Des devoirs du Roi envers la Royauté


Cottu, Charles, Des devoirs du Roi envers la Royauté, Paris, Libraire de Rusand et Cie, 1830, 172p.

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Des devoirs du Roi envers la Royauté

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CHAPITRE 1.De la situation faite à la Royauté par les dispositions réunies de la Charte et de la loi des Élections.



La loi des élections a produit son fruit. Armée de ses feux dévorans, la révolution est sortie de son sein, et n'attend plus que le signal, pour faire de la France et de l'Europe un vaste incendie.Ce résultat n'était pas difficile à prévoir; il suffisait, pour le proclamer d'avance, de [p.2] réfléchir un instant sur la composition des Collèges électoraux, et sur l'effet ordinaire des passions des hommes[1].[p.3]Mais il est des esprits étroits, livrés à une espèce de fatalisme politique, pour qui le présent n'a pas d'avenir, ni les faits de conséquences. Ils croient que les événemens se succèdent au hasard sans qu'aucune cause les détermine et sans qu'il soit possible à la sagesse humaine de les prévenir. Les dispositions morales de l'homme, ses affections, ses préjugés ses répugnances, paraissent à cette sorte de gens en dehors de tout calcul et de toute appréciation. Ils ne veulent pas considérer que, de même [p.4] que chaque région du globe enfante des productions diverses, de même l'homme, en état de société, s'attache, suivant l'intérêt de sa position politique, à une nature particulière d'opinion qu'aucun raisonnement ne peut ensuite ébranler.Ainsi dans tous les temps et dans tous les pays, les classes moyennes de la société aspireront à taire disparaître les distinctions sociales, et emploieront à les renverser tout le pouvoir dont elles seront investies.Ces simples réflexions devaient apprendre aux Ministres qu’aucune considération ne pourrait jamais triompher des préjugés des Électeurs; et que, dans la crise imminente où se trouvait la Royauté, il ne lui restait plus qu'un seul moyen de salut celui de changer la loi des Élections par une ordonnance complémentaire de la Charte.Il faut cependant reconnaître une vérité. Quelque évident qu'il soit pour les esprits éclairés et réfléchis que la loi actuelle des Élections est, absolument incompatible avec l'existence de la Royauté, les vices les plus grossiers de cette loi tant qu'ils [p.5] n'étaient pas manifestés par l'expérience, pouvaient être considérés comme de nature à n'être pas aperçus par tout le monde; et l'on conçoit qu'un prince, esclave de sa parole et jaloux, avant tout de l'amour et de l'estime de son peuple, ait voulu, au risque même de se créer pour l'avenir de plus grandes difficultés justifier aux yeux les plus fascinés la nécessité absolue où il se trouvait, dans l'intérêt même de la Charte, de sortir momentanément des règles établies pour des temps de paix et de fidélité et d'avoir recours aux moyens extraordinaires que cette même Charte d'une part et de l'autre les droits inhérens à sa couronne, ont placés entre ses mains.Mais qu'il ait été plus ou moins utile de soumettre la loi des Élections à une dernière épreuve, c'est un point qui n'est plus aujourd'hui d'aucun intérêt. Les Colléges électoraux ont été convoqués; on leur a demandé une nouvel le Chambre, une chambre moins hostile que l'ancienne aux prérogatives de la Couronne, et plus en état d'apprécier et de satisfaire les besoins de la [p.6] Royauté. Ils ont répondu par la Chambre actuelle: la voilà; elle est sous les yeux du Roi; toute remplie de sombres projets, d'espérances séditieuses, et portant sur son front la redoutable empreinte des sentimens de désaffection et de répugnance qui ont présidé à sa composition.Quel parti prendra la Royauté, en présence d'un pareil danger? Doit-elle faire face à la révolte ? Doit-elle céder à ses menaces, et, dans la crainte d'un mal plus grand, accepter sans résistance le nouveau sort que la révolution lui prépare?Une décision d'une si haute importance exige un profond et consciencieux examen de la situation dans laquelle la Royauté se trouve placée par l'effet du nouvel ordre de choses que la Charte a établi.Mais ici une première réflexion se présente. La Charte, à proprement parler, n'a créé aucune situation positive à la Royauté. Elle a laissé ses droits indéterminés, puisqu'elle a laissé la loi d'élections à faire, et qu'il est évident aujourd'hui, d'après la connaissance plus précise que nous avons [p.7] du gouvernement représentatif, que, dans cette forme de gouvernement, l'étendue du pouvoir royal dépend entièrement du mode adopté pour l'élection des membres de la chambre des députés.La position de la royauté n'a donc été fixée que par la loi des élections. Elle eût été toute autre avec une autre loi; d'où il suit que, pour connaître exactement cette position, il faut examiner à la fois et les conséquences qui sont résultées pour la Royauté de certaines dispositions de la Charte, et celles qui sont résultées de la loi des Élections.Tel sera l'objet de ce premier chapitre.Voyons d'abord les conséquences résultantes de la Charte.A côté de la puissance législative, et en dehors du cercle dans lequel elle s'exerce, la Charte a institué encore deux pouvoirs distincts, et absolument indépendans l'un de l'autre.Le premier est le pouvoir qui appartient au Roi de nommer ses Ministres.Le second est le pouvoir qui appartient [p.8] à la Chambre des députés de consentir, et par conséquent de refuser l'impôt.Il ne s'agit pas de savoir comment, dans l'intention de la Charte, ces pouvoirs doivent être exercés sans doute ils doivent l'être dans l'intérêt commun de la Royauté et des libertés publiques. Mais, outre qu'il pourra arriver que le Roi et la Chambre des députés prennent très loyalement pour règle de conduite des principes directement contraires; il doit être encore, permis de supposer que ces deux pouvoirs chercheront à empiéter sur leurs droits respectifs; et que par conséquent, ils se trouveront dans un état d'opposition, voisin d'un état de guerre déclarée.Que devra-t-il résulter de cette lutte? Suivons les deux pouvoirs dans l'exercice légitime de leurs attributions.Le Roi nomme des Ministres qui déplaisent à la Chambre des Députés. Ne cherchons pas dans quelles intentions il les nomme; disons tout de suite qu'il les choisit ainsi, parce que tel est son bon [p.9] plaisir, et que la Charte lui en a donné le droit.De son côté, la Chambre, (que je suppose exprimer la véritable opinion des Électeurs) refuse le budget. Sans l'accuser de projets condamnables, disons aussi qu'elle le refuse, parce que tel est son bon plaisir, et que la Charte lui en a donné le droit.Voilà, d'une part des Ministres maintenus contre la volonté de la Chambre des députés et de l'autre un budget refusé sans que constitutionnellement parlant, on puisse adresser le moindre reproche, soit au Roi, soit à la Chambre, ni leur imputer le plus léger excès de pouvoir.Suivons toujours.Que fait à la Chambre des Députés le refus du Roi de lui sacrifier ses Ministres ? Rien, absolument rien. Le Roi la dissout elle reparait triomphante, envoyée de nouveau par les Électeurs. Le Roi la dissout une seconde fois elle revient une seconde fois, toujours ranimée par la puissance souveraine des Colléges électoraux. [p.10] Ainsi, malgré le Roi, elle reste en présence du Roi, et se rit de son droit de dissolution.Que fait, au contraire, au Roi le refus du budget? Il paralyse, entre ses mains l'action du gouvernement; il le détrône, pour ainsi dire il le place entre la nécessité de céder et celle de précipiter le pays dans une révolution.II suit de cet état de choses que le pouvoir du Roi et le pouvoir de la Chambre des Députés bien qu'indépendans en théorie, ne le sont pas en réalité, et que le premier est nécessairement subordonné au second. Donc il est vrai de dire que, malgré toutes les distinctions établies par la Charte, il n'y a en effet qu'un seul pouvoir dans l'État celui de la Chambre des Députés, ou plutôt celui des Électeurs, puisqu'il est impossible au Roi d'exercer aucune de ses prérogatives sans leur consentement, on de refuser sa sanction à aucune des lois qu'il leur plaira de lui proposer.[p.11] Il faut renoncer à toute logique pour contester ces conséquences.En vain la Gazette dira-t-elle que, s'il en est ainsi, il faut effacer de la Charte les articles 13, 14, 15 et 16. Je lui répondrai, avec les révolutionnaires, que peu importent les dispositions de ces articles et les conséquences que l'on en tire en faveur de la souveraineté du Roi, si ces dispositions se trouvent annulées par les conséquences bien autrement vigoureuses des dispositions qui les suivent.On ne saurait assez le répéter: dans l'examen de toute constitution politique, la question de savoir qui a droit à la souveraineté, est une question purement oiseuse. La seule chose importante à connaître, c'est de savoir à qui appartient en fait l'exercice de la souveraineté. Le droit, dépouillé du pouvoir, ne signifie absolument rien, parce que, dans ce cas, le droit ne peut se faire reconnaître qu'au moyen d'un changement dans le pouvoir ; que ce changement ne peut s'opérer que par des [p.12] mesures, extraordinaires ; et qu'on ne peut pas toujours faire appel à la force.Ainsi : que le Roi soit déclaré le chef suprême de l'État ; qu'il ait le droit de faire la paix ou la guerre de nommer à tous les emplois de l'administration publique de proposer la loi et de la sanctionner; que fait tout cela? La Chambre des Députés, par le droit qu'elle a de refuser l'impôt, ne peut-elle pas toujours contraindre le Roi de faire la paix quand il veut la guerre, et la guerre quand il veut la paix; de choisir ses Ministres dans telle nuance d'opinion, et enfin de lui proposer telle ou telle loi?Ce n'est point avec des arguties et des sophismes qu'on peut échapper à des conséquences aussi nettes et aussi positives. Que cette forme de gouvernement qu'on est convenu d'appeler gouvernement représentatif, c'est-à-dire celle qui confère à une assemblée nationale quelconque le droit de voter l'impôt, ait été établie par une démocratie victorieuse ou par une puissante noblesse, réunie contre son Prince; [p.13] ou par un Roi désireux de se concilier l'affection de son peuple: tout cela ne change rien au fond des choses. Les conséquences du gouvernement établi n'en sont pas moins les mêmes. Un grain de blé ne produit pas un épi différent pour avoir été semé par un Prince par un gentilhomme ou par un paysan. Et quand la loi remet à chaque Député une boule blanche et une boule noire, on ne persuadera à personne que ce Député n'ait pas le droit de mettre dans l'urne celle des deux boules qu'il lui plaira choisir, parce que la forme de gouvernement qui lui confère ce droit a été octroyée au peuple par le Roi, et non point imposée au Roi par le peuple. Qu'on dise qu'il ne doit rejeter le budget que dans des circonstances extraordinaires qui en doute? Mais encore, il est juge de ces circonstances.Je n'examinerai pas si cet état de choses est bien celui que Louis XVIII a entendu instituer; je dis seulement que c'est celui qu'il a institué de fait; et que, s'il est permis de penser qu'il n'a pas prévu toutes les [p.14] conséquences de la Charte, il n'est pas du moins permis de les nier.Reconnaissons donc avec franchise que, par le résultat dé la Charte la Royauté est dépouillée de son ancienne souveraineté, et que cette souveraineté se trouve aujourd'hui placée dans les Colléges électoraux.Passons aux conséquences qui résultent pour la royauté de l'organisation actuelle des Collèges électoraux.Les Électeurs se composent de six classes principales de citoyens:1° De petits propriétaires2° De petits marchands,3° De gros fermiers,4° D'hommes de loi,5° De riches négocians et de banquiers,6° Enfin de quelques grands propriétaires.Mais comme ces six classes d'Électeurs votent toutes réunies et confondues dans les mêmes Colléges, il s'ensuit que la classe la plus nombreuse, celle des petits propriétaires, fait la loi à toutes les autres, et [p.15] que, par conséquent les Colléges électoraux pourraient être considérés comme uniquement composés de petits propriétaires. Maintenons cependant la distinction que nous avons établie, pour avoir occasion d'examiner l'esprit particulier dont ces diverses classes sont animées.Les trois premières classes, absorbées dans les détails de leur commerce ou de leurs travaux agricoles, incapables d'ailleurs de toute haute pensée, n'ont jamais assez de loisir pour porter leur attention sur la nature du Gouvernement qui les régit; d'où il suit que, quand ces Électeurs se voient amenés sur la scène politique, ne trouvant en eux-mêmes aucune lumière qui puisse les guider dans l'exercice de leurs droits, ils deviennent nécessairement la proie des préventions particulières à leur position sociale, et des hommes qui les précèdent immédiatement, dans la hiérarchie naturelle des conditions c'est-à-dire, des hommes de lettres, et principalement des hommes de loi. Les hommes de loi, qui composent [p.16] la quatrième classe des Électeurs ont l'esprit beaucoup plus ouvert sur le mouvement général de la société que les Électeurs des classes que j'ai spécifiées en premier; ils connaissent assez exactement le mécanisme extérieur du gouvernement, la hiérarchie et les attributions des différens pouvoirs établis dans l'État. Mais renfermés eux-mêmes dans la spécialité des lois qui régissent l'ordre civil, ils n'ont qu'une idée très superficielle des lois qui régissent l'ordre politique, et ne comprennent en aucune manière les conditions spéciales de chaque forme de gouvernement.Les banquiers et les négocians, plus rapprochés, par leur fortune et leurs relations, des grands fonctionnaires de l'État, se trouvent mieux placés que les gens de loi pour se former une opinion exacte de la nature et des besoins du gouvernement établi; mais ils sont emportés par un mouvement d'affaires si rapide et si violent, ils sont tellement dominés d'ailleurs par la passion du gain, qu'ils deviennent [p.17] inaccessibles à tout ordre d'idées, et incapables de toute étude qui n'aient pas l'argent pour objet.Reste donc la classe des grands propriétaires, qui seule entre toutes les classes dont se composent les Colléges électoraux, puisse s'élever aux conceptions d'ordre public. Or cette classe est tellement restreinte aujourd'hui en France ; elle y a si peu d'influence sur les masses, par suite de la mobilité de la propriété foncière, que la sagesse de ses principes se perd dans l'ignorance générale et dans les préjugés grossiers de l'immense majorité des Électeurs.Je ne veux point forcer les conséquences déjà si graves de cette ignorance des Électeurs ; j'accorderai qu'on peut être apte à distinguer les gens capables de diriger les affaires, sans être en état soi-même de les diriger ; mais on me permettra aussi de conclure du défaut de lumières que je viens de signaler dans la plus grande partie des membres des Collèges Électoraux, qu’aucun sentiment des besoins de la société ne pourra jamais balancer en eux la violence de leurs [p.18] passions, et que ces passions leur dicteronttoujours le choix de leurs députés.Or, quelles sont en général les passions dominantes chez les hommes dont la loi de 1817 a composé les Colléges électoraux ?C'est l'amour de l'égalité, la haine des distinctions sociales, et une répugnance prononcée pour toute espèce de dépense qui ne s'applique pas directement à un objet positif et matériel d'utilité publique.Je dis que ces passions sont celles des Électeurs actuels : non que je veuille les représenter comme particulièrement subjugués par les préjugés de la révolution ; mais parce que ces passions sont des passions naturelles, qui ne peuvent être combattues dans le cœur de l'homme que par des connaissances politiques que les Électeurs ne sauraient avoir, ou par des conditions d'intérêt personnel auxquelles ils sont absolument étrangers. Le peuple ne raisonne pas il sent, il désire, et s'abandonne avec confiance à toute l'ardeur de ses impressions. Il n'est donc [p.19] pas de peuple, et j'entends ici pair peuple, la généralité des hommes qui composent les classes moyennes de la société ; il n’est pas de peuple, dis-je, qui puisse résister long-temps au charme des idées républicaines. A moins qu'un sentiment religieux profondément gravé dans son cœur celui fasse comme aux Juifs, apercevoir le doigt de Dieu dans la forme particulière de son gouvernement ou que l'intime conviction de son ignorance ne lui fasse regarder certaines familles comme exclusivement propres à le conduire : toujours il tournera les yeux avec complaisance vers le gouvernement des assemblées nationales, et toujours il pensera que l'état de société le plus parfait est celui où tous les citoyens, absolument égaux entre eux, ne seraient distingués les uns des autres que par l'étendue de leurs lumières et le degré de leur intelligence ; celui où les emplois publics appartiendraient aux plus dignes et aux plus capables ; celui enfin où les magistrats, dispensés de toute représentation, ne recevraient, pour [p.20] prix de leurs services, que les plus stricts émolumens.Cette opinion commune à tous les peuples, est d'autant plus inébranlable qu'elle ne prend pas sa source seulement dans leur jalousie naturelle contre les classes supérieures; mais qu'elle provient encore de la croyance naïve où ils sont qu'un tel état de choses peut se réaliser; et que les rangs les privilégiés, les titres, et toutes les distinctions sociales ne contribuent en rien au maintien de l'ordre public et à la prospérité réelle de l'État.II faut avoir vécu dans l'atmosphère impure où se meuvent les partis ; il faut avoir connu les basses manœuvres des aspirans au pouvoir, leur indifférence politique, leur vénalité, leur cupidité et surtout leur profond mépris des intérêts du peuple, pour apprécier les avantages d’un gouvernement régulier, assis sur des intérêts positifs ; et qui, plaçant le