Discours de Gambetta - Réunion des gauches du 16 mai 1877


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Réunion des Gauches le 16 mai 1877

(Discours et plaidoyers politiques de M. Gambetta, publiés par M. Joseph Reinach, 11 vol., Paris, G. Charpentier, 1880-1885, vol. VII, pp.7-10)

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La réunion plénière des députés républicains eut lieu à dix heures, au Grand-Hôtel. MM. Devoucoux, Louis Blanc, Houyvet, Floquet et Brisson prennent place au bureau. M. Devoucoux déclare la séance ouverte et donne la parole à M. Gambetta.

M. Gambetta. – La mission qui m’est impartie ne comporte pas de longs développements. Vous êtes tous au courant de la crise qui vient de s’ouvrir et des circonstances dans lesquelles elle s’est ouverte. Vous savez par quel acte singulier et en dehors de toutes les traditions du régime parlementaire, M. le président de la République a frappé d’interdit tout un ministère qui n’avait été mis en minorité dans aucune des deux Chambres.

En présence d’un acte qui révèle une politique tout [p.8] au moins personnelle, il est nécessaire que les représentants du pays envisagent, avec calme et sang-froid, la phase nouvelle dans laquelle semblent entrer les rapports des pouvoirs publics entre eux. Aussi, Messieurs, il est à peine besoin d’insister sur la nécessité qui s’impose à vous de commander à vos sentiments et de refouler en vous vos passions, même les plus légitimes. (Marques d’assentiment.)

En un pareil moment, nous avons donc à éviter toute discussion stérile et passionnée. Quand on veut accomplir un acte grave, marqué au coin de la force et de l’autorité, il faut savoir garder une attitude digne, tenir un langage correct, constitutionnel et légal. (Applaudissements.)

C’est pourquoi il vous a paru bon de vous réunir d’abord dans vos groupes distincts afin que de vos délibérations il sortît un acte dans lequel se refléterait exactement votre pensée commune et qui exprimerait la volonté de tous. Vous avez chargé vos représentants ordinaires de rechercher ensemble la formule à donner à cet acte, et c’est cette formule que nous vous apportons. Il serait oiseux d’ouvrir à l’heure actuelle une discussion sur cette décision qui a réuni l’unanimité de vos mandataires, de livrer à une dispute, à une argumentation nouvelle un document qui sera portée demain à la tribune du pays. Ce qui fait la force de cette manifestation, c’est l’accord unanime dont elle procède et qu’il importe de lui maintenir. Il ya dans la lettre présidentielle l’affirmation d’une responsabilité propre, l’affectation d’un pouvoir personnel. Vous y répondez par l’affirmation de l’autorité du pays dont vous êtes les représentants.

Vos délégués ont pensé qu’ils devaient affirmer trois idées principales :

Rétablir une fois de plus les principes du gouvernement parlementaire, sur la base de la responsabilité ministérielle scrupuleusement respectée ;

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Rappeler que la politique républicaine est la garantie de l’ordre et de la prospérité intérieure ;

Résister à toute politique de hasard qui, sous l’influence de certaines agitations coupables entretenues par je ne sais quel prétendant, pourrait lancer la France, ce pays de la paix, de l’ordre et de l’épargne, dans des aventures dynastiques et guerrières. (Longs applaudissements.) Cette triple affirmation se retrouve dans l’ordre du jour dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture :

« La Chambre,

« Considérant qu’il lui importe, dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu’elle a reçu du pays, de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire s’exerçant par la responsabilité ministérielle, est la première condition du gouvernement du pays par le pays, que les lois constitutionnelles ont eu pour but d’établir ;

« Déclare

« Que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu’à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes républicains, qui peuvent seuls garantir l’ordre et la prospérité au-dedans et la paix au dehors ;

« Et passe à l’ordre du jour. »

Messieurs,

Nous avons la confiance que la France ne se méprendra point sur le caractère de cet ordre du jour. Ce n’est pas une agression dirigée contre l’autorité du premier magistrat de l’État, mais une réponse aux entreprises de la camarilla qui l’obsède. Nous devons cette réponse au pays ; nous devons à la responsabilité même du Président de la République, qu’il convient [p.10] de dégager des intrigues qui s’agitent autour de lui, la vérité tout entière.

Messieurs,

Je vous adjure, au nom des pouvoirs, des droits et des libertés dont vous avez la garde, au nom de la patrie qui a besoin de connaître au plus tôt votre sentiment sur cette crise, de voter sans débat, avec l’unanimité qui s’est déjà manifestée dans la réunion de vos délégués. (Salve d’applaudissements.)