Yorck, s'oppose

aux enquêtes, 1780. ______________________________________________ 133

Discours de M. Grattan, sur une constitution libre, 1780. _________________ 135

Discours de lord North, sur la sagesse du plan de réforme, de M. Burke, 1780. 136

Adresse des shérifs de Dublin, à leurs représentans, 1780. _______________ 138

Réponse, 1780. __________________________________________________ 140

Adresse des habitans d'Armagh, à leurs représentans, pour assurer l'indépendance

de l'Irlande, 1780. ________________________________________________ 142

Idée de la loi Poynings, 1780. _______________________________________ 144

Proposition par M. Daly, d'une adresse de remercîmens sur le commerce assuré

à l'Irlande, 1780.__________________________________________________ 147

Adresse, proposée ci-dessus, 1780. __________________________________ 148

Réplique du duc de Leister, sur quelques difficultés au sujet de cette adresse,

1780. ___________________________________________________________ 150

Adresse de remercîmens des communes d'Irlande au roi, 1780. ___________ 152

Discours de M. Grattan, concernant les droits et les libertés de l'Irlande, 1780. 154

Discours de M. Bushe, contre la motion de M. Grattan, 1780. ______________ 163

Réplique de M. Corry, à ce discours, 1780. ____________________________ 166

Discours de M. Yelverton, contre les nouveaux droits sur les sucres, 1780. ___167

Discours de sir Bradsteet, sur l'adresse à l'effet de poursuivre des auteurs de

libelles, 1780. ____________________________________________________ 170

Remercîmens du parlement au gouverneur de l'Irlande, sur les avantages qu'elle

vient d'acquérir, 1780. _____________________________________________ 173

[p.5]

Réponse, 1780. __________________________________________________ 175

Autre, 1780. _____________________________________________________ 176

Discours du gouverneur de l'Irlande, sur les subsides accordés au roi, 1780. _ 177

 

Treizième section. Émeutes.

 

Discours du duc de Grafton, à la chambre, sur une émeute, 1779. _________ 181

Réplique du ministre de la marine, à une inculpation contre lui, dans le discours

précédent, 1779. _________________________________________________ 183

Réplique du duc de Grafton, au lord de la marine, 1779. _________________ 186

Discours du comte de Bristol, pour ôter le département de la marine au premier

lord de l'amirauté, 1779. ___________________________________________ 187

Extrait du discours du lord chancelier, sur la session actuelle, 1779 ________ 189

Discours du président du conseil, contre une insurrection, 1780. __________ 191

Proclamation de la loi martiale, 1780. ________________________________ 194

Précis du discours du lord Loughborough, sur la révolte du 2 juillet, 1780. ___ 196

 

Quatorzième section. Lettres de diverses personnes.

 

Lettre du général Lée, sur la privation de sa liberté, 1777. _______________ 204

[p.6]

Discours de M. Fox, sur la difficulté de terminer heureusement leur guerre

d'Amérique, 1777.__________________________________________ 206

Discours du procureur-général, sur un soupçon contre lui, 1777. __________ 207

Lettre de Franklin et Deane, contre les atrocités envers les prisonniers de guerre,

1777. _________________________________________________________ 210

Réponse de lord Stormont, ________________________________________ 211

Lettre de Washington, sur quelques prisonniers distingués. ______________ 212

Lettre de Burgoyne, contre les cruautés sur les soldats provinciaux, 1777 __ 213

Réponse du général Gates, 1777. __________________________________ 215

Lettre de Burgoyne au général Gates, où il se justifie des imputations avancées

contre lui, 1777._________________________________________________ 217

Lettre de Johnstone au général Reed, sur son désir d'une paix durable, 1778. 222

Lettre de Williams Thryon, au gouverneur Trumbull, sur les intentions de sa majesté,

1778. __________________________________________________________ 226

Réponse, 1778. __________________________________________________ 227

Lettre de Johnstone, à un membre du Congrès, sur la réunion des deux peuples,

1778. __________________________________________________________ 231

Lettre particulière de Johnstone, à son ami, 1778. ______________________ 233

Réponse, 1778. __________________________________________________ 234

Lettre du major Lée, à un gazetier, sur quelques, réflexions hasardées, 1778. 237

Post-Scriptum, 1778. ______________________________________________ 238

Lettre de Washington à Johnstone, sur quelques condescendances, 1778, ___ 240

Lettre des commissaires du roi à Philadelphie,[p.7]au Congrès, concernant la

paix, 1778. _____________________________________________________ 242

Proclamation des commissaires en Amérique, sur la lettre
précédente
. _____________________________________________________ 248

Réplique du président du Congrès, à la lettre des commissaires,

1778. __________________________________________________________ 255

Lettre de Louis XVI, au Congrès, 1778. _______________________________ 256

Discours du S. Gérard, en présentant la lettre précédente, 1778. __________ 257

Réponse du président, 1778. _______________________________________ 260

Lettre de six députés au S. Olivier, pour lui proposer la place de lord maire,

1778. __________________________________________________________ 262

Réponse du S. Olivier, 1778. _______________________________________ 263

Lettre du président à M. de Ronsart, dans laquelle il lui marque le grade que le

Congrès lui donne, 1778. __________________________________________ 265

Lettre du même à M. de la Fayette, 1778. ____________________________ 267

Réponse du marquis de la Fayette, 1778. ____________________________ 268

Lettre du général Washington, pour obtenir un congé à M. de la Fayette, 1778. 270

Lettre du marquis de la Fayette au président, pour le même objet,

1778. __________________________________________________________ 272

Réponse du président à M. de la Fayette, 1778 _________________________ 275

Remercîmens de M. de la Fayette, 1778. ______________________________ 276

Lettre de Louis XVI au Congrès, sur une nomination. Discours de M. de la Luzerne,

1779. __________________________________________________________ 278

Réponse du président à M. de la Luzerne, 1779. _______________________ 283

Réponse de John Dalling, à une adresse de remercîmens du conseil, 1779. _ 286

Autre du même, à une adresse de la chambre d'assemblée, 1779. ________ 287

[p.8]

Discours du président du conseil suprême de Pensylvanie, à M. Gérard, sur

l'opinion par lui établie entre l'Amérique et la France, 1779. ______________ 289

Réponse à ce discours, 1779. ______________________________________ 290

Remercîmens des Pensylvaniens, à M. Gérard, 1779. ___________________ 292

Réponse, 1779. __________________________________________________ 293

Lettre de lord Stormont au comte de Weldeen, à l'effet d'obtenir des secours contre

la France et l'Espagne, 1780. _______________________________________ 294

Lettre du comte d'Estaing, au gouverneur Burth, contre plusieurs infractions,

1780. __________________________________________________________ 296

Autre du même à l'amiral Byron, sur le même sujet, 1780. _______________ 300

Réponse du général Prévôt, aux remercîmens des habitans de Savannah,

1780. __________________________________________________________ 301

Lettre du capitaine Grant, sur son emprisonnement en Espagne, 1780. _____ 302

Réprimande du chancelier, au comte de Pomfret, 1780. _________________ 305

Discours du comte de Pomfret, réintégré dans sa place à la chambre, 1780. _ 307

Réponse du général Gates, à des remercîmens de la chambre, 1780. ______ 308

 

Quinzième section. Sur divers sujets.

 

Discours de Shippen, tendant à empêcher le roi, d'engager ses royaumes pour

conserver ses domaines étrangers, 1741. ____________________________ 309

[p.9]

Discours de sir Bunbury, à l'effet d'établir une nouvelle police dans les prisons,

1779. _________________________________________________________ 317

Discours de sir Mackworth, en présentant une pétition de débiteurs insolvables,

1779. _________________________________________________________ 326

Discours de M. Knox, sur la sécurité et le luxe, qu'engendre la prospérité d'un

Empire, 1779. __________________________________________________ 329

Autre du même, terminant un volume d'essais moraux et littéraires, 1779. _ 335

Discours de M. Fox, sur la crainte d'un soulèvement populaire, 1779. ______ 342

Discours de lord Beauchamp, en faveur des débiteurs, 1780. ____________ 346

Discours du comte de Shelburne, avant de produire sa motion, tendante à former

un nouveau comité, 1780. ________________________________________ 351

Réplique de lord Stormont, au discours précédent, 1780. _______________ 361

 

Seizième section. Liberté de la presse.

 

Discours de lord chancelier, contre la liberté de la presse, 1739. ________ 366

Discours de M. Knon, contre l'atrocité des journaux, 1749. _____________ 373

Extrait du premier N° du North-Briton, sur la liberté de la presse, 1762. __ 385

Discours de M. Grenville, sur M. Wilkes, auteur de quelques libelles, 1769. 390

Discours de M. Sawbridge, contre le droit d'emprisonner un imprimeur de libelles,

1772. _______________________________________________________ 401

[p.10]

Relation de M. Parker, imprimeur, emprisonné, 1779. ________________ 403

Discours du comte d'Effingham, à l'effet de demander au roi, la grâce de

M. Parker, 1780.______________________________________________ 406

Réplique au discours précédent. _________________________________ 408

Extrait d'une séance des pairs, concernant Parker, 1779. _____________ 409

Lettre de Parker au lord chancelier, ______________________________ 414

Fin de la table du tome quatrième.

 

[p.1]

 

DISCUSSIONS IMPORTANTES, TIRÉES DU PARLEMENT D'ANGLETERRE.

 

Douzième section. Des affaires d'Irlande.

 

Discours de Lord Nugent, dans lequel il se plaint de la situation déplorable du Commerce d'Irlande, & demande qu'on lui accorde une manufacture de coton.

 

Du 19 Janvier 1779.

Il faut soustraire cette malheureuse contrée, à. la sévérité des restrictions, à l'oppression des réglemens sous lesquels languissent ses manufactures & son commerce. Mais pour bien se pénétrer de la vérité du tableau, que je pourrois tracer, je crois convenable de demander que l'on mette sous les yeux de la chambre, les états d'exportation & d'importation, qui ont été respectivement faits, entre la Grande-Bretagne[p.2]& l'Irlande, depuis le premier janvier 1768.

Lorsque l'on considère la situation de l'Irlande, & les causes de cette situation, lorsque l'on compare la politique de la grande Bretagne, à l'égard de ses dépendances, avec celle des autres puissances de l'Europe, on ne peut que gémir sur l'aveuglement d'un système dont on ne trouve point d'exemples ! L'Empire, la France, l'Espagne, sont aujourd'hui formés comme nous, d'un nombre plus ou moins considérables d'états, conquis en divers tems, acquis en vertu des traités, ou autrement, & convertis en provinces attachées à ces monarchies respectives : je ne vois pas qu'en France, ou dans les états Autrichiens, une partie des sujets ait en matière de commerce des privilèges dont l'autre partie soit exclue ; les provinces que les François appellent pays conquis ne connoissent pas d'autres réglemens de commerce que ceux qu'elles ont en commun, avec les nationaux anciens.

Tandis que nos voisins nous donnoient ces leçons, examinons quelle a été notre conduite insensée à l'égard de l'Irlande, cette partie précieuse de l'empire Britannique. Nous l'avons graduellement plongée dans une détresse extrême, & nous la voyons enfin pencher avec une[p.3]précipitation effrayante vers sa ruine totale. Depuis que je suis entré dans cette chambre, un honorable membre m'a certifié que depuis deux ans, l'exportation de l'Angleterre en Irlande étoit diminuée de 100 pour 100, non-seulement en quantité, mais en valeur : entr'autres marchandises, il m'a cité l'écorce pour le tan, qui avant cette époque, valoit en Irlande quatre guinées le tonneau, & qui n'y en vaut plus que deux. Au reste, mon intention n'est pas de faire aujourd'hui aucune proposition particulière en faveur de l'Irlande, je me borne à exposer sa situation, à engager les honorables membres à faire de sérieuses réflexions sur cet objet, à se demander : l'Irlande est-elle ou n'est-elle pas dans un état de besoin, & d'épuisement ? Si elle est effectivement dans cet état, la politique & l'humanité, leur dicteront sans-doute les mesures qu'il est convenable de prendre : or personne ne doute dans cette chambre, que l'Irlande ne soit épuisée, personne n'ignore à quel excès de détresse, & de misère, ses manufacturiers ont été réduits l'été dernier. On a essayé de les soulager, par des contributions volontaires, mais elles étoient insuffisantes, & l'on a senti qu'il n'y avoit qu'une manufacture nouvelle, qui pût soutenir tant de malheureux ; on a pensé en conséquence, à[p.4]établir une manufacture de coton ;& l'on se flatte que le parlement Britannique voudra bien non-seulement autoriser cet établissement, mais même permettre l'exportation de son produit.

L'opposition qui s'est élevée l'année dernière contre ce que l'on entendoit faire en faveur de ce royaume, m'a forcé, ainsi que d'autres membres qui pensoient comme moi, à me contenter du peu qui a été accordé d'abord, afin de ne pas perdre le tout. Si la majorité de la chambre étoit cette année dans les mêmes dispositions, je serois bien-aise de le savoir, parce qu'il seroit plus prudent de ne pas agiter cette affaire, que de l'agiter en vain ; le défaut de succès aigriroit plus l'Irlande, que le silence que l'on garderoit à son égard. En conséquence, avant de demander que l'on assigne un jour à cet objet particulier, je supplie la chambre de me faire connoître quelles sont les intentions actuelles.

[p.5]

 

Court Extrait d'un éloquent Discours très-étendu, de M. Burke, contre cette assertion avancée dans la chambre, « qu'il seroit dangereux de considérer l'état de détresse du Commerce d'Irlande ».

 

Du 15 Février 1779.

Est-il possible d'entendre dire de rang froid, qu'il est dangereux de considérer notre situation ! notre état est donc bien désespéré, si l'on craint même d'envenimer le mal, par l'impression seule que pourroit faire sur l'esprit l'idée d'y appliquer quelque remède… ? Oui, tout est dans un état de délabrement, de ruine, de destruction si immédiate, qu'il n'est possible de toucher à rien. Quelle raison nous donne-t-on encore pour nous prouver que nous ne devons rien faire pour l'Irlande ? quelle raison ? rien de si simple ! si vous lui accordez ceci, nous dit-on, elle demandera cela ? est-il possible de répondre sérieusement à des raisonnemens de cette espèce ? Eh ! c'est cette politique étroite, mesquine, pitoyable, qui nous a pour jamais enlevé l'Amérique, & qui, très-probablement ne manquera pas un jour ou l'autre,[p.6]d'achever la destruction des restes de l'empire Britannique… Mais quelque chose de bien plus étrange encore, & qui mérite une attention particulière, c'est de contempler l'Angleterre dans la personne de ses représentants, avouant à l'Irlande qu'elle se trouve elle-même dans un état de décadence, & de détresse si grande qu'elle ne peut rien faire pour elle, tandis qu'avec notre orgueil de mendiants nous la traitons en sujette, & lui parlons en souverain. Quoi ! dire à un peuple, vous êtes mon sujet ; mais arrangez vous, passez-vous de moi, je ne puis rien faire pour vous ; bon Dieu ! quelle honte pour un gouvernement : or, remarquez ce que l'Irlande demande de nous : laissez-nous vivre & prospérer, nous dit-elle. Cette réflexion me rappelle le trait célèbre de deux hommes fameux ; lors qu'Alexandre le Grand, demanda à Diogène, ce qu'il pouvoit faire pour lui, le philosophe répondit simplement à l'homme superbe & impérieux : ne reste pas entre le soleil & moi, & ne m'ôte pas ce qu'il n'est pas en ton pouvoir de me donner : voilà ce que répond l'Irlande, à l'orgueilleuse Angleterre, elle lui dit tout ce que je te demande, c'est de t'éloigner, & de ne pas te placer entre le soleil & moi… Mais, nous dit-on, si nous nous éloignons, elle ne sera pas[p.7]contente, elle demandera autre chose : raisonner ainsi, n'est-ce pas assimiler un royaume entier à un enfant qui étant à l'école, pleure & refuse d'épeller la lettre A, parce que s'il l'épelle, on lui fera épeller la lettre B, &c.

 

Discours du Marquis de Rockingham, à la Chambre des Pairs, en faveur de l'Irlande qui, dans l'état de détresse où elle est, exige de la part du Parlement, de Sa Majesté, & de l'Administration, des secours prompts & efficaces.

 

Du 11 Mai 1779.

Le tableau que j'ai à vous exposer de la situation de l'Irlande, est alarmant : dix mille hommes en armes, des associations formées dans toutes les parties du royaume, à l'effet de supprimer toute espèce de commerce entre l'Irlande & l'Angleterre, les manufactures désertes & fermées ; les fabriquants & autres ouvriers affamés, expirant de besoin dans les rues, ou recevant une foible subsistance, des mains de la charité aux abois elle-même ; le revenu public diminuant tous les jours, les dépenses de l'établissement civil & militaire, augmentant en proportion ; la France attentive à toutes ces[p.8]circonstances, & prête à offrir à un peuple opprimé, les secours qu'il a vainement attendu de l'Angleterre, tels sont les premiers traits de l'affreux tableau que j'ai à vous offrir.

Mettrai-je sous vos yeux, Milords, les résolutions de non-importation, prises par les comtés de Galway, Mayo, Dublin, Corck, &c. &c ? Dans la plupart de ces résolutions, il est déclaré que, l'opposition du parlement d'Angleterre, à la tentative que l'on y a faite d'apporter quelques adoucissemens aux détresses de l'Irlande, d'alléger les fardeaux divers sous lesquels elle succombe à raison des restrictions injustes imposées sur son commerce, prend sa source dans l'avarice & l'ingratitude. Dans quelques autres on a fait usage d'expressions plus violentes, infiniment plus alarmantes encore. Mais, Milords, si ne s'agit pas de vous persuader, que l'Irlande est parvenue au comble de la détresse : aucun de vous ne l'ignore, le roi ne l'ignore pas non plus : le message qu'il a adressé récemment à l'autre chambre, en est une preuve sensible ; dans ce message S. M. expose la situation de l'Irlande, déplore les maux qui la désolent, invite le parlement à prendre en considération la détresse de ses loyaux sujets, & lui suggère une résolution, en vertu de laquelle pour la débarrasser d'une partie de son[p.9]fardeau, les six régiments soudoyés à ses frais, & servant hors de son territoire, seroient à la charge de l'Angleterre. On ne dira pas que les ministres ignorent ce que chaque membre du parlement sait, ce qui n'a pas échappé à la sollicitude paternelle de sa majesté. Au reste, quelque scandaleuse que soit d'ailleurs leur ignorance à l'égard de ce qui se passe dans quelques parties du monde, moins immédiatement sous leurs yeux, encore faut-il supposer que, fussent-ils même aveugles, on leur liroit du moins des lettres du lord lieutenant d'Irlande, dont l'exactitude est trop connue, pour que l'on puisse douter que S. S. ne fasse pas immédiatement passer sous les yeux du gouvernement tous les détails relatifs à l'Irlande. Comme il s'agit d'appliquer le remède, il faut commencer par connoître le principe du mal ; on le trouvera dans la mauvaise administration des revenus de l'Irlande, dans l'ignorance totale de tout ce qui s'appelle économie, dans la prodigalité avec laquelle on dispose des deniers publics, au profit des suppôts du pouvoir. Depuis quelques années, ce système destructeur a caractérisé le gouvernement Anglois, a graduellement conduit l'Irlande vers le précipice d'une banqueroute générale, & nous a tous réduits[p.10]à notre état actuel d'indigence, & de ruine finale.

En 1757, l'Irlande avoit dans son trésor près de 500 mille liv. sterling ; on a porté depuis son établissement civil à des sommes si énormes, qu'actuellement elle est, ainsi que l'Angleterre, accablée de dettes, quelle se trouve d'autant moins en état d'acquitter que ses revenus ne sont plus proportionnés aux dépenses courantes de son gouvernement : on a senti cet inconvénient ; on a paru vouloir en prévenir les suites, on a affecté d'encourager publiquement les fabriques de ses voiles, tandis que, sous main on encourageoit plus efficacement celles d'Écosse ; en un mot, l'Irlande est ruinée : si on ne lui donne pas des secours immédiats, elle est perdue. Je me flatte que l'importance de ces considérations, me dispense de pousser plus loin les réflexions, que tous les nobles lords en sont pénétrés comme moi, que secouant l'influence de l'esprit de parti, considérant que le royaume entier, sans en excepter un seul individu, est intéressé à la motion que je vais faire, ils dédaigneront les notions, les considérations étroites, très-étroites, qui jusqu'ici ont fait sacrifier l'intérêt général, aux intérêts particuliers de quelques villes ; je propose donc :[p.11]« Que cette chambre prenant en considération l'état de détresse & d'appauvrissement du royaume d'Irlande, pensant qu'il est également de la justice, & de la saine politique de faire cesser les causes du mécontentement par le redressement des griefs ; voulant d'ailleurs témoigner le cas qu'elle fait du mérite de cette nation loyale, & bien méritante, cette chambre juge qu'il est extrêmement convenable, que cette affaire importante, ne soit pas négligée plus long-tems, & qu'il soit présenté une humble adresse au roi, pour qu'il plaise gracieusement à sa majesté de prendre cet objet dans la plus sérieuse considération, de charger ses ministres de rédiger & mettre sous les yeux du parlement, un état détaillé relatif au commerce de l'Irlande, au moyen duquel la sagesse nationale puisse se trouver en état de prendre des mesures efficaces pour rétablir la force commune, assurer le bien-être, & favoriser le commerce des deux royaumes. »

[p.12]

 

Discours de Lord Shelburne dans lequel il rappelle à la Chambre la Motion précédente. Il reproche à l'Administration sa lenteur impardonnable, au risque de perdre l'Irlande comme l'Amérique, dans un tems ou il ne reste pas un allié à la Grande-Bretagne. Il finit par demander que le Parlement d'Irlande soit convoqué, afin de prendre ses plaintes en considération ;& d'y remédier sans délai.

 

Du 2 Juin 1779.

Il y a déjà quelques semaines que l'adresse a été présentée au roi ; on a su que sa majesté y avoit fait une réponse favorable, mais on ignore quelles sont les mesures qui ont été prises en conséquence de ces premières démarches secondées par la chambre des communes, il est étonnant, que dans des circonstances si délicates, où le délai d'un jour peut être décisif, l'administration agisse avec tant de lenteur : le moindre retard est du plus extrême danger, & l'on parle de remettre à la session prochaine, la considération de l'Irlande ! Quoi ! laisser l'Irlande sept ou huit mois de plus dans la situation déplorable où elle se trouve ! Eh ! mais y a-t-on[p.13]pensé ? ignore-t-on qu'il est des situations qui ne sont pas supportables ? je ne dis pas sept ou huit mois, pas un mois, pas un jour, mais pas même une heure. A-t-on prévu l'interprétation que donneroit l'Irlande à un procédé si étrange ? Pour juger sainement de ce qu'elle pourra penser, dire ou faire, lorsqu'elle saura qu'on la renvoie à l'année prochaine, rappellons-nous ce qu'elle a déjà dit & fait, avant cette dernière provocation de notre part ; ses associations, ses résolutions, &c. Considérons d'un autre côté qu'il s'en falloit de beaucoup, que l'Amérique fût autant provoquée que doit l'être l'Irlande. Lorsqu'elle prit les armes contre nous, les Américains ont été aliénés & enflammés, par la seule idée que leur présentoit le droit que nous prétendions avoir de les taxer ; or, il est à remarquer, qu'entre les remontrances qu'ils crurent devoir nous faire, & leur déclaration d'indépendance, il ne s'est écoulé que onze mois, tant la marche du mécontentement est rapide : une chose plus remarquable encore, c'est qu'en comparant les époques & les progrès de la fermentation, les Irlandois ont pris le ton infiniment plus haut, avec nous, que ne l'ont fait les Américains, au commencement de la contestation ; ils ont été beaucoup plus prompts à prendre des résolutions,[p.14]& à tous égards, ont mis plus de chaleur & d'activité, dans toutes leurs démarches ; est-ce le moment d'une fermentation si dangereuse, que l'on choisira pour renvoyer à sept ou huit mois un peuple, qui, en proie à des maux actuels, demande un soulagement momentané, en attendant que l'on prépare le remède efficace ? Et dans quelles circonstances nous exposons-nous ainsi à grossir gratuitement le nombre de nos ennemis, à perdre le seul ami en qui nous puissions placer quelque confiance, de qui nous puissions attendre quelques ressources en hommes & en argent ? Dans un moment où l'Europe entière ne nous offre pas un seul allié… À propos d'allié, qu'est devenu l'alliance de l'Espagne, de cette puissance que le sentiment seul nous attachoit ; dont le vicomte de Stormont, nous disoit récemment, qu'il ne falloit parler qu'avec des ménagemens particuliers, comparant l'amitié des états politiques à celle des particuliers, & posant pour maxime qu'elles croient établies l'une & l'autre sur le même principe ? qu'est devenue cette alliance de sentiment ? hélas, on sait que l'Espagne a renoncé à son rôle de médiatrice, & que toute espèce de négociation est rompue avec elle. J'ai la plus haute opinion de l'honneur espagnol, les ministres de sa majesté catholique, sont de grands & de respectables personnages,[p.15]ils se sont toujours conduits avec toute la noblesse, toute la droiture possibles ; s'il m'est donc permis de conjecturer quel est à peu près le langage que l'Espagne a tenu à l'Angleterre, je le suppose très différent de celui qu'on lui a prêté à l'instigation de nos ministres, elle nous a dit explicitement.

« Nous voudrions avoir la paix, tout aussi bien que vous ; mais de deux choses l'une, où il faut que vous fassiez la paix aux conditions qui vous sont offertes, ou nous serons obligés de prendre parti dans la guerre que l'on vous fait. » En vérité, je ne vois pas que cette conduite de l'Espagne, soit blâmable à aucun égard. Cherchons donc ailleurs des alliés ; où en trouverons-nous ? Les personnes ignorantes chargées depuis quelques années du département des affaires étrangères pour les cours du Nord, se sont si mal conduites, qu'il ne nous reste pas un ami parmi elles ; il n'y a pas jusqu'à celle de Pétersbourg, cette cour qui avoit pour nous une prédilection si forte, une propension si marquée à servir l'Angleterre, il n'y a pas jusqu'à cette cour, dis-je, que l'on n'ait aliénée, dont on ait laissé évaporer les dispositions favorables qu'il étoit de la politique la plus ordinaire de cultiver & d'encourager : nous avons laissé la France faire la paix pour la Russie,[p.16]avec les Turcs, nous lui avons permis de combler l'impératrice de faveurs… où est le roi de Prusse, notre ancien allié lors de la dernière guerre ? il ne s'est pas déclaré pour nous, il ne se mêlera pas de nos affaires ; il nous connoît trop bien, il connoît la petite politique de notre cour, le système étroit de notre cabinet, tout cela lui est trop familier, pour qu'il puisse placer la plus légère confiance dans notre ministère… Encore une fois, dans des circonstances pareilles, je ne vois rien de plus pressé que de nous assurer du moins de la fidélité de l'Irlande, & voici une motion, que je soumets à la considération de la chambre.

« Qu'il soit présenté une humble adresse à sa majesté, aux fins de la supplier de vouloir bien ordonner qu'il soit rendu compte à la chambre des mesures qui ont été prises en conséquence de l'adresse de cette chambre du 11 mai dernier, & de la réponse très-gracieuse que sa majesté a faite à cette adresse ; recommandant humblement à sa majesté dans le cas où la prérogative royale, telle que sa majesté en est revêtue par la constitution, n'auroit pas assez d'étendue pour soulager l'état reconnu d'appauvrissement & de détresse des loyaux & bien méritants sujets de sa majesté en Irlande ; qu'il lui plaise continuer le parlement[p.17]de ce royaume assemblé comme il l'est actuellement, & donner des ordres immédiats pour que le parlement d'Irlande, soit convoqué, afin que l'on puisse prendre ses justes plaintes en considération, & y remédier sans délai ».

Mon intention n'est pas de faire aujourd'hui cette motion, je ne la ferai même pas à moins que l'on ne m'y force : je la laisserai sur la table jusqu'à lundi, ou n'importe quel autre jour prochain, afin que les ministres en prennent connoissance ; mon objet unique est de leur faire sentir qu'il n'est pas possible de différer sans danger, jusqu'à la session prochaine, une affaire qui devroit être déjà terminée, & que s'ils ne prennent pas à cet égard les mesures les plus promptes, ils seront responsables de tout ce qui peut arriver d'ici à l'ouverture de la session prochaine.

[p.18]

 

Discours du Comte de Bristol. Il insiste sur la nécessité de ne point différer. Il fait envisager l'irruption prochaine de l'Espagne & de la France unies sur 1'Angleterre, & il reproche vivement au premier Lord de l'Amirauté, le mauvais état de la Marine.

 

Du 2 Juin 1779.

Il n'y a pas un instant à perdre, dit le comte, c'est cette nuit, cette nuit même, qu'il faut que la motion se fasse : l'Irlande ne peut pas apprendre trop tôt que nous nous occupons de sa situation, & que notre intention est de la soulager le plutôt possible. Dans la situation alarmante où se trouvent nos affaires, en général, gardons-nous sur-tout de traiter l'Irlande comme nous avons traité l'Amérique ; de rejetter ses pétitions & ses justes requêtes dans un moment où la France & l'Espagne liguées, n'attendent pour fondre sur nous, que la première occasion favorable que leur en fourniroient, l'inactivité, les délais & les mesures ruineuses de l'administration : je sais à n'en pouvoir douter, que l'Espagne vient de rejetter la réponse que nous avons faite à ses propositions, qu'elle a finalement rompu toute espèce[p.19]de négociation, qu'elle a contracté avec la France une nouvelle alliance, & qu'elle va joindre ses flottes : or ce qui m'afflige le plus, c'est que dans le moment où je ne puis douter de ce fait, je ne puis me dissimuler non plus ; que nous n'avons pas dans ce moment même pour la défense du royaume une flotte égale à celle de la France seule ; que sera-ce donc lorsque celles de France & d'Espagne n'en formeront qu'une ? Je somme le premier Lord de l'amirauté de me contredire ; qu'il le fasse, s'il l'ose, je l'en défie.

 

Adresse des Nobles du Clergé, & autres Habitans notables du Comté de Galway à leurs deux Représentans pour leur servir d'instruction par rapport à la conduite qu'ils doivent tenir au Parlement dans la situation allarmante ou se trouve l'Irlande.

 

Du 8 Octobre 1779.

Messieurs,

L'Extrémité à laquelle ce royaume est réduit par la fausse politique de la Grande-Bretagne, nous impose la nécessité, à nous qui vous constituons, d'interposer & de vous exposer ce que[p.20]nous pensons de la situation critique dans laquelle se trouvent actuellement les affaires.

Nous avons toujours pensé que toutes les fois que la discussion des intérêts de l'Irlande vous seroient confiés, il étoit de votre devoir de les soutenir avec chaleur ; mais dans des tems pareils à ceux-ci, il faudroit qu'un homme fût bien dénué de droiture & d'intégrité pour négliger ces mêmes intérêts : nous vous chargeons donc de la manière la plus solemnelle, de prendre dans le cours de la session prochaine du parlement, le parti le plus décidé en faveur des droits naturels de ce pays.

L'examen le plus rigide, l'inspection la plus stricte des comptes publics, l'abolition totale de toutes pensions & de tous emplois inutiles, la grande frugalité, l'économie la plus grande dans l'octroi des subsides, sont des objets que nous vous recommandons fortement. Mais par-dessus toutes choses nous vous recommandons expressément, de ne passer, sous quelque prétexte que ce puisse être, aucun bill pécuniaire pour un terme plus long-tems que celui de six mois, peut-être à cette époque notre commerce sera-t-il affranchi des restrictions mal vues & peu généreuses qui lui sont actuellement imposées : dans ce cas nous nous trouverons alors en état de marquer notre loyauté, notre zèle & l'affection[p.21]que nous portons à sa majesté, en nous conduisant avec la liberté qui caractérise la nation Irlandoise.

Au reste, nous croyons devoir vous informer que nous sommes fermement persuadés que vous vous conduirez comme des hommes honnêtes, pénétrés de l'importance du dépôt qui vous a été confié, & que nous regardons cette adresse moins comme destinée à servir de règle à votre conduite dans l'avenir, que d'exemple pour être imité (ce que nous désirons) par le reste du royaume, de manière que les communes d'Irlande se trouvant soutenues par l'unanimité du peuple, puissent prendre les mesures les plus propres à soulager efficacement les maux dont ce pays a long-tems gémi.

[p.22]

 

Discours de M. le Recorder en faveur de l'Irlande sacrifiée par l'Angleterre. Il vote pour l'amendement qui venait d'être proposée d'une Adresse de remerciment à faire à Sa Majesté, d'après le Discours de rentrée du Lord Lieutenant du Royaume d'Irlande, qui consistoit à demander au Roi d'ouvrir un Commerce libre, & de conserver aux Irlandois la jouissance de leurs droits naturels.

 

Du 12 Octobre 1779.

Non, messieurs, non, les pairs ni les communes d'Angleterre n'ont point le droit de restreindre le commerce de l'Irlande, c'est une usurpation de leur part ; que dis-je ? c'est une tyrannie qu'il faut immédiatement supprimer. Un honorable membre (M. Flood) espère que le jour qui doit nous apporter quelque soulagement n'est pas loin, j'en doute ; au reste, il ne s'agit pas d'espérer & d'attendre ; les tems les plus propres pour approcher un roi, sont les tems d'adversité : mettons de la fermeté dans notre langage & dans nos résolutions ; il faut prendre des mesures contre ces mêmes ministres qui, ayant perdu l'Amérique, enveloppent ce royaume[p.23]dans le système de leur infâme politique. Je vote pour l'amendement proposé. Il étoit conçu en ces termes :« Nous supplions votre majesté de croire que c'est avec la plus grande répugnance que nous nous trouvons forcés de l'importuner aujourd'hui ; mais la saignée constante faite aux revenus de ce royaume par les absens, & la malheureuse prohibition imposée à notre commerce y ont causé de si grandes calamités, que le soutien naturel de notre pays est tombé en décadence, & que nos manufacturiers meurent de besoin ; la famine se promène dans nos rues donnant la main à l'infortune sans espoir : l'unique moyen de soutenir le commerce expirant dans cette portion misérable des états de votre majesté, seroit d'ouvrir un commerce libre, & de laisser vos sujets Irlandois jouir des droits naturels dont ils sont revêtus en naissant ».

[p.24]

 

Discours plein d'énergie de sir Edward Newenham, sur le même sujet. Il trouve l'amendement insuffisant. Il déclare que l'Irlande est une Nation indépendante, & que son Parlement peut lui-même passer des Bills aux fins de donner au Commerce l'étendue nécessaire. Il veut que l'Adresse demande un changement de Ministres & de mesures. Il finit par des menaces de défection, si le Parlement d'Angleterre néglige de détruire les entraves du Commerce de l'Irlande.

 

Du 12 Octobre 1779.

Pour moi je trouve l'amendement insuffisant encore ; si notre intention est de faire un bien réel à ce royaume : parlons librement & avec franchise ; disons au roi que tant que son peuple sera misérable, opprimé & trompé, son règne ne peut être ni fortuné ni glorieux ; que notre adresse se conforme pour la teneur aux circonstances des tems & à la situation de notre pays : est-il quelqu'un dans l'enceinte de ces murs qui puisse justifier la conduite que le ministère Britannique a tenue à l'égard de ce pays ? Est-il quelqu'un (s'il n'a pas abjuré les intérêts[p.25]de la Grande-Bretagne aussi bien que ceux de l'Irlande) qui puisse poser sa main sur son cœur, & dire que ces ministres ont soutenu l'honneur de ces deux royaumes, ont pourvu à leur sûreté ? En nous traitant avec mépris & en ajoutant l'insulte au mépris, ils ont accumulé nos infortunes ; ils espèrent, mais je me flatte qu'ils l'espèrent en vain, nous faire payer le déficit occasionné par la perte de l'Amérique : mais ce qui doit révolter toute âme honnête, celui qui a fomenté originairement tous nos troubles est inscrit sur l'infâme liste des pensions que vous payez : son nom est Francis Bernard, nom fatal à l'honneur de la Grande-Bretagne, fatal à sa gloire, fatal à son bonheur ! Le système tyrannique de cet homme, tendant à tout subjuguer, & par cela même agréable aux ministres, pour la ruine de la nation, fut malheureusement adopté, & ces ministres entièrement absorbés dans leur horrible contestation avec l'Amérique, ont tout négligé pour la préservation de ces royaumes.

Quoique je sois très-reconnoissant de ce que nos amis ont fait en Angleterre pour procurer plus d'étendue à notre commerce, je ne puis approuver entièrement les moyens qu'ils ont employés :Nous sommes une nation indépendante ; nous avons un parlement séparé, des cours de judicature séparées : pourquoi solliciterions-nous[p.26]les faveurs d'un autre parlement ? Passons nous-mêmes des bills aux fins de donner à notre commerce l'étendue nécessaire ? Nous verrons s'il se trouve quelque ministre assez hardi pour empêcher l'effet de ces bills ; nous sommes actuellement majeurs ; nous n'avons plus besoin de la tutelle d'une cruelle marâtre, & nous ne devons plus nous reposer sur les promesses insidieuses d'une sœur jalouse : quelles que soient les obligations que nous avons pu avoir dans les tems passés à la Grande-Bretagne, elles sont payées au décuple : nos braves soldats, nos matelots ont aidé la Grande-Bretagne à conquérir les Indes Orientales & Occidentales : les plaines de l'Amérique, celles de l'Allemagne, attestent la bravoure des Irlandois : des milliers de nos braves compatriotes y ont perdu la vie : qu'est-ce que l'Irlande a obtenu en retour ? À l'Orient le commerce nous est interdit ; à l'Occident il est soumis à des restrictions : l'Allemagne & d'autres parties du continent tireroient de nous une quantité considérable de draps (de laine) ; mais la maudite inquisition Britannique l'a empêché jusqu'à présent : quelles sont donc les obligations que nous avons à la Grande-Bretagne ? On dira peut-être que nous lui sommes redevables à raison de l'assistance que nous en avons reçus, lors de la révolution glorieuse[p.27]de 1688 ; je dis glorieuse, quoique je sache parfaitement bien que sur le calendrier Tory, on ne lui donne pas actuellement cette épithète ; mais j'appelle glorieuse toute révolution qui force un mauvais prince, un prince foible & obstiné à abdiquer un trône qu'il a avili, & qui rend à un peuple entier les droits, les libertés & l'importance qu'il avoit perdus depuis long-tems dans la grande balance de la politique Européenne : certainement une révolution pareille est agréable à l'esprit de la constitution Angloise ; elle est un droit inhérent à un peuple libre.

Avant de nous engager à accorder aucun subside, nommons un comité aux fins de prendre en considération l'état de ce pays, & que les membres de ce comité fassent serment de présenter les choses dans leur vrai point de vue. Quant à l'adresse, quelle qu'elle puisse être d'ailleurs, qu'elle demande un changement de ministres & de mesures, qu'elle porte la vérité aux pieds du trône : si le parlement d'Angleterre refuse ou néglige de révoquer les loix qui imposent des restrictions à notre commerce, nous les révoquerons virtuellement nous-mêmes en ne leur obéissant pas : d'autres nations seront bien aises de nous ouvrir leurs ports, & en retour nous avons des ports capables de recevoir leurs vaisseaux. Dans peu de mois, ce[p.28]royaume sera en état de repousser les attaques de tout ennemi étranger, & la rotation progressive de la discipline militaire formera insensiblement, de la nation entière, un corps de soldats constitutionnels ; le propriétaire, le citoyen, le fermier & le soldat, se trouveront unis dans une seule & même personne :quant à moi, je donnerai une voix négative à toute adresse qui ne déclarera pas expressément le droit que nous avons à un commerce libre & illimité, qui ne rejettera pas tout pouvoir usurpé par n'importe quel autre parlement ;& n'établira pas que l'allégeance & la protection devant être réciproques, cette réciprocité aura lieu ; car l'Irlande, étant une nation indépendante, elle ne se soumettra pas aux insultes partielles d'aucun autre pays.

[p.29]

 

Dénonciation à la Chambre des Communes d'Irlande, d'une émeute arrivée la veille, qui paroît dirigée contre quelques Membres du Parlement & en particulier contre le Procureur Général du Roi accusé de vouloir voter contre un Bill pécuniaire à terme court.

 

Du 16 Novembre 1779.

Une multitude effrénée investit hier cette enceinte où nous sommes rassemblés, & se permit dans d'autres parties de la ville les excès les moins pardonnables : il est vrai que le peuple de ce pays est réduit à une situation bien triste, l'expérience lui a appris à ne placer aucune confiance dans les promesses ministérielles ; il est également vrai que les ministres que nous avons parmi nous ne méritent pas davantage cette confiance que ceux qui sont au delà de la mer ; mais l'atteinte portée hier à la liberté de la chambre, est de nature à provoquer le ressentiment, & à nécessiter l'interposition du parlement.

Le corps législatif de ce pays se trouve dans une situation qui fixe les yeux de l'Europe entière sur sa conduite : donnons donc à cette[p.30]conduite l'empreinte de la dignité qui doit caractériser les représentans d'un peuple libre : Je sais que l'on a cherché à arracher la vie au très-honorable procureur-général de sa majesté, & que l'on a tenté de détruire son hôtel : on ne peut mettre trop promptement un frein à cet excès de violence effrénée. Il s'y est, dit-on, répandu parmi le peuple que l'intention de ce très-honorable membre étoit de voter contre un bill pécuniaire à terme court ; son intention est la chose du monde la plus indifférente, mais il me semble que l'opinion doit être libre, que le parlement doit sur-tout protéger cette espèce de liberté, que tout membre a le droit de dire ce qu'il pense, & que s'il vote pour un bill à terme long ou court, l'indépendance de son état doit le mettre à l'abri de toute contrainte, à plus forte raison de toute violence.

[p.31]

 

Plainte adressée au Parlement par l'Orateur de la Chambre, d'une insulte qui lui avait été faite la veille par la populace.

 

Du 16 Novembre 1779.

Il n'y a point d'exemple d'une indignité pareille, & l'insulte qui m'a été personnellement faite doit être connue de messieurs : hier, me rendant au parlement, j'ai vu tout-à-coup ma voiture investie, mes chevaux arrêtés : sept ou huit hommes se détachant d'une foule immense de peuple, se jettèrent à ma portière, l'ouvrirent & me proposèrent de m'engager par serment à voter pour un bill à terme court : le sergent d'armes les ayant informés que j'avois l'honneur d'être l'orateur de la chambre, ils n'insistèrent pas, & me laissèrent passer : à peine fus-je arrivé ici que lord maire arriva, pour me demander ce qu'il avoit à faire en pareilles circonstances : je lui conseillai de faire usage de l'autorité civile dont il étoit armé ; ajoutant que si cette ressource étoit insuffisante, il devoit demander au lord lieutenant l'assistance de la milice, &c.

[p.32]

 

Rapport fait par M. le Procureur Général à la Chambre, du projet décidé qu'on a pris de l'assassiner, de deux tentatives faites à ce sujet, & des menaces meurtrières qui lui sont adressées dans des lettres anonymes.

 

Du 16 Novembre 1779.

Tandis que je puis me regarder ici comme étant encore en sûreté, la chambre voudra-t-elle bien m'écouter. Objet de la prévention du peuple, victime à peine échappée aux effets des faux rapports & de la violence, me sera-t-il permis de lever les yeux comme étant encore un membre libre de cette chambre ? de les promener autour de moi avec sécurité, & de dire : il me reste ici un asyle contre une multitude effrénée.

Au commencement de la session on m'a demandé dans cette chambre, quelles étoient les mesures que le gouvernement se proposoit de prendre ? En ma qualité de procureur-général, par conséquent de serviteur de la couronne, j'ai fait connoître des intentions du gouvernement, ou ce que j'en connoissois moi-même, ou ce qu'il m'étoit permis d'en rendre public :[p.33]j'ai déclaré que j'étois alors occupé de la rédaction d'un plan relatif à la liberté du commerce, & qu'il seroit de l'avantage de la Grande-Bretagne d'accepter, parce que cet avantage seroit réciproque : cette mesure étoit-elle hostile à l'égard du peuple ? La déclaration de pareils sentimens méritoit-elle qu'on levât sur moi le poignard du meurtre & de la destruction ? y avoit-il enfin dans cette manière de m'énoncer de quoi provoquer des forcenés à mettre en danger les jours d'une femme innocente & infortunée ? j'ai dit que j'étois un serviteur de la couronne : certainement en cette qualité j'ai toujours désiré de remplir mes devoirs, mais cela empêchoit-il que je ne me fusse attaché aux intérêts de mon pays avec autant de chaleur qu'aucun autre membre, soit de cette chambre, soit de l'autre, peut se piquer de l'être ?

Dans une des dernières séances, (du 10) le membre qui marchoit à la tête de l'avant-garde de l'opposition (M. Grattan) me fit une question à laquelle je répondis avec franchise : je dis ce que je pensois, & d'un bill pécuniaire à terme court, & de la doctrine qui tendoit à établir que les constituans pouvoient exiger de leurs représentans qu'ils votassent d'une manière contraire à leur façon de penser.[p.34]J'ai dit que je mourrois sous la pointe de la baïonnette, plutôt que de souffrir que la liberté des débats fût restreinte : on a rendu au-dehors un compte faux & de mes intentions & de mes expressions ;& parce que l'on a dénaturé tout ce que j'avois dit, une troupe de brigands a investi ma maison, en a enfoncé & brisé les croisées, a pénétré jusques dans la chambre de ma femme, déployant les expression du brigandage & du meurtre pour lui annoncer le projet qu'ils avoient formé de m'arracher la vie. Ce n'est pas tout ; hier, dans ce moment horrible à mon souvenir, la justice a reçu un affront plus sanglant que l'individu dont on avoit conspiré la perte :& la constitution, les loix, la police d'un pays libre & civilisé ont été outragées & renversées ? Je siégeois dans une cour de justice lorsqu'on vint m'informer que la populace avoit forcé ma maison, & se portoit à des excès de la plus odieuse nature : frappé de la situation particulière d'une partie de ma famille, & sentant que le meurtre devoit suivre de près de pareilles extrémités, je volai au-devant de ces forcenés pour tâcher de désarmer leurs préventions, & de leur démontrer combien on leur en avoit imposé à mon égard : pendant que je les cherchois dans cette vue, ils me[p.35]cherchoient eux-mêmes dans les cours de justice que je venois de quitter ;& portant dans les tribunaux le désordre & l'effroi, ils y déclaroient hautement que leur intention étoit de me massacrer ! Je me rendis alors chez le premier magistrat, de-là je retournai à ma maison, où je ne trouvai plus la résidence d'un homme dont les vœux se bornoient à l'honneur de se rendre utile à son pays ;& qui, chérissant ses concitoyens, se flattoit d'en avoir mérité l'affection réciproque. Que trouvai-je ? quelque chose pire que le spectacle qu'offre à minuit un mauvais lieu que l'on purge de ses coupables créatures. Je ne vis que des ruines, que des objets affreux, images du ressentiment public & de la sédition la plus violente ! mais tirons le rideau sur ce tableau révoltant, & qu'il me soit permis de faire quelques réflexions sur la scène que je viens de décrire.

S'il faut acheter la liberté du commerce, qu'elle ne soit pas le prix d'un meurtre ; que ceux que j'ai offensés se présentent, qu'ils demandent en braves gens la satisfaction qu'ils prétendent être due aux injures qu'ils ont reçues, aux torts que je leur ai faits : mais ne permettez pas que je sois une victime sacrifiée au ressentiment public, parce que j'ai agi en serviteur de la couronne, & parce que j'ai parlé[p.36]en honnête homme, comme je pense enfin : si la Grande-Bretagne & l'Irlande doivent avoir quelque discussion, que ce soit la discussion des parlemens, & non celle de ces hommes qui sans éducation, sans feu, ni lieu, & n'ayant rien à perdre ni à gagner sont incapables d'apprécier les vrais intérêts de leur pays. J'ai reçu des lettres anonymes, par lesquelles on m'informe du parti désespéré que l'on a pris contre moi : l'une dit que je serai étranglé, une autre que je serai mis en pièces par les mains de la multitude. Eh bien ! qu'ils fassent de moi ce qu'ils voudront, je marcherai sans armes, enveloppé de mon intégrité, qui me rassurera au fond de ma conscience ; couvert du bouclier de l'honnêteté, je ne crains ni les menaces d'une multitude abusée, ni les attaques de mes ennemis secrets.

[p.37]

 

Discours adressé par Sa Majesté aux Chambres assemblées. Il leur recommande de s'occuper des moyens d'adoucir la situation de l'Irlande. Il prévient les Communes qu'il se trouvera obligé de leur demander de nouveaux subsides pour les dépenses de l'année prochaine ;& il déclare qu'il est déterminé à continuer la guerre avec vigueur.

 

Du 25 Novembre 1779.

Milords et Messieurs,

Je vous assemble en parlement dans un tems où tous les principes du devoir, toutes les considérations de l'intérêt demandent que nous unissions nos efforts pour le soutien & la défense de notre pays, attaqué par une guerre injuste, non provoquée, & luttant contre une des confédérations les plus dangereuses qui aient jamais été fermée contre la couronne & le peuple de la Grande-Bretagne.

Les desseins & les tentatives qu'ont formé nos ennemis d'envahir ce royaume, grâces à la Providence, ont été frustrés ; leur attente, jusqu'à présent a été déçue ; ils continuent de[p.38]nous menacer avec de vastes armemens, de grands préparatifs mais je me flatte que de notre part, nous sommes bien préparés à faire face à toute attaque, à repousser toute insulte. Je connois le caractère de mon brave peuple ; les menaces de ses ennemis, & l'approche du danger ne produisent sur lui d'autre effet que celui d'animer son courage, de susciter cet esprit national qui a si souvent mis un frein aux projets de l'ambition & de l'injustice, les a fait avorter si souvent, a mis les flottes & les armes Britanniques en état de protéger leur pays, de maintenir leurs droits de préserver en même-tems les libertés de l'Europe contre les atteintes de la puissance turbulente & empiétante de la maison de Bourbon.

Au milieu de mes soins & de ma sollicitude pour la sûreté & le bien-être de ce pays, je n'ai pas perdu de vue mon loyal & fidèle royaume d'Irlande. En conséquence des adresses que vous m'avez présentées dans le cours de la dernière session, j'ai ordonné que l'on rassemblât & que l'on mît sous vos yeux les papiers propres à vous aider dans vos délibérations sur cette affaire importante, & je vous recommande de considérer quels adoucissemens, quels avantages ultérieurs peuvent être étendus sur ce royaume, par tels règlements[p.39]& tels autres moyens qui paroîtront devoir concourir plus efficacement à la force, à la richesse commune, aux intérêts de tous mes états.

Les estimations convenables vous seront présentées lorsqu'il en sera temps : je vois avec une peine infinie que le pied sur lequel je dois nécessairement mettre mes forces de mer & de terre, que les services divers & les opérations de l'année prochaine, entraîneront inévitablement des dépenses considérables & onéreuses ; mais je me repose sur votre sagesse & sur votre esprit public, quant à la mesure des subsides que les circonstances de nos affaires, & les besoins publics paroîtront exiger.

Milords et Messieurs,

C'est avec beaucoup de satisfaction que je vous renouvelle les assurances de l'approbation complette que je donne à la bonne conduite & à la discipline de la milice, ainsi qu'à la persévérance dans le service : je remercie affectueusement tous les ordres de mes loyaux sujets, qui, dans des circonstances difficiles, se sont mis sur les rangs ;& par leur zèle, leur influence & leurs services personnels, ont donné à la fois de la confiance & de la force à la défense[p.40]nationale. M'appuyant sur la divine Providence & sur la justice de ma cause, je suis fermement déterminé à continuer la guerre avec vigueur, & à développer tous les efforts possibles, pour forcer nos ennemis à se prêter à des termes équitables d'accommodement & de paix.

 

Discours de lord Lewisham, dans lequel il propose l'adresse de remercimens à Sa Majesté de son très-gracieux Discours. Il avoue l'inaction dans laquelle on est demeuré cette année par rapport aux opérations de la guerre. Il recommande sur-tout l'esprit d'unanimité, le seul moyen selon lui, de conjurer l'orage dont l'Angleterre est menacée.

 

Du 25 Novembre 1779.

Il est fâcheux que la dernière campagne n'ait pas produit des événements brillants sur lesquels nous puissions complimenter S. M. On ne peut se dispenser de convenir, que l'été a été marqué par l'inaction de notre part, mais du moins elle n'a pas été funeste, & quelque dangereuse que soit en effet la confédération formée contre la Grande-Bretagne, nous en avons été quitte,[p.41]pour la menace d'une invasion, menace, qui dans le fond, n'a pas allarmé ceux qui connoissent la force & les ressources de ce pays, & donc l'exécution eût peut-être même été à désirer, parce qu'il est probable que l'ennemi eût eu lieu de se repentir de l'avoir tentée : au reste, si le moment a été dangereux, le même danger subsiste toujours, & si quelque chose peut le dissiper, ce n'est que l'union, l'harmonie, l'unanimité d'esprit, de cœur & d'action. Occupons-nous de l'ennemi au dehors, éteignons au-dedans le feu de l'animosité ; évitons dans nos débats cet esprit de division & d'inquisitions politiques ; dont les écarts indiscrets, ne tendent qu'à informer l'ennemi de tout ce qu'il est important qu'il ignore, à lui montrer comme du bout du doigt, quel est l'endroit fort, ou l'endroit foible dont il doit éviter l'approche, ou qu'il peut attaquer : l'ennemi le plus dangereux de l'Angleterre est cet esprit de division : cet esprit de division seroit l'allié le plus puissant de la confédération que nous avons à combattre : gardons-nous d'ajouter nous-mêmes à ses forces déjà assez formidables mais si je vois enfin l'unanimité établie parmi nous, je ne doute pas que nous ne soyons en état de conjurer l'orage qui nous menace, &c.

S. S. fit mention de l'Irlande, & attribua à la[p.42]canaille seule, les troubles qui s'y sont récemment élevés.

 

Discours de Lord John Cavendish. Il ne voit aucune raison de porter des remercimens au Trône. On n'a au contraire que trop de sujets de plaintes contre l'Administration. Il désireroit quelque amendement à l'adresse proposée.

 

Du 25 Novembre 1779.

Avant de voter une adresse de remerciemens dont les ministres s'attribueront l'honneur, je voudrois savoir en quoi ces ministres ont mérité que la nation les remercie. Je voudrois démêler dans le discours, dont je viens d'entendre la lecture ; quel est l'objet de la reconnoissance que l'adresse doit exprimer : je n'y remarque qu'un passage dont la vérité soit évidente, c'est celui qui dit : que les desseins de nos ennemis ont été frustrés, grâces à la Providence ! oui, il faut convenir que nous devons beaucoup à la Providence : elle a vu que nous n'avions de confiance qu'en elle, elle nous a sauvés ! les ministres n'ont point eu de part au prodige, pourquoi les en remercirions nous ? les flottes combinées de l'ennemi[p.43]ont paru dans la Manche, ont insulté nos côtes : nous n'avons trouvé de sûreté contr'elles que dans la retraite ; est-ce là une circonstance dont nous ayons à remercier les ministres ? ou bien sera-ce à raison des abus qui se sont glissés dans la manière dont le département des troupes a été administré ? Rien de si odieux : une partialité honteuse, une profusion coupable dans la levée des nouveaux corps ;tels sont les traits qui caractérisent ce département : l'indolence, l'incapacité, portées à l'extrême caractérisent tous les autres ; delà la chaîne des calamités qui désolent ce pays, de là, l'état déplorable auquel il se trouve réduit ; est-ce là le moment de porter des remerciements au trône, sans les accompagner du moins de quelques avis ? non il faut ajouter quelques mots d'amendement à l'adresse proposée par le noble lord.

[p.44]

 

Discours énergique de M. Grenville. II approuve l'unanimité recommandée par Lord Levisham ; mais elle doit avoir pour objet de faire justice à la Nation, & de punir les auteurs de sa ruine. Il invite les Ministres à la retraite.

 

Du 25 Novembre 1779.

On demande l'unanimité ! c'est aussi ce que je désire ; c'est ce que j'espère trouver enfin dans la chambre : il est temps que tous les partis s'unissent pour faire justice à la nation, & punir, comme ils le méritent, les auteurs de sa ruine ; il est temps que les représentans du peuple se pénètrent enfin de l'étendue de leurs devoirs à l'égard de leurs constituants ! qu'ils ouvrent les yeux sur les calamités publiques ; il seroit dans l'ordre des choses, dans l'esprit de la constitution, qu'à la rentrée du parlement, le peuple témoignât sa satisfaction en voyant arriver un moment attendu avec impatience ; un moment qui devroit être destiné au redressement de ses griefs : mais il n'en est pas ainsi ; ce moment au contraire est actuellement dans le nombre des maux qui affligent ce même peuple : il sait que l'objet de notre assemblée se réduit à peu-près au soin d'approuver quelque[p.45]nouvel impôt, qui, pour être ingénieusement présenté, n'en est pas moins un poids de plus, ajouté au fardeau sous lequel il succombe déjà… Les choses en sont au point, que peut-être il y a plus à espérer des ministres mêmes, que du corps préposé par la constitution, à la sûreté des droits du peuple ; ils prendront peut-être le parti de se retirer & de laisser en de plus habiles mains le timon de l'État, je les y exhorte, la prudence le leur conseille avec moi ; ils peuvent encore avec une majorité assurée, compter quelque temps sur l'impunité : mais ce temps ne peut pas être long, leurs amis ne peuvent pas tarder de les abandonner à leur sort : quand se moment sera venu, je demande s'il est un membre dans la chambre qui se présente pour les soustraire à la vengeance nationale ?

[p.46]

 

Discours de M. Adam, qui dément son ancien attachement au parti de l'opposition. Il se déclare ouvertement pour quelques Ministres auxquels il prodigue même des louanges. Il convient que l'administration est indolente & inactive ; mais il prétend que le parti de l'opposition est plus dangereux en ce qu'il manque de vigueur & de popularité.

 

Du 25 Novembre 1779.