pouvoir au-dessus des honteuses passions qui l’assiègent, les force à ramper dans le cercle étroit de [p.21] l'intrigue, sans pouvoir s'élever assez haut pour jeter le trouble dans l'État.Mais le peuple n'a point cette triste expérience. Éloigné de cette arène de mensonge et de corruption, rien ne détruit ses illusions. Il ne voit dans les efforts de la foule d'intrigans qui se disent, ses défenseurs, que la noble émulation du zèle et du patriotisme dans leurs déclamations contre les priviléges, qu'un louable dévouement à ses intérêts; et dans leurs projets de réformes, que le généreux désir de ramener le gouvernement à sa destination primitive. Il sera donc toujours de moitié dans leurs attaques contre l'aristocratie, soit qu'elle résulte de la force on qu'elle soit établie par la loi elle-même.A ces dispositions anti-monarchiques que je signale comme les dispositions constantes des classes moyennes, opposera-t-on l'amour si renommé que le peuple français portait autrefois à ses Rois? A cela je répondrai que la jalousie et la haine des classes moyennes contre toutes les supériorités sociales, ne se manifestent pas toujours d'une [p.22] manière éclatante. Le plus souvent au contraire ces sentimens restent ensevelis dans le fond des cœurs, inconnus même à ceux qui étaient destinés à les éprouver avec le plus de violence. Mais il n'en faut pas conclure qu'ils n'existent pas. Ils ne se taisent que faute d'occasion de se développer, ou parce qu'une circonstance particulière exerce alors sur la nation une influence supérieure à toute autre. Que cette influence disparaisse; que le cours du temps affranchisse les passions du peuple des préjugés ou des affections qui les retenaient captives qu'il mette ces passions en contact avec quelque grande attribution politique alors elles s'enivreront avidement des espérances les plus funestes ; elles menaceront tous les droits acquis tous les priviléges établis, et s'attaqueront jusqu'à l'autorité qui aura consacré ces priviléges, et dont le devoir est de les maintenir.Telle était la situation de la nation française au moment de la révolution. Jusqu'en 1789 elle avait conservé la mémoire des bienfaits de la Royauté, et de la protection [p.23] que le trône lui avait accordée contre les vexations des grands. Ces souvenirs étouffaient en elle tout autre sentiment. Mais aujourd'hui que la chaîne de ces souvenirs a été brisée que la Royauté ne s'offre plus aux yeux des peuples que comme un pouvoir positif, elle ne doit espérer de leur part aucune prévention favorable, mais elle doit s'attendre au contraire à être jugée par eux avec toutes leurs passions et tous leurs préjugés.Ainsi les Électeurs créés par la loi de 1817 ne comprendront jamais qu'une Chambre composée de membres héréditaires, comme l’est la Chambre des Pairs, parmi lesquels par conséquent la nature a semé au hasard le talent et l'incapacité, puisse apporter à l'examen des affaires la même masse de connaissances qu'une Chambre qui serait composée d'hommes précisément choisis à raison de leur instruction et de leurs lumières. Jamais ils ne comprendront non plus qu'il puisse y avoir un avantage réel pour l'État à ce qu'un certain nombre de familles soient investies du droit de porter des titres qui les distinguent du reste de la nation ; et s'il [p.24] faut dire la vérité tout entière, à peine pourront-ils voir autre chose dans le pouvoir même de la Couronne, qu'un vieil abus fondé sur des principes qui ne sont plus admis aujourd'hui par personne. Aussi, à chaque Élection quelles vives inquiétudes s’emparent de la Royauté ! Quelles ardentes supplications elle adresse aux Electeurs ! Quelle modération elle leur promet, dans l'exercice de son pouvoir ! Quelles assurances elle leur donne de son respect pour leurs droits! Comme on voit qu'elle est persuadée qu'ils ne cherchent qu'un prétexte pour se délivrer d'elle et, se gouverner eux-mêmes !Mais supposons que je me suis trompé sur les dispositions politiques que les Électeurs doivent puiser dans leur situation sociale; et qu'en dépit de toutes mes conjectures les citoyens qui composent aujourd'hui les Colléges électoraux soient en effet sincèrement attachés à la Monarchie. Prenons un instant pour vraies toutes leurs protestations.Ils ne veulent, disent-ils, porter aucune [p.25] atteinte à la Royauté. Ils consentent que la couronne demeure dans la maison de Bourbon; et même (notons bien ce point!) qu'elle demeure dans la branche aînée de cette maison. L'ordre de choses établi par la Charte, quelque imparfait qu'il soit en principe leur paraît un ordre de choses tolérable, et ils n'exigent rien au-delà. Ils demandent seulement qu’il ne soit pas entravé dans bon mouvement naturel et régulier, par des actes de violence: c'est-à-dire, ils demandent qu'on laisse aux Colléges électoraux le jugement en dernier ressort de toutes les contestations qui pourront s'élever entre le Roi et la Chambre élective. Admettons qu'en effet ils n'aient pas d'autres prétentions.Mais qui répondra à la Couronne qu'ils ne seront jamais plus exigeans, et qu'un jour ne viendra pas où il leur paraîtra contraire à la raison et à la dignité du peuple, que la Chambre des Députés, c'est-à-dire la Chambre qui représente plus particulièrement l'opinion de la nation, soit associée dans l'exercice de la puissance législative [p.26] avec une Chambre des Pairs héréditaire et une Royauté héréditaire ?Me dira-t-on que ce sont là des craintes chimériques ? Pourquoi? Qui peut assigner des limites à la volonté de l'homme, à la versatilité de ses impressions? Les Électeurs pensent telle chose aujourd'hui; qui les empêche de penser autre chose demain? Et, voulût-on qu'ils fussent immuables dans leur opinion, qui empêchera leurs enfans d'en avoir une opposée à la leur ?Écoutons le national[2] :« La France veut se gouverner elle-même, parce qu'elle le peut. Appellera-t-on cela un esprit républicain? Tant pis pour ceux qui aiment à se faire peur avec des mots. Cet esprit, républicain si l'on veut, existe, se manifeste partout, et devient impossible à comprimer.Il y a deux formes de gouvernement employées dans le monde pour satisfaire cet esprit: la forme anglaise et la [p.27] forme américaine. Par l'une, le pays choisit quelques mandataires, lesquels, au moyen d'un mécanisme fort simple obligent le Monarque à choisir les Ministres qu'ils préfèrent, et obligent ceux-ci à gouverner à leur gré. Par l'autre, le pays choisit ses mandataires, le Ministère, et le chef de l'État lui-même, tous les quatre ans.Voilà les deux moyens connus pour arriver au même but. Des esprits vifs et généreux préféreraient le second. Mais la masse a une peur vague des agitations d'une république. Les esprits positifs calculant la situation politique et militaire de la France, son caractère, les troubles attachés à l'élection d'un Président, les intrigues de l'Étranger le jour de cette élection, la nécessité d'une portion de stabilité au milieu de la mobilité du régime représentatif; les esprits positifs repoussent les formes républicaines. Ainsi, la peur vague des uns, la réflexion des autres, composent une préférence pour la forme monarchique.[p.28]On devrait être heureux, ce nous semble, de cette disposition des esprits. Mais cette disposition incertaine, souvent combattue a besoin d'être secondée, et il n'y a qu'un moyen de la seconder : c'est de prouver que la forme monarchique renferme une liberté suffisante ; qu'elle réalise enfin le vœu, le besoin du pays de se gouverner lui-même. Avec le mouvement des esprits, si l'on ne produit pas cette conviction, on poussera les imaginations bien au-delà de la Manche ; on les poussera au-delà même de l’Atlantique. »Ai-je donc exagéré quand j'ai dit que les Colléges électoraux pourraient être poussés au-delà de l’Atlantique ? Ne convient-on pas qu'ils n'ont pour la monarchie qu'une disposition incertaine et souvent combattue? et que s'il existe aujourd'hui parmi eux une préférence de fait en faveur de la forme anglaise sur la forme américaine, c'est uniquement parce que le nombre des esprits positifs surpasse par hasard celui des esprits vifs et [p.29] généreux; ou que, favorisés par les circonstances, les esprits positifs ont réussi à faire prévaloir leur opinion ?, Mais le jour où les esprits vifs et généreux seront plus nombreux que les esprits positifs ou bien le jour où les esprits positifs seront eux-mêmes un peu moins effrayés des agitations d'une république, des troubles attachés à l'élection d'un Président et des intrigues de l'Étranger au moment de cette élection; ce jour-là, la forme américaine sera préférée à la forme anglaise dans la majorité des Colléges électoraux c'est-à-dire, la république sera préférée à la Monarchie. Concluons donc de tous les développemens auxquels nous venons de nous livrer, qu'il résulte de l'ordre de choses établi par les dispositions réunies de la Charte et de la loi des Élections :1° Que la souveraineté a été placée, tout entière dans les Colléges électoraux ;Et 2° Qu'elle a été placée dans des Colléges électoraux qui sont déjà hostiles ou [p.30] qui peuvent devenir un jour hostiles à la Royauté.La conséquence immédiate de cet ordre de choses, c'est qu'il ne reste plus de salut pour la Royauté que dans une mesure extraordinaire qui remplace, par une loi nouvelle, la loi actuelle des Élections.Mais telle est notre profonde ignorance en tout ce qui touche à la politique, que ces vérités, tout évidentes qu'elles sont, trouvent cependant encore une vive résistance, même chez des hommes dont le dévouement ne peut être mis en doute.Ces hommes veulent bien avouer que la loi des Élections réclame quelques modifications ; mais leur prévoyance ne va pas plus loin et l'on ne peut leur faire comprendre que cette loi, ayant été conçue dans un esprit directement contraire à la Royauté et aux priviléges consacrés par la Charte, ne saurait être maintenue dans aucune de ses parties, et qu'elle doit être remplacée par un système établi sur une nouvelle base.Sans doute, disent-ils, la loi des Élections [p.31] a produit de mauvais choix ; mais il ne s'ensuit pas qu'elle soit essentiellement mauvaise. Il en est sorti aussi de bons choix; il peut en sortir encore de semblables, à l'aide desquels on pourra faire à la loi des Élections les modifications nécessaires : il ne s'agit que de changer l'opinion.Remarquons d'abord tous les dangers qui se cachent sous ce peu de mots : Il ne s'agit que de changer l'opinion. Vous avouez donc que le sort de la Monarchie dépend entièrement de l'opinion des Électeurs ; de cette opinion, tantôt favorable, tantôt hostile à la Royauté; et vous ne frémissez pas pour la stabilité d'un trône assis sur un sable aussi mouvant! Vous ne vous hâtez pas de briser une loi qui l'expose à tant de hasards!Remarquons ensuite que les reproches que j'adresse la loi des Élections ne consistent nullement en ce qu'elle a produit de mauvais choix; mais en ce que, par la nature même de ses dispositions, elle n'en peut jamais produire que de mauvais. Les bons choix qui en sont émanés ne [p.32] prouvent rien en sa faveur : ils ont été, pour la plupart, ou le fruit d'un vieil attachement à la monarchie, attachement qui s'éteint chaque jour avec les hommes dans le cœur desquels leur éducation l'avait implanté; ou le résultat de circonstances particulières. La guerre d'Espagne avait imprimé alors à la Royauté un caractère de grandeur dont le ministère sut profiter avec adresse, mais qui s'est évanoui aujourd'hui; et la presse, contenue dans de justes bornes, n’avait point encore exercé ses ravages, ni développé dans les classes moyennes ces passions haineuses qui les poursuivent au milieu de leur prospérité. Tant que la loi des Élections n'aura pas renversé le trône, on pourra toujours nier qu'elle doive le renverser. S'ensuit-il qu'il faille attendre, pour en reconnaître le danger, qu'elle ait frappé la Royauté au cœur ? Pourquoi donc alors exige-t-on d’un Homme d'État du courage et de la prévoyance?Mais admettons que la Royauté se rende à ces timides conseils, et que, dans l'espérance [p.33] de jours plus calmes et de sentimens moins exaltés, elle se résigne à céder encore une fois à la révolution. Cherchons ce qui arrivera. La couronne renvoie ses Ministres, et choisit les membres de la nouvelle administration dans le centre droit et le centre gauche : parmi les hommes de la couleur de MM. Roy, Martignac, Royer-Colard, Casimir Périer, Mounier, Portal, Pasquier, Portalis, etc.Avec ces hommes, la Couronne obtient le budget; elle obtient encore une loi sur l'amortissement; une loi sur le remboursement du cinq pour cent, et enfin une loi sur l'allocation des dépenses relatives à l'expédition d'Alger. Mais examinons à quelles conditions ces lois lui seront accordées car il ne faut pas croire les révolutionnaires assez simples pour ne pas profiter cette fois de leurs avantages et ne pas s'assurer toutes les concessions qui leur manquent encore.Arrêtons-nous donc un instant sur les besoins du parti révolutionnaire.[p.34] Non moins inquiets que la Royauté sur les chances de l'avenir, les républicains réfléchissent aussi, depuis long-temps sur la situation que la Charte leur a faite; et s'ils voient avec joie tous les instrumens qu'elle a mis entre leurs mains pour renverser le trône, ils voient aussi avec douleur que ces instrumens, tout-puissans sur la classe, moyenne, ne leur donnent cependant aucune action sur le peuple.Or, sans le peuple, comment renverser le trône? Comment faire face à l'Étranger ? Comment établir et soutenir la république?Tous les efforts des révolutionnaires se sont donc tournés vers les moyens les plus propres à faire entrer le peuple dans l'ordre politique, et l'associer à leurs passions.C'est dans ce dessein profondément pervers, qu'aux premiers temps de la restauration ils ont excité tant d'alarmes sur le rétablissement des dîmes et des droits féodaux; et qu'aujourd'hui que ces terreurs sont usées ils réclament avec tant d'instance le rétablissement de la garde [p.35] nationale; une nouvelle organisation communale et départementale; l'attribution au jury de tous les délits de la presse, et la suppression du double vote et de la septennalité.Au moyen de ces quatre grandes innovations, ils espèrent :1° Créer à la révolution une armée immense, et d'autant plus redoutable qu'elle agira sur les troupes de ligne, moins par la terreur des armes que par la manière dont elle sera composée;2° Intéresser le peuple des campagnes à leur prétendue réforme sociale, en lui conférant la nomination de ses officiers municipaux;3° Faire disparaître les obstacles qu'ils rencontrent encore dans les tribunaux au libre et entier développement de leurs doctrines incendiaires;4° Se composer, dans la Chambre des Députés, une majorité plus énergique et surtout plus rapprochée du peuple, et plus propre à l'enlever, par ses relations, par ses mœurs et par son langage.[p.36]A la première apparition du nouveau Ministère, toutes ces demandes vont donc lui être successivement présentées. Que feront ces hommes du milieu qui se disent encore royalistes, en présence du parti qui les aura portés au pouvoir? Lui sacrifieront-ils les intérêts du trône? Auront-ils le courage de résister à des exigences subversives de la Monarchie ? Dans ce dernier cas, que de fureurs! que de menaces ! que d'imprécations! Plus criminels aux yeux de la révolution que MM. de Polignac et de Peyronet, ils seront mis au ban du comité-directeur, et constitués, comme eux, en état d'horreur à la nation. On emploiera pour les renverser les mêmes moyens qu'on avait préparés contre le ministère du 8 août et du 19 mai…. On leur refusera le budget.Voilà donc la Couronne ramenée au même point où elle se trouve aujourd'hui ; la voilà placée encore entre la nécessité d'une mesure extrême et celle de faire un pas de plus vers sa ruine.Cette position de la Couronne me fournit [p.37] une dernière réflexion sur les conséquences inévitables de la loi des Élections.Cette loi ayant placé toute la puissance politique dans la classe de la société la plus naturellement ennemie de la Monarchie, il suit de là qu'il ne reste à la Royauté aucun moyen légal de faire au système électoral les modifications qu'exige le maintien du trône tandis que la révolution se trouve avoir au contraire entre les mains des moyens assurés de faire à ce même système tous les changemens qui sont dans son intérêt.Ainsi, la suppression des patentes; celle de certaines autres impositions directes; celle des petits Colléges ; l'élévation du cens électoral ou du cens d'éligibilité ; sont-elles nécessaires à la consolidation du trône? La Chambre des Députés a bien soin de les refuser.De l'autre côté la suppression du double vote et de la septennalité est-elle nécessaire au rétablissement de la république ? La Chambre des Députés demande à la Couronne cette nouvelle concession ; [p.38] et si la Couronne la lui refuse, la Chambre, à son tour lui refuse le budget.La Couronne lui refuse-t-elle aussi la suppression des grands Collèges ? Pas de budget.La diminution du cens électoral ? Pas de budget.La fixation à vingt-cinq ans de l'âge des Électeurs et à trente ans de l'âge des Députés? Pas de budget.La loi sur la garde nationale ; celle sur l'administration départementale; celle sur l'attribution au jury des délits de la presse ? Pas de budget ! Pas de budget ! Pas de budget !Et vous voulez que la Royauté subsiste! Le jour où Louis XVIII a signé la loi des Élections, il a signé l'abolition de la Monarchie en France.La Royauté se trouve donc dans l'absolue nécessité de changer la loi des Élections; son existence est à ce prix.Cette nécessité nous conduit à examiner de nouveau : [p.39] Le droit qui appartient au Roi de changer la loi des Élections,Et les principes qui doivent présider à l'organisation des Colléges électoraux dans l'ordre de choses établi par la Charte.Ces deux sujets, d'une si haute importance, feront la matière des deux chapitres suivans.



