Discours de Thibaudeau du 7 floréal an III sur le Gouvernement et l’administration


Mots clés : Gouvernement - France - Exécutif

Discours de Thibaudeau du 7 floréal an III sur le Gouvernement et l’administration (extraits), in THIBAUDEAU A.C., Mémoires sur la Convention et le Directoire, Paris, Baudouin Frères, 1824, pp.330-349p.

 

Motion sur le gouvernement et l'administration

 

A.C. Thibaudeau

7 floréal an III

 

Citoyen, vous aviez chargé la commission des sept de vous présenter ses vues sur les moyens de donner plus de ressort et d’activité au gouvernement actuel. Les circonstances deviennent tous les jours si pressantes, et les délibérations sont si lentes, que j’ai cru ne devoir plus tarder d’apporter directement à la Convention nationale le tribut de mes réflexions sur cet objet important. Quoiqu’elles soient le résultat de plusieurs mois de méditation et d’expérience, je n’ai point la folle vanité de croire qu’elles doivent être adoptées par l’Assemblée comme un ouvrage parfait ; mais j’ose dire, parce que j’en ai la conscience, que le plan que j’ai à vous présenter est ce qu’il y a de mieux à faire dans une matière où nous sommes forcés, encore, par des circonstances impérieuses, de louvoyer, pour ainsi dire, avec les grands principes.

Si je parviens d’ailleurs à ouvrir les yeux trop longtemps fermés de la Convention, sur l’état où elle se trouve, et sur les dangers qui l’environnent ; si je provoque, comme je l’espère, une grande discussion sur notre situation politique, je ne doute pas que vous ne trouviez dans votre énergie les moyens de cicatriser les plaies profondes de la patrie, et de sauver la république.

L’un de ces moyens, le plus sûr, le seul peut-être qui vous reste, c’est de donner un gouvernement à la France. Tous les citoyens en sentent le besoin pressant, tous vous le demandent ; c’est à l’organisation d’un bon gouvernement que tiennent le crédit public, la sûreté des personnes et des propriétés, les approvisionnements, les succès des armées, le triomphe de la liberté et la prospérité de la nation. C’est pour atteindre ce but que vous allez vous occuper sans relâche de l’organisation de la constitution, et hâter le moment où elle pourra être mise en activité.

Ce serait avoir une bien fausse idée de la constitution d’un grand peuple et des lois nécessaires au maintien de l’ordre social, que de croire qu’elles pussent être improvisées dans quelques jours, et subitement exécutées. C’est ici surtout qu’il faut apporter toutes les combinaisons de la sagesse, si vous voulez faire un ouvrage durable et arrêter le torrent révolutionnaire.

Ainsi il serait imprudent et même insensé de fixer d’avance le terme où la liberté nationale sera entièrement garantie par un ordre constitutionnel. Il n’est aucun de vous, s’il n’écoutait que ses intérêts et ses goûts, qui ne désirât de pouvoir déposer sur-le-champ la portion de pouvoir qu’il exerce, pour devenir simple citoyen et donner l’exemple de l’obéissance aux lois de la république ; mais nous devons avant tout écouter nos devoirs et nous mettre en état de solder à livre ouvert cette grande compatibilité morale dont le peuple nous a chargée.

Ainsi, tandis que les membres que vous avez investis de votre confiance prépareront les lois organiques de la constitution ; pendant que vous les discuterez et jusqu’à ce qu’elles aient été acceptées par le peuple, vous devez prendre tous les moyens que prescrit la sagesse, pour faire marcher le gouvernement actuel et pour empêcher qu’il ne devienne la proie des factions ou des ennemis de la liberté.

Depuis cinq ans, nous marchons, pour ainsi dire, sans système en politique, en législation, en guerre, en finances.

Le hasard et la force des choses ont plus fait que les calculs de la raison.

Le gouvernement a moins résidé dans la représentation nationale que dans des corporations excentriques nées du patriotisme, maos dominées par des ambitieux.

La puissance extraordinaire de ces institutions détruisit la monarchie ; elle aurait fini peut-être par étouffer la république.