Je conviens que pour donner de la fermeté, & de l'énergie, aux conseils de l'état, il faudroit en écarter quelques membres ; mais, à tout prendre, il se trouve plus de sagesse ; plus de vigueur, plus de popularité dans l'administration actuelle, que dans les candidats qui briguent les places de ceux qui la composent. Notre pays n'est pas en sûreté entre les mains de ceux qui tiennent les rênes ; entre celles du parti opposé sa destruction seroit immédiate : une paix honteuse seroit la fuite de ce changement. Ce qu'il y a de certain, c'est que dans ce moment-ci, l'Angleterre voit dans son sein, un phénomène bien étrange, une administration indolente qui ne réussit en rien, & une opposition sans popularité ! Au reste, si l'on ne peut pas donner[p.47]indistinctement son approbation & son appui à tous les membres de l'administration, il en est quelques-uns, dont les talens & les vertus inspirent plus de confiance au peuple, qu'aucun des membres de l'opposition… nommez-les ? nommez-les ? s'écria-t-on de toutes parts ! Mr Adam désigna alors le Lord chancelier, & le Vicomte de Stormont ; il s'étendit particulièrement sur les qualités, le mérite, l'application & la popularité du Vicomte, & déclara que ce nouveau secrétaire d'état possédoit d'une part, la confiance intime de son souverain, de l'autre, étoit infiniment agréable au peuple. Mais, continua-t-il, ce n'est pas assez : pour sauver notre pays, il faut que tous les membres de l'administration, concourent également : il faut que le noble lord qui siège sur le banc du trésor, (lord North) se donne quelques mouvements, qu'il renonce à son indolence, à son goût pour l'inactivité, qu'il se réveille enfin, & s'occupe du salut de la nation. Nous ne pouvons pas nous dissimuler que la tâche est difficile, que le danger est à notre porte, & nous presse vivement ; mais que messieurs se rappellent l'année 1691 ;& qu'ils conviennent du moins qu'à cette époque nous étions dans des circonstances pour le moins aussi dangereuses : deux fois battus par les françois sur mer, ayant dans l'enceinte même de l'empire[p.48]un ennemi soulevé contre la couronne, la nation étoit certainement alors dans une position plus fâcheuse qu'aujourd'hui ;& je ne doute pas que l'unanimité secondant nos efforts, nous ne parvenions encore à conjurer l'orage.

 

Discours justificatif de Lord North, en réponse à des assertions avancées contre lui dans les discours précédens. Il représente comme beaucoup moins alarmante la situation actuelle des Anglois à l'égard des François. Ceux-ci n'ont obtenu aucun succès. Il auroit désiré qu'ils eussent effectué la descente qu'ils avoient médité de faire dans Plymouth. Il promet beaucoup plus de vigueur pour la campagne prochaine. Il déclare qu'il seroit dangereux d'accorder aux Irlandois trop d'avantages dans leur commerce.

 

Du 25 Novembre 1779.

Je ne disconviens pas que le moment ne soit alarmant & dangereux ; une confédération puissante s'est formée contre la Grande-Bretagne, qui, jusqu'à présent, se trouve sans alliés : si cette dernière circonstance est un désavantage, est-il juste de s'en prendre aux ministres ? le fait est qu'aucune des puissances étrangères n'a jugé à propos ou nécessaire, d'épouser la cause de la[p.49]Grande-Bretagne ; que peuvent les ministres à cela ? au surplus, quoique nous soyons privés de cette ressource, que s'est-il passé de si fâcheux pour nous ?

On a médité une invasion, on continue de former des armemens formidables ; mais au milieu de toutes ces apparences alarmantes, quelle est dans le fait notre situation actuelle ? nous sommes beaucoup plus en état de repousser une attaque quelconque, que nous ne l'étions au moment de la déclaration de l'Espagne : tandis que nos forces s'accroissent journellement, quelle est la vraie position de l'ennemi ? qu'a-t-il fait dont il puisse tirer avantage ? il a fait des dépenses monstrueuses, nous a menacés de tout ce qui peut justifier les alarmes d'une Nation ? à quoi ces menaces ont-elles abouti ? à rien. Ils ont perdu tout l'été ; ont fait une vaine parade sur nos côtes, avec une supériorité de nombre si décidée, qu'il n'eût pas été pardonnable de hazarder une bataille contre eux. Cependant si nous eussions été informés de quelques circonstances relatives à leur situation interne, & dont nous avons à présent connoissance, j'eusse été très-tranquille en apprenant que notre flotte auroit attaqué la leur : il faut avouer que Plymouth n'étoit pas dans l'état où il auroit dû être, cependant il s'y trouvait deux régiments de plus que[p.50]l'année précédente ;& comme il n'étoit pas naturel de supposer que l'ennemi l'attaqueroit, avant d'avoir battu notre flotte, dans l'intervalle de temps qui se fût écoulé dans ce dernier cas, Plymouth se fût trouvé dans un meilleur état de défense. Au reste, je désirerois que l'ennemi eût effectué une descente ; il en eût résulté un grand bien pour la Grande-Bretagne… l'année prochaine nous serons en état d'agir avec plus de vigueur, & peut-être avec plus d'effet ; mais en considérant que cette année, nous n'avons agi que sur la défensive, & l'ennemi sur l'offensive, il faut avouer qu'à tout prendre, nous nous sommes bien tirés d'affaire. À l'égard de l'Irlande, tout ce que je puis dire, c'est que j'espère que les préventions obstinées, & la violence suggérée par les ennemis secrets des deux pays, n'élèveront point une barrière entre les intentions de l'Angleterre, & le bien de l'Irlande, notre désir est de former un plan avantageux à l'une & à l'autre ;donner à l'Irlande, tous les avantages du commerce en l'affranchissant de ses désavantages, ce seroit ruiner l'Angleterre ; mais j'espère que les deux royaumes, consultant leurs vrais intérêts, saisiront amicalement les ouvertures qui leur seront faites, lorsqu'ils verront que la droiture & l'égalité sont la base du système qui leur sera proposé.

[p.51]

 

Discours de Lord Littleton ; dans lequel après une incursion violente contre les Ministres, il présente un tableau effrayant des associations nombreuses de l'Irlande ; toutes armées de leur propre mouvement, & disposées à se réunir à l'Amérique contre leurs ennemis communs.

 

Du 25 Novembre 1779.

… Songez enfin si vous êtes insensibles ; au reste, qu'il se trouve actuellement en Irlande quarante-deux mille hommes sous les armes ! Qu'ils ne sont point payés, pas même reconnus par le gouvernement. J'arrive de ce pays ; j'ai fait l'impossible pour me mettre parfaitement au fait de tout ce qui a rapport aux associations, & sur-tout à leur origine : je sais de leurs officiers même, que d'abord elles se sont formées pour la défense du royaume contre l'ennemi étranger : avant de prendre ce parti, les Irlandois avoient demandé quelques troupes au gouvernement, qui avoit répondu qu'il ne pouvoit pas leur en envoyer, & qu'ils eussent à se défendre eux-mêmes. D'après cette réponse, ils se sont formés en corps d'association, & ont demandé ensuite que le gouvernement les autorisât ; [p.52]mais le chancelier & le grand justicier d'Irlande, en approuvant leur zèle patriotique, leur représenta que l'acte de prendre les armes, à l'insçu & sans l'autorité du parlement, étoit si contraire à l'esprit de la constitution, qu'il ne pouvoit pas être reconnu par le gouvernement.

Mais que le gouvernement les approuve, ou non, le fait est que ces affectations sont armées, que le refus du gouvernement ne les a pas engagées à mettre bas les armes ;& qu'originairement formées contre l'ennemi étranger, elles disent aujourd'hui à l'Angleterre : rendez-moi la liberté du commerce, rendez-moi la constitution libre de l'Angleterre, telle qu'elle étoit originairement. Or, ce langage, milords, n'est pas celui d'une vaine populace, c'est le royaume entier qui tonne à vos oreilles. Le gouvernement a beau avoir au parlement d'Irlande une majorité à ses ordres, comme il se la conserve ici, là elle est muette, là elle n'ose pas réfuter au torrent populaire : enfin, il y a deux mois que les associations étoient armées contre l'ennemi étranger ; depuis cette époque, elle déclare hautement qu'elle l'est également contre ses ennemis domestiques. Considérez, d'ailleurs, que ces associations sont composées des Whigs de l'Irlande, d'hommes qui détestent la tyrannie, ont en horreur le despotisme, regardent la doctrine[p.53]de l'obéissance passive, comme n'étant que la doctrine des esclaves, établie par la force, appanage des tyrans. Pour vous donner une idée sorte des descriptions de ce peuple, & de son parlement, je ne vous citerai qu'un mot que j'ai entendu : un membre des communes, parlant de la situation de l'Irlande, de ses besoins, de ses droits, dit, en adressant la parole à l'orateur de la chambre :Nous tournons le dos à l'Angleterre, & le visage du côté de l'Amérique ! À ces mots jugez, & des dispositions de l'Irlande, & de la nature de ses vues ultérieures.

[p.54]

 

Discours de Lord Sandwich, premier Lord de l'Amirauté, dans lequel il prétend se justifier des reproches qui lui avoient été faits. Il ne trouve rien de si alarmant dans l'état actuel des affaires. Il rejette le mauvais état de la. Marine, sur l'ignorance où les Ministres étoient des forces rassemblées par la France & l'Espagne, & sur la nature de la constitution Angloise qui ne permet pas d'apporter une certaine célérité dans les préparatifs de ce genre. Il finit par promettre pour la campagne suivante une Marine formidable.

 

Du 25 Novembre 1779.

À toutes ces insinuations, à toutes ces assertions, je répondrai par des faits. Pourquoi n'a-t-on point fait d'enquête relativement au vaisseau l'Ardent ? C'est que le vaisseau & le capitaine Boteler sont au pouvoir de l'ennemi. Attendons qu'un échange ramène cet officier en Angleterre. 1l est de règle que tout commandant qui survit à la perte de son vaisseau subisse un conseil de guerre. Pourquoi n'a-t-on pas donné à la marine royale & marchande avis de l'apparition de la flotte combinée dans la Manche ? C'est[p.55]que le bureau de l'amirauté n'a pu deviner que l'ennemi étoit devant Plymouth, & ne l'a su que lorsqu'un exprès en a apporté l'avis : en pareils cas, on doit se reposer sur la prudence & l'activité des commandans ; or celui de Plymouth a fait dans cette occasion les signaux nécessaires, & a si bien réussi ; qu'une flotte considérable de navires marchands est entrée dans le port de Plymouth, à la face de l'ennemi. À l'égard de l'Ardent, le Cormoran lui a fait les signaux nécessaires ; pourquoi l'Ardent n'y a-t-il pas répondu ? C'est ce que l'on saura dès que la conduite du capitaine Boteler pourra être examinée.

Pourquoi n'a-t-on pas employé des canoniers ordinaires aux batteries de Saint-Nicolas ? C'est que lord Shuldham, qui commandoit en chef pour le département de la marine, a préféré d'y envoyer cinq cent matelots, parce qu'il regardoit cette classe d'hommes, accoutumée à cette espèce de service, comme plus propres que toute autre ;& cette opinion est si peu extraordinaire, que l'amiral Buff a fait la même chose, & a envoyé un grand nombre de matelots à Gibraltar pour le service des batteries. Pourquoi, après avoir dit, ce que l'on me répète si souvent, qu'un premier lord de l'amirauté devroit entretenir des forces navales supérieures à celles de la[p.56]France & de l'Espagne, dans le cours de cet été, les forces navales de l'Angleterre ont-elles été inférieures à celles de la maison de Bourbon ? C'est qu'un premier lord de l'amirauté ne peut pas seul créer une marine aussi considérable qu'il pourrait la désirer, parce que les dépenses de ce département étant la branche la plus considérable des dépenses nationales, leur étendue ne peut être déterminée que par le cabinet ; parce que tout ce que j'ai pu faire a été de mettre promptement en état les forces navales que le cabinet a cru pouvoir répondre aux besoins nationaux, ou ne pas excéder les facultés des revenus publics.

Lors donc que j'ai prononcé en parlement les expressions que l'on me rappelle sans cesse, je déclare dans la sincérité de mon cœur, que mon intention n'étoit pas de faire une promesse de l'exécution de laquelle on pût me sommer personnellement, mais d'aiguillonner l'administration ; espérant qu'en m'expliquant ainsi publiquement, je lui imposerois la nécessité de mettre la marine sur un pied supérieur à tout ce que l'ennemi pourroit rassembler de vaisseaux contre nous. Au reste, avant de blâmer qui que ce soit, il faudroit considérer les circonstances extraordinaires sur lesquelles portent les reproches qui me sont personnellement adressés.[p.57]La France & l'Espagne ont fait des efforts inconcevables pour mettre une flotte formidable en état d'agir contre nous l'été dernier : je ne dirai pas que les ministres ignoroient entièrement les préparatifs que ces deux puissances faisoient depuis quelque tems ; mais j'ai lieu de soupçonner que l'Espagne avoit commencé ses préparatifs beaucoup plutôt & les avoit poussés avec beaucoup plus d'activité qu'on ne l'a cru dans ce pays : enfin à l'étonnement du monde entier, on a vu la maison de Bourbon mettre en mer une flotte d'une force immense ! Pendant que ces deux puissances s'occupoient de leur objet, la Grande-Bretagne, fatiguée par une guerre qui duroit déjà depuis quelques années, avoit été forcée par les suites de cette guerre à détacher loin d'elle une partie considérable de sa marine ; d'un autre côté la nature de notre constitution ne nous permet pas d'apporter dans nos préparatifs la célérité que la France & l'Espagne peuvent mettre dans les leurs ; cependant nos efforts ont été plus considérables cet été, que nos ennemis ne l'avoient prévu ; mais ils ne suffisoient pas encore pour établir l'égalité : or dans un moment où nous avions à faire face à la confédération la plus formidable dont l'histoire nous offre l'exemple, la conduite de sir Charles Hardy étoit pour la nation[p.58]d'une importance que rien n'égala jamais : il eût été imprudent d'engager au large un combat avec des forces reconnues pour être infiniment supérieures ; il étoit donc de la bonne politique d'attirer l'ennemi dans notre canal, le plus haut qu'il étoit possible de le faire, & de tirer parti des avantages particuliers à la situation de nos côtes : c'est ce qu'a fait sir Charles Hardy, il a ramené sa flotte saine & sauve à Portsmouth ! Aujourd'hui que la campagne est finie, tous nos vaisseaux sont en bon état, l'année prochaine nous en aurons un nombre beaucoup plus considérable ; que nous est-il donc arrivé de si fâcheux, & qu'a fait l'ennemi ? Il s'est enfoncé dans la Manche ; il a paru devant Plymouth sans tenter d'attaquer nos côtes, & sans en avoir même l'intention, j'en suis persuadé.

Je suis parfaitement convaincu que dans ce moment-là il ne songeoit pas à attaquer Plymouth, il n'avoit pas de troupes à bord pour effectuer une descente ;& cette circonstance seule prouve sans réplique qu'elle n'entroit point dans ses vues : qu'ont donc fait la France & l'Espagne avec leur armée si formidable ?

Lord Sandwich finit par annoncer pour l'année prochaine, une marine beaucoup plus formidable dont il ne vouloit pas donner les détails, parce qu'ils tireroient à conséquence.

[p.59]

 

Discours du Comte de Shelburne. Après avoir demandé lecture des résolutions prises par la Chambre à la fin de la dernière session, au sujet de l'Irlande, fait la motion d'un vœu de censure contre les Ministres coupables par leur négligence d'avoir amené l'Irlande à la dissolution de la connexion constitutionnelle qui unissoit les deux Royaumes. Il s'élève surtout contre l'insensibilité & la démence du chef de ces Ministres.

 

Du 1 Décembre 1779.

J'ai demandé lecture de ces pièces, parce qu'elles sont le fondement de la motion que j'aurai l'honneur de faire : son objet sera la censure, je proposerai que l'on passe un vœu de censure contre les ministres qui ont souffert que les mécontentements de l'Irlande s'envenimassent au point de menacer d'une dissolution évidente la connexion constitutionnelle qui unissoit les deux royaumes. La notoriété de l'état déplorable dans lequel se trouve ce royaume est certainement un objet qui mérite l'attention de la chambre : sa détresse étoit universellement connue, lorsqu'au mois de Mai dernier, la[p.60]chambre prit le parti de présenter une adresse en sa faveur : si elle étoit déjà extrême à cette époque, à quel point ne doit-elle pas être parvenue depuis ! indépendamment de ce qu'il y a d'alarmant dans le spectacle des associations armées, plusieurs lettres que j'ai reçues de ce royaume, m'ont appris que dans les cours de Justice, en présence de Jurés, on alloit discuter des questions tendantes à faire rejetter l'autorité du parlement Britannique, que l'Irlande a déjà commencé un commerce indépendant avec l'Amérique, que des parties septentrionales de ce royaume, on a déjà expédié des navires chargés de toiles, destinés directement pour l'Amérique, de la connoissance & avec la participation du congrès ; qu'il n'est pas douteux enfin que le docteur Francklin ne soit muni de pleins pouvoirs pour traiter avec les Irlandois.

Lorsque dans des circonstances pareilles, on considère combien le parlement d'Irlande a été convoqué tard, combien à la fin de la dernière session, il étoit imprudent de ne pas continuer les séances du Parlement Britannique, afin de saisir le moment où il étoit temps encore d'appaiser l'Irlande ; combien il a été plus imprudent encore de différer d'un mois la convocation de ce dernier parlement ; peut-on se dispenser d'accuser les ministres d'une négligence[p.61]coupable, d'un défaut d'attention impardonnable à l'égard d'un Royaume qui devoit cependant fixer leur attention, puisqu'ils n'ignoroient pas qu'il s'y trouve 40 ou 50 mille hommes armés ?

Lorsqu'au mois de mai dernier, je pressois les ministres de faire quelque chose pour l'Irlande, de lui donner quelques adoucissements, il s'en falloit de beaucoup, qu'elle nous présentât le spectacle alarmant qu'elle nous offre aujourd'hui, à peine y comptoit-on douze mille hommes sous les armes, & il est certain qu'alors ce petit nombre de volontaires n'avoit en vue que la défense de leur pays contre l'ennemi étranger : aujourd'hui quelle différence & dans leur nombre, & dans leurs vues, & dans leur langage ! ils veulent devoir à la force, ce qu'ils eussent accepté dans le temps comme faveur. Ils ne demandoient que la suppression de quelques restrictions dans leur commerce. Aujourd'hui la liberté illimitée du commerce, peut seule les satisfaire, & même ils ne seroient pas satisfaits, s'ils n'obtenoient que ce redressement, parce qu'ils se plaignent d'autres griefs, parce que les restrictions imposées sur leur commerce ne sont pas les seules causes de leur détresse. Dans le fait, la constitution de l'Irlande n'a pas les avantages dont la nôtre est redevable à la révolution, &[p.62]que vraisemblablement on négligea dans le temps d'assurer à l'Irlande, plutôt par oubli, qu'en conséquence d'un dessein prémédité. Tous ces faits étoient connus du ministère, qu'a-t-on fait pour calmer les esprits dans les premiers moments de l'effervescence ? pas une démarche, pas un pas ! peut-être cependant rien n'étoit si facile que d'appaiser un peuple universellement estimé pour la facilité, l'excellence de son caractère, l'égalité & la gaieté de son humeur.

L'Irlande a été plus d'une fois mécontente du gouvernement, lorsque dans les temps anciens, elle s'est trouvée dans cette situation, j'ai été curieux de savoir comment on s'y étoit pris pour l'appaiser, le parlement conseilloit au roi de consulter des hommes puissants par leurs richesses, & par leur influence, pour en avoir premièrement l'avis, en suite l'appui. Dans le tems d'Edouard III, il est expressément dit en langue Françoise, le roi consulta les grands qui avoient des terres en Irlande : il y a plus, le parlement conseilla ensuite au Roi, de se rendre en personne en Irlande, & de se faire accompagner par les hommes puissants, qui avoient des terres dans ce royaume, de s'informer lui-même des sujets de mécontentement que pouvoit avoir ce peuple, & de tirer parti de l'influence qu'avoient nécessairement sur lui les grands qui l'accompagneroient.[p.63]Qu'a-t-on fait de nos jours ? on n'a pas même cherché à adoucir les fabriquants des différentes villes commerçantes, cette classe d'hommes précieux, dont j'ai toujours cultivé la connoissance : les ministres n'ont pas daigné prêter l'oreille à leurs justes plaintes, n'ont pas cherché à dissiper leurs préventions. En vérité il n'entre pas dans mon intention de m'étendre sur la démence, sur l'insensibilité de leur chef, de ce premier membre de l'administration, qui au lieu de se présenter au parlement, avec des propositions propres à conjurer l'orage, dont les avant-coureurs nous menacent & le pressent, est aussi lent dans ses procédés, que si tout étoit tranquille : la conduite de ce ministre me rappelle l'anecdote d'un général, qui, dans un moment de danger pressant, où une partie de son armée, montant à quarante mille hommes, alloit être coupée, mit froidement son cheval au pas ; l'officier qui lui apportoit l'avis, impatienté de son phlegme, ne put s'empêcher de lui dire :mon général, le cas mérite au moins le trot. Quelques prenantes que puissent être les affaires, la maxime constante du ministre, est d'aller lentement, il n'est point de danger qui puisse le déterminer à mettre son cheval au trot. Que sont les autres ? se traînant lentement à sa suite, ils nous mènent du mal au pire vers la ruine[p.64]finale… non tali auxilio ; non defensoribus istis tempus eget : il faut de nouveaux hommes, de nouvelles mesures :&c.

Lord Shelburne, finit par réciter sa motion, dont la substance se trouve dans l'exorde de son discours, son vœu de censure, contre les ministres coupables, &c.

[p.65]

 

Discours de Lord Hilsborough qui, se croyant particulièrement attaqué par la motion du vœu de censure contre les Ministres, se défend & repousse vivement l'accusation de négligence relativement aux affaires de l'Irlande. Il invoque à ce sujet, le témoignage des pièces remises sur le bureau ;& de quelques autres, qu'il promet de produire incessamment.

 

Du 1 Décembre 1779.

Je déclare d'abord, Milords, que je n'étois pas préparé pour répondre à une motion d'une nature si nouvelle, cependant en exposant naturellement tout ce que je pense, tout ce que je sens, en rendant compte, de ce que j'ai personnellement fait, d'après les témoignages de ma conscience, je me crois en état de repousser en tout temps toute attaque, qui auroit ma conduite pour objet. Comme à une époque antérieure à ce moment ci, ;j'ai été secrétaire d'état, pour le département de l'Amérique, le noble comte voudroit insinuer, que j'ai été originairement cause en partie des calamités, suite de la guerre funeste, dans laquelle nous nous sommes trouvés engagés avec ce continent : ce que je puis dire à cet égard, c'est que dans ce[p.66]temps-la, j'ai agi d'après la conviction de la justice de notre cause, de même qu'on me verra encore agir aujourd'hui ; il se trouve malheureusement de la diversité dans les opinions des hommes, & de cette diversité, il résulte, ou beaucoup de bien, ou beaucoup de mal. Je connois beaucoup d'honnêtes & de dignes citoyens, qui pensent que la conduite du noble comte, & de ses amis, a contribué en très-grande partie à accumuler sur la Grande-Bretagne, ces mêmes calamités qu'il impute à d'autres causes : mais il s'agit aujourd'hui particulièrement de l'Irlande, & le vœu de censure que le noble comte propose contre les ministres seroit fondé, selon lui, sur leur négligence relative aux affaires de ce royaume. Les papiers déposés sur cette table prouveront que les ministres n'ont pas perdu un moment à cet égard, & qu'ils se sont strictement conformés à l'esprit & au vœu des adresses présentées à S. M. à la fin de la dernière session.

Cette imputation de négligence est donc mal fondée, & fût-elle fondée, il faudroit qu'elle fût prouvée pour autoriser la motion du noble comte. Passera-t-on un vœu de censure sur des suppositions ? est-il juste de censurer les ministres avant de les avoir entendus ? d'ailleurs l'usage de nos ministres, employé collectivement &[p.67]généralement, est injuste en lui-même ; car enfin il se peut que quelques-uns des ministres qui étoient en place, aient été parfaitement innocens, & il est de fait que ceux de ces mêmes ministres qui, comme moi, ont été récemment appellés à l'administration, n'ont aucune part à tout ce qui a été fait relativement à l'Irlande sous quelque point de vue que l'on considère cette motion, elle présente donc l'injustice sous toutes les formes possibles.

Le noble comte a dit que l'on auroit dû faire agir en Irlande l'influence de quelques hommes puissans, chercher par leur entremise, à connoître la nature des griefs de ce royaume, & les moyens de le satisfaire : c'est précisément ce que l'on a fait.

Au mois de mai dernier, immédiatement après que S. M. eût délivré son gracieux message, le noble lord, mon prédécesseur, écrivit au lord lieutenant, & en reçut une réponse satisfaisante, pièce très-instructive qui se trouve sur le bureau : le reste des papiers y sera bientôt déposé : on travaille à les mettre en ordre : on n'a donc pas perdu, on ne perd donc pas le temps, & je me flatte qu'avant de prendre aucune résolution, les nobles lords voudront bien prendre connoissance de ces papiers, il ne s'agit plus que d'un délai indispensable de quelques jours.

[p.68]

 

Réplique violente de Lord Abingdon, dans laquelle il promet lui-même des preuves irrécusables contre Lord Hillsborough ; soit à l'égard de la guerre d'Amérique, soit à l'égard de celle d'Irlande. Il propose aux membres des Communes l'exemple de Lord Littleton qui venoit de mourir récemment, à la veille de former contre les Ministres une accusation sans réplique.

 

Du 1 Décembre 1779.

Le jour viendra où j'entreprendrai de prouver que la conduite du noble lord (Hillsborough), a été très-répréhensible, soit à l'égard de l'Amérique, soit à l'égard de l'Irlande, je le lui prouverai à lui-même ; aujourd'hui je ne me lève que pour seconder une motion fondée sur une inculpation juste, une motion qui, s'il restoit un peu de vertu dans l'une ou l'autre chambre, suffiroit pour appeller les communes à votre barre, & déterminer le parlement à décréter (impeach ; accusation publique, équivalente au décret de prise de corps), ceux qu'elle se borne à censurer : mais, milords, les arguments soutenus de preuves, sont aujourd'hui sans force, & sans effet : il n'y a plus de ressource que celle[p.69]d'en appeller au peuple ; cette motion est un appel de cette espèce ; si le peuple ne force pas son parlement à sauver ses libertés expirantes il mérite d'être esclave ! en un mot, il n'y a que le peuple, qui puisse rétablir la constitution chancelante de cet empire : tant que les grands, & les hommes puissants par leurs richesses auront la bassesse de sacrifier leur honneur, leur intégrité, leur conscience, & leur pays, à la cupidité ignoble qui leur fait briguer les places & les pensions, le peuple ne trouvera de salut qu'en lui-même : de ces hommes vendus à la corruption dont je viens de parler, je dois excepter un noble pair, qui n'est plus (lord Littlton). Me trouvant dans le voisinage du noble défunt, j'eus l'un de ces derniers jours la curiosité d'entrer dans sa maison, & conversant avec le domestique de confiance, entre les bras duquel il est mort, j'y appris que, depuis quelque tems, il étoit tourmenté ; que souvent il se disoit hautement à lui-même :» quoi ! voyant ce que je vois, sachant ce que je sais, ma langue sera-t-elle liée par la vile considération d'un revenu de 1500 liv. sterlings ; verrai-je la misère, la détresse auxquelles des ministres pervers, ont condamné l'Angleterre, & garderai-je le silence ? non, je serai ce que je dois être, & mercredi prochain les ministres sauront[p.70]ce qu'est lord Littleton. » Milords, ce mercredi est venu, le noble lord a disparu : que son exemple soit pour vous une leçon utile !

 

Discours du Comte de Gower, récemment retiré du Ministère. Il approuve les reproches de négligence faites aux Ministres, mais il pense qu'il n'est pas encore tems de procéder au vœu de censure proposé.

 

Du 1 Décembre 1779.

Quoique je me propose de voter contre la motion, parce que je la crois prématurée, je dirai franchement & librement ce que je pense : il n'est aucun des nobles lords, qui désire plus ardemment que moi de servir son pays ; dans le cours des débats, il a beaucoup été parlé de la négligence des ministres en général, & quelques-uns des nobles lords ont fait de justes allusions à celle d'un membre particulier de l'administration (lord North) ; le mot négligence est vague en lui-même : il y a plus d'une espèce de négligence ; elle n'est pas la même dans tous les tems ; dans quelques-uns c'est l'habitude de la négligence ; cette habitude est si enracinée qu'ils sont négligens sans avoir l'intention de l'être,[p.71]sans se douter même qu'ils le sont. Certainement il y a eu de la négligence quelque part ; on saura quelque jour où & comment, mais je ne crois pas que les choses soient encore assez mûres pour que l'on doive procéder dans ce moment-ci au vœu de censure proposé. Comme à la fin de la dernière session j'ai personnellement engagé ma parole à la chambre, comme j'ai promis que l'on feroit quelque chose d'efficace pour le soulagement de l'Irlande, & que tout seroit prêt pour la rentrée du parlement, je me crois dans l'obligation de déclarer pourquoi rien n'a été fait : autant qu'il a été en mon pouvoir, j'ai cherché à remplir ma promesse, mais il ne m'a pas été possible ; il n'est pas au pouvoir d'un seul membre de l'administration de faire ce qu'il croit convenable : j'ai été président du conseil pendant quelques années ; mais en voyant ce qui se passoit depuis quelque tems, je n'ai pu en honneur & en conscience rester plus longtems en place, je me suis retiré.

Au reste, il est certain que dans ce moment-ci le royaume est attaqué par la confédération la plus puissante qui ait jamais pris les armes contre lui ; la guerre dans laquelle nous sommes engagés est la plus allarmante qui ait jamais menacé la Grande-Bretagne ; mais nous avons des ressources d'une étendue qui ne se conçoit[p.72]pas, si on sait en faire un usage convenable je ne doute pas que nous ne soyons en état de faire face à tous nos ennemis, &c.

 

Discours du Duc de Richmond, sur ce que Lord Hillsbourough avoit objecté que les inculpations sur lesquelles portoit la nouvelle motion n'étoient pas prouvées ; il lui répond qu'il s'agit, non pas de ce que les Ministres ont fait, mais de ce qu'ils n'ont pas fait : que cette accusation n'est pas de nature à être prouvée mais que c'est au contraire à eux à la repousser par des preuves. Il prend de-là occasion, de remonter à la source des malheurs de la Grande-Bretagne. Il prouve que Lord Butte est l'auteur du système de gouverner par influence, & que ce plan a été strictement suivi depuis par tous les Ministres.

 

Du 1 Décembre 1779.

Le noble comte (Hillsborough) objecte à la motion qui nous occupe, que les inculpations sur lesquelles elle porte ne sont pas prouvées : cette manière de raisonner est étrange ; s'il sagissoit d'un crime positif, de quelque chose de criminel que les ministres ont fait, certainement il faudroit[p.73]en fournir la preuve, mais il s'agit de ce qu'ils n'ont pas fait, il s'agit de leur négligence ; dans ce cas c'està eux de prouver qu'ils ont fait ce qu'on leur reproche de n'avoir pas fait ; quant à nous ; s'il nous manquoit des preuves de leur négligence continuelle, ne vient-on pas de nous en donner ? Le noble comte qui a parlé le dernier, ne vient-il pas de nous dire positivement qu'il y a eu de la négligence dans cette même administration, dont il a cessé d'être membre, lorsque son honneur, sa conscience ne lui ont plus permis de voir ce qui se passoit ? Quelle autre preuve peut-on nous demander de la négligence des ministres ?

En général les calamités de cette nation ne peuvent ne doivent être attribuées qu'au système vicieux adopté par le gouvernement à une certaine époque. Du moment où l'influence du lord Butte a dirigé l'administration, la gloire de cet empire s'est évanouie, sa prospérité a rapidement décliné : oui, je dirai ce que je pense, les malheurs de la Grande-Bretagne prennent leur date du jour où lord Butte fut appellé à l'administration : au moment où ce ministre fut revêtu du pouvoir, il fonda le système de gouverner par influence : cette assertion est fondée sur des notoriétés publiques ; personne n'ignore que l'influence du noble comte est si universellement[p.74]dominante, que non-seulement on fait entendre aux principaux secrétaires d'état, qu'il est leur supérieur, leur chef, mais il n'y a pas un petit commis dans les départemens divers à qui l'on ne dise directement, que s'il ne se regarde pas comme dépendant immédiatement du noble comte, on lui ôtera son emploi : cette menace préliminaire a été fréquemment suivie de l'exécution dans les bureaux des secrétaires d'état, dans ceux de l'amirauté, des postes, &c.

Ce plan, tracé par le comte de Butte, a été strictement suivi depuis qu'il n'est plus en place ;& le ministre d'aujourd'hui gouverne comme lui par influence, &c.

[p.75]

 

Discours pressant du Général Conway, dans lequel il insiste sur la nécessité de ne pas perdre un instant pour satisfaire l'Irlande inquiète & opprimée. Il demande connoissance du plan formé à l'égard de l'Irlande par le Lord qui préside au Bureau du Trésor.

 

Du 1 Décembre 1779.

Je ne vois pas ce que peur nous apprendre de neuf cet amas de papiers (qui avoient été demandés, exposés sur le bureau) : aucun de nous n'ignore que l'Irlande est dans un tems de détresse pressante ; il ne faut pas consulter des papiers pour savoir que cette détresse est principalement occasionnée par les restrictions que l'Angleterre a imposées de temps à autres sur son commerce : nous ne sommes donc pas assemblés pour chercher des preuves de l'existence réelle de cette détresse ; ce dont il s'agit, c'est d'aviser aux moyens de la faire cesser & de ne pas perdre un moment, parce que nos moments sont comptés par l'lrlandois inquiet, dont l'œil est fixé sur nous, dont l'esprit est attentif aux premières démarches que fera le parlement à son sujet : le moindre délai ajouteroit[p.76]à son inquiétude, à son ombrage, & feroit naître en lui des soupçons qui, pour être mal fondés, n'en tireroient pas moins à conséquence : rappellons-nous combien les délais nous ont été funestes dans le cours de notre contestation avec l'Amérique : les Irlandois marchent aujourd'hui sur les traces de nos colons Américains : je vois les dangers, les calamités de toute espèce former une cataracte prête à fondre sur nos têtes. Si quelque chose peut nous sauver encore, c'est la vigueur, c'est sur-tout l'activité ; il est difficile d'entrevoir du premier coup-d'œil ce qui pourroit satisfaire les Irlandois ; peut-être ne sera-t-il pas possible d'y réussir ; mais dans les situations les plus difficiles, il est un sentier que la sagesse indique comme étant préférable à tout autre ; cherchons ce sentier & suivons-le sans regarder derrière nous : pour nous aider dans le choix que nous avons à faire, il seroit à souhaiter que le noble lord qui préside au bureau du trésor, nous donnât directement ou indirectement une idée du plan qu'il s'est formé à l'égard de l'Irlande, afin que nos idées ne s'égarent pas, & que se fixant sur un objet indiqué, nous soyons à même, ou d'approuver en totalité le plan du noble lord, ou de lui suggérer des amendements, dont quelques parties paroîtroient être susceptibles.

[p.77]

 

Réplique de Lord North, au Discours précédent. II prétend que des détails sur l'affaire de l'Irlande, seroient dangereux & coupables de la part de l'Administration ;& quelle doit être traitée sans précipitation. Il finit par demander un délai de huit jours.

 

Du 1 Décembre 1779.

Je sens autant que personne au monde tout ce qu'il y a de pressant dans la situation de l'Irlande : je sais que des détails inutiles seroient également dangereux & coupables de la part de l'administration : aussi ne se propose-t-elle d'apporter dans la discussion de cette affaire que ceux qui sont indispensables.

Plus l'affaire est importante & délicate, moins elle doit être traitée avec précipitation : d'ailleurs après les assurances que l'Irlande a reçues, tant de la part de S. M. que du parlement Britannique, il est impossible que ce Royaume doute de la sincérité des dispositions qui lui ont été communiquées : d'un autre côté, la précipitation de notre part entraîneroit beaucoup d'inconvénients très-graves ; premièrement elle indiqueroit que nous ne sommes pas pénétrés[p.78]comme nous le devons, de l'importance de l'objet ; en second lieu, on ne pourroit s'y livrer qu'en passant par-dessus les formes & les usages parlementaires, c'est ce qu'il faut toujours éviter ; troisièmement elle ne permettroit pas que les faits sur lesquels doivent être fondés les actes qu'il y aura lieu de passer, fussent constatés comme ils doivent l'être ; en dernier lieu enfin, s'il faut donner toute l'attention imaginable aux plaintes de l'Irlande, il est également juste, il est même de la dignité de la chambre de prêter l'oreille à celles de l'Angleterre (qui a les siennes aussi) ; ayant égard à toutes ces considérations, je pense qu'un délai de huitaine ne peut avoir aucune conséquence fâcheuse : je me propose de laisser sur la table les papiers relatifs à l'Irlande jusqu'à demain en huit, (jeudi 9 courant) jour auquel je proposerai un plan à l'effet de régler le commerce de ce royaume.

[p.79]

 

Discours de M. Temple Luttrell, dans lequel il combat la Motion de M. Buller, tendante à ce qu'il fut voté quinze mille matelots pour le service de l'année 1780, de plus qu'il n'en avoit été voté pour l'année précédente. Il se récrie sur le mauvais état de la Marine.

 

Du 1 Décembre 1779.

Je ne pense pas qu'il soit convenable de voter de nouveaux subsides, avant que la chambre ait eu connoissance de l'emploi qui a été fait des sommes accordées pour le service de l'année courante : quoique ces sommes excédassent ce qui a jamais été voté aux époques les plus glorieuses de notre histoire navale, les ministres ont contracté une dette qui monte au moins à un tiers des subsides votés : au lieu de passer 4 liv. sterl. par mois à chaque matelot, ainsi que la chambre l'avoit réglé, ils en ont passé 6 & jusqu'à 7 ; au lieu de trois millions & demi accordés par le parlement, ils en ont dépensé cinq : d'autres articles ont entraîné une dépense de deux autres millions sterl. ; ensorte que la dette de la marine montera à peu-près à la somme énorme de 7 millions sterling ! on veut persuader[p.80]à la chambre qu'il existe actuellement 88 vaisseaux de ligne : je demande s'ils ont tous servi, s'ils sont tous en état de service. Je prouverai qu'en aucun tems on n'a eu cette année un pareil nombre de vaisseaux de ligne en état de service ; que même à présent, on n'en a pas au-delà de 78 ou 80 ;& que vu les pertes que nous avons faites, les vaisseaux qui sont sortis cette année des chantiers, n'ont pas suffi pour remplacer ceux que nous avons perdus depuis l'année dernière.

Lorsqu'au mois d'août dernier sir Charles Hardy s'est vu dans la nécessité de se retirer dans la sonde de Plymouth, on a tenté de faire croire au public qu'il en sortiroit avec de grands renforcemens ; point du tout, forcé de rester dans cet asyle pendant 9 ou 1o semaines, il a remis en mer avec le même nombre de vaisseaux qu'il y avoit mis à l'ancre ! Eh ! quel est notre espoir pour la campagne prochaine ? j'ai visité nos arsenaux, dans le cours de cet été, & j'y ai appris que tout ce que l'on pourra ajouter à notre marine d'ici à la fin de 1780, n'excédera pas 5 vaisseaux de ligne, 6 ou 7 frégates & quelques navires de force inférieure ! que l'amirauté réponde à cette assertion ; qu'elle dise sur quelle force elle compte pour le mois de mai prochain ! Je vais lui proposer d'ailleurs[p.81]un dilemme embarrassant. Si ce bureau a effectivement 88 vaisseaux de ligne en état de servir, il ne demande pas le nombre de matelots nécessaires, il s'en manque 10 mille ; qu'il prouve donc qu'il a 88 vaisseaux de ligne, & qu'il demande 95 mille matelots, la chambre les accordera avec plaisir ; mais ce n'est pas d'hommes, c'est d'argent qu'on a besoin, &c. &c. &c.

 

Continuation du même sujet par sir Bunbury, Il insiste sur la nécessité d'avoir une marine supérieure à celle de l'ennemi.

 

Du 1 Décembre 1779.

Comment en pareil cas seroit-il d'autre règle que celle du besoin ?& dans la position où la nation se trouve, après les disgrâces accumulées que nous avons essuyées cette année, serons-nous satisfaits de nous entendre dire froidement (par lord Mulgrave) que nous aurons l'année prochaine des forces navales aussi considérables que celles que nous avions cette année ! Si nous n'avons pas une marine décidément supérieure à celle de l'ennemi, l'Angleterre est perdue ; le bel espoir que celui de nous trouver[p.82]dans un an au point dont nous partons : par-tout, nous avons été inférieurs ; faute de vaisseaux, nous avons échoué par-tout : encore, si l'on y eût suppléé par une meilleure conduite ; mais tout a concouru à dégrader le nom Anglois : toutes les mesures prises ont été fausses ou funestes : l'amirauté est sur-tout impardonnable de n'avoir pas mis à tems une flotte en mer pour bloquer le port de Brest : étant d'ailleurs dans une disette aussi grande de vaisseaux, pourquoi du moins n'a-t-on pas mieux employé ceux que l'on avoit ? à quoi bon, par exemple, en avoir envoyé six aux Indes Orientales aux ordres de sir Edward Hughes ? que sont devenus tous les exploits qui devoient être faits en Afrique par cette escadre, & dont il a tant été parlé avant qu'elle mît à la voile ? à tout prendre, il me semble qu'il eût été beaucoup plus utile d'envoyer ces six vaisseaux à l'amiral Biron.

[p.83]

 

Exposition succincte du plan de Lord North, faite à la Chambre par ce Ministre. Il paroît disposé à établir la liberté du commerce de l'Irlande, mais avec des restrictions qu'il suppose indispensables. Il demande qu'il soit formé le lundi suivant, un Comité général pour prendre en considération les papiers relatifs aux revenus & au commerce de l'Irlande.

 

Du 9 Décembre 1779.

Je me bornerai aujourd'hui à indiquer brièvement les propositions que j'ai dessein de faire : je les soumettrai ensuite à la considération d'un comité qui sera formé à cet effet, & commencera ses délibérations lundi prochain.

Dans le cours des débats, un honorable membre (M. Burke) m'a demandé si j'étois certain que mes propositions satisferoient l'Irlande : les intérêts qu'il s'agit de régler sont d'une étendue si vaste, d'une importance si sérieuse, que je ne prendrai pas sur moi de répondre positivement du succès ; mais d'après toutes les informations qu'il a été possible de se procurer, & certainement j'ai donné beaucoup d'étendue à mes recherches ; d'après ce[p.84]que l'on m'a assuré être la façon de penser des premiers personnages de l'Irlande ; enfin d'après les conversations que j'ai eues personnellement avec les personnes qui doivent naturellement être mieux instruites, je suis intimement convaincu que mes propositions seront goûtées : je m'explique cependant, & je déclare qu'en parlant ainsi, je ne donne que mon opinion personnelle, & je ne réponds de rien.

Selon tout ce qu'il m'a été possible d'apprendre relativement au sens que le parlement d'Irlande attache aux mots commerce libre, je ne vois pas, & personne n'a encore avancé, soit ici, soit en Irlande, qu'il demande un commerce illimité avec la Grande-Bretagne, &exempt de toutes charges, droits ou impôts : la véritable cause des plaintes de ce royaume se trouve dans les restrictions imposées sur son commerce : ces restrictions ont commencé sous le règne de Charles II ;& depuis, d'après divers principes particuliers à l'esprit du commerce, elles se sont multipliées ; je me propose de supprimer celles de ces restrictions qui sont les plus onéreuses, & donnent lieu à plus de plaintes ; je me propose plus encore ; il entre dans mon intention d'ouvrir de nouveaux canaux au commerce de l'Irlande, & de lui indiquer de nouvelles sources de richesses.[p.85]Au reste, on s'est mépris aux dispositions du parlement d'Irlande ; son langage n'est pas une demande, mais une pétition. Dans l'adresse qu'il a présentée au roi, il a représenté en termes soumis & respectueux, l'état de détresse & d'appauvrissement auquel ce royaume se trouvoit réduit ; indiquant en même tems que la liberté du commerce lui paroissoit le moyen le plus propre au rétablissement de ses affaires ; il n'a pas dit un mot qui annonce qu'il se plaint de quelques défauts qui se trouveroient dans sa constitution politique, ainsi qu'on a voulu le faire entendre dans cette chambre ; il ne fait mention d'aucun grief, à l'exception de ceux qui sont compris ou sous-entendus dans la privation de ce commerce libre qu'il demande : il ne s'agit donc, pour satisfaire l'Irlande, que de se rapprocher le plus qu'il sera possible de l'idée qu'elle attache au commerce libre, objet de sa pétition : en conséquence, lundi prochain, je soumettrai les résolutions suivantes à la considération du comité.

« 1°. Qu'il est expédient de révoquer la partie d'un certain acte du parlement, qui prohibe en Irlande l'exportation des laines & des étoffes de laines fabriquées en Irlande ». « 2°. Qu'il est expédient de révoquer la partie d'un acte, passé dans la dix-neuvième année[p.86]du règne de George II, qui prohibe en Irlande l'exportation du verre, des bouteilles de verre, & de tout ce qui se fabrique en verre en aucune partie de l'Europe, dans les Colonies Angloises de l'Amérique & des Indes Occidentales, & dans aucun établissement Anglois sur la côte d'Afrique ».

« 3°. Qu'il soit permis à l'Irlande de faire le commerce d'exportation avec les Colonies Angloises, de l'Amérique & des Indes Occidentales, ainsi qu'avec les établissemens Anglois sur la côte d'Afrique, ledit commerce duement assujetti aux limitations, réglemens, restrictions & droits qui seront prescrits ou imposés par le parlement d'Irlande ».

Il est évident que l'effet de cette troisième résolution sera d'ouvrir à l'Irlande une nouvelle source de richesses ; c'est une concession qui lui est gratuitement faite, à laquelle elle n'a aucun droit, parce que les établissemens & Colonies Britanniques nous appartiennent en propre) c'est aux dépens du sang, & du trésor de ce pays qu'ils ont été acquis ou formés : c'est en regardant l'Irlande comme faisant partie de l'empire, que je me suis déterminé à la faire participer aux avantages de ce commerce ; mais ce point est très-délicat : avant de l'accorder, il faudra considérer, avec beaucoup d'attention,[p.87]une infinité de circonstances relatives qui se présenteront d'elles-mêmes lors de la discussion. Je prévois que quelques restrictions seront indispensables, parce que sans elles l'Irlande seroit mieux traitée que l'Angleterre, ce qui ne seroit ni sage ni juste ; ce que l'Irlande elle-même ne peut pas désirer.

Ces trois propositions comprennent en général tout ce qu'elle paroît désirer : peut-être lors de la discussion se présentera-t-il d'autres considérations qui demanderoient d'autres concessions moins importantes : c'est ce qu'il sera facile de régler. Je demande donc que lundi prochain la chambre se forme en comité général pour prendre en considération les papiers déposés sur la table, relatifs aux revenus & au commerce de l'Irlande.

[p.88]

 

Discours du Duc de Leinster, dans lequel il témoigne son mécontentement de ce que l'Administration occupée de faire, passer en Angleterre les papiers relatifs à l'Irlande pour être communiqués au Parlement de la Grande-Bretagne, en cachait soigneusement la nature & la teneur au Parlement d'Irlande.

 

Du 9 Décembre 1779.

Motion :

« Qu'il soit présenté une adresse à son excellence le lord lieutenant ; afin qu'il donne les ordres nécessaires pour que tous les papiers qui sont actuellement sous les yeux des communes de la Grande-Bretagne, soient communiqués à la chambre. »

Qu'il plaise à son excellence d'écrire en Angleterre au secrétaire d'état, pour que des copies des papiers, ayant rapport au commerce de l'Irlande ; soient mises sous les yeux du parlement Britannique ». Si j'étois dans la confidence de la partie de l'administration qui réside ici, certainement je ne ferois pas une motion pareille : mais on ne m'a rien communiqué : je crois que les biens que je possède[p.89]dans ce royaume & le rang que j'y tiens, me donnent le droit de demander en communication, des papiers d'une nature publique, relatifs aux intérêts les plus chers de l'Irlande : je ne parlerai pas d'une autre espèce de droit qui pourroit prendre son principe dans le hazard qui fait que je tiens par les liens du sang au ministre récemment chargé des affaires de ce royaume (le comte Hillsbourough), cette circonstance ne me donne pas plus de confiance dans son administration ; le système actuel du gouvernement dont il est devenu membre, étant de ne consulter aucune des personnes dont le crédit, l'influence ou les talens pourroient être de la plus grande utilité : c'est ce système décourageant qui a déterminé ces jours-ci un de mes plus chers amis à résigner sa dignité (de prince Serjeant) ; je le répète, un de mes parens très-proche vient d'accepter la place du secrétaire d'état pour le département du Nord qui comprend les affaires de ce royaume, mais je n'ai point de confiance en lui, parce que je l'ai toujours connu pour une créature vendue à l'administration, & parce qu'il a été une des causes principales de la perte de l'Amérique.

[p.90]

 

Nouveau développement par Lord North, de son plan relatif à l'Irlande. Ce plan consiste à révoquer les actes qui prohibaient en Irlande l'exportation des laines & du verre ; qui s'y fabriquoient & à lui accorder le commerce d'exportation & d'importation avec les Colonies Angloises de l'Amérique & des Indes Occidentales.

 

Du 13 Décembre 1779.

Monsieur,

Jeudi dernier j'ai exposé sommairement au comité les proportions relatives au soulagement de l'Irlande : il me reste à les motiver, à entrer dans les détails, dans les éclaircissemens.

L'Irlande s'est plainte de l'état d'appauvrissement auquel elle est réduite : elle a représenté que le moyen unique de rendre sa situation meilleure étoit de lui accorder un commerce libre ; elle a demandé cette liberté de commerce ; ou par ces mots commerce libre, j'entends commerce plus étendu. Dans cet état des choses, le premier pas à faire est de considérer pourquoi, comment, à quelles époques le commerce de ce royaume a été assujetti aux restrictions dont il[p.91]se plaint aujourd'hui, & de peser ensuite jusqu'à quel point il est ou n'est pas de la saine politique de laisser subsister ces restrictions. Avant d'entrer dans cet examen, je crois qu'il faut d'abord poser pour base d'un nouveau système le désir sincère d'unir le plus étroitement possible l'Irlande à la Grande-Bretagne : la résolution noble d'écarter toutes les petites considérations de l'intérêt particulier, & de les sacrifier, à l'intérêt public des deux pays : avant de rédiger les propositions que j'ai communiquées à la chambre, je me suis senti intérieurement convaincu d'une grande vérité dont je désire convaincre également le comité : c'est que tout ce qui tend au plus grand bien d'un des deux pays, tend au plus grand bien de l'autre, & que les richesses de l'Irlande sont les richesses de l'Angleterre : mon premier objet est donc d'affranchir le commerce de ce premier royaume, de celles des restrictions qui sont les plus onéreuses, de manière que la Grande-Bretagne n'en souffre pas.

Avant la restauration (de Charles II) l'Irlande ne connoissoit pas plus de restrictions dans son commerce que l'Angleterre : sous le règne de Charles II, l'esprit de jalousie qui règne entre deux nations commerçantes, celui du monopole, qui dans un tems ou dans un autre a[p.92]infesté toutes les nations chez lesquelles le commerce a fleuri, ont commencé de percer : il fut passé un acte qui prohiboit l'exportation des laines d'Angleterre en Irlande ; ce premier acte fut suivi d'un autre plus absurde, qui prohiboit l'importation des bestiaux non-engraissés, d'Irlande en Angleterre ; un troisième survint sous le même règne, c'est celui qui prohibe en Irlande l'exportation de toutes les étoffes de laine à l'exception des serges : on poussa les choses plus loin sous Guillaume III. On prohiba jusqu'à l'exportation des serges ; mais ces prohibitions étoient fondées sur une espèce de convention tacite, en vertu de laquelle il étoit entendu que l'Angleterre auroit les manufactures de laine, l'Irlande celles des toiles : elles s'étendirent sous les règnes de George I & George II, au point d'y comprendre tout ce qui, dans sa composition ou son tissu, avoit une partie de laine : je dis donc que mon premier objet est de révoquer par un acte général tous ceux dans lesquels les prohibitions ci-dessus sont énoncées ; de mettre l'Irlande en état d'exercer son industrie & de profiter des avantages que lui offrent la richesse de son sol, l'heureuse température de son climat & sa position heureuse. On observera peut-être qu'en mettant l'Irlande au pair avec l'Angleterre, à l'égard des manu[p.93]factures de laine, il seroit juste que l'Angleterre fût mise sur le même pied que l'Irlande à l'égard des manufactures des toiles : cette proportion paroit juste au premier coup-d'œil, mais examinée de près elle est sujette à des inconvéniens incompatibles avec l'objet qu'il s'agit de remplir : il s'agit du soulagement de l'Irlande, il est décent que la Grande-Bretagne s'y prête de la meilleure grâce possible ; cependant en faisant en sorte, que si elle perd quelque chose, sa perte soit légère. Je propose donc la résolution suivante :

« Qu'il est expédient de révoquer dans les loix de la Grande-Bretagne tous actes ou clauses qui prohibent l'exportation des laines d'Irlande, des étoffes fabriquées avec lesdites laines, soit en totalité, soit avec mélange ». Passons aux verreries ou ouvrages fabriqués en verre. Un acte passé dans la dix-neuvième année du règne de George II en prohibe l'exportation ; cette restriction n'est pas une de celles qui excitent le plus de plaintes, & l'Irlande ne recueillera pas de la révocation de l'acte dont il s'agit, de si grands avantages que de celle qui a rapport aux laines. Cependant la grande quantité de verre que l'Irlande tire d'Angleterre prouve que cet article lui manque : comme elle peut se procurer toutes les choses nécessaires[p.94]à cette espèce de fabrique, à beaucoup meilleur compte que nous, certainement, il est avantageux pour elle qu'elle puisse établir assez de verreries pour fournir, non-seulement à ses propres besoins, mais même pour faire du verre une branche de son commerce d'exportation. Ainsi, avec l'approbation du comité, je me propose d'ajouter des clauses relatives à cet objet, au bill général que je lui présenterai.

À l'égard de la troisième proposition, dont l'objet est d'accorder à l'Irlande un commerce d'importation & d'exportation avec les établissemens Anglois de l'Amérique & des Indes Occidentales, elle diffère beaucoup des deux premières. L'Irlande n'a aucun droit à ce commerce : elle ne peut pas dire, à cet égard, qu'on la prive des avantages que réclament pour elle la nature & le droit des gens ; tous ces établissemens sont notre propre ouvrage, & conformément aux usages adoptés par toutes les nations nous pouvons restreindre le commerce d'importation & d'exportation avec ces établissemens à l'égard de qui bon nous semble. Il est vrai qu'avant la restauration, l'Irlande s'étoit ouvert quelques branches de commerce d'exportation avec l'Amérique, mais sous les règnes de Charles II, de Guillaume III& de George II, elles ont été supprimées par divers actes : ceci[p.95]n'est donc point une affaire de droit, mais de pure généralité. Si cette concession est approuvée du comité, elle sera faite d'après le principe qui paroît être généralement reçu aujourd'hui, & qui établit qu'il est de l'intérêt de la Grande-Bretagne de contribuer, autant qu'il est en son pouvoir, à la prospérité de l'Irlande & à l'augmentation de ses richesses, ce qui ne peut être effectué plus sûrement qu'en ouvrant de nouveaux canaux à son commerce. D'ailleurs cet acte de générosité de notre part, convaincra l'Irlande de la sincérité avec laquelle nous désirons de la voir heureuse. Cependant, comme cet objet demande toute la maturité de la délibération, je me propose de lui assigner un bill particulier, parce qu'il seroit difficile de le passer d'une manière convenable sans se concerter avec le parlement d'Irlande : je renverrai donc son examen à la rentrée du parlement, après les vacances de Noël.

[p.96]

 

Discours de Lord George Gordon, dans lequel il s'élève contre l'insuffisance des prétendus avantages accordés au commerce de l'Irlande par le plan de Lord North.

 

Du 15 Décembre 1779.

M. l'Orateur,

Avant que vous procédiez à la lecture d'un bill d'une si haute importance, je ne puis vous dissimuler la surprise que me cause le silence de la chambre, relativement à l'objet, & aux effets qui vont résulter de la mesure que le noble lord propose, comme devant satisfaire le peuple d'Irlande : je m'étois attendu à entendre discuter cette grande affaire, par des membres dont les talens sont infiniment supérieurs aux miens ; j'espérois que l'on entreroit dans tous les détails & les éclaircissemens nécessaires ; que l'on exposeroit à la chambre quels sont les griefs, les besoins, les désirs de ce peuple ; j'attendois que ceux des membres qui ont en Irlande des fortunes, des connexions, des alliances considérables, me fourniroient les instructions dont j'ai besoin pour guider mon jugement : tout le monde se tait ! Pas une syllabe d'éclaircissemens ![p.97]Je dois conclure de ce silence, que la mesure proposée, adoptée par la crainte, est conduite par le doute ; car enfin, je ne vois ici que le ministre qui nous promette du succès : les deux orateurs célèbres que nous devons à l'Irlande, (MM. Burk & Barré), ces deux torrens d'éloquence, qui, il n'y a qu'un moment, lorsqu'il s'agissoit des affaires de la Jamaïque, étoient en feu, ne disent pas un mot en faveur de leur malheureuse patrie ? Je ne sais comment interpréter ce phénomène étrange, il ne me paraît pas de bonne augure, puisque ceux qui défendroient mieux que moi la cause de l'Irlande, l'abandonnent de concert. Je hasarderai de demander au ministre quelle espèce de soulagement il se propose de donner à ce royaume ; car, sur mon honneur, je n'y entends rien. Afin donc de tirer quelqu'information du noble lord, je prendrai séparément en considération chacune de ses propositions : il nous dit en premier lieu, qu'il faut permettre à l'Irlande d'exporter ses laines chez l'étranger. Je voudrois que le noble lord m'expliquât ce qu'il entend par l'étranger ? Entend-il la France, l'Espagne ? S'il répond oui ; je lui demande comment se fera ce commerce ? Sera-ce sous le pavillon de sir Charles Hardy, que les Irlandois feront passer leurs laines dans ces Royaumes ? Sir Charles ne[p.98]sera guère tenté d'escorter ces cargaisons dans des pays de deux puissances auxquelles il n'a pas osé montrer son visage ; par conséquent, cette première proposition, qui, en apparence comprend tout, examinée de près, ne comprend presque rien.

Le noble lord, en parlant des pays étrangers, comprend-il aussi l'Amérique dans ces pays ? Dans ce cas, il est à croire que S. s'est fait de nécessité vertu, & qu'elle a voulu rendre légal, un commerce que l'Irlande s'étoit déjà ouvert, sans attendre que la loi l'autorisât. Je vais considérer actuellement la seconde proposition de S. S. ; elle permet à l'Irlande l'exportation du verre ; mais en faisant cette concession, le noble lord dit à l'Angleterre & à l'Écosse :ne craignez pas que l'Irlande devienne votre émule dans cette branche de manufacture & de commerce ; elle n'a point de sel alkali ! Il est vrai que le noble lord accorde du sable à l'Irlande ; elle lui demande du pain, il lui donne du sable ! Je demande au noble lord quel avantage reviendra à l'Irlande de cette concession surabondante, si elle n'a pas de sel alkali ? Je passe à la troisième proposition elle a pour objet un commerce d'importation & d'exportation respectives entre l'Irlande & les Colonies Angloises. Ici, l'Orateur observa à lord George Gordon,[p.99]que comme cette troisième proposition ne faisoit pas partie du bill dont il étoit question, il étoit contre l'ordre d'en faire mention.