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CHAPITRE II.Nouvelles réflexion sur le droit qui appartient au Roi de changer la loi des Élections.




«Pour maintenir la Charte constitutionnelle et les institutions qu'elle a fondées, je dois faire respecter les droits sacrés qui sont l’apanage de ma couronne » (Proclamation du Roi, 13 juin 1830)




Après avoir mis à nu les dangers inséparables de la loi des Élections, je vais examiner, une dernière fois et sous un nouveau point de vue le droit, qui appartient au Roi de changer un système électoral si évidemment subversif de la Monarchie.Au moment où la révolution est déjà arrivée jusqu'aux marches du trône, je [p.42] sais tous les dangers auxquels je m'expose. N'importe ; quelqu'un du moins aura dit à la France les trames ourdies contre son repos et lui aura enseigné les moyens d'être à la fois libre, et fidèle à son Roi. Il y a, dans la persévérance d'un bon citoyen, un pouvoir secret qui commande l'attention des hommes de bonne foi, et qui les porte à l’examen et à la réflexion.Tout mode de gouvernement est sujet à deux causes de destruction, essentiellement distinctes : la première qui provient de faits étrangers aux pouvoirs établis par la constitution de l’État; et la seconde, qui prend sa source dans un vice radical, dérivant de l'organisation même de ces pouvoirs.C'est dans l'appréciation exacte de ces deux causes destructives qu'un homme d'État doit trouver au jour du péril, la règle de ses devoirs : car, suivant que l'existence du Gouvernement est menacée par l’une ou l'autre de ces causes, il s'ouvre aussi pour le pouvoir, deux natures de droits particulières et distinctes, dans lesquelles il est [p.43] autorisé à chercher ses moyens de salut. Dans le premier cas, comme lorsqu'il s'agit, par exemple, d'une conspiration, d'une révolte ou de tout autre événement de ce genre, la raison dit, ainsi que l'équité, que c'est aux seuls pouvoirs constitués, pouvoirs présumés fidèles à la loi du pays, qu'il appartient de prendre les mesures convenables pour le rétablissement de l'ordre. Mais il en est tout autrement quand le désordre s'est établi dans le sein même de la souveraineté.Alors il est évident que la constitution ne peut plus se suffire à elle-même, et qu'aucune mesure de sûreté publique ne peut être adoptée avec le concours des pouvoirs constitués ; puisque ces pouvoirs mêmes sont en état d’hostilité ouverte les uns contre les autres, et que tout concert entr’eux est devenu impossible.Il suit de là : 1° que l’ordre ne peut être rétabli dans l’État qu’au moyen de mesures extraordinaires qui fassent disparaître les contradictions existantes dans l’organisation de la souveraineté ; [p.44] Et 2° que l'initiative de ces mesures ne peut être prise que par celui des pouvoirs établis qui représente plus particulièrement le principe vital, de la Constitution.C'est ainsi qu'au 18 fructidor le Directoire, menacé par les Conseils, suspendit la Constitution de l'an 3, brisa le parti royaliste, et réorganisa le pouvoir législatif, sans qu'aucune voix se soit élevée alors pour contester la légitimité de cette mesure. Chacun, au contraire, forcé d'en reconnaître ,1a nécessité dans l'intérêt du parti républicain, estima dans le Directoire, le courage et le bon, sens qui, la lui avaient dictée; et les vaincus eux-mêmes rendirent justice à sa fermeté tout en déplorant le succès qu'elle avait obtenu.Si le Directoire eut raison alors de jeter un voile sur la Constitution pour sauver la république, et si, plus tard, il devint la risée de la France et de l'Europe, pour s'être laissé renverser par Bonaparte par suite d'un attachement stupide à la lettre de cette même Constitution; à combien [p.45] plus forte raison la Royauté n'a-t-elle pas aujourd'hui le droit de modifier la Charte, lorsque, par l'effet de la loi des Élections, le principe même de la Charte, c'est-à-dire la Royauté se trouve dans le plus imminent péril, et ne peut espérer de secours de la part des pouvoirs constitués viciés qu'ils sont dans leur essence ? Combien d'autres motifs encore, qui manquaient à la puissance essentiellement révolutionnaire du Directoire, et que la Royauté peut faire valoir en sa faveur! N'est-elle pas, en effet, de tous les pouvoirs établis, le pouvoir le plus conforme à la nature et à l'étendue de notre territoire, et le plus en rapport avec tous les gouvernemens existans en Europe ; celui pour le maintien duquel la Charte a été principalement conçue; celui enfin qui l'a faite et qui l'a octroyée à la France?Pourquoi donc lui refuser un droit aussi incontestable, droit puisé dans la nature même des choses, et qui n'a jamais été dénié aux hommes de la révolution lorsqu'ils le mirent en pratique ? C'est qu'il s'agissait alors de sauver la république, et [p.46] qu'il s'agit, aujourd'hui de sauver la Royauté, c'est que les principes changent avec les intérêts et qu'il y a dans le cœur de certains hommes une haine si invétérée contre les Bourbons, que ces hommes ne craignent pas de s'exposer à la honte des contradictions les plus grossières, pour assouvir cette première passion.Écoutons ce qu'ils disent pour échapper à la conséquence de ce droit qu'ils ont eux-mêmes proclamé autrefois contre les royalistes avec l'accent d'une si profonde conviction.Quelque ignorantes que soient les masses soumises à leur influence, ils n'osent encore aspirer à leur persuader que lorsque la souveraineté se trouve composée d'élémens inconciliables, il ne soit pas nécessaire de la réorganiser sur une base nouvelle.Ils comprennent encore que dans les circonstances au milieu desquelles la Charte a été établie, c'est-à-dire lorsque la nation a reconnu au Roi le droit d'en rédiger toutes les dispositions, il est impossible [p.47] de prétendre que ce soit au peuple qu'il appartienne de reconstituer la souveraineté, dans le cas où il serait démontré indispensable d'en venir là.Alors que font-ils ? Et ici, je prie le lecteur de les suivre dans tous les détours de leur langage. Ils feignent de ne pas comprendre ce qu'on leur prouve jusqu'à la dernière évidence : que la loi des élections a porté le trouble dans les élémens constitutifs de la souveraineté ; et s'attachant, au contraire, à présenter cette loi comme une loi ordinaire et qui n’aurait pas trait à l’organisation de la souveraineté, ils soutiennent: l° que cette loi est bonne en elle-même ; et 2° qu'en la supposant défectueuse elle ne pourrait être changée par le Roi qu'avec le concours des deux Chambres.Mais c'est en vain qu'ils se refusent à une discussion aussi importante. Je ne veux pas moi, qu'ils échappent au combat, et que fuyant devant toutes les objections, ils se donnent les honneurs du droit et de la raison. Je leur dirai si haut que la loi des Élections est [p.48] une loi à part et qui ne peut être faite et refaite que par le pouvoir chargé d'établir la constitution, que je les forcerai bien de s'expliquer sur ce point.Qu'ils me disent si la loi des Élections ne forme pas la Chambre des Députes, c'est-à-dire une des branches de la puissance législative ; c'est-à-dire une des parties intégrantes de la souveraineté ?S'ils sont obligés de convenir de toutes ces vérités, comment nier que la loi des Élections ne soit une des lois constitutives de la souveraineté ?Maintenant, je les prie de supposer que cette loi ait constitué, par le fait, une souveraineté composée d'élémens incompatibles ; nieront-ils qu'il n'y ait lieu de reconstituer la souveraineté?Enfin, dans ce cas, je leur demanderai à qui, du Roi ou du Peuple, il appartient de reconstituer la souveraineté ?Qu'ils ne craignent pas de répondre que c'est au Peuple, et exclusivement au Peuple : je connais à cet égard le fond de leur [p.49] pensée. Mais alors je leur demanderai si nous vivons sous une Monarchie, ou si nous sommes en république?Que les révolutionnaires renoncent donc à raisonner comme s'il s'agissait d'une loi politique ordinaire, ou comme si la souveraineté était établie en France, ainsi qu'elle l'est en Angleterre d'une manière définitive, suivant un mode éprouvé par le temps et qui soit en harmonie dans toutes ses parties. Oh ! sûrement alors ce serait à la souveraineté constituée à décider sur toutes les questions ; même sur celles qui pourraient tendre à la modifier elle-même : parce que les questions présentées seraient étrangères à l'organisation de la souveraineté, ou que l'accord régnant entre tous les élémens de la souveraineté les rendrait propres à opérer sur eux-mêmes les modifications exigées par le temps. Mais lorsqu'au contraire tous les éléments de la souveraineté sont en état d’hostilité déclarée les uns contre les autres, il faut chercher en dehors de la souveraineté, [p.50] un pouvoir constituant, pour rétablir l'ordre dans l'État. Or, ce pouvoir ne peut appartenir en France qu'a la Royauté ; non seulement parce qu'elle représente, plus qu'aucun autre pouvoir, le principe particulier du gouvernement établi par la Charte ; mais parce qu'elle est ce principe lui-même et qu'elle peut dire d'elle, en fait de légalité : Ego sum panis et vita.J'accorderai aux révolutionnaires qu'ils peuvent contester en fait que la loi des Élections soit incompatible avec la Royauté. Mais je soutiens que dans le cas où il serait établi, contre leur sentiment, que cette loi est réellement subversive de la Monarchie, ils ne peuvent en droit refuser à la Royauté le pouvoir de la changer.La grande question qui fixe aujourd'hui l'attention de la France, se réduit donc à une simple question de fait : la loi des Élections est-elle ou n'est-elle pas en harmonie avec les pouvoirs consacrés par la Charte? Sur cette question, je prie le lecteur [p.51] de me permettre de le renvoyer à la première partie de cet ouvrage.Ainsi, dans le danger qui menace sa couronne, le Roi tient de la loi naturelle politique le droit de modifier le genre de souveraineté établi par la Charte. Mais, autant il est juste de reconnaître ce droit dans la Royauté, autant il est heureux qu'elle soit dispensée de la nécessité d'y avoir recours ; nécessité qui semblerait remettre en question les libertés si solennellement reconnues à la nation. Applaudissons-nous donc que la Royauté puisse trouver dans les intentions qui ont présidé à la rédaction de la Charte, et dans le texte même de la Charte, toute l'autorité dont elle a besoin pour terrasser la révolution.Reportons-nous à 1814.C'est une époque, je le sais, dont tous les souvenirs sont déjà bien usés. Mais comme cette époque est celle de la prétendue transaction entre le Roi et la nation, il faut évidemment, pour apprécier avec exactitude les effets de cette [p.52] transaction, rendre présentes à tous les esprits les dispositions particulières dont le Prince et le Peuple étaient alors animés.Bonaparte venait d'être précipité du char de la victoire; il avait été brisé sous sa roue.Il fallait à la France un gouvernement; pour traiter avec l'Étranger, et pour réparer ses propres malheurs.L'Europe n'aurait point traité avec une République ; et la France avait appris trop chèrement elle-même les dangers de cette forme de gouvernement pour vouloir la rétablir.La Royauté était donc le vœu général du pays, comme elle était la condition indispensable de la paix.La Royauté rétablie, la France lui dit : Donnez-moi la liberté ; c'est-à-dire donnez-moi une forme de gouvernement quelconque, qui permette à la nation de coopérer à la formation de la loi et à l'établisment de l'impôt.Et la Royauté répondit : Voici la Charte qui remplira tous vos vœux. Elle déclare [p.53] qu'à l'a venir, la puissance législative s'exercera collectivement par le Roi, la Chambre des Pairs et là Chambre des Députes ; et qu'en outre, aucun impôt ne pourra être établi ni perçu s'il n'a été consenti par les deux chambres et sanctionné par le Roi.Voilà les faits, tels qu'ils se sont passés à la face de l'Europe, entre la France et la Royauté. Il n'y a pas eu d'autres prétentions élevées d'une part, d'autres engagemens contractés de l'autre.La France n'a point dit à la Royauté : Voila le mode de gouvernement que je vous impose. Elle lui a dit au contraire : Établissez vous-même le mode de gouvernement qui doit consacrer vos droits et les miens.Et ce n'est pas seulement parce que la Royauté était alors en France le seul pouvoir existant et le seul qui pût être reconnu par l'Europe, que la France lui a confié le soin de choisir la forme du nouveau gouvernement. Mais c'est que la nation sentait que, dans l'état de désorganisation [p.54] absolue où elle se trouvait, et dans l'absence de toute classe de citoyens personnellement intéressés à la défense du trône, il n'y avait que la Royauté qui fût en état de connaître ses propres besoins et d'apprécier les institutions qui lui étaient nécessaires pour se maintenir en présence de la liberté.Il suit de là : 1° Que la souveraineté nouvelle devait être constituée par le Roi;2° Qu'elle devait être constituée de manière à ce qu'elle ne pût jamais mettre la Royauté en danger. S'il est, quelque assez aveuglé pour nier ces deux propositions, ce n’est plus à lui que je parle : il est hors de ma discussion, parce qu'il se place hors de la Charte et des faits solennels qui ont présidé à sa rédaction.Développons ces deux propositions.Première proposition : La souveraineté nouvelle devait être constituée par le Roi.Eh bien ! si l'acte par lequel le Roi croyait avoir constitué une souveraineté, [p.55] n'a point, par le fait, constitué une souveraineté, que doit-on en conclure ? Peut-on nier qu'alors cet acte ne doive être considéré comme non avenu, et que ce ne soit au Roi à en rédiger un nouveau, qui constitue réellement une souveraineté ? Autrement, la souveraineté n'aurait pas été constituée par le Roi ce qui serait contraire à la proposition que nous venons d'établir. Deuxième proposition.La souveraineté que le Roi était appelé à constituer, devait être calculée de manière qu’elle ne pût mettre la Royauté en danger.Eh bien encore! si la souveraineté avait été constituée par la Charte, de telle sorte que les pouvoirs établis par elle se trouvassent de fait en état d'hostilité permanente contre la Royauté, que faudrait-il conclure de cet état de choses ? Niera-t-on que, dans cette hypothèse, le Roi n'eût aussi le droit de changer le mode d'organisation de la souveraineté, puisque autrement le trône pourrait être renversé par [p.56] le mouvement régulier de la constitution : ce qui serait contraire à la deuxième proposition, ci-dessus énoncée.Il ne s'agit donc plus que d'examiner deux choses : 1° Si la Charte, telle qu'elle est sortie des mains de Louis XVIII, constitue réellement une souveraineté; et 2° si cette souveraineté est telle qu'elle puisse mettre le trône en danger. Qu'est-ce qu'une souveraineté constituée ? C'est une souveraineté dans laquelle la puissance législative est définitivement organisée.Que si cette puissance réside dans plusieurs corps différens, et que l'un de ces corps soit resté à organiser, n'est-il pas évident que la puissance législative, et par conséquent la souveraineté, n’aura pas été organisée : puisque cette organisation dépendra de la manière dont sera postérieurement organisée la partie non-organisée de la puissance législative.Cette vérité sera bien plus sensible encore [p.57] s'il s'agit d'un gouvernement représentatif, dans lequel il existe une Chambre élue par la nation, et si c'est précisément le mode de composition de cette Chambre qui a été omis dans la Constitution ; car, comme il est démontré aujourd'hui pour tout le monde que, dans un pareil système de gouvernement, toute la Constitution réside dans le mode de composition de la Chambre élective, et que cette Constitution sera, ou démocratique, ou aristocratique, ou même purement monarchique, suivant ce que sera ce mode de composition, il est évident qu'à défaut de loi qui le détermine, il n’y a pas de constitution du tout.Donc, Louis XVIII, en omettant d'organiser par la Charte les Colléges électoraux, et par conséquent la Chambre des Députés, et par conséquent la branche la plus importante de la puissance législative, a laissé la souveraineté non organisée. Donc le vœu de la France, n'a pas été rempli ; la Charte est restée incomplète, et la Royauté est dans l'obligation de l'achever.[p.58] Mais veut-on supposer que la loi actuelle des Élections soit l’œuvre exclusive de Louis XVIII, et qu'elle ait complété la Charte et organisé la souveraineté, telle que nous la voyons aujourd'hui ? Je soutiens alors, par tous les motifs développés dans la première partie de cet ouvrage que Louis XVIII a organisé une souveraineté incompatible avec la sûreté du trône ; et que, par conséquent encore, la Royauté doit se hâter de la reconstruire sur un autre plan.Ici, l’effroi s'empare de certains esprits inquiets qui supposent toujours au trône le penchant de tout envahir.S'il en est ainsi, s'écrient-ils, si le Roi a légalement le droit de changer la Charte, sous le prétexte qu'elle est incompatible avec la sûreté du trône, alors il n'y a plus de gouvernement sur lequel on puisse compter. La seconde Charte substituée à la première, sera bientôt remplacée par une troisième; ou pour mieux dire, chaque prince pourra choisir arbitrairement la forme de gouvernement qui se prêtera le [p.59] mieux à sa tyrannie. Nous ne serons plus des citoyens, plus même des sujets, mais de misérables esclaves dont le prince sera maître d'enlever les biens, la liberté, la vie!.....Je leur dirai à mon tour : S'il en était autrement, il n'y aurait plus de Royauté possible; car, puisque la loi des Élections a établi la république an sein même de la Monarchie, il faut, de toute nécessité, que la Royauté ait le droit de renverser cette loi, ou qu'elle se retire devant elle.Mais les conséquences que l'on tire du droit que j'attribue au Roi, ne sont pas des conséquences sérieuses ; on ne les fait sonner si haut, que pour effrayer les esprits crédules. Les révolutionnaires savent bien que la nature a mis, dans l'intérêt personnel de chaque homme, des bornes à peu près certaines à tous ses excès ; et que, dans l'état actuel de la société, il n'est pas à craindre qu'un Roi, sans la plus évidente nécessité, s'engage dans une entreprise aussi périlleuse que celle de changer la constitution de son pays.[p.60] Eh mon Dieu! nous ne sommes plus au temps des tyrans!Les princes ne demandent qu'à vivre en possession paisible d'un pouvoir partagé. Mais si ce pouvoir, ainsi réduit, se trouve encore contesté, il faut bien qu'ils tirent de la loi naturelle, ou de la loi du pays, le droit de se défendre contre la sédition, quelque part qu'elle soit placée.Au reste, il ne s'agit pas de changer les conditions arrêtées en 1814 entre la France et la Royauté: c'est-à-dire il ne s'agit pas de porter atteinte aux droits reconnus à la nation de coopérer à la formation de la loi et à l'établissement de l'impôt. Il s'agit seulement de modifier la forme du gouvernement établie par la Charte ; forme qui, ainsi que nous t'ayons vu, avait été laissée par la nation au choix exclusif du Roi ; et dont la première condition était d'assurer à la fois les droits de la Couronne et ceux de la Nation.Les révolutionnaires élèvent une autre objection, qu’ils présentent avec un air de triomphe à ceux dans l'esprit desquels ils [p.61] n'ont pu ébranler la légitimité des droits de la royauté.Le Prince, disent-ils, se prétend en danger. Qui appréciera ses alarmes? Qui jugera, entre lui et le peuple, s'il existe en effet des motifs suffisans pour changer la forme du Gouvernement?Cette objection n'a pas de sens. Si l'on refuse au Roi le droit de déclarer que ces motifs existent, sous prétexte qu'il est partie au procès, on ne pourra attribuer au peuple le droit de dire que ces motifs n'existent pas car, lui aussi est partie au procès. Or; après le Roi et le Peuple, il ne reste plus rien; cependant il faut bien que le différend soit jugé.On n'a pas été si difficile, au 18 fructidor, sur le choix du juge. Demandez à M. Benjamin Constant quel pouvoir a jugé alors, entre le Directoire et les Conseils que la République était en danger? Qui a prononcé la condamnation d'un si grand nombre de membres du Corps Législatif, de publicistes et de citoyens ? Qui a [p.62] mandé et ordonné au Directoire de mettre cette condamnation à exécution?Les motifs qui font un devoir à la Royauté de changer la forme du Gouvernement ne sont pas toujours susceptibles d'être mis au jour. Il est difficile de les faire entrer dans la raison de tout un peuple. Il est même de leur nature d'être essentiellement en dehors de toute preuve positive et de toute règle ordinaire d'appréciation.Supposons par exemple que les Électeurs aient réellement le projet de substituer à la Charte le gouvernement des États-Unis, comme cela arriverait, suivant le national, si les Colléges électoraux étaient composés en majorité d'esprits et généreux.Supposons encore que ce projet se manifeste dans toutes leurs paroles dans tous leurs actes, dans tous leurs sentimens.Que pourrait faire la Couronne, de cette masse de faits, si concluans pour les sujets fidèles, mais si faciles à contester par les factieux ?[p.63]Les opinions des Électeurs ne sont pas, comme celles des Magistrats, manifestées et fixées par des décisions écrites. Ce qu'ils pensent, même le plus à découvert, ne peut jamais servir de titre contre eux. Verba volant. L'expression précise et légale de leurs sentimens ne se trouve écrite nulle part. Lorsque, en haine des privilèges de la Chambre des Pairs, ils auront choisi tel homme pour député, où la Couronne ira-t-elle saisir la preuve de cette félonie? Si Grégoire n'eût pas adhéré, par un acte public à la condamnation du Roi, qui aurait pu prétendre qu'il avait été envoyé à la Chambre en haine de la Royauté ?C'est donc encore ici la nature des choses qui veut que la Royauté n'ait d'autre juge de la nécessité de réformer la Charte que sa propre conscience. Qu'elle n'use de son droit que dans un vrai danger, et bientôt la conscience de ses sujets jugera comme la sienne et approuvera hautement ses mesures. Quand le trône est menacé tout autre devoir s'anéantit pour le Roi [p.64] devant le grand devoir de préserver son peuple d'une révolution.Tels sont les droits qui appartiennent au Roi par suite des intentions qui ont présidé à la rédaction de la Charte. Voyons ceux qui lui appartiennent, en vertu des dispositions mêmes de la Charte.La Charte attribue au Roi quatre pouvoirs distincts : Le pouvoir exécutif,Un pouvoir législatif,Un pouvoir dirigeant,Et un pouvoir conservateur.Le pouvoir exécutif résulte des articles 13, 14, 57,67 et 71, qui statuent: (art. l3) Qu'au Roi seul appartient la puissance exécutive; (art. 14) que le Roi commande les forces de terre et de mer; déclare la guerre; fait les traités de paix, d'alliance et de commerce; nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait tous les règlemens nécessaires à l'exécution des lois; (art. 57) que le Roi nomme et institue les juges; (art. 67) qu'il a le droit de faire grâce et celui de [p.65] commuer les peines; et (art. 71)qu'il fait des nobles à volonté.Son pouvoir législatif résulte des articles 15 et 22, qui statuent: (art. 15) que la puissance législative s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des Pairs et la Chambre des Députés des départemens; et ( art. 22 ) que le Roi seul sanctionne et promulgue les lois.Son pouvoir dirigeant résulte des articles 16, 17, 25, 27, 29, 31, 41, 43 et 50, qui statuent (art. 16) que le Roi propose la loi; (art. 17) que la proposition de la loi est portée, au gré du Roi à la Chambre des Pairs ou à celle des Députés; (art. 25) que la Chambre des Pairs est convoquée par le Roi; (art. 27) que la nomination des Pairs de France appartient au Roi; (art. 29) que la Chambre des Pairs est présidée, en l'absence du Chancelier, par un Pair nommé par le Roi; (art. 31) que les membres de la famille royale et les princes du sang ne peuvent prendre séance à la Chambre des Pairs que de l’ordre du Roi ; (art.41) que les [p.66] présidens des Colléges électoraux sont nommés par le Roi, (art, 43) que le président de la Chambre des Députés est nommé par le Roi; et (art. 5o) que le Roi convoque chaque année les deux Chambres; qu'il les proroge, et peut dissoudre celle des Députés des départemens. Enfin, son pouvoir conservateur résulte de la fin de l'article 14, qui dit : Que le Roi fait les ordonnances nécessaires pour la sûreté de l'État.Je ne parlerai pas des trois premiers pouvoirs dont les attributions n'ont aucun rapport avec le sujet de ce chapitre. Je me bornerai au pouvoir conservateur, résultant de l'article 14.Ce pouvoir est dénié au Roi par les révolutionnaires, avec des accens de fureur qui témoignent assez combien il est indispensable à la conservation du trône et de la paix publique.Avant d’examiner les objections des révolutionnaires contre les termes de la Charte qui confèrent au Roi ce pouvoir extraordinaire, démontrons d'abord la [p.67] nécessité que ce pouvoir fût donné au Roi pour préserver la France de nouvelles révolutions.L'idée d'établir un pouvoir chargé de conserver le principe du gouvernement institué, n'était pas une idée neuve au moment où la Charte fut rédigée. Cette idée avait été déjà réalisée par la constitution de l'an 8, et il n'est pas étonnant que Louis XVIII, frappé de l'avantage d'un pareil pouvoir, ait voulu se le réserver pour le cas où l'expérience viendrait à signaler de graves imperfections dans la nouvelle forme de gouvernement qu'il avait adoptée.Quelles que soient en effet les lumières d'un législateur, il lui est impossible de prévoir positivement les résultats des institutions qu'il établit d'où il suit que toute nouvelle forme de gouvernement, avant de parvenir à se fixer, est sujette à une longue suite d'essais et de tâtonnemens qui entraînent l'intervention continuelle du pouvoir constituant.Si cette intervention est quelquefois [p.68] utile dans les gouvernemens absolus, où tous les pouvoirs secondaires étant soumis à un pouvoir supérieur ne peuvent opposer qu'une légère résistance à l'exercice de la souveraineté; à combien plus forte raison cette intervention est-elle indispensable lors de la formation des gouvernemens libres, gouvernemens dans lesquels le mouvement de la machine politique ne peut résulter que de l'étroite harmonie des pouvoirs constitués.Que de temps ne faut-il pas pour s'assurer que les pouvoirs divers qui composent la souveraineté agiront toujours dans un même esprit, et pour leur créer des intérêts qui soient de nature à les tenir toujours attachés au principe du gouvernement existant ! Jusque-là comment éviter que celui des pouvoirs qui a la plus large part dans la souveraineté ne s'efforce seul de faire disparaître les vices qu’il aperçoit dans l'organisation du gouvernement, et de modifier cette organisation de manière que toutes ses parties concourent [p.69] désormais au but primitif du législateur.C'est sans doute un grand malheur pour une nation que sa constitution ne puisse être pour ainsi dire coulée d'un seul jet, et qu'elle ne puisse atteindre que successivement toute la perfection dont elle est susceptible. Mais ce malheur est inévitable ; il est inhérent à la faiblesse de l'esprit humain, et à l'impossibilité d'apprécier d'une manière exacte les divers effets des passions sociales.Louis XVIII a donc dû prévoir que la Charte pourrait avoir un jour besoin d'être revisée ; et il est naturel que, pour ce cas, il ait voulu attribuer à la Royauté, auteur elle-même de la Charte, le droit d'y faire les modifications indiquées par l'expérience. Il est naturel surtout que LouisXVIII ait craint d'attribuer ce droit à des pouvoirs de l'ambition desquels il était possible que provînt précisément la nécessité de ces modifications.Tel est le motif véritable de la disposition finale de l'article 14, laquelle confère au Roi le pouvoir de faire les ordonnances [p.70] nécessaires pour la sûreté de l'État.Passons maintenant en revue les principales objections des révolutionnaires contre le sens que nous attribuons à cet article.L'article 14, disent-ils, n'est que le développement de l'article 13, et ne peut être considéré comme renfermant autre chose que l'énumération détaillée des diverses attributions de la puissance exécutive; lesquelles l'article 13 n'avait fait qu'énoncer d'une manière générale.Ces mots : le Roi fait les ordonnances pour la sûreté de l'État, ne peuvent s'entendre que de mesures extraordinaires relatives à des cas de révolte ou d'invasion.Si, entendus ainsi, ils offrent un sens clair, pourquoi leur en chercher un autre?S'ils avaient été destinés, continuent-ils, à conférer au Roi l'attribution que vous supposez, pourquoi une attribution aussi importante aurait-elle été insérée à la fin d'un article, au lieu de faire elle-même l'objet d'un article particulier ? Pourquoi enfin n'aurait-elle pas été exprimée en termes clairs et positifs, comme [p.71] le droit de dissolution de la Chambre des Députes?Ces objections sont spécieuses, et prouvent indubitablement que la Charte aurait pu être rédigée avec plus d'ordre et de précision.Mais quelle conséquence peut-on tirer de ce défaut de rédaction en présence de l'exécution solennelle donnée à l'article 14, dans le sens que je lui attribue, par l'auteur même de la Charte; et cela, sans que la moindre réclamation se soit élevée à cet égard.Je ne parlerai pas de l'ordonnance du 23 mai 18l5, (bien qu'elle ait été rendue à la sollicitation des Chambres et qu'elle ait été précisément motivée sur les dispositions de l'article 14, entendues dans le sens que je viens d'énoncer plus haut ;) parce que cette ordonnance ne prescrit, en fait, que des dispositions qui rentrent, à peu de chose près, dans les attributions du pouvoir exécutif.Mais que répondre aux dispositions extraordinaires de l'ordonnance du 13 juillet [p.72] 1815 ? Dans quelle nature de pouvoir le Roi a-t-il pu puiser le droit d'établir ces dispositions, si ce n'est dans le pouvoir conservateur ou constituant qu'il s'est réservé par l'article 14 ?Et en effet, cette ordonnance ne se borne pas à tracer un mode d'Élections provisoire (ce que l'on pourrait prétendre avoir été le résultat des attributions ordinaires du pouvoir exécutif, alors que le mode des Élections n'avait pu encore être réglé par une loi); mais, bouleversant toutes les dispositions de la Charte relatives à la composition de la Chambre des Députés, elle statue : 1° Que le nombre des députés, fixé par la Charte à 262, sera porté à 395 ; 2° Que les Électeurs pourront siéger, pourvu qu'ils aient vingt et un ans accomplis; tandis que la Charte exigeait qu'ils eussent trente ans ;3° Que les Députés pourront être élus à l'âge de vingt-cinq ans; tandis que la Charte exigeait qu'ils eussent quarante ans ; [p.73] 4° Enfin, qu'un certain nombre de membres de la Légion d'Honneur pourraient être admis aux Colléges d'arrondissement, sans payer aucun cens ; tandis que l'article 40 de la Charte statuait que les Électeurs qui concourraient à la nomination des Députés, ne pourraient avoir droit de suffrage s’ils ne payaient une contribution directe de 300 fr.Voilà certes des modifications à la Charte, bien positives, bien graves, bien nombreuses, et surtout (ce point est essentiel à remarquer), absolument étrangères à l’absence d’une loi d’élections. Pour faire de semblables modifications, il fallait bien au Roi un droit, un pouvoir quelconque: car toutes ces modifications ont été admises par la France, et reconnues comme légales. Où donc le Roi a-t-il trouvé ce droit et ce pouvoir?Si les révolutionnaires ne veulent pas que ce soit dans l'article 14 de la Charte, il faudra bien que ce soit quelque autre part. Sera-ce dans les droits inhérens à sa couronne, ou dans la loi naturelle ? Qu'importe? [p.74] Il n’en résulterait pas moins que le Roi a le droit de modifier la Charte[3].[p.75]Maintenant, qui oserait prétendre que les droits que le Roi avait en 1815, un an après la promulgation de la Charte, les droits qu'il a exercés, que la France lui a reconnus et auxquels elle s'est soumise, il ne les a plus aujourd'hui? Que s'est-il donc passé depuis lors? Une nouvelle révolution se serait-elle opérée dans les esprits ?Résumons-nous.La loi des Élections est essentiellement subversive de la Royauté. Elle a jeté le désordre parmi les pouvoirs qui composent la nouvelle souveraineté établie par la Charte, et elle a rendu impossible tout [p.76] concours entre ces pouvoirs pour faire cesser ce désordre.Dans un pareil état de choses, les droits ordinaires de la Royauté font place à un droit nouveau: celui d'aviser aux moyens de rétablir l'harmonie dans la constitution de l'État.Ce droit de la Royauté se puise :1° Dans la loi naturelle, c'est-à-dire, dans le droit de légitime défense;2° Dans les intentions qui ont présidé à la rédaction de la Charte;3° Dans le texte même de la Charte.Investie contre la révolution de titres aussi puissans, que tarde la Royauté à l'attaquer en face ? Qu'attendent ses conseillers pour lui rappeler que, si le symbole de la paix et de la justice est placé dans une de ses mains, de l'autre elle est armée de l'épée. Il y va de la tête, s'écrient-ils! Eh ! sans doute, hommes pusillanimes, il y va de la tête ! Mais pour quel intérêt plus grand, pour quel devoir plus sacré pouvez-vous l'exposer jamais ? La révolution n'est-elle pas à nos portes? L'ordre social [p.77] tout entier n'est-il pas menace ? Écoutez :« Nous n'avons encore vu », disent les révolutionnaires aux Électeurs, dans les exhortations qu'ils leur adressent, « Nous n'avons encore vu que l'exposition du drame. Les situations deviendront de plus en plus vives et animées; prenez garde que l'acteur qui d'abord aura bien joué, ne manque d'haleine ou de présence d'esprit lorsque la scène s’échauffera[4]. » Un nouveau drame est donc près de se jouer; la situation politique va devenir plus vive, la scène va s’échauffer !Aussi ne se contente-t-on plus aujourd'hui de demander la suppression du double vote, l'attribution au jury des délits de la presse ; l’élection municipale et départementale, et la réorganisation de la garde nationale sur les bases de la loi de 1791[5].[p.78]On veut encore des assemblées primaires ; l'initiative dans le sens des États-Unis ; l'attribution aux Chambres du droit de paix et de guerre ; on veut enfin la République.Oui, la République. Ce but des révolutionnaires n'est déjà plus un mystère; ils le proclament hautement.« En 1804, continuent-ils, si, au lieu de la perfide jonglerie des registres ouverts chez les différentes autorités, on eût réuni les assemblées primaires, et fait voter au scrutin secret; qui doute que la République n’eût été maintenue à une majorité à coup sûr de plus des trois quarts, peut-être même des dix-neuf vingtièmes[6] ?N'est-il pas évident qu'ils veulent insinuer par là qu'il en serait de même aujourd'hui ?Eh bien! oui; je le crois comme eux. Oui, je crois que la majorité des citoyens qui, aux termes des lois existantes en 1804, [p.79] composeraient aujourd'hui les assemblées primaires, voteraient pour la République. Et ce que je crois tout aussi fermement encore, c'est que s'ils étaient consultés sur la question du partage égal des terres, ce partage serait adopté par eux, non pas à la majorité des dix-neuf vingtièmes, mais à celle des quatre-vingt-dix-neuf centièmes. Est-ce à dire pour cela qu'il faille que les propriétaires se démettent de leurs biens? Pourquoi donc la Royauté se croirait-elle davantage obligée de se retirer ? Pourquoi ceux qui y sont attachés comme au gage le plus assuré de l'ordre public, balanceraient-ils à la défendre, et à l'imposer aux hommes des assemblées primaires de même que les propriétaires leur imposent le droit de propriété ?Vous voulez la République, hommes rongés de haine et d'orgueil ! et vous croyez que la Royauté dont la conscience est à peine déchargée des maux que sa faiblesse a causés à la France, vous laissera réaliser sans combat vos théories insensées ? Vous ne craignez pas que [p.80] l'Europe, envers qui la France s'est engagée à relever le trône, n'intervienne dans nos querelles et n'ajoute aux malheurs d'une guerre civile les malheurs d'une invasion étrangère? Quelle étrange confiance s'est donc emparée de vous ? Comment ne voyez-vous pas que déjà, de toutes parts, on se dispose au combat? La paix établie vous pèse, et vous n'aspirez qu'à la détruire? Eh bien ! on vous rendra guerre pour guerre désastres pour désastres; et notre malheureuse génération finira comme elle est née, au milieu du sang et des ruines. Quoi! quand tout se réunissait pour nous créer des jours prospères; quand des arts inconnus à nos aïeux, embellissaient nos villes et doublaient nos jouissances domestiques; quand le commerce et l'agriculture nous comblaient de tous leurs biens; quand les droits politiques qui faisaient l'objet de nos vœux en 1789, nous avaient été solennellement reconnus; enfin, quand le Ciel nous avait donné la race de princes la plus loyale, la plus noble, la plus remplie de douceur et de [p.81] clémence, la plus amie de la liberté; il faudra que nous soyons replongés dans toutes les horreurs des dissensions civiles, par des hommes qui n'ont d'autre reproche à faire à l'ordre actuel que de ne les avoir point places à la tète de la nation ! Et ces hommes seront crus et ils entraîneront sur leurs pas la foule aveuglée! Quel esprit impur a donc soufflé sur la France !La Royauté ne peut plus se sauver aujourd'hui avec des serviteurs simplement animés de bonnes intentions. Il lui faut des Ministres qui brûlent du feu sacré qu'une forte conviction domine; qu'aucune crainte n'ébranle, et qui soient toujours prêts à en appeler du peuple égaré et furieux, au peuple rentré dans l'ordre et dans la voie d'une sage liberté; des Ministres qui ne s'inquiètent pas comment justice leur sera rendue, et à qui il suffise de savoir que leurs noms, si ce n'est eux, seront un jour en vénération à leur pays comme ceux des L'Hôpital et des Molé.Jeunesse qui aspirez à la gloire ! rangez-vous sous la bannière de la Royauté. Elle [p.82] seule dans nos temps modernes, a le privilége d'imprimer le sceau de l'immortalité aux noms dévoués à sa cause, parce que, dans l'état de nos mœurs, elle seule constitue la vérité politique. Que sont devenues toutes les célébrités révolutionnaires ; tous ces noms marqués par de si grands talens, quelques-uns même par d'éminentes vertus? Les Mirabeau, les Necker, les Bailly, les Barnave, les Vergniaud ? Ils ne vivent dans la mémoire des hommes que comme attachés à la crise la plus épouvantable qui ait affligé le monde. De tous les noms de la révolution, les noms seuls de nos héros arriveront grands à la postérité, parce qu'ils sont purs des doctrines qui ont causé nos malheurs.Et aujourd'hui encore, qu'est devenu cet homme si plein de son génie et de sa destinée, qui croyait à ses paroles la force des armées et ne demandait qu'un an pour renverser ou rétablir le trône? Il a disparu à jamais! Sa haine, enchaînée dans un cercle qu'un reste de pudeur l'empêche de franchir, ne répond déjà plus aux exigences [p.83] de la révolution; il est rejeté par elle comme une hache sans tranchant ; il est désavoué par ses anciens amis, comme l'or pur changé en un plomb vil; sa réputation déjà flétrie et mourante, n'aura pas vécu autant que lui.Vous aussi, qui voulez le bonheur et l'indépendance de la France, attachez-vous à la Royauté; confiez-vous à sa foi, à son intérêt, à ses lumières. Que ferait-elle du despotisme? Combien ne lui est-il pas plus doux de vivre en famille avec ses sujets, de concerter avec eux tous les actes de son administration, d'entendre leurs besoins et de soumettre les siens à leur amour et à leur équité! Ce que la Royauté nous demande aujourd'hui, est-ce donc chose nouvelle? Elle nous demande ce qu'il est plus encore dans notre intérêt de lui accorder que dans le sien d'obtenir : des lois qui la protègent contre l'esprit d'innovation; qui asseoient te trône sur une base durable, et qui lient toutes les classes de la nation par [p.84] des liens réciproques d'affection et de bienveillance.Il n'en est plus aujourd'hui des cours comme aux temps d'ignorance et de barbarie. Elles n'offrent plus ces scènes de violence et de tyrannie qui nous font frémir dans nos vieilles chroniques. Les fureurs, les proscriptions, les confiscations, les meurtres sont passés du côté des peuples, ou de ceux qui les dirigent. Quelle époque du monde a présenté jamais les horreurs de notre révolution : des cruautés aussi effroyables et aussi réfléchie ; un mépris si profond pour l’humanité ; une si grande horreur pour toute vertu? Dans quel temps le désespoir délirant des assassins a-t-il crié : A bas Dieu ! vive l’Enfer ! Où trouver, au contraire, plus de modération, de douceur, de justice et de droiture que dans la plupart des Monarchies de l'Europe? Entend-on les Danois, les Prussiens, les Autrichiens, les Russes se plaindre de la manière dont ils sont gouvernés? C'est, dit-on, que le [p.85] hasard leur a donné de bons princes, des princes qui sont d'heureux accidens ! Non; c'est que partout l'esprit de la Royauté est changé; que partout elle aspire à se faire aimer et à gouverner de concert avec ses peuples et dans leur unique intérêt.Combattre pour le rétablissement de la république, c'est donc combattre pour de vaines théories, pour des abstractions, pour je ne sais quoi de vague et d'indéterminé ; c'est se rendre l'instrument de mille désordres qui ne peuvent se terminer que par le despotisme.Combattre pour la Royauté, c'est combattre pour l'ordre, l'union et la propriété; c'est combattre pour ta liberté.