 

Discours de Lord North, en faveur de Lord Germayne, Secrétaire d'État dans le département de l'Amérique ; accusé de négligence, par rapport à la Jamaïque qui n'avoit cessé de se plaindre d'avoir été abandonnée sans défense à l'ennemi. Il repousse les qualifications injurieuses dont on gratifioit ce Ministre, & il soutient avec lui qu'il seroit imprudent & dangereux d'agiter publiquement aucune matière propre à donner aux ennemis des instructions dont ils tireroient avantage.

 

Du 15 Décembre 1779.

Je soutiens que mon honorable ami est en droit de donner son avis comme tout autre membre du parlement, sans mériter les épithètes & qualifications peu ménagées, qu'on se permet ici trop librement ;& dussai-je m'exposer moi même à ces incartades, devenues aujourd'hui si familières, je déclarerai hautement que le gouvernement a fait ce qu'il a dû faire comme gouvernement : il est certain qu'à l'apparence du danger[p.100]qui les menaçoit particulièrement, les habitans de la Jamaïque, semblables en cela à tous les hommes qui habitent le monde connu, ne se sont occupés que de cet objet, qui leur étoit particulier ; que dans leurs pétitions ou adresses, ils ont peint ce danger des couleurs les plus vives, & ont représenté diverses fois, qu'ils ne se croyoient pas dans un état de défense suffisante : mais tandis qu'ils faisoient ces représentations, chaque portion de l'empire, chaque contrée, & chaque subdivision de chaque contrée, étoient en proie aux mêmes allarmes, sollicitoient la même protection avec la même instance ; chaque district enfin ne s'occupoit que de soi-même : rien de si naturel ; mais l'attention du gouvernement ne peut pas, ne doit pas se subdiviser ainsi à l'infini ; son objet est la protection universelle ; son devoir est de distribuer ses forces le plus avantageusement qu'il est possible, pour protéger les parties en protégeant le tout : ce n'est pas à la défense de tel ou tel district, c'est à la défense générale & commune, qu'il doit pourvoir.

Lorsque le comte d'Estaing étoit en force aux Indes occidentales, on a expédié une flotte pour observer ses mouvemens & prévenir ses opérations : lorsqu'il s'est porté aux îles sous le vent, notre flotte a reçu l'ordre de prendre la même[p.101]route, & de le suivre par-tout où il iroit : l'objet du gouvernement étoit de porter ses forces par-tout où celles de l'ennemi rendroient leur présence nécessaire ; c'est ce qui a été fait, & c'étoit l'unique moyen de pourvoir à la défense commune.

Quant à la publicité des papiers dont la communication est demandée, elle est possible : il se peut qu'ils aient été imprimés à la Jamaïque ; mais cette publicité n'est point de nature à attirer autant l'attention de l'ennemi, que le seroit la mesure proposée, dont l'objet seroit de réunir tant de détails divers sous un point de vue général : je pense donc, avec mon noble ami, qu'il est imprudent & dangereux, d'agiter publiquement aucune matière propre à donner à nos ennemis des instructions dont ils pourroient tirer avantage : d'ailleurs, la Jamaïque n'a pas été, à beaucoup près, négligée ; il s'y trouve trois régimens, & des forces considérables sont à la veille de partir pour assurer la protection de cette île.

[p.102]

 

Discours de M. Burke, contre la nouvelle contrainte imposée par Lord North sur la liberté des débats Parlementaires, & d'un silence absolu sur le sujet, le plus important qui ait jamais été soumis au Parlement.

 

Du 15 Décembre 1779.

Monsieur l'Orateur,

Si je me lève, ce n'est point pour donner mon opinion sur cette mesure particulière du ministre, mais pour me plaindre en général de la conduite des ministres qui ont jetté cette chambre dans une situation si délicate, que la compétence du parlement se trouve anéantie. Avant la crise actuelle, le parlement n'avoit jamais connu la contrainte imposée aujourd'hui sur la liberté des débats ; je me lève pour accuser en gémissant ces ministres d'avoir par la négligence criminelle du premier de leurs devoirs, imposé à cette chambre un silence absolu sur le sujet le plus important qui jamais ait été soumis à la considération du parlement : on dispute aujourd'hui à ce parlement son autorité constitutionelle, tout citoyen jaloux comme moi des droits[p.103]du corps législatif, souffrant comme je fais de l'humiliation de son pays, doit déplorer comme moi les maudites causes de cette humiliation : la situation déplorable de l'Irlande a fermé dans cette chambre la bouche du débat ; mais lors qu'un changement survenu dans les circonstances, m'affranchira de la contrainte que la délicatesse de la dignité parlementaire impose à ma langue, j'expliquerai au noble lord, les motifs de ma conduite actuelle, de manière à donner, à ce que j'espère, la satisfaction la plus complette à la chambre ; quelque désagréables que puissent être au noble lord les éclaircissemens que j'annonce.

[p.104]

 

Discours de M. Forester, dans lequel il témoigne sa reconnoissance de la satisfaction que l'Administration & le Parlement de la Grande-Bretagne conciliés viennent d'accorder au vœu de l'Irlande, & de la suppression totale des restrictions dans tous les genres de manufactures.

 

Du 21 Décembre 1779.

Nous obtenons non-seulement ce que nous pouvions raisonnablement désirer, mais ce que nous ne pouvions pas même attendre : le ministre à qui nous avons de si grandes obligations est sans doute au-dessus de tout éloge, mais il doit avoir du moins la satisfaction d'apprendre que ses travaux n'ont pas été vains, & que son objet est rempli : nous devons publier ce que nous pensons des propositions qu'il nous fait, afin que d'une part la Grande-Bretagne sache que nous ne sommes pas ingrats, & de l'autre, que le peuple de ce royaume fonde sa tranquillité sur la nôtre : le moyen de manifester ces sentimens, est de prendre des résolutions publiques.

« Que la liberté accordée à ce pays, d'exporter dans tous les pays étrangers, le produit[p.105]de ses manufactures de laines & autres tendra essentiellement à soulager ses détresses, assurer ses richesses & assurer sa prospérité, en même tems qu'elle contribuera au bien-être de la Grande-Bretagne, à la force commune, à la prospérité & au bien général du commerce de l'empire Britannique. Que la liberté qu'aura ce royaume de commercer avec les Colonies Britanniques, en Amérique, dans les Indes Occidentales & dans les établissemens Anglois sur la côte d'Afrique, de la manière dont se conduit le commerce entre la Grande-Bretagne & lesdites Colonies, produira de grands avantages ; que cette concession est une marque très-affectueuse des égards de la Grande-Bretagne, de l'attention qu'elle a donnée à nos détresses ;& qu'elle ajoutera une vigueur nouvelle au zèle du brave & loyal peuple de sa majesté en Irlande, pour prendre la défense de la personne & du gouvernement de sa majesté, pour soutenir l'intérêt, l'honneur & la dignité de l'empire Britannique ».

J'ai dit qu'il étoit nécessaire de rassurer le peuple de ce royaume en lui faisant connoître notre sécurité ; pour réussir complettement dans cet objet, il est de la plus haute importance de détruire une erreur, qui, depuis que les[p.106]propositions du ministre sont connues, a nourri un reste d'inquiétude : cette erreur consiste en ce que la première proposition ne faisant mention que des manufactures de laine, bien des gens croient que les restrictions supprimées à l'égard des laines, subsistent à l'égard des cotons, je proteste, que dans ce dernier cas, l'on se trompe ; que l'exportation des étoffes en coton est aussi libre que celle des étoffes en laine ; qu'en un mot, la suppression desdites réfractions est générale, s'étend sur tous les genres de manufactures, & que rien n'en est excepté, or, c'est ce qu'il est important que sache l'Irlande entière.

[p.107]

 

Continuation du même sujet, par M. Grattan. C'est, selon lui, bien moins à la Grande-Bretagne qu'à la fermeté héroïque du peuple d'Irlande, qu'on doit le succès de cette heureuse révolution.

 

Du 21 Décembre 1779.

Il est certain que l'avenir ouvre enfin à ce royaume une perspective riante ; étrangers à la prospérité nous l'entrevoyons dans le lointain, on ne peut se refuser dans ce moment-ci au sentiment d'une joie si long-tems inconnue parmi nous. Je conviens même que nous ne devons pas fermer notre cœur à celui d'une juste reconnoissance ; mais en rendant à ses bienfaiteurs le tribut de gratitude qui leur est dû, que l'Irlande n'oublie jamais ce qu'elle doit à elle-même ; sa vertu, son courage, sa noble fierté sont les causes efficientes du succès qui lui sourit : la postérité lira avec étonnement dans l'histoire, que quarante mille hommes, les armes à la main, sans subordination, sans reconnoître aucune autorité, non-seulement n'ont occasionné aucun tumulte, mais même ont affermi la tranquillité, qui sans eux eût put être troublée ou anéantie ; c'est à ces[p.108]braves gens, en un mot, c'est au peuple d'Irlande que nous sommes redevables de l'heureuse révolution qui transportant pour ainsi dire cette île hors de sa place, ne la présente plus aux yeux de l'observateur comme un coin isolé de la terre, mais comme un entrepôt respectable établi entre l'ancien & le nouveau monde.

 

Continuation du même sujet, par le sieur Metge. Il rend un tribut de reconnoissance aux Lords North, Hillsborough & Buckinghamshire, dont il avoue, cependant que l'Irlande n'auroit rien obtenu sans l'interposition du peuple. Cette Province que s'étoit armée pour la défense de ses droits ; contre la Bretagne ; va actuellement se réunir avec elle contre leurs ennemis communs.

 

Du 21 Décembre 1779.

LA reconnoissance nous invite tous à faire une mention honorable des personnages respectables qui ont eu le plus de part à l'émancipation de l'Irlande, & qui ont enfin soustrait ce pays a l'oppression d'une infinité de loix dictées par le pouvoir arbitraire, continuées en force par une politique aveugle pendant plus d'un siècle, jus[p.109]qu'à ce qu'un esprit irrésistible ait suscité enfin, pour le salut commun, toutes les classes de citoyens, au moment où ils ont senti que le fardeau devenoit insupportable. Il est certain que les noms de North, d'Hillsborough& de Buckinghamshire seront de glorieuse & immortelle mémoire ; la postérité fera retentir éternellement leurs louanges ;& lorsque cette postérité lira l'histoire de nos jours, lorsqu'elle verra que dans une partie du monde, le sang le plus pur de l'Angleterre a été versé ; que ses trésors ont été presqu'épuisés par les efforts qu'elle a faits pour subjuguer un peuple mâle & brave, & le forcer à se plier sous son joug ; elle saura qu'à la même époque, cette même Angleterre s'est prêtée aux justes demandes de l'Irlande, demandes éludées pendant un siècle entier, la postérité, dis-je, révérera la justice & la sagesse de ces personnages respectables qui ont concouru à des mesures si salutaires.

On ne peut se dissimuler que les représentations que le comte de Buckinghamshire a bien voulu faire, fondées sur les bonnes dispositions de l'Irlande, que les talens, & les conseils salutaires des lords Hillsborough & North ont conspiré à obtenir pour l'Irlande l'objet de ses désirs ; mais en accordant à ces seigneurs le tribut d'éloge qui leur est dû, je doute que nous eussions obtenu[p.110]le redressement de nos griefs sans l'interposition du peuple ; c'est rendre à la sagesse de lord North, une justice suffisante que de reconnoître qu'il a parfaitement secondé cette interposition louable, & que la sienne est une preuve de bienveillance qui doit être chère à ce royaume : en le considérant comme médiateur entre les deux nations, on doit le considérer comme ayant des droits égaux à la reconnoissance de l'une & de l'autre ; car enfin l'Angleterre va tirer un avantage immédiat de cette heureuse conciliation : l'Irlande a passé dans tous les tems pour une nation brave, si elle est brave, elle est généreuse, elle est susceptible d'affection. Quel sera désormais l'objet de cette affection ? Sa sœur aînée, la Grande-Bretagne étant dans la détresse, ces cinquante mille hommes armés dans son sein, déterminés à verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour défendre & assurer leurs droits constitutionnels, & qui avoient tourné à regret leurs armes contre une sœur injuste, du moment où elle cesse de l'être, où même elle lui paroit généreuse, tourneront ces mêmes armes contre l'ennemi commun. Oui, je crois pouvoir l'assurer au nom de l'Irlande ; la cause de la Grande-Bretagne devient aujourd'hui la sienne ; si sa situation la met dans l'impossibilité d'ouvrir à sa sœur des[p.111]trésors qu'elle n'a pas, elle lui prêtera ses héros ; elle en a qui coopéreront avec elle dans le grand ouvrage d'humilier l'orgueil, & de réprimer l'ambition de la France & de l'Espagne, nos ennemis invétérés.

 

Pétition de la Noblesse, du Clergé & des Francs-Tenanciers du Comté d'Yorck, aux honorables Communes de la Grande Bretagne assemblées en Parlement, pour en obtenir le redressement des griefs qui oppriment la Nation par la plus stricte économie & plusieurs autres moyens ;& sur-tout pour n'accorder aucun nouveau subside au détriment du peuple jusqu'à ce qu'on ait remédié à ces maux.

 

Du 30 Décembre 1779.

Exposent :

Que cette nation a été engagée pendant plusieurs années dans une guerre également coûteuse & malheureuse : que plusieurs de nos précieuses Colonies s'étant déclarées indépendantes, ont formé une confédération étroite avec la France & l'Espagne, les ennemis invétérés de la Grande-Bretagne ; que les conséquences de[p.112]ces-infortunes combinées ont été une addition considérable à la dette nationale, une accumulation onéreuse de taxes, un déclin rapide dans le commerce, les manufactures & les rentes foncières du royaume.

Alarmés en voyant que les ressources de ce pays diminuent en proportion de ce que ses fardeaux deviennent plus pesants, & convaincus qu'une stricte économie est devenue d'une nécessité indispensable dans tous les départemens de l'état, vos supplians observent avec douleur, que, malgré l'état de calamité & d'appauvrissement dans lequel se trouve la nation, on a dissipé imprudemment beaucoup d'argent public, & que plusieurs individus jouissent ou de places sans fonctions auxquelles des émolumens exhorbitans sont attachés, ou de pensions qui n'ont point été méritées par des services publics, montant à de grosses sommes qui s'accroissent tous les jours ; au moyen desquelles places & pensions la couronne a acquis une influence considérable & inconstitutionnelle, qui, si on n'en arrête pas les progrès, peut bientôt devenir funeste aux libertés de ce pays.

Vos supplians persuadés que la véritable fin de tout gouvernement légitime n'est pas l'émolument d'aucun individu particulier, mais le bien-être de la communauté en général ; considérant[p.113]que, par la constitution de ce royaume, la bourse nationale est confiée d'une manière particulière à la garde de cette honorable chambre, demandent qu'il leur soit permis de représenter ultérieurement que, jusqu'à ce qu'il ait été pris des mesures efficaces pour le redressement des griefs opprimans énoncés dans la présente pétition, l'octroi qui pourroit être fait additionnellement d'aucune somme faisant partie des deniers publics, & excédant le produit des impôts actuellement établis, nuiroit aux droits & à la propriété du peuple, dérogeroit à l'honneur & à la dignité du parlement.

Vos supplians, en appellant donc à la justice de cette honorable chambre, demandent très-instamment, qu'avant que l'on impose aucun nouveau fardeau sur ce pays, il soit pris par cette chambre des mesures efficaces pour examiner & réformer les abus greffiers qui peuvent s'être glissés dans la manière de disposer des deniers publics, pour réduire tous les émolumens exorbitans, pour supprimer & abolir toutes places sans fonction, toutes pensions non méritées, & pour en appliquer le produit aux besoins de l'état, de la manière qui paroîtra la plus convenable à la sagesse du parlement.

[p.114]

 

Discours de M. Sawbridge, dans la. grande salle de Westminster, à une assemblée particulière d'un nombre d'habitans de cette cité[1], par lequel il leur prouve la nécessité d'une Association générale dans l'extrémité ou est réduite la Nation & à ce qu'il soit formé un Comité chargé de rédiger un plan d'association & de correspondance, pour appuyer les nobles pétitions déjà présentées au Parlement des Comtés d'Yorck, de Sussex, de Middlesex, &c.

 

Du 4 Février 1780.

Rappellons-nous l'état où se trouvoient les affaires publiques au commencement de la guerre d'Amérique : à cette époque déplorable, la dette nationale déjà énorme ne montoit cependant qu'à 140 millions sterlings ; nos terres se vendoient sur le pied du denier 32 : aujourd'hui cette dette[p.115]est accrue d'un tiers, & nos terres ne se vendent que sur le pied du denier 22 : ces deux faits, sont d'une notoriété irréfragable, tout ce que l'on pourroit ajouter n'en seroit qu'une déduction ; enfin nous sommes parvenus à un point d'épuisement si visible, si absolu, que la créature la plus absurde, l'administration qui oseroit s'en déclarer l'avocat ne porteroit pas l'audace au point de poser en fait, que du train dont vont les choses nous pouvons nous soutenir au delà de deux ou trois ans : le terme étant si court, le peuple n'a pas un moment à perdre, s'il veut poser une barrière entre son existence & sa ruine ; cette barrière ne peut être que l'économie : les comtés d'York, de Middlesex, &c. nous ont donné un noble exemple ; la cité de Westminster, ne marquera pas moins d'empressement sans doute à concourir au salut de l'empire, à la préservation de tout ce qui peut être cher & précieux, aux individus qui forment cet empire. Je recommande donc à l'assemblée d'adopter la pétition du comté d'York, comme contenant l'exposé vrai des plaintes nationales ; l'adhésion de cette cité puissante, aux résolutions du Comté respectable qui nous a ouvert le chemin du redressement, rendra plus imposantes les démarches de ce comté, annoncera d'ailleurs cette uniformité de sentiments, qui constitue l'unanimité[p.116]nécessaire dans toute entreprise nationale. Ici, M. Sawbridge fit lecture de la pétition du comté d'York, (qu'on a lue ci-devant), & fit une motion aux fins de la faire adopter par l'assemblée.

 

Discours de M. Wilkes. Il fait une peinture effrayante sur la situation désespérée de l'État. Il s'indigne sur ce que les sommes immenses votées par les Ministres pour le service public, sont converties en moyens de corruption. Il appuie la motion de M. Sawbridge.

 

Du 4 Février 1780.

De quoi s'agit-il pour nous, dans ce moment ci ? de tout ce que nous possédons, de tout ce qui nous est cher : si nous ne développons pas à tems des efforts unanimes, autorisés par la constitution, nos libertés, nos fortunes, tout sera la proie de la rapacité, de la prodigalité, de l'ignorance d'une administration insensée, qui, à force d'intriguer, & de répandre mal-à-propos l'argent public, s'est assuré dans les communes, une majorité, créature de la corruption, engraissée des deniers votés pour des services publics. Au moyen de ce système, tous[p.117]les départemens du service languissent dans l'engourdissement : les grands ressorts nationaux nos forces de terre & de mer, soutiens de notre fierté nationale, tout se rouille, tout tombe en poussière : on a vu cette marine britannique si vantée, fuyant devant l'ennemi, chercher un asyle dans nos ports ; non parce que nos officiers étoient moins braves que leurs prédécesseurs, mais par l'appauvrissement & la foiblesse intrinsèque de nos flottes : on a vu aux mêmes époques, les meilleurs, les plus braves, les plus expérimentés de nos Officiers publiquement humiliés, forcés à la retraite, tandis que la nation perdoit le moment de remporter une victoire glorieuse sur l'ennemi, par la trahison d'un des émissaires de cette même administration, employé par elle, non pas pour défendre & conserver, mais pour fouiller & perdre l'honneur du pavillon Anglois : le premier Lord de l'amirauté a reçu du parlement, avec une prodigalité qui n'avoit pas d'exemples, des sommes destinées à l'entretien, à l'augmentation de nos forces navales ;& il n'a pu les égaler à celles de la France seule ? parce que l'argent voté & destiné au service public, a été converti en moyens de corruption.

Lorsqu'une chambre des communes souffre que l'argent de ses constituants soit dépensé,[p.118]prodigué sans rendre compte, employé aux plus infâmes fins, elle cesse de représenter le peuple. L'amendant du ministère sur le parlement est actuellement porté au point qu'il regarde comme obtenues, toutes les sommes qu'il juge à propos de demander : que résulte-t-il de cette sécurité ? c'est que l'emploi que fait le ministère d'une partie des sommes accordées par le parlement, dispose ce même parlement à en accorder de nouvelles au moment où on lui en demandera. Est-ce donc là l'intention du peuple ? Entend-il que son argent passera dans les coffres des ministres, pour être ensuite employé de cette manière ? verra-t-il long-temps, d'un œil indifférent qu'une administration dont il connoît l'incapacité, dissipe en pure perte des sommes destinées à soutenir la dignité de la Nation, à nous défendre, contre les attaques de nos ennemis, au grand objet enfin de nous réintégrer dans notre ancien état de paix & de prospérité.

II est, je pense, suffisamment démontré que l'administration actuelle ne marquera pas à la nation, le chemin des conquêtes, elle a prouvé son incapacité dans l'art de la guerre, comme dans celui du gouvernement ; elle nous a perdu la moitié de l'empire, au moment ou elle veut ruiner & anéantir la moitié qui nous reste ; l'interposition. du peuple est donc nécessaire,[p.119]ou elle ne le sera jamais : il est temps qu'il connoisse l'emploi que l'on fait de son argent, il est temps qu'il arrête, dans leur carrière, des hommes qui paroissent déterminés à prendre jusqu'au dernier shelling dans la poche du peuple. Or tout cela n'est praticable qu'au moyen des associations légales & constitutionelles ; l'intention des assemblées des divers comtés n'est certainement pas d'exciter des tumultes, de jetter le royaume dans la confusion, dans l'anarchie : leur intention est au contraire de former sur des principes de modération, une association dont l'unique objet est d'obtenir le redressement de leurs griefs, de forcer leurs représentants à remplir leur devoir au parlement, & dans le cas où elles ne réussiroient pas, de prendre sur leur compte, la tâche d'introduire des réformes nécessaires, & d'être ce qu'elles ont souvent été auparavant, les sauveurs de leur pays.

Je propose donc, à cet effet, qu'il soit formé un comité chargé de rédiger un plan d'association & de correspondance, aux fins d'appuyer une pétition juste & nécessaire.

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Discours de M. Fox ; choisi & nommé d'une voix unanime par l'assemblée de Westminster, pour présenter aux Communes la Pétition de cette cité. Après avoir fait ses remercimens du choix qu'on venoit faire de lui, il développe éloquemment les motifs des deux Orateurs qui avoient parlé avant lui. Il insiste sur la dissipation & les prodigalités criminelles de l'Administration. Il en donne des exemples frappans II prévient les reproches qui pourront être faites au sujet des réformes demandées. Il recommande l'association, comme le moyen unique de détruire l'influence de la Couronne, & de conserver la Constitution.

 

Du 4 Février 1780.

Non, messieurs, je n'ai jamais reçu d'ordre public, avec autant de satisfaction que j'en éprouve, en me voyant honoré de celui de présenter au parlement la pétition de cette assemblée. La résolution unanime d'un, corps si nombreux sur lequel la corruption n'a pas encore étendu son influence, est si respectable en elle-même, qu'on peut la regarder comme le présage certain du succès. Il est difficile, messieurs,[p.121]d'ajouter de la force au tableau que viennent de vous présenter les deux orateurs qui m'ont prévenu, mais on peut y ajouter des détails : hélas ! on ne finiroit pas, si on vouloit recueillir tous ceux qui font partie de nos griefs, même en se bornant aux exemples de dissipation, que fournit l'administration actuelle ; ce que je puis vous assurer, & vous pouvez ajouter foi, à un membre actif, qui, pendant dix ans qu'il a siégé au parlement, a donné à la conduite des ministres, l'attention la plus assidue ; je puis, dis-je, vous assurer que, dans tout ce qu'ils ont fait, j'ai remarqué la prodigalité la plus honteuse, la plus répréhensible, l'habitude la plus confiante de faire un emploi déplacé & dangereux des deniers publics. Dans cet espace de temps, j'ai vu le parlement accorder d'année en année, avec la plus coupable extravagance, des sommes énormes dont on ne lui a jamais rendu compte : j'ai vu lorsqu'un membre, fidèle à ses devoirs, demandoit quelques éclaircissemens, relatifs à l'emploi de ces sommes, qu'on ne lui répondoit que par un mépris révoltant, lui donnant à entendre, qu'il devoit suffire au parlement de savoir, que les sommes qu'il avoit votées, étoient épuisées ; que peut-être on en rendroit compte quelque jour, peut-être dans quatorze ou quinze ans,[p.122]peut-être jamais, Telle est la réponse que j'ai reçue moi-même, en une infinité d'occasions que je pourrais citer ; mais je me bornerai à un seul exemple, parce qu'en pareil cas, une citation en vaut cent.

Il s'agissoit un jour, d'un article de soixante mille livres sterlings, passé en compte de dépense, sous le titre de présents, fait aux Indiens ; cette somme étoit censée avoir été versée dans la caisse du sur-intendant des affaires concernant les Indiens, les présents consistoient principalement en rasoirs & en trompes, communément appellés guimbardes : un article si extraordinaire étoit propre à exciter au moins la curiosité de la chambre ; on demande au ministre, comment il est possible qu'une somme si considérable ait été employée à l'achat de si minces objets ; il répond qu'il en est étonné lui-même, qu'il ne peut pas concevoir comment ces articles, ont pu monter à une somme si énorme ; en ce cas, lui dit-on, différons-en quelque temps, le paiement, attendons que l'on sache quel est l'emploi qui en a été fait. Non, répond le ministre la chose est impossible ; quelque puisse être l'emploi que l'on a fait de cet argent, il faut que le parlement le passe en compte, car il est payé ; produisez donc des reçus, réplique-t-on, vous n'ayez pas[p.123]payé sans reçus ? il n'est pas possible de les produire, répond encore le ministre ; il ne nous sont pas encore parvenus. Quand les attendez-vous ? quand arriveront-ils ? Je n'en sais rien, mais au plus tard dans quatorze ou quinze ans.

Tel est en toute occasion, le langage constant que les ministres tiennent au parlement, & nous sommes tombés dans un état de servitude si avilissante, que nous sommes obligés de la supporter. L'argent que le peuple se soumet à payer, parce qu'il le croit nécessaire au service public, va directement dans les poches de ses représentans, sert à payer la solde d'une troupe de membres mercenaires, encouragés ainsi à voter à leur commandement.

L'administration n'a pas dans le royaume entier, un seul homme qui appuie ses mesures, par la raison qu'il les approuve intérieurement, & si lorsque les membres du parlement traversent cette salle pour aller prendre leurs places, vous demandiez à l'un d'eux, ce qu'il pense des mesures des ministres, de leur honnêteté, de leur sagesse, il vous répondroit qu'il les méprise & les déteste : on pourroit être très assuré que ce même membre cependant n'aura pas plutôt pris sa place qu'il votera en faveur de la question, pour laquelle le ministre paraîtra pencher.

Cette corruption, que la dépravation du[p.124]parlement a mis le ministre en état de rendre si universelle, est sur-tout alarmante, en ce quelle renferme en elle-même, le principe qui en assure la durée chaque jour ; à chaque instant, elle ajoute à l'influence de la couronne, influence d'autant plus dangereuse, que se revêtant des formes constitutionelles, elle porte des coups plus sûrs à la constitution. Il est donc temps que le peuple s'unisse enfin, & forme un plan national, à l'effet d'opérer le salut commun : les efforts du peuple, les associations légales & constitutionelles du peuple en général, peuvent seuls affranchir cette nation dévouée au pouvoir de l'influence. Quand je dis associations constitutionelles, il est inutile sans doute d'observer qu'elles sont à tous égards, autorisées par la constitution. Car enfin, quelle est la nature du gouvernement de ce pays ? quels sont les membres du corps législatif ? le roi, les pairs, le peuple : oui le peuple, en général, représenté il est vrai par les communes, mais existant en totalité dans les personnes de ses représentants, auxquels il n'a fait que confier, pour un temps limité, la conservation de ses droits, l'exercice de son pouvoir.

Si ce corps de représentans ou de délégués abuse du dépôt qui lui est confié ; s'il trahit ou néglige les intérêts de ses constituans, il n'est[p.125]plus le représentant du peuple, il devient l'instrument de la couronne. Je ne prendrai pas sur moi de décider si le corps qui représente actuellement le peuple, n'est effectivement que l'instrument de la couronne ; ce que je sais, c'est qu'il va être mis à l'épreuve, c'est que s'il rejettoit notre pétition, s'il se refusoit aux mesures d'économie que la nation propose, du moment où il cesseroit d'être l'organe des intentions du peuple, il cesseroit d'être le représentant du peuple : de ce moment il est légal, constitutionel & nécessaire que le peuple retire son dépôt des mains de ceux qui en auroient négligé le soin : tel est le vœu universel de la nation, & la doctrine que j'établis, ne peut être contredite par l'homme le plus dépravé, qui, à l'ignorance de tout ce qui a rapport à la constitution, joindroit l'esprit & l'aveuglement de faction.

Il est possible que ceux qui ont attaché leurs fortunes au char de l'administration actuelle, disent que cette doctrine est inconstitutionelle : des gens qui jouissent des émolumens extravagants, des pensions non méritées qu'il s'agit de supprimer, peuvent dire qu'il est inconstitutionel de les en priver : ils le disent à l'écart, cachés dans leurs réduits, mais ils ne paroissent pas, mais ils ne paroîtront pas aux assemblées[p.126]publiques pour combattre ma doctrine, ni pour établir la leur…

Peut-être, messieurs, entendrez-vous dire qu'une personne possédant une de ces places inutiles (parlant du duc de Northumberland, lord lieutenant du comté) cherche à élever quelqu'opposition contre les procédés de cette assemblée, ose poser en fait, que vos résolutions ne sont pas celles du corps des électeurs : vous saurez à quoi vous en tenir, & comment vous conduire : le fait est que vous êtes assemblés à la face de l'univers, & qu'avec la fermeté qui convient à des hommes, à des Anglois, vous exprimerez unanimement & hautement ce que vous pensez de notre situation publique.

L'on dira encore que ces assemblées conduisent à la confusion, à l'anarchie : cela n'est pas ; elles ont un but directement contraire ; elles tendent à empêcher la confusion & l'anarchie, elles tendent à empêcher la chute de cet empire, à rétablir parmi nous l'ordre, l'harmonie & la paix, par l'entremise de la vigueur & de l'activité, couronnés. Mais, disent-ils, ce moment n'est pas celui qu'il faut choisir pour lier les mains du gouvernement. Quoi ! l'économie lie-t-elle les mains du gouvernement ? Bien au contraire, elle lui prépare des moyens, multiplie ses ressources : tout ce que l'on pourra[p.127]arracher aux dents dévorantes de la corruption, appliqué désormais au service de l'état, ajoutera un nouveau degré de force à nos armes, nous aidera à soutenir le conflit inégal dans lequel nous nous trouvons engagés. Ce moment, continuent-ils, n'est pas propre à la plainte, à la réforme. Quoi ! le moment du besoin n'est il pas celui du secours ? le moment qui exige de nous les plus grands efforts pécuniaires, n'est-il pas celui de l'économie ? il est absurde d'élever une pareille question : c'est dans ce moment-ci même, que nous sommes pénétrés de nos besoins, que nous sentons qu'ils sont de nature à exiger la réunion de toutes nos ressources, de tous les secours que l'industrie la plus active peut imaginer, de tout l'argent qu'il est possible de lever ; dans un moment pareil, proposer de nouveaux impôts, appesantir le fardeau sous lequel gémit le peuple, sous prétexte de nécessité, seroit une mesure condamnable ; mais mettre à contribution la frugalité, mais pourvoir aux besoins qui nous pressent en puisant dans les coffres de l'économie, est une mesure salutaire.

Cette reforme, ajoutent-ils, a été originairement proposée par des hommes qui, tandis qu'ils étoient revêtus du pouvoir, se sont bien gardés d'introduire un pareil système ; les Whigs & les Torys, ont été également coupables. Cette[p.128]dernière allégation n'est pas absolument dénuée de fondement quant à ce qui a été fait, mais elle ne prouve rien quant à ce qu'il faut faire ; il est vrai que le grief dont le peuple se plaint a existé sans redressement jusqu'à nos jours ; mais il n'a jamais été ni si bien connu, ni si vivement senti, ni si énorme, ni porté à un pareil excès ; lorsque le succès couronne tous les efforts dont une nation est capable ; lorsque la victoire enorgueillit un peuple dans les momens de prospérité qu'elle dispense, ce peuple ne songe pas à demander compte de l'argent qu'il a donné : cet argent a servi à acquérir de la gloire, il a donc répondu à sa destination : il est possible qu'il n'ait pas été employé avec économie : mais enfin on a acquis du territoire, de l'honneur ; le peuple n'y regarde pas de si près, lorsqu'il s'agit de compter avec des conquérans : mais lorsque la défaite, la honte, le découragement poursuivent ce même peuple dans toutes les parties du monde, lorsque ses forces s'énervent en proportion de l'augmentation de ses dépenses, la curiosité seule, au défaut de l'intérêt, suffit pour l'engager à demander quel est l'emploi qui a été fait de son argent ? ce ne sont point les hauteurs révoltantes de ceux à qui est confiée sa bourse, qui lui en imposeront lorsqu'il leur demandera des comptes,[p.129]qu'on ne s'y trompe pas, le peuple connoît la nature des conventions faites par ses ancêtres avec ses souverains ; il remonte plus haut, il connoît l'origine de la monarchie, il sait quel est le prix que la reconnoissance, à des époques plus ou moins reculées, a attaché chez les nations diverses, à la vertu héroïque qui les a soustraites à l'esclavage, qui a créé, soutenu leur réputation, assuré leur tranquillité, leur propriété, contribué à leur prospérité ; c'est dans la félicité & la reconnoissance des peuples que l'autorité royale a pris sa source, dans tous les temps, & dans tous les pays. Ce que la reconnoissance a accordé dans les premiers momens de son effusion, ici l'habitude, là, la prescription, chez tel peuple, le bonheur, chez tel autre, la foiblesse l'a ratifié, confirmé : il étoit peut-être juste, il étoit du moins naturel, & par conséquent excusable que des nations accordassent les honneurs de l'empire au mortel extraordinaire qui leur assuroit l'empire. Mais que diroient un jour les annales du temps, d'un peuple qui souffriroit qu'on le rendît esclave sous un règne que la gloire n'auroit certainement pas immortalisé ? Que pourrait dire ce peuple pour sa justification ? Je ne vois pas qu'il pût alléguer d'autre excuse que celle de sa corruption. S'il ne connoissoit[p.130]pas le prix de la liberté ; si la nature de cette liberté n'étoit pas définie & connue il pourroit alléguer son ignorance, & l'univers le plaindrait ; mais le peuple Anglois, comblé de tous les avantages que tire la société des connoissances humaines ; le peuple Anglois, instruit comme il l'est, connoissant si bien ce qu'il vaut, le peuple Anglois, sur-tout, ayant sous ses yeux un exemple si frappant de ce que peut une mâle résistance, un pareil peuple se prêtant au joug de la servitude ; seroit universellement méprisé, détesté : l'infamie éternelle, en conservant son nom, survivroit seule à sa ruine !

Les résolutions unanimes & déterminés du peuple Anglois, une décision également ferme & modérée, un plan de réunion tendante à un point unique, sont aujourd'hui les seuls moyens de salut : ce peuple une fois uni, & combinant ses efforts, quelque obstiné que puisse être un prince, quelque vénal que puisse être un parlement, rien ne sera capable de lui résister. En deux mots, le peuple sait qu'il n'a à attendre de l'administration actuelle que l'indigence & la ruine ; qu'il se dise seulement, soyons nous-mêmes nos libérateurs, & il sera délivré : les exemples propres à l'encourager sont aussi récents que frappants : il vient de voir l'Amérique, il vient de voir l'Irlande lui enseigner[p.131]comment il faut se conduire, lorsqu'on est forcé aux extrémités par des hommes pervers.

N'avons-nous pas une origine commune avec ces peuples ? la vie, la liberté nous sont elles moins chères qu'à eux ? le sang circule-t-il moins librement dans nos veines que dans les leurs ? n'avons-nous pas reçu comme eux une éducation qui nous inspire du mépris pour la vie, qui ne nous promet que l'esclavage ? nos pères n'ont-ils pas aussi bien que les leurs, combattu & versé leur sang pour la défense de leurs droits, qu'ils nous ont transmis sous le sceau de la confiance la plus sacrée ? au moment du danger & de l'alarme, serons-nous moins empressés que ces illustres morts à conserver cette liberté dans laquelle nous sommes nés ? le cœur de l'empire sera-t-il enfin sans mouvement, tandis que ses membres sont en activité ? Non, non, je ne crains pas que les ravages de la corruption se soient étendus au point d'énerver la vigueur, & de détruire la sensibilité du peuple : que le mot association ne l'alarme point, il n'a rien de contraire à l'esprit de la constitution, qu'il se pénètre au contraire d'une vérité importante, c'est qu'au moyen des associations, il conservera son indépendance ; sans associations, il faut qu'il succombe sous l'influence de la couronne ; influence parvenue à un excès[p.132]inconnu à tout autre période de notre histoire ; influence dont l'accroissement consommeroit l'esclavage de l'Angleterre, au lieu que si on la détruit, notre glorieuse constitution vivra jusqu'à la fin des siècles[2].

[p.133]

 

Discours plein de fermeté prononcé par sir George Saville, après l'avoir présenté à la Chambre la Pétition du Comté d'Yorck munie de neuf mille signatures. Il déclare que les Citoyens auteurs de cette pétition, instruits de l'emploi extravagant & criminel qui se fait des deniers publics, ne sont pas disposés à se laisser amuser par des enquêtes, ou rejetter par des oppositions.

 

Du 7 Février 1780.

Les citoyens qui l'ont signé, n'avoient point de mousquet sur leurs épaules, mais je ne les en crois pas moins déterminés à ne pas souffrir que les serviteurs de la couronne, suivent longtemps encore la route qu'ils ont tenue jusqu'à présent. Ils savent que des sommes immenses sont non-seulement employées sans nécessité à des usages extravagants, mais même à remplir des vues dangereuses & perverses ; ils ne permettront plus qu'on les tienne dans l'ignorance, à l'égard des deniers publics, encore moins, qu'on leur ferme la bouche. Leur résolution invariable est de tarir la source de la corruption qui a perverti & infecté tous les courants de[p.134]la vertu publique. J'exhorte donc le noble lord au ruban bleu, (Lord North), & ceux de ses amis qui l'environnent, à réfléchir mûrement sur cette affaire ; je ne soupçonne pas qu'il se trouve dans la chambre un seul membre assez imprudent pour donner une voix négative à ma motion, je suis certain même qu'aucun ne l'osera : je ne crains pas non plus que lorsque la pétition sera admise, le parti ministériel s'avise de la traiter légèrement : je demande qu'on la reçoive avec le respect qui lui est dû ; surtout que l'on se garde bien de faire en conséquence aucune enquête simulée, & pour la forme[3] : car 9000 francs tenanciers n'aimeroient pas qu'on badinât avec eux, & qu'on les payât d'enquêtes pour rire ; les subterfuges d'état, les majorités assurées d'avance, les premières questions appellées pour éluder les secondes, toutes ces manœuvres usées & infâmes d'une administration corrompue, ne seront d'aucune ressource dans la circonstance actuelle : le peuple Anglois n'entend plus qu'on lui refuse la justice qui lui est due.

[p.135]

 

Discours de M. Grattan, contre cette assertion de M. Conolly, Membre du Conseil privé :« Que ce n'étoit pas dans un tems de guerre, qu'il falloit s'occuper de réformer la Constitution par rapport au Commerce d'Irlande ». Il soutient au contraire que c'est actuellement ou jamais, qu'on doit travailler à obtenir une Constitution libre.

 

Du 15 Février 1780.

Il s'en faut de beaucoup, que je sois de l'avis de l'honorable membre : je pense au contraire, que c'est précisément le moment de la guerre que nous devons saisir pour obtenir une constitution libre. Si nous laissions échapper ce moment, le peu que nous avons obtenu, se réduiroit bientôt à rien, c'est parce que nous sommes en temps de guerre que nous avons obtenu la liberté du commerce, c'est parce que nous sommes en temps de guerre, que nous obtiendrons celle de notre constitution : attendrons-nous pour la demander, que l'Angleterre débarrassée de cette guerre soit assez forte pour nous refuser ? Il y auroit de la démence ! Quoiqu'en dise l'honorable membre, au moment[p.136]où il s'agit de prendre les mesures qui décideront à jamais le sort de l'Irlande, le peuple doit être consulté généralement ; lorsque ce peuple aura dit, je veux être libre, il sera libre.

 

Discours de lord North, dans lequel après avoir comblé d'éloges M. Burke, exalté la force de son éloquence, la sagesse de son plan de réforme ; l'assure qu'il lui procurera tous les secours de ses Bureaux dont il pourra avoir besoin ; mais il lui demande par forme d'objection, s'il n'est pas indispensable de prévenir le Roi & le Prince de Galles, suivant l'usage constant du Parlement, d'obtenir le consentement des parties intéressées, lorsqu'il s'agit de toucher aux revenus héréditaires & patrimoniaux.

 

Du 15 Février 1780.

Je ne m'opposerai certainement pas à ce que le bill proposé par l'honorable membre, soit pris en considération : je prie seulement la chambre d'observer & de se rappeller que je ne m'engage point à ne pas former d'opposition à aucune de ses parties, à mesure qu'elles se développeront : l'objet est en lui-même de la[p.137]plus haute importance, il ne tend à rien moins, qu'à donner une nouvelle forme à notre système domestique : on ne peut donc donner une attention trop sérieuse à sa discussion. J'entrevois, par exemple, une difficulté qui me frappe dans le moment : toutes les fois qu'il s'agit de quelque innovation qui doit probablement affecter des revenus héréditaires & patrimoniaux, l'usage constant du parlement est d'obtenir au préalable, le consentement des parties intéressées : comme dans le nouveau système, les revenus héréditaires du roi & du prince de Galles sont affectés, je demande à la chambre si la décence n'exige pas que l'on marque à ces princes des égards que le parlement a toujours eus pour les sujets.

[p.138]

 

Adresse & Instructions remises au Docteur William Clément ;& à sir Samuel Bradstreet ; Baronet ; Représentans au Parlement de la ville de Dublin par les Shérifs de cette ville. On les engage à défendre les libertés & les droits de l'Irlande ;& à procurer quelque modification à la loi de Poyning.

 

Du 22 Février 1780.

Messieurs,

Nous croyons qu'il est de notre devoir, de saisir la première occasion de vous témoigner la reconnoissance que nous inspire la conduite vertueuse que vous avez constamment tenue, conduite qui, secondée par celle du plus grand nombre des membres de l'auguste assemblée, dont vous faites partie, & qui tous se sont signalés par leur modération & leur fermeté, a obtenu pour vos concitoyens un commerce plus étendu, & jetté les fondemens de leur liberté & de leur bonheur. Nous nous réjouissons, avec le reste de nos concitoyens, des avantages que nous avons gagnés, & que nous ne devons attribuer qu'à la vertu de notre parlement,[p.139]& à la fermeté de notre nation ; mais comme ces avantages se bornent à un commerce qui n'est ni solidement établi ni sans entraves, notre joie doit aussi avoir des bornes, de crainte que nous ne paroissions avoir oublié nos droits & nos privilèges, pour le plaisir que nous ressentons de les voir réparés en partie.

Nous soutenons fermement qu'aucun parlement n'a, n'eut, & ne dut jamais avoir aucune espèce de pouvoir ou autorité quelconque dans ce royaume, si ce n'est le parlement d'Irlande : qu'aucun statut ne peut avoir force de loi, à moins qu'il n'émane du souverain avec le consentement du parlement d'Irlande ; nous sommes même convaincus que ce moyen est indispensable, pour maintenir la bonne intelligence entre la Grande-Bretagne & l'Irlande.

Ce que vous avez fait jusqu'à présent, ne nous paroît devoir être regardé que comme un grand commencement, & nous aimons à croire que la fin de cette session ne sera pas moins avantageuse à la constitution de ce royaume, que le commencement aura été salutaire au bien du commerce.

Parmi plusieurs objets qui demandent tous vos soins, nous vous chargeons sur-tout de ne pas perdre l'occasion qui se présente de défendre les libertés de l'Irlande, de faire tous vos[p.140]efforts pour obtenir un acte déclaratoire, qui mette à jamais les droits de cette nation libre & indépendante, à l'abri de toute législation étrangère, quelle qu'elle puisse être, & aussi de procurer quelque modification à la loi de Poyning, de manière à empêcher entre le roi, la chambre des pairs, & celle des communes tous débats contraires aux loix fondamentales.

 

Réponse des Représentans de la ville de Dublin au Parlement à l'Adresse précédente. Ils se déclarent disposés à soutenir avec la plus grande fermeté la Constitution du Royaume.

 

Du 22 Février 1780.

Messieurs,

Nous apprenons avec une vraie satisfaction, quels sont vos sentimens sur la modération & la fermeté du parlement ;& nous ne doutons point que, sans perdre de vue ces deux excellentes qualités, vous ne contribuyez autant qu'il sera en vous, à consommer l'ouvrage entrepris par les représentans de la nation.

Nous nous trouvons heureux sur-tout de nous voir mis par vous au nombre de ceux qui ont[p.141]fidèlement rempli leur devoir, & vos instructions ne peuvent que nous faire honneur.

Sans déroger à la juste & légale autorité que S. M. a droit d'exercer sur ce royaume d'une manière conforme aux loix, nous sommes convaincus qu'aucune puissance législative, étrangère, quelle qu'elle puisse être, n'a aucun droit, & ne doit s'arroger aucune autorité sur cette nation ; nous serons prêts en tous tems à défendre les libertés de l'Irlande, & à ne rien négliger pour obtenir un acte déclaratoire qui lève toute restriction injuste, & qui tende à assurer l'indépendance de ce royaume.

Nous aurons soin aussi de chercher les moyens de modifier toute espèce de loix qui pourroit porter atteinte aux droits & privilèges du parlement, & occasionner des débats fâcheux entre le roi, la chambre des pairs, & celle des communes.

Que les efforts nécessaires pour remplir ces grands objets, soient marqués du sceau de la fermeté & de la modération ! Nous avons tout lieu d'espérer que la fin de la session sera aussi avantageuse à la constitution du royaume que le commencement l'a été à son commerce.

[p.142]

 

Adresse & Instructions des habitans du Comté d'Armagh aux très-honorables William Brownlow & Thomas Dawson, Écuyers, leur Représentans en Parlement. Ils leur recommandent d'assurer l'indépendance de l'Irlande, & de travailler à la révocation de la Loi de Poyning, comme destructive des loix & des privilèges de l'Irlande.

 

Du 26 Février 1780.

Messieurs,

En nous livrant à la joie que nous cause la révocation d'une partie de ces actes restrictifs qui molestoient le commerce de ce pays, nous sommes bien éloignés de vouloir faire accroire que nous prétendons acheter cet avantage au prix de notre liberté. Jamais nous ne perdrons de vue ces sentimens que nous avons toujours eus, touchant la liberté & les droits de l'Irlande, & l'on nous verra toujours fermes dans la résolution de les défendre.

Nous ne reconnoissons d'autre autorité sur la terre que celle du roi, & des deux chambres du parlement d'Irlande ; c'est abuser des mots que de parler d'un commerce libre, sans liberté[p.143]civile :& peut-on appeler libre un peuple qui reçoit la loi d'une autre nation ? pour être libres, nous ne croyons pas devoir nous soumettre à d'autres loix, qu'à celles auxquelles nous avons donné notre consentement. C'est sur ce fondement qu'est appuyée l'union de la Grande-Bretagne & de l'Irlande ;& c'est sur ce principe, que nous nous flattons de le voir durer à jamais.

Tels sont nos sentimens, & nous vous sommons publiquement comme nos représentans, de faire tous vos efforts pour assurer l'indépendance du roi, des pairs, & de la chambre des communes d'Irlande.

Nous croyons aussi qu'il est de nécessité indispensable de faire révoquer la loi de Poyning[4], autant qu'elle donne au roi, & à son conseil un pouvoir inconnu à notre ancienne constitution ;& tendant à anéantir nos droits & nos privilèges.

La conduite qui vous a distingués jusqu'a présent, & qui a amplement justifié notre choix, nous persuade que vous ne manquerez pas de vous conformer à nos intentions.

[p.144]

 

Idée de la Loi Poynings, pour servir à l'intelligence de plusieurs articles concernant l'Irlande. Elle consiste en ce que tout Bill passé au Parlement d'Irlande par la pluralité des voix, & approuvé par le Conseil privé d'Irlande & par le Lord Lieutenant, doit être renvoyé ensuite au Procureur-général du Parlement d'Angleterre, qui peut, à sa volonté, le communiquer au Conseil-privé du Roi, ou le supprimer.

 

Du 26 Février 1780.

Henri VII, qui avoit trouvé le secret de faire trembler l'Angleterre & d'y réduire ses ennemis au silence & dans l'inaction, indigné de voir que presque tous les coups portés à son autorité partoient de l'Irlande, y fit passer sir Edward Poynings avec des troupes qui se trouvèrent insuffisantes pour en imposer aux insurgens, mais ce que ne put effectuer la force, la politique le consomma. Poynings sut venir à bout de s'assurer une majorité au parlement, & y fit passer des loix, au moyen desquelles cette nation remuante se trouvoit enchaînée. La plus remarquable de toutes est celle qui jusqu'à ce jour, a conservé son nom, Poynings lau. Son effet étoit de mettre en vigueur en Irlande toutes [p.145]les loix qui existoient alors en Angleterre, ensorte que depuis cette ancienne époque, l'usage constant de la législation Irlandoise s'est trouvé asservi aux formalités suivantes : Lorsque les clauses d'un bill ont passé par les trois lectures & par les débats qu'elles peuvent occasionner dans les deux chambres du parlement d'Irlande ; en un mot, lorsque le bill est ce qu'on appelle passé avec ou sans amendement il est porté au vice-roi, & communiqué en même tems au conseil-privé d'Irlande ; il semble que cette marche calquée sur celle de la législation britannique, devoit être suffisante : point du tout ; lorsque le conseil-privé d'Irlande, qui représente celui de Saint-James, lorsque le lord lieutenant, qui représente le roi, ont donné leur approbation à un bill passé au parlement à la pluralité des voix ; le bill, conformément aux dispositions de cette Loi-Poyning, est renvoyé au procureur général du parlement d'Angleterre, qui dans la profondeur de sa sagesse, seul décide s'il mérite ou non d'être communiqué au conseil-privé du roi : s'il ne l'approuve pas, il le supprime, & il n'en est plus fait mention. S'il l'approuve, il en fait son rapport, au conseil, qui ne contrarie jamais ses conclusions. S'il juge à propos de le dénaturer par des amendemens, il en est le maître.[p.146]D'après cet exposé, il est évident que jusqu'ici, l'Irlande n'avoit eu un parlement que pour la forme, que les résolutions d'un royaume entier croient soumises à la discrétion d'un seul homme, qui souvent ignorant les motifs & l'utilité de ces résolutions, exposé d'ailleurs aux représentations fausses & aux suggestions de la partialité, de l'intérêt & de l'envie, peut à la fois être le mieux intentionné, & le plus injuste des législateurs.

[p.147]

 

Proposition par M. Denis Daly, d'une Adresse de remercimens par rapport au dernier acte qui assure à l'Irlande un Commerce libre avec les Colonies Angloises de l'Amérique & des Indes Occidentales.

 

Du 1 Mars 1780.

Assuré que le roi a donné son consentement au bill dont il s'agit, & que cet acte n'est pas moins généreux de la part du prince qui l'accorde qu'avantageux & honorable pour les sujets qui en doivent jouir, il conviendroit de présenter à sa majesté une adresse de remerciments. Jamais cette chambre n'a eu une occasion plus importante de s'adresser au souverain depuis la révolution. Je suis bien éloigné de vouloir insinuer le moindre soupçon contre ces corps nombreux & respectables de citoyens en armes. Je connois par expérience leur modération, & ce qu'ils ont fait pour le bien du royaume ; mais c'est une raison de plus de chercher à convaincre la Grande Bretagne, que même les armes à la main, cette nation ainsi que son parlement, n'a rien perdu de sa fidélité & de son attachement. Si nous avons fait voir que nous sommes sensibles à l'injustice,[p.148]montrons maintenant que nous ne le sommes pas moins à la reconnoissance.

Je vote donc une adresse de remerciments à sa majesté, pour l'assurer du plus sincère attachement envers sa personne royale & sa famille, pour exprimer notre reconnoissance des bienfaits reçus, qui, proportionnés aux besoins de ce royaume, ne manqueront pas d'exciter l'amour de sœur que cette nation porte à la Grande-Bretagne ; qu'elle sera toujours prête à défendre, ainsi que les droits de S. M. & la dignité de sa couronne.

 

Projet d'Adresse de remerciment au Roi, proposée à la Chambre des Pairs du Parlement d'Irlande par le Duc de Leinster.

 

Du 2 Mars 1780.

À la très-excellente Majesté du Roi, humble Adresse des Lords spirituels & temporels assemblés en Parlement.

Très-gracieux Souverain,

Nous, les sujets soumis & fidèles de votre majesté, les lords spirituels & temporels assemblés en parlement, supplions très-humblement votre[p.149]majesté de vouloir bien accepter les très-sincères remercimens dûs à l'attention & au zèle infatigable que V. M. a marqués pour le bien être de ce royaume. Nous en reconnoissons les heureux effets d'une manière particulière, dans les mesures salutaires que la sagesse du conseil de V. M., les sentimens nobles du parlement Britannique, & le concours généreux de toute la nation Angloise ont mis en exécution pour notre soulagement.

Que V. M. nous permette de l'assurer que, pénétrés de la reconnoissance la plus vivement sentie, nous sommes convaincus que ces mesures ont apporté un remède proportionné à nos maux, & qu'en nous donnant la preuve la plus complète de l'affection de la Grande-Bretagne, elles tendent à augmenter la confiance & l'harmonie réciproque entre les sujets de vos deux royaumes ; confiance que nous nous ferons toujours un devoir d'entretenir avec le plus grand soin.

Nous supplions qu'il nous soit permis de plus, de protester à V. M. que, pénétrés comme nous le sommes du bien général qui doit résulter de cette confiance, nous ferons tout pour arrêter & confondre les efforts que pourroient faire des gens mal avisés pour exciter dans l'esprit de vos sujets des soupçons mal fondés,[p.150]& distraire leur attention des avantages considérés qu'on leur accorde si généralement pour leur commerce.

 

Réplique du Duc de Leinster, à quelques difficultés que Lord Carysford lui avoit faites au. sujet de la dernière phrase de l'Adresse qu'il avait proposée. Il soutient qu'il n'y a que trop de gens en Irlande qui s'occupent à fomenter parmi le peuple un esprit de faction qu'il importe d'étouffer.

 

Du 2 Mars 1780.

Le noble lord Carysford ne m'a pas bien entendu : je n'ai jamais voulu désigner comme factieux aucun homme en particulier ; j'ai dit, en général, & je le soutiens, qu'il n'y a que trop de gens en Irlande qui s'occupent à fomenter parmi le peuple cet esprit de faction, qu'il est de notre devoir & de celui de tout vrai citoyen d'étouffer avant qu'il fasse de plus dangereux progrès. Jusqu'à présent, par un malheur dont nous nous ressentirons peut-être longtems, nos manufactures étoient dans le plus grand dépérissement ; l'industrie cessoit d'être objet d'importance nationale ; elle reprend[p.151]aujourd'hui toute sa vigueur, tous les ports nous sont ouverts ;& l'oisiveté dont nous avons si long-temps, ressenti les funestes effets, ne peut plus trouver d'excuse. Il est peu de particuliers, j'ose le dire, milords, qui connoissent mieux que moi l'état de ce royaume, & permettez-moi d'ajouter qu'il n'y a personne qui ait plus à cœur le bien de cette nation à laquelle je suis attaché par les liens de l'intérêt & du patriotisme. Lorsque j'étois encore un simple particulier, je représentai la ville de Dublin, dans la chambre des communes ; j'en appelle à la conduite que j'ai toujours tenue, aux peines que je me suis données pour le bien général ; je me suis par-tout montré l'ami de mes compatriotes. Jamais je ne cesserai de l'être. Mais seroit-ce leur marquer mon attachement, que de les tromper ou de souffrir qu'ils soient les victimes des complots formés par des esprits factieux & toujours mécontens ? l'adresse telle que je l'ai proposée, n'exclut en aucune manière les délibérations qui pourront avoir lieu sur les objets du gouvernement intérieur de cette île ; quand il en sera question, on me verra le premier donner les mains à tout ce qui me paroîtra devoir ajouter au bonheur & à la tranquillité de nos compatriotes. Nous ne devons pas moins, dans une circonstance où la reconnoissance[p.152]seule doit parler, témoigner à notre très gracieux Souverain l'horreur que nous inspireront toujours les esprits inquiets & séditieux.

 

Adresse de remercimens de la Chambre des Communes du Parlement d'Irlande au Roi.

 

Du 2 Mars 1780.

À la très-excellente Majesté du Roi,

Très-gracieux Souverain

Nous, les très-soumis & fidèles sujets, membres de la chambre des communes d'Irlande, assemblés en parlement, demandons humblement qu'il nous soit permis d'assurer votre majesté de notre attachement sincère pour votre personne royale & votre gouvernement.

Nous ne pouvons qu'être pénétrés de la plus vive reconnoissance, en voyant avec quel soin V. M. daigne veiller aux intérêts de l'Irlande, & l'heureux changement qu'a produit dans nos affaires nationales la sagesse de vos conseils & la conduite généreuse du parlement Britanique

La joie avec laquelle nous recevons ces bienfaits est d'autant plus vivement sentie, qu'en[p.153]apportant un remède proportionné aux maux qui désoloient ce pays, ils. sont une preuve nouvelle de cet amour de sœur que nous croyons avoir droit d'attendre de la Grande Bretagne, & que nous chercherons toujours à entretenir & à augmenter.

Nous supplions très-humblement V. M. de croire que nous voyons avec le plus grand plaisir les nœuds qui lient les deux royaumes se resserrer de nouveau par la conduite de nos frères d'Angleterre, Permettez-nous aussi d'assurer votre majesté que de notre côté ; nous ne négligerons rien de ce qui pourra entretenir entre les deux royaumes cette union intime, de laquelle dépend absolument leur bonheur & leur prospérité mutuelle.