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CHAPITRE III.Nouvelles réflexions sur les principes qui doivent président à l’organisation des colléges électoraux, dans l’ordre des choses établi par la Charte




Barbarus hic ego sum quia non intelligo illis.




Il est des préjugés tellement enracinés dans l'esprit du vulgaire, qu'il n'est donné qu'au temps de les détruire; la raison, non plus que l'expérience n'y peuvent rien. Les motifs auxquels ces préjuges doivent céder un jour, existent déjà dans toute leur force, mais ce que les peuples sentiront alors, ils ne le sentent pas aujourd'hui. Leur intelligence, obstruée, pour ainsi dire, par leurs passions, n'est plus sensible [p.88] à l'enchainement ordinaire des idées; et c'est moins par la force réelle que par la répétition des mêmes preuves qu'elle se laisse enfin subjuguer.Dans une pareille disposition des esprits, il y a nécessité absolue pour les écrivains de reproduire sous toutes leurs faces les doctrines qu'ils veulent établir. La persévérance leur devient un devoir. Quelle vérité d'ailleurs est jamais entrée dans l'entendement des hommes, qu'elle n'ait été dite et redite mille fois. Je ne craindrai donc pas de répéter, dans les nouvelles observations que je vais soumettre au public, quelques-uns des principes déjà exposés dans mes précédens écrits.Reprenons les conséquences de la Charte au point où nous les avons laissées dans le premier chapitre.Nous avons démontré qu'il résultait des diverses dispositions de la Charte, et notamment de celle qui attribuait à la Chambre des Députés l'établissement de l'impôt, que la puissance politique résidait [p.89] tout entière dans les Colléges électoraux.Jusqu'ici nous sommes d'accord avec les révolutionnaires, et nous adoptons toutes leurs doctrines. Mais à ce point commence notre dissentiment, parce que, sincèrement et loyalement attachés à la Charte, nous n'avons d'autre but que de l'affermir ; et qu'eux, au contraire, ne veulent s'en servir que comme d'un instrument pour renverser le trône et rétablir la république.Déduisons en effet la série des conséquences qu'entraîne cette première vérité : que la puissance politique réside désormais dans les Colléges électoraux.Il en résulte évidemment que les Colléges électoraux doivent avoir, non moins que la Chambre des Pairs, un intérêt permanent à maintenir la Royauté.Or, où trouver un intérêt permanent, si. ce n'est dans un intérêt matériel héréditaire ?On pourrait-on le placer ailleurs ?Serait-ce dans les avantages résultant pour le peuple de la forme même du [p.90] gouvernement ? Mais le peuple peut se persuader qu'une autre forme de gouvernement lui procurerait des avantages encore plus grands.Serait-ce dans l'attachement du peuple pour la famille régnante? Mais cette affection peut s'altérer et s'offrir à ses yeux comme un préjugé.Serait-ce dans la crainte des malheurs qu'entraîne une révolution ? Mais, mille considérations peuvent éloigner cette crainte, et faire espérer au peuple que le changement du gouvernement s'opèrera sans secousse. Serait-ce enfin dans le serment des Électeurs et des Députés ? La révolution nous a appris quel fonds on devait faire sur une pareille garantie.C'est donc sur des intérêts héréditaires, et seulement sur des intérêts héréditaires, que la loi des Élections doit être assise, si l'on veut la mettre en harmonie avec la Royauté et avec les priviléges de la Chambre des Pairs et de la noblesse, en un mot, avec la Charte.[p.91] A ces argumens plus clairs que la lumière du jour, il n’y a pas de réponse possible. Aussi les doctrinaires, qui s'engagent avec tant d'ardeur dans la discussion quand il s'agit d'établir les droits des Colléges électoraux, s'arrêtent-ils tout court, et refusent-ils obstinément toute explication quand il s'agit de fixer les principes qui, dans l'ordre de choses établi par la Charte, doivent présider à l'organisation des Colléges electoraux. Ils ne se bornent pas même à ce silence obstiné : sous un faux air de candeur et de bonne foi, ils abusent de la simplicité de leurs lecteurs, et, persistant à raisonner comme si en effet la loi actuelle des Élections offrait à la Couronne toutes les garanties dont elle a besoin, ils s'étonnent, ou plutôt feignent de s'étonner que, le Roi ne veuille pas reconnaître les Électeurs pour juges entre son Ministère et la Chambre des Députes.Mais continuons à rechercher quels intérêts héréditaires doivent être établis, et comment ils doivent l'être, pour procurer tout à la fois au Trône et au peuple toutes [p.92] les garanties auxquelles ils ont droit l'un pour le maintien de ses prérogatives, l'autre pour le maintien de ses libertés.Ici j'ai besoin d'entrer dans quelques explications préliminaires. La nation française a été tellement désorganisée par la révolution, qu'aujourd'hui elle offre moins un corps de nation, qu'une agglomération d'individus isolés et soumis seulement à une loi commune. Aucun lien intermédiaire ne réunit les différentes classes de la société ; toutes se portent envie, se craignent, s'observent et se haïssent réciproquement. Aussi, est-il vrai de dire que nous sommes sous le coup d'une révolution imminente et que le sol tremble sous nos pas.Le premier soin de la restauration aurait donc dû être de reconstituer la nation et, de créer entre tous les citoyens des rapports d'intérêt et de bienveillance qui les rapprochassent mutuellement et les confondissent dans un même attachement pour les institutions établies et un même respect pour le trône.[p.93] Le législateur aurait dû se rappeler que le besoin de la liberté n'avait influé qu'à peine sur l'espèce d'éloignement que la nation française avait tout à coup éprouvé pour l'ancienne forme de son gouvernement ; que c'était la vanité seule qui avait fait la révolution, qui avait jeté le trouble dans les rangs divers de la nation, et qui avait soulevé la petite noblesse contrela haute noblesse, et la bourgeoisie contre la noblesse en général. Il fallait donc pour rétablir la paix parmi les citoyens, satisfaire avant tout aux impérieuses exigences de la vanité et adoucir, autant que le permettait l'intérêt de l'État, les distinctions trop tranchantes qui avaient si violemment irrité les esprits. Ce but ne pouvait être atteint que par deux grands changemens introduits à la fois, et dans les institutions qui avaient précédé la révolution, et dans les mœurs qu'elle avait enfantées.Le premier consistait à supprimer, la noblesse de sang, qui tient la nation divisée en deux camps ennemis, et à lui substituer [p.94] une noblesse de rang ouverte à tous les citoyens, et reposant exclusivement sur l'aîné de chaque famille noble.Le second changement consistait à établir dans l'État un certain nombre de positions politiques, subordonnées les unes aux autres, qui permissent aux diverses familles de s'élever successivement et sans autre secours que celui de leurs talens, des rangs les plus inférieurs aux rangs les plus élevés de la société.De cette manière, la petite noblesse eût trouvé dans ses priviléges politiques un avantage important qui aurait adouci son animosité contre la haute noblesse ; et la bourgeoise eût trouvé de son coté, tant dans les droits nouveaux qui lui auraient aussi été conférés, que dans la suppression de la noblesse de sang, une situation sociale qui aurait satisfait toutes ses prétentions.Enfin, toutes les classes de la société eussent été liées les unes aux autres par une large et généreuse hiérarchie politique qui, accoutumant chaque citoyen à respecter [p.95] la classe immédiatement supérieure à la sienne, aurait par cela même inspiré au corps entier du peuple l'habitude d'une profonde vénération pour le trône.Telle est la pensée-mère qui aurait dû présider à la rédaction de la Charte, et se manifester principalement dans l'organisation des Colléges électoraux. Mais qui songeait, en 18l4, aux causes qui avaient préparé la révolution en 1789 ?La Charte a donc laissé subsister les haines et les jalousies qui divisaient alors toutes les classes de la société; bien plus, elle a fourni à ces haines un nouvel aliment.Autrefois, la bourgeoisie pouvait du moins cacher sous le respect que commande naturellement le pouvoir, le respect irritant qu'elle était obligée de porter à la noblesse du sang. Mais aujourd'hui que cette noblesse est dépouillée de toute influence politique, par où peut-elle aspirer encore aux hommages des peuples, si ce n'est par des droits puisés dans des souvenirs qui les humilient? La bourgeoisie [p.96] est donc plus hostile encore à la noblesse qu'elle ne l'était autrefois.Il faut avouer aussi que la noblesse semble prendre plaisir à envenimer les préventions dont elle est l'objet. Ni les talens ni les vertus qui, pendant le cours de la révolution, sont sortis des classes moyennes, n'ont rien gagné sur son entêtement. Comme en 1789, elle se croit une classe à part, élevée au dessus du reste de la nation, moins encore par son rang et ses richesses, que par la délicatesse toute particulière de ses sentimens.« Ils m'avaient cependant juré leur foi de gentilhomme de voter pour la loi! » disait dans ces derniers temps encore M. de Richelieu, en se plaignant avec amertume de quelques membres du côté droit qui lui avaient manqué de parole au scrutin. Et telle était sa naïve confiance dans la foi d'un gentilhomme, que c'était à un des bourgeois les plus distingués par son rang nouveau et par son esprit, qu'il témoignait cette étrange surprise : présumant [p.97] sans doute impossible qu'il ne la partageât point. De son côté, la noblesse ne peut voir sans un vif ressentiment et une profonde jalousie l'établissement de la Chambre des Pairs, qui, non seulement la dépouille de ce que Louis XIII et Louis XIV lui avaient laissé de pouvoir politique, mais la dépouille encore de toute considération personnelle. La noblesse est donc aussi plus animée contre la Charte qu'elle ne l'était en 1789 contre la noblesse de cour.Ainsi la Charte, telle que l'a faite la loi des Élections, entend déjà mugir autour d'elle plus de ressentimens et de fureurs qu'il ne s'en élevait en 1789 contre l'ancienne constitution du royaume.Il n'est pas jusqu'à la Chambre des Pairs qui, malgré les priviléges éclatans dont elle est investie, n'ait aussi une tendance marquée pour un changement de gouvernement tendance qui provient de la composition de cette Chambre, et des plus grands ravages produits par la vanité [p.98] dans les conditions élevées. Il faut avoir vu de près l'orgueil et l'égoïsme d'un parvenu, mis en mouvement par les premières faveurs de la fortune, pour se faire une juste idée de toutes les pauvretés du cœur humain. Qui croirait, par exemple, que l'élévation à la Pairie a été pour certains hommes un motif déterminant de se séparer du gouvernement? C'est cependant ce que nous avons vu et ce que la postérité aura peine à concevoir.Oui, nous avons vu des hommes attachés par sentiment à la Royauté, devenir ses ennemis irréconciliables par l'effet même des bienfaits dont elle les avait comblés. Pourquoi? (La vanité, la dure et impitoyable vanité peut seule expliquer ce phénomène.) C'est qu'en les plaçant dans le premier corps de l'État, la Royauté les a élevés au niveau des plus illustres familles, et que ces familles pénétrées encore de leur grandeur passée et de la profonde obscurité de leurs nouveaux collègues, n'ont pu se déterminer assez vite à voir en eux des égaux. Voilà la [p.99] France : la France nouvelle comme la France ancienne Telle sera aussi la France future, si nous sommes appelés à voir une troisième France sortie des entrailles d'une nouvelle révolution.Cette conspiration générale contre la Charte, cette extrême insouciance pour la liberté, n'ont jamais cessé de se faire remarquer en France pendant tout le cours de la révolution, et ne se manifestent nulle part avec plus d'évidence que dans les différens systèmes électoraux qui ont été proposés jusqu'à ce jour, soit dans l'intérêt du trône, soit dans l'intérêt prétendu des libertés publiques.Que voit-on dans tous ces projets ? De la part des hommes du pouvoir, des efforts constans pour assurer à la Couronne la nomination des Députés; et de la part des amis du Peuple, des efforts non moins persévérans pour assurer aux opinions républicaines la majorité des Élections.Est-ce ainsi que l'on prétend réaliser la Charte? Et les deux partis sont-ils donc [p.100] d'accord pour abolir en France le gouvernement représentatif ?Qu'espérer en effet de Collèges électoraux dans lesquels on attribuera au Roi le droit, non pas seulement d'altérer, mais de corrompre entièrement la pureté primitive des Colléges, par des adjonctions d'Électeurs à sa nomination ?Ou dans lesquels les petits Colléges présumes imbus d'opinions anti-monarchiques, n'auraient plus droit à l'avenir de nommer des Députés, mais seulement des candidats qu'ils présenteraient aux grands Colléges, présumés imbus d'opinions contraires, et entre lesquels ceux-ci seraient tenus de choisir la totalité ou la moitié des Députés de telle sorte, que la totalité ou la moitié au moins des membres de la Chambre des Députés ne seraient les élus de personne : ni ceux des petits Colléges qui, parmi leurs propres candidats, n'eussent jamais choisi pour Députés les Députés nommés par les grands Colléges ; ni ceux des grands Colléges qui, s'ils eussent été libres dans leur choix, ne [p.101] l'eussent certainement fait tomber sur aucun des hommes à eux présentés par les petits Collèges ?Ou dans lesquels enfin, les grands et les petits Colléges, également suspects d'opinions anti-monarchiques, ne seraient plus appelés les uns et les autres, qu'à élire des candidats parmi lesquels la Chambre des Pairs choisirait les Députés ?En bonne foi sont-ce là des Élections ? Et dans les Députés nommés par l'effet d'une influence si directe de la part de la Couronne, la nation peut-elle jamais voir ses représentans? Veut-on relever de la boue les Chambres serviles de Bonaparte ? Si c'est ainsi que l'on comprend la forme de gouvernement établie par la Charte, ne vaut-il pas mieux épargner à la nation le dégoût de toutes ces décepitions, et rétablir franchement la Royauté absolue ?Qu'espérer aussi de ces autres systèmes électoraux où l'on veut faire descendre le droit de nommer les Députés, jusqu'aux fameux citoyens actifs de 1789 ? Conférer [p.102] la puissance électorale à la partie inférieure de la population, alors qu'aucune influence amie de la Royauté ne peut diriger dans leurs choix ces masses grossières et redoutables, n'est-ce pas encore nous ramener au despotisme, en passant par la république ?Cessons de nous laisser abuser par toutes ces théories également hostiles à la Charte. Ouvrons les yeux, et voyons. Dans aucun de ces systèmes il n'y a de vérité, d'honneur ni de liberté. Ils n'offrent tous que vénalité ou licence. Tous, ils conduisent à une révolution certaine, parce que la France ne peut se reposer définitivement que dans un gouvernement monarchique et libre.Il en est de même d'un dernier système dans lequel les Royalistes s'obstinent si étrangement à placer leurs espérances. C'est celui qui consisterait à donner exclusivement aux grands Colléges la nomination des Députés.Ne voudra-t-on jamais comprendre que, dans un ordre politique fondé sur des [p.103] priviléges (et il faut bien reconnaître que tel est l'ordre de choses établi par la Charte ), la fortune non unie à ces priviléges, n'offre aucune garantie au législateur pour le maintien de la Constitution ! Les riches non privilégiés sont les plus grands ennemis des priviléges. Qui ne le voit aujourd'hui, s'il avait pu jamais en douter ? Habitués à placer dans l'or la source de toute considération, toute considération qui ne sort pas de l'or, doit leur être antipathique : d'où il suit, que les grands Colléges étant déjà composés en majorité, ou devant l'être quelque jour par l'effet de la loi sur les successions, de citoyens étrangers aux priviléges consacrés par la Charte, les grands Colléges deviendront de jour en jour plus hostiles à ces priviléges ; et que le système qui leur confèrerait exclusivement la puissance électorale, rentrerait dans ceux qui préparent le renversement du trône et le rétablissement de la république[7].[p.104] Il ne faut pas vouloir des choses contradictoires : vouloir que la loi soit discutée et votée librement[8] par les Députés des départemens, et que ces Députés soient nommés par le Roi; ou vouloir que les priviléges de la Royauté et de la Chambre des Pairs soient respectés par la Chambre des Députés, et que cette Chambre soit élue par une classe d'Électeurs étrangers et par conséquent hostiles à tous priviléges.Je le dis avec confiance : le système que j'ai présenté est le seul qui soit propre à résoudre le problème de la Charte, c'est-à-dire concilier les intérêts de la Royauté avec ceux des libertés publiques.[p.105]Je prie le lecteur de me permettre de rétablir ici les principales dispositions de ce système, tant à cause du nouveau point de vue sous lequel je vais m'efforcer d'en présenter les avantages, qu'à cause des diverses modifications que je lui ai fait subir, d'après les observations qui m'ont été adressées par des personnes d'un grand poids, auxquelles il a paru digne de quelque attention.La Chambre des Députés serait portée à l'avenir à 650 Députés. 550 appartiendraient à la propriété territoriale et aux hautes fonctions publiques inamovibles.32 appartiendraient à la magistrature, et seraient nommés par la Cour de cassation, la Cour des comptes et les Cours royales, à raison de trois Députés pour la Cour de cassation, de deux Députés pour la Cour des comptes, et d'un Député par chaque Cour royale.26 Députés appartiendraient à l'Université, [p.106] et seraient nommés par certains membres désignés de l'université, à raison d'un Député par Académie.42 appartiendraient au commerce, et seraient nommés par les négocians, répartis en un certain nombre d'arrondissemens commerciaux.65o.