[p.154]

 

Discours énergique de M. Grattan, à la Chambre des Communes du Parlement d'Irlande tendant à les engager à exiger du Parlement de la Grande-Bretagne un acte déclaratoire des droits & libertés de l'Irlande[5]. Il leur fait remarquer combien est alarmante la. manière dont on vient de leur accorder la liberté du commerce, combien elle annonce de réserves dangereuses.

 

Du 19 Avril 1780.

Jamais la chambre ne s'assembla pour prononcer sur un objet plus important, plus décisif ; il ne s'agit de rien moins que de protester aujourd'hui contre l'usurpation du parlement de la Grande-Bretagne, que de se joindre à moi, & d'élever de concert & nos mains & nos voix contre cette usurpation il s'agit de répondre au cri de trois millions d'habitans qui nous demandent justice ! Dans ce moment solemnel, si le ciel m'eût donné un fils, on me verroit,[p.155]comme le père d'Annibal, le conduire à l'autel pour y faire serment de protéger les droits sacrés du peuple ? Ne nous le dissimulons pas, ce peuple a ses droits ; il a entr'autres celui de nous sommer de les lui conserver, de lui en rendre compte en tout temps ; le cri de plusieurs milliers d'hommes est un cri puissant, c'est la voix du tonnerre, on a beau chercher à ne pas l'entendre, elle frappe l'oreille la plus dure : cette voix vous dit que, quoique l'on ait fait quelque chose pour l'Irlande, il reste encore plus à faire ; que les esprits ne sont pas tranquilles, qu'ils ne sont pas satisfaits : que si quelque chose peut en calmer l'effervescence, c'est la confiance qu'il est naturel de placer en vous, en vous considérant comme les gardiens nés de la liberté qu'ils réclament.

Cette idée consolante fixe sur vous les yeux de la multitude qui vous parle ainsi :« Rappellez la Grande-Bretagne aux notions simples de la justice ; engagez-la, forcez-la à restaurer votre liberté politique, en même-tems qu'elle rétablit la liberté de votre commerce ; dites-lui que la manière dont elle vous dispense cette dernière faveur est alarmante ; que le ministre Britannique, en vous l'annonçant, n'a pas dit qu'il étoit juste, mais seulement qu'il étoit expédient de vous accorder[p.156]certains avantages ! Observez-lui que ce mot, expédient, annonce une réserve inquiétante, qu'il est fatal dans la bouche de la Grande-Bretagne ; que c'est ce mot funeste qui lui a coûté l'Amérique, qui l'a plongée dans des fleuves de sang, dans des abîmes de misères & d'horreur ! Dites-lui enfin avec force que ce mot, expédient, annonce de l'insincérité, des réserves tacites ; que tant que ces réserves exigeront ou seront supposées exister, nous ne pouvons regarder les avantages récents accordés à notre commerce que comme passagers, infiniment précaires ; parce qu'étant fins celle à la disposition de la Grande-Bretagne, elle peut nous les retirer, dès qu'elle le jugera expédient : ajoutez que nous ne pouvons nous regarder dans ce moment-ci que comme des esclaves à qui l'on permet de respirer un moment, mais qui voient encore les fers dont ils étoient chargés dans la main qui les leur a ôtés, & qui paroît toujours prête à les accabler de leur poids » ! En parlant ainsi à la Grande-Bretagne, vous fixerez d'autant plus sûrement son attention que le moment est favorable : Dieu, oui c'est Dieu lui-même qui a créé pour vous ce moment de vous émanciper, vous & votre postérité : ne permettez pas qu'il s'écoule envain : gardez-vous[p.157]sur-tout d'attendre l'époque dangereuse de la paix ; hélas ! ce qui seroit paix pour les autres, seroit guerre pour vous ; la Grande-Bretagne ne croiroit pas en jouir, si elle ne voyoit pas votre île humiliée rentrer dans l'esclavage ! C'est au nom de tout ce qui vous est cher, c'est pour l'honneur de votre patrie, pour l'honneur de la nature humaine ; par le souvenir de tout ce que vous avez souffert, par le sentiment que vous conservez des injustices que vous avez essuyées, par l'amour que vous portez à votre postérité, par la dignité, la noble générosité qui règnent dans des cœurs Irlandois, que je vous supplie de saisir cette occasion fortunée, de marquer ce moment pour celui de votre liberté ! Croyez-moi, la Grande-Bretagne sait parfaitement bien actuellement que la doctrine tendante à établir sa suprématie universelle est une chimère, une absurdité ; des légions d'ennemis l'environnent, la pressent, fondent sur elle de toutes parts : sa suprématie s'éclipse par-tout, la mer n'est plus son domaine, l'honneur de ses conseils est flétri, ainsi que celui de ses armes : elle n'a plus d'armées, elle n'a plus de flottes, point d'amiraux, point de généraux : l'engourdissement de l'indolence caractérise toutes ses mesures ; la division, aigrie par les revers préside à ses conseils : il n'en est pas ainsi parmi[p.158]nous, ce moment est l'aurore de nos beaux jours. Jamais l'Irlande, jamais aucun peuple de la terre ne put se flatter d'avoir un sénat aussi bien composé que le nôtre, un sénat qui ait tant de droits à la confiance du peuple : jamais peuple ne fut mieux disposé à seconder les grandes vues de son sénat. Un feu divin embrase tous les cœurs, un enthousiasme sacré, dont l'antiquité même ne nous fournit point d'exemple ; a converti une multitude languissante en un peuple fier : portez les yeux de l'imagination au-delà de cette enceinte, vous verrez quarante mille hommes sous les armes, fixant les leurs sur vous, attendant dans le silence le résultat des délibérations de ce jour : leur vœu est unanime, ils soupirent tous après la liberté ; la Providence semble leur sourire : oui la main de Dieu est visible, je la vois, c'est elle qui a tout préparé, c'est elle qui va tout consommer ! Lorsqu'elle vous présente l'indépendance & le bonheur, retirerez-vous la vôtre ? refuserez-vous les bienfaits de la Providence ? J'ai dit que ce moment préparé par elle étoit décisif, je dois ajouter qu'il est pressant : ce qui s'est passe hier suffit pour vous en convaincre. Hier on a demandé aux serviteurs de la couronne, si une armée de quinze mille Irlandois devoit être assujettie en Irlande aux loix de l'Angleterre ? [p.159]Ils ont répondu, oui ! C'est à ce point d'audace que votre indiscrétion les a portés : vous avez donné des marques de joie immodérée, en obtenant la révocation de quelques loix iniques qui vous opprimoient, ils vous ont cru pleinement satisfaits, ou ils ont feint de le croire : vos réjouissances anticipées ont trahi les plus beaux de vos droits ! vous avez cru un instant avoir tout obtenu, & vous n'avez rien obtenu ; car la liberté, l'âme du commerce, sans laquelle il n'existe point de commerce, vous manquoit & vous manque encore : les mains de l'illusion ont élevé à vos yeux un édifice qui ne porte sur aucun fondement : en un mot, votre situation est étrange, vous avez un commerce sans liberté, & un sénat sans parlement ! Y a-t-il là matière à réjouissances ? Il est temps que le prestige cesse, il est temps que vous obteniez une déclaration positive de vos droits ; il est temps que vous sentiez que trois millions d'hommes, formant un corps de société séparé, ont à la liberté politique des droits aussi sacrés que ceux du peuple Anglois : ces trois millions d'hommes vous demandent cette liberté par ma voix ; ils la demandent avec confiance, parce qu'ils respectent leur parlement, parce qu'ils le regardent comme aussi vénérable que celui qui passa le bill, qui établit les droits du peuple Anglois ; [p.160]enfin, comme composé d'hommes dont Rome se fût honorée, lorsque Rome faisoit honneur à. la nature humaine.

Il est possible que les ennemis de l'Irlande traitent les nobles efforts du peuple, d'attentats de la populace ; mais je demande si les pétitions de dix-huit ou dix-neuf comtes sont la voix de la populace ou du peuple ; je demande si vous connoissez d'autres constituans que le peuple, si vous devez obéir à d'autres voix ? Mais dira-t-on. si l'Angleterre s'obstine, si… écartons de vaines terreurs, l'Angleterre peut être obstinée, mais elle n'a pas le don de se multiplier. Fera-t-elle la guerre à dix-huit millions de François, dix-huit millions d'Espagnols, trois millions d'Américains, trois millions d'Irlandois ? qu'a-t-elle à opposer à tout cela ? dix millions d'hommes courbés sous le poids de deux cents millions sterlings de dettes, un établissement de quatorze millions sterlings en temps de paix, & de vingt-un en temps de guerre. Est-ce avec cette multitude d'entraves qu'elle défiera le genre humain ? Au reste, avez-vous reçu des instructions de la part de vos constituans ? Lorsque vous vous y conformerez, vous pourrez faire fond sur leur appui : déjà vos juges & vos commissaires ont donné l'exemple, ils ont refusé de se conformer[p.161]aux loix Angloises : votre conduite sera-t-elle une censure de la leur ? Déjà dix-huit comtés ont déclaré qu'ils méconnoissoient ces loix : il y a plus ; c'est en se conformant aux instructions du peuple que ce côté de la chambre (l'opposition) s'est opposé à ce qu'aucun bill pécuniaire fût passé avant que nous eussions obtenu un acte déclaratoire. Trahirez-vous les intérêts du peuple ? lui désobéirez-vous directement, ouvertement ? le pourrez-vous impunément ? Mais, vous dira-t-on encore, vous choisissez pour offenser la Grande-Bretagne, le moment où elle vous donne des preuves de sa bienveillance, vous êtes des ingrats ; des ingrats ? oh ! je ne connois point de reconnoissance qui m'impose le joug de l'esclavage ; vous êtes insatiables, vous demandez sans cesse : nous demandons ? quoi ? la restitution de ce qu'on nous a pris ; le premier, le plus cher, le plus sacré de nos droits : celui du roi à la couronne n'est pas plus sacré que celui que nous avons à la liberté ; c'est à cette liberté qu'il s'agit aujourd'hui d'élever un temple en Irlande, où bien vous en élèverez un à l'infamie : craignez les réflexions, les remords, les regrets impuissans de la vieillesse ; redoutez les malédictions de vos enfans, qu'elles ne vous accompagnent pas dans la tombe ; que l'on ne dise pas d'âge[p.162]en âge, de génération en génération :« En 1780 le parlement d'Irlande fut acheté par un ministère banqueroutier, des deniers d'un trésor vuide, il s'est fait un dieu de l'intérêt & a fléchi le genou devant l'idole de la corruption ». Cette perspective fait frémir ! encore une fois, au nom de la Providence qui vous en présente l'occasion, au nom de l'affection que vous devez à votre postérité, au nom de tout ce qui constitue le bien-être, la prospérité d'un peuple, établissez, constatez les droits, les libertés de votre pays ; si je suis si pressant ; si je vous parle avec tant d'émotion, tant de chaleur, assurément je n'ai d'autre intérêt en vue que le vôtre, que celui de votre pays : tout ce que je demande pour moi, des faveurs que les hommes dispensent, c'est de respirer en commun avec tous mes concitoyens l'air pur qu'on ne respire que sur une terre de liberté : ma poitrine sera oppressée & la vie un fardeau bien pesant, tant que je verrai aux pieds de nos paysans un chaînon de la chaîne Britannique.

[p.163]

 

Discours de M. Bushe contre la motion de M. Grattan. Il prétend quelle n'est propre qu'à irriter & aliéner la Grande-Bretagne ; qu'on ne doit pas s'inquiéter des prétentions de ce Royaume à la suprématie ; s'il se borne à la possession du titre qu'enfin une pareille ingratitude, dans le moment où l'Irlande vient d'obtenir des avantages de la Grande-Bretagne ; pourrait amener un châtiment terrible.

 

Du 19 Avril 1780.

Il s'agit dans ce moment de décider la question politique la plus importante qui ait jamais été agitée dans ce royaume : les siècles auront beau se succéder, jamais le souvenir de ce qui va être arrêté dans cette chambre n'échappera à la postérité : notre situation est aussi délicate que décisive ; nous allons, ou nous assurer l'affection d'une contrée que nous appellons notre sœur, ou l'aliéner, en limitant sa puissance. La motion de mon honorable ami ne remplit aucune de ces fins, & c'est avec douleur que je me vois dans la nécessité de me déclarer contre elle : quel est notre objet ? d'obtenir de la Grande-Bretagne des avantages, & d'empêcher qu'elle ne nous nuise ; la motion[p.164]remplit-elle l'un ou l'autre de ces objets ? Non ; c'est tout le contraire, elle tend à empêcher que nous ne recevions les avantages que nous désirons de la Grande-Bretagne, à lui faire naître l'intention de nous nuire : nous n'avons déjà que trop fait pour alarmer ce royaume, qui n'a remarqué quelqu'importance dans la loi Poyning qu'au moment où il s'est apperçu que nous nous obstinions à en obtenir la révocation. Que nous importent ses prétentions à la suprématie, si elle se borne à la possession du titre & renonce en effet à le faire valoir ? Je sais parfaitement bien que ce titre est à notre égard à peu près comme celui qu'elle prend à l'égard de la couronne de France, & que la couronne de France prend à l'égard de la couronne de Navarre ; mais encore une fois de quelle conséquence sont de pareilles prétentions, si jamais on ne cherche à les faire valoir ? Vous me demanderez qui nous répondra de sa modération à cet égard ? Qui nous en répondra ? Son intérêt, sa conduite envers nous ? en mettant seize mille fusils entre nos mains, le gouvernement ne nous a-t-il pas donné une preuve convaincante de la sincérité de ses dispositions ? Lorsque le corps de la nation a bien voulu nous sacrifier en partie les intérêts de son commerce, n'a-t-il pas agi comme un frère sensible agit avec sa sœur ? En un mot, l'Angleterre aura[p.165]dans tous les cas à se dire que nous sommes des ingrats, parce qu'il n'est pas en notre pouvoir de lui persuader qu'elle n'a rien fait pour nous. Du moment où elle nous soupçonnera d'ingratitude, certainement elle ne nous accordera pas les avantages que nous en attendons ; il reste à voir si ceci n'est qu'une affaire de privation, & s'il n'y a pas un danger imminent inséparablement attaché à la mesure proposée. En supposant que l'Angleterre, plongée dans les embarras de toute espèce, dissimulât pour le moment son juste ressentiment, il faut que le moment de la paix arrive… Eh ! que deviendrez-vous si une sœur irritée, avant de poser bas les armes devenues inutiles dans ses mains, les tournoit un instant contre vous ! Je frémis… !

[p.166]

 

Réplique de M. Corry à ce dernier Discours. II borne la question actuelle à ces termes : Le Parlement d'Irlande sera-t-il gouverné par un Conseil privé ?& il demande que le Parlement cite ce conseil à son tribunal.

 

Du 19 Avril 1780.

Il est inconcevable que la question actuelle puisse être un objet de discussion, elle se borne à ceci : le parlement d'Irlande sera-t-il gouverné par un conseil privé ? À quoi bon laisser subsister un parlement qui n'a pas le pouvoir de présenter des bills ? Est-ce donc là l'esprit de la constitution ?Non, c'est l'effet d'une usurpation visible ;& comme l'usurpateur est le conseil-privé, pour restaurer enfin la constitution il est un parti seul à prendre : que le parlement cite le conseil-privé à son tribunal ! Que le ministre à la tête de sa phalange ne vous intimide pas ! ce n'est pas à sa voix, c'est à celle du peuple que vous devez obéir : que la vertu publique conduise ici en triomphe la liberté publique ! Que chacun de nous se mette en œuvre, prépare une pierre & travaille aux fondemens sacrés du temple qu'un peuple généreux doit élever à la liberté.

[p.167]

 

Discours de M. Yelverton dans la Chambre des Communes d'Irlande, contre les nouveaux droits qu'on alloit imposer inconsidérément & à la hâte sur les sucres importés d'Angleterre ; dans un moment où l'on venoit de favoriser ce commerce, en l'ouvrant dans les Indes Occidentales.

 

Du 15 Mai 1780.

Si l'on persiste dans la résolution prise si inconsidérément & avec tant de précipitation, on vote de gaité de cœur quatre cent mille liv. sterlings à l'Irlande, on anéantit tous les avantages que l'on avoit pu se promettre de cette concession si vantée, en vertu de laquelle l'Irlande croyoit le commerce des Indes occidentales ouvert pour elle. Ce n'est pas tout, non-seulement nous n'avons rien à attendre du commerce des sucres, mais la même résolution anéantit pour nous celui des laines ; car enfin, où pouvons-nous vendre avec plus d'avantage le produit de nos manufactures de laines ? dans les Colonies. Que recevrons-nous en échange des marchandises que nous leur porterons ? des sucres bruts. Que ferons-nous de ces sucres, si nous ne pouvons pas les vendre à un prix inférieur[p.168]à celui des sucres d'Angleterre ? nous les garderons ! Ceux des membres qui ont voté hier en faveur de cette résolution, ne se lasseront pas sans doute de répéter avec emphase à leurs constituans qu'ils ont obtenu pour eux un commerce libre : mais ils se garderont bien d'ajouter :nous avons perdu en une seule séance tous les avantages que vous deviez raisonnablement attendre de cette liberté de commerce. C'est cependant ce qu'ils doivent leur dire, s'ils ont le moindre respect pour la vérité : le fait est, messieurs, que vous avez détruit hier ce que non-seulement l'Angleterre, mais ce que la Providence, ce que Dieu même avoient fait pour nous ; Si vous persévérez dans cette résolution funeste, vous n'avez qu'un parti à prendre pour sauver ce royaume : Allez à Londres, jettez-vous aux pieds de vos bienfaiteurs, & suppliez-les de reprendre ce qu'ils vous ont donné. Au reste, je dois vous avertir d'une chose ;& j'invite l'administration à donner l'attention la plus sérieuse à cet avis ; je sais par le canal des personnes les plus respectables, que si vous ne revenez point sur vos pas, si vous persistez à soutenir cette mesure régnicide, le peuple prendra le parti désespéré, mais juste, de prohiber toute espèce d'importation des fabriques angloises ! que l'administration y regarde à deux fois,[p.169]& qu'elle n'attende pas pour se raviser qu'il soit trop tard : déjà le peuple est dans un état de fermentation : que l'on y prenne garde, je parle ouvertement ; c'est au nom de ce peuple que ma voix se fait entendre, & je déclare qu'il aura plus que ma voix pour appui ; il aura tout mon être, toutes mes facultés : si vous vous obstinez à passer des bills inconsidérés, à la tête du peuple, j'en appellerai à la nécessité que vous nous aurez imposée pour loi & pour règle de notre conduite. Je ne vous dissimule pas qu'en me rendant ici, j'ai reçu une pétition de la part de la plus éminente corporation de Dublin, celle des fabriquants d'étoffes : je vous la communiquerai, vous verrez en quels termes ils s'expliquent.

[p.170]

 

Discours de sir Samuel Bradsteet, dans la Chambre des Communes d'Irlande au sujet d'une Adresse présentée, quelques jours auparavant au Lord Lieutenant, à l'effet de poursuivre les Auteurs & Imprimeurs de libelles, & des résolutions prises par le corps des volontaires de Dublin. Il voudroit qu'on se contentât de mépriser les premiers. Quant aux volontaires, il les défend de l'accusation de sédition, & il fait valoir les services importans qu'ils ont récemment rendus à la ville de Dublin.

 

Du 28 Août 1780.

Dans la dernière séance on a pris des résolutions dont les suites peuvent être de la plus sérieuse importance. Vous ne voyez en moi ni un suppôt de la sédition, ni un avocat des libelles : l'une me fait horreur, l'autre m'inspire du mépris ; j'ai souvent été en butte à ces attaques diffamatoires, & je n'ai opposé à ces traits impuissans de la malignité que le silence du mépris. Je crois que si, en cela, j'ai mérité l'approbation des honnêtes gens, ce qui fait honneur à un particulier, ne peut être au-dessous de la dignité du parlement ; si les ré[p.171]solutions dont il s'agit ont été prises inconsidérément, celles auxquelles elles ont donné lieu, ne peuvent paroître que précipitées, & peu compatibles avec la sagesse qui caractérise ordinairement les délibérations de la chambre.

Je crois que notre premier devoir étoit d'établir quelque distinction entre le plan formé d'exciter une sédition, & des résolutions imprudentes prises inconsidérément & à la hâte, par des jeunes gens, qui ont porté trop loin dans ce moment le zèle qui les anime pour leur patrie : ces jeunes imprudents font partie de nos volontaires, & l'Irlande n'oubliera jamais que nos volontaires sont la gloire de la génération actuelle, ainsi que la terreur de nos ennemis : pourquoi n'a-t-on rien tenté contre ce royaume ? parce qu'il étoit uni pour sa défense : pourquoi a-t-on médité des descentes contre l'Angleterre ? c'est qu'elle étoit divisée par l'esprit de faction : seroit-il sage de porter atteinte à cette unanimité, principe de notre sécurité ? ne seroit-il pas d'ailleurs de la plus coupable ingratitude d'oublier ce que les volontaires de Dublin ont récemment fait pour cette chambre, même lorsqu'elle étoit investie par des séditieux, lorsque ses délibérations étoient interrompues & ses membres insultés. Au lieu de prendre des résolutions si sévères, j'en proposerois[p.172]de bien différentes, infiniment plus naturelles, plus justes : Je voudrois que la chambre constatât par ses résolutions, que la conduite des volontaires d'Irlande mérite en général l'approbation publique : que les résolutions prises par les volontaires de Dublin, sont l'effet d'un zèle inconsidéré, mais dont l'objet étoit louable, parce qu'il avoit rapport à la liberté du commerce, au soutien de la constitution ;& enfin qu'il soit présenté une humble adresse au lord-lieutenant, pour le prier d'ordonner la cessation de toutes poursuites contre lesdits volontaires.

Ces motions donnèrent lieu à quelques débats, & finirent par être rejettées ; en sorte que les résolutions du 21 subsistèrent dans toute leur force contre les volontaires.

[p.173]

 

Humble Adresse de remercimens des Lords spirituels & temporels assemblés en Parlement, à Son Excellence John, Comte de Buckinghamshire ; Lord Lieutenant général, & Gouverneur général de l'Irlande ; à la fin de la session. Ils le remercient des grands avantages nationaux & de commerce que l'Irlande vient d'acquérir par sa médiation.

 

Du 31 Août 1780.

Plaise à Votre Excellence,

Nous, les très-soumis & loyaux sujets de S. M. les lords spirituels & temporels assemblés en parlement, demandons la permission de féliciter V. E. à l'approche de la conclusion de la session actuelle du parlement ; session qui, à jamais mémorable dans les annales de ce pays, à raison des grands avantages nationaux & de commerce que nous avons récemment acquis, transmettra à la postérité, le souvenir de l'administration de V. E. comme étant l'époque la plus heureuse que cette nation ait jamais connue.

Nous ne pouvons réfléchir sur l'état de détresse[p.174]dans lequel nous nous trouvions récemment par rapport à notre commerce & à nos manufactures, & sur le changement heureux survenu depuis que V. E. est devenue notre gouverneur en chef, & particulièrement depuis le commencement de cette session du parlement, sans être intimement pénétrés de la bonté de S. M., & remplis des sentimens les plus vifs de respect & de reconnoissance envers V. E. qui, par la justice de ses représentations, par les efforts de la bienveillance, par les sollicitations les plus pressantes, a considérablement contribué à écarter de nous les difficultés & à remplir dans toute leur étendue nos désirs & nos vœux les plus ardents ; conduite qui a rendu pour jamais V. E. chère à l'Irlande.

Nous devons assurer que nous avons à V. E. les obligations les plus grandes, & nous la supplions de vouloir bien agréer nos remercimens dictés par la reconnoissance la plus vive.

Ainsi pénétrés du mérite de V. E. & des obligations que nous vous avons, sachant par l'expérience combien vous êtes capable de cimenter notre bonheur, & disposé à le faire, nous ne pouvons qu'espérer la satisfaction de voir continuer l'administration de V. E. ;& le cœur rempli de reconnoissance, nous désirons qu'elle puisse être dans la suite aussi agréable,[p.175]aussi honorable pour vous, qu'elle a été jusqu'à présent fortunée & avantageuse pour ce royaume.

 

Réponse de Son Excellence à l'Adresse de la Chambre des Pairs.

 

Du 31 Août 1780.

Milords,

Exprimer les sentimens dont m'affecte votre indulgente bonté, est un devoir agréable, mais embarrassant.

En conduisant les affaires difficiles de ce royaume, mon zèle pour votre bien-être, l'attention infatigable que j'ai donnée à vos intérêts, ont suppléé à quelques égards au défaut de ces talens supérieurs que demandoient plus particulièrement des tems pareils à ceux-ci.

Je me flatte que vous devez être persuadés que ma sollicitude affectueuse pour le bien-être de l'Irlande, ne recevra jamais la moindre altération, & que le développement entier des efforts dont je suis capable, n'éprouvera en aucune circonstance, le moindre ralentissement, lorsqu'ils pourront contribuer en quelque chose à la prospérité de ce royaume.

[p.176]

 

Autre Réponse de Son Excellence à l'Adresse de remercimens de la Chambre des Communes,

 

Du 31 Août 1780.

Messieurs,

L'impuissance où je suis de trouver des termes qui expriment avec une énergie suffisante la satisfaction dont m'affectent ces assurances très-flatteuses de votre approbation, m'embarrasse, & répand quelque nuage sur le plaisir de ce moment : faites-moi cependant la justice de croire que ma reconnoissance égale au moins la bienveillance que vous me témoignez, & que, dans toutes les situations, mes services les plus empressés seront dévoués aux intérêts essentiels de l'Irlande.

[p.177]

 

Discours de Son Excellence le Lord Lieutenant général & Gouverneur général d'Irlande, dans la Chambre des Pairs, avant d'y proroger les deux Chambres. Il les remercie au nom du Roi des subsides généreux qu'ils viennent d'accorder à Sa Majesté. Il les félicite de la prospérité dont va jouir le Royaume par la liberté du Commerce débarrassé de toutes ses restrictions. Il invite les Représentans de chaque comté à inspirer à toutes les classes de citoyens, cet esprit d'industrie, sans lequel les réglemens les plus sages relatifs au commerce, deviendroient inutiles.

 

Du 2 Septembre 1780.

Milords et Messieurs,

Je m'estime heureux de pouvoir enfin vous féliciter sur la conclusion de cette session du parlement, quoique l'importance des mesures qui faisoient l'objet de vos délibérations ait nécessairement dû rendre sa durée moins fatiguante pour vous. Si une longue absence de vos comtés respectifs a produit quelques inconvéniens, ils sont pleinement compensés par des avantages solides & permanents, heureux fruits de vos travaux.

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Messieurs de la Chambre des Communes,

Je vous remercie au nom de S. M. des subsides généreux que vous lui avez accordés : l'empressement avec lequel vous les avez donnés, & l'attention avec laquelle vous avez consulté l'aisance des sujets dans la manière de les lever, ne peuvent être que très-agréables aux yeux de S. M. ; quant à moi, je vous assure qu'en ce qui me concerne, ces subsides seront fidèlement appliqués à leurs objets.

Milords et Messieurs,

La satisfaction que doit éprouver le cœur de tout Irlandois en jettant les yeux sur la perspective de prospérité qui sourit actuellement à ce royaume peut égaler, non pas surpasser la satisfaction intérieure que j'éprouve en particulier.

Lorsque vous applaudissez à la conduite que la Grande-Bretagne a tenue, en débarrassant le commerce de ce royaume de ses restrictions, vous ne pouvez que rendre un témoignage particulier aux démonstrations non équivoques de l'affection sincère qu'elle marque pour vous, en vous accordant généreusement un plan de[p.179]commerce immédiat, libre, & égal avec les colonies.

Les loix sages & salutaires que vous avez passées, vous conduisent à la plus avantageuse jouissance de ce commerce ; lorsque je réfléchis sur ces grands objets, sur l'attention digne d'éloges que vous avez donnée au commerce, à l'agriculture & aux manufactures de ce royaume ; attention manifestée avec tant d'éclat par les loix que vous avez passées pour accorder de fortes primes à l'exportation de vos grains, de vos toiles, particulièrement des toiles à faire des voiles ; à l'encouragement de la culture du chanvre & de la graine de lin, & par les réglemens que vous avez introduits dans vos manufactures. Je goûte une satisfaction infinie, en voyant que le commerce de ce royaume a été établi & étendu sur une base solide & durable, & que dans le cours de sa prospérité, les générations futures de l'Irlande, regarderont avec les yeux de la reconnoissance, & les travaux du parlement, & l'indulgence de sa majesté.

Lorsque vous serez de retour dans vos comtés respectifs, votre jugement & votre discrétion vous feront sentir combien il est convenable que vous pénétriez les esprits de toutes les classes de citoyens du sentiment des bénédictions[p.180]diverses, attachées à leur situation actuelle : démontrez-leur que toutes les sources effectives des richesses que procure le commerce, leur sont actuellement ouvertes ; invitez-les à la pratique de cette industrie sans laquelle les réglemens les plus sages, relatifs au commerce, sont absolument nuls, & les bienfaits de la nature sont prodigués en vain : favorisez cet esprit d'industrie parmi eux ; convainquez-les des avantages essentiels qu'ils tirent de leur libre & excellente constitution, dont la conservation dans toutes ses branches, dans toute sa vigueur, toute son autorité peut seule assurer leurs libertés & leur bonheur.

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Treizième section. Émeutes.

 

Discours du Duc de Grafton, dans lequel il dénonce à la Chambre une émeute élevée à bord du vaisseau la Défiance ; ses suites funestes à l'égard de la flotte : Il prend de là occasion d'inculper le premier Lord de l'Amirauté ; comme l'auteur de tous ces maux.

 

Du 13 Mai 1779.

Quoique le fait en lui-même ne soit pas de nature à inculper seul & immédiatement la conduite du premier lord de l'amirauté, il est propre à prouver collatéralement que la motion qui a été récemment faite par un noble comte, à l'effet de l'écarter des conseils de sa majesté, étoit sage & nécessaire : que si cette motion ne renaît pas au parlement avec efficacité, il n'y a plus de subordination, plus de discipline à espérer parmi les gens de mer ; que par conséquent dans ces momens critiques ce seroit en vain que l'on continueroit de regarder la marine comme le boulevard de la nation : nous voici parvenus à la[p.182]mi-mai ; nos flottes, notre unique espoir, ne peuvent être regardées comme capables de faire face à celles de la France, peut-être aux forces réunies de la maison de Bourbon, qu'autant que l'union & la cordialité régneront parmi les officiers, & généralement tout ce qui compose les équipages : ce n'est que de cette cordialité & de cette union que l'on peut se promettre les efforts qui, seuls, seront capables de repousser & de vaincre les ennemis de la Grande-Bretagne.

L'émeute que je dénonce ici à la chambre est d'autant plus alarmante, que l'esprit de mutinerie n'est pas confiné à bord de la Défiance : ce poison infecte plus ou moins la flotte entière ; on l'a répandu à bord de chaque vaisseau ; la gradation de ses ravages doit être pour nous un objet de terreur : il résulte du moins du simple exposé du fait, que le noble lord qui préside actuellement au bureau de l'amirauté, n'est pas propre à remplir les fonctions de sa place ; que si cette place étoit, comme elle le devroit être, entre les mains d'un homme de mer, l'esprit dangereux de mutinerie qui perd notre marine ne se fût jamais manifesté, parce qu'un homme de mer eût su en étouffer le germe.

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Réplique du Ministre de la Marine à cette inculpation. Il l'attribue à la haine persécutrice de l'opposition à son égard. Il croit d'ailleurs que le Duc de Grafton confond dans son récit deux incidents à peu-près de la même nature. Il rappelle la mutinerie de l'équipage du vaisseau de sir Robert Harland qui eut lieu l'année dernière, & il soupçonne que l'on attribue mal à propos à l'événement actuel quelques circonstances de cette ancienne mutinerie. Il pense que c'est aux officiers de la flotte, & non pas au Parlement qu'il appartient d'étouffer ces sortes de révoltes.

 

Du 13 Mai 1779.

J'avouerai que je ne m'attendois pas à être pris encore à partie pour un fait auquel je puis avoir si peu de part. Je sais qu'il s'est effectivement élevé une émeute à bord de la Défiance ; mais comment peut-on m'en rendre responsable ? c'est ce qui me passe. Je vois parfaitement bien que le parti pris par l'opposition est de me harceler sans relâche, la veille, le jour, le lendemain, de jour en jour, & de ne jamais renoncer à la poursuite ; mais, tout harassé que je suis à la suite de tant d'attaques, je le répète encore, je[p.184]puise chaque jour de nouvelles forces dans l'innocence de mes vues, dans la droiture de ma conduite. On a suffisamment vu que je ne me refuse à rien de ce qui peut tendre à donner des éclaircissemens sur les moindres actions de ma vie publique ; si l'on croit que le nouvel incident fournisse encore la matière d'une enquête, on me trouvera toujours prêt à répondre à toutes les accusations que la malignité de parti, que la violence de la faction oseront controuver ; en attendant que l'on controuve encore, j'observerai à l'égard de l'accusation du jour, que le noble duc a vraisemblablement confondu dans son récit deux incidens à-peu-près de la même nature, & qu'il en a fait un seul : je me rappelle que l'année dernière l'équipage du vaisseau de sir Robert Harland se mutina & pointa contre ses officiers deux canons de 36 livres de balle ; mais dans la lettre d'avis qu'a reçue l'amirauté relativement à la Défiance, il n'est pas question de 36 livres de balle, pas même de canon ; elle porte en substance que, par des raisons qu'il est difficile d'imaginer, une partie de l'équipage avoit conçu des préventions contre son capitaine ; qu'en conséquence elle avoit déclaré qu'elle ne serviroit pas, si on ne lui donnoit pas un autre commandant ; que l'amiral Arbuthnot informé de ce qui se passoit, s'étoit rendu lui-même à bord de la[p.185]Défiance, avoit fait des remontrances aux mutins, les avoit désabusés sur le compte de leur capitaine, & les avoit renvoyés aux départemens divers de leur service pénétrés de regrets, &c. Cette révolte n'a donc eu aucune suite, & le public n'en auroit point eu connoissance, si le noble duc eût senti comme moi avec combien de circonspection il faut traiter ces sortes de matières, combien il est dangereux de les agiter en public. Les actes de mutinerie doivent être comptés au nombre des accidens inséparables du service ; il y en a eu dans le cours de la dernière guerre & de toutes celles qui l'ont précédée ; c'est aux officiers de la flotte qu'il appartient de les étouffer & de faire des exemples, selon que les circonstances & leur jugement le permettent, ou le défendent ; mais si le parlement se mêle de ces sortes d'affaires, il aura bientôt anéanti la discipline parmi les gens de mer, en leur insinuant, en premier lieu, qu'il est des cas où la révolte est possible ; en second lieu, qu'elle peut être l'objet d'une discussion parlementaire.

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Réplique du Duc de Grafton au Ministre de la Marine. Il soutient qu'il n'a point confondu les faits, & il le prouve par la lecture d'une lettre contenant tous les détails de l'émeute élevée à bord de la Défiance.

 

Du 13 Mai 1779.

Je n'ai pas confondu les objets, & j'ai pour garant de la vérité des faits que j'avance, une lettre d'un capitaine commandant actuellement un vaisseau qui fait partie de l'escadre de l'amiral Arbuthnot : je n'en ai cité qu'une partie. Voici ce qui reste à connoître, indépendamment de la circonstance des deux canons, des mèches allumées, &c. « Il y a deux jours que la révolte continue (la lettre étoit datée du 9 mai), & que l'équipage proteste que si on ne lui donne pas un autre capitaine, il mettra le vaisseau au pouvoir de la France : ces gens ont eu la témérité de crier aux troupes de la marine qu'ils les défioient de faire feu ; le plus ancien capitaine (non pas l'amiral Arbuthnot) s'est rendu à bord de la Défiance ; sa présence n'a rien opéré ; il s'est porté ensuite à bord de l'amiral Arbuthnot, qui, sur son rapport, a fait signal pour que tous les capitaines se rendissent près[p.187]de lui ; il paroît que ce signal a intimidé les mutins, puisque le capitaine Jacobs vient d'écrire à l'amiral, qu'à l'exception de vingt hommes, l'équipage s'étoit rendu à son devoir, ensorte que nous espérons que la révolte sera bientôt étouffée ».

 

Discours du Comte de Bristol ; dans lequel il prend occasion de la circonstance pour justifier sa dernière motion ; à l'effet d'ôter le département de la Marine au Lord qui préside au Bureau de l'Amirauté.

 

Du 13 Mai 1779.

Je saisirai l'occasion qui se présente de justifier la motion que j'ai récemment faite, aux fins de présenter une adresse à sa majesté, pour qu'il lui plaise d'ôter le département de la marine au noble lord qui préside au bureau de l'amirauté. Tous les jours l'expérience nous prouve que ma motion étoit nécessaire, & que le bien du service exige qu'elle soit mise en exécution. Ce que le noble duc vient d'exposer à la chambre, est de la plus grande importance pour le royaume. Sa grâce m'avoit fait l'honneur de me communiquer la lettre dont elle vient de lire une partie ; j'observerai que le noble duc en a omis un passage[p.188]très essentiel ; l'auteur de la lettre ajoute que l'esprit de mutinerie n'est pas confiné à bord de la Défiance, qu'il domine généralement dans l'escadre de l'amiral Arbuthnot, que tous les équipages en sont plus ou moins infectés ; voilà ce qui rend cette affaire importante, alarmante au suprême degré : le noble comte parle de quelques exemples de mutinerie dans le cours des guerres précédentes, sans doute il en est quelques exemples ; mais quelle différence entre les causes des mutineries passées, & celle de la mutinerie de Torbay ; les unes étoient instantanées, confinées à bord d'un vaisseau ; celle-ci est presque générale, son poison infecte plus ou moins toutes nos flottes, & ne peut que causer des ravages durables ; la raison en est simple, c'est que l'esprit de mécontentement & de jalousie est universel, c'est que la division a été semée dans la marine : en veut-on une nouvelle preuve ? Sir Robert Harland vient de résigner encore le commandement en second de la grande flotte que l'on dit (quoique je n'en croie rien) prête à mettre à la voile : cette résignation est d'une conséquence beaucoup plus sérieuse qu'on ne pense ; elle tend à alarmer le corps entier de la marine, à fortifier l'esprit de mécontentement & de jalousie, non-seulement parmi les officiers, mais parmi toutes les classes[p.189]des gens de mer ; je regarde cet événement comme étant d'une importance si essentielle, que j'attends avec inquiétude que le noble lord qui préside au département de l'amirauté, communique à la chambre les raisons que sir Robert Harland a assignées pour justifier sa conduite ; ce vice-amiral est le troisième officier distingué que l'on a forcé de quitter le service, dans un tems où les talens de ces grands hommes étoient le plus nécessaires à leur pays.

 

Extrait du Discours du Lord Chancelier, dans lequel s'opposant à cet esprit d'inquisition qui caractérise la session actuelle, présente à la Chambre quelques argumens spécieux en forme de questions.

 

Du 13 Mai 1779.

Est-il quelqu'un de vous, Milords, qui, regardant au parlement ou ailleurs l'esprit de parti & de faction comme une chose naturelle, imagine qu'il pourroit également s'emparer sans danger du corps de la marine ou des troupes de terre ? est-il quelqu'un de vous qui ne frémisse pas, au contraire, en considérant que ce malheur est possible, pour peu qu'on y donne lieu ? Or je demande à quoi peut tendre la motion actuelle ;[p.190]& dans le cas où elle passeroit, quels en seroient les effets les plus naturels & les moins dangereux ? Ne tendroit-t-elle pas plus ou moins à faire entendre aux officiers mécontens, que du moment où ils résigneroient, le parlement prendroit connoissance des motifs de leur résignation ? Ne seroit-ce pas encourager la classe particulière de ces hommes toujours prêts à fomenter l'esprit de mécontentement & de mutinerie, en leur faisant espérer qu'ils trouveroient de l'appui dans un des partis du parlement, en les provoquant ainsi à redoubler les attaques dont, par diverses raisons, il est de leur intérêt de harasser les hommes en place ?

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Discours du Lord Président du Conseil, contre une insurrection de la plus vile populace, au nombre d'environ quarante mille furieux, qui à main armée, vouloient commander les suffrages du Parlement ; ayant à leur tête pour Président de leur Association Protestante Lord George Gordon.

 

Du 3 Juin 1780.

Je prie les pairs de donner toute leur attention à l'indignité avec laquelle cette chambre a été traitée, dans la personne de quelques-uns de ses membres, par la populace tumultueusement assemblée le jour précédent dans les rues de Westminster ; non-seulement empêchant quelques-uns des pairs de se rendre au parlement, mais en forçant plusieurs à la désagréable nécessité de se soustraire par la suite à la fureur de cette canaille. Parmi ceux des nobles pairs qui ont été traités avec le plus d'inhumanité, vos seigneuries ont été témoins du danger qu'a couru un prélat respectable (l'évêque de Lincoln) ; après avoir détaché une des roues de derrière de sa voiture, la populace l'eût sacrifié, s'il ne se fût échappé, par le plus grand bonheur, dans une maison[p.192]voisine, dont le propriétaire lui fournit le moyen de s'évader, tandis que trente de ces furieux furent députés par le reste de leurs compagnons pour faire les plus exactes perquisitions, & sans doute pour ôter la vie à ce prélat, si on eût pu le trouver dans cette retraite ! Peut-on attribuer ces excès à un zèle religieux ? Si l'on n'en eût voulu qu'à la religion romaine, l'évêque de Lincoln pouvoit-il être un objet de ressentiment ? Non, sans doute ; ces forcenés, sous ce prétexte spécieux, portoient aux loix & à nos privilèges l'atteinte la plus cruelle & la plus marquée. Avant donc que cette chambre s'occupe d'aucun autre objet, il nous importe d'aviser aux moyens de faire punir les personnes qui ont causé l'émeute, & ceux qui se sont rendus les plus coupables dans cette affaire. Quelle que soit l'indignation que m'inspire leur conduite envers nous, je la sens augmenter par la suite de leurs procédés. Non contens d'avoir insulté les deux chambres du parlement, & de leur avoir fait la loi, ils ont poussé la témérité jusqu'à violer le droit des gens dans la personne de deux ministres étrangers, dont ils ont brûlé & détruit les chapelles. Que dira l'Europe ? que pensera l'univers entier d'un gouvernement trop foible pour pouvoir mettre les ambassadeurs des princes étrangers à l'abri de pareilles insultes, qui n'ayant pu les prévoir ou[p.193]les empêcher, ne chercheroit point à en punir les auteurs ? quelle idée se formeroit-on de nous, Milords, si nous passions sous silence des abus aussi crians, si l'on voyoit les coupables jouir de leurs attentats avec impunité ? n'en conclueroit-on pas que les ministres des cours étrangères ne sauroient être en sûreté dans cette île, & qu'il n'est pas au pouvoir du gouvernement de protéger leurs personnes, & de les maintenir dans la possession tranquille de ce qui leur appartient ? Je ne dois pas vous dissimuler, Milords, que l'on dit hautement, & nous n'avons que trop de raisons de le croire, que la populace est disposée à se porter à de nouveaux excès. C'est ce qu'il faut empêcher, & j'ose espérer que le gouvernement, en ayant reçu avis à tems, ne négligera rien pour les prévenir. En attendant, qu'il me soit permis de proposer la motion suivante :

« Que cette chambre présente une très-humble adresse à sa majesté, la suppliant de donner les ordres nécessaires pour instruire les procès des auteurs & des complices des outrages qui se sont commis hier (vendredi 2) dans le Guidhall de Westminster & les lieux adjacens, ainsi que dans les maisons & chapelles des ministres étrangers ».

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Proclamation de Sa Majesté, par laquelle elle assujettit à la Loi Martiale[6] tous les habitans de Londres & de Westminster, & enjoint à ses Officiers d'employer toutes les forces qu'ils commandent pour arrêter ces désordres multipliés.

 

Du 7 Juin 1780.

George Roi,

Attendu que des bandes de misérables, sans aveu, se sont assemblés tumultueusement, ont commis plusieurs actes de trahison & de rébellion,[p.195]ont attaqué la prison de Newgate, en ont enfoncé les portes, mis les criminels & autres prisonniers en liberté, & réduit ladite prison en cendres ; attendu que l'on continue de démolir plusieurs maisons particulières, que les rues sont pleines de feux allumés pour y consumer les meubles desdites maisons dans les villes de Londres, de Westminster & dépendances d'icelles, il est devenu absolument indispensable d'avoir recours aux moyens les plus prompts & les plus efficaces d'appaiser ces troubles, défendre la vie & les biens des particuliers, & rétablir la paix & la tranquillité. En conséquence ayant sérieusement considéré ces objets importans, nous nous sommes déterminés, de l'avis de notre conseil-privé, à publier notre présente proclamation royale, par laquelle nous commandons à tous nos bien-aimés sujets, & les exhortons à se tenir eux & leurs familles tranquillement chez eux, afin que tous citoyens bien disposés puissent se soustraire aux malheurs que la continuation des troubles actuels doit faire tomber sur la tête de ceux qui en sont auteurs. Et comme vu les circonstances ci-dessus mentionnées, il est absolument nécessaire d'employer les forces militaires, dont la loi nous a rendu dépositaire, à l'effet de supprimer de pareils attentats contre le maintien & la dignité de notre couronne, contre la sûreté, la vie & les[p.196]biens de nos sujets ; nous avons donné les ordres les plus positifs & les plus stricts à nos officiers, de se servir de toutes les forces qu'ils commandent, afin de terminer ces désordres, & de ce voulons que toute personne prenne connoissance.

Donné à notre Cour de St.-James, le septième jour de juin 1780, dans la vingtième année de notre règne.

 

Précis du Discours prononcé par Lord Loughborough à l'ouverture de la commission spéciale, établie pour juger ceux des factieux, qui le lundi 10 Juillet ne l'avoient pas été au Tribunal d'Old-Bailey. Il fait un tableau pathétique de cette révolte désastreuse qui commença le 2 Juillet, & dura l'espace de six jours.

 

Du 18 Juillet 1780.

Messieurs du grand Juré,

Quand vous vous seriez rendus ici, en supposant que vous n'avez pas été témoins oculaires, que vous n'avez pas même entendu parler des dévaluations qui ont été commises ; les débris fumants, le reste des flammes qui ont exercé leurs ravages en nombre d'endroits de cette métropole, objets qui vous ont nécessairement[p.197]frappés sur votre passage, vous auroient suffisamment annoncé le motif de cette assemblée.

Le soin paternel avec lequel S. M. veille au bien-être de ses sujets, n'a pas permis qu'elle différât l'examen de ces délits atroces, au delà du tems nécessaire pour assembler légalement un corps de Jurés : la commission en vertu de laquelle vous êtes assemblés, n'a pour objet que les crimes de haute trahison ou de félonie, dont sont accusées les personnes détenues dans la prison ordinaire de ce comté ; les circonstances qui ont aggravé ces différents crimes, sont d'une notoriété trop universelle, pour qu'il soit nécessaire d'entrer dans leurs détails minutieux ; il est cependant nécessaire, messieurs, que vous vous rappelliez les plus frappantes pour mieux diriger votre jugement, & je vais vous présenter sous un point de vue général, les dangers divers & imminents, auxquels ce royaume vient d'échapper : je dis ce royaume, parce qu'il est évident que le complot, tel qu'il avoit été conçu ; ne se bornoit pas dans ses vues à la destruction de la vie ou de la fortune de quelques individus particuliers, mais que le coup qu'il a plu à la providence de détourner, devoit être porté au crédit, au gouvernement, à l'existence, à la constitution même de cet état.

Celle de ces circonstances qui se présente[p.198]naturellement la première à votre attention, est la multitude de personnes assemblées le 2 Juin dans S. Georges-Fields, en vertu d'un avertissement public, signé par une personne se disant président d'une association, non-seulement invitant plusieurs milliers d'autres fanatiques à se rendre à cet endroit, mais prescrivant l'ordre dans lequel elles devoient marcher en différentes colonnes vers le lieu de leur destination : la charité porte naturellement à croire que dans cette multitude, il s'est trouvé plusieurs personnes imprudentes, qui ne prévoyoient pas que cette démarche avoit des vues sinistres ; mais la crédulité portée à l'extrême, ne peut douter qu'il ne s'y soit trouvé un nombre de factieux qui s'y étoient même préparés : on ne tarda pas à découvrir qu'un de ces objets qui avoient assemblé cette multitude, étoit d'intimider le corps législatif, de contraindre ses délibérations, & d'en obtenir par la force la révocation d'une loi.

Il s'agissoit en apparence de présenter une pétition : ce droit fait partie de ceux dont tout Anglois est revêtu en naissant ; mais, sous ce prétexte, prendre un ton impérieux, dicter, prescrire au corps législatif ce qu'il doit faire ou ne pas faire, c'est renverser tout ordre de gouvernement. Sous le règne de Charles premier[p.199]on a eu un exemple terrible des suites funestes qu'entraîne l'usage de présenter tumultueusement des pétitions : cette licence monstrueuse conduisit au bouleversement de la monarchie, à l'anéantissement de la constitution. Sons Charles II, après la restauration du gouvernement légal, la première loi que l'on passa ; statua, qu'à moins que l'objet d'une pétition ne fût approuvé par trois juges de paix, ou par le grand juré du comté, il n'en pourroit être présenté aucune, soit au roi, soit à l'une des chambres du parlement, aux fins de réformer ce qui seroit établi par la loi en matières religieuses, ou d'état, signée de plus de vingt personnes, & produite par plus de dix. C'est en opposition directe à cette loi, & aux principes antérieurs à cette loi même, que la pétition dont il s'agit, a été signée par plusieurs milliers de sujets, & que cette multitude rangée en différents bataillons, a cherché à lui prêter l'appui de la terreur. Je n'entrerai point ici dans les détails qui peuvent avoir des rapports personnels, je me borne à établir des faits généraux & malheureusement trop connus : dans la soirée, les deux chambres du parlement sortirent de l'état de contrainte violente auquel on les avoit réduites, la multitude parut se disperser ; il n'est pas douteux que plusieurs des individus qui la composoient se retirèrent[p.200]alors chez eux : mais la partie la plus désordonnée & la plus active, fit corps, & s'obstina à prouver au corps législatif que ses menaces n'avoient pas été vaines, & qu'elle se proposoit de les mettre en exécution : sitôt que la nuit parût se prêter à leurs desseins criminels, les hôtels des deux ministres étrangers furent attaqués, leurs chapelles mises au pillage & livrées aux flammes. Qu'eussent dit les Anglois, si un de leurs ministres eût reçu un pareil outrage dans celles des contrées qui passent ici pour être plus adonnées à la bigotterie & à la superstition ? C'est au milieu de cette nation tolérante & éclairée que ces abominations ont été commises !

Le lendemain (3) tout parut être calme, circonstance singulièrement remarquable, car en général on regarde un tumulte qui est appaisé comme dissipé : son renouvellement annonce si évidemment une influence dirigeant un plan forme, qu'il est impossible de ne pas distinguer l'un & l'autre dans ce qui se passa alors. Le dimanche (4), ce jour consacré au repos par les loix divines & humaines, on vit en plein jour des édifices publics, & des maisons particulières, attaqués, forcés dans Moorfields ; on en vit enlever les meubles qui furent consumés dans les rues pour alimenter[p.201]des feux de joie ;& tout cela se passa à la vue de nos patiens magistrats !

La multitude ne trouvant point de résistance, se trouva le lundi enhardie à oser davantage ;& ses succès ajoutant à son impétuosité, elle porta l'audace jusqu'à démontrer qu'elle bravoit la loi dans la personne de ses officiers. Ce jour-là fut destiné à la destruction des domiciles des magistrats : quelqu'énormes que fussent ces excès ils furent surpassés le mardi & le mercredi suivants, jours à jamais marqués pour avoir imprimé sur nos annales une tache ineffaçable ! Quiconque s'est trouvé alors dans Londres, n'oubliera jamais que pendant ces quarante-huit heures, la capitale de l'empire offroit par-tout l'image d'une ville emportée d'assaut ! point de distinction d'âge ni d'état ; l'élévation du rang, la sainteté du caractère, pas même l'humble obscurité, rien ne servit de protection contre la rage destructrice de la plus vile, de la plus scélérate engeance qui jamais aie affligé la société, & fait rougir la nature ; ce qu'on a vu en tous temps, en tous lieux, être le dernier effort des conspirateurs les plus forcenés, fut l'objet principal des attentats de ces deux jours ; les prisons furent forcées ; les criminels élargis, des brigands que la loi avoit condamnés au supplice, virent tomber les fers de leurs mains[p.202]qu'ils employèrent avec un redoublement de rage au grand ouvrage de la destruction générale : tous les quartiers de la Cité furent enflammés ; il est à remarquer que ces brigands mettoient de préférence le feu aux maisons les plus combustibles qui devoient naturellement étendre au loin l'incendie, à celles des distillateurs, &c. Pour mettre le comble à ces horreurs, en ôtant les moyens d'éteindre les flammes on tenta de détourner les eaux de la nouvelle rivière ; on tenta plus, pour porter une atteinte mortelle au crédit national, on essaya d'enlever la banque d'Angleterre ? La Providence a daigné faire avorter ces deux tentatives ; mais elles n'en ont pas moins été faites ;& ce qui doit redoubler notre reconnoissance envers cette Providence qui nous a sauvés, c'est qu'elle a voulu que ces deux attentats fussent différés jusqu'au moment où elle mettoit le gouvernement en état de les prévenir.

Telle a été l'activité incroyable de cette troupe de furies échappées des enfers, qui, la torche ardente à la main, parcouroient nos rues, qu'en quatre jours elle a détruit soixante-douze maisons particulières, & quatre prisons publiques, dont l'une (Newgate) étoit construite de manière, à la faire croire imprenable par des forces armées ! Les noms sacrés de[p.203]religion, de christianisme, d'église protestante ont été le prétexte indigne de cette licence effrénée, dont l'objet étoit de fouler aux pieds le gouvernement, les loix, & de violer le précepte le plus saint du protestantisme : je dis le prétexte, car on ne croira jamais que la raison humaine ait pu parvenir à un tel point de perversité pour faire croire qu'attaquer des magistrats, élargir de criminels, détruire la source du crédit public, & réduire en cendres la capitale de la foi protestante, c'étoit servir le protestantisme.

Après vous avoir tracé le tableau d'un événement sans exemple, & l'histoire des crimes qui viennent d'être commis sous vos yeux, il me reste à vous définir la nature de ces crimes.

Ici suit une longue chaîne de distinctions entre les différentes espèces de haute trahison & de félonie. Dans quelle classe particulière doit être rangé l'acte de démolir un édifice public, une maison particulière ; de forcer une prison, d'élargir des félons, d'incendier une maison, ou de brûler les meubles & effets qu'elle contient ?&c. &c.

[p.204]

 

Quatorzième section. Lettres de diverses personnes.

 

Lettre du Général Lée, prisonnier du Colonel Harcourt, au sieur Kennedy, Capitaine au service des Royalistes. Il témoigne la plus grande confiance à l'égard de la privation de sa propre liberté, & il ne gémit que sur l'esclavage général, prochain & presque certain de l'Amérique.

 

Du 2 Février 1777.

La vigilance du colonel Harcourt & la lâcheté de mes gens m'ont mis entre les mains de votre armée : quelque puisse être mon sort, je me flatte d'en supporter la rigueur avec magnanimité ; j'ai la consolation, dans mon malheur, de pouvoir me dire avec vérité que j'avois épousé la plus noble des causes ; mais je serois tenté, par l'événement, de croire que la Providence veut abolir jusqu'à l'idée d'un être libre ; car le succès de vos armes ne m'annonce que trop l'établissement d'un esclavage général. Ne croyez pas que je m'afflige sur ma destinée, ou que je cherche à fléchir la haine de mes ennemis ; si je ressens quelque[p.205]peine, c'est de voir un vaste pays, destiné à former un grand empire, frustré de la noble espérance qu'il avoit osé concevoir de devenir libre ; c'est de finir par dépendre de ceux parmi lesquels j'ai eu le malheur de naître !

On ne peut donner trop d'éloges au colonel Harcourt & à son détachement ; que n'avois-je de pareils soldats à mes ordres, je serois encore libre ! mais une malheureuse étoile l'emporte ; je ne suis plus l'ennemi armé de l'Angleterre, je suis un vil prisonnier ! Je n'ai pas le loisir d'en dire davantage, & je finis par vous assurer qu'il n'est point de vicissitude qui puisse, en rien, altérer la fermeté de mes sentimens, & que ma façon de penser que j'ai conservée au milieu des dangers & de toutes sortes de difficultés, sera toujours la même ; j'y persisterai jusqu'à la mort.

[p.206]

 

Discours de M. Fox, dans lequel il reproche aux Ministres leur peu de sincérité, à l'égard des fausses nouvelles & des victoires supposées qu'ils font insérer dans la galette, publiée par autorité. Il insiste sur la difficulté de pouvoir jamais terminer heureusement leur guerre d'Amérique.

 

Du 14 Février 1777.

On ne lit dans la gazette publiée par autorité, que les mensonges les plus grossiers, on n'y respecte pas même la probabilité, toutes les fois qu'il s'agit de parler des affaires de l'Amérique ; j'ai vu dans mon dernier voyage un Américain qui m'a assuré que l'on nous avoit donné des détails circonstanciés de victoires qui n'avoient jamais été remportées ; il m'a protesté, entr'autres choses, que l'état des morts, des blessés & des prisonniers, que l'on nous a donné en différens tems, excédoit le nombre effectif de ce que le congrès avoit eu de troupes sur pied. Au reste, je conçois l'objet de ce manège ; il falloit consoler la nation de tant de sang répandu, de tant de trésors prodigués ;& après tout, il vaut mieux que l'on trouve sur le papier une liste nombreuse de morts qui se portent bien, que si la dixième[p.207]partie en étoit effectivement morte… Si jamais nous pouvons venir à bout de terminer cette guerre, ce ne sera qu'après plusieurs campagnes & des torrens de sang répandus de part & d'autre. Les Hollandois ont été vingt ans à lutter contre leurs tyrans, avant qu'aucune puissance se déclarât pour eux ; les Américains ne seront probablement pas si long-tems sans être secourus, & lorsque nos forces seront affoiblies, nos finances & nos ressources épuisées, nous nous verrons engagés dans une guerre sanglante dans l'instant où nous nous y attendrons le moins, & lorsque nous n'aurons plus la possibilité de la soutenir.

 

Discours du Procureur-Général, qui, ayant été soupçonné d'avoir eu part au Bill proposé (tendant à punir ou à prévenir la trahison en Amérique) soutient que ce Bill n'est point inconstitutionnel. Il finit par se plaindre qu'en général, on en veut moins aux Bills & aux choses qu'aux personnes qui les proposent.

 

Du 14 Février 1777.

On me fait l'honneur de me regarder comme la personne qui a rédigé le projet du bill avec mon honorable voisin (le solliciteur général), &[p.208]en conséquence on cherche à me rendre responsable de ce qui peut s'en suivre. Quoi qu'il en soit, je ne changerai point de sentiment à cet égard ; je connois les grands talens de mon savant confrère (Dunning), & son habileté reconnue dans sa profession ; il a amusé cette chambre avec tout l'esprit possible, en cherchant à démontrer que ce bill impliquoit contradiction : il a très-bien parlé, mais il n'a rien prouvé, malgré toutes les peines qu'il a prises pour cela. L'intention manifestée dans ce bill, est de punir ou de prévenir la trahison en Amérique. Or, supposer que sans être en aucune partie des colonies, on peut se rendre coupable de trahison relative à cette partie du monde, implique-t-il contradiction ? S'il en étoit ainsi, on ne pourroit punir d'autre traître, que celui qui seroit pris sur les lieux & les armes à la main. Ce bill est d'ailleurs conforme aux principes de la constitution ; il n'est pas sans exemple, le tems fera voir qu'il étoit indispensable ;& lorsque les accès d'humeur seront dissipés, on conviendra que s'il pèche à quelques égards, c'est qu'il ne s'étend pas assez loin. Enfin, est-ce la première fois que l'on a suspendu l'acte d'habeas corpus ? ne lit-on pas dans l'Histoire que l'on refusa cette ressource au chevalier Windham, qui n'étoit que soupçonné ? L'opinion des juges du banc du roi se réunit pour prononcer[p.209]que l'on ne devoit, point l'admettre à ce privilège. Le pouvoir que l'on demande dans cette occasion, est fondé sur le principe des loix, sur ceux de la constitution de ce royaume, & sur ceux de la raison. On s'est permis dans les débats sur cette affaire, de suppléer au défaut d'argumens solides, par des réflexions hazardées, par des personnalités & des écarts de doctrine politique, aussi peu saine qu'étrangère au sujet : quant à ce qui me regarde en particulier, j'y suis on ne peut pas plus indifférent. Je crois pouvoir dire avec vérité, que je me suis toujours conduit uniformément, & sur des principes dictés par ma conscience, laquelle est le seul juge de mes actions : elle le sera toujours : je ne puis cependant me dispenser d'observer qu'il est très-absurde de réfuter l'objet d'un bill, en attaquant les personnes qui le proposent, ou qui le défendent.

[p.210]

 

Lettre énergique de Benjamin Franklin& de Silas Deane, Écuyers ; à Lord Stormont ; Ambassadeur de Sa Majesté Britannique à Paris, dans laquelle ils lui rappellent l'échange proposé des prisonniers de guerre, & réclament contre les atrocités exercées envers les prisonniers faits sur les États-Unis de l'Amérique.

 

Du 6 Avril 1777

Milord,

Nous avons en l'honneur d'écrire, il y a quelque tems, à V. S. au sujet de l'échange des prisonniers ; vous n'avez pas daigné faire réponse à cette lettre, & nous n'en attendons plus : cependant nous prenons la liberté de vous envoyer des copies de certaines dépositions que nous transmettrons au congrès, lesquelles feront connoître à votre cour que les États-Unis n'ignorent pas le traitement barbare que reçoivent ceux des leurs qui ont le malheur d'être vos prisonniers en Europe, & que si vous ne changez de conduite à notre égard, il n'est pas hors de vraisemblance que la nécessité de mettre quelqu'obstacle à ces abominables pratiques, pourroit justifier les plus rigoureuses représailles.[p.211]Pour le bien de l'humanité, il seroit à souhaiter que les hommes fissent quelques efforts pour adoucir, autant qu'il est possible, les calamités inséparables de la guerre. On a dit que parmi les nations civilisées de l'Europe, les horreurs de cette espèce étoient considérablement diminuées ; mais employer les chaînes, les coups & la famine pour forcer des hommes à se battre contre leurs amis & leurs parens, est un nouveau genre de barbarie que votre nation seule a eu l'honneur d'inventer.

L'usage d'envoyer les prisonniers Américains en Afrique ou en Asie, dans les lieux trop éloignés pour leur laisser l'espoir de l'échange, ni celui de recevoir des nouvelles de leurs familles, quand même l'insalubrité du climat ne mettroit pas un terme prompt à leurs jours, est une manière de traiter des prisonniers que vous ne pouvez justifier par aucun exemple ou usage, à moins que vous ne citiez les noirs sauvages de la Guinée. Nous sommes, &c.

B. Franklin, S. Deane.

 

Réponse du Lord Stormont à la Lettre précédente.

 

L'ambassadeur du roi ne reçoit point de lettres de rebelles, excepté lorsqu'ils viennent implorer la clémence de son maître.

[p.212]

 

Lettre du Général Washington au Général Howe, pour lui demander l'échange du Major-Général Lée & de quelques autres prisonniers d'un rang distingué.

 

Du 16 Juillet 1777.

Monsieur,

Le sort de la guerre ayant jetté le major-général Prescot entre nos mains, permettez-moi de proposer son échange pour le major-général Lée. J'espère que vous approuverez cette proposition, parfaitement conforme à la lettre & à l'esprit de la convention qui subsiste entre nous ; je suis d'autant plus porté à l'attendre, que cet arrangement non-seulement écartera tout fondement de contestation entre nous, mais pourra par ses conséquences effectuer l'échange du lieutenant-colonel Campbell & des officiers Hessois, ayant rang dans l'état-major, qui pourront être échangés pour un nombre pareil des officiers de rang égal, qui sont en votre possession.

Vous m'obligerez en me faisant réponse à ce sujet, & je vous assure que si vous agréez cet échange, le major-général Prescot vous sera renvoyé,[p.213]soit que vous me préveniez en donnant la liberté au général Lée, soit que vous me promettiez de le faire immédiatement au retour du général Prescot. Je suis, &c.

G. Washington.

 

Lettre du Général Burgoyne au Général Gates, dans laquelle il se plaint de cruautés exercées contre le droit de la guerre, après l'affaire de Bennington, sur les soldats Provinciaux de Sa Majesté.

 

Du Quartier général, sur la rivière d'Hudson.

Le 1 Septembre 1777.

Monsieur,

Le major-général Reidesel m'a prié de faire passer la lettre ci-incluse, au lieutenant-colonel Baum, que le sort a fait tomber entre les mains de vos troupes à Bennington. Comme je n'ai jamais manqué d'égards pour les prisonniers, je ne puis douter que vous ne saisissiez cette occasion de me marquer un retour de civilité, & que vous ne permettiez que les bagages & les domestiques des officiers, qui sont vos prisonniers, leur parviennent sans être molestés.[p.214]C'est avec beaucoup de peine que je me trouve obligé de joindre à ma requête, des plaintes relatives au mauvais traitement que les soldats provinciaux ont reçu après l'affaire de Bennington : on m'a rapporté sur serment, que l'on a refusé quartier à quelques-uns qui le demandoient : je veux croire que cela s'est passé contre les ordres & l'inclination de vos officiers ; mais je dois demander une explication, & vous faire entrevoir les horreurs des représailles, si cet abus n'est pas condamné & réprimé de la manière la plus marquée.

Mon devoir & mes principes, Monsieur me rendent l'ennemi public des Américains qui ont pris les armes ; mais je me pique d'être un ennemi généreux, & je n'ai pas l'ombre de ressentiment contre aucun individu, qui ne le provoque pas, en agissant d'une manière qui déroge aux maximes reçues par tous les hommes qui ont de l'honneur. Très-convaincu que celui qui occupe un poste aussi distingué que celui que remplit la personne à qui cette lettre est adressée, ne peut être compris dans la résolution que j'ai prise.

J. Burgoyne.

[p.215]

 

Belle Réponse du Général Gates au Général Burgoyne. Il lui représente que les actes de cruauté qu'il lui reproche sont bien au-dessous des atrocités commises par les sauvages de l'Amérique ; qui sont aux gages du Général Burgoyne, & dont la seule manière de se venger de leurs prisonniers, est de leur enlever le péricrâne. Il lui offre cependant toutes les facilités qu'il peut désirer pour le traitement de ses prisonniers.

 

Du Quartier-général des États-Unis. Le 2 Sept. 1777.

Monsieur,

J'ai eu l'honneur de recevoir hier soir la lettre de V. E., en date du premier du courant ; je suis étonné de vous entendre parler d'inhumanité & de représailles : il n'est rien arrivé à l'affaire de Bennington, qui ne soit ordinaire lorsqu'il s'agit d'emporter des ouvrages d'assaut.

Que les sauvages de l'Amérique, lorsqu'ils sont en guerre, mutilent les malheureux prisonniers qui tombent entre leurs mains, qu'ils leur enlèvent le péricrâne, il n'y a rien d'extraordinaire, rien de nouveau à cela ; mais que le fameux lieutenant-général Burgoyne, qui réunit dans sa personne l'homme du monde, le[p.216]soldat & l'homme de lettres, prenne à ses gages les sauvages de l'Amérique, pour enlever le péricrâne à des Européens ! Bien plus, qu'il mette un prix à chaque péricrâne enlevé d'une manière si barbare ; c'est ce qu'on ne voudra pas croire en Europe, jusqu'à ce que des faits authentiques, consignés dans toutes les gazettes, aient confirmé la vérité de ces faits horribles !

Miss Cres, jeune demoiselle qui charmoit la vue, dont la vertu étoit le caractère, dont tout étoit aimable, prête à donner sa main à un officier de votre armée, a été enlevée d'une maison près du fort Edward, avec quelques femmes & quelques enfans ; conduite de force dans les bois ; là on lui a enlevé le péricrâne, & on l'a mutilée de la manière la plus révoltante. Un père & une mère avec leurs six enfans, tranquilles dans leur demeure, autrefois paisible & fortunée, ont été traités avec la même inhumanité. La funeste fin de Miss Cres, est plus frappante ; elle inspire d'autant plus de compassion, qu'elle étoit parée pour recevoir l'époux qu'elle attendoit, lorsqu'elle reçut le meurtrier que vous avez employé contre elle. Plus de cent hommes, femmes ou enfans, ont péri de la même manière, par les mains des brigands auxquels on assure que vous avez payé le prix du sang. Vous recevrez, ci-incluses, des lettres de ceux de vos officiers[p.217]blessés, qui sont mes prisonniers ; ils vous informeront de la générosité de leur vainqueur. On remettra fidèlement aux personnes indiquées, l'argent, les hardes, toutes les choses nécessaires, ainsi que les gens de leur suite que vous jugerez à propos d'envoyer ; le domestique du feu colonel Baum, est à Bennington, & seroit volontiers retourné au camp de votre Excellence ; mais lorsque je lui ai offert le pavillon, il a été effrayé du risque de se voir enlever le péricrâne, & a refusé de partir.

Lorsque je saurai quels chirurgiens & quelles autres personnes votre Excellence se propose d'envoyer à Bennington, j'expédierai vers vos lignes un officier qui les conduira dans mon camp.

Je suis, &c. Horatio Gates.

 

Lettre du Général Burgoyne au Major-Général Gates, dans laquelle ce Général se justifie des imputations d'atrocité avancées & publiées contre lui.

 

Du 6 Septembre 1777.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre du 2 du courant ;& puisque vous consentez à la proposition que je vous ai faite, d'envoyer un chirurgien pour soigner[p.218]les officiers blessés qui sont entre vos mains, & quelques domestiques chargés de porter à leurs maîtres de l'argent & d'autres choses nécessaires, & de rester auprès d'eux ; je vous demande actuellement en grâce, de vouloir bien expédier l'officier que vous avez en vue, avec un tambour & un pavillon parlementaire, afin qu'il arrive à Still-Water le 9 du courant vers midi : il trouvera à cet endroit les personnes qu'il doit conduire, qui auront aussi avec elles un tambour & un pavillon parlementaire ; je me flatte, Monsieur, qu'il est entendu entre nous, que le chirurgien aura un sauf-conduit pour se rendre à mes postes avancés, lorsqu'il aura visité les blessés & qu'il demandera à revenir, & que vous êtes bien certain que votre officier sera reçu de ma part avec civilité, & qu'il sera en sûreté.

J'ai hésité, Monsieur, sur la réponse à faire aux autres articles contenus dans votre lettre je dédaigne de me justifier contre les rapsodies qu'enfante la calomnie, ressource que la politique Américaine ne s'est pas lassée d'employer depuis la naissance des troubles actuels, mais qui n'en impose plus à personne ; cependant, dans le cas actuel, je me départirai de la règle générale que je m'étois imposée, crainte que l'on ne prenne mon silence pour un aveu[p.219]de la vérité des faits que vous alléguez, & que l'on ne tire de cette induction, un prétexte pour faire exercer de nouvelles cruautés par les troupes Américaines.

C'est d'après ce motif, d'après ce motif seul, que je me détermine à vous apprendre que je ne voudrois pas être coupable des excès qu'il vous plaît de m'imputer, pour tout le continent de l'Amérique, quand les richesses de plusieurs mondes seroient dans ses entrailles, & un paradis sur sa surface.

Le hasard a voulu que toutes les transactions passées l'année dernière & cette année même, entre les nations Indiennes & moi, ont été distinctement entendues dans les plus minutieux détails, par quantité de personnes, dont plusieurs étoient impartiales. Lorsque vous avancez que je mets un prix aux péricrânes que l'on m'apporte, vous vous écartez si manifestement de la vérité, que l'un des premiers réglemens que j'ai fait dans le grand conseil tenu au mois de mai, règlement que j'ai renouvellé, auquel j'ai ajouté plus de force, auquel on s'est toujours conformé strictement, est, que l'on donnera aux Indiens un certain équivalent pour les prisonniers qu'ils pourront faire, parce que ce moyen me paroissoit propre à prévenir des actes de cruauté de leur part ; le règlement porte, que[p.220]non-seulement ces équivalens ne seront point donnés, lorsque les prisonniers auront été maltraités, mais que l'on fera de strictes recherches dans le cas où il y auroit des péricrânes enlevés ; en un mot, on a défendu solemnellement & péremptoirement, que ces gages de la victoire, (car vous savez qu'ils verront toujours cet usage sous ce point de vue), soient enlevés de la tête des blessés, même des mourans ; on a statué que la personne des vieillards de l'un & de l'autre sexe, celle des enfans & des prisonniers, seroient sacrées, même dans les désastres d'un assaut.

À l'égard de Miss Cres, sa mort n'avoit pas besoin du pinceau tragique dont vous avez pris la peine de la peindre, pour m'inspirer toute l'horreur & tout le regret qu'elle peut avoir causés au plus tendre de ses amis. Elle n'a pas été victime d'un trait de barbarie préméditée) au contraire, deux chefs qui l'avoient enlevée pour pourvoir à sa sûreté, non pour lui faire aucune violence, se disputant l'honneur de la protéger ; l'un d'eux se la voyant arracher des mains, dans un accès de passion sauvage massacra cette infortunée. Dès que je fus instruit de cet événement, j'exigeai des Indiens qu'ils livrassent l'assassin entre mes mains, & quoiqu'il eut été peut-être sans exemple,[p.221]de le punir conformément à l'esprit de nos loix & à nos principes de justice, il eut certainement subi une mort ignominieuse, si d'après mes observations & les circonstances dans lesquelles je me trouvois, je n'eusse été absolument convaincu, que pour prévenir de pareilles horreurs, le pardon offert aux conditions que j'y attachois, & que les Indiens acceptèrent, produirait un effet plus efficace que le supplice du coupable ; si vous en exceptez cet exemple, tout ce qu'on vous a rapporté des cruautés des Indiens est faux.

Les menaces que vous semblez me faire de publier certains faits en Europe ne m'affectent pas plus que toutes celles que vous pourriez me faire à d'autres égards ; quant aux papiers Américains, soit que les imputations que vous me faites aient été tirées d'une gazette, soit qu'elles aient été destinées à paraître dans une gazette, j'attends de vous, comme d'un homme d'honneur, dans le cas où elles seroient publiées dans quelques papiers, que cette réponse, paroîtra à la suite.

Je suis &c. J, Burgoyne, L. G.

[p.222]

 

Lettre du Général Johnstone au Général Joseph Reed, dans laquelle il lui témoigne son désir ardent d'une conciliation juste & d'une paix durable entre l'Angleterre & l'Amérique.

 

Du 11 Avril 1778.

Monsieur,

J'ai une obligation infinie à M. Denis Berdt, votre digne & proche parent, de sa lettre qui m'introduit auprès de vous. M. le général Robertson ne m'a pas laissé ignorer l'étendue de votre mérite, ni combien vous aviez d'influence sur les malheureuses disputes qui ont subsisté entre la Grande-Bretagne & ses descendans ; vous avez fait un ouvrage glorieux & utile de votre épée & de votre plume, en réclamant les droits du genre-humain, & particulièrement ceux de la communauté dont vous faites partie ; une conduite pareille, confédérée comme étant le premier des devoirs, comme supérieure à tous les devoirs humains, m'animera toujours des sentimens de l'amitié la plus vive, elle m'inspirera dans tous les temps la vénération la plus profonde à votre égard.

Au milieu de toutes ces scènes si propres[p.223]à affecter, ma foible voix s'est élevée pour arrêter les progrès du mal, & pour dissiper toutes les causes des troubles, en fondant la tranquillité réciproque sur un système noble, de manière que chaque sujet de l'empire pût jouir avec liberté & avec sécurité du bienfait de la vie ; de manière qu'une partie des sujets ne dépendît pas de la volonté d'une autre partie dont les intérêts seroient opposés, mais que l'union fût générale & portât sur les termes d'une sécurité parfaite & de l'avantage mutuel.

Dans le cours de la contestation, j'oserai l'avouer, j'ai toujours désiré que l'Amérique eût assez le dessus pour forcer mon pays à reconnoître son erreur, à réfléchir & à raisonner avec droiture sur la position d'autres hommes, appellés en commun à l'héritage des privilèges dont jouit ce même pays ; il a plu à Dieu dans sa justice de disposer les événemens, de manière que ce royaume est enfin convaincu de sa folie & de ses erreurs ; on vient d'expédier, sous l'autorité du parlement, une commission pour concilier d'une manière compatible avec l'union de forces dont dépend le salut des deux parties, tous les différends qui ont subsisté ou qui pourroient s'élever entre la Grande-Bretagne & l'Amérique ;& dont l'objet ne seroit pas une séparation absolue d'intérêts. Je suis un[p.224]membre indigne de cette commission ; je dis indigne, quoique personne ne désire plus vivement que moi de rétablir solidement la paix & l'amitié entre tous les membres de ce que l'on appelloit ci-devant l'empire Britannique ; je n'en sens pas moins que la commission eût pu être remplie par plusieurs personnes plus propres à réussir ; ce en quoi je ne le cède à personne, c'est en ardeur de zèle, en droiture d'intentions ; au surplus lorsque je réfléchis que le succès de la négociation dépend infiniment plus de l'intégrité du négociateur que de la subtilité de son entendement ; lorsque je pense qu'un peuple sensible & magnanime y trouvera son intérêt, & que dans tous les engagemens qu'il pourra prendre, il se montrera inviolablement attaché à l'honneur ; lorsqu'enfin je me livre à l'espèce d'espoir qui naît de la bonne volonté que j'ai toujours témoignée à ce même peuple, il me semble que je ne suis pas absolument destitué de ce qu'il faut pour remplir ma mission.

Si, comme je l'espère, les honnêtes gens dans ces provinces diverses sont disposées à préférer la liberté qu'ils partageroient avec la Grande-Bretagne, à une union contractée avec l'ennemi de l'un & l'autre pays ; s'ils se sentent assez généreux, pour oublier les torts récents[p.225]qu'on a pu leur faire, & rappeller à leur souvenir les avantages antérieurs qu'ils ont tirés de leur union avec nous ; je me flatte que nous pouvons être encore heureux, & reparoître grands ! Je suis certain que le peuple de l'Amérique trouvera dans les commissaires mes collègues, ainsi qu'en moi, les dispositions les plus droites & les plus empressées à concourir dans tout ce qui pourra tendre à concilier les choses d'une manière qui réponde à leurs vœux les plus étendus, si toutes fois ils ne sont pas incompatibles, comme je l'ai déjà dit, avec une union avantageuse de nos intérêts respectifs, union qui forme l'objet de notre commission. La gloire que vos armes vous ont acquise, ne peut être surpassée que par la magnanimité généreuse avec laquelle vous vous prêteriez à des termes tracés par la justice, mesurés par l'égalité, après avoir prouvé à l'univers que la crainte d'une force supérieure n'a point influé sur le parti qu'il vous verroit prendre.

L'homme qui contribueroit efficacement à rétablir l'harmonie parmi nous, à unir les puissances diverses qui se sont élevées du sein de cette contestation, mériteroit sans doute mieux du roi & du peuple, du patriotisme, de l'humanité, de l'amitié, de tous les liens tendres[p.226]que la querelle affecte, qu'il n'a encore été permis à aucun humain d'y prétendre.

Je regarderai la lettre de M. Berdt comme une recommandation, en faveur de laquelle je me verrai introduit près de vous : J'employerai tous les moyens possibles pour me faciliter cet accès, soit en vous donnant des témoignages publics de mon respect, soit en cultivant votre amitié en particulier ; votre réponse déterminera ma conduite à cet égard.

Je suis, &c.

 

Lettre de Williams Thryon, Écuyer, à S. E. le Gouverneur Trumbull, qui lui annonce d'une manière vague & indéterminée les intentions pacifiques de Sa Majesté Britannique, en lui recommandant de les répandre.

 

New-York, le 17 Avril 1778.

Monsieur,

Le roi m'ayant fait l'honneur de m'ordonner de faire circuler les pièces ci-incluses, je prends la liberté de les offrir à votre considération, & de vous recommander de faire en sorte que[p.227]les habitans de votre département en ayent connoissance, ainsi que ceux des provinces méridionales.

Je suis, Monsieur, &c.

 

Réponse énergique du Gouverneur Trumbull à la lettre précédente. Il s'élève contre la forme irrégulière de ces proportions de paix ;& il ne les regarde que comme une ruse tendante à les endormir dans la sécurité. Elles doivent pour pouvoir y compter, être adressées au Congrès des États-Unis de l'Amérique. D'ailleurs il n'y a pas de paix à attendre, si l'on y met d'autres conditions que celle d'une indépendance absolue.

 

Lebanon, le 23 Avril 1778.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre datée de New-York le 17 du courant avec son contenu, & les paquets qui l'accompagnoient, ayant diverses adresses.

Ordinairement les propositions de paix sont faites par l'autorité suprême d'une des puissances belligérantes à l'autorité également suprême de l'autre puissance, & je ne me rappelle aucun[p.228]exemple où l'on ait regardé comme des ouvertures tendantes à une réconciliation, l'esquisse vague, laissée à demi en blanc & très-indéfinie d'un bill qui n'a été lu qu'une fois devant un seul des trois corps législatifs de la nation. Il a été un tems ou cette démarche de la part de la nation, que nous regardions comme notre mère, eut pu être accueillie avec joie, avec reconnoissance ; mais, monsieur, ce tems est irrévocablement passé ; les rebuts insultans & répétés qu'ont essuyés nos pétitions sincères & suffisamment humbles, le commencement des hostilités qui n'avoient point été provoquées, l'inhumanité farouche qui a marqué de votre part toutes les époques de la guerre, l'insolence que vous déployez lorsque vous avez le moindre avantage, les cruautés exercées contre les malheureux que le sort de la guerre a jetté dans vos mains, tels sont les obstacles insurmontables qui s'opposent même à l'idée de traiter de paix avec la Grande-Bretagne à toute autre condition que celle de l'indépendance la plus absolue & la plus parfaite : c'est donc au congrès des États-Unis de l'Amérique qu'il faut adresser toutes les propositions de cette espèce, & vous me permettrez de vous dire, monsieur, que la manière dont on s'y prend, porte tous les caractères de la ruse insidieuse dont l'objet[p.229]seroit de désunir le peuple, de nous endormir dans le sein de la sécurité, & de nous faire négliger les préparatifs que demande l'approche de la campagne. Si tel est le dessein que l'on a formé, il a été formé en vain ; si l'objet de ces bills est effectivement la paix, adressez-les directement aux personnes qui, par état, doivent en prendre connoissance ; mettez de l'honnêteté dans vos négociations, alors, conformément au vœu de tout Américain honnête, nous commencerons à espérer que l'on peut faire une paix honorable & durable ; peut-être qu'alors la nation Britannique trouvera en nous des amis aussi affectionnés & précieux, qu'ils sont aujourd'hui déterminés & funestes pour elle : peut-être elle tirera de cette amitié plus d'avantages solides & réels, qu'elle n'en peut attendre même de la victoire.

Je suis, monsieur, &c.

Jonathan Trumbull.

[p.230]

 

Lettre du Général Josnhtone, Commissaire de Sa Majesté Britannique, à M. Francis Dana, Membre du Congrès. Il se félicite d'avoir le bonheur de le voir ;& celui de travailler conjointement avec lui à la réunion des deux peuples.

 

Philadelphie, le 10 Juin 1778.

Mon cher Monsieur,

C'est avec beaucoup de plaisir que je trouve votre nom parmi ceux des membres qui composent le congrès, parce que je suis persuadé, que me connoissant personnellement, ainsi que ma famille & toutes les personnes avec qui j'ai quelques relations, vous ne me soupçonnerez point de m'être chargé d'aucune commission qui puisse être préjudiciable aux droits, aux privilèges de l'Amérique, & à la liberté du genre humain en général : d'un autre côté, votre caractère est si bien connu que personne ne vous soupçonnera vous-même de mollir sur aucun des points où la condescendance pourroit être contraire aux vrais intérêts de votre pays ; on présumera donc aisément que ce ne seront[p.231]pas de faux points d'honneur pointilleux qui nous feront manquer l'occasion de nous aboucher, pour discuter avec droiture les objets en contestation ; on présumera que si nous finissons par être d'accord, cet accord sera fondé sur les termes les plus nobles d'une union qui par cela même ne pourroit être que plus durable. Il existe trois faits de la vérité desquels je voudrois vous convaincre. Le premier est que le 29 mars dernier, le docteur Franklin, discutant les articles divers, dont nous désirons faire la base de notre traité, a reconnu pleinement qu'ils étoient avantageux pour l'Amérique septentrionale, & tels qu'ils devoient être pour qu'elle dût les accepter ; le second est que le traité actuel avec la France n'est pas le premier que cette puissance avoit exigé, & avec lequel M. Simon Deane s'étoit mis en mer ; que celui-ci n'a été proposé d'une part, que de l'autre il n'y a été accédé, qu'après que la façon de penser du peuple de la Grande-Bretagne a été totalement changée, qu'après que les amis de l'Amérique ont réussi dans les efforts qu'ils ont constamment faits en faveur de la réconciliation, qu'en un mot ce dernier traité n'a eu d'autre objet que celui de rendre ces mêmes efforts inutiles. Vous serez bien aise d'apprendre que le pamphlet que M. Pulteney a écrit a[p.232]beaucoup contribué à ouvrir les yeux du peuple d'Angleterre & à l'éclaircir sur le véritable état de la question qu'il s'agissoit de décider entre nous : ce pamphlet a eu treize éditions. Le troisième fait est que l'Espagne, sans avoir été sollicitée, a envoyé un message dans les formes, par lequel elle désapprouve la conduite de la France. Je m'engage de vous prouver ces trois faits d'une manière satisfaisante ; permettez-moi de recommander a vos civilités personnelles le docteur Ferguson, mon ami : c'est un homme du plus grand génie, de la plus éminente vertu, il a été constamment l'ami solide de l'Amérique.

Lettre particulière.

Si vous imitez l'exemple ridicule que la Grande-Bretagne a donné aux jours de son insolence & de sa folie, si vous refusez de nous entendre, puisque je me trouve sur les lieux, je me flatte qu'il me sera permis de paroître parmi vous, & de voir un pays où il existe plusieurs hommes dont j'admire les vertus plus que toutes celles qui ont illustré tant de noms Grecs & Romains ; je serois bien aise de pouvoir en entretenir mes enfans.

Je suis, &c.

[p.233]

 

Lettre particulière du Gouverneur Johnstone, à son Excellence Henri Laurens son ami, dans laquelle ce Gouverneur le prie d'avoir pour lui-même & pour quelques-uns de ses amis, des égards particuliers. Il demande sur-tout, la permission d'entrer dans le pays, pour y visiter les personnages distingués.

 

Philadelphie, le 10 Juin 1778.

Mon cher Monsieur,

Je vous demande en grâce de faire en particulier à mon ami le docteur Ferguson le même accueil, d'avoir pour lui les mêmes civilités, que mes amis M. Manning & M. Oswald vous demandent pour moi-même c'est un homme de la plus stricte probité, & qui jouit de la plus haute estime dans la république des lettres.

Si vous suivez l'exemple qu'a donné la Grande-Bretagne aux jours de son insolence, si vous nous renvoyez sans nous entendre, je me flatte que comme ami particulier, j'obtiendrai la permission de voir le pays & les dignes personnages qu'il a produits, en la sollicitant de[p.234]la manière que vous voudrez bien m'indiquer. Je suis avec tous les égards possibles, mon cher monsieur, votre, &c.

 

Réponse de son Excellence à la lettre précédente. Il lui témoigne toute la bienveillance possible ; il le prévient ensuite que le Congrès ne se départira jamais de ses termes. Il déclare qu'aucune considération ne peut porter le Congrès à permettre qu'aucun Commissaire de Bretagne ; pas même le Gouverneur Johnstone, soit admis dans l'intérieur du Pays, avant la conclusion du Traité.

 

York-Town, le 14 Juin 1778.

Mon cher Monsieur,

J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire en date du 10 : Je vous remercie à raison de celles que vous m'avez fait passer en même temps, de la part de mes chers & dignes amis, M. Oswald & M. Manning. Si le docteur Ferguson eût été porteur de ces papiers, je lui eusse fait toutes les civilités, je lui eusse marqué tous les égards, toutes les attentions dont le tems & les circonstances eussent été susceptibles.[p.235]C'est la Grande-Bretagne, monsieur, qui doit déterminer si ses commissaires s'en retourneront sans être entendus par les représentants de ces États-Unis, ou s'ils pourront renouer leurs liaisons d'amitié avec nos citoyens, & séjourner parmi nous aussi longtems qu'ils jugeront à propos de le faire.

Vous savez indubitablement quels sont les termes uniques, quelle est la seule manière dont le congrès peut traiter pour en venir à ce but désirable :quoiqu'en ce moment-ci, ce soit en simple particulier que je vous écris, je puis cependant prendre sur moi de vous affirmer avec la plus grande assurance, que jamais le congrès ne se départira de ces termes : non jamais, même en supposant la continuation de la guerre, en supposant que ce fléau déployant toutes ses fureurs, forceroit le bon peuple de ces États à entrer en alliance avec les sauvages de l'Occident ; permettez-moi d'ajouter, monsieur, que dans mon humble oppinion, au point où en sont actuellement les choses, il est de l'intérêt de la Grande-Bretagne de confirmer notre indépendance.

Le congrès n'a jamais agi avec hauteur, mais il seroit déraisonnable de supposer qu'il a moins de fermeté dans la position où il se trouve actuellement, que lorsqu'il étoit dénué de tout secours[p.236]étranger, & même de l'espoir de former une alliance ; que, lorsque célébrant un jour de jeûne général & d'humiliation publique, rassemblé dans le lieu consacré au culte divin, & en présence de Dieu, il prit la résolution « de n'entrer en conférence ou en traité avec aucun commissaire de la Grande-Bretagne, à moins qu'en forme de préliminaire, elle ne commençât par rappeller ses flottes & ses armées, ou qu'en termes positifs & exprès, elle ne reconnût l'indépendance de ces États. » Dans un tems convenable, monsieur, je m'estimerai infiniment honoré en vous marquant des attentions personnelles, & en contribuant à vous rendre agréables toutes les parties de ces États, mais jusqu'à ce que la base de la confiance mutuelle soit rétablie, je crois, monsieur, que ni les anciennes liaisons de l'amitié privée, ni aucune autre considération ne porteront le congrès à permettre que, même le gouverneur Johnstone, ce citoyen si justement estimé en Amérique, soit admis dans l'intérieur du pays. Quant à moi, je n'ai qu'une voix, mais elle sera contre ; cependant, mon cher monsieur, je vous prie de ne pas conclure de ce refus que je manque à ce que je dois à l'affection de mes anciens amis, à la bienveillance desquels je dois l'honneur de la correspondance actuelle ; n'en[p.237]concluez pas non plus que je ne suis pas avec la plus haute estime personnelle & le plus grand respect,

Monsieur, votre, &c.

 

Lettre du Major-Général Lée au sieur Isaac Collins, Imprimeur de la Gazette de Trenton, au sujet de quelques réflexions qui avoient été hasardées sur sa conduite, dans cette Gazette du 1er Juillet. Il lui envoie une note destinée à rectifier la relation, & à désabuser les lecteurs.

 

Suit un Postcriptum envoyé le même jour par ce Général au même Imprimeur, pour servir de supplément à la note & pour prouver que l'avantage étoit égal des deux côtés dans l'affaire du 1er Juin.

 

Du 3 Juillet 1778.

Monsieur,

Ce n'étoit pas assez de m'enlever ainsi qu'aux braves gens que je commandois le tribut honorable qui nous étoit dû, relativement à l'affaire du 28 ; on a porté à ma conduite une atteinte si atroce, j'ai été insulté d'une manière si grossière, que j'ai demandé un conseil de guerre qui sera tenu demain. La raison pour[p.238]laquelle je vous adresse cette note, c'est que dans votre papier du premier juillet il a paru une relation, on ne peut pas plus odieuse, plus malhonnête & plus fausse ; comme vous êtes un honnête homme, je ne puis me dispenser de vous prier d'engager vos lecteurs à regarder la relation susdite comme une imposture ; avant peu ils en auront une autre aussi détaillée qu'exacte ; en attendant, je vous prie d'imprimer cette note. Je suis, &c.

(Signé) Charles Lée.

 

Billet du même Major-Général, au même Imprimeur. Le même jour.

 

Monsieur,

Je vous prie de regarder ce qui suit comme servant de post-scriptum à la note que je vous ai déjà adressée, & de vouloir bien engager l'imprimeur, quel qu'il soit, avec qui vous êtes en correspondance à Philadelphie, à insérer dans le papier de cette ville, & la note & le postscriptum.

Appeler l'affaire du 18 une victoire complette, seroit une gasconnade déshonorante ; dans le fait c'est un échec qu'a reçu l'ennemi, & qui fait honneur aux Américains. Ils n'ont point encore eu d'affaire qui ait aussi bien prouvé ce qu'ils[p.239]sont capables de soutenir ou d'entreprendre. Une manœuvre rétrograde dans l'espace d'environ 4 milles, a été faite sans que l'on pût remarquer la moindre confusion, excepté celle qui naissoit & qui naîtra toujours d'un abus monstreux qui sera quelque jour fatal, si on le tolère ; je parle de la liberté que prennent les particuliers, dénués d'autorité, de donner leur avis, & d'indiquer ce qu'il faut faire.

La conduite des officiers & des soldats a été si également bonne qu'il seroit injuste de faire des distinctions ; j'avouerai cependant qu'il est difficile de passer sous silence les éloges dûs au corps d'artillerie, en y comprenant depuis le général Knowe& le colonel Oswald, jusqu'aux conducteurs même ; il n'est pas aisé de dire quel a été le point ou le moment décisif ; c'étoit une bataille en parcelles : à force de combattre en quantité de lieux différens, dans la plaine & dans les bois, en avançant & en reculant, on est enfin venu à bout de repousser honorablement l'ennemi.

Je suis, &c.

[p.240]

 

Lettre du Général Washington, à son Excellence George Johnstone ; Écuyer, à Philadelphie, par rapport à quelques condescendances sollicitées par son Excellence. Il déclare qu'ils ne peuvent se permettre aucune communication avant que la négociation entamée ne soit terminée.

 

Du camp de Walhey-Forge, le 18 Juin 1778.

Monsieur,

Je saisis l'occasion la plus prompte qui se présente pour vous accuser la réception de la lettre obligeante que vous m'avez fait parvenir par M. Brown, dans laquelle il y en avoit une incluse pour vous servir d'introduction auprès de moi ; j'ai reçu également & fait passer à leur destination, les autres lettres adressées à différents particuliers. Je vous remercie, monsieur, à raison de la bonne opinion que vous voulez bien avoir de moi, & je suis très-obligé à mon ami, de l'intention qu'il a eue de nous rapprocher l'un de l'autre ; mais je suis bien fâché de voir que je serai nécessairement privé de ce plaisir jusqu'à ce que vous ayez terminé la négociation que vous vous proposez d'entamer avec ce[p.241]congrès. Dans la situation où je me trouve, quelque prenant que peut être d'ailleurs en moi le désir de vous voir, mes occupations, & ce que je dois à la cause dans laquelle je me trouve engagé, sont des obstacles insurmontables qui s'y opposent quant à présent.

Lorsque vous connoîtrez un peu mieux ce pays, monsieur, vous saurez que la voix du congrès est la voix unanime du peuple, & qu'on regarde justement cette assemblée comme la protectrice des États-Unis. Je m'estimerai heureux dans tous les tems, si je puis vous rendre quelques services ;& pour le moment j'ai l'honneur d'être,

Monsieur, &c.

[p.242]

 

Lettre de leurs Excellences le Comte deCarlisle, W. Eden & G. Jonshtone, Commissaires de Sa Majesté Britannique à Philadelphie, à son Excellence Henri Laurens, Président, & aux Membres du Congrès, contenant des ouvertures de paix, avec des propositions à cet égard. Ils désireroient que les Américains renonçassent à l'alliance insidieuse de la France, & qu'ils lui préférassent une union libre & perpétuelle avec la mère contrée.

 

Du 9 Juillet 1778.

Messieurs,

Pénétrés du désir sincère d'arrêter l'effusion du sang, & de mettre un terme aux calamités de la guerre, nous vous communiquons le plus promptement possible, à notre arrivée dans cette ville, une copie de la commission dont il a plu à sa majesté de nous honorer, ainsi que les actes du parlement sur lesquels elle est fondée ; en vous assurant du désir ardent que nous avons de rétablir la tranquillité de cet empire, jadis fortuné, sur la base de la liberté égale & de la sûreté mutuelle : Vous voudrez bien observer[p.243]que nous sommes revêtus de pouvoirs proportionnés à l'étendue de l'objet & même tels qu'ils n'ont point d'exemple dans les annales de notre histoire.

Quoique nous trouvions des objets de regrets mutuels dans l'état actuel de nos affaires, l'un & l'autre parti cependant peuvent goûter quelque consolation, & même quelque espoir propice, en se rappellant que la réconciliation cordiale & affectueuse, dans notre empire, comme ailleurs, a succédé aux troubles & aux dissentions passagères qui ont souvent éclaté avec autant de violence que ceux que nous éprouvons actuellement.

Nous éviterons de rappeller des objets qui ne sont plus disputés, & nous remettons à des tems plus propres à la discussion, la considération des avantages & des maux réciproques qui doivent être l'objet de notre espoir ou de notre crainte, considération qui doit naturellement contribuer, dans ces circonstances importantes, à déterminer vos résolutions & les nôtres.

Les actes du parlement, que nous vous communiquons, ayant passé avec une unanimité singulière, vous prouveront suffisamment quelles sont les dispositions de la Grande-Bretagne ; vous y reconnoîtrez que les termes de conciliation que sa majesté & le parlement ont en vue, sont[p.244]de nature à remplir les vœux que l'Amérique septentrionale a exprimés, soit lorsqu'elle a froidement délibéré sur ses intérêts, soit lorsqu'elle a marqué ses craintes les plus vives, à raison du danger dont elle croyoit sa liberté menacée.

Afin de vous convaincre plus efficacement de la droiture de nos intentions, nous croyons convenable de vous déclarer par cette première ouverture, que nous sommes disposés à concourir dans tout arrangement juste & satisfaisant, qui entr'autres objets auront en vue ceux qui suivent.

« Consentir à une cessation d'hostilités sur mer & sur terre.

Rétablir une communication libre ; faire revivre l'affection mutuelle. 

Établir l'avantage commun de la naturalisation dans toutes les parties de cet empire.

Rendre au commerce toute la liberté que notre intérêt commun peut demander.

Convenir que l'on n'entretiendra point de forces militaires dans les divers états de l'Amérique septentrionale, sans le consentement du congrès ou des assemblées particulières.

Concourir à ce qui aura pour objet la liquidation des dettes de l'Amérique, hausser la valeur & le crédit du papier, mis en circulation.[p.245]Perpétuer notre union, par la députation réciproque d'un agent ou de plusieurs agents des divers états, lequel ou lesquels auront le privilège de siéger & de voter au parlement de la Grande-Bretagne & qui siégeront également & auront voix délibérative dans les assemblées des divers états, près desquels ils seront respectivement députés, à l'effet de veiller aux intérêts divers de ceux dont ils seront les députés.

En un mot, établir l'autorité respective des corps législatifs dans chacun des états particuliers ; fonder son revenu, son établissement civil & militaire, le mettre en état d'exercer dans un état de liberté parfaite, toutes les fonctions faisant partie de l'administration intérieure, de sorte que les États Britanniques, dans toute l'étendue de l'Amérique septentrionale, agissant avec nous, en paix & en guerre, sous notre souverain commun, jouissent irrévocablement de tous les privilèges qui ne supposent point une séparation totale d'intérêts, & qui sont compatibles avec cette union de forces dont dépend la sûreté de notre religion & de notre liberté communes ».

Singulièrement jaloux de conserver ces intérêts importans & sacrés, nous ne pouvons nous dispenser[p.246]de faire mention de l'interposition insidieuse d'une puissance qui, dès le premier établissement de ces colonies, a été l'ennemi de l'une & l'autre nation : malgré la date prétendue, ou la forme actuelle des offres que la France a faites à l'Amérique ; il est notoire qu'elles ont été combinées en conséquence des plans de conciliation, qui avoient été précédemment faits en Angleterre, dans la vue d'empêcher la réconciliation, & de prolonger cette guerre destructive.

Mais nous nous flattons que les habitants de l'Amérique septentrionale, attachés à nous par les nœuds étroits de la consanguinité, parlant la même langue, intéressés à la conservation des mêmes institutions, se rappellant l'heureux échange d'offices réciproques, qui nous unissoit ; qu'oubliant enfin tous les sujets d'animosité récente, ils frémiront à la seule idée d'ajouter un degré de force à la puissance qui, récemment encore, étoit notre ennemie commune, & qu'ils préféreront une union solide, libre & perpétuelle avec la mère-contrée, à une alliance étrangère, aussi peu sincère que contraire à la nature.

Ces dépêches vous seront délivrées par le docteur Ferguson, secrétaire de la commission de sa majesté. À l'égard des éclaircissemens ultérieurs, & de la discussion des divers objets[p.247]qui peuvent être en contestation, nous désirons nous aboucher avec vous, soit collectivement, soit par députation, à New-York, à Philadelphie, à York-Town, ou dans tel autre endroit que vous proposerez : cependant nous croyons convenable de vous faire savoir que les instructions de sa majesté, ainsi que le désir que nous avons en particulier de nous éloigner du théâtre immédiat d'une guerre aux opérations de laquelle nous ne pouvons prendre aucune part, peuvent nous engager dans peu, à nous retirer à New-York ; mais le commandant en chef des troupes de terre de sa majesté, membre de la commission dont nous sommes chargés, dans le cas où l'on en conviendroit, concourra avec nous à ordonner une suspension d'hostilités ; on délivrera tous les passe-ports & sauf-conduits nécessaires pour faciliter notre entrevue, & nous attendons les mêmes facilités de votre part.

Si après le tems nécessaire pour prendre cette ouverture en considération, & y répondre, les horreurs & les dévaluations de la guerre continuoient encore, nous prenons Dieu & l'univers entier à témoins, que les maux qui en seront les suites inévitables, ne doivent point être imputés à la Grande-Bretagne, & ce n'est qu'avec la plus vive douleur que nous jettons des regards[p.248]anticipés sur les calamités que nous avons le désir le plus ardent de prévenir.

Nous sommes avec un parfait respect,

Messieurs, &c.

 

Proclamation des commissaires Britanniques en Amérique. Ils déclarent que s'étant assemblés à Philadelphie le 10 Juin, ils ont expédié au Congrès la Lettre précédente. Il engage les habitans des Colonies Britanniques à juger, d'après les propositions & les éclaircissemens qu'elles contient, des intentions gracieuses de Sa Majesté Britannique. Il tâche de persuader au Congrès & au peuple, que l'union de force avec la Grande-Bretagne, contre la France, leur ennemie commune, sera également avantageuse pour l'une & l'autre puissance.

 

Attendu que le roi siégeant au parlement, pressé par le désir de rendre à sa Grande-Bretagne & à ses colonies, les biens inappréciables de la réconciliation, de la paix, dans le cours de la dernière session, a révoqué certains actes, que l'expérience a prouvé donner lieu à des inquiétudes & à des craintes relatives au danger dont la[p.249]liberté desdites colonies s'étoit crue menacée : attendu aussi, que désirant écarter de la manière la plus prompte & la plus efficace, tous les obstacles qui s'opposoient au rétablissement de la paix, S. M. nous a nommés commissaires, à l'effet d'agir sur ce continent, & de prévenir par notre présence en Amérique, les retards qu'eussent nécessairement entraînés les allées & venues des exprès qu'il eut fallu expédier d'une nation à l'autre, à chaque discussion qui auroit pu s'élever ; savoir faisons à qui il appartient, que nous étant assemblés le 10 juin à Philadelphie, nous avons expédié de cette ville la lettre & les pièces ci-incluses à Henri Laurens, écuyer, président du congrès, & que nous en avons reçu la réponse y jointe[7],

Actuellement nous en appelons à tous les habitans des colonies Britanniques ou des états de l'Amérique septentrionale : qu'ils jugent de bonne foi des intentions gracieuses de S. M. & du parlement à leur égard ; nous les invitons à nous donner leur assistance, pour appaiser le plus promptement possible les malheureuses divisions qui subsistent actuellement sur ce continent, & pour procurer une paix & une sécurité durables à[p.250]tous les membres divers de cet empire, jadis heureux & prospère.

En donnant ainsi publiquement au peuple de l'Amérique septentrionale des éclaircissemens sur nos procédés, éclaircissemens auxquels il a tant de droits, nous ne nous proposons pas de porter les raisonnemens plus loin qu'il est nécessaire, pour rendre compte de cette conduite : notre intention n'est pas d'égarer par notre influence le jugement de ceux qui n'ont pas moins d'intérêt que nous-mêmes à prendre le parti qui leur paraîtra le plus convenable dans une affaire d'une telle importance.

Comme le grand projet qui doit déterminer nos propres délibérations, est la prospérité de la Grande-Bretagne, autant qu'elle peut être compatible avec le bien-être général de l'empire, nous devons naturellement nous attendre à trouver dans les habitans de l'Amérique septentrionale, le même attachement, la même sollicitude pour les intérêts de leur confédération générale, ainsi que des colonies ou états divers auxquels ils appartiennent.

Sous ce point de vue, ils jugeront sainement des propositions contenues dans la lettre précédente (des commissaires au congrès. Nous avons fait ces proportions dans l'espoir que leur effet,[p.251]vu l'état actuel des affaires, pourroit devenir plus avantageux à notre pays, que le plan originairement conçu de restreindre le commerce, & de gêner le gouvernement intérieur des colonies ; nous le croyons plus sûr pour toutes les parties, que tout arrangement tendant à lever en Amérique un revenu qui seroit à la disposition du parlement ; nous nous flattons du moins que ces propositions paroîtront suffisantes pour établir cette union de forces dont dépend la sûreté des nations, sans porter atteinte à la liberté du sujet dans aucune partie de l'empire.

Le congrès, les assemblées & le peuple de l'Amérique jugeront par eux-mêmes si cette union de forces (que, de notre part, nous regardons comme étant si avantageuse à la Grande-Bretagne) ne seroit pas pour eux d'un avantage égal ; si la paix intérieure qu'ils attendent de leur système actuel, ne sera pas plus assurée par le titre & par la majesté du roi de la Grande-Bretagne (dont les prérogatives sont renfermées dans des limites strictes & dont l'autorité assure l'exécution de toutes les loix qui peuvent être faites par les représentans du peuple, pour sa paix & sa sûreté), qu'elle ne pourroit jamais l'être, si on la laissoit exposée aux orages des factions, aux intérêts de tant de partis qui s'entre-choquent, & qui probablement finiroient par diviser ce continent,[p.252]après l'avoir soustrait au respect dû à l'ancienne constitution sous laquelle ils ont si longtems prospéré ; ils jugeront si une pareille union avec la Grande-Bretagne n'est pas préférable à une alliance avec la monarchie Françoise, qui a toujours été, & qui, par sa constitution, doit toujours être l'ennemie de la liberté, des loix & de la religion. En faisant usage de ces expressions, nous voudrions, sans nous écarter du respect dû à la personne des princes, ne pas être dupes de leur politique. Sans disputer à sa majesté Très-Chrétienne ni sa grandeur, ni sa bonté, nous ne pouvons nous dispenser de poser en fait, que la conduite politique de la France, dans cette occasion, a été insidieuse ; qu'elle n'est pas plus ennemie de la Grande-Bretagne, que pernicieuse dans ses effets ultérieurs, au peuple de l'Amérique, quelque flatteuse qu'elle puisse être d'ailleurs à l'ambition de quelques particuliers, & favorable aux intérêts de quelques autres.

Mais nous en appelons sur-tout à ceux qui ont souffert ou qui peuvent souffrir de la continuation des calamités de la guerre ; qu'ils réfléchissent sérieusement sur la cause originelle des hostilités actuelles, sur les propositions que nous avons faites pour y mettre un terme, & pour prévenir toutes disputes ultérieures : nous les sommons de considérer, après les déclarations répétées[p.253]& solemnelles que le peuple de l'Amérique a faites, de n'avoir jamais entendu se séparer de la Grande-Bretagne, quelles sont les raisons que le congrès donne aujourd'hui pour refuser d'entrer même dans la discussion de ces objets, a moins que la Grande-Bretagne n'accepte des articles préliminaires qui doivent rendre désormais impossible entre nous toute union d'intérêts ; nous nous flattons donc qu'après avoir mûrement considéré ces objets, ils absoudront la Grande Bretagne du crime qui doit être imputé aux auteurs de toute détresse à laquelle ils peuvent être encore exposés.

Espérant que l'on portera un jugement équitable sur nos procédés, nous continuerons de prendre les mesures que nous croirons les plus propres à nous décharger de nos devoirs envers notre souverain & nos concitoyens, tant de la Grande-Bretagne que des colonies, & à prouver la sincérité de l'intention avec laquelle nous ferons nos efforts pour rétablir la paix, objet de notre commission, implorant avec ferveur l'assistance du Dieu tout-puissant & la concurrence de tous les gens de bien.

Adam Ferguson, secrétaire.

[p.254]

 

Réplique de son Excellence Henri Laurens, Président, à la Lettre des Commissaires de Sa Majesté Britannique. Il paroît fort scandalisé de la manière injurieuse dont il y est parlé de Sa Majesté Très-Chrétienne. Il y remarque, à l'égard de l'Amérique ; un projet obstiné de dépendance qu'il déclare inadmissible. Il témoigne d'ailleurs beaucoup d'empressement pour la paix, mais sous la seule condition de l'indépendance des États-Unis reconnue, & du rappel des flottes & des armées Britanniques.

 

D'York-Town, le 17 Juillet 1778.

J'ai reçu la lettre de vos Excellences, en date du 9 courant, ainsi que les papiers qu'elle contenoit, & j'ai mis le tout sous les yeux du congrès : le seul désir ardent d'arrêter l'effusion du sang, a pu le déterminer à lire un papier contenant des expressions si peu respectueuses envers S. M. Très-Chrétienne, le bon & le puissant allié de ces états, & à considérer des proportions si dérogatoires à l'honneur d'une nation indépendante.

Les actes du parlement Britannique, la commission de votre souverain, & votre lettre, supposent[p.255]que les peuples de ces états sont sujets de la couronne de le Grande-Bretagne ; ils sont fondés sur une idée de dépendance entièrement inadmissible.

On me recommande de plus, d'informer vos Excellences que le congrès est enclin à la paix, malgré les prétentions injustes qui ont donné lieu à la guerre, malgré la manière sauvage dont elle a été conduite ; il ne fera donc pas de difficulté de prendre en considération un traité de paix & de commerce qui ne seroit point incompatible avec les traités déjà subsistans, si-tôt que le roi de la Grande-Bretagne paroîtra y être sincèrement disposé ; la seule preuve solide de cette disposition, sera ou la déclaration formelle qu'il reconnoît l'indépendance de ces états, ou le rappel de ses flottes & de ses armées

J'ai l'honneur d'être, &c.

[p.256]

 

Lettre de Sa Majesté Très-Chrétienne, présentée au Congrès par le sieur Gérard, son Ministre Plénipotentiaire. Il invite les Américains à compter sur son affection, & à donner une confiance entière à tout ce qui leur sera communiqué par ce Ministre.

 

Du 6 Août 1778.

Très-chers, grands Amis et Alliés,

Les traités que nous avons signés avec vous, en conséquence des propositions que vos commissaires nous ont faites de votre part, sont des assurances certaines de notre affection pour les États-Unis en général, & pour chacun d'eux en particulier, ainsi que de l'intérêt que nous prenons & que nous prendrons constamment à leur bonheur & à leur prospérité : c'est pour vous en convaincre plus particulièrement, que nous avons nommé le sieur Gérard, secrétaire de notre conseil-d'état, pour résider parmi vous en qualité de ministre plénipotentiaire ; il connoît d'autant plus nos sentimens à votre égard, & il est d'autant plus en état de vous en rendre témoignage, qu'il a été chargé par nous de négocier avec vos commissaires, & qu'il a signé avec eux les traités qui[p.257]cimentent notre union : nous vous prions de donner une confiance entière à tout ce qu'il vous communiquera de notre part, & spécialement lorsqu'il vous assurera de notre affection & de notre amitié confiantes : Nous prions Dieu, très-chers, grands Amis & Alliés, qu'il vous ait en sa sainte garde.

Votre bon ami & allié (Signé) LOUIS. (Et plus bas) Gravier de Vergennes.

(Adressée) À nos très-chers grands Amis les Président & Membres du Congrès général de l'Amérique septentrionale.

 

Discours du sieur Gérard, au Président & à la Chambre du Congrès, en leur présentant la lettre précédente. Il les engage à donner toute leur attention à remplir les engagemens de leur alliance avec la France, de la manière la plus utile à la cause commune ;& il déclare que l'objet de ses instructions est de lier les intérêts de la France avec ceux des États-Unis.

 

Du 6 Août 1778.

Messieurs,

La connexion que le roi mon maître a formée avec les États-Unis de l'Amérique, lui est si agréable, qu'il n'a pu différer plus long-tems de[p.258]m'envoyer pour résider parmi vous dans la vue de la cimenter. S. M. apprendra avec beaucoup de satisfaction que les sentimens qui ont éclaté dans cette occasion, justifient la confiance que lui ont inspirée le zèle & le caractère des commissaires des États-Unis, résidant en France : la sagesse & la fermeté qui ont dirigé les résolutions du congrès, le courage & la persévérance du peuple que cette assemblée représente, assurent cette confiance qui, vous le savez, Messieurs, a été la base de ce système vraiment amical & désintéressé, d'après lequel elle a traité avec les États-Unis.

Ce n'est pas la faute de S. M. si les engagemens qu'elle a contractés n'ont point établi votre indépendance & votre repos, sans effusion de sang & sans ajouter aux calamités du genre-humain, dont son ambition la plus prenante est de faire & d'assurer le bonheur ; mais puisque les mesures hostiles & les projets de l'ennemi commun ont donné une force immédiate, permanente & indissoluble à des engagemens qui étoient purement éventuels, l'opinion du roi mon maître est que les alliés doivent donner toute leur attention à remplir ces engagemens de la manière la plus utile à la cause commune, & la plus propre à obtenir la paix, objet de l'alliance.

C'est d'après ce principe que S. M. s'est hâtée[p.259]de vous envoyer de puissans secours que vous ne devez qu'à son amitié, à l'intérêt sincère qu'elle prend à tout ce qui a rapport à l'avantage des États-Unis, & au désir qui la presse de contribuer efficacement à établir votre prospérité & votre repos sur un fondement honorable & solide. Sa majesté attend de plus, que les principes qui peuvent être adoptés par les gouvernemens respectifs, tendront à resserrer encore les liens d'une union qui a, pris sa source dans l'intérêt mutuel des deux nations.

L'objet principal de mes instructions est de lier les intérêts de la France avec ceux des États-Unis. Je me flatte, Messieurs, que la manière dont je me suis conduit dans les affaires qui les concernent, vous a déjà convaincus de l'inclination qui me porte à faire des efforts pour remplir l'objet de ces instructions de manière à mériter la confiance du congrès, l'amitié de ses membres & l'estime des citoyens de l'Amérique.

[p.260]

 

Réponse du Président du Congrès au Discours du sieur Gérard. Il témoigne la reconnoissance des États-Unis à l'égard des Traités conclus avec eux par Sa Majesté Très-Chrétienne & du zèle généreux de ce Monarque à défendre leurs droits violés, & à concourir à l'établissement de leur indépendance. Il finit par assurer que le Congrès reçoit avec satisfaction, pour Ministre de Sa Majesté Très-Chrétienne, un homme qui avoit déjà acquis leur estime dans la composition du Traité d'Alliance.

 

Du 6 Août 1778.

Monsieur,

Les traités conclus entre S. M. Très-Chrétienne & les États-Unis de l'Amérique, démontrent si pleinement sa sagesse & sa magnanimité, qu'ils exigent de toutes les nations un tribut de respect : les vertueux citoyens de l'Amérique, en particulier, n'oublieront jamais l'attention bienfaisante qu'il a donnée à leurs droits violés ; jamais ils ne cesseront de reconnoître la main d'une Providence bienfaisante qui a suscité en leur faveur un ami si puissant & si illustre ; l'espoir & l'opinion du congrès sont que la confiance que[p.261]S. M. a placée dans la fermeté de ces états, s'accroîtra tous les jours par l'expérience.

Cette assemblée est convaincue, Monsieur, que s'il n'eût dépendu que du roi très-Chrétien, l'indépendance de ces états eût été universellement reconnue, & leur tranquillité pleinement établie : nous déplorons cette fureur de dominer qui a donné naissance à la guerre actuelle, prolongé & multiplié les misères de l'humanité : nous désirons ardemment de remettre l'épée dans le fourreau, & d'épargner l'effusion ultérieure du sang ; mais nous sommes déterminés à mettre en usage tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour remplir les engagemens éventuels auxquels les desseins & les mesures hostiles de l'ennemi commun ont donné une force positive & permanente.