De la représentation attribuée à la propriété territorial et aux hautes fonctions publiques inamovibles.Il serait établi dans chaque département trois Collèges électoraux chargés de nommer, dans des proportions différentes, les Députés attribués au département pour la représentation de la propriété territoriale et des hautes fonctions publiques inamovibles.Le premier Collége, appelé le grand [p.107] Collége des Électeurs héréditaires, et destiné à nommer principalement les Députés de la grande propriété, serait composé des propriétaires du département les plus distingués par leur naissance et par leur fortune, et en outre des fonctionnaires inamovibles ci-après désignés, ayant leur domicile politique dans le département; savoir : Des Lieutenans généraux et des Amiraux en activité de service;Des premiers Présidens de la Cour de cassation et de la Cour des comptes;Du Procureur-général et des Avocats généraux près la Cour de cassation, et du Procureur général près la Cour des comptes ; Des premiers Présidens des Cours royales et des Procureurs généraux près ces Cours;Des Conseillers d'État et des membres du Conseil royal de l'Université.Le second Collège, appelé le petit Collége des Électeurs héréditaires, et destiné à nommer principalement les Députés [p.108] de la moyenne Propriété, serait composé de propriétaires d'un ordre inférieur par l'illustration de leurs familles et par l'importance de leurs biens ; et en outre, des fonctionnaires inamovibles ci-après désignés, ayant leur domicile politique dans le département; savoir :Des Maréchaux de camp des Contre-Amiraux, des Capitaines de vaisseaux et des Colonels en activité de service;Des Conseillers à la Cour de cassation; des Conseillers-maîtres à la Cour des comptes;Des Présidens des Cours royales et des Avocats généraux près ces Cours;Des Recteurs des Académies, des membres de l'Institut et des Inspecteurs généraux de l'Université;Enfin le troisième Collége, appelé le Collége des Électeurs mobiles et destiné à nommer les Députés de la petite propriété, serait composé de tous les citoyens payant une imposition foncière de trois cents francs, et des représentans des propriétaires payant seulement cinquante [p.109] francs de contributions foncières. Tous les grands Colléges héréditaires réunis nommeraient, 25o Députés.Tous les petits Colléges héréditaires réunis, 150Et tous les Colléges des Électeurs mobiles réunis, 150Total. 55oLe nombre des Électeurs héréditaires serait irrévocablement fixé dans chaque département, et se monterait de cent vingt à deux cents pour les grands Collèges, et de deux cents à trois cents pour les petits Collèges ; suivant la richesse et la population respective de chaque département.Ces Électeurs seraient une première fois nommes par le Roi; leurs dignités se transmettraient ensuite à leurs enfans, de mâle en mâle et par ordre de primogéniture.Néanmoins, un dixième des Électorats héréditaires des petits Colléges resterait, [p.110] sous le titre d'Électorats royaux, à la nomination du Roi, pour le mettre à même de récompenser les services rendus à l'État.Les Pairs de France et les Électeurs héréditaires seraient appelés à jouir un jour d'un majorat en biens fonds, qui se réglerait ainsi qu'il suit :Pour les Pairs de France, à cinquante mille livres de rentes;Et pour les Électeurs héréditaires, savoir :De vingt à trente mille livres de rentes pour ceux des grands Colléges et de dix à vingt mille livres de rentes pour ceux des petits Colléges; d'après la richesse et la population de chaque département.Les majorats seraient successivement formés[9] par l'attribution à chaque fils [p.111] ainé de Pair ou d'Électeur héréditaire de la portion que le Code civil met à la disposition du père de famille. Lorsque le majorat serait déclaré complet, les successions des Pairs et des Électeurs héréditaires rentreraient dans le droit commun et seraient partagées également entre les enfans du Pair ou de l'Électeur décédé ; exception faite du majorat, qui appartiendrait toujours à l'appelé à la Pairie ou à l'Électorat.Chaque grand Collége héréditaire serait présidé par un Pair de France, à qui ce droit de présidence appartiendrait héréditairement ; et chaque petit Collége [p.112] héréditaire, ainsi que chaque Collége des Électeurs mobiles, serait présidé par un membre du grand Collége héréditaire du département, à qui ce droit de présidence appartiendrait, aussi héréditairement.


Toute qualification nobiliaire serait supprimée à l'exception de celles qui appartiendraient aux Pairs de France, à leurs fils aînés, aux Électeurs héréditaires et à leurs fils ainés.Les Pairs de France et les Électeurs héréditaires seraient, de plus, investis de certains autres privilèges honorifiques, propres à rendre leur haute dignité présente à tous les yeux et à l'inculquer dans les mœurs.Chaque citoyen aurait la faculté d'instituer, avec le consentement du Roi, un majorat d'expectative, payant une contribution foncière de cinq cents francs au moins ; et ce majorat lui donnerait le droit d'entrer, à la date de sa fondation dans le petit Collége héréditaire du département où il serait institué, lorsqu'un Électorat viendrait à y vaquer [p.113] par l'extinction d'une famille électorale.Il serait en outre permis à tous Français payant cinquante francs de contributions foncières de s'assembler au nombre de six (pourvu qu'ils fussent du même arrondissement) et de nommer un d'entre eux pour les représenter au Collége des Électeurs mobiles.Enfin, les Électeurs auraient droit de suffrage à vingt-cinq ans; l'âge requis pour être Député serait réduit à trente ans ; ET LE CENS FIXÉ POUR L’ÉLIGIBILITÉ SERAIT SUPPRIMÉ.Telles sont les principales dispositions du système que je propose, et qui se trouve développé dans mes précédens ouvrages ; notamment dans les deux ayant pour titres, l'un : Des moyens de mettre la Charte en harmonie avec la Royauté (1828); et l'autre : De la nécessité d'une dictature (1830).Essayons maintenant de faire ressortir les avantages particuliers de ce système. Ainsi que nous l'avons démontré plus haut, il ne suffit pas au maintien de l'ordre [p.114] établi par la Charte que le système électoral soit de nature à constituer des Chambres monarchiques : il faut encore qu'il soit combiné de manière à réorganiser la nation, et à unir les différentes classes dont elle se compose.C'est à quoi le système proposé me paraît éminemment propre.D'abord, il rassure complètement la Royauté contre les entreprises du peuple, et le peuple contre les envahissemens de la Royauté.Qu'on se représente en effet quels seront les intérêts et par conséquent quelle sera la conduite des Électeurs héréditaires.Ces Électeurs, placés à la tête de la nation; investis de priviléges exclusifs; possesseurs de fortunes considérables et immuables; environnés des respects du peuple qu'ils seront spécialement chargés de garantir de toute oppression locale ; ces Électeurs se complairont nécessairement dans une situation si noble et si élevée. Ils s'attacheront à l'ordre de choses qui la leur aura faite, et s'y attacheront [p.115] par un sentiment inébranlable, à l'épreuve de tous les sophismes des écrivains, et de toutes les passions du moment. La Charte deviendra pour eux le gouvernement par excellence; parce que ce sera celui qui leur offrira les avantages les plus incontestables; et, satisfaits de ces avantages loin de porter envie aux prérogatives de la Royauté ni à celles de la Chambre des Pairs, ils aimeront à considérer les unes comme le plus ferme appui de leurs propres priviléges, et à trouver dans les autres un noble but à leur ambition.Ils ne tarderont pas non plus à s'apercevoir que leur principal titre à la considération du peuple consistera moins dans l'éclat de leur rang, que dans le zèle qu'ils déploieront pour la défense de ses libertés. Ils feront donc aussi, du maintien des libertés publiques, l'objet de leur plus constante sollicitude et, quel que doive être leur dévouement au trône, ils ne souffriront jamais, dans l'intérêt de leur propre influence que la moindre atteinte soit portée aux droits de la nation. [p.116]Tel est l'esprit qui animera les Électeurs héréditaires. Ou il faut renoncer à tirer aucune conjecture des passions des hommes, ou l'on doit pouvoir assurer que les Électeurs héréditaires tiendront toujours la balance égale entre le trône et le peuple. Ils le feront non par devoir, ni par honneur, ni par conscience ils le feront par intérêt; et, à la honte de l'humanité, cette garantie est la plus solide qu'ils puissent offrir au Prince et à la Nation.Examinons le système proposé, sous un rapport non moins important, celui de l'union et de la bienveillance qu'il est destiné à rétablir entre les différentes classes de la société.On l'a dit avec raison le peuple n'est plus aujourd'hui pour rien dans les embarras du gouvernement. Affranchi, par la révolution, de toute servitude personnelle, il a obtenu de l'ordre social tout ce qu'il en pouvait jamais exiger. Au-delà, il n'a plus rien à attendre d'aucun régime politique que ce soit, parce qu'il n'a plus rien à demander qui ne constitue une atteinte [p.117] à l'ordre et à la propriété. Que lui importe la forme du gouvernement ? Ne sait-il pas que sous quelque régime qu'il soit placé, son lot sera toujours de travailler et d'obéir?Le peuple est donc entièrement étranger au trouble qui se manifeste dans l'État; et si nous sommes assez malheureux pour qu'il doive y prendre quelque jour une part active, c'est qu'il y sera entraîné par ceux qui auront voulu le faire servir d'instrument à leurs desseins.Toute l'agitation dont nous sommes témoins provient, ainsi que je l'ai fait observer plus haut, de la lutte obstinée de la noblesse et de la bourgeoisie : lutte engagée avec plus ou moins d'éclat dans toutes les parties de l'Europe, et dans laquelle la Royauté se trouve partout compromise par l'appui que partout elle est censée devoir prêter à la noblesse.Cette lutte, déjà commencée long-temps avant la révolution, et toujours poursuivie depuis avec acharnement, semble être devenue aujourd'hui un combat à outrance, [p.118] dans lequel il faut que la noblesse soit anéantie ou la bourgeoisie réduite à son ancien état d'abaissement. Jamais tant de haine n'a divisé les deux partis. Jamais il n'a été plus urgent que le législateur se jetât entre les combattans et les forçât à des concessions réciproques.C'est principalement à la loi qui règle la transmission de la noblesse, qu'est dû cet état de guerre qui menace d'entraîner encore une fois la ruine de la Monarchie. Cette loi fait de la noblesse un peuple à part dans la nation peuple qui a ses règles, ses mœurs, sa langue et ses opinions particulières, Elle perpétue le souvenir amer de la conquête, au milieu de la fusion opérée par le temps entre le peuple conquérant et le peuple conquis. Elle tient la nation inquiète sur les libertés qu'elle a recouvrées, et lui montre, l'épée insolente des Francs toujours suspendue sur sa tête.Aucun ordre durable ne pourra être établi dans l’État tant que la noblesse n'aura pas renoncé à l'attitude offensive dans laquelle elle se trouve placée, par [p.119] cette loi, contre le reste de la nation. C'est un dernier sacrifice que la noblesse doit à la patrie; sacrifice d'où dépend la sûreté du trône, la paix du présent et de l'avenir, et dont il est juste aussi que la patrie lui donne un dédommagement.Le système proposé consacre ce sacrifice et en règle les conditions.Par suite de l'établissement des électeurs héréditaires, la noblesse ouvre ses rangs à tous les Français, et ne repose plus désormais que sur la tête d'un seul individu de chaque famille noble. Mais comme d'un autre côté, la noblesse est reconnue indispensable à la sûreté du trône et; même à celle des libertés publiques, elle reçoit, en échange de ses anciens privilèges, des distinctions nouvelles plus en rapport avec les mœurs des peuples, et une participation plus directe au gouvernement de l’État. Ce ne sera plus une caste; ce sera mieux : ce sera un grand corps de magistrature, la base même du trône et de la liberté. Dans la situation actuelle des choses où personne ne peut avoir aucune confiance [p.120] dans la durée de ce qui existe, il n'est pas étonnant que la noblesse se livre à ses illusions comme toutes les autres classes de la société, et qu'elle se crée telle série d'événemens qui pourraient lui rendre son ancienne importance politique.La bourgeoisie rêve la république : pourquoi la noblesse ne rêverait-elle pas le rétablissement des trois ordres?Le but hautement proclamé par la Charte, ayant été de renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, comment veut-on que la noblesse, dont les droits formaient un des principaux anneaux de cette chaîne, la considère comme renouée, tant que la Charte ne lui aura pas fait sa part dans la puissance publique. Comment veut-on jusque-là, que l'ordre établi par la Charte lui offre l'idée d'un ordre définitif, et qu'elle puisse s'y attacher sincèrement.Il en sera tout autrement dans le système proposé. Investie, par ce système, d'importantes prérogatives qui, sans l'isoler comme autrefois du corps de la nation, la [p.121] tiendront cependant toujours placée à sa tête, la noblesse se formera bientôt des mœurs conformes à sa nouvelle position politique et, comme elle s'enlacera par ses branches cadettes avec les autres classes de la société, ses rapports avec ces autres classes se dépouilleront insensiblement de ce vernis de hauteur et de fatuité qui soulève contre elle tant de haines. Des degrés successifs, établis dans le corps même de la noblesse, accoutumeront la nation à la hiérarchie des pouvoirs, et offriront à chaque famille un digne objet d'émulation.Tout s'animera et se remplira d'espoir, depuis le simple bourgeois, qui s'efforcera de former un majorat d'expectative pour placer un jour sa famille dans le petit Collége héréditaire de son département, jusqu'au pair de France, qui aspirera à une présidence héréditaire. Le Prince, du haut de son trône, présidera à tout ce mouvement, l'entretiendra, le réglera, le pressera et le ralentira à son gré : il deviendra [p.122] ainsi la vie même de l'État, l'objet de tous les vœux, le but de tous les efforts.Ainsi s'éteindra insensiblement l'esprit républicain, esprit d'égalité, et de résistance au pouvoir ; et se formera au contraire l'esprit monarchique, esprit d'ordre, d'émulation et d'obéissance éclairée à l'autorité.Alors, et seulement alors, les priviléges de la Couronne seront compris et acceptés par la nation. Liés à d'autres priviléges héréditaires, ils n'offriront plus comme aujourd'hui une anomalie frappante dans le gouvernement. On ne les verra plus, honteux et timides, se dérober aux regards, comme des abus qui craignent d'attirer l'examen. Ils se proclameront hautement ce qu'ils sont, des instrumens indispensables à la forme de gouvernement établie par la Charte; et ils n'auront plus à combattre une égalité sans frein, sous laquelle ils doivent nécessairement succomber un jour.Le nombre assez étendu des Électeurs héréditaires aurait encore cet avantage, [p.123] qu'il permettrait de placer dans les grands et les petits Collèges, non seulement la presque totalité des anciennes familles nobles, mais encore les familles bourgeoises les plus honorables et les plus distinguées. Par là commenceraient cette heureuse réunion d'où dépend la stabilité du gouvernement, et cette communauté d'intérêts et d'émulation qu'il est si important d'établir entre tous les citoyens. Par là se calmeraient les haines, qui empêchent la la Charte de s'affermir, et par là enfin s'établirait dans les esprits une nouvelle opinion de la noblesse, opinion qui n'aurait plus rien de blessant, pour ceux qui n'en font point partie.M'étendrai-je plus long-temps sur les autres avantages du système proposé? Parlerai-je de toutes les classes de la nation appelées désormais à concourir à la formation de la Chambre des Députée ; des nominations particulières attribuées à la magistrature, et à l'Université ; des droits électoraux, conférés aux grands fonctionnaires publics, aux chefs des armées de [p.124] terre et de mer, de la magistrature et de l'Université ; de l'entrée des Collèges, accordée aux représentans particuliers des propriétaires payant seulement cinquante francs de contributions foncières; enfin, de la faculté d'être élu Député, conférée sans condition, à tous les Français âgés de vingt-cinq ans ?Qui n'a pas été frappé des lacunes insultantes