Le congrès est fondé à croire que les secours si sagement & si généreusement envoyés, ramèneront la Grande-Bretagne aux sentimens de justice & de modération, serviront les intérêts communs de la France & de l'Amérique, & assureront la paix & la tranquillité sur le fondement le plus ferme & le plus honorable ; l'on ne peut douter que ceux qui sont à la tête de l'administration dans les états divers de cette confédération, ne cimentent une connexion formée avec la nation Françoise, dont on a déjà senti des effets si salutaires.[p.262]Monsieur, d'après l'expérience que nous avons faite de votre zèle à servir les vrais intérêts de notre pays & du vôtre, c'est avec la satisfaction la plus parfaite que le congrès reçoit comme étant le premier ministre envoyé par S. M. T. C. un homme dont la conduite passée est l'heureux présage qu'il méritera la confiance de ce corps, l'amitié de ses membres, & l'estime des citoyens de l'Amérique.

 

Lettres de quelques Députés de la Bourgeoise de Londres au sieur Richard Olivier, Alderman de la Cité, pour lui proposer la place de Lord-Maire.

 

Du 4 Septembre 1778.

Monsieur,

Députés par plusieurs concitoyens dont les désirs sont conformes aux nôtres, nous serions bien aises de savoir si l'intention où nous sommes de vous proposer à la bourgeoisie de Londres, assemblée à Common-Hall, pour exercer l'année prochaine les fonctions de lord-maire, aura votre approbation. Pleinement convaincus que vous êtes un solide & véritable ami du peuple, nous nous plaisons à nous flatter que nous[p.263]obtiendrons votre consentement ;& jettant sur l'avenir le regard du plaisir, nous jouissons par anticipation de la sécurité & des autres biens qui émaneront de l'administration d'un bon magistrat. Nous sommes, &c.

(Au bas se trouvent les signatures de six députés).

 

Réponse du sieur Richard Olivier à la lettre précédente. Il refuse la place de Lord-Maire, & paroît même disposé à résigner celle d'Alderman pour aller avec plus de liberté veiller à la conservation de ses possessions dans les Indes Occidentales.

 

Du 6 Septembre 1778.

Messieurs,

Je suis fâché que la situation à laquelle une conduite infiniment coupable d'une part, & de l'autre, une extrême confiance ont réduit ce pays, me force à payer l'honneur que vous vous proposez de me faire à l'élection de la Saint-Michel, d'un refus absolu.

Au lieu de me charger de quelque nouveau dépôt de la confiance publique, je me trouve forcé de résigner entre les mains de mes concitoyens, ceux dont ils mont déjà honoré. Par[p.264]ces dépôts, j'entends ma robe d'Alderman, & mon titre d'un de leurs représentants au parlement. La majeure partie de ce que je possède est aux îles des Indes occidentales ; ces îles jadis si florissantes, qui font partie des colonies qui nous restent, parce que, je l'espère, elles dépendent encore de la couronne de la Grande-Bretagne. Au reste, à qui que ce soit qu'elles appartiennent actuellement, ou qu'elles puissent appartenir dans la suite, l'état précaire dans lequel se trouve cette partie de ma propriété qui a tant souffert, demandera bientôt ma présence, & je n'ai point l'intention d'occuper une place dont l'absence me feroit négliger les devoirs : ma situation, à cet égard, m'est commune avec beaucoup d'autres personnes qui ont des possessions pareilles aux miennes : ceux qui paroissent les moins disposés à en convenir, seront enfin convaincus un jour, qu'il est des devoirs réciproques, & que celui d'allégeance est inséparable de celui de la protection & de la justice.

En quelque partie du monde que je me trouve, je porterai toujours avec moi le souvenir, accompagné de gratitude, de l'honneur que me font la bonne opinion & la confiance de mes concitoyens ;& c'est avec les regrets les plus profondément sentis, que je quitterai un pays où j'ai reçu cet honneur ; regrets qui ne peuvent[p.265]recevoir d'adoucissements que de la part de ceux qui les ont occasionnés, en me réduisant à la nécessité de quitter ce pays.

Je suis, &c.

Richard Olivier.

 

Lettre très-flatteuse de M. Laurens, Président du Congrès, à M. de Ronsard, Français, dans laquelle il lui marque que le Congrès lui donne le grade de Lieutenant-Colonel dans l'armée Américaine, avec une pension de trente dollars par mois, en considération de la perte de son bras droit dans l'action de Rhode-Island.

 

Du 29 Octobre 1778.

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous transmettre sous cette enveloppe un acte du congrès en date du 27 du courant, qui vous élève par brevet au grade de lieutenant-colonel dans l'armée Américaine, & qui vous accorde une pension de 30 dollars (environ 50 écus) par mois durant votre vie, en reconnoissance de votre mérite, & en considération de la perte que vous avez faite de votre bras droit dans la dernière action de Rhode-Island ; [p.266]votre courage & votre généreuse intrépidité vous ont mérité les plus grands éloges, & ont assuré un honneur immortel à votre nom.

Je vous prie, monsieur, de recevoir mon compliment, & soyez assuré que mon estime pour vous, ne date pas de l'affaire de Rhode-Island ; votre esprit martial, vos talens militaires, vos services dans l'armée Américaine, m'étoient connus long tems avant cet événement ; j'en parlerai toujours avec plaisir, & je suis un de vos admirateurs.

J'ai l'honneur d'être dans ces sentimens, Monsieur, votre, &c.

[p.267]

 

Lettre de M. Henri Laurens, Président du Congrès, à M. le Marquis de la Fayette, Major-Général dans l'armée des États-Unis, en lui adressant la résolution[8] du Congrès faite à son sujet.

 

Philadelphie, le 13 Septembre 1778.

Monsieur,

J'éprouve un degré particulier de plaisir, en remplissant l'ordre signifié par l'acte du congrès du 9 courant, que vous trouverez ci-inclus, & qui exprime les sentimens des représentans des États-Unis d'Amérique, relativement au mérite éminent de votre conduite lors de l'expédition récente entreprise contre Rhode-Island.

Vous rendrez justice au congrès, Monsieur,[p.268]en recevant ce témoignage de sa part comme un tribut de respect & de reconnoissance que vous offre un peuple libre.

J'ai l'honneur d'être avec un très-grand respect & une très-haute estime, &c.

Monsieur, &c.

 

Réponse de M. le Marquis de la Fayette à l'honorable Président du Congrès. Il témoigne sa reconnoissance de la résolution du Congrès. Il se félicite d'avoir versé son sang pour la liberté de l'Amérique, & il offre la continuation de ses services.

 

Du Camp, le 23 Septembre 1778.

Monsieur,

Je reçois à l'instant la lettre que vous m'avez fait la faveur de m'écrire le 13 courant, dans laquelle vous m'informez de l'honneur que le congrès a bien voulu me faire en prenant sa très-gracieuse résolution. Quelqu'orgueil que puisse me donner justement une pareille approbation, je n'en suis pas moins sensible aux sentimens de reconnoissance & à la satisfaction de penser que mes efforts ont été regardés en quel[p.269]que sorte comme utiles à une cause, à laquelle mon cœur s'est si vivement intéressé : ayez la bonté, monsieur, de présenter au congrès mes remercîmens purs, simples, parlant du fond du cœur, & accompagnés de l'assurance d'un attachement franc & sincère, le seul hommage qui soit digne d'être offert aux représentans d'un peuple libre.

Du moment où j'entendis parler de l'Amérique, je l'aimai ; du moment où j'ai appris qu'elle combattoit pour la liberté, je brûlai du désir de verser mon sang pour elle, & les momens où je pourrai la servir, en quelque tems, en quelque partie du monde que ce puisse être, seront les plus heureux de ma vie. Je n'ai jamais désiré si ardemment les occasions de mériter les sentimens obligeans dont je suis honoré par ces États & par leurs représentans, & cette confiance si flatteuse qu'ils ont bien voulu placer en moi, qui a rempli mon cœur de la reconnoissance la plus vive, & de l'affection la plus éternelle.

[p.270]

 

Lettre de S. E. le Général Washington, par laquelle il demande un congé au Congrès, de la part de M. le Marquis de la Fayette.

 

Du Quartier-général, le 6 Octobre 1778.

Cette lettre vous sera présentée par le major-général marquis de la Fayette : les motifs généreux qui, dans le tems, l'ont engagé à traverser l'océan, & à servir dans l'armée des États-Unis, sont connus du congrès : ces raisons également louables l'engagent actuellement à retourner dans sa patrie qui, dans les circonstances où elle se trouve actuellement, a droit à ses services.

Quelqu'empressé qu'il fût de remplir ce qu'il doit à son prince & à son pays, cette considération puissante n'a pu l'engager à quitter le continent dans aucun tems où le sort d'une campagne n'étoit pas encore décidé, il s'est déterminé à relier parmi nous jusqu'à la fin de celle-ci, & il saisit ce moment de suspension pour communiquer au congrès quels sont ses désirs à cet égard, afin que les arrangemens nécessaires puissent être faits dans le tems convenable, & qu'il se trouve à portée de se distinguer dans nos armées si l'occasion s'en présentoit.

En même tems le marquis désirant conserver[p.271]quelque relation avec nous, & espérant qu'il lui sera possible quelque jour de nous être encore utile comme officier Américain, ne sollicite qu'un congé propre à remplir les vues exposées ci-dessus.

Ce qu'il m'en coûte pour me séparer d'un officier qui a tout le feu militaire de la jeunesse, unit une rare maturité de jugement, m'engageroit si la chose dépendoit de moi à désirer de préférence que son absence fût sous la condition qu'il propose ; je m'estimerai toujours heureux de pouvoir rendre à ses services les témoignages auxquels il a des droits par la bravoure & la conduite qui l'ont distingué dans tous les occasions, & je ne doute pas que le congrès ne lui exprime encore d'une manière convenable combien il sait apprécier son mérite & les regrets que lui cause son départ.

J'ai l'honneur d'être, &c.

[p.272]

 

Lettre noble & généreuse de M. le Marquis de la Fayette, au Président du Congrès, pour le même objet. Il profite de la suspension de la campagne actuelle pour aller offrir ses services à son propre pays, actuellement engagé dans une guerre.

 

Philadelphie, le 13 Octobre 1778.

Monsieur,

Quelqu'attentif que je dusse être à ne pas employer les instans précieux du congrès à des considérations particulières, qu'il me soit permis de lui exposer les circonstances dans lesquelles je me trouve, avec cette confiance qui naît naturellement de l'affection & de la reconnoissance. Il n'est pas possible de parler plus convenablement des sentimens qui m'attachent à mon pays qu'en présence des citoyens qui ont tant fait pour le leur ! tant que j'ai cru pouvoir disposer de moi-même, mon orgueil & mon plaisir ont été de combattre sous les drapeaux Américains, pour la défense d'une cause que j'ose d'autant plus particulièrement appeller nôtre, que j'ai eu le bonheur de verser mon sang[p.273]pour elle. Actuellement, monsieur, que la France est engagée dans une guerre, le devoir, l'amour de mon pays me pressent également de me présenter devant mon souverain pour savoir de quelle manière il jugera à propos d'employer mes services : la plus agréable de toutes sera toujours celle qui me mettra à portée de servir la cause commune parmi ceux, dont j'ai eu le bonheur d'obtenir l'amitié, & dont j'ai eu l'avantage de suivre la fortune dans des tems où les perspectives vous souriroient moins qu'aujourd'hui : cette raison & quelques autres que le congrès appréciera, m'engagent aujourd'hui a lui demander la liberté de repasser dans ma patrie l'hiver prochain.

Tant que j'ai pu espérer que la campagne seroit active, je n'ai pas pensé à quitter le champ de Mars ; actuellement que tout est calme & paisible, je saisis cette occasion de solliciter le congrès ; s'il veut bien m'accorder ce que je demande, les arrangemens relatifs à mon départ seront pris de manière qu'avant que je m'éloigne il sera certain que la campagne est finie. Vous trouverez ci-incluse une lettre de son excellence le général Washington, par laquelle il consent à ce que j'obtienne la permission de m'absenter. Je me flatte qu'on me regardera comme un soldat absent par congé,[p.274]& désirant ardemment de rejoindre ses drapeaux, ainsi que ses camarades estimés & chéris. Si lorsque je me trouverai au milieu de mes concitoyens, l'on pense que je puis en aucune manière être utile au service de l'Amérique, si tout ce qu'il seroit en mon pouvoir de faire, peut paraître de quelque utilité, je me flatte, monsieur, que l'on me regardera toujours comme l'homme du monde qui a le plus à cœur la prospérité de ces États-Unis, de qui a pour leurs représentans l'affection, l'estime & la confiance les plus parfaites. J'ai l'honneur d'être, &c.

[p.275]

 

Réponse du Président du Congrès à M. de la Fayette, par laquelle il lui annonce que le Congrès lui accorde, pour retourner en France, un congé dont il limitera le terme à son gré, & qu'il lui sera présenté, de la part du Congrès, une épée, en reconnoissance de ses services signalés rendus aux États Unis.

 

Philadelphie, le 24 Octobre 1778.

Monsieur,

J'ai eu l'honneur de communiquer au congrès votre lettre, par laquelle vous sollicitez la permission de vous absenter, & je suis chargé par la chambre de vous exprimer ses remercimens à raison du zèle que vous avez mis à la défense de la cause juste dans laquelle elle se trouve engagée, & des services désintéressés que vous avez rendus aux États-Unis de l'Amérique.

En témoignage de la haute estime & de l'affection que vous porte le bon peuple de ces États, ainsi qu'en reconnoissance de la bravoure & des talents militaires que vous avez développés en plusieurs occasions signalées, les représentans de ce peuple, assemblés en congrès, ont ordonné que le ministre Américain à la[p.276]cour de Versailles vous présente une élégante épée.

Sous le couvert de cette lettre vous trouverez un acte du congrès du 21 courant, autorisant ces déclarations, & vous accordant, pour retourner en France, un congé dont vous pourrez étendre le terme à votre gré.

Je prie Dieu, monsieur, qu'il vous bénisse & vous protège, qu'il vous conduise en sûreté, en la présence de votre prince, à une nouvelle jouissance de votre noble famille & de vos amis.

J'ai l'honneur d'être, &c.

 

Lettre de remerciement de M. de la Fayette, en réponse à la lettre précédente.

 

Philadelphie, le 26 Octobre 1778.

Monsieur,

J'ai reçu la lettre obligeante de votre Excellence, contenant les résolutions diverses dont le congrès m'a honoré, & la permission de m'absenter qu'il a bien voulu m'accorder ; rien ne peut me rendre plus heureux que de penser que mes services ont obtenu son approbation : les témoignages glorieux de confiance & de satisfaction[p.277]qui m'ont été donnés en différentes fois par les représentans de l'Amérique, quoique supérieurs à mon mérite, ne peuvent surpasser les sentimens de reconnoissance qu'ils ont fait naître. Je considère le noble présent qui m'est fait au nom des États-Unis, comme l'honneur le plus flatteur ; mon désir le plus fervent est d'employer promptement cette épée à leur service contre l'ennemi commun de mon pays & de ses alliés fidèles & bien-aimés.

Que la liberté, la sûreté, l'abondance & la concorde règnent à jamais dans les États-Unis ; c'est le vœu ardent d'un cœur rempli du dévouement, du zèle & de l'amour illimité qu'il a pour eux, ainsi que du plus haut respect & de l'affection la plus sincère qu'il porte à leurs représentans.

Veuillez bien, monsieur, leur présenter mes remercimens, & acceptez vous-même l'assurance de mon attachement respectueux.

J'ai l'honneur d'être avec une vénération profonde, &c.

[p.278]

 

Lettre[9] de Sa Majesté Très-Chrétienne au Congrès, dans laquelle elle lui marque qu'elle a nommé le Chevalier de la Luzerne pour succéder au sieur Gérard, dans la place de Ministre Plénipotentiaire.

 

Discours de M. le Chevalier de la Luzerne, adressé au Congrès, après la lecture de la lettre du Roi. Il annonce la résolution où est le Roi son maître de maintenir l'indépendance Américaine. Il insiste sur les avantages qui résultent de l'alliance de l'Amérique avec la France, & des relations de commerce entre les sujets de Sa Majesté& les habitants des Treize-États-Unis. Il promet d'apporter au succès de la cause commune, sinon des talens, du moins un zèle égal à celui du sieur Gérard son prédécesseur.

 

Du 13 Mai 1779.

À nos très-chers, grands Amis & Alliés, les Président & Membres du Congrès général des États Unis de l'Amérique septentrionale.

[p.279]

Chers, grands Amis & Alliés,

Le mauvais état de la santé de M. Gérard, notre ministre plénipotentiaire auprès de vous, l'ayant mis dans la nécessité de demander son rappel, nous avons fait choix du chevalier de la Luzerne, colonel à notre service, pour le remplacer ; nous ne doutons point qu'il ne vous soit agréable, & que vous ne placiez en lui une confiance entière : nous vous prions d'ajouter entièrement foi à tout ce qu'il vous dira de notre part, sur-tout lorsqu'il vous assurera de la sincérité des vœux que nous formons pour votre prospérité ; ainsi que de la confiance de notre affection & de notre amitié pour les États-Unis en général, & pour chacun d'eux en particulier. Nous prions Dieu, nos très-chers grands Amis & Alliés, qu'il vous ait en sa sainte garde.

Signé LOUIS :& plus bas, de Vergennes.

Alors le ministre ayant été annoncé à la chambre, se leva & adressa au congrès ce discours, dont lorsqu'il eut cessé de parler, le secrétaire présenta au président une copie, conçue en ces termes :

Messieurs,

La sagesse & le courage qui ont fondé votre république ; la prudence qui préside à vos dé[p.280]libérations ; votre fermeté dans l'exécution ; l'habileté & la valeur que vos généraux & vos soldats ont déployées dans le cours de la guerre ont attiré sur vous l'admiration & l'estime du monde entier.

Le roi, mon maître, s'est empressé de reconnoître une liberté acquise au milieu de tant de périls & avec tant de gloire. Depuis que des traités dictés par la modération, ont fixé sur une base permanente l'union de la France avec la république Américaine, la conduite suivie de sa majesté doit vous avoir prouvé combien votre prospérité lui tient tendrement à cœur ; combien est ferme la résolution qu'elle a formée, de maintenir votre indépendance par tous les moyens qui sont en son pouvoir : les événemens qui se sont successivement développés, attestent la sagesse de ces mesures ; un allié puissant a reconnu la justice des motifs qui ont forcé le roi à prendre les armes ;& nous pouvons raisonnablement espérer les plus solides succès des opérations des flottes combinées. Les forces navales de l'ennemi qui ont été éloignées de votre continent, ont été forcées de voler à la défense de leurs propres possessions, dont tous leurs efforts n'ont pu empêcher nos troupes de conquérir une partie considérable : les autres îles britanniques craignoient le même sort,[p.281]lorsque le général françois interrompit le cours de ses succès, pour chercher ici de nouveaux dangers : car en se conformant aux intentions de sa majesté, il a suivi sa propre inclination, il a cédé aux désirs des François & aux réquisitions des Américains, qui l'invitoient à joindre ses armes à celles de votre république. L'événement n'a pas répondu complettement à son courage & à ses efforts ; mais son sang & celui de mes compatriotes, versé dans une cause qui nous est si chère, a cimenté la base sur laquelle est fondée notre alliance, & lui a imprimé un caractère aussi indélébile que tous ceux qui l'ont consacrée.

Cette alliance, messieurs, devient tous les jours plus indissoluble, & les avantages que les deux nations en retirent, lui ont donné la plus parfaite consistance : les relations de commerce entre les sujets du roi mon maître, & les habitans des Treize-États-Unis, se multiplient continuellement ;& en dépit des obstacles qui gênent la communication réciproque, nous pouvons déjà bien appercevoir combien ces relations sont naturelles, combien elles seront avantageuses pour les deux Nations, ainsi que pour tous ceux qui y participent, & en même tems combien l'esprit de jalousie, de monopole & les édits prohibitoires de l'ennemi de votre[p.282]liberté, ont été préjudiciables à votre bonheur.

C'est dans ces circonstances, messieurs, qu'il a plu au roi, mon maître, de me nommer son ministre plénipotentiaire auprès de vous : dans la lettre que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter de sa part, vous avez vu de nouvelles assurances de son amitié. Je regarde comme la plus heureuse circonstance de ma vie, une mission dans le cours de laquelle j'ai la certitude de remplir mon devoir, en travaillant pour votre prospérité ;& je me félicite d'être employé près d'une nation dont les intérêts sont si intimement liés aux nôtres, que je ne puis me rendre utile soit à la France, soit à la république Américaine, sans me rendre agréable à l'une & à l'autre.

Il étoit certainement à désirer que les affaires dont je suis chargé, fussent restées entre les mains du ministre éclairé auquel je succède, & dont la santé le force à repasser en France : je n'ai pas ses talens, mais comme lui, mon zèle est sans bornes pour le succès de la cause commune ; comme lui je suis chargé de concourir dans tout ce qui pourra être utile ou agréable à votre république. J'ai, messieurs, le même attachement pour le peuple que vous représentez, la même admiration pour sa conduite, le désir le plus fervent de vous en donner des preuves ;[p.283]& à ces différens titres, j'espère mériter votre estime & votre confiance.

Signé, le Chevalier de la Luzerne.

 

Réponse du Président du Congrès au Discours de son Excellence. II exprime la reconnoissance des États-Unis de l'affection de Sa Majesté Très-Chrétienne pour eux. Il espère que le court prospère de la campagne actuelle accélérera le moment de la paix, & facilitera les avantages du commerce. Il témoigne sa satisfaction du choix que Sa Majesté a fait du Chevalier de la Luzerne.

 

Du 13 Mai 1779.

Monsieur,

L'affection que notre bon Allié a marquée de si bonne heure pour ces États-Unis, a fait une impression profonde sur les cœurs de tout ce qu'ils renferment de citoyens vertueux : nous serions des représentans infidèle si nous ne reconnoissions pas avec chaleur toutes les marques qu'il nous donne de son égard pour nous, & si nous ne saisissions pas toutes les occasions d'exprimer combien nos constituans sont attachés à des traités formés sur les principes les plus purs.[p.284]En se rendant le protecteur des droits du genre-humain, Sa Majesté T. C. a acquis des droits à l'assistance des amis de l'homme ; il n'étoit pas possible que ce titre fût méconnu d'un monarque dont l'équité & la vérité ornent le diadème : en unifiant ses armes à celles de notre grand allié, ce monarque a porté un coup fatal à l'ennemi commun ;& la justice des motifs qui a réuni les forces combinées, nous fait espérer que les avantages les plus solides couronneront leurs opérations : nous ne doutons pas que d'autres puissances ne se réjouissent de voir cette Nation hautaine humiliée en proportion de ce qu'elles ont été insultées par son arrogance présomptueuse.

Nous connoissons parfaitement, & l'univers entier doit reconnoître la modération & l'amitié que le roi Très-Chrétien a marquées, en négligeant des conquêtes qui se présentoient à lui, pour se livrer au plaisir bienfaisant de secourir ses alliés : dans ce trait, ainsi que dans tout ce qu'il a fait, nous remarquons son adhérence stricte aux principes de notre alliance défensive. Nous apprécions le zèle que le général François a marqué en exécutant les ordres de sa majesté : nous estimons son courage ; gémissons de ses blessures, & respectons cette valeur généreuse qui a porté vos compatriotes à en disputer le[p.285]prix aux nôtres dans la même cause : cette émulation qui a fait jaillir le sang des deux nations, l'a mêlé pour en former le gage sacré d'une union perpétuelle.

Les effets qui ont résulté de la présence de la flotte Françoise sur notre côte, (particulièrement en découvrant les plans d'opérations de l'ennemi, & en détruisant une partie considérable de ses forces navales) démontre la sagesse de ces mesures ; s'il n'en est pas résulté de plus grands avantages, il faut l'attribuer aux circonstances dont dispose à son gré le tout-puissant : mais ce qui à cet égard a pu manquer à notre attente, est compensé par cette parfaite harmonie qui a régné entre les généraux & les troupes des deux nations.

Le cours prospère de cette campagne fait naître l'agréable espoir que le moment de la paix peut arriver bientôt ; moment auquel la réciprocité des bons offices récompensera amplement nos soins & nos travaux mutuels ; nous ne doutons point qu'alors le commerce entre les nations alliées, aujourd'hui luttant contre divers obstacles, ne produise avec vigueur les fruits de l'avantage respectif, & ne démontre heureusement combien nous étions lésés jadis par les restrictions que nous imposoient nos ennemis.

En regrettant, monsieur, la perte de votre[p.286]digne prédécesseur, votre caractère personnel nous porte agréablement à espérer que vous jouirez de la confiance & de l'estime dont il jouissoit : elles sont dues au ministre de notre bienfaiteur ; nous sommes heureux du choix qu'il a fait, & pleinement convaincus de la connexion intime qui se trouve entre les intérêts & les vues des nations alliées ; nous ne pouvons qu'être persuadés que plus vous remplirez attentivement vos devoirs à l'égard de votre souverain, plus vous veillerez assidument au bien être de votre pays, plus vous vous rendrez agréable & respectable aux yeux des citoyens de l'Amérique.

 

Réponse de S. E. John Dalling, Commandant[10] en chef de la Jamaïque, à une Adresse de remerciment du Conseil.

 

Du 18 Août 1779.

Messieurs du Conseil,

Agréez mes remerciments les plus affectueux de votre adresse ; le point de vue favorable sous lequel vous avez envisagé mon zèle, & l'approbation[p.287]que vous donnez aux démarches que j'ai faites dans ce moment de crise, me causent la plus haute satisfaction.

La disposition dans laquelle vous êtes de concourir avec moi & avec l'autre branche du corps législatif, dans un tems où le zèle & l'unanimité doivent ajouter des forces à notre défense, me fait espérer avec confiance que nous serons supérieurs à toutes les attaques que l'on pourroit tenter contre nous.

 

Autre Réponse du même Gouverneur à une Adresse de l'honorable Chambre d'assemblée.

 

Du 19 Août 1779.

M. l'Orateur & MM. de l'Assemblée,

Je reçois avec reconnoissance une adresse qui rend à ma conduite un témoignage honorable ;& je m'estime heureux de voir que la première précaution que j'ai prise, ainsi que les démarches subséquentes que j'ai faites pour la sûreté de cette île, sont légitimées par votre approbation.

Je partage le plaisir que vous ressentez en voyant l'ardeur universelle dont ce pays est animé pour le service de sa majesté, & j'espère avec confiance, que ces forces n'auront pas été mises sur pied en vain.[p.288]J'ai prévenu jusqu'à un certain point, & je remplirai entièrement vos désirs à l'égard des commissions à accorder pendant que la loi martiale sera en force : je regarde cette requête comme une preuve nouvelle de l'attention que vous donnez à la sûreté de cette île, & du fonds que vous faites sur la droiture de mes intentions : vous pouvez compter qu'en accordant ces commissions, je n'aurai en vue que le bien du service & le mérite des personnes auxquelles elles peuvent être confiées.

[p.289]

 

Discours du Président du Conseil Suprême Exécutif de Pensylvanie, à M. Gérard, Ministre Plénipotentiaire de Sa Majesté Très-Chrétienne à Philadelphie, sur le point de quitter cet État. Il remercie ce Ministre des services éminents qu'il a rendus à l'Amérique, en établissant l'union qui règne entr'elle & la France.

 

Du 20 Septembre 1779.

Monsieur,

Le Président & le Conseil suprême exécutif de Pensylvanie, seroient une injustice égale & à leurs sentiments & à votre mérite, s'ils supprimoient l'expression des vœux qu'ils forment pour votre prospérité, & s'ils vous cachoient combien ils regrettent que les ordres de votre prince, & le mauvais état de votre santé abrègent votre résidence parmi nous.

Nous nous flattons que la faveur méritée de votre souverain attend la fidélité de vos services, & si la juste reconnoissance de ce bureau peut ajouter à votre bonheur, soyez persuadé que vous nous l'avez inspirée au plus haut degré : les services éminents que vous avez rendus en établissant l'union qui règne entre les deux nations ; [p.290]votre conduite si heureusement propre à concilier & à cimenter l'affection que nous portons au roi de France & à son peuple, sont les motifs qui justifieront pleinement dans l'opinion du monde entier, ces marques spéciales que nous vous donnons de nos égards, & de notre respect pour vous ; ils transmettront aussi votre nom à la postérité, & vous placeront au nombre des premiers amis & des plus distingués qu'ait eu cet empire naissant. C'est en formant des vœux sincères pour que vous arriviez sauf & heureux dans votre pays natal, que nous vous disons adieu.

 

Réponse de S. E. à ce Discours. Il témoigne sa reconnoissance des marques de satisfaction que le Conseil exécutif donne à sa conduite & des vœux qu'il vient de faire pour sa prospérité.

 

Du 20 Septembre 1779.

Messieurs,

Les marques flatteuses d'estime & d'égards que vous voulez bien me donner, m'affectent de la reconnoissance la plus vive : je m'estime heureux d'avoir mérité votre approbation, & le[p.291]témoignage que vous donnez au zèle avec lequel j'ai mis en usage tous les moyens qui étoient en mon pouvoir pour affermir la confiance que vous avez placée dans le roi mon maître, ainsi que l'union & la bonne intelligence entre les deux nations : c'est avec une satisfaction infinie, messieurs, que je reconnois combien, dans le cours de mon ambassade, vous avez paru disposé à contribuer à ces fins salutaires, par la manière dont vous avez fait usage de l'autorité qui vous est confiée.

Pénétré de ces sentiments, messieurs, ainsi que de la confiance qui vous est due à tant d'égards, il ne me reste qu'à vous prier d'accepter mes remerciements pour tous les égards que vous m'avez marqués, soit en ma qualité de ministre public, soir personnellement, & les vœux que je forme pour votre prospérité.

[p.292]

 

Adresse de Remerciements de l'Assemblée générale de Pensylvanie, au sieur Gérard, à l'approche de son départ.

 

Du 22 Septembre 1779.

À Son Excellence le sieur Gérard, Ministre Plénipotentiaire de Sa Majesté Très-Chrétienne près des États-Unis de l'Amérique, à l'approche de son départ.

Monsieur,

Les représentants des hommes libres de Pensylvanie, en assemblée générale, se présentent, devant votre excellence, pour lui exprimer ce qu'ils pensent des services très essentiels que vous avez rendus à l'Amérique ; ils m'ont chargé, en qualité de leur orateur, de vous faire leurs remerciements sincères, à raison de l'appui précoce, plein de zèle & de désintéressement que vous avez donné à leurs droits & à ceux du genre humain. Je vous assure, monsieur, que c'est avec une satisfaction infinie que j'embrasse cette occasion de déclarer, au nom de la chambre & de tous les hommes libres de Pensylvanie, qu'aussi long-tems que l'amour de la liberté[p.293]& notre vaste empire, subsisteront parmi les nations, l'Amérique conservera un souvenir mêlé de reconnoissance, & de votre nom, & des services que vous lui avez rendus. Nous vous souhaitons un voyage heureux & sans accident, le parfait rétablissement de votre santé, & la plus gracieuse réception de la part de votre magnanime & illustre monarque.

 

Réponse de son Excellence à cette adresse.

 

Du 22 Septembre 1779.

Messieurs,

Lorsque le roi, mon maître, a bien voulu m'honorer d'une portion de sa confiance relativement à la grande & glorieuse cause de l'Amérique, j'ai regardé le bonheur d'y réunir comme l'objet le plus élevé de mon ambition ; l'approbation dont l'assemblée générale de Pensylvanie, au nom des citoyens sensibles & éclairés de cet état, a bien voulu honorer ma conduite, est une des récompenses les plus flatteuses que j'aie pu désirer : elle me pénètre d'un sentiment intérieur de reconnoissance, & ajoute à la sincérité des vœux que je formois pour leur gloire & leur prospérité en général, & particulièrement[p.294]pour les personnes qui exercent si honorablement, avec tant de zèle & de capacité le pouvoir législatif qui leur est confié.

Veuillez bien, Messieurs, agréer ces assurances & mes remercimens sincères des vœux obligeans que vous formez pour moi.

 

Lettre de Lord Stormont, l'un des Secrétaires d'État de Sa Majesté Britannique, à M. le Comte de Welderen, Envoyé Extraordinaire & plénipotentiaire de L. H. P. les États-Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, pour leur demander contre la France & l'Espagne les secours stipulés par les Traités.

 

Saint-James, le 17 Avril 1780.

Monsieur,

Le roi a toujours espéré que la foi des traités, & les liens d'une alliance qui a subsisté depuis plus d'un siècle, ainsi que ceux d'une amitié réciproque & d'un intérêt commun, joints à l'évidence du danger qui menace la république elle-même, si la France & l'Espagne remplissoient leurs desseins ambitieux, porteroient leurs Hautes-Puissances à aider sa majesté à frustrer[p.295]ces desseins hostiles, en lui fournissant. les secours stipulés par les traités les plus solemnels. Mais puisque leurs Hautes-Puissances ont adopté un autre système, aussi contraire aux intérêts de la république, qu'à ceux de la Grande-Bretagne, puisqu'elles n'ont fait aucune réponse à la réclamation réitérée de ces secours, & n'ont pas même montré la moindre attention à remplir des engagements si clairs & si formels, S. M. s'est vue dans la nécessité d'exécuter ses intentions, si clairement annoncées dans le mémoire que son ambassadeur a présenté le 21 mars passé, & dans la déclaration verbale que j'ai eu l'honneur de vous faire par ordre exprès du Roi.

Comme vous êtes parfaitement instruit, monsieur, des sentiments de S. M. il ne me reste qu'à vous communiquer ministériellement l'ordre que le roi vient de donner en son conseil, & de vous prier d'en instruire leurs Hautes-Puissances. La publicité du mémoire présenté par l'ambassadeur du roi, ainsi que celle de la déclaration verbale, dispenseroit sans doute de tout avertissement ultérieur ; mais le roi désire que les individus souffrent aussi peu que possible, des suites du système que leurs Hautes-Puissances ont adopté, & qui paroît aussi opposé aux sentiments[p.296]de la nation Hollandoise, qu'il est contraire aux intérêts de la république. J'ai l'honneur d'être, &c.

 

Lettre de M. le Comte d'Estaing à S. E. le Gouverneur William Burth, dans laquelle il se plaint de plusieurs infractions au droit de la guerre & au droit des gens.

 

En rade du Fort, le 14 Mai 1780.

Monsieur,

J'ai déjà eu l'honneur d'entrer avec votre Excellence dans les plus grands détails au sujet de l'affaire de MM. Johnstone & Ross : j'ai non-seulement plaint leur situation ; mais j'ai eu la satisfaction de leur être personnellement utile ; je présume qu'ils ne l'ignorent pas ; nos formes légales sont fort lentes, mais nos loix sont très-douces ;& si j'ai pu les adoucir encore par toutes les démarches qu'il m'a été permis de faire, ces Messieurs ne doivent pas se persuader que les chefs d'accusation qu'il y avoit contre eux fussent dénués de preuves. Je ne vous cache pas que leur sort m'a vivement inquiété, & V. E. ne pourra sûrement s'empêcher de convenir que leur imprudence a été grande, Aller[p.297]dans une île nouvellement au roi sur un bâtiment masqué, dont la vraie commission angloise a été trouvée à bord, ainsi que des lettres des généraux ennemis écrites de leur main, & où il étoit parlé de projets d'attaque & de défense, c'étoit sans contredit risquer beaucoup. Aussitôt qu'il y a eu un jugement favorable, & tel que je le désirois, j'ai fait offrir à MM. Johnstone & Ross d'aller dans une habitation ; ils ont préféré de rester en prison ; j'ai dû en conclure qu'ils n'y avoient pas été maltraités : deux grandes nations se combattent en s'estimant, & ont de bons procédés l'une pour l'autre sans se craindre.

Je ne dois point dissimuler à V. E. le regret que j'aurois de voir rompre entre nous la seule communication que les nations policées conservent toujours entre elles ; celle que le droit des gens & que l'humanité rendent inviolable & sacrée au milieu des guerres les plus cruelles, la voie des parlementaires. Celui qui portoit un officier Danois, expédié dans toutes les formes, voyageur, pillé, arrêté, & enfin rendu après des frais excessifs, est une infraction ; mais ce qui détruit totalement l'inviolabilité du droit des gens, est la condamnation prétendue légale des deux bateaux Américains enlevés par les prisonniers Anglois qui étoient sous la conduite[p.298]du sieur Beauvais : V. E. m'a répondu que les révoltés auroient été punis s'ils ne s'étoient pas évadés en débarquant. Je me plais à croire ce que vous m'avez marqué, & je ne doute point que ces gens n'aient échappé, malgré vos ordres, à votre justice, mais ce qui est contradictoire, & ce qui me semble inexplicable, c'est de regarder comme bonne prise les bateaux & les Américains, enlevés par des prisonniers reconnus punissables pour avoir commis ce délit.

C'est, Monsieur, de la manière la plus forte & la plus précise ; c'est au nom de toutes les nations & de l'humanité qui pourra en souffrir, que je notifie à V. E. la réclamation formelle que je fais de ces deux bateaux, des Américains qui ont été faits prisonniers, & de leurs effets. Dans le cas que je ne peux pas supposer d'un refus, vous demeurerez personnellement responsable des suites funestes qui en pourront résulter. J'ai su résister au cri général de mes compatriotes ; le vœu public étoit de confisquer les parlementaires qui étoient ici, puisque vous les regardiez comme pouvant faire des prises légales : je m'y suis opposé ; il seroit bien douloureux pour moi, avec les sentiments d'estime pour votre nation dont je fais gloire, de voir l'animosité prendre la place de la générosité,[p.299]qui conviennent à des ennemis tels que nous. Cette générosité est certainement conforme aux ordres donnés par les deux grands monarques que nous servons.

J'attends votre réponse avec la plus grande impatience.

M. le comte d'Arbaud, gouverneur de la Guadeloupe, m'informe que parmi les cent & quelques prisonniers du parlementaire qui vous porte ma réponse, soixante & tant d'étrangers, Hollandois, Espagnols ou Italiens, provenant d'un bâtiment Hollandois armé, commissionné à Saint-Eustache, & appartenant aux sujets des États-Généraux qui le réclament, ne doivent point entrer en compte d'échange ; ce mélange dont je veux concevoir le motif, à sans doute causé la révolte qui a fait disperser par le besoin ou par le prétexte d'eau, le surplus des prisonniers, dont cependant il sera tenu compte à V. E. Je lui en renvoie par le présent parlementaire trente bien portants, vraiment Anglois & bons marins.

J'ai l'honneur d'être avec respect, &c.

[p.300]

 

Autre Lettre de M. le Comte d'Estaing à M. l'Amiral Byron, sur le mime sujet. Il la termine en témoignant le désir qu'il auroit que l'inviolabilité des bâtimens parlementaires fût sacrée & reconnue pour telle par le Gouverneur Burth.

 

En rade, le 14 Mai 1780.

Monsieur,

J'ai l'honneur d'envoyer à V. E. une expédition du procès-verbal qui contient l'historique & une des preuves de l'enlèvement des deux bateaux Américains pris par des prisonniers Anglois, que deux embarcations parlementaires reportoient à Antigue. Je prends la liberté de mettre aussi sous vos yeux l'extrait de la dernière lettre de réclamation que j'ai écrite sur cet objet à M. le gouverneur Burth. Je me flatte que la justice de ma demande, que son importance & que l'opinion de V. E. produiront l'effet que l'on doit en attendre. Cette étonnante affaire a jetté beaucoup d'embarras dans l'expédition des parlementaires des différentes colonies ;& il n'a pas fallu moins que toute ma fermeté, & la certitude où je suis que cette action sera hautement désapprouvée par[p.301]la nation Angloise, & par votre gouvernement ; pour conserver votre voie de communication utile à l'humanité ; c'est avec autant de sincérité que de plaisir que je remercie V. E. de la démarche qu'elle a eu la bonté de faire, en écrivant à M. le gouverneur Burth : l'hommage que je rends à la générosité de vos procédés, est un devoir flatteur ; c'est celui d'un matelot qui aime à voir réunies dans un grand homme de mer, tel que vous, les qualités militaires & civiles.

J'enverrai incessamment conférer avec V. E. pour recevoir & pour exécuter ses ordres au sujet des femmes & des enfants du trente-cinquième régiment, qui ont été détachés à la côte d'Espagne : M. le général Grant me fait l'honneur de m'en écrire ; je désirerois fort, avant qu'il y eût rien de réglé définitivement sur cette affaire, que l'inviolabilité des bâtiments parlementaires fût aussi sacrée qu'elle l'a toujours été, & qu'elle fût reconnue par M. le gouverneur Burth.

Je suis avec respect, &c.

[p.302]

 

Réponse de son Excellence le Major-Général Prévôt, Commandant les troupes de Sa Majesté dans la Province de Géorgie, à l'adresse de remerciement que lui avoient adressée les habitans de Savannah, à son départ de cette Province.

 

Du 27 Mai 1780.

Messieurs,

Votre adresse affectueuse me fait un plaisir sincère ; permettez que je vous en fasse mes remerciments les plus vifs : en remplissant mon devoir envers le meilleur des Rois, je suis heureux de recevoir l'approbation que vous donnez à la conduite que j'ai tenue à l'égard des habitants loyaux de cette province : je conserverai toujours, Messieurs, les sentiments de la vive reconnoissance due à ce témoignage de vos égards pour moi : je vous remercie sincèrement, Messieurs, des vœux obligeants que vous voulez bien former pour moi & pour ma famille.

J'ai l'honneur d'être, &c.

[p.303]

 

Lettre au Capitaine Grant, Commandant le Dolphin, à un de ses amis à Londres. Il lui apprend qu'il a été fait prisonnier par les Espagnols, & qu'on doit le lendemain le transporter à Gibraltar. Il fait un récit détaillé des égards & des attentions généreuses que les Officiers Espagnols ont pour lui.

 

Du 15 Août 1780.

Mon cher Ami,

Je suis fâché de vous apprendre que je suis actuellement prisonnier en Espagne. J'ai été pris, presque sous le canon de Gibraltar, le 11 du courant, par trois croiseurs Espagnols, qui, pendant une heure & un quart, ont fait sur nous un feu continuel : toutes nos voiles, toutes nos manœuvres étoient criblées, & en pièces, & notre vaisseau se trouvoit dans un état terrible ; heureusement, aucun des gens de notre équipage n'a été tué, & nous n'avons eu qu'un homme blessé.

Quoique je sois prisonnier, on me marque les plus grands égards, & toute l'attention possible. Le Capitaine du vaisseau à bord duquel[p.304]je suis, s'appercevant que l'on m'avoit enlevé tout ce que j'avois de hardes, me donna une chemise, des bas, une veste, &c. L'amiral Barcelo, dont la politesse ne peut être égalée que par sa générosité, m'offrit une bourse contenant soixante-seize piastres, ayant appris que les matelots appartenans à quelques bateaux à rames, m'avoient dépouillé de tous mes habits, avant qu'aucun de ses officiers pût arriver pour les en empêcher : je ne sais où trouver des termes, pour exprimer combien je suis pénétré de l'humanité des officiers Espagnols, qui ont exigé que nous couchions dans leurs lits : en un mot, le traitement que nous avons reçu a surpassé tout ce que nous pouvions désirer. Nous nous rendrons demain à Gibraltar, & je vous assure que je suis presqu'affligé de notre séparation, qui n'aura rien de ce qu'on éprouve au moment où l'on se sépare d'un ennemi hautain & vindicatif ; elle ressemblera davantage aux adieux affectueux que se font des frères, ou du moins à ceux que fait pour la dernière fois l'amitié affligée.

[p.305]

 

Réprimande du Chancelier, adressée au Comte de Pomfret, qui avoit été consigné à là Tour, pour avoir adressé des lettres injurieuses au Duc de Grafton.

 

Du 17 Septembre 1780.

Milord,

La chambre m'a ordonné de vous exprimer combien elle a été offensée & reçu de déplaisir, de l'insulte odieuse que vous avez faite à sa dignité & à ses privilèges, dans la personne d'un pair, en envoyant au duc de Grafton les lettres qui ont été lues, lesquelles contiennent des expressions très-indignes, & dont un homme d'honneur ne doit jamais faire usage à l'égard de son égal. La chambre m'ordonne de plus, de vous faire en conséquence, cette réprimande solemnelle &sévère ; mais, en considération des soumissions exprimées dans l'humble pétition que vous avez présentée à cette chambre lundi dernier, les pairs borneront votre punition ultérieure à l'aveu & aux soumissions que vous ferez à cette chambre, exigeant que vous contractiez solemnellement & sur votre parole d'honneur, les engagemens qu'il a paru convenable à[p.306]cette chambre d'ordonner & de prescrire.

Lorsque le chancelier eut cessé de parler, le comte de Pomfret, de la barre où il avoit reçu la réprimande, ayant été conduit à la place qu'il occupoit auparavant dans la chambre, prononça le discours suivant.

 

Discours du Comte de Pomfret rétabli dans la place qu'il occupoit dans la Chambre avant sa détention. Il demande pardon à la Chambre de son imprudence. Il avoue que les lettres qu'il avoit adressées au Duc de Grafton avoient été dictées par le soupçon d'une insulte que sa Grâce ne lui a point faite.

 

Du 17 Septembre 1780.

Milords,

J'ai été on ne peut pas plus sincèrement affligé, d'avoir encouru le déplaisir de votre Seigneurie, en envoyant au duc de Grafton, pair de cette chambre, les lettres peu ménagées &mal avisées, qui ont si grièvement & si justement offensé votre Seigneurie, j'en demande très-humblement pardon à cette honorable chambre ; elles ont été dictées par le soupçon d'une insulte, que sa Grâce ne m'a point faite ; j'en suis actuellement convaincu :[p.307]je promets solemnellement, & sur mon honneur, de ne plus prendre de mesures violentes, soit contre le duc de Grafton, soit contre toute autre personne, à raison de soupçon, & de tout ce qui a pu se passer à cette occasion. On notifia alors au gouverneur de la Tour, que son prisonnier étoit libre, & qu'il n'avoit plus à répondre de sa personne. C'est ainsi (ajoute le journaliste dont nous avons tiré cet article) que s'est terminée cette affaire :le comte de Pomfret n'en entendra certainement parler de sa vie : personne ne lui fera grise mine : censurons lorsqu'il y a lieu à la censure, admirons lorsque nous avons occasion d'admirer.

Ayant été résolu dans la chambre de délégation de la Virginie, qu'un comité de quatre personnes seroit préposé pour se rendre près du major-général Gates, « pour l'assurer de la haute estime de cette chambre ; qu'aucun revers de fortune ne pourroit jamais effacer le souvenir de ses anciens & glorieux services & que cette chambre ne laissera échapper aucune occasion de manifester à toute la terre, la reconnoissance qui lui est due par ce pays, soit en qualité de membre de l'union Américaine, soit en sa qualité de militaire ».

[p.308]

 

Réponse du Major-Général Gates aux remerciemens qui lui avoient été adressés de la part de la Chambre de délégation de la Virginie pour les anciens & glorieux services rendus par lui aux États-Unis comme Membre de l'Union Américaine, & comme Militaire.

 

Du 28 Décembre 1780.

Messieurs,

C'est avec la plus haute reconnoissance, que je conserverai à jamais le souvenir du grand honneur dont je suis aujourd'hui comblé par l'honorable chambre de délégation de la Virginie. Lorsque je m'engageai dans la noble cause de la liberté & des États-Unis, je me dévouai entièrement à leur service pour en obtenir la fin désirée :& je me rappelle avec mortification, avoir été une fois infortuné ; mais quelque soit à l'avenir, le sort de mes services, ils seront comme ils l'ont toujours été, dirigés par la plus fidèle intégrité, & animés du zèle le plus ardent pour l'honneur & l'intérêt des États-Unis.

[p.309]

 

Quinzième section. Sur divers sujets.

 

 

Discours éloquent de M. Shippen, dans lequel il appuie la motion de Lord Sommerset, tendante à empêcher le Roi d'engager ses Royaumes pour conserver ses domaines étrangers. Il déploie le courage le plus ferme & le plus constant, en soutenant cette assertion pour laquelle il avoit déjà été repris & envoyé à la Tour ;& il déclare que ni craintes ni espérances ne pourront jamais l'ébranler.

 

Du 14 Octobre 1741.

Monsieur l'Orateur,

Je ne sais comment je puis répéter dans cette chambre, avec quelque espoir de succès, des assertions qui ont été déjà désapprouvées, que jusqu'ici peu de personnes ont osé soutenir, & qui m'ont fait envoyer à la Tour. Je me lève cependant avec cette confiance, que ma conduite fera du moins connoître, que toujours d'accord avec moi-même, j'agis conséquemment, lorsque j'appuie le noble membre (lord[p.310]Sommerset), qui vient de faire la motion soumise à la chambre, dont le but est une adresse à sa majesté, qui l'empêche d'engager ses royaumes pour conserver ses domaines étrangers. Je suis même convaincu que plusieurs qui ne sont point du même avis que moi, seroient bien aises de pouvoir se vanter de cette confiante fermeté dans leur conduite.

Une confiante fermeté, monsieur, ne peut être l'effet que d'une parfaite intégrité. Celui qui fait tout ce qui est en lui, pour s'étudier avec soin à penser juste, avant de hasarder de mettre au jour ses sentimens, qui ne dit que ce qu'il pense sincèrement, qui ne suit dans ses démarches d'autre guide que la raison, qui n'en attend d'autre récompense que de manifester la vérité, & la satisfaction de la répandre ; celui-là, monsieur, ne change pas facilement d'opinion ; par la raison encore, qu'on ne voit point que quiconque cherche le vrai avec droiture, ait jamais manqué son but.

Pour moi, je n'ai ni honte ni crainte d'affirmer que trente années d'exercice n'ont point opéré de changement dans mes opinions politiques. J'ai vieilli dans cette chambre, & l'expérience qui est la conséquence de l'âge, n'a fait que me confirmer dans les principes avec lesquels je suis entré au parlement, il y a un[p.311]nombre d'années. J'y ai vu mes conjectures en mûrissant, devenir des certitudes, & le tems a prouvé la vérité des prédictions que j'ai avancées d'abord.

Je serois donc en vérité bien méprisable, si la crainte pouvoit m'intimider, ou l'espoir de quelque avantage me séduire jusqu'à m'empêcher de déclarer ma façon de penser, & m'ôter mes opinions ; opinions que je n'ai pas craint de soutenir, alors même que la perspective d'une plus longue vie que je ne puis aujourd'hui l'espérer, pouvoit ajouter aux séductions & aux amorces de l'ambition, ou aggraver les terreurs de la pauvreté & de la disgrâce ; opinions pour lesquelles je me serois volontiers exposé aux censures les plus sévères, alors que je n'y étois poussé que pour me plier à la droite raison, sans avoir encore la certitude infaillible de l'expérience que j'ai acquise aujourd'hui.

Quant à la vérité, monsieur, on a remarqué dans tous les tems, que chaque jour ne fait que l'affermir de plus en plus ; que le mensonge au contraire, tout spécieux qu'il soit d'abord, quoique appuyé par le pouvoir & soutenu par des associations, est incapable de résister aux coups du tems. Aussi aux infirmités, aux incommodités de la vieillesse, on peut opposer le plaisir de s'assurer de la vérité, le seul[p.312]plaisir peut-être que l'âge apporte avec lui :& ce n'est point une mince satisfaction pour un homme sage & droit, de pouvoir perfectionner ses connoissances & régler sa conduite par de nouvelles lumières. Mais plus heureux encore, monsieur, est celui que chaque jour confirme, que c'est la raison qui l'a déterminé dans toutes ses démarches, & qui a les témoignages les plus certains, que sa vie s'est passée à répandre des principes utiles à ses semblables. C'est, monsieur, le bonheur dont je jouis aujourd'hui & que ne goûteront jamais ceux qui croient trouver un équivalent de cette jouissance dans la recherche des postes lucratifs, des titres honorifiques, dans un attirail pompeux & de magnifiques palais : avantages, monsieur, que l'on obtient par une variation de principes, par une complaisance facile à se plier à l'opinion dominante du jour ; mais que je ne leur envie nullement, dès qu'il faut les acheter à un si haut prix ; avantages dont l'âge & l'observation m'ont trop souvent montré le pouvoir sans bornes, & auxquels je dois attribuer l'inconsistance des assertions, & la mobilité de conduite que j'ai éprouvées dans plusieurs de nos politiques : ce n'est pas toutefois que je puisse désapprécier leurs talens, car je les crois très-capables de discerner la vérité, si le charme des honneurs,[p.313]si l'éclat de l'opulence & du suprême pouvoir ne leur fascinoient pas les yeux.

S'il y a dans le présent parlement de tels hommes qui, dévoués à leur intérêt personnel, préfèrent de satisfaire leurs propres passions au bonheur & à la sûreté de leur patrie ; qui, sans remords, peuvent faire trophée de la ruine de leurs constituans, qui, dans le fracas d'une fête, dans la pompe d'un splendide festin, ou dans les bras d'une vile prostituée, peuvent oublier les angoisses du crime, qui peuvent mettre en paralelle des plaisirs insensés, ruineux & criminels avec la réputation d'homme de bien & la paix de la vertu ; s'il y a ici, monsieur, de tels hommes ; non, ce n'est point pour eux que je parle. Je suis en effet loin d'imaginer qu'aucun de mes discours ait le pouvoir de ramener à la vérité ceux qui ont prostitué leur cœur à l'avarice & à l'ambition, & de persuader de changer d'opinion à des hommes qui ne croient pas à celle qu'ils paroissent avoir, mais qui ont été payés pour la soutenir. Car il y a un degré de perversité, que pas un raisonnement, pas un reproche ne sont capables de réveiller & de faire rentrer dans le devoir ; comme il y a un degré de stupidité, passé lequel, aucune leçon ne peut instruire ni éclairer.

Si ma patrie, monsieur, est encore aujourd'hui[p.314]assez infortunée pour commettre ses intérêts à ceux qui ne se proposent d'autre avantage de leur crédit que celui de le mettre à l'enchère, je pourrai m'exposer encore une fois à être repris, en déclarant ma façon de penser. Oui, je m'attends encore une fois à être traité en criminel d'état, si j'affirme ce que ceux-mêmes qui me punissent, ne peuvent nier ; si en attaquant les maximes Hanovriennes, je prouve leur incompatibilité avec les intérêts de ce royaume, & si j'insiste sur les précautions fortement inculquées par nos dignes ancêtres, ces vrais patriotes, dans leur Acte de Settlement, qui donna le trône à la maison régnante.

Ces hommes, monsieur, dont on ne peut contester la sagesse, dont le zèle pour le service de sa majesté & de la famille royale égaloit les lumières, regardèrent comme nécessaires de prendre d'avance ces sûretés contre les préjugés de la naissance & de l'éducation. Ils étoient loin de penser qu'ils appelloient au trône une race d'êtres au-dessus de toute foiblesse humaine, & par un privilège spécial, exempts d'ignorance & de toute erreur. Ils savoient que tout homme par la nature, & plus encore par l'habitude, est passionné pour son propre pays, qu'il est naturellement porté à[p.315]l'enrichir & à le défendre, aux dépens de tout autre pays, & peut-être de celui-là même auquel il doit plus de gratitude, & envers lequel il est le plus redevable de son opulence & de sa grandeur. Car, (si la raison l'emportoit sur des préjugés, & si la justice étoit la seule règle de nos actions), ce qui rend notre situation préférable à une autre, devroit nous rendre ce pays plus recommandable & plus cher que tel coin de la terre, parce que le hasard nous y a fait naître…

Or ces préjugés que leur sagacité leur fit prévoir, leur intégrité les porta à nous défendre contre leur influence, par des précautions que personne alors ne put ne pas trouver justes & sages, parce qu'alors personne n'étoit payé pour soutenir une opinion contraire.

En conséquence, pour obvier au penchant que des princes étrangers pourroient avoir de favoriser au détriment de l'état, les sujets originaires de leur pays ; il fut établi qu'aucun de ces sujets ne seroit habile à occuper un poste lucratif ou une place de confiance dans les trois royaumes ;& pour empêcher nos monarques de transporter à Hanovre les revenus de la Grande-Bretagne, & d'enrichir ce duché aux dépens de nos laboureurs & de nos commerçans, afin d'empêcher ces princes de lever ici[p.316]des impôts pour augmenter la splendeur de cette petite cour, & pour renforcer les garnisons de leurs montagnes, en appliquant mal à propos les sommes qui auroient été levées sur notre propre nation de pour sa défense, il a été pourvu :« Que le roi de la Grande-Bretagne ne pourroit jamais retourner dans son domaine natal, mais qu'il résideroit à toujours dans ce royaume, & que sa majesté n'auroit pas d'autre soin que celui de mériter l'affection de ses sujets Bretons, que de maintenir leurs droits, & d'augmenter leur puissance ».

[p.317]

 

Discours de Sir Bunbury. Il démontre la nécessité d'établir une nouvelle police par rapport aux prisons, de les purger parce qu'elles sont contagieuses au physique & au moral. Il finit par indiquer plusieurs moyens d'y parvenir, dont le principal est de transporter les prisonniers hors du Royaume, de les distribuer dans l'Afrique & dans les Indes, & de les y occuper utilement.

 

Du 6 Février 1779.

Les matières purement dites de police, méritent dans tous les tems, beaucoup d'attention, mais cette attention doit être double dans les tems de difficulté & de danger public ; la guerre, ce fléau de l'humanité, commence à étendre au loin ses ravages & menace la Grande Bretagne des plus sérieuses conséquences ; il est tems, monsieur, de revenir de nos erreurs en commençant par les reconnoître, & de considérer ce qu'il peut y avoir de vice interne dans notre manière d'administrer la police : depuis quelques années, le parlement a donné plus d'une fois son attention à l'état des prisons publiques, & au nombre des criminels que la disposition de nos statuts y renferme, à raison de quelque[p.318]infraction faite, soit contre le bon ordre, soit contre la sûreté des citoyens : l'industrie bienfaisante de M. Howard a mis le parlement en état de découvrir une infinité d'abus divers qui se sont introduits dans la discipline & la police des prisons. Enfin il y a quatre ans que l'on a passé un acte aux fins de supprimer ces abus : il est résulté beaucoup de bien des dispositions de cet acte ; elles ont mis un frein à la rapacité, un terme aux pratiques coupables des geôliers, & autres ayant des prisonniers confiés à leurs soins ; ensorte qu'en général, nos prisons sont aujourd'hui sur un meilleur pied, qu'elles n'étoient avant cette époque ; mais il s'en faut beaucoup que l'esprit de l'acte ait été parfaitement saisi, ou du moins que l'on se soit conformé à la plupart de ses dispositions : quantité de réglemens qui devoient en émaner, n'ont jamais eu lieu dans les prisons ; là parce que les concierges ont été négligens ; ici parce qu'ils ont été mal intentionnés : dans d'autres endroits, parce que la forme, la distribution des prisons elles-mêmes ne permettoient pas qu'à certains égards les vues de l'acte fussent remplies.

Pénétré de l'importance de cet objet, j'y ai donné toute l'attention dont je puis être capable, & je suis redevable à l'assiduité de mes recherches, de la découverte de quelques faits[p.319]essentiels dont je vais faire part à la chambre. Une des premières réflexions qui m'a frappé, m'a été suggérée par l'apperçu du nombre incroyable de criminels qui sont transférés tous les ans au Old-Bailey (tribunal qui revient à celui de la Tournelle) ; j'avouerai qu'en sentant l'humanité gémir au fond de mon cœur, je n'ai pu me défendre d'un sentiment involontaire qui, s'élevant à côté de la compassion, condamnoit secrètement, & l'absurdité du système que nous nommons police, & l'inefficacité de ce code pénal, de cet amas indigeste de statuts, qui de tems à autres, ont reçu la sanction du parlement ; mais enfin de cette découverte, il peut résulter un bon effet ; j'ai remarqué à mon grand étonnement, que le nombre des malheureux convaincus au Old-Bailey, à l'exception de l'année dernière, avoit été aussi considérable en tems de guerre, qu'en tems de paix : il résulte de cette remarque, que l'année dernière étant celle où l'acte pour recruter, a été mis en exécution dans la capitale & ses environs, il est clair que l'effet de cet acte a été de purger cette partie du royaume de ces essaims dangereux de fainéans, de vagabonds, de débauchés, qui dévorent la substance de l'industrie laborieuse & honnête : cet argument est sans réplique, & prouve que l'on abuse des notions attachées aux[p.320]mots liberté & oppression, lorsque l'on prétend que c'est attenter à la liberté des individus, que de forcer à rendre service à leur pays des êtres dangereux, que l'on verroit la corde au col, s'ils n'avoient pas un fusil sur l'épaule ; les y forcer, c'est au contraire leur rendre service à eux-mêmes.

Mais il ne s'agit pas de vagabonds qui sont à la veille de devenir criminels, il s'agit des criminels eux-mêmes, de ceux qui ont été déjà convaincus : dans tous les cas où le crime n'est pas d'une nature assez grave pour mériter la mort, je ne connois qu'une espèce de châtiment raisonnable & utile, c'est celui du transport ! Il est le seul qui laisse quelqu'espoir de ramener les criminels à quelque notion de ce qu'on appelle mœurs, sans infecter les mœurs de ceux qui ne sont pas criminels. Nous avions à cet égard une grande ressource dans la Virginie & le Maryland, ces deux colonies tiroient un parti avantageux de cette écume malfaisante de la société : mais depuis leur révolte, les entrepreneurs de cette branche de négoce ayant déclaré qu'ils ne pouvoient plus se charger des criminels que nous condamnions au transport, on imagina une espèce de punition ressemblante à celle des galères : on passa un acte aux fins de transmuer la peine du transport en celle d'un travail forcé[p.321]pour un tems limité à bord d'une allége sur la Tamise : on se rappelle que lorsque cet acte fut passé, on en restreignit la durée à un an, parce qu'on le considéra purement comme un essai soumis à l'expérience ; or l'expérience a prouvé que cette ressource étoit mauvaise, qu'elle ne pouvoit à aucuns égards produire l'effet du transport au-delà des mers, & qu'elle ne tendoit qu'à multiplier le nombre des malheureux contre lesquels la loi est obligée de sévir. J'ai vérifié à cet égard un fait qui mérite quelqu'atention. Lorsque le transport étoit la punition ordinaire des criminels qui ne méritoient pas la mort, le nombre des personnes transportées n'excédoit pas, année commune, celui de mille : aujourd'hui les alléges établies à Woolwich en contiennent 340, & toutes les prisons de l'Angleterre sont pleines de criminels que l'on y nourrit pour ne rien faire, parce qu'il n'y a pas de places sur les alléges pour les recevoir & leur donner de l'occupation : cependant ces malheureux détenus dans les prisons ordinaires, communiquent le poison de leurs mœurs à cette classe de sujets que des égaremens moins répréhensibles, ou la simple infortune condamnent à habiter les mêmes lieux ; ce sont des pépinières où le crime se greffe sur des sujets destinés par la nature à porter des fruits salutaires : quelle[p.322]influence n'a pas, par exemple, sur l'esprit affaissé d'un infortuné prisonnier pour dettes, la conversation dissolue d'un vil débauché accoutumé à tirer sa subsistance de la pratique seule du vice ? Un autre inconvénient qui naît de l'usage dangereux de retenir les criminels en prison, jusqu'à ce qu'il y ait sur les alléges de la place pour les recevoir, c'est que sortant de ces gouffres d'insalubrités, où une fièvre éternelle règne sous le nom de maladie des prisons, ils portent une espèce de peste à bord de ces alléges, où sans cette imprudence, l'air & le travail conserveroit la santé des forçats.

En général, on n'a rempli nulle part l'objet de l'acte passé pour réformer la discipline & la police qui doivent être observées dans les prisons ; nulle part on n'a séparé le libertinage du crime ; dans cette prison neuve de Newgate qui vient de coûter tant d'argent à construire, on a tout abandonné aux hasards de la promiscuité ; là j'ai vu sur le même banc l'apprentif tapageur, le filou & le voleur de grand chemin.

Nos maisons de correction ne sont pas dans un meilleur état ; dans la plupart, les concierges n'ont pas l'autorité effective, c'est-à-dire, la force nécessaire pour contenir des êtres hardis & toujours prêts à tout entreprendre. L'objet de[p.323]ces institutions est de contraindre au travail les sujets que les magistrats condamnent, & la sentence reste sans exécution, parce que ceux qui sont chargés de la faire exécuter ne l'osent pas : je pourrois ajouter à ce tableau affligeant des touches plus sombres encore ; mais entrer dans des détails plus révoltans, ce seroit adresser des reproches directs à la sagesse de l'assemblée qui m'écoute : il suffit d'établir que tous ces maux & beaucoup d'autres existent : ce qui reste à faire, c'est d'y chercher un remède, de trouver quelque moyen de disposer des criminels d'une manière moins dangereuse & plus utile, qu'on ne l'a fait d'après les dispositions de l'acte actuellement existant : je demande en conséquence que l'on charge un comité de l'examen des papiers déposés sur la table & ayant rapport à l'état des prisons : après ce préambule, il est naturel que l'on s'attende à m'entendre proposer quelque plan plus utile que celui dont j'ai démontré les dangers : je vais faire part à la chambre de mes idées à cet égard.

L'homme, au rapport des naturalistes, confirmé par l'expérience de tous les jours, est un animal imitateur ; il assimile ses idées à quelque chose qui le frappe ;& n'a pour règle de ses actions, que les actions de ceux qu'il voit & qu'il fréquente ; de-là sans doute l'origine[p.324]de la peine du transport. La législation a sagement vu & senti la nécessité d'arrêter les progrès de la corruption & du vice, en envoyant ceux qui en étoient infectés, dans ces parties éloignées de l'empire, où l'industrie & la vertu étoient plus remarquables, espérant que l'exemple influeroit sur la réforme : d'après ces premières notions, il paroît que ce que nous avons à faire est de disperser, non pas de rassembler en corps les sujets vicieux dont les mœurs sont contagieuses ; or pour y réussir il n'existe qu'un moyen, celui que l'on pratiquoit avant que nous eussions perdu l'Amérique, & que l'on peut pratiquer encore : nous avons deux moyens de transporter utilement les criminels ; premièrement celui d'en tirer ceux qui le sont à un point moins décidé, & d'engager la compagnie des Indes Orientales à s'en charger pour en faire des soldats qui serviroient dans l'Inde pendant cinq ans : en second lieu celui d'en envoyer une partie aux Indes Occidentales, où ils pourroient être employés dans les plantations avec d'autant plus d'avantages que les Nègres y sont rares : en supposant que l'on trouvât de l'inconvénient à y faire passer les hommes, du moins les femmes y seroient très-utiles & parfaitement bien reçues.

À l'égard des maisons de correction ou de[p.325]travail, elles seroient d'une grande utilité dans l'intérieur du royaume, si on les construisoit de manière que chaque prisonnier ou prisonnière eut sa cellule séparée ; il s'agiroit d'en faire l'essai d'en construire une dans les environs de la capitale, je ne doute pas qu'on ne fût promptement remboursé de la première dépense. Il feroit un troisième moyen de transporter les criminels ; je le soumets à la considération de la chambre ; je sais qu'une partie considérable de la côte d'Afrique est on ne peut pas plus mal saine & mortelle pour les Européens, mais je crois que les bords de la rivière de Gambia & le pays qui s'étend au-dessus dans l'espace d'environ 400 milles, par leur position élevée, sont aussi sains qu'aucune partie de l'Europe on pourroit y transporter des criminels de l'un & l'autre sexe, & cet établissement, qui commenceroit par occasionner quelque dépense, ouvriroit probablement quelques nouvelles ressources au commerce ; cette spéculation mérite l'attention du parlement.

Cette motion n'éprouva aucune opposition, & passa sur le champ.

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Discours de Sir Herbert Mackworth, présentant à l'Assemblée une pétition de débiteurs insolvables, qui remplirent au nombre de 5000 les prisons de la Capitale & des Provinces, & qui offrent spontanément leurs services à l'État.

 

Du 26 Février 1779.

Il n'y a pas d'état, qui dans les temps de difficulté n'ait besoin de toutes ses forces ; or les forces d'un état consistent dans la multitude des bras qu'il peut employer : les mêmes circonstances qui rendent nécessaires le concours & l'assistance de tous les citoyens contribuent malheureusement à en priver l'état, en ôtant aux particuliers les ressources qui les soutiennent dans les tems de prospérité, & forçant le père de famille à faire des emprunts pour soutenir sa femme, ses enfans, quelquefois son père, sa mère, &c. En Angleterre, peut-être plus que part-tout ailleurs, cet inconvénient inséparable des troubles de toute espèce, se renouvelle encore aujourd'hui ; quantité de personnes qui, dans des tems plus heureux vivoient honorablement & dans une certaine aisance, gémissent aujourd'hui dans le fond d'une prison : si ces[p.327]infortunés demandoient leur liberté sans condition, & en vertu d'un acte d'insolvabilité, il y a si peu de tems que l'on a passé un acte de cette espèce, que je n'eusse pas cru devoir me charger de leur pétition ; mais ils mettent un prix noble à leur liberté, ils offrent spontanément leurs services à l'État ; ils proposent ou d'entrer immédiatement au service de sa majesté, ou de fournir un substitut convenable ; leur nombre est de cinq mille : je crois que cette proportion mérite une attention sérieuse ; il s'agit de rendre dix mille bras à l'État & d'épargner au moins vingt mille livres sterlings.

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Discours de M. Vicesimus Knox, dans lequel pour encourager ses Concitoyens abattus, il soutient que la prospérité d'un Empire engendre la sécurité & le luxe, qui causent infailliblement sa ruine ;& qu'au contraire c'est de ce qu'on appelle l'adversité nationale qui réveille les courages engourdis, que naissent l'éclat & le salut d'un Empire.

 

Du 23 Juin 1779.

Il est très-certain que la prospérité nationale, si l'on entend sous cette idée de puissantes armées, des flottes nombreuses, un empire très-étendu, un commerce très-florissant, des revenus considérables, un numéraire immense ; il est très-certain que tout cela n'est point une sorte d'avantage nécessairement lié avec le bien moral ou avec le vrai bonheur des individus. Ce sont, j'en conviens, aux yeux de l'imagination des apparences flatteuses, brillantes & riches, mais qui réellement ne montrent aux yeux de la raison que de justes craintes ; car l'expérience des siècles passés prouve & doit convaincre, que la prospérité n'a jamais enfanté que la dissolution & la misère dans la vie privée ; que la prospérité introduisant le luxe, l'indolence, la licence & la corruption,[p.329]détruit à la fois tout ce qui peut élever le courage de l'homme, & le rendre heureux ; enfin, que cette même prospérité a toujours avancé & précipité la chute des empires, dans le moment où on les voyoit tout éclatans d'une gloire qui exaltoit les imaginations.

On a judicieusement observé que les corps politiques & le corps humain ont entr'eux une analogie très-marquée : un homme bien choyé, bien nourri, qui a de l'embonpoint, semble annoncer de la force & de la santé ; tandis que sa corporence pléthorique ne peut que ralentir ses mouvemens naturels, & lui faire justement craindre le danger imminent d'une mort subite. Il en est de même du corps politique, dont les muscles & les nerfs s'affoiblissent, & qui perd de sa vigueur en proportion qu'il acquiert une étendue plus considérable ; lequel par la diminution graduelle de ses forces & l'augmentation de son poids, s'ébranle & chancelle sur ses hautes colonnes, & finit comme Babylone & l'ancienne Rome, par s'écrouler. Le luxe, la conséquence inévitable de ce qu'on appelle très-improprement prospérité nationale, nécessairement devient le tombeau des empires, & à la fois de tout ce qui paroissoit devoir les rendre plus florissans, & faire de leur splendeur & de leur durée, un juste objet d'admiration & d'envie.[p.330]Il est indubitablement un certain degré de grandeur auquel un empire une fois parvenu (pour continuer la même allégorie), doit subir l'alternative, ou de se purger de ses humeurs fébriles, ou de tomber dans un état de dépérissement extrême, & conséquemment pencher vers sa fin. Peut-être notre propre pays est-il déjà arrivé à ce période ; peut-être est-il aujourd'hui sous la main de la Providence, condamné, pour conserver sa faute, son existence, à subir l'amputation de quelques excroissances dangereuses. Alors, il pourra perdre quelques-uns de ses revenus, mais par-là, perfectionner sa morale & sauver sa liberté : les ministres peuvent être renversés de leur siège, les pensionnaires, les gens à place être réduits au désespoir, le trésor public s'épuiser, les fonds de terre décheoir & tomber à leur taux naturel ; mais la liberté, mais la vertu, mais l'industrie, mais la constitution Britannique, mais la nature humaine enfin, surnager & survivre à ce naufrage ;& comme l'or & l'argent qui s'épurent par le feu, acquérir par cette épreuve plus de valeur & d'éclat. Ce qui succède parmi les hommes, après un coup affreux de l'adversité dans l'état politique, ressemble, en quelque sorte, à ce renouvellement de toutes choses, qui doit arriver à la fin des siècles, après l'embrasement général de l'univers.[p.331]Dans la vie privée, l'infortune & les difficultés sont de puissans aiguillons d'activité pour le travail. Les facultés de l'esprit, qui, dans des jours heureux, d'aisance & d'abondance, sembloient s'endormir pour toujours, rappellées par l'adversité, & sorties de cette léthargie, parviennent à un degré de vertu, de bonheur & de gloire, le plus digne d'envie. L'homme est naturellement indolent, tant qu'il ne rencontre point d'obstacles ; il se réchauffe au soleil, & y dormiroit jusqu'au sommeil de la mort, si la tempête & la foudre ne le réveilloient point ; alors, il se lève, s'anime, marche à son but, & fait des efforts incroyables. Ces efforts surnaturels, combinés avec uniformité, & continués avec une résolution confiante, ne manquent presque jamais d'avoir leur effet ; de sorte que ce qui est de chétifs commencemens, finit avec éclat ; comme l'astre qui nous éclaire, caché dans un nuage, se montre ensuite avec sérénité, & peint tout l'horison d'azur & de pourpre.

L'industrie politique peut être réveillée de la même manière & avec la même activité par les adversités publiques. La nation s'est-elle appauvrie, disons mieux, ses superfluités sont-elles diminuées (ce qui est pour son bien, l'événement le plus désirable) ? bientôt le luxe, & avec lui dix mille maux qui marchent à sa suite, est forcé de se[p.332]retirer ;& les humbles vertus, que son insolence avoit bannies & expatriées, reviennent gaiment de leur exil. La frugalité & l'industrie sont à leur tête, & à quel degré de force & de vigueur ne peut pas se porter chaque muscle du corps politique, lorsque tous ses membres, dans toutes leurs mesures, sont mus & animés par l'esprit de l'économie & du travail ?

Jamais l'homme ne s'évertue jusqu'à déployer toutes ses forces, comme on ne se rappelle pas qu'aucun état politique se soit épuisé ; de sorte que tant qu'il jouit de sa liberté, il peut ranimer ses esprits vitaux, & y trouver de nouvelles ressources. Un arbre émondé, tant que sa racine sera intacte, donnera plus de branches, produira de fruits d'une saveur plus parfaite, &tirera une nouvelle vigueur de la serpe. Un accident a-t-il dérangé une fourmilière, ou brisé l'édifice d'une ruche à miel, quoique leurs habitans toujours actifs eussent paru travailler auparavant avec les derniers efforts, il est étonnant avec quelle nouvelle vivacité ils s'appliquent à réparer le dommage : ils ne prennent pas un instant de relâche ; la terre, l'air semblent s'échauffer de leur action, & c'est l'infortune qui leur a donné de nouveaux esprits, & finalement augmenté leur trésor & la sécurité publique.

La superbe description où Virgile nous peint[p.333]l'action, le mouvement, l'activité des Tyriens forcés de bâtir Carthage, est un tableau vivant qui représente, de la manière la plus naturelle, combien l'homme s'élève au dessus de lui-même, alors qu'il est pressé par l'aiguillon de la nécessité. L'émulation du travail saisit tous les cœurs : on n'entend point murmurer ou se plaindre, & chacun ne se trouve heureux qu'à proportion qu'il est plus utile. L'empressement s'accroît avec la circonstance, & un malheur politique, comme les autres maux, sous la conduite d'une divinité secourable, produit le plus grand bien, fait briller les plus nobles courages, & déploie les plus grands caractères qui jamais aient embelli les annales de la nature humaine.

Mais l'adversité nationale produit un avantage d'une bien plus grande importance, que tout ce que j'ai déjà pu rappeller ici : elle subjugue l'âme hautaine que les richesses & l'abondance avoient exaltée & comme enivrée : l'adversité tourne son attention vers le roi des rois, le seigneur des seigneurs, le dominateur des princes même, qui de son trône, voit toutes les nations, & qui arrache au prince inique, le sceptre pour le mettre aux mains plus dignes de le porter. L'adversité nous instruit nous-mêmes de compter peu sur nos auxiliaires d'Allemagne, sur nos mousquets, nos mortiers, notre canon, sur nos vaisseaux doublés[p.334]de cuivre, sur nos généraux & nos amiraux ; mais plutôt sur l'appui du seigneur des armées. Si le tout-puissant combat pour nous, la victoire nous attend : sans lui nous plaçons vainement notre confiance sur un Bourgoyne, sur un Keppel ou un Cornwallis. « Mais la boule de l'empire continue à rouler du côté de l'occident, comme elle a déjà fait, jusqu'à ce qu'elle s'arrête en Amérique, ce monde inconnu aux anciens, & qui peut épargner des larmes à un nouvel Alexandre[11] ».

Que si, dans ses décrets impénétrables, la Providence a résolu le renversement de la suprématie Britannique, je m'estimerai toujours heureux d'avoir suggéré une idée qui peut réveiller les courages de mes compatriotes, pour relever encore une fois la noble colonne de l'empire, sur la base de la liberté & de la vertu ; ou heureux encore, de leur rappeller ce qui peut les consoler dans ce désastre ;& sur tout leur apprendre, pendant que leurs harpes tristement suspendues aux saules, ils sont assis au bord des eaux de l'amertume, qu'ils doivent se tourner vers celui seul qui peut faire couler des ruisseaux de lait dans le désert le plus affreux & le plus aride.

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Autre discours du même qui termine un volume d'Essais moraux & littéraires. Il y prouve aussi les avantages de l'adversité nationale ; la nécessité essentielle de la culture de l'esprit, de mœurs & d'une éducation civile, pour soutenir l'existence de la liberté civile, & pour assurer la prospérité d'une Nation. Il démontre combien cette institution, digne des anciens Héros de la Grèce & de Rome, éclaire l'esprit, élève l'âme & perfectionne la nature humaine, en même tems qu'elle établit & assure les droits de l'Homme. Il insiste sur l'importance de rappeller ces grandes vérités dans les circonstances périlleuses où se trouve la Grande-Bretagne.

 

Du 23 Juin 1779.

La dignité de l'homme & son bonheur fondé sur la raison, sont toujours proportionnés à la vraie culture de la nature humaine. Son éducation & son instruction morale ne peuvent jamais être inutiles ni hors de saison ; car la vertu de l'homme est le rocher de Sysiphe, lequel a un penchant naturel à rouler & retomber sans cesse : pour le retenir & le relever incessamment, il[p.336]faut y être continuellement excité par les encouragemens de vertueux moralistes qui se succèdent sans interruption.

Quant à l'influence de la vertu par rapport à la prospérité d'un empire, il est certain que ses jours de gloire ne brillent que dans les circonstances difficiles, qui exigent nécessairement des efforts extraordinaires de toute une nation. L'adversité nationale, comme l'infortune dans la vie privée, empêche l'homme de s'abandonner à un lâche sommeil ; l'adversité le réveille, & lui inspire l'activité la plus énergique. Dans la prospérité, ses vertus languissantes sembloient s'endormir, comme des armes qui, durant les jours tranquilles de la paix & de l'abondance, ternes & rouillées dans la poussière d'un arsenal, en sortent pour briller & s'aiguiser par le choc & le mouvement de la guerre. Or, peut-être jamais aucune circonstance n'a exigé plus instamment ces efforts de la vertu, que lorsqu'une nation se trouve engagée à la fois dans une guerre où elle a quatre puissances formidables à combattre, en même-tems qu'elle est cruellement déchirée au dedans par de violentes dissentions.

Non, ce n'est point dans ses nombreuses & vastes possessions, dans ses riches trésors, que réside la force d'un empire ; c'est dans le courage, dans l'énergie de ses membres qu'elle consiste :[p.337]mais ce courage, comment peut-il être réveillé & dirigé droit à son but ? Pour cela, il faut que l'esprit soit éclairé, le cœur aggrandi, les sentimens élevés : car l'ignorance, l'avarice & le luxe, sous quelque gouvernement que ce puisse être, dans quelque condition que ce soit, énervent l'homme, & le rendent incapable d'aucun effort. Ces vices couvrent sa foiblesse & sa bassesse ;& à la faveur des récompenses & de l'intérêt personnel, lui font regarder comme un bonheur, l'humiliation de se courber sous le sceptre du despotisme.

La liberté sans laquelle, on le peut dire, nous aurions à nous repentir de notre existence comme d'un présent funeste & empoisonné du créateur, cette liberté ne peut être bien sentie, justement prisée, & conséquemment défendue comme elle doit l'être, sans une certaine & suffisante culture de l'esprit & des mœurs. Le fat, l'homme vicieux, le journalier rarement portent leurs soins au-delà de leur individu :& l'homme né parmi le peuple, sans éducation, a beau crier de toute sa force dans une orgie de débauche, le nom de la liberté, il ignore comment la défendre d'une manière efficace ; car hélas ! le seul cri de la liberté a bien peu de pouvoir contre l'atteinte de la baïonnette ou du canon. Il n'y a qu'une résistance fondée sur des principes solides, fermes,[p.338]inébranlables, qui puissent repousser les usurpations de ceux à qui la fortune a donné le pouvoir, & la nature le penchant d'en abuser, & qui puisse conserver à nos descendans ces sublimes avantages qu'un Hampden & un Sydney ont scellé de leur sang. Ces libertés, dont un Anglois a de quoi s'enorgueillir ; je veux dire, le droit d'être un peuple législatif, celui d'être jugé par ses pairs ; la liberté de la presse ; le privilège de penser, de parler & d'agir, sans avoir à redouter une police arbitraire ; ces libertés sont d'un genre à rendre l'Angleterre, en comparaison de plusieurs nations voisines, un paradis sur la terre. Mais ces avantages sont trop relevés pour frapper les sens, & toucher l'intérêt personnel ;& ils sont trop compliqués pour être parfaitement compris & appréciés par un esprit grossier & sans éducation.

Je hazarderai d'avancer cette vérité, que l'écrivain qui prêche avec énergie une morale pure, des vertus mâles, & la culture des facultés de l'esprit, par une éducation libérale & généreuse, non seulement sert la cause du savoir, des mœurs & de la religion ; mais encore travaille efficacement, de la manière la plus solide & la plus durable, à l'avantage du bien politique. Ses veilles tendent à l'avancement des membres de la société, dans toutes les perfections dont la nature humaine peut être susceptible. Il éclaire les esprits[p.339]de manière qu'ils peuvent concevoir les grands & solides objets du bien public ;& il excite leurs cœurs à la poursuite de ce bien, avec cette même ardeur qui distingua autrefois les grands hommes qui, pour antagonistes, avoient de grands hommes. Loin de chercher à ramper lâchement sur la terre, comme le font aujourd'hui la Grèce, l'Italie, l'Asie, l'Afrique & le Midi de l'Amérique, ils envisageront plutôt comment autrefois Xercès fut repoussé dans les défilés des Thermopyles par un Philippe ; comment fut combattue à Rome l'ambition d'un Tarquin & d'un César ?

Ce n'étoit point une haine aveugle, un orgueil jaloux & farouche, une envie de combattre toute autorité quelle qu'elle fût, qui inspira à ces héros de la liberté, ce généreux enthousiasme ; ils l'avoient puisé dans les écoles d'une sublime philosophie, dans une éducation suivie d'une exacte & sévère discipline : cette passion de la liberté étoit accompagnée d'une gravité de mœurs & d'une élévation de sentimens admirables.

Comparons actuellement à ces fiers républicains, une nation ou ceux qui ont la plus grande influence dans son gouvernement, par une dépravation générale dont ils se font gloire, sont des joueurs de profession, des débauchés reconnus, des hommes livrés au luxe, à la vanité, des[p.340]lâches voués à un intérêt sordide, toujours prêts à contracter des dettes, avec le dessein formé de n'en payer aucune : je vous le demande, trouverez-vous chez de tels êtres, le courage & la vertu d'un Brutus ou d'un Léonidas ? Dans un danger imminent de la patrie, croyez-vous qu'ils s'empresseront de sacrifier au bien public leur propre fortune, leur état, leurs places, leurs pensions, & les espérances qui devoient assurer leur bien-être, & l'encombler des faveurs de la couronne ? Ne préféreront-ils pas bien plutôt de ramper lâchement dans une cour qui peut satisfaire leur vanité, payer leurs plaisirs, & récompenser leur bassesse ? Qu'il me soit permis de faire cette supposition : dans un événement (qui n'arrivera point) où la France auroit conquis l'Angleterre, ils ne manqueroient point de se courber d'abord & d'adorer le grand monarque ; ils regarderoient même comme un bonheur, de voir le pays de la liberté se changer en une cour efféminée, en une terre de servitude imitative pour les airs, les mœurs, les manières, & absolument propre à dégrader le noble caractère de l'homme.

D'après un coup d'œil impartial sur l'histoire, & un examen réfléchi de la nature de l'homme, je suis donc très convaincu que la culture de l'esprit & des mœurs sont essentiellement nécessaires[p.341]à l'existence de la liberté civile, & tout-à-fait propres à assurer la prospérité d'une nation : car, lorsqu'en même tems la liberté & la prospérité nationales sont en danger, les encouragemens à la vertu, tout ce qui tend à l'épurer & à la perfectionner, tout ce enfin à quoi peut noblement aspirer un généreux naturel, deviennent essentiellement nécessaires dans ces circonstances périlleuses. Ces différens motifs fortifient les nerfs & les muscles du corps politique ; ils le rendent capable de lever un bras vigoureux auquel rien ne peut résister, & ils assurent les fondemens d'un empire, de manière que les attaques combinées de plusieurs nations réunies, ne peuvent ébranler ce noble édifice.

Sous ce point de vue & dans les circonstances. présentes, j'ose me flatter que ces essais, le fruit de mes veilles, pourront être de quelqu'utilité à mes compatriotes : en les leur offrant, mon but constant a été d'éclairer leur esprit, d'élever leur âme, de perfectionner leur nature ;& comme hommes & comme membres de la société, de réclamer, d'assurer leurs droits ; enfin, de leur apprendre à n'accorder jamais une soumission implicite, si ce n'est à la vérité, à la raison & à la foi, à leur conscience & à leur Dieu.

[p.342]

 

Discours énergique de M. Fox, dans lequel il présente une comparaison effrayante du malheureux règne de Henri VI, avec le règne actuel. Il craint un soulèvement prochain du peuple, & il ose prédire que ce soulèvement amènera une révolution pareille à celle qui détrôna les Stuarts : ces deux événemens auront eu la même cause ; l'incapacité & la trahison des Ministres.

 

Du 25 Novembre 1779.

Dans toute notre histoire, il n'y a qu'une période qu'on puisse comparer au tems présent, c'est le règne de Henri VI. La famille de Henri, & celle de sa majesté régnante, n'eurent point de droit héréditaire à la couronne, des révolutions la leur ont procurée, à l'un & à l'autre. Henri VI, avoit de la piété & de l'affabilité dans le caractère ; comme lui, sa majesté est douée de ces excellentes qualités. Henri étoit le fils d'un des plus fameux monarques qui eussent occupé le trône : Georges est le petit-fils d'un héros. Henri perdit toutes les conquêtes de son père, & toutes les possessions qui par héritage, lui appartenoient en France : Georges III s'est vu arracher dans les Indes occidentales, les[p.343]conquêtes de son aïeul & ses provinces héréditaires de l'Amérique, après avoir brisé tout nœuds d'affinité, se sont érigées en un empire redoutable.

Sa majesté, en naissant, n'eut rien à désirer ; la perspective la plus brillante frappa ses premiers regards, & les espérances les plus flatteuses ne lui promirent que des succès. Avec des domaines & des possessions immenses, elle étoit sûre de l'affection de ses peuples ;& son avènement au trône, avoit également de quoi flatter & les sujets & le monarque. Par quel affreux renversement la scène a-t-elle tout-à-fait changé ? Son empire s'est-il démembré ? son conseil est-il en démence ? le prince a-t-il perdu toute l'affection de son peuple ? Je parle librement entre nous, dans ces murs, de ce qui au dehors retentit publiquement par-tout. Oui, la nation commence à murmurer, sa patience ne peut avoir qu'un temps limité ; le peuple se rendra justice. Infailliblement, il y aura des soulèvements qui auront de terribles suites, sans qu'on puisse justifier, ni compenser jamais par quelque bien, les malheurs qu'ils produiront

La chambre n'ignore point que ce sont les fautes des Stuarts qui ont mis sur le trône la famille régnante, circonstances que sa majesté devroit avoir toujours présente à l'esprit. Il est[p.344]vrai que toute la race infortunée de ce nom ; étoit universellement détestée dans le royaume, & par cette raison, que sa majesté sembloit avoir peu à craindre de leurs prétentions. Mais elle ne devroit pas oublier que ce fut la mauvaise administration des médians & inhabiles ministres des Stuarts, qui souleva contre leurs princes la haine générale.

S'il existoit aujourd'hui un rejetton de cette famille malheureuse, quel sujet de reproches n'auroit-il pas à la vue du présent règne ? n'auroit-il pas bien le droit de nous dire :« Vous avez chassé du trône mes ancêtres ; vous avez dépouillé du sceptre toute leur postérité, pour les fautes de leurs ministres !& ceux du règne actuel sont dix fois plus ignorans & plus criminels que ceux-là ne le furent jamais. Et tandis que tout le monde s'accorde à donner au souverain le titre du meilleur des princes, ses ministres cependant, ont rendu son règne, de tous, sans comparaison, le plus affreux & le plus déshonorant pour la Grande-Bretagne ». Malgré tout le poids de la censure générale de la nation, malgré les désastres prêts à fondre sur elle, le ministre ose vanter son innocence ! mais il n'y a point de droiture d'intention qui puisse excuser un homme d'état de[p.345]fautes aussi graves. Ce qu'il appelle innocence, mérite un tout autre nom, ignorance :& dans un ministre, l'ignorance est un crime, & un crime d'une terrible conséquence. D'ailleurs ces ruines immenses & multipliées que l'administration vient, pour ainsi dire, d'étaler par-tout ce grand empire, & le misérable état où elle l'a réduit, dans le court espace de tems que le présent parlement a siégé ; tout cela est si loin des effets naturels de l'incapacité, que je ne puis m'empêcher d'adopter l'opinion de mon honorable ami (M. J. Townshend) ; que le fond des mesures ministérielles est la trahison. Le lord North peur se flatter tant qu'il voudra de s'appuyer de la majorité, & de trouver sa sûreté dans la loi : mais lorsque la nation est réduite à une telle extrémité, au point de renverser les loix qui devroient apporter au peuple quelque soulagement, ces mêmes loix alors, ne peuvent promettre au ministre auteur de nos maux, qu'une foible protection. Que si les loix deviennent impuissantes, la loi naturelle pourra bien y suppléer : le peuple inévitablement prendra les armes, & dans cette crise, les premiers personnages du royaume sauront prendre leur rang.

[p.346]

 

Discours de Lord Beauchamp, dans lequel il propose que tout débiteur, sans aucune spécification de la somme, en donnant sous serment, le véritable état de ses affaires, soit soustrait par la loi au ressentiment de son créancier ;& que celui-ci soit obligé de le nourrir à ses frais, s'il prétend lui ôter sa liberté.

 

Du 7 Février 1780.

Comme mon intention est de proposer un bill de la plus haute importance il est nécessaire que Messieurs en connoissent parfaitement l'objet & les conséquences ; plus ils s'en pénétreront, plus ils se sentiront portés à me seconder : il s'agit d'un bill qui intéresse particulièrement l'humanité de la chambre ; il suffit sans doute de le lui annoncer comme tel, pour fixer son attention, & la disposer à m'écouter favorablement.

Dans la trente-deuxième année du règne du feu roi, il a été passé un acte, communément appelle l'acte des lords : selon l'esprit & la lettre de cet acte, tout citoyen emprisonné pour dettes, pouvoit demander son élargissement pour faire un abandon de ses biens ; ou, en d'autres[p.347]termes, pour déposer son bilan, lorsqu'il étoit élargi ; après avoir produit son état actif & passif, & l'avoir certifié véritable sous la foi du serment, son créancier quelconque, ne pouvoit exiger sur ce qui restoit de clair & de net, que ce qui lui revenoit en proportion de sa créance, dans le partage à faire entre tous les créanciers, mais il avoit le choix, ou d'accepter cette portion qui lui revenoit dans le partage, ou de faire reconstituer son débiteur en prison : cette loi s'étendoit à toutes les dettes qui n'excédoient pas la somme de cent livres sterlings. Si cette loi est bonne, si elle est juste & équitable, on peut lui donner plus d'étendue : si l'humanité qu'elle respire est louable, si elle est utile, on peut la rendre d'une plus grande utilité, en lui faisant embrasser toutes les victimes de la détresse.

Que tout débiteur, sans somme spécifiée, en donnant sous serment le véritable état de ses affaires, soit soustrait par la loi au ressentiment, à la démence de son créancier ! L'acte du feu roi, que j'ai déjà cité, dit expressément, que l'humanité est une branche de la justice : en consultant les livres des prisons des divers comtés du royaume, il paroît que les trois quart des malheureux qui s'y trouvent confinés pour dettes, n'ont d'autres ressources pour vivre, que le penny,[p.348](deux sols de France) qui leur est passé par jour, ainsi qu'au criminel le plus atroce : Dieu bon ! un penny ! Ah ! Monsieur, un penny, peut-il suffire à la conservation d'un homme ? Conformément aux dispositions de l'acte que je viens de citer, si un créancier fait reconstituer son débiteur en prison, il doit lui passer deux schellings quatre pences par semaine, pour sa nourriture ; mais s'il n'existe point de règlement pareil, en faveur des malheureux débiteurs qui n'ont pas été à portée de déposer leur bilan, ils n'ont, pour protéger leur malheureuse existence, que cette maxime de la loi, qui statue qu'aucun prisonnier ne doit mourir de faim : il reste à savoir si avec un penny par jour, un prisonnier peut se soutenir ! Je ne le pense pas : je sais que la société est intéressée à ce qu'il y ait des réglemens qui entretiennent la confiance, & qui assurent, autant qu'il est possible, la propriété des individus : ces réglemens existent, il faut les respecter, & n'en retrancher que les abus. Un créancier en Angleterre a deux moyens ouverts de recouvrer sa propriété : 1° en saisissant les biens de son débiteur ; 2° en arrêtant & confinant sa personne. Le premier moyen est une affaire privée, qui se passe d'homme à homme, & qui n'intéresse pas l'état : il n'en est pas de même du second ; l'état est intéressé à la conservation[p.349]des individus ; lorsque je fais arrêter mon débiteur, pour assurer ma propriété, cette démarche doit me suffire ; en voilà assez, me crie la société :& dans bien des cas, elle me crie, c'en est trop ; mais si je refuse à ce débiteur, arrêté à ma requête, le pain nécessaire à la conservation de son existence, la société révoltée me crie d'un ton plus haut : d'où te vient le droit barbare, de priver ton prisonnier des choses nécessaires à son existence ; de lui ôter ce qui lui est aussi cher que la vie, la santé, sans laquelle la vie n'est d'aucun prix pour lui ? Tel est le cri de la société. J'ai d'autres observations à ajouter : je vous demande, Messieurs, d'où provenoit la maladie contagieuse, qui, l'été dernier, a causé tant de ravages sur nos flottes : cette maladie, qui si souvent a désolé nos flottes & nos armées ? Elle avoit été contractée dans ces cachots mal sains, où la faim & le froid répandent les germes de la mort, capables d'exterminer des générations entières ! Il est une vérité bien triste, bien affligeante, c'est que dans aucune période des annales de notre histoire, il n'a existé un nombre de prisonniers pour dettes, à beaucoup près, égal à celui dont l'idée seule révolte aujourd'hui l'humanité. Il y a quelque chose de plus désolant encore, c'est qu'il n'est à présent aucune contrée de l'Europe, qui renferme[p.350]autant de prisonniers que l'Angleterre en compte : il est tems de supprimer un mal qui s'accroît sans fin ; mal d'autant plus funeste, que ce n'est pas la personne seule du prisonnier, qui excite la juste compassion de ses concitoyens : le malheureux a une femme, des enfans ; souffrira-t-on que ces créatures infortunées, expirent aussi d'inanition & de besoin ? Non, la main consolatrice de l'humanité, leur présente le pain que leur père eût gagné ; c'est un nouveau fardeau qui retombe sur l'état : il est donc évident, que tandis qu'un créancier obstinément insensé, prive un citoyen des moyens de gagner sa vie, c'est l'état qui supporte la perte de ce travail utile ; toutes ces considérations m'ont déterminé à demander la permission de présenter un bill, aux fins d'amender l'acte de la trente-deuxième année du règne de Georges II, &c.

À la gloire de la chambre, la motion passa, nemine contradicente.

[p.351]

 

Discours du Comte de Shelburne, prononcé dans le Parlement, avant de produire sa motion tendante à former un comité de ceux des Membres des deux Chambres, qui ne tiendroient du Gouvernement ni places ni pensions. Il fait d'abord un parallèle & une distinction éloquente du pouvoir & de l'influence de la. Couronne ; il se récrie contre le fardeau intolérable de la dette nationale ;& il démontre la nécessité absolue de réformer les dépenses excessives, & les places inutiles.

 

Du 8 Février 1780.

Mon intention est connue depuis un si long espace de tems, pendant lequel ma motion même a été soumise à la considération de la chambre, que je croirois superflu de m'étendre sur sa forme, sur son objet & sur ses conséquences : je n'ai pas d'ailleurs la vanité de croire que mon plan a été conçu dans toute la perfection dont il peut être susceptible. Je sais qu'il admet des changemens, & je parle moins pour décider ce qui doit être fait, que pour recueillir les idées de leurs seigneuries : ma tâche est de les faire naître, je commencerai par leur observer,[p.352]que depuis plusieurs années, l'objet principal de l'administration, (je ne dis pas plus de l'administration actuelle, que de celles qui l'ont précédée) a été de faire briguer la protection de la couronne, & d'étendre son influence.

1l est des personnes qui ne distinguent pas la différence qui se trouve entre l'influence de la couronne & le pouvoir de la couronne ; il en est d'autres qui ne veulent pas la distinguer : rien cependant n'est si distinct, & ne diffère tant dans sa nature : le pouvoir de la couronne est une partie essentielle de la constitution ; ses caractères distinctifs, sont la fermeté mâle, l'esprit de décision, sa tendance vers ce qui est utile ; ses effets sont d'animer la vigueur, de mettre les ressorts de l'état en mouvement, de conduire à la dignité, à l'ambition honnête. Il donne du nerf à tous les départemens : il imprime dans le sein de chaque officier, cette noble fierté, ce digne orgueil qui le portent à acquérir de l'honneur par des entreprises d'éclat : il allume dans tous les cœurs le flambeau de l'enthousiasme national ; par-tout il sème le germe fécond dont naissent les succès. L'influence, au contraire, conduit aux ténèbres, à la bassesse, à la subtilité, à la malhonnêteté, aux subterfuges les plus vils dont l'esprit humain soit capable ; l'influence engendre & nourrit la[p.353]corruption ; monstre méprisable & rampant ; enfante le soupçon, la jalousie, la défiance ; tout ce que la division, la faction & la discorde, nourrissent de serpens dans leur sein : tous les ordres de l'état, au contraire, tirent des avantages marqués du pouvoir : les officiers militaires qui ont mérité de leur pays, par les services qu'ils ont rendus au-dehors, en tirent principalement leur protection : lorsqu'ils reviennent dans le sein de leur patrie, c'est la main du pouvoir qui les accueille, qui leur assure un appui honorable : substituez à l'égard de ces braves guerriers, l'influence à la place du pouvoir, la protection disparoît à leurs yeux, ils ne voient plus que l'anéantissement de tout ce qui leur est cher : sont-ils absens, elle travaille à leur perte, mine imperceptiblement l'édifice de leur réputation ? Au lieu de leur préparer des récompenses, des distinctions honorables ; elle leur destine un traitement d'autant plus injuste, qu'ils ne sont pas à portée d'être entendus dans leur défense. L'influence, en deux mots, me paroît être le masque de la tyrannie.

Au reste, j'ai dit que l'objet principal de l'administration, étoit de faire briguer sa protection, sa bienveillance ; dans le nombre infini des preuves que je pourrois appeller à l'appui de cette assertion, je me bornerai à citer les actes[p.354]passés en dernier lieu, pour servir de règlement à la compagnie des Indes Orientales.

Il y a long-tems, bien long-tems, que l'on a amusé la nation de la perspective flatteuse de tirer de ces contrées & de ces établissemens, des avantages immenses. Lorsque je participois à l'administration des affaires publiques, j'ai été à portée de voir que l'on proposoit les moyens les plus spécieux (secondés par les assurances les plus sacrées) de tirer des sommes très-considérables de cette ressource : frappé de cette perspective, & me flattant que des avantages précieux couleroient de cette ressource, je me suis écarté du sentier que l'honneur m'a frayé, & j'ai voté en faveur des ministres, pour des bills que je n'eusse jamais approuvés sous tout autre prétexte : à quoi ont abouti ces perspectives riantes ? Les ministres & les directeurs sont entrés dans une confédération dont l'objet étoit, d'une part, de sacrifier les intérêts du public ; de l'autre, ceux des actionnaires, & de cette espèce de conspiration contre tous les ordres de l'état, qu'est-il résulté ? On a senti l'importance de la faveur des ministres, leurs bonnes grâces ont été plus briguées que jamais : si l'on a paru sévir contre les directeurs, c'est que l'on n'avoit pas de meilleurs moyens de faire passer des bills qui donnoient une influence plus décisive à la couronne & à ses[p.355]serviteurs. On a amusé le public avec des apparences de réforme & d'améliorations, & le péculat n'en a acquis que plus d'impunité dans l'Inde ; la même source de commerce illicite y a subsisté ; les mêmes abus s'y sont soutenus, on n'y a fait aucun règlement tendant au soulagement des indigens, au bonheur de la société, au maintien de l'honneur & de la dignité du peuple Anglois : c'est ainsi que ce qui étoit annoncé à la nation comme une ressource destinée à alléger le fardeau des impôts, a contribué à en appesantir le poids, en ajoutant à cette influence, qui de tous les fardeaux, est le plus intolérable ; il seroit tems, cependant, que l'on s'occupât efficacement des moyens de soulager le peuple. En parlant de fardeau national, je vous supplie, milords, de considérer, qu'à celui de la dette hypothéquée, qui a été contractée depuis le commencement de cette malheureuse guerre, il faut ajouter la dette non hypothéquée, qui ne monte à rien moins que vingt millions sterlings ; la somme qu'il faudra lever pour le service de cette année, montera à treize millions sterlings ; de sorte que si l'on avoit le bonheur de faire la paix aujourd'hui, il faudroit, en imposant de nouveaux fardeaux sur les sujets, lever annuellement un intérêt additionnel, d'un million six cent mille livres sterlings ; c'est ainsi que les[p.356]dettes s'accumulent visiblement au-delà des facultés nationales, tandis que ces mêmes facultés s'anéantissent d'une manière invisible, par l'usage secret que fait le ministre de la caisse d'amortissement : c'est dans cette caisse, qu'il trouve constamment des ressources pour suppléer aux déficits qui se multiplient dans le produit, toujours mal apprécié, des impôts qu'il invente ; mais je parle de la paix qui se feroit, aujourd'hui, qu'elle me paroît plus éloignée que jamais ; nous avons eu récemment quelques succès, mais des esprits raisonnables, accoutumés à regarder un peu plus avant que la surface, n'en ont pas ressenti la satisfaction que peuvent avoir goûté des observateurs superficiels, par la raison que tous légers que sont ces succès, leur effet probable sera une prolongation de la guerre. Nous avons commencé cette guerre avec un désavantage, une inégalité sensibles ; aujourd'hui que la balance a recouvré à-peu-près l'équilibre, la paix doit se présenter sous un point de vue reculé, parce que nos ennemis n'en feront que des efforts plus puissans : les nôtres doivent naturellement se régler sur les leurs ; nos ressources augmenteront-elles en proportion de nos besoins ? C'est ce qu'il seroit difficile de regarder comme possible, si nous renoncions aux seules qui nous restent, & qui ne peuvent se trouver[p.357]que dans un système d'économie & de réforme : ce système doit être l'ouvrage du comité que je propose. Lorsque j'ai annoncé pour la première fois cette motion, les ministres sont convenus que les tems étoient critiques, les frais de la guerre excessifs, & l'économie dans l'emploi des deniers publics extrêmement nécessaire : on ne dira donc pas que ma motion est déplacée, puisqu'elle est fondée sur leurs aveux. Ce plan d'économie ne peut pas se saisir d'un coup d'œil, il embrasse une infinité d'objets ; il ne suffit pas d'abolir ce nombre prodigieux d'emplois ridicules, ou pour mieux dire, d'employés inutiles, par les mains desquels les revenus publics parlent avec des frais, & par conséquent avec des diminutions énormes : il faut simplifier toute la machine de perception, faire prendre aux deniers publics leur route naturelle, celle de la banque d'Angleterre. J'ai pris une peine infinie à suivre dans le labyrinthe de la perception, les différentes parties qui constituent la masse du revenu public : j'avoue que malgré les secours que j'ai eu en abondance, plus je m'y suis enfoncé, plus l'obscurité est devenue impénétrable : la taxe foncière, par exemple, dont on regarde le recouvrement comme l'opération du monde la plus simple, fournit un exemple frappant de l'abus énorme introduit dans toutes les branches de[p.358]perception ; en parcourant la multitude des bureaux parmi lesquels une guinée, faisant partie du produit de cette taxe, est obligée de passer, j'ai vu que dans chacun d'eux elle perdoit plus ou moins de son poids : elle se fond, pour ainsi dire, entre les mains diverses qui la touchent, au point que de celle du sujet qui la paye au collecteur, avant qu'elle arrive à sa destination finale, elle est réduite au moins à moitié ; trois pences au collecteur, deux pences à un maître officier, un penny & demi à un autre, six pences à un autre ; de-là, tant au receveur, tant à l'auditeur, tant au contrôleur ; ensuite, tant à tels & tels officiers de l'échiquier, de tel & tel bureau, &c. &c, &c. Elle se fond, dis-je, de cette manière, & je ne crois pas qu'elle conserve la moitié de son poids ; telle est cette perception si simple, si vantée, que l'on dit n'avoir rien d'égal en Europe ! Que l'on juge du reste ! Si tous les départemens de l'administration, considérés dans leurs moindres détails, offrent des abus ; la raison dit qu'une réforme générale est indispensable ; c'est donc en me conformant à la voix de la raison, que je propose un plan de réforme ; plan dont je ne réclame pas tout l'honneur, plan que j'ai composé en grande partie dans les journaux du parlement ; plan, qui par conséquent n'est pas une nouveauté pour le parlement : [p.359]anciennement, & particulièrement en 1702, 1703 & I7I7, il fut établi des commissaires des comptes par acte du parlement ; je regarde le comité que je propose, comme répondant parfaitement à l'institution de ces commissaires : l'objet de son enquête, le résultat de son travail, doivent être :

1°. De limiter toutes les dépenses publiques, & de les renfermer dans la stricte étendue des octrois faits par le parlement pour les services respectifs de l'état ; exceptant de cette règle générale les cas de guerres étrangères, d'opérations militaires à de grandes distances de la métropole : arrêter qu'un officier public, dont les dépenses excéderoient la mesure des octrois du parlement, seroit regardé comme un criminel jusqu'au moment où ses comptes auroient été rendus & approuvés par le parlement.

2°. De régler que tous les contrats pour les entreprises & fournitures publiques, seront passés publiquement ;& les entreprises adjugées au rabais sans faveur ni partialité.

3°. Que toutes les places sans fonctions, ou sans utilité, ainsi que toutes les pensions non méritées seront abolies.

Telle est la route que le comité que je propose, peut prendre avec succès, elle conduira à la réforme dont on sent la nécessité : au reste,[p.360]je le répète, je n'abonde point dans mes idées ; elles peuvent être rectifiées ; je n'entends pas non plus que cette réforme s'opère avec précipitation ou avec dureté ; je demande que cette grande opération se conduise avec les égards dûs à la justice publique, à la dignité, à la reconnoissance nationale : il est des pensions, il est des concessions de la couronne auxquelles il ne convient point de toucher, en un mot, il ne s'agit pas de molester les individus, mais de soulager la république : je prends Dieu à témoin que, quant à moi, en faisant cette proposition, je n'ai d'autre objet en vue que celui de soustraire le pouvoir constitutionnel de la couronne aux atteintes de l'influence ; lorsque j'aurai le bonheur de voir ce grand ouvrage consommé, le parlement rendu à l'indépendance, la prérogative au respect qui lui est dû, & la constitution à son antique vigueur, je me retirerai dans mes terres, tranquille à l'égard de la sûreté publique, de ma propriété & de celle de mes concitoyens ;& je ne visiterai que rarement la métropole, centre de la dissipation & de l'extravagance.

[p.361]

 

Réplique de Lord Stormont au discours précédent. Il paroît rejetter toute idée de réforme, sous prétexte qu'il existe une infinité de maux politiques plus ou moins graves, auxquels toute espèce de remède seroit infiniment dangereux ;& que le moment n'est nullement favorable à l'introduction d'un système de réforme. Il prétend prouver que la motion du Comte de Shelburne est vicieuse au fonds & dans la forme. Il réfute différens articles, & finit par se déclarer opposant.

 

Du 26 Février 1780.

Le grand usage du monde, l'habitude d'observer les états, m'ont convaincu d'une vérité qui échappe à l'inexpérience : il peut exister en théorie, une infinité de maux plus ou moins apparents, plus ou moins graves qui n'admettent point de remèdes pratiques, ou bien auxquels l'usage de toute espèce de remède seroit infiniment dangereux ; il est des maux politiques d'une nature si particulière, que le soin même que l'on prendroit de les supprimer les rendroit chers à ceux qui s'en seroient plaints ;& dans la machine de tout gouvernement, il se trouve[p.362]des défauts qui sautent à l'œil, que l'expérience cependant ne permet pas de corriger : il n'est pas ici un noble lord qui puisse concourir plus sincèrement que moi dans les vues générales du noble auteur de la motion. Je pense parfaitement comme lui, que l'existence même du royaume dépend des réformes salutaires qui peuvent être introduites dans l'administration de ses finances ; mais ce moment est-il favorable à l'introduction d'un système de réforme quelconque ; mais le système proposé est-il expédient en lui-même, est-il pratiquable ? C'est en vérité ce que j'aurois bien de la peine à décider ; c'est du moins ce qui me paroît être extrêmement douteux. J'ai de la peine à croire que le moment soit bien choisi, parce que je ne crois pas que le moment où un vaisseau se trouve battu par la tempête, soit celui qu'il faille saisir pour s'occuper de sa reconstruction. Je pense d'ailleurs fortement que le système proposé abonde en défauts qui en rendroient l'exécution ou dangereuse ou impratiquable : la motion dès ses premières lignes, pêche gravement dans les formes :qu'il soit formé un comité de ceux des membres de l'une & l'autre chambre, &c ; cette chambre formant une branche distincte du corps législatif, quel droit peut-elle avoir de lier par ses résolutions une autre branche également[p.363]distincte de ce même corps législatif ? Je suppose que la motion passe, sera-t-elle obligatoire pour l'autre chambre du parlement ? Non certainement, il n'y a rien de commun entre nos résolutions & celles des communes ;& nous ne devons pas sans le consentement préalable de cette dernière chambre, agiter une motion qui supposeroit sa concurrence : la motion est donc vicieuse, quant à la forme, que sera-t-elle au fond ? quel est son objet ? une suppression d'émolumens, de pensions, &c. accompagnée d'exceptions qui renversent tout le système : selon l'esprit de ces exceptions, ceux des sujets de l'état qui, à raison de l'illustration de leurs ancêtres ou de leur mérite personnel, ont reçu certaines concessions de la reconnoissance de leur pays ou de la munificence de leur prince, seroient maintenus dans la jouissance de ces concessions : il entre certainement dans cette idée une générosité louable ; mais comment déterminera-t-on si tel homme mérite la pension dont il jouit, si tel autre ne la mérite pas ? la différence des principes politiques exerce sur le jugement des hommes une influence dont l'effet est que le même objet est vu différemment par des yeux différents ; ce qui paroît estimable à l'un, est pour l'autre un objet de censure : je suppose que du temps de sir[p.364]Robert Walpole, voulant apprécier le mérite de ce ministre, on eut pris pour arbitres & pour juges lord Bolingbroke & M. Pultney, quel eût été leur jugement ? la partialité de l'amitié eût dicté celui du premier, tandis que le second, organe de la prévention, & d'une inimitié personnelle eût déclaré que le ministre étoit indigne de tout éloge, de tout honneur ; nous sommes en général, si sujets à ces illusions du préjugé, qu'avec les intentions les plus pures, nous ne pouvons nous défendre de ces préférences involontaires, qui nous rendent injustes sans que nous nous en doutions.

Un autre objet de la motion est de donner au comité le pouvoir de veiller à l'emploi qui sera fait des deniers publics ! La chambre des communes souffrira-t-elle que l'on porte une atteinte pareille au plus précieux de ses privilèges ? or dans un moment comme celui-ci seroit-il sage d'allumer la dissention entre deux branches du corps législatif ? c'est une question, milords, dont je vous laisse la solution : la motion présente encore une autre inconséquence ; ceux des lords qui ont des places ou des pensions exclus du comité, n'y voteront pas ; mais pourra-t-on de même les empêcher de voter, lorsqu'il s'agira de statuer sur le rapport de ce comité ? très-probablement non : qu'arrivera-t-il[p.365]donc, après avoir été ridiculement exclus du comité, ils prononceront définitivement sur les procédés de ce même comité ? ces inconséquences multipliées sont suffisantes, je pense, pour motiver l'opposition que je forme à la motion : au reste, je déclare que si l'on trouve quelque moyen judicieux de retrancher les dépenses inutiles, j'appuierai ce projet de tout mon pouvoir.

[p.366]

 

Seizième section. Liberté de la presse.

 

Discours du Lord Chancelier contre la liberté mal-entendue de la Presse. Il distingue la liberté de mettre au jour, par le moyen de l'impression, ses pensées & l'objet de son travail sur toutes sortes de matières ; liberté innocente dont il fait remonter l'origine à la découverte de l'Imprimerie, de celle qu'on s'arroge de publier, tout ce qu'on veut hasarder d'indécent & d'outrageant contre les personnes les plus respectables & les plus qualifiées. Il finit par déclarer que, selon lui quiconque attaque le caractère d'un autre par des libelles & des écrits diffamatoires, ne peut, suivant les loix & la nature de la Constitution Britannique, obtenir aucun pardon de son crime.

 

Du 3 Février 1739.

Milords,

Je pense que la liberté de la Presse doit être pour tout Anglais une chose sacrée, & j'ose répondre de vous, milords, qu'elle le sera toujours [p.367]pour vos seigneuries. Mais quoique la liberté de la presse soit dans toutes les bouches, je crains cependant que la nature de cette liberté ne soit la chose du monde la moins entendue. J'ai souvent désiré, milords, une occasion de vous exposer mes sentiments sur cette matière, & comme l'on s'est beaucoup servi de cette expression, la liberté de la Presse, dans le présent débat, je crois ne pouvoir saisir une meilleure occasion de la faire qu'aujourd'hui même. Je me flatte d'avance que vous voudrez bien me pardonner peut-être une sorte d'affectation à vous paroître singulier dans cette circonstance ; mais je puis assurer à vos seigneuries, que je ne leur parlerai que le langage de mes sentiments, & le résultat d'une observation la plus mûre, la plus réfléchie, que j'aie été capable de faire par rapport à notre constitution & à notre gouvernement.

La liberté de la presse, milords, je le sais, est prise par le plus grand nombre pour la liberté de publier tout ce qu'on veut hasarder d'indécent & d'outrageant contre les personnes les plus respectables & les plus qualifiées ;& cette opinion a tellement prévalu, qu'un fabricateur de libelles n'est pas plutôt poursuivi en justice, qu'il s'élève de toutes parts un cri, « que la liberté de la presse est en danger. » [p.368]Mais permettez-moi de vous faire observer, milords, que si la liberté de la presse consiste à diffamer qui l'on veut, il vaudroit beaucoup mieux sans doute, que nous fussions pour toujours privés de cette liberté. Mon sentiment est que c'est étrangement abuser de ces mots, la liberté de la Presse, si l'on entend par-là, un droit formel & particulier de répandre dans le monde tout ce que l'on voudra de diffamant contre son supérieur, son égal ou son inférieur. Non, milords, les loix ni la constitution de l'Angleterre ne connoissent point une telle licence, car cette licence seroit destructive de toutes les loix & de toutes les constitutions.