qui existent dans la loi actuelle des Élections? La France réside-t-elle seulement dans les citoyens qui paient trois cents francs de contributions directes? Les guerriers qui commandent ses armées ; les magistrats qui l'administrent et lui distribuent la justice ; les savans qui l'éclairent et la polissent, ne sont-ils pas aussi des citoyens dignes de participer à tous les priviléges politiques qui lui ont été accordés ? Eh quoi ! le plus grossier campagnard, le plus chétif marchand aura droit de concourir à la, formation de la Chambre des Députés; et un officier général, un président de Cour souveraine, un membre de l'Académie, n'aura pas le [p.125] même droit? Ne faut-il pas avoir juré dans son cœur la ruine de la .Monarchie, et voir dans la loi des Élections l'instrument le plus certain du renversement du trône, pour vouloir conserver cette loi malgré de pareilles absurdités ?De plus longs développemens deviennent inutiles, et ne détruiraient pas certaines préventions. Je ne parle pas de celles, des révolutionnaires : ils veulent la république; nous ne pouvons pas nous entendre.Mais qui croirait que parmi les royalistes eux-mêmes, il se trouve encore des hommes assez obstinés dans leurs préjugés pour repousser un plan qui doit asseoir la Royauté sur une si forte base ?Faut-il en dire la raison ? c'est qu'il existe malheureusement dans les Cours une classe d'hommes particulière, qui ne vivent que des abus du pouvoir, et qui les défendent comme leur patrimoine. Étrangers à tous sentimens élevés, à toute noble profession, leur affaire est d'étudier les faiblesses du prince, d'apprendre [p.126] ses passions, de flatter ses mauvais penchans, et de vendre au plus haut prix possible leur bassesse et leur servilité. Pour ces hommes, la Charte n'a dû rien changer à la nature du pouvoir royal. Elle n'est qu'une illusion offerte aux prétentions des peuple, une forme plus ou moins bien adaptée à leurs nouvelles mœurs ; et sous cette illusion, sous cette forme trompeuse, ils veulent que l'autorité du Roi reste, comme par le passé, libre de toute entrave et de tout contrôle.Que gagnera la Royauté s'écrient-ils, au système que vous proposez ? Le pouvoir politique en sera-t-il moins hors de ses mains ? Qu'il soit placé dans des Colléges électoraux aristocratiques, ou dans des Colléges électoraux démocratiques, qu'importe s'il doit être placé ailleurs que dans le Roi ?Eh ! n'est-ce rien d'abord qu'une organisation par l'effet de laquelle la puissance électorale se trouve remise à des corps qui ont intérêt à défendre le trône, au lieu de l'être à des corps qui ont intérêt à le [p.127] renverser? Mais abordons le fond même de l'objection.Cette objection, comme on le voit, ne peut prendre sa source que dans la résistance que l'on s'obstine à apporter aux résultats les plus immédiats de la Charte.Il faut cependant fixer définitivement la forme du gouvernement, et se décider une bonne fois pour ou contre la Charte. Il faut avoir le courage de la déclarer incompatible avec le caractère français et l'existence de la Royauté, ou en accepter franchement les conséquences.Or, la première conséquence qui en dérive ; la conséquence la plus directe, la plus positive, la plus incontestable, c'est qu'au moyen du droit accordé à la Chambre des Députés de voter, et par conséquent de refuser l'impôt, la puissance politique réside tout entière dans cette Chambre, quelles que soient d'ailleurs les autres dispositions de la Charte, qui semblent la placer dans la réunion du Roi et des deux Chambres.Toute mal-sonnante que doive paraître [p.128] cette proposition à des oreilles royalistes, les doctrinaires ont eu raison de dire: le Roi règne mais ne gouverne pas ; car ce n'est plus gouverner que d'être obligé, comme l'est le Roi, de soumettre à l'examen des Chambres tous les actes de son administration.La Royauté ne doit donc pas songer à recouvrer jamais la réalité du pouvoir politique: du moins tant qu'elle voudra rester fidèle à l'ordre de choses établi par la Charte. D'où il suit que l'unique but qu'elle ait à se proposer, est d'établir un système électoral combiné de manière que le pouvoir chargé de surveiller son autorité, soit lui-même intéressé au maintien de cette autorité : car, s'il est vrai de dire que le Roi ne peut plus gouverner sans que les droits des Chambres deviennent illusoires, il faut reconnaître aussi qu'il ne peut plus régner si les Colléges électoraux ne sont pas attachés à la Royauté par un dévouement inaltérable! On fait encore une autre objection: Mais si vos Colléges héréditaires venaient [p.129] à se corrompre, quelle ressource resterait-il à la Royauté contre des corps aussi puissans et aussi fixes dans leurs sentimens ? Je demanderai à mon tour : Quelle ressource resterait-il à la Royauté contre tels autres Colléges électoraux que ce soit, s'ils venaient aussi à se corrompre? En vain répondrait-on que des Colléges électoraux dont la composition se modifie tous les ans par l'introduction d'un grand nombre d'Électeurs nouveaux et la sortie d'un grand nombre d’Électeurs anciens, offrent à la Royauté des opinions plus souples et plus accessibles à l'action du pouvoir : on se tromperait complètement. L'Électeur nouveau, placé dans la même classe que l'Électeur sortant, portera dans le Collège la même opinion politique, parce qu'il sera mu par le même intérêt de fortune et de vanité; et s'il se trouve que cette opinion politique soit adverse à la Royauté, elle sera tout aussi constante et tout aussi inflexible que celle d'un Électeur héréditaire. Il reste donc à mon système cet avantage incontestable, [p.130] que, d'après la nature des choses, l'opinion des Électeurs héréditaires sera nécessairement royaliste ; tandis que, dans tout autre système elle sera républicaine, ou sujette à le devenir.Mais veut-on enfin supposer, contre toute vraisemblance, que l'opinion des Électeurs héréditaires puisse devenir hostile à la Royauté, et que ces Électeurs conçoivent un jour le projet de changer la Monarchie en une espèce d'oligarchie semblable à celle qui gouvernait autrefois Venise? Et bien! je le dirai sans hésiter : si, par impossible, les choses arrivaient jamais à ce point, le Roi devrait encore se hâter de renverser ce nouveau système électoral car, quelque chose que l'on puisse dire, la première condition de tout système électoral, c'est d'être en harmonie avec la royauté; et, lorsqu'au lieu de contribuer au maintien du trône, il tend au contraire à l'ébranler, il devient lui-même contraire à la Charte; et, dans l'intérêt de la Charte, il doit être anéanti.Sans doute, il n'est rien sur la terre qui soit [p.131] à l'abri des ravages du temps. Tout s'use, tout vieillit, tout meurt ; mais il est des choses qui s'usent et qui vieillissent plus tard les unes que les autres, et je présente avec confiance mon système électoral comme organisé de manière à lutter plus long-temps que tout autre contre les efforts des novateurs.On lui adresse un autre reproche (qui porte moins sur le fond même de ses dispositions que sur la -forme suivant laquelle elles doivent être établies), c'est d'attribuer au pouvoir constituant, à l'exclusion du pouvoir législatif ordinaire, que l'on prétend seul compétent en cette matière, le droit d’instituer, dans certaines familles, un mode particulier de succession. Et ce qu'il y a de vraiment extraordinaire, c'est que cette misérable objection est une de celles qui ont le plus frappé nos hommes d'États.Comment ne voient-ils pas que, dans certains systèmes de gouvernement, si ce n'est même dans tous, la loi qui réglera transmission des biens dans les familles, [p.132] et surtout des biens immeubles, est moins une loi civile qu'une loi politique? Quelle Monarchie pourrait subsister, si le royaume était partagé entre tous les enfans du roi défunt? Comment le régime féodal se serait-il maintenu, si le fief n'eût exclusivement appartenu au fils aîné du seigneur ?Il en est de même de la Monarchie représentative. S'il est démontré, comme nous nous sommes efforcés de le faire, que cette forme de gouvernement ne peut subsister qu'au moyen de majorats héréditaires, il est évident que la manière dont ces majorats doivent être formés, et transmis ensuite dans les familles, est une des lois organiques de la constitution : loi qui doit être faite conséquemment par le pouvoir chargé d'établir cette constitution.Aussi faut-il remarquer que, dans mon système, je ne donne au pouvoir constituant le droit de régler l'ordre de succession dans les familles électorales, que jusqu'au point seulement où il lui est nécessaire que cet ordre soit déterminé d'une [p.133] manière spéciale. Quand le majorat héréditaire est complet, c'est-à-dire, quand le pouvoir constituant devient sans intérêt dans le règlement de la succession du Pair ou de l'Électeur héréditaire, je rentre dans le droit commun, et j'abandonne à la loi ordinaire le partage de la succession.Le droit du pouvoir constituant sur tous les intérêts qui entrent dans le mécanisme du gouvernement, ne saurait être contesté : autrement, aucune constitution nouvelle ne pourrait être établie d'une manière durable, puisque, dès le jour même de son établissement, elle se trouverait en opposition avec les anciennes lois et les anciennes mœurs. Aussi, mœurs et lois doivent-elles être retrempées, et courbées aux besoins de la nouvelle forme du gouvernement. Ces besoins pourvus, la souveraineté peut se plier à son tour aux mœurs des peuples, et leur accorder des lois conformes à ces mœurs ; mais cette concession ne peut être faite qu'après avoir préalablement établi tout ce qui est nécessaire [p.134] à l'exercice et à l'affermissement de sa puissance.On dit encore: les Électeurs actuels sont privilégiés; vous ne combattez que du plus au moins.Non, les Électeurs actuels ne sont pas privilégiés. On ne peut appeler privilège un droit que l'on a aujourd'hui et que l'on perd demain, un droit qu'on n'est pas maître de transmettre à ses enfans. Ce droit, dût-il même être regardé comme un privilége, ne serait pas de nature à attacher l'Électeur plutôt à la forme de gouvernement établie parla Charte, qu'à toute autre forme de gouvernement représentatif, et, par cela même, il serait inutile à la Royauté. Ce n'est que dans des priviléges héréditaires qu'elle peut trouver une garantie suffisante, parce que ce n'est que dans ce genre de priviléges qu'elle peut trouver un intérêt positif à maintenir les siens.Combien d'autres avantages accessoires découleraient encore du système proposé !On ne cesse de nous vanter tous les priviléges dont jouit la nation anglaise : le [p.135] droit d'enquête reconnu aux deux Chambres du Parlement; le pouvoir administratif remis à des magistrats indépendans de la Couronne; la connaissance des délits de la presse attribuée au jury; le droit accordé à toutes les corporations de citoyens de s'assembler et de délibérer sur leurs intérêts ; la liberté des Élections religieusement respectée. Mais on affecte de ne pas voir que tous ces avantages découlent du système électoral établi en Angleterre, système par l'effet duquel, comme dans celui que je propose, la puissance électorale est placée entre les mains d'une aristocratie héréditaire[10]. Si nous jouissions des mêmes priviléges que les Anglais, avec le système électoral qui nous régit aujourd'hui, avant six mois nous serions en république. Donnez à la maison de Bourbon une Chambre des Députés qui soit aussi nécessairement dévouée [p.136] à la Royauté que l'est la Chambre des Communes en Angleterre, et nous verrons nos Rois tout aussi faciles et aussi généreux que les monarques anglais, dans leurs rapports avec leurs sujets.Avec un système électoral aussi fortement organisé que le système proposé, on n'aurait plus à reprocher au gouvernement son antipathie pour certains hommes, son ressentiment trop vif des faits passés, ses investigations fatigantes de la pensée secrète des citoyens. Confiante en sa force et rassurée sur son avenir, la Royauté laisserait ses ennemis exhaler en paix leurs haines stériles. Quiconque n'a rien à craindre peut beaucoup supporter.J'entends dire à une foule de gens Votre système est excellent; que n'a-t-il été adopté en 1814! Quelle belle France il nous eût faite! Que nous serions libres, puissans, unis! Mais aujourd'hui! il est trop tard; comment défaire ce qui est fait ?On est confondu de l'extravagance d'un pareil langage. Quoi! nous nous priverions [p.137] d'un bien certain parce qu'il nous serait proposé seize ans plus tard qu'il n'aurait dû l'être! Et, de ce que les choses sont arrivées au point que la loi des Élections ne peut plus être abolie dans les formes ordinaires, nous croirions notre honneur engagé à en subir tous les dangers ! Il nous sied bien, à nous qui avons renversé coup sur coup tant de constitutions diverses, qui avons successivement passé de la monarchie absolue à une république monarchique, puis à une république populaire, puis à une république bourgeoise, puis à une république militaire, puis au gouvernement absolu ; il nous sied bien de vouloir trancher du Caton, et nous obstiner à périr pour rester fidèles à une institution que le bon sens et l'expérience proscrivent également ! Quelle pitié!Ah! que, si le système que je propose aujourd'hui eût été conçu par M. Decazes ou par M. de Villèle, au temps de leur toute-puissance, il eût trouvé d'approbateurs ! Que de journaux se seraient chargés [p.138] d'en développer les avantages, et d'y préparer les esprits! Il ferait maintenant la gloire et le bonheur de la France.Mais moi! qui suis-je, pour le faire prévaloir? La vérité fait toute ma force et je n'ai d'autre éloquence que celle de la conviction.Cependant ce système sera adopté, ou la Charte périra. Il triomphera des préjugés de l'époque et de mon obscurité. Il triomphera de la vanité de ceux qui n'ont d'autre raison pour le repousser que de ne l'avoir pas inventé. Il triomphera parce qu'il est le seul qui soit exempt d'arrière-pensée ; le seul au fond duquel il y ait vérité, ordre, honneur et liberté.Le mouvement révolutionnaire ne peut plus être comprimé que par là puissance de l'intérêt personnel. Créez donc des intérêts anti-révolutionnaires, et liez-les par une chaîne de fer à l'intérêt de la Royauté; il n'y a pas de salut ailleurs.Aveuglée par ses passions, la bourgeoisie croit trouver dans la destruction de la noblesse une situation plus élevée : elle [p.139] s'abuse ; elle n'y trouvera que sa ruine et la perte de tous les avantages qu'elle a conquis.Sans noblesse, pas de Royauté. Donc, plus de Charte. Donc, révolution nouvelle. Donc, intervention de l'Europe. Donc, guerre civile et étrangère. Donc, meurtres, pillages, incendies, échafauds, proscriptions, dévastations de toute espèce. Mais supposons que la bourgeoisie parvienne à renverser la Royauté, à faire disparaître toute distinction de naissance, et à s'emparer du pouvoir; croit-elle que le peuple la laissera faire, les bras croisés, et qu'il ne prétendra pas prendre part à la victoire ?Voilà les chiens qui arrivent ! Tel est le cri des paysans des environs de Paris, quand ce qu'ils appellent les bourgeois viennent habiter leurs maisons de campagne. Et ce sont cependant ces bourgeois qui les font vivre, qui donnent du prix à leurs denrées et à leurs terres, qui embellissent leurs villages, qui prennent soin de leurs pauvres et de leurs malades [p.140] Mais ces bourgeois sont leurs nobles, à eux; et il n'en faut pas davantage pour qu'ils les détestent, comme les bourgeois détestent les comtes et les marquis.Que la bourgeoisie fasse donc une révolution ; et bientôt elle verra des gens vouloir aussi que la propriété soit rajeunie. Elle les entendra dire au peuple : Quel bienfait avez-vous retiré de la chute des Bourbons? N'êtes-vous pas toujours obligés de travailler et de servir? Vos ennemis, ce sont les riches ; ce sont surtout ces marchands d'or aujourd'hui plus puissans que les Rois. Assez long-temps ils ont usurpé les biens que la nature avait destinés à tous les hommes également ; c'est à votre tour d'en jouir.La bourgeoisie, emprisonnée, pillée, égorgée, criera à la violation de la propriété, à l'assassinat, au renversement de tout ordre social Mais le peuple se rira d'elle et de sa prétention à vouloir le gouverner.Ce sera alors un chaos épouvantable dans lequel on ne verra que sang et que [p.141] ruines, on n'entendra que cris et que gémissemens, et qui finira par le plus dur, le plus impitoyable et le plus indispensable despotisme.