Mais quand & comment ces mots de liberté commencèrent-ils à prévaloir ? Le voici, milords, à ce que je crois. Avant que l'art de l'Imprimerie fût connu en Europe, la science étoit restreinte entre un petit nombre de personnes. Dans ce tems-là les écrivains, les copistes de livres, formoient un corps assez considérable pour être gouvernés par des règles particulières imposées par la loi. Mais lorsque l'Imprimerie fut découverte, ces gênes tombèrent d'elles-mêmes. Alors chacun à sa volonté fut libre de livrer à toute la terre, avec peu de dépense, ses pensées & l'objet de son travail[p.369]sur toutes sortes de matières. Voilà, milords, ce qui est arrivé naturellement, ce qui a donné lieu à ces mots, la liberté de la presse ; voilà ce qu'on doit regarder comme leur véritable origine, si avant que l'Imprimerie existât, l'on fait attention à la nature de nos loix contre les libelles diffamatoires, & en comparant ces loix avec ce qui se passe aujourd'hui.

Avant l'invention de l'Imprimerie, il y avoit des ordonnances très-formelles contre la diffamation, qui toutes aujourd'hui sont absolument en force ; car personne, milord, ne peut me démontrer qu'aucun de ces statuts en vigueur, avant la découverte de l'Imprimerie, ait été révoqué depuis : cela prouve, à mon avis, que cette expression, la liberté de la presse, ne veut nullement dire aucune liberté acquise depuis la découverte de l'Imprimerie & inconnue auparavant.

Je me flatte, milords, que vous trouverez cette manière de raisonner la meilleure, la plus juste, & assurément la seule que l'on puisse admettre sur cette matière : ou si quelqu'un est du sentiment que les auteurs ont acquis de nouveaux privilèges & libertés, lors de l'invention de l'Imprimerie, il faut qu'il vous montre que les anciennes loix, faites sur cet objet, ont été annullées, & que de nouvelles loix[p.370]y ont été substituées en faveur de l'Imprimerie. Or, je défie personne de pouvoir venir à bout de le prouver. Il est vrai que sous certains règnes, la liberté de la presse se trouva extrêmement restreinte, & qu'on usa de la plus grande sévérité envers des auteurs & des imprimeurs, pour avoir publié des choses qui ne feroient pas aujourd'hui la moindre difficulté. Cela ne prouve nullement que les loix contre la diffamation fussent mauvaises ; mais seulement que l'autorité en avoit abusé. Je sais parfaitement, milords, combien l'usage de la presse a été utile au tems de la révolution ; mais les auteurs qui travaillèrent en faveur de la liberté, n'avancèrent rien qui ne fût conforme à la constitution : ils étoient appuyés par la loi, & ils avoient prévenu l'assentiment de la nation. 1l y a d'ailleurs une grande différence entre l'écrit d'un auteur sur un sujet de morale quelconque, qu'il met au jour, dans la vue de pouvoir être utile, & celui qui tombe comme un forcené sur tout le genre humain qui n'a pas avec lui une même manière de penser. Les auteurs qui écrivirent en faveur de la révolution, publièrent leurs sentimens avec les égards & la différence dûs aux personnes en place & au-dessus d'eux, sans mêler dans leurs écrits des traits mordans, des calomnies[p.371]personnelles. C'est donc, milords, crier mal-à-propos contre le gouvernement, c'est une considération sans fondement, lorsqu'un fabricateur de libelles est puni, d'aller comparer la conduite du gouvernement actuel, à celle qui précéda la révolution ; à moins que ces Messieurs ne puissent prouver d'une manière satisfaisante à la justice, qu'ils écrivent aujourd'hui avec la même prudence, la même retenue & décence, que du tems de Charles II & de Jacques II, le firent ceux qui défendirent alors les droits de la liberté.

Après en avoir dit assez sur cet objet, je ne puis m'empêcher de m'arrêter un moment sur une autre méprise, trop ordinaire, par rapport à la liberté que se croient en droit de prendre quelques personnes de censurer la conduite de leurs supérieurs. C'est, milords, une liberté désavouée par la constitution, qui renverse ses statuts ; parce qu'une grande partie de notre code est précisément dirigée pour protéger & défendre toute personne insultée par une autre. Quiconque, milords, a reçu un tort, une injure d'un autre, celui-ci fut-il un des premiers du Royaume, il a les cours de justice ouvertes pour se défendre, & un juré pour lui rendre justice, selon la nature du délit ;& par-là, la loi est satisfaite. Non, milords, personne,[p.372]d'après nos loix, n'a la liberté d'étendre son ressentiment plus loin ; s'il le porte plus loin, il le porte au-delà des loix. D'après cela, il est évident que celui qui attaque le caractère de qui que ce soit, par des libelles, par des écrits diffamatoires qu'il publie, est coupable, & ne peut, d'après nos loix, & la nature de notre constitution, attendre aucun pardon de son crime. Je sais bien, milords, que cette doctrine semblera aujourd'hui mal sonante & bien extraordinaire, dans un tems où la nation, au seul nom de la liberté, est comme entièrement enivrée de l'esprit d'une anarchie & d'une licence qui ne connoît point de bornes.

[p.373]

 

Discours invectif de M. Vicesimus Knox, contre l'injustice & l'atrocité des papiers-nouvelles Anglois, qui publient le secret des familles, & qui répandent le mensonge & la calomnie. Cette malignité frappe particulièrement sur les Ministres. Il finit par inviter la Nation à refuser sa protection aux pamphlets & aux journaux scandaleux, & de détruire par là les abus de la licence de la presse, sans nuire à sa liberté.

 

Après le 3 Février 1749.

Un pays est vraiment libre, où non-seulement la vie & la propriété de tout individu, mais encore sa réputation (qui souvent lui est plus chère que sa propriété & sa vie même) est en sûreté par des loix efficaces. Le pays d'une liberté parfaite, bien qu'il puisse s'en arroger le nom, n'est point celui où le caractère de tout membre peut être indignement traduit dans le public, sans réclamation, sans qu'il soit possible de réprimer cette injustice. L'oppression du peuple peut venir du peuple même, comme du trône. La liberté de la presse, sans doute, est une source d'avantages ; mais l'abus, la licence de la presse enfante une foule de[p.374]maux qui contrebalancent ces avantages. C'est une vérité que la liberté de la presse est essentielle à la liberté civile : mais pourquoi prisons-nous comme un des plus grands bienfaits de la vie, l'entière jouissance de cette liberté civile ? Tout le monde le fait ; parce qu'elle constitue l'existence naturelle & raisonnable de tous les droits & privilèges de l'homme dans sa personne, & dans ce qui l'entoure ; parce qu'elle lui assure la jouissance de ce que Dieu, la raison, la nature & ses différens rapports, l'ont instruit à priser davantage, & lui ont rendu le plus cher. Mais un tel genre de liberté, poussé à un degré qu'il ne peut plus subsister sans mettre en péril les avantages dont nous venons de parler, assurément rend nul le premier but d'une constitution libre :& en pareilles circonstances, la liberté agit contre la félicité des hommes avec les influences malignes d'un despotisme évident.

Par sa constitution, notre pays est le plus libre qu'il y ait sur la surface du globe ;& s'il y a oppression dans son gouvernement, il dérive du peuple, & il agit contre lui-même : cette oppression est d'autant plus cruelle & injuste, que trop souvent elle s'appesantit sur le citoyen honnête, sur l'homme tranquille & qui ne l'avoit nullement provoquée.[p.375]Il est vrai de dire, que dans ce pays de liberté il existe des loix qui punissent sévèrement la diffamation ; mais rien de plus facile que de les éluder. Quelquefois elles peuvent prévenir une attaque ouverte, mais elles ne peuvent fermer l'entrée à une infinité de méthodes cachées ou indirectes de semer la calomnie, & que l'esprit d'intrigue, excité par la malignité & l'appas du gain peuvent aisément inventer.

Les loix des douze tables ont fait, de la diffamation, un crime capital : les loix sur cet article étoient sévères : encore sévères dans le siècle d'Auguste, les punitions furent corporelles, & redevinrent capitales sous le règne de Valentinien. Or la rigueur avec laquelle un peuple aussi sage que les Romains, sévit contre cet abus criminel, depuis les premiers tems jusqu'à la décadence de l'empire, prouve évidemment toute l'importance qu'ils mettoient à cette police ;& combien ils redoutoient, pour le bonheur de la société civile, les malignes influences de la diffamation.

Nos loix sans doute sont moins sévères : nous sommes avec raison jaloux de notre liberté constitutionnelle : aussi je n'irai point suggérer aucune idée qui puisse enfreindre cette liberté ;& je rends grâces à la Providence de[p.376]m'avoir fait naître dans un pays où elle règne d'une manière si glorieuse. 1l n'y a point de sacrifice, s'il s'accorde avec ce qui est juste, auquel un homme de bien ne se plie pour conserver & transmettre en entier à ses descendans, les avantages qu'il a reçus de ses ancêtres :& tout ce que j'avance ne tend qu'à les conserver inviolables : car pour rendre mes idées, en me servant des expressions d'un savant jurisconsulte, (Blackstone) réprimer la licence de la presse, c'est maintenir sa liberté.

Que les loix restent donc telles qu'elles sont, si l'on ne peut y toucher sans danger : mais j'en appellerai seulement au jugement, aux sentimens du cœur, à l'honnêteté de mes lecteurs, pour tenter une réforme volontaire que je désire s'effectuer, réforme qu'ils peuvent eux-mêmes commencer & achever ; qui ne peut qu'augmenter la liberté civile, loin de la diminuer ;& répandre le bien, peu s'en faut sans mélange de mal ; (condition bien rare dans tout ce qui tient à la félicité humaine !).

Les auteurs ou imprimeurs de libelles n'ont que deux objets en vue ; ou d'assouvir leur méchanceté, ou de s'assurer un morceau de pain. Or la faim & la rage de dire du mal, sont deux motifs trop puissans pour que les murmures de la raison, de la justice, de l'humanité[p.377]puissent se faire entendre au milieu des clameurs de cette troupe d'assaillans acharnés. Nous ne tenterons donc point le moyen de la prière pour les faire rentrer en eux-mêmes & les corriger. Notre recours sera dans la loyauté d'une nation vraiment libre, qui prise cette liberté, qui a assez de jugement, de bon sens pour employer les moyens les plus nécessaires à sa propre sécurité. Elle renoncera au chétif plaisir de satisfaire une curiosité déplacée, lorsqu'elle verra quelle ne peut la satisfaire sans rendre la liberté de la presse une source de peines & de maux pour l'honnête citoyen ;& par là, que la licence du peuple, bien plus que l'ambition de la couronne, sappe réellement les fondements de la liberté.

Fixons un moment notre attention sur l'origine & les progrès de ce genre de publicité, lequel est devenu depuis quelques années, le sujet d'une réclamation générale, de la part de tout ce qu'il y a parmi les honnêtes gens de plus modéré & de plus éclairé. La manière la plus prompte de faire connoître un nouveau papier-nouvelles, est de se garder d'y être circonspect ; c'est au contraire de le remplir de personnalités & anecdotes scandaleuses. Pour y réussir, le dépôt ou boîte aux lettres, est placé en face de la rue la plus fréquentée de la capitale : [p.378]là, tout assassin ténébreux est tacitement invité d'y venir jetter sa dose de poison :& comme il n'y a point d'homme, si vertueux qu'il soit, qui n'ait pu tomber dans quelques fautes, qu'il n'y a point d'homme si peu considérable, qui n'ait des ennemis ; voici la plus belle occasion de leur porter atteinte ; d'exposer au grand jour des secrets que la facilité trop confiante d'un ami aura versés dans le sein de l'un de ces lâches éditeurs : voici le moment de satisfaire sans péril, la méchanceté d'un traître qui aura le plaisir de porter la plus cruelle injure à un homme qui n'a excité sa malignité que par une supériorité marquée. Mais quels sont les juges de ce qu'on envoie aux auteurs du journal ? Presque toujours des gens qui ne regardent que leurs propres intérêts. Le journal est soumis à l'examen d'un ténébreux sanhédrin ;& si ce qui leur est adressé paroît être bon au noir sénat, une insinuation oblique, le souffle de la suspicion, la croyance d'un esprit crédule, l'invention d'une histoire galante, le venin corrosif de la vengeance, d'une pique particulière, d'un ressentiment public, un roman d'infamies, tout cela en peu d'heures va être répandu d'un bout à l'autre de l'empire. Voilà comme le public élève contre lui-même un despote : l'un de ce comité,[p.379]souvent le plus méprisable de tous, érige un tribunal dont la sentence prononce en dernier ressort, sans un examen suffisant, sans le moindre égard à la justice, à l'humanité : les seules bornes qu'ils se prescrivent dans ces cruels décrets, sont les précautions nécessaires pour échapper à la lettre de la loi, pour être sûrement à couvert de toute poursuite juridique. Les décisions de ce tribunal arbitraire sont si cruelles, si atroces, que le sexe même qui mérite des égards, y voit son innocence indignement flétrie par ses arrêts les plus sévères. La chasteté virginale, la vertu conjugale y sont noircies avec des couleurs qu'on a de la peine à effacer ; car un des grands malheurs attachés à ce genre de scandale, est que tout le monde est prêt à entendre la calomnie, & que peu de personnes ont la patience & la candeur d'écouter & de croire la justification de celui qu'on a calomnié : beaucoup de personnes ont su l'accusation, qui jamais ne finiront l'apologie :& quand bien même la défense seroit aussi répandue que l'avoit été le scandale, c'est toujours une cruelle nécessité pour un homme honnête, d'être forcé à se produire en public, pour s'y défendre & se laver de charges atroces & sans fondement, intentées par gens à qui les loix divines & humaines n'ont point donné[p.380]le droit de répandre par toute la terre, une accusation non provoquée.

Peut-on appeller un gouvernement bien dirigé, bien réglé, où l'on trouve le moyen d'élever contre lui-même, un tyran redoutable, pour déprimer le mérite le mieux reconnu, blesser le cœur de l'innocent, rompre la paix des familles, noircir les plus brillans caractères, dégrader & traîner dans la boue tous les rangs, toutes les dignités ;& cela, non-seulement avec impunité, mais avec certitude pour les auteurs, de la part du public, d'en être récompensé ; de se procurer une fortune. assurée, & de triompher, de rire enfin, sur les ruines de ceux-là mêmes qui font leur bien-être & toute leur prospérité.

On entend fréquemment crier contre les usurpations du gouvernement, par rapport à la liberté des sujets de l'empire Britannique, contre les empiétements & l'oppression de l'administration : mais je demande à tout Anglois, si jamais il a éprouvé aucun acte d'oppression de la part de la couronne ou des serviteurs de la couronne, qu'il puisse comparer aux coups portés tous les jours, à toute heure, de la manière la plus arbitraire, par l'éditeur scandaleux d'un papier public ? Les loix n'ont aucun pouvoir reconnu par notre constitution,[p.381]d'infliger aucune punition, même contre ceux qui l'ont méritée sans une procédure juridique ; mais les œuvres obliques de cet instrument de l'oppression, dans les mains d'un plébéien obscur, qui aime l'argent, sans mission, sans autorité, sans y avoir été provoqué, vous inflige les peines les plus sévères, sans jurés, sans jugement, sans témoins, sans conscience, sans humanité !

Cet homme, ainsi coupable d'avoir violé les droits de la société, se croira cependant lui-même honnête & patriote, & passera pour l'être ; il fera grande chère au milieu d'un cercle d'amis, & nagera dans l'abondance ; tandis que le misérable qui m'a pris ma bourse & quelque monnoie qu'elle contenoit, périt par la barre sur un échafaud :& tout cela est toléré par une nation sage, humaine & sensible : pourquoi ? parce que, par un abus du langage, la licence est appellée la liberté de la presse.

Je ne m'étendrai point par rapport à l'administration, sur la méchanceté diabolique que l'esprit de parti fait circuler avec profusion par le canal impur des papiers publics. Cette malignité d'abord cruelle dans son origine & par sa nature, dans ce siècle, est beaucoup trop méprisée pour faire beaucoup de tort à ceux[p.382]qu'elle attaque. Ou est habitué depuis longtems à la voir poursuivre les ministres & la majorité, comme l'ombre fait les corps. Mais jettons un coup-d'œil rapide sur les tems passés, & nous observerons que plusieurs ministres qu'on se plaît à citer aujourd'hui, comme des modèles de vertu & de sagesse dans l'administration, furent aussi de leur tems, noircis avec tout le poison que pouvoit lancer contre eux le parti virulent de l'opposition.

Les avantages pécuniaires des premières charges de l'état, auront toujours une influence irrésistible pour exciter l'ambition des cœurs dépravés, des esprits bas & rampans : jamais tranquilles, ils ne pourront respirer qu'ils n'aient eu part aux faveurs de la cour :& pour cela, ils sauront gagner un misérable & facile imprimeur, pour faire admettre dans le papier du jour leurs assertions empoisonnées, afin de supplanter les autres de la place qu'ils convoitent. Mon imprimeur croit déjà sa fortune faite, parce qu'il se voit protégé par des lords, des ducs ;& ne recule point d'afficher la trahison, ni de publier la calomnie, contre les plus honnêtes gens, parce qu'un méchant homme, jaloux, ruiné, d'un mauvais naturel, mais qui est pair du royaume, avec un air de confidence, veut bien favoriser le typographe[p.383]d'un sourire : ou peut-être moins encore, parce qu'un ambitieux roturier, pour se procurer un emploi lucratif dans l'administration, trahira son propre pays.

Je ne m'épuiserai pas contre le vice de la médisance. C'est un sujet rebattu, qui a été déjà supérieurement traité par nos meilleurs théologiens. Mais si plusieurs de mes lecteurs pouvoient ignorer combien cet esprit de malignité est contraire à l'esprit du christianisme ; combien de maux en tout genre il enfante dans la morale, dans la société ; je les renverrois à nos prédicateurs les plus célèbres : mais hélas ! celui qui fait ses délices de scandale, n'aura point de goût pour la lecture d'un sermon, ni envie d'en profiter.

Au reste, je me satisferai moi-même, en m'adressant à la partie la plus saine de mes lecteurs ; la plus humaine, celle dans le plus haut rang, qui a été le mieux élevée, (& avec cette estimable portion j'espère avoir quelque avantage), pour les inviter à donner un grand exemple à la nation, en se refusant à encourager les édits notoirement connus pour publier, sans égards, le secret des familles, pour répandre des personnalités insultantes. Il est juste cependant de convenir, qu'il existe quelques éditeurs des papiers publics, qui en excluent autant que[p.384]la vigilance humaine le leur permet, tout ce qui est injurieux & mal-honnête.

Que la nation se garde pour son propre avantage de protéger les pamphlets & les journaux dont le but est de semer l'aigreur & le scandale : en les feuilletant, la bonté de leurs cœurs & leur félicité souffriroit ; ils ne doivent point d'ailleurs ignorer, que demain ils peuvent eux-mêmes être la victime de cette malignité dont ils s'amusent aujourd'hui.

C'est assurément une bien triste vérité que le goût de la calomnie, que la démangeaison de connoître les affaires domestiques de tous les grands personnages, est devenue si générale, qu'un ouvrage n'a guères besoin d'autre recommandation, s'il s'annonce pour recueillir l'anecdote du jour & des personnalités mordantes : l'influence de ce goût atroce ferme toute voie à l'amour du bien, & empêche de paroître des ouvrages de génie en tout genre ; car ainsi que l'observe le philosophe Goldsmith :« Comme le tigre rarement abandonne l'homme qu'il poursuivoit quand une fois il s'est repu de la chair humaine ; de même, le lecteur qui une fois a pris du plaisir à savourer la calomnie, fait ensuite le plus charmant repas, d'une réputation égorgée. »

[p.385]

 

Extrait du premier N° du fameux NorthBriton de M. Wilkes en réponse au premier N° du Briton. Il y soutient que la liberté de la presse est le droit naturel d'un Anglois, & quelle n'a été violée que sous de mauvais Princes, & pour favoriser les mesures des Ministres corrompus.

 

Du 5 Juin 1762.

La liberté de la presse est le droit naturel d'un Breton, elle est justement regardée comme le plus ferme boulevard des libertés de ce pays. La liberté de la presse a été la terreur de tout mauvais ministre. Par là, leur foiblesse, leur incapacité, leur duplicité, leurs dangereux & ténébreux desseins ont été découverts & exposés aux regards du public ;& généralement présentés d'une manière si ressemblante & avec des couleurs si fortes, qu'ils n'ont pu ne pas succomber sous le poids de la haine universelle. Pourrions-nous d'après cela, être étonnés qu'ils aient employé tant de moyens, & à l'infini, tantôt pour éloigner, tantôt pour émousser la pointe de cette arme la plus sacrée, qui nous est donnée pour la défense de la liberté & de la vérité ? Aussi, une administration mauvaise, corrompue, naturellement[p.386]doit redouter cet appel à la nation, & mettre en œuvre toutes les ressources possibles pour se garantir également de l'inspection du prince, du parlement, & du peuple. Voilà pourquoi l'on a imaginé & pratiqué toutes sortes d'intrigues, de ruses, d'artifices, pour réprimer cet esprit de recherche & de lumière. Les cours même de justice, parce qu'on a voulu se mettre à couvert sous la sanction de la loi, ont été entraînées à protéger les vues perverses d'un ministre absolu, afin d'étouffer, dès sa naissance, toute vertu prête à se montrer.

Pour parvenir à ce but, dans les premiers temps, le banc du Roi infligea, les peines les plus sévères, de l'amende, du pilori ou de la prison, & quelquefois les trois ensemble, contre de courageux patriotes, qui s'étoient montrés les généreux défenseurs de leurs pays, & dont les écrits ont fait la gloire de leur siècle & de leur nation.

Sous le malheureux règne d'un Stuart, si fatal à la Grande-Bretagne, les usurpations les plus hardies ont été pratiquées au détriment des droits & franchises les plus chères à la nation ;& la liberté de la presse a été ouvertement violée. Le gouvernement eut même à ses gages, un censeur de la presse : rien alors, n'obtenoit[p.387]la sanction de cet instrument du pouvoir que de misérables platitudes ministérielles, ou des faussetés fabriquées par le parti anti-patriote. Conséquemment, aucune production qui eût respiré un esprit de liberté, ne pouvoit obtenir l'avantage d'être mise au jour ;& l'imprimatur du ministre, ne s'accordoit guères qu'à des ouvrages qui déshonoroient à la fois, & les lettres & l'humanité.

Je ne me souviens pas toutefois, qu'aucun de ces écrivains mercenaires, se fut avisé comme le Breton de samedi dernier, de faire montre avec grand appareil des armes royales à la tête des papiers publics. Par-là, notre auteur prétend-il intimider, ou faire entendre que ce nouveau journal paroît comme la gazette de la cour par autorité, & que sous la bannière ministérielle, il est son valeureux champion ?……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Cet auteur se donne pour un Breton, & rien de plus. J'ai connu un papier intitulé le libre Breton ; pourquoi avoir abandonné ici l'épithète de libre ? je suis assuré qu'elle ne pourroit être jamais mieux employée, en faisant allusion à ce vers connu :« Jamais la liberté n'existe avec plus de charme que sous un bon Roi[12].[p.388]Mais ce n'est pas pour défendre la liberté que ce grand écrivain s'est plu à se choisir ses plumes d'oye[13]. Comme il a des prétentions au titre d'un vrai Breton, singulièrement attaché à cette dénomination, il n'est, dis-je, jaloux que du titre de Breton ; épithète, cependant, qui ne lui appartient pas plus qu'à un cheval anglais. Au reste, j'aurois désiré que le Breton défilant sa pelotte, nous eut manifesté son vrai dessein, outre celui d'être payé & pensionné. Il déclare seulement que son but est de chercher à découvrir la fausseté de la malice : le mien sera de tâcher de découvrir la malice de la fausseté… particulièrement la sienne.

Il verra que je fais valoir l'essentiel privilège qui appartient à tout Breton du Nord ; j'entends, de dire hautement mon opinion sur tout ce qui intéresse les communes dont je suis membre. Mais, quoique Breton du Nord, je ferai ensorte d'écrire en franc Anglais, d'éviter cette multitude de scoticismes dont le Breton abonde :& comme on est trop sujet à se tromper, il sera facile alors de le reconnoître pour un Écossais, & moi pour un Anglais, à ne s'y point méprendre.

Ce que j'ai à dire par rapport à moi, ne[p.389]sera pas long à déduire. Je remercie mon étoile d'être Breton du Nord, avec cette circonstance qui m'est peu s'en faut particulière, à moi, d'être sans place ni pension ; mais j'espère qu'on ne me fera pas long-temps ce reproche, & que je ne serai pas davantage montré au doigt par les plaisans de mon pays, qui voudroient rire à mes dépens.

Actuellement avant de prendre congé de notre écrivain, (jusqu'à samedi prochain), je suis bien aise de lui remettre sous les yeux, cette excellente observation que je lisois dernièrement dans les œuvres du chevalier Temple.

« Voilà comment il est certain que tous les moyens capables de rétablir & d'élever le crédit de Sa Majesté au dedans, le feront en même temps, augmenter au dehors : car un roi de la Grande-Bretagne, qui est à la tête de son parlement & de son peuple, qui règne dans tous les cœurs, & qui n'a d'autre but que leurs intérêts, (comme le fait aujourd'hui notre Souverain, & comme nous avons lieu de l'attendre de ses vertus), ne peut manquer d'avoir une grande influence au dehors, d'être tranquille & heureux dans son royaume ;& qu'il n'a rien à craindre de tous les desseins d'hommes factieux, qui se montreroient particulièrement attachés aux intérêts[p.390]du peuple, lorsque la cour paroîtroit s'en éloigner : autrement, & en se livrant à des conseils contraires à l'humeur & à l'esprit du peuple, le roi peut bien faire de grands sujets de ses ministres, mais ses ministres ne peuvent faire du souverain, un grand prince ».

 

Discours violent de M. Grenville, dans lequel il discute la motion tendante à. ce que M. Wilkes, atteint & convaincu d'avoir composé & publié des libelles soit expulsé de la Chambre ; il entre à ce sujet dans quelques détails historiques. Il compare les mauvais traitemens dont M. Wilkes se plaint, & que lui avoient attiré ses écrits séditieux, à la punition sévère, &, selon lui, beaucoup moins méritée du Docteur Shabbeare. Il finit par rappeller à la Chambre les règles établies au Parlement, auxquelles on doit se conformer en pareilles circonstances.

 

Du 3 Février 1769.

M. l'Orateur,

J'ai tâché d'asseoir mon jugement par rapport à la motion proposée pour expulser de la Chambre un honorable membre, (M.Wilkes) ; jugement dont on ne peut être étonné, lorsqu'il[p.391]est établi d'après un examen mûr &impartial des choses : or ayant agi ainsi, je ne me crois nullement obligé de défendre mon opinion, & d'en faire moi-même la moindre apologie.

J'aurois assurément désiré avoir pu, convenablement éviter de déclarer mes sentimens sur cet objet, parce que je suis très-certain que, quelque soit mon opinion, elle sera toujours au dedans & au dehors, sujette à bien des interprétations les plus fausses & les plus défavorables. Si je vote pour la motion telle qu'elle a été proposée, l'on dira que c'est de ma part, une envie cruelle, opiniâtre de satisfaire un ressentiment particulier & personnel, pour me venger des mauvais traitemens que M. Wilkes m'a si libéralement prodigués ;& par cette raison, que sous le masque d'un zèle pour la cause de Dieu & du Roi, je m'acharne pour accabler un infortuné, qui, (on l'a dit dans la chambre), a déjà été beaucoup trop opprimé par moi, ou du moins avec ma concurrence ; ou bien, d'après la conduite modérée que je me suis efforcé de tenir durant la présente session, on pourra dire, que c'est de ma part, un vil moyen de caresser le pouvoir, dans la vue de briguer bassement les faveurs de la cour. D'un autre côté, si je donne ma voix contre l'expulsion de M. Wilkes, on m'accu[p.392]sera de légèreté & d'inconstance ; que je change d'opinion, suivant qu'elle s'accorde avec ma situation, en office ou hors d'office ; que j'épouse de nouveaux principes d'après mes nouvelles habitudes & relations, dans la vue de remuer auprès du peuple, de ménager sa bienveillance, & de renverser toutes les loix du gouvernement, en protégeant, en soutenant un homme, dont j'avois hautement & tant de fois censuré la conduite.

Si je connois mes propres défauts, la vengeance & la cruauté sont les vices auxquels je suis le moins porté :& quant aux reproches que me font aujourd'hui mes ennemis, je puis dire que j'ai été souvent accusé d'obstination, d'inflexibilité ; mais rarement ou jamais, je pense, d'avoir beaucoup été enclin à changer aisément d'opinion, à la volonté des autres, & à voguer au flux & reflux des fantaisies populaires. Je m'étois donc flatté qu'on ne pouvoit, sans injustice, m'accuser d'avoir sacrifié mes principes à la faveur de la cour ou aux applaudissemens du peuple.

Au reste, j'avouerai hautement de nouveau à la chambre, que j'eusse désiré par bien des raisons, n'être pas dans la nécessité de m'ouvrir sur cette motion d'une manière ou d'une autre ; mais comme elle vous est soumise aujourd'hui,[p.393]je pense qu'il seroit bas & indigne de moi, de me cacher lâchement ou de fuir la difficulté. Je pense, au contraire, que le devoir d'un honnête homme, qui est convaincu que le jugement qu'il a formé dans une affaire, est fondé sur les règles de la justice, est de le déclarer publiquement de son siège à la chambre, de le soutenir, & de braver avec courage toutes les difficultés qui pourroient s'y opposer. Je ne vois rien, Monsieur, dans les deux partis, de la cour & de l'opposition, qui puisse m'en empêcher ; je me connois, je sais quelle est des deux côtés, mon indépendance ;& tant que je tiendrai à cette chambre, je saurai faire éclater dans toute sa force, cette indépendance, & remplir à cet égard, dans cette circonstance, un emploi plus grand, plus flatteur que ne pourroient l'être les applaudissemens confus d'une multitude, tout ce que le Roi lui-même pourroit m'accorder, une place de trésorier de l'échiquier ou de secrétaire d'état : ce noble & honorable emploi, est de dire la vérité, & de faire justice à qui elle appartient de la manière la plus impartiale. Je me garderai donc de pallier ici les torts de cet homme, & de tâcher d'exciter votre compassion ; ce seroit chercher à surprendre votre foiblesse contre votre propre jugement. Je m'emporterai encore moins contre[p.394]lui, en invectives, en termes amers & insultans ; non, je ne m'efforcerai point de provoquer votre ressentiment, ce seroit alors au lieu de votre foiblesse, soulever votre colère & votre indignation.

C'est, Monsieur, avec les sentimens que je viens d'exposer à la chambre, que je vais procéder à l'examen immédiat de la question qui lui est soumise aujourd'hui. Je ne puis en premier lieu, être de l'avis de ceux qui, favorables à M. Wilkes, ont milité qu'il ne falloit point admettre cette motion, parce que M. Wilkes avoit été l'homme du monde le plus maltraité, le plus opprimé & le plus malheureux de son siècle. 1l est malheureux, sans doute, parce qu'il est coupable, & que le crime ne produit jamais que l'infortune : mais sous un autre point de vue, & à considérer ses torts multipliés, assurément il a été beaucoup plus heureux que ses désirs ardens ne pouvoient jamais l'espérer. Je ne prétends point entrer dans un détail circonstancié de tout ce qui lui est arrivé, il nous mèneroit trop loin ; mais pour vous prouver ce que j'ai avancé, permettez-moi de proposer ici quelques questions à son sujet.

Quand M. Wilkes composa son libelle séditieux contre le roi & les deux chambres du parlement, pouvoit-il s'attendre que l'ordre de prise[p.395]de corps (le Warrant) qu'il recevroit, seroit conçu en termes généraux, malgré le désir & le sentiment des deux secrétaires d'état, qui proposoient, qui insistoient que le nom de M. Wilkes fut inséré dans le Warrant ; mais qui eurent le dessous, parce que nos gens de loix & clercs d'office, soutinrent qu'on ne pouvoit s'écarter de l'usage & de la manière de procéder, établie depuis long-temps dans cette sorte d'affaire ? M. Wilkes pouvoit-il s'attendre, que d'après l'expérience d'un siècle, sous les yeux des plus grands jurisconsultes, par-devant des cours suprêmes de justice, sans avoir été interrogé dans aucune circonstance, cette nouveauté irrégulière, illégale, ne se fût jamais vue que pour lui, & qu'elle eût été ensuite adoptée par la voix & les clameurs de la Nation, lors de sa prise de corps ? Si l'on n'eût point admis ces irrégularités dans cette procédure, que sa situation eût été différente ! À quoi lui eût servi la faveur du peuple, & l'appui qu'on lui a prodigué si libéralement ? Que seroient devenus les dédommagemens considérables qu'il a ainsi déjà obtenus ? où en seroient les sommes immenses qu'il répète en justice, pour avoir perdu précédemment sa liberté ? Sont-ce là, Monsieur, des preuves qu'il ait été l'homme du monde le plus malheureux ? Est-il vrai de dire,[p.396]qu'il a été le mortel le plus maltraité & le plus opprimé de son siècle ?

Le docteur Shebbeare fut appréhendé au corps, en exécution d'un Warrant en date du 12 janvier 1758, conçu dans les mêmes termes (généraux) que celui dont je viens de parler, signifié par le secrétaire d'état, pour avoir composé six lettres adressées au peuple de l'Angleterre sur les progrès de la ruine nationale. On montroit dans ce pamphlet, que l'influence d'Hanovre sur le cabinet de Saint-James, étoit la cause de la grandeur de la France & des malheurs de l'Angleterre. Le docteur fut atteint & convaincu du délit, le 17 mai, & le 28 novembre suivant, une sentence le condamna à une amende, à être exposé au pilori, & à une prison de trois ans, avec une caution de bonne conduite, le temps de sept années.

La poursuite intentée contre M. Wilkes, a été dirigée d'après une adresse unanime des deux chambres du parlement : M. Wilkes a été jugé par un juré indulgent, par rapport à un libelle, certainement non moins séditieux, non moins criminel que celui du docteur Shebbeare : M. Wilkes a été condamné à une amende de 500 liv. ; à une prison d'un an, au lieu de trois, à donner une caution de bonne conduite de sept ans ;& on lui a fait grâce de la partie[p.397]ignominieuse de la punition. Il a été atteint & convaincu également, d'avoir composé & publié trois libelles obscènes & impies, dans la procédure dirigée à ce sujet, & d'après une adresse de la chambre des pairs ; procédure dans laquelle il lui a été signifié la même sentence que pour son premier délit, y comprenant deux mois de prison, qu'il avoit subits avant le jugement.

Je vous le demande de bonne foi, M.Wilkes, dans ses deux instances, pour tous ses délits pris ensemble, a-t-il été traité aussi sévèrement que le docteur Shebbeare pour un seul ? Je ne pousserai pas plus loin le parallèle, quoique je pusse produire ici une multitude d'exemples semblables, & quelques autres plus sévères que celui du docteur, dans le seul espace des quarante ou cinquante dernières années de ce siècle.

Au reste, tout ce que j'ai déjà exposé à la chambre me paroît être entièrement suffisant, pour lui prouver que M. Wilkes, dans cette circonstance, n'est nullement autorisé à réclamer quelque faveur extraordinaire, sous le prétexte qu'il a été en butte à une sévérité sans exemple, dans le cours de la première procédure. Mais s'il n'a pas des droits à la faveur, il est très-certain d'en avoir à cette justice qui est dûe à tout homme, & que nous devons être[p.398]particulièrement soigneux de lui conserver, dans un moment où les préjugés & la passion peuvent à la fois concourir à l'enfreindre.

Voilà des principes que personne ne me contestera, en conséquence desquels, après avoir entièrement examiné l'accusation contenue dans la question qui vous est soumise, & les argumens avancés pour la soutenir, je suis décidément d'avis que je ne dois point donner mon assentiment à la proposition qui vous a été faite, parce que si je le donnois, je commetttois une injustice insigne. J'avoue que l'expression est forte, & qu'il est de mon devoir de vous exposer mes raisons, les appliquant à la motion soumise à votre considération, ce que je vais tâcher de faire de la manière la plus satisfaisante, autant que je pourrai en être capable.

Je suis parfaitement d'accord avec celui de ces Messieurs qui vous a dit, que cette chambre a le droit d'inspecter la conduite de ses membres, droit qu'elle a déjà exercé dans une infinité de circonstances différentes, où elle leur a fait leur procès, les a censurés, les a expulsés de la chambre en suivant le cours établi de notre procédure, conformément à la jurisprudence du parlement, laquelle, elle-même, fait une partie de celle du royaume.

D'après cette règle, examinons, Monsieur,[p.399]la proposition soumise à la chambre, & nous serons bientôt à portée de juger si elle est conforme à l'usage, à la jurisprudence parlement taire, à la pratique de quelque autre cour de justice dans le royaume, & aux principes inaltérables de l'équité naturelle ; ou, si c'est une dangereuse & nouvelle manière de procéder, non appuyée par des exemples tirés des journaux du parlement ou des greffes de quelques autres cours, & combinée simplement pour servir au but actuel, & comme telle, digne des termes que je lui donne, d'une injustice insigne.

L'accusation contenue dans la motion qui fait l'objet du présent débat, suffit séparément pour justifier la conclusion tirée de tous les chefs réunis ;« que M. Wilkes doit être expulsé de la chambre ». D'après cette accusation compliquée, la chambre est invitée à donner son jugement pour ou contre la question qui lui est soumise.

Il y a une règle bien connue, & que l'on ne peut contester à cette chambre, règle fondée sur le bon sens, que, quand une question, même de la nature la moins importante, est compliquée, & contient plusieurs chefs, tout membre de la chambre a le droit indubitable de séparer ces articles, pour n'être pas obligé de les approuver ou de les désapprouver collectivement[p.400]en masse, de manière que chaque partie de la question puisse être appréciée d'après sa consistance & sa valeur, distincte & séparée. Je n'ai pas besoin, Monsieur, de vous démontrer la convenance & l'absolue nécessité d'agir d'après cette règle : elle est d'elle-même si évidente, que tous les argumens que j'entasserois pour la soutenir, ne feroient que l'affoiblir. Assurément, cette règle a toute sa force dans tous les cas où nous ne faisons que délibérer, & à plus forte raison, on ne peut contester qu'elle ne soit moins vraie, moins nécessaire lorsque nous avons à censurer & à punir, ou lorsqu'elle peut avoir quelqu'influence, & sur les droits d'un de nos membres & sur les franchises de ceux dont il est ici le représentant. Je puis hardiment défier les personnes les plus instruites dans la connoissance des journaux de la chambre, de produire un seul exemple de cette nature ;& si l'on ne peut en admettre aucun, comme j'en suis convaincu ; ne suis-je pas fondé à dire, que c'est ici une nouvelle atteinte portée aux usages & aux loix du parlement, & qu'ils réprouvent ?

[p.401]

 

Discours de M. Sawbridge. Il soutient que la Chambre des Communes en s'arrogeant le droit de faire emprisonner un Imprimeur de libelles, outrepasse ses droits. Inconvéniens de cet abus d'autorité.

 

Du 4 Mars 1772.

La chambre par cette motion, en s'arrogeant le pouvoir, de faire emprisonner un Imprimeur, ose usurper à mon avis, une autorité qui ne lui appartient point. D'après la connoissance que je puis avoir des loix, ce procédé est directement contraire à la grande chartre (charta magna). Le premier abus de cette autorité de la part de la chambre fut sous le règne despotique de la reine Elisabeth qui avoit à ses ordres un parlement complaisant, toujours prêt à punir toute personne qu'elle avoit prise en aversion. La seconde atteinte de ce genre, portée à nos libertés, date du règne de Charles II ;& je pense que la chambre seroit fâchée de se modeler sur les exemples de ce dernier règne.

Les personnes les plus attachées à l'autorité de la chambre, ne peuvent pas admettre qu'elle peut aller au-delà de faire emprisonner le coupable[p.402]jusqu'à la fin de la session. Or, les Imprimeurs feront peu d'attention à un emprisonnement de trois à quatre mois, (& c'est tout ce qu'on peut faire contr'eux), pendant que le public les soutiendra non comme ayant publié des libelles, mais comme ayant été injustement emprisonnés.

La chambre n'a point le droit de se former en cour de justice criminelle ; il n'y a d'ailleurs, à peine personne parmi ses membres, qui naturellement ne doive être prévenu en faveur de la chose qui fait l'objet du présent débat ; (le privilège de la chambre) ;& dès-lors, ils sont incompétens à être juges ou jurés dans leur propre cause : que si l'affaire tomboit dans le banc du roi, & que des membres de la chambre vinssent à être nommés jurés, l'Imprimeur auroit le droit de les récuser comme personnes intéressées dans l'affaire. Au reste, en sévissant contre l'Imprimeur, vous ne ferez qu'accroître le nombre des libelles ; car le parlement ayant des vacances de huit mois, & les cours de justice n'ayant point d'inspection sur cette partie, la presse ne cessera durant ce tems, d'enfanter avec l'abus le plus scandaleux, assurée qu'on ne peut l'en empêcher : c'est alors que ces cours auront des raisons de chercher à restreindre la liberté de la presse, ce qui paroît être le but qu'on se propose aujourd'hui.

[p.403]

 

Relation de l'affaire de M. Parker, Imprimeur, emprisonné par ordre de la Chambre des Pairs sans l'allégation d'aucun crime ni d'aucune cause qui autorisât sa détention. La prorogation du Parlement ayant eu lieu quelque tems après, il devoit rentrer en liberté ; mais les créatures du Gouvernement s'y opposèrent & il ne trouva de défenseur & de juge que dans Sir Francis Buller, qui ordonna son élargissement.

 

Février 1779.

M. Parker avoit été emprisonné pendant trois mois, pour avoir désobéi à un ordre de la chambre des Pairs, lequel ordre l'appelloit à la barre de cette chambre, sans spécifier les raisons de cet appel. Comme citoyen de ce pays, il se crut à l'abri de toute attaque contraire à l'esprit de la constitution ; il regarda l'atteinte portée à sa liberté, comme une infraction des droits & libertés de ses concitoyens en général : l'insulte. étoit sanglante, il la supporta avec la fermeté convenable ; il désobéit à l'ordre ;& en conséquence de la désobéissance, il fut ordonné au gentilhomme, huissier à verge noire, de le prendre sous sa garde : lorsqu'il fut instruit de[p.404]cette seconde atteinte portée à sa liberté, loin de chercher à éluder la grande question de droit, il écrivit à l'officier chargé de l'exécution de cet ordre, qu'il se trouveroit dans sa maison ; celui-ci ne jugea pas à propos de s'y rendre alors ; mais lorsque, par déférence & par respect pour les loix de son pays, l'Imprimeur porta sa cause à une cour de justice, & se mit sous la protection de ces loix ; l'huissier saisit ce moment pour l'arrêter, & il fut constitué prisonnier dans la prison neuve, sans qu'il fût spécifié aucun crime ou aucune cause qui autorisât son emprisonnement ; les choses alors étoient déjà portées trop loin, la chambre des Pairs elle-même jugea à propos d'assigner quelque raison de sa conduite ; elle décerna un nouveau décret, dans lequel le mépris de l'autorité de la chambre fut spécifié pour motif.

M. Parker a essuyé depuis dans cette prison, tous les dégoûts attachés à une pareille situation ; mais il se montra supérieur aux afflictions passagères, il ne murmura point, il ne fit pas la moindre démarche pour obtenir son élargissement : le parlement ayant été prorogé samedi dernier, l'autorité en vertu de laquelle il se trouvoit emprisonné, n'existoit plus : la constitution de ce pays ordonnoit qu'il fût mis en liberté ; mais les créatures du gouvernement[p.405]résistoient à cet ordre, & il étoit toujours détenu : dans ces circonstances, il exposa purement & simplement le cas dans lequel il se trouvoit à sir Francis Buller, l'un des juges puînés (les plus jeunes) de la cour de Kingls-Bench, lequel, après une mûre considération, accorda sur requête un habeas corpus (ordre de transférer la personne arrêtée à tel ou tel endroit) : le sieur Parker s'étant présenté en conséquence hier matin devant sir Francis, ce magistrat décida qu'il n'existoit point de pouvoir légal, en vertu duquel le prisonnier pût être détenu, & ordonna qu'il fût élargi à l'instant, sans fournir de camion & sans aucune condition… Cette conduite mâle & noble de la part d'un jeune juge, mérite une place dans le plus durable des registres, celui du cœur de tout Anglais ; que ce pays s'enorgueillisse à jamais, de ce qu'il a produit un Buller, un homme indépendant, né pour fermer la carrière de l'oppression, & arracher la liberté aux dents du pouvoir arbitraire !…

Suit une multitude d'exclamations, dans le journal anglais d'où est tiré cet article, qui rempliroient ici plusieurs pages, sur le bonheur de l'Angleterre de posséder un tel juge, le conservateur courageux, intrépide des libertés & de l'indépendance Britannique.

[p.406]

 

Discours du Comte d'Effingham, dans lequel il tache d'engager la Chambre à présenter au Roi une adresse, pour le supplier d'accorder son gracieux pardon & la liberté à William Parker Imprimeur du General Advertiser, condamné à un an de prison, pour avoir répandu dans le Public des billets déclarés inflammatoires, lors des réjouissances occasionnées par la sentence qui acquittoit honorablement l'Amiral Keppel.

 

Du 15 Février 1780

Je commence par déclarer que mon intention n'est point d'accuser de prévarication les juges qui ont prononcé la sentence dont je demande que l'effet cesse aujourd'hui ; peut-être ont-ils cru le cas assez grave pour exiger d'eux toute la sévérité qu'ils ont déployée, mais enfin, ils ont été sévères : ceci n'est donc pas une question de justice, elle est d'humanité. Le nommé Titus-Oates fournit à la chambre un exemple de ce genre : la chambre présenta une adresse au Roi en sa faveur, parce qu'il avoit été sévèrement jugé : on remarque avec peine que les punitions infligées par le même tribunal à-peu-près aux mêmes époques, ne sont point proportionnées[p.407]à la gravité, des délits : un malheureux Imprimeur qui a pu mettre de l'imprudence dans les démonstrations d'une joie que le parlement avoit déclarée être la joie de tous les gens de bien, est condamné d'une amende & d'un an de prison ; l'amende n'est rien, mais la prison, indépendamment de ce qu'elle est elle-même une peine rigoureuse, occasionne à cet Imprimeur des frais considérables qui, considérés comme amende, la porteroient dans le cours d'une année d'une somme plus forte que celle que le même tribunal vient de faire payer à des particuliers convaincus d'un délit infiniment plus grave : quatre riches conspirateurs sont condamnés a une amende de 1000 liv. sterl. chacun ! premièrement à égalité de délit, vu la différence immense des facultés pécuniaires, il n'y a point de proportion dans les peines ; en second lieu, si l'on considère qu'il est plus que probable que les quatre coupables ont reçu de riches présents du Nabab, & que le sieur Parker n'en a certainement point reçu, la disproportion devient plus révoltante. Tout considéré, &c. (Suit l'énoncé de la motion).

[p.408]

 

Réplique au Discours précédent.

 

Du 15 Février 1780.

Le comte de Mansfield (grand justicier de Kingls-Bench) se leva, & observa à leurs seigneuries, que malgré la citation du noble Lord, il n'existoit point d'exemple de l'espèce actuelle ; que le cas de Titus-Oates étoit absolument d'un autre genre (ce que le magistrat démontra) ; que par conséquent d'adopter une motion pareille, ce seroit s'arroger une juridiction arbitraire sur les cours judiciaires du Royaume ; que lorsque la pétition avoit été présentée, on auroit dû ne la point recevoir ; qu'ayant été reçue dans le temps, ce qu'on en pouvoit faire de mieux aujourd'hui, étoit de la rejetter ; que lorsqu'il s'agit de demander des grâces & des pardons, ce n'est pas à la chambre des Pairs qu'il faut s'adresser ; que la prérogative exclusive de les dispenser est attribuée à la couronne par la constitution ; que tout ce qu'il y a de criminels dans Newgate, auroit un droit égal à la clémence de la chambre, si l'exercice de cette vertu faisoit partie de ses privilèges : que cependant, on n'avoit jamais vu que le seul Parker méconnoître à cet égard la prérogative de la couronne, &c. &c. &c.

[p.409]

 

Extrait d'une séance de la Chambre des Pairs, concernant l'Imprimeur William Parker, qui avoit insérée dans le Journal intitulé :General Advertiser, une Lettre de M. Luttrell, dans laquelle Lord Sandwich, premier Lord de l'Amirauté, étoit accusé de malversation.

 

Du 15, 16 & 17 Février 1779.

Aujourd'hui pour la première fois depuis la rentrée du parlement, cette chambre se trouva à peu près complette : les lords de l'opposition y étoient particulièrement rassemblés. Le comte de Radnor fit l'ouverture de cette séance en lui rappellant que dans le General-Advertiser du 29 décembre il se trouve une lettre signée T. Luttrel, commençant par ces mots :

« Les extraits suivans du Journal de la chambre des communes & d'autres autorités parlementaires mettront dans son véritable jour l'accusation de distraction de deniers publics, portée contre les ministres de sa majesté, pendant la première année de l'administration de lord Sandwich, pour le département de la marine ». Cette accusation, continua le comte de Radnor, est si grave en elle-même,[p.410]qu'ayant rapport à un membre de cette chambre, fondée ou non, nous ne pouvons nous dispenser d'en prendre connoissance. Dans le premier cas elle est d'une nature si sérieuse que vos seigneuries n'ont pas un moment à perdre pour constater le délit, & éloigner du service public un ministre capable d'abuser à ce point de la confiance que l'on auroit eue en lui ; dans le second cas, il est de la dignité de la chambre de dévoiler l'imposture, & en punissant l'auteur, de convaincre tout le monde que vos seigneuries sont déterminées à ne laisser passer impunément aucune atteinte portée par la méchanceté & le mensonge à la réputation d'un pair du royaume. Après ce court préambule le comte fit la motion suivante :

Que William Parker, Imprimeur du General-Advertiser, actuellement demeurant n° 37, Ludgate-street, soit sommé de paroître demain (aujourd'hui mardi) à la barre de la chambre. En conséquence ordonné.

La lettre dénoncée, signée Temple Luttrell, qui parut dans le General-Advertiser du 29 décembre 1778, établit en substance qu'en 1771, lorsqu'il parut plus que vraisemblable que l'Angleterre déclareroit la guerre à l'Espagne, le parlement vota quarante mille matelots pour le service de cette année : que lorsqu'on examina[p.411]ensuite si ces quarante mille matelots avoient été employés, il se trouva dans leur nombre effectif un déficit de neuf mille. Que l'argent destiné à la solde de ces matelots & porté en compte par le bureau du trésor, montoit à un million neuf cent soixante-seize mille livres sterlings, & que les dépenses effectivement faites à ce sujet, ne montoient qu'à un million neuf cent soixante-quatorze mille quatre cent soixante-quinze livres sterlings, ce dont M. Luttrell conclut qu'il a été distrait par l'amirauté une somme de deux cent mille cinq cent vingt-cinq liv. sterl. Telle est la substance de la lettre, & le fondement de l'enquête que l'on se propose sans doute d'amener au parlement : dans cette supposition la première chose à faire étoit de constater l'authenticité de la lettre ; en conséquence, sur la motion du comte de Radnor, il fut ordonné que l'Imprimeur du General-Advertiser paroîtroit demain à la barre de la chambre. Conformément à l'ordre du jour précédent, sir Francis Moulineux, huissier à verge noire, appella William Parker, Imprimeur du General-Advertiser, qui ne parut pas ; le comte de Radnor demanda alors si la sommation avoit été faite exactement & dans les formes. Avant qu'il pût obtenir une réponse à cette question, lord Sandwich se leva, & parla à peu près ainsi :[p.412]Voilà la première fois de ma vie que je vois un noble lord se servir du nom d'un autre lord pour se plaindre, sans son consentement, d'une atteinte portée à ses privilèges ; je déclare à la chambre que je ne regarde pas du tout l'impression de la lettre de M. Luttrell comme étant une atteinte portée à mes privilèges, que je ne me trouve offensé en aucune manière, que je n'ai aucun ressentiment contre l'Imprimeur, & que s'il eût paru à la barre, mon intention étoit de faire une motion pour qu'il fut déchargé sur le champ.

Encore une fois, je ne vois pas que dans le cas, dont il s'agit, mes privilèges ayent été violés, la lettre en question n'a pas plus de rapport à moi qu'au Grand-Turc : je sais que mon nom y est mentionné, & je n'en suis pas étonné, elle a paru dans un papier où les ministres sont constamment insultés, en général représentés au public comme étant des hommes incapables d'agir avec droiture dans aucune circonstance ; en ma qualité de premier lord de l'amirauté, j'y suis plus maltraité que les autres : tout cela ne viole pas mes privilèges.

Rien de si facile que de prouver que toutes les assertions contenues dans la lettre sont malicieuses& mal fondées : malicieuses est une expression peu mesurée ; je n'entends pas lui[p.413]donner son acception ordinaire : ce que je veux dire, c'est que la personne qui les a avancées, s'est absolument trompée, je ne crois pas qu'il soit entré de malice dans ses vues. Ce n'est pas la peine de chercher à prouver l'erreur sur laquelle portent ces assertions ; tout le monde sait assez que l'amirauté n'a rien de commun avec le maniement des deniers publics, ni avec le bureau du trésor : toutes les sommes destinées au service de la marine sont directement versées dans la caisse du trésorier de la marine, qui en fait l'emploi sans la participation du bureau de l'amirauté. Il est vrai que dans les estimations que l'on fait des dépenses relatives à ce service pour l'année courante, pour des raisons indispensables, on porte fréquemment sur les états un nombre plus considérable de matelots qu'ensuite on n'emploie : le fait est arrivé l'année à laquelle M. Luttrell fait allusion dans sa lettre ; mais il n'en est pas résulté que le surplus des deniers ait été distrait : les estimations ou apperçus de dépense ne peuvent jamais être exacts : on y porte par exemple la paye de chaque matelot à quatre livres sterlings par mois ; or tout le monde sait que cette somme n'est pas suffisante : si sur d'autres articles il s'économise quelque chose, le produit de cette économie est employé à acquitter quelque portion des dettes de la marine.

[p.414]

 

L'Imprimeur Parker, au lieu de se rendre à la Barre, adresse au Lord Chancelier la Lettre suivante.

 

Mylord,

L'honorable Temple Luttrell me charge de déclarer qu'il reconnoît être l'auteur de la lettre qui a paru sous son nom dans mon papier du matin du 29 décembre dernier. Je suis, &c.

W. Parker.

Au très-honorable lord Thurlow, orateur de la chambre des pairs.

[p.415]

 

Défense de l'Imprimeur Parker, dans le General Advertiser, du 17 Fév. : ou Compte rendu au Public de sa conduite dans cette affaire, qui peut donner une idée de la Constitution Anglaise, & des droits & privilèges de tout Citoyen en Angleterre.

 

L'imprimeur du General Advertiser n'a pas été médiocrement surpris lundi dernier de recevoir l'ordre de se présenter à la barre de la chambre des pairs, à raison d'une lettre qui, imprimée dans son papier, avoit originairement paru dans un autre, & qu'il avoit jugée suffisamment authentique, puisqu'elle étoit souscrite par un membre respectable de la chambre des communes : plusieurs de ses amis lui ont suggéré que cette manière de s'écarter de la forme ordinaire des procédés, étoit une preuve de plus du projet formé par le ministère de le dévouer comme victime à son ressentiment ; cependant le caractère & la conduite du noble lord qui a fait la motion, ne permettent pas qu'on le soupçonne même d'avoir la moindre part à cette persécution.

L'honorable Temple Luttrell, désirant tranquiliser l'Imprimeur l'a requis, dans le cas où[p.416]il se présenteroit devant la chambre, de le nommer pour auteur de la lettre qui a donné de l'ombrage ; mais l'Imprimeur connoît un devoir qu'il est jaloux de remplir, & qui l'emporte sur toute autre considération ; il ne veut céder le pas à personne lorsqu'il s'agit de résister à l'usurpation du pouvoir ; jamais il ne trahira les droits ou la sécurité de ses concitoyens. Dans une contestation antérieure, la chambre des pairs a essayé de même de donner des injonctions à un imprimeur, qui a résisté avec autant de fermeté que de succès à cet abus dangereux de l'autorité, à cette usurpation manifeste des privilèges du peuple : vu le caractère constitutionnel de ce papier, il eût été indécent que l'imprimeur en reconnoissant des prétentions, sinon illégales, du moins indécises, eût sacrifié l'intérêt du public, & toutes les prétentions justes qu'il peut avoir lui-même à l'honneur de défendre dans la suite ces mêmes intérêts ; il s'est donc déterminée à écrire au lord chancelier la lettre ci-jointe (précédente), qui eût rempli suffisamment tous les objets de la motion, si la chambre n'avoit pas de vues ultérieures.

Il connoît tout le poids & toute l'étendue du pouvoir auquel il se propose de résister ; mais comme son intention est en même-tems de se placer sous le bouclier de la magistrature & sous[p.417]la protection des loix sacrées de son pays, il se flatte que sa conduite, en démontrant combien son courage est inébranlable lorsqu'il s'agit de la cause de la liberté, lui assurera l'estime de ses concitoyens.

Le lendemain jeudi (hier) dans sa même feuille, après avoir invité le comte de Radnor à considérer plus mûrement sa motion, il expose. encore au public les observations suivantes.

Le pouvoir que la chambre tente de s'arroger, d'instruire en première instance le procès d'un Imprimeur, de le juger, de le condamner à une certaine peine, à raison de ce qu'il plairoit à cette chambre de qualifier de libelle l'article dont est question, n'est fondé ni sur la loi, ni sur la constitution : la grande charte dit expressément qu'aucun homme libre ne sera emprisonné qu'en vertu du jugement de ses pairs, ou de la loi du pays : la chambre des pairs est une cour en dernier ressort & de jurisdiction définitive : tous les procès criminels doivent être instruits en première instance dans des tribunaux d'une jurisdiction inférieure, où l'accusé interrogé par des jurés est jugé par ses pairs, & jouit ainsi de la protection que lui accorde la loi de son pays.

Lord Cooke dont le sentiment en matière de jurisprudence est d'une grande autorité, parlant[p.418]de celle du parlement, dit que même un acte de ce corps peur être nul aux yeux de la loi ; il en établit l'exemple suivant.

« Un acte qui autoriseroit un particulier à être juge dans sa propre cause » : or l'ordre dont il s'agit est précisément de cette espèce ; lord Sandwich est la personne contre laquelle le libelle supposé est publié : ne sera-t-il pas juge dans sa propre cause ? n'instruira-t-il pas un procès ? ne jugera-t-il pas, ne condamnera-t-il pas dans une cause qui est la sienne ? Un pouvoir pareil peut-il être fondé sur la constitution & sur l'autorité légale du parlement ?

Fin du Tome quatrième & dernier.

 

À PARIS,
De l'Imprimerie de Philippe-Denys PIERRES ;
Premier Imprimeur Ordinaire du Roi.