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CHAPITRE IV.De la marche à suivre dans les circonstances actuelles, et du recouvrement de l'impôt.




Cris impuissans ! fureurs bizarres !




S'il est une vérité qui doive être profondément gravée dans le cœur des Français, c'est que les Bourbons veulent la Charte et toutes les institutions qu'elle a consacrées. Ils la veulent même jusqu'à l'imprudence : car depuis bientôt quatorze ans que la loi des Élections est établie, et qu'aux yeux de tous les hommes éclairés elle sape sans relâche les fondemens de la Monarchie, sans qu'il soit possible de la changer avec les concours des deux Chambres, les Bourbons ont préféré laisser le [p.144] trône exposé à ses coups, plutôt que de la briser de là seule manière qui soit efficace, et de paraître s'écarter par là des règles tracées par la Charte.Un pareil état de choses ne saurait se prolonger davantage. Il est incompatible avec l'ordre public. Le Roi a fait, pour n'être pas obligé de recourir aux moyens extrêmes, plus peut-être que sa dignité ne lui permettait défaire. Il est descendu auprès des Électeurs jusques à la prière. Sa voix paternelle a été méconnue : on lui a renvoyé ces mêmes députés dont l'esprit révolutionnaire avait appelé sa juste sévérité. Il ne lui reste plus qu'à parler en Roi.Les Collèges électoraux doivent donc être supprimés sans délai, et les nouvelles nominations qui en sont émanées considérées comme non-avenues. Ils ont insulté le trône, ils ont exposé leur pays à toutes les horreurs de l’anarchie : ni le Roi, ni la France, ne peuvent plus se confier en eux !Si nou étions moins près du terme fatal où expire le budget, je dirais à la Royauté [p.145] reprenez le pouvoir constituant dont vous avez été investie en 1814; faites la loi des Élections, que vous n'avez pas faite, et que vous auriez dû faire à cette époque; assemblez ensuite vos Colléges; demandez-leur une nouvelle Chambre des Députés, et marchez.Mais toutes ces opérations successives ne pourraient être terminées avant le 1er janvier; et ce jour, ce jour même, il faut à la Couronne un titre légal qui lui confère le droit de lever l'impôt. La Couronne doit donc, avant tout, s'occuper des moyens de se procurer ce titre.Quelques gens peut-être lui conseilleraient de s'en passer; mais ce serait blesser la France dans ses plus précieuses prérogatives.Dès les plus anciens temps de la Monarchie, le droit de coopérer à l'établissement de l'impôt a été solennellement reconnu au peuple français.« Notre Roi, dit Philippe de Comines, est le seigneur du monde qui a le moins à cause d'user de ce mot de dire : J'ai [p.146] privilége de lever sur mes sujets ce qui me plait. Car ni lui ni autre l’a, et ne lui font nul honneur ceux qu'ainsi le dient pour le faire estimer plus grand. »Ce ne sera pas, certes, Charles X qui réclamera un pareil privilége, ni qui mettra sa grandeur à l'exercer contre ses peuples!Or, comment faire, en l'absence de toute assemblée régulièrement investie du droit de représenter la nation, pour obtenir le consentement de la France au budget de 1831 ?La réponse, ce me semble, se présente d'elle-même.Lorsque, par des circonstances imprévues, une société ne peut plus être représentée par ses représentans légaux, elle l'est par ses représentans naturels.Les représentans naturels de toute société politique sont ses premiers magistrats, ses premiers guerriers, ses principaux propriétaires.Que le Roi réunisse donc dans une même assemblée : [p.147] 1° Les premiers présidens et présidens de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, les procureurs généraux près ces cours, le grand-maître de l'Université, les premiers présidens des Cours royales, et les procureurs généraux près ces cours;2° Les plus anciens officiers généraux de terre et de mer, au nombre qu'il lui plaira de déterminer ;3° Enfin, les plus imposés de chaque département, en nombre égal à celui des Députés attribués aujourd'hui à chacun de ces départemens.Le Roi composera ainsi une assemblée qui sera incontestablement la représentation la plus parfaite des lumières, de la sagesse et des intérêts de la France.On pourrait, je le sais, suppléer de beaucoup d'autres manières à l'absence de la Chambre des Députés. On pourrait, par exemple, lui substituer provisoirement une assemblée nommée par des Électeurs désignés dans telle ou telle classe de citoyens. Mais le mode que je propose à cet avantage particulier, qu'il évite au [p.148] gouvernement les lenteurs et les difficultés d'une nouvelle convocation d'Électeurs ; et qu'il laisse à l'assemblée un plus long temps pour approfondir les besoins du service et les forces des contribuables.L'assemblée réunie, on lui proposerait le budget, qui serait terminé par cette importante disposition :« Tous les règlemens que le gouvernement jugera à propos de faire pour le recouvrement des sommes comprises au présent budget, auront force de loi jusqu'à la session prochaine. »Ou il faut désespérer de la Monarchie, ou il faut regarder comme certain qu'une assemblée composée de citoyens aussi recommandables que ceux qui sont désignés ci-dessus, s'empressera de répondre à l'appel et à la confiance du Roi.Le budget voté, l'assemblée voudra qu'il soit recouvré. Elle n'hésitera donc point à armer le gouvernement des moyens de coërtion qui pourraient lui devenir nécessaires contre certains contribuables.Le budget serait ensuite soumis à l'examen [p.149] de la Chambre des Pairs; puis, revêtu de la sanction du Roi; et la Couronne se trouverait ainsi en possession d'un titre, sinon légal (puisque la loi établie est inexécutable), du moins conforme aux anciens usages de la Monarchie, aux priviléges de la nation et à la pensée de la Charte. Qui pourrait avec bonne foi, n'en pas reconnaître la régularité ?Mais il faut s'attendre à une vive résistance de la part des révolutionnaires ; car comment espérer soumettre à la raison et à la nécessité des circonstances un parti qui n'a d'autre intention que de bouleverser encore une fois la France et l'Europe entière?Cette résistance sera active ou passive: active, si les révolutionnaires parviennent à soulever une portion du peuple contre le gouvernement ; passive, s'ils réussissent à déterminer les contribuables à refuser l'impôt.Dans le premier cas, le gouvernement n'a point hésiter, point à délibérer, point à écouter ni a parlementer. L'épée a été [p.150] tirée contre lui ; c'est à l'épée à venger les injures de l'épée.Dans le second cas, celui du refus de l'impôt, nous allons parcourir les divers moyens qui s'offrent au gouvernement pour le faire rentrer en totalité, sans avoir besoin de se porter contre les contribuables à aucune fâcheuse extrémité.Prenons pour exemple le budget de l'année dernière.Il se monte à la somme de neuf cent quatre vingt neuf millions quatre cent vingt-trois mille cent vingt-trois francs.Cette somme peut se diviser en deux parties principales.La première partie, composée des sommes entrant d’elles-mêmes dans le trésor de l'État, soit parce qu'elles sont le produit de ses domaines ou les bénéfices de certaines industries dont il a le privilége exclusif, soit parce que les citoyens ont intérêt à les payer, et viennent les acquitter d’eux-mêmes pour être admis aux avantages que ce paiement leur assure.Et la seconde partie, composée de sommes [p.151] qui constituent un sacrifice sur les revenus des contribuables, et qu'il faut par conséquent aller leur demander.La première partie comprend :Les droits d'enregistrement, de timbre, d'hypothèques les droits de greffe, etc. 182,560,000Produits des domaines 2,777,000Produits des forêts sur les coupes vendues l'année précédente. 3,550,000Coupe des bois. 23,750,000Douanes. 10,340,000Droit sur les sels. 54,250,000Tabacs. 67,989,000Poudres à feu. 4,096,000Postes. 30,523,000Loterie. 12,500,000Versement dû par la ville de Paris. 5,500,000Salines de l'Est. 1,800,000A Reporter. 399,635,000[p.152]Report. 399,635,000Créances diverses, y compris celle sur l'Espagne. 6,350,000Rétributions sur les poids et mesures. 800,000Ressources spéciales et éventuelles des départemens. 746,340Produits nets sur amendes et saisies : En matière d'enregistrement. 1,000,000En matière de douanes. 1,600,000En matière de contributions indirectes. 900,000Caisse des Invalides. 540,000Université. 3,992,438Brevets d'invention. 150,000Poudres et salpêtres. 3,426,550.Matières versées au change. 2,067,000TOTAL. 520, 207, 328Ainsi, voilà une première somme de [p.153] 520 millions, c'est-à-dire, de plus de moitié du budget, qui, dans aucun cas, ne peut manquer de rentrer au trésor : soit parce qu'elle représente des valeurs qui sont entre les mains du gouvernement et qu'il ne délivre que contre de l'argent, ou des créances dont il possède les titres, ou des bénéfices auxquels les consommateurs ne peuvent se soustraire; soit parce qu'elle représente des droits que les citoyens sont obligés d'acquitter, pour se mettre en état de faire valoir leurs titres, ou pour assurer leurs propriétés.Passons à la seconde partie.Elle comprend :La contribution foncière. 278,412,684Centimes de perception. 12,170,000Centimes facultatifs ; savoir : pour dépenses d'utilité départementale. 12,640,000Pour dépenses du cadastre. 4,500,000Pour dépenses des communes. 18,200,000A Reporter. 325,922,684[p.154] Report. 325,922,684Frais de premier avertissement. 650,000Fonds de première imposition. 770,000Fonds de non valeurs. 220,000Frais d'administration des bois des communes. 1,453,111Contributions indirectes. 140,200,000Total. 469,215,795..Cette somme, que le gouvernement est obligé d'aller demander aux contribuables, peut sans doute lui être refusée; et si elle l'était à la fois par tous les contribuables, et que le Gouvernement fût obligé d'employer, contre chacun d'eux, des moyens de rigueur, on conçoit toute la perturbation qu'un si grand nombre d'actions et de saisies pourrait jeter dans l'État. Cherchons donc s'il n'existerait pas quelque moyen de forcer les contribuables à venir d’eux-mêmes acquitter cette seconde partie de l'impôt, comme nous avons vu qu'ils venaient acquitter la première.[p.155] Que faut-il faire pour obtenir ce résultat ? Il faut faire ce qui se trouve fait par la nature des choses, relativement à la première partie de l'impôt : c'est-à-dire, créer au contribuable un intérêt matériel à s'acquitter de cette seconde partie comme de la première, vis-à-vis le gouvernement.Ainsi, puisque la nécessité d'assurer leurs droits mobiliers et immobiliers, contraint les propriétaires de créances et de biens fonds à payer au Gouvernement la somme immense de cent quatre-vingt-deux millions, pour les droits de timbre, d'enregistrement et d'hypothèques, il est évident qu'ils seront encore obligés de lui payer la totalité de leurs impôts, directs et indirects, s'il est interdit, sous peine de destitution, aux percepteurs des droits d'enregistrement et aux conservateurs des hypothèques, d'enregistrer aucun acte, ni d'inscrire aucune hypothèque, à moins que le requérant n'ait préalablement justifié de l'acquit de ses impositions.Exploitons cette mine féconde; nous en tirerons des trésors. [p.156]On a des droits à faire valoir contre un débiteur de mauvaise foi; il faut l'assigner devant les tribunaux…. Les tribunaux ne recevront aucune demande, que le demandeur n'ait payé ses contributions.On a une succession à recueillir; il faut établir sa filiation. Aucun acte de l’état civil ne sera délivré sans justification préalable de l'acquit de ses contributions.On a des rentes ou des pensions sur l'État ; on veut les vendre ou en percevoir les arrérages. Aucun transfert ne sera fait au trésor, aucun arrérage ne sera payé, que l'impôt n'ait été acquitté.On est Avocat, Avoué, Notaire, Huissier….On ne pourra plaider, occuper, instrumenter, sans avoir payé ses contributions.Tout employé du gouvernement, qui refusera l'impôt, sera immédiatement destitué.II est inutile de pousser plus loin l'énumération de toutes les mesures à prendre contre les contribuables, récalcitrans. Ces mesures se manifesteront d'elles-mêmes [p.157] dans la pratique, par l'application constante de ce principe : que le citoyen qui refuse l'impôt se place lui-même hors de la loi civile, et que la loi civile à son tour doit lui refuser sa protection dans tout ce qui ne porte pas directement atteinte à sa personne ou à ses biens.Mais, dira-t-on, la plupart de vos mesures exigent la coopération des Tribunaux ; et les Tribunaux ne voudront jamais prêter leur autorité au recouvrement d'un budget qui n'aura pas été voté d'une manière légale.C'est connaître bien peu l'esprit de fidélité et de sagesse qui anime la magistrature, que de lui supposer de pareilles dispositions. Croit-on qu'elle veuille livrer la France à la révolution, et qu'elle ne sache point apprécier la gravité des circonstances? Croit-on qu'elle ne sera pas la première à sentir l'impossibilité qu'il y avait pour la Couronne de réunir une Chambre nommée en haine de la Royauté, par des Électeurs constitués [p.158] eux-mêmes en état de révolte contre tous les priviléges établis par la Charte?Un budget voté dans un danger aussi imminent, par les principaux propriétaires du pays, par ses premiers magistrats, et par les chefs de l'armée ; un budget soumis à l'examen de la Chambre des Pairs et à la sanction du Roi, sera toujours pour les Tribunaux un budget légal, un budget dont ils s'empresseront de favoriser la rentrée par tous les moyens que la loi met à leur disposition.Ainsi, sur les 470 millions d'impôts qui forment la seconde partie du budget, et dont la réalisation ne peut avoir lieu que par le fait et le consentement des contribuables, la majeure partie rentrera :1°Par la fidélité et le dévouement d'un grand nombre de propriétaires;2° Par la nécessité où chacun se trouve d'assurer sa propriété, de faire valoir ses différens droits civils, de recevoir ses revenus;3° Par la crainte qu'éprouveront certains [p.159] contribuables de se créer des obstacles à l'exercice de leur profession.Enfin ; une faible et dernière partie du budget reste-t-elle encore à recouvrer, et se trouve-t-elle due par des gens en dehors pour ainsi dire de tous les intérêts civils ordinaires, et qui n'auraient pu être atteints par aucune des mesures du gouvernement ? Il est un moyen immanquable de les faire payer plus promptement encore que les autres.J'entends d'avance les cris de fureur et de désespoir que cette proposition va soulever contre moi. Mais ces cris plaisent à mon oreille en ce qu'ils me prouvent la profondeur du coup que j'ai porté aux révolutionnaires. J'aime à leur renvoyer toutes les alarmes qu'ils ont inspirées : « Qu’ils souffrent tous les maux qu’ils ont faits devant Troie ! »Quelle dureté peut-on trouver d'ailleurs dans des mesures dont il sera libre à chacun de s'éviter l'application? Un gouvernement peut-il souffrir qu'on se joue de ses lois ? Le pouvoir qui se laisse braver [p.160] a prononcé lui-même sa condamnation. Protection aux sujets fidèles; clémence aux sujets égarés et repentans ; guerre, guerre à mort aux rebelles : il n'y a pas de société hors de là.Que le Gouvernement déclare donc qu'après un premier délai, tous les contribuables retardataires seront assujettis au paiement du double impôt, comme dans des cas analogues on est assujetti au paiement du double droit d'enregistrement. Qu'il déclare ensuite qu'après un second délai, tous les contribuables retardataires deviendront débiteurs solidaires du déficit total de leur arrondissement. Ce délai expiré, le gouvernement choisira parmi les retardataires, comme tout créancier a droit de faire parmi ses débiteurs solidaires, ceux des plus imposés de l'arrondissement qui se seront montrés le plus ennemis de son autorité et qui auront le plus excité le peuple à la rébellion et les contraindra, par la saisie et la vente de leurs biens, au paiement du déficit entier de l’arrondissement. [p.161] Et comme le gouvernement: ne peut vouloir se faire payer deux fois, il subrogera, les retardataires contraints au paiement du déficit total; dans tous ses droits et actions contre les autres contribuables retardataires de l'arrondissement ; afin de mettre, les premiers en état de se faire rembourser par les derniers des sommes payées en leur acquit.Qui osera acheter les biens de ces généreux citoyens, m'allez-vous dire avec emphase ? Qui ? Tout le monde : vous-même, qui me le demandez ; leurs voisins, leurs amis, et leurs co-imposés eux-mêmes, dont le patriotisme ne tiendra pas contre l'occasion d'une acquisition avantageuse. Est-il des biens en France qui aient jamais manqué d'acquéreurs ? N'a-t-on pa s'acheté sous LOUIS XIV les biens des protestans proscrits ; et de nos jours ceux du clergé, du domaine, des émigrés, et des condamnés? Qu'auraient donc de plus sacré les biens des révolutionnaires ?Mais le peuple se révoltera ? Vous vous trompez, le peuple ne se révoltera pas [p.162] pour dix ou douze grands propriétaires tout au plus par département qui seront saisis et expropriés : il n'a pas le cœur si tendre pour les riches. La populace de Paris, payée par le cardinal de Retz, a bien pu se soulever en faveur du bon homme Broussel, dont la modeste fortune était l'objet de son respect; mais elle ne se soulèvera pas pour des banquiers et, de gros capitalistes. Une conséquence toute contraire résultera de la vente de leurs biens : ce sera de créer des royalistes, comme la vente des biens des émigrés a créé des révolutionnaires. Les mêmes alarmes qui ont tenu si long-temps les acquéreurs de biens nationaux en état d'hostilité contre le trône légitime, rendront les nouveaux acquéreurs des biens des révolutionnaires, ennemis irréconciliables de la république, et la Royauté se trouvera ainsi affermie par les moyens mêmes inventés pour sa ruine.Je dis plus : le petit commerce et les petits propriétaires se feront une maligne joie de voir ces hommes, aujourd'hui si [p.163] arrogans, descendus à leur niveau, et d'étudier comment ils supporteront leur patriotique pauvreté. Il sera curieux de voir nos Brutus de comptoir dépouiller leur suffisance pour revêtir l'austère maintien de martyrs des libertés publiques.Alors s'ouvrira une scène vraiment digne du pinceau des moralistes : on verra nos nouveaux Hampdens prêter d'abord une oreille avide aux pompeux éloges de leurs partisans et attendre quelque grand désordre qui les dédommage de leurs sacrifices.Mais bientôt les choses se présenteront à leurs yeux sous un aspect tout autre que celui sous lequel ils les auront considérées d'abord; et, témoins de la tranquillité publique, il leur paraîtra juste que leurs co-imposés les remboursent des avances qu'ils auront faites pour eux. Ceux-ci, pour l'honneur des principes ne voudront entendre à aucune concession ; les autres deviendront pressans : et l'on verra les plus ardens révolutionnaires, les doctrinaires les plus exaltés, les membres du comité [p.164] directeur eux-mêmes, poursuivre leurs co-imposés devant les tribunaux pour les forcer d'acquitter ces mêmes contributions qu'ils les auront excités naguères à ne pas payer.C'est ainsi que finira ce grand bruit dont la révolution nous menace. Cette prétendue résistance au paiement de l'impôt se dissipera en fumée, et ces timides conseillers qui, dans la crainte du combat poussent aujourd’hui la Royauté vers de honteuses et dangereuses concessions, apprendront à leur grande surprise, combien peu il fallait pour raffermir le trône et rétablir l'ordre dans l'État.Enfin, si la Royauté, par un excès de bienveillance et de générosité, jugeait à propos de faire intervenir la nation, d’une manière au moins indirecte, dans l'examen du nouveau système électoral qu’elle se propose de substituer au système existant, elle présenterait ce nouveau système ) l’assemblée des plus imposés, ainsi qu’à la Chambre des Pairs, et prendrait les conseils [p.165] de ces deux grands corps, sur les différentes dispositions de son projet de loi. Je dis leurs conseils, et je le dis à dessein: car, outre qu'il est de la plus haute importance que le Roi ne compromette pas son pouvoir constituant, auquel seul il appartient d'établir toutes les lois qui ont trait à la souveraineté, il faut encore que le Roi ait toujours présent à la pensée que, dans l'état de société que la révolution nous a fait, et au milieu des préjugés qui dominent les meilleurs esprits, il est absolument impossible qu’une bonne loi d’Élections sorte jamais du sein d’une assemblée quelconque. L'assemblée la plus éclairée et la plus dévouée restera toujours au-dessous d'une pareille tâche. Elle pourra bien présenter de sages observations sur un système déjà arrêté, mais non poser elle-même les bases d'un système monarchique. La Royauté seule a le secret de ses besoins ; seule, elle sait le degré de puissance qui lui est nécessaire pour résister aux nouveaux pouvoirs qu'elle a institués. Elle ne doit donc pas souffrir [p.166] que ce degré de puissance soit fixé par d'autres que par elle-même.Dans la situation actuelle de l'Europe, la Royauté a une force immense dont il faut qu'elle sache user.Les hautes classes lui sont acquises par l'intérêt de leur position sociale.Le peuple, le vrai peuple, indifférent à tout mode de gouvernement n’a rien à démêler avec la Royauté, tant que les avantages qu'il a conquis par la révolution lui seront conservés. S'il doit devenir un jour hostile à la Couronne, ce ne sera pas comme masse opprimée par le gouvernement, mais comme masse opprimée par l'ordre social en général, et toujours disposée à le bouleverser, sur quelque base qu'il soit assis.La classe moyenne est la seule qui soit véritablement hostile à la Royauté, parce qu’étant essentiellement vaine et jalouse, et généralement ignorante, elle aspire à faire disparaître les supériorités qui s'élèvent au-dessus d'elle. Mais, plus effrayée encore de l'intervention de l'Étranger [p.167] et des horreurs d'une nouvelle révolution, qu'impatiente d'établir la république, elle ne voudrait abattre la Monarchie que par des coups sourds et mesurés, qui se fissent à peine entendre au Prince placé sur le trône, et qui ne dussent avoir surtout aucun retentissement en Europe.Il suffit donc à la Royauté de déclarer à quelles conditions elle entend conserver le trône, et de mettre, pour ainsi dire, à la nation, le marché à la main. Quand la bourgeoisie se verra obligée de choisir entre ces conditions irrévocables et les hasards d'une révolution, elle reculera alors devant les menaces de l'avenir et finira par accepter avec soumission le nouveau traité qui lui sera proposé par la Couronne.La Royauté a essayé de tout, hormis de la force; elle a été renversée deux fois, et se voit près de l’être une troisième. Qu'elle ait donc recours à la force, puisque sa clémence est à bout; elle verra disparaître comme par enchantement tous les [p.168] obstacles qui s'opposent à l'exercice légitime de son autorité.Ah ! que, si, dans les premiers jours de la révolution, et même encore en 1792, la Royauté eût déployé devant les factieux toute sa force et toute sa majesté, elle nous eût évité de maux ! On tremblait dans la salle du manège pendant que les Suisses dégageait si noblement leur foi dans la cour des Tuileries. Un mouvement sur l'assemblée eût pu sauver la France; et tant de vertus, immolées depuis, vivraient encore pour l’illustrer !Espérons de la Royauté que le passé ne sera pas perdu pour elle. Le Roi sait quel ennemi menace son royaume ; il l'a vu, il l'a suivi dans le cours de ses effroyables ravages; il en a été atteint dans ce qu'il avait de plus cher. Nous abandonnera-t-il à sa fureur? Chargera-t-il sa conscience de nos nouveaux malheurs? Non; nos cris ne doivent plus porter le désespoir dans son cœur; il doit avoir péri avant que nous n'ayons été frappés.Français! je vous parle en frère, en [p.169] concitoyen, en ami. Au nom du Ciel, écoutez-moi ! Je ne suis point un émigré; je n'ai point de sang à venger, ni de privilèges à reconquérir. Sans liaisons à la Cour, sans rapport avec aucun Ministre, ni avec aucun homme aspirant à le devenir, je n'ai point d'ambition particulière à faire prévaloir : on ne m'a vu mêlé, ni parmi les congréganistes, ni parmi les royalistes, ni parmi les révolutionnaires; je suis pur de tout intérêt de parti : mais j'ai une ame, et je sens; une raison, et je juge : voilà pourquoi je veux la Monarchie et je hais la révolution. Il n'y a pas de citoyen qui vive plus obscur ni plus retiré que moi. J'étais conseiller à la Cour royale de Paris à l'époque de la restauration ; je le suis encore aujourd’hui. Je ne dois rien à la Couronne, rien aux libéraux, rien à aucun ministère ; s'il est quelqu'un en France qui soit indépendant, c'est moi. Aucun homme au monde n'a droit à ma reconnaissance; aucun n'aurait le crédit de me faire effacer une ligne de ce qu’il me semble utile de publier. Croyez donc à ma bonne foi, à ma [p.170] profonde conviction ; croyez aussi à des raisonnemens qu’on déclare ne vouloir pas combattre, et auxquels on ne répond que par des injures. Ils me peignent comme un insensé[11] ! Malheur à eux, s'ils ont assez peu de sens pour ne pas me comprendre ! Honte à eux, s'ils mentent à leur conscience et m'injurient par calcul!La Charte n'est point, comme on cherche à vous le persuader, un gouvernement populaire. Interprétée ainsi, développée en ce sens, elle périrait infailliblement parce qu'aucun des pouvoirs qu'elle a constitués n'est organisé de manière à soutenir le choc de la puissance du peuple.[p.171] La Charte est l’expression d’un Gouvernement monarchique et aristocratique ; c'est-à-dire que, dans tout pays où il existera à la fois une royauté héréditaire et une aristocratie puissante, il se formera avec le temps un gouvernement semblable à la Charte; et réciproquement, cette forme de gouvernement ne pourra s'établir ou se maintenir qu'autant que le pouvoir sera, ou restera placé, entre les mains de l'aristocratie.Dans tout pays, au contraire, où le pouvoir sera placé dans le peuple; il se formera une république; c'est-à-dire un gouvernement dans lequel tous les pouvoirs seront électifs. D'où il suit que, placer le pouvoir dans le peuple, comme s'efforcent de le faire les révolutionnaires, c'est s'efforcer de détruire la Charte, et de lui substituer la république.Entrons donc enfin dans l'esprit de notre nouveau gouvernement. Dépouillons-nous de notre vanité, de nos préjugés, et de nos haines. Établissons une aristocratie nationale, également ouverte à tous [p.172] les talens étalons les genres de services. Faisons-la héréditaire, parce que l’hérédité seule constitue des intérêts et des sentimens durables. Plaçons-y toutes nos gloires nouvelles : nos héros, nos magistrats, nos grands écrivains. Ne craignons pas qu'elle soit trop portée à défendre le trône : elle le sera assez, par son propre intérêt, à défendre nos droits.Ainsi sera accomplie la véritable fin de la révolution ; la fin vers laquelle tendaient tous nos vœux en 1789 et en 1814 ; la fin à laquelle nous bornerons toujours nos espérances, quand nous serons affranchis de toutes passions et que nous ne voudrons que la liberté.