Sous le long décemvirat du comité de salut public, le gouvernement eut quelque force, mais il fut atroce et sanguinaire. Créé par la Convention, il méconnut bientôt l’origine de ses pouvoirs ; il domina avec l’instrument dont les factieux s’étaient toujours servis, et fut sans doute dominé souvent par cet instrument même.

Au 9 thermidor, il n’y avait plus de gouvernement, ou, pour mieux dire, il était retourné dans la Convention toute entière. Le sentiment douloureux de l’oppression tyrannique qui avait pesé sur tous ses membres et sur le peuple français, les détermina à saisir cette occasion pour disséminer le pouvoir.

L’expérience du passé, les craintes pour l’avenir présidèrent plus que les principes et la raison à la réorganisation du gouvernement.

Il fut confié à treize comités : le comité de salut public eut à peine le pouvoir strictement nécessaire pour continuer la guerre, et l’on n’a pas été longtemps à s’apercevoir que si le pouvoir était tyrannique, lorsqu’il était trop centralisé, il n’avait aucune force quand il était trop divisé, et qu’il fallait trouver un juste milieu entre le despotisme et l’anarchie.

La Convention ne doit pas abandonner dans ce moment les rênes du gouvernement à des mains étrangères ; elle ne pourrait s’en dessaisir sans danger. Un conseil exécutif, établi à côté d’elle, deviendrait nécessairement le point d’appui de tous les ennemis de la représentation nationale.

Il s’agit donc de rechercher d’abord la meilleure manière d’organiser le gouvernement dans la représentation nationale.

Il est temps de revenir aux principes et de se dépouiller des préjugés de la révolution ; car si elle en a beaucoup détruit, elle en a aussi produit quelques-uns.

Il ne faut pas que des préventions ou des craintes exagérées fassent dévier la Convention de ce qui peut la conduire au terme qu’elle se propose.

Le gouvernement doit avoir assez de connaissances pour embrasser, comme d’un regard, tous les besoins de la nation ; il doit être assez puissant pour faire toujours exécuter infailliblement les lois, assez dépendant des lois pour avoir la confiance du peuple, et être environné de ces attributs imposants qui impriment le respect aux citoyens et aux nations étrangères.

Il est évident que le gouvernement actuel n’a aucun de ces caractères essentiels.

Le premier, c’est de réunir toutes les connaissances, toutes les lumières administratives dans un seul point, dans une seule assemblée, quelque nom qu’on lui donne. Aujourd’hui, la république est gouvernée par treize comités qui ont à côté d’eux autant de commissions, et un bien plus grand nombre d’agences. Tous les objets du gouvernement sont disséminés sur ce grand nombre de points, et les connaissances d’administration qu’il faut concentrer, les lumières qu’il faut réunir, ne sont réunies nulle part.

Le comité de salut public est entravé dans presque toutes ses opérations, et obligé de se réunir souvent avec plusieurs comités pour délibérer sur les moindres mesures. Ces réunions occasionnent une assez grande perte de temps ; souvent il n’est plus opportun d’agir quand on a délibéré, et il ne peut rien faire seul, parce que son pouvoir est mutilé.

Les autres comités, qui ont aussi chacun une partie du gouvernement, prennent souvent des arrêtés incohérents, contradictoires, parce qu’ils n’ont pas de point central om les opérations se discutent et se concentrent. Enfin, il y a, pour ainsi dire, treize gouvernements qui ne peuvent ni se concilier, ni s’entendre, qui tirent les rênes en tout sens et qui entravent la marche des affaires, au lieu de l’accélérer.

Les commissions exécutives se ressentent des vices de l’organisation des comités : elles sont trop nombreuses, leur pouvoir est trop disséminé ; elles sont obligés d’établir, dans beaucoup d’affaires, une correspondance qui consume le temps, des bras, de l’argent, et qui en ralentit la marche d’une manière funeste à la chose publique.

Dans un gouvernement, aucune partie des besoins publics n’est isolée et séparée des autres, tout se lie et se tient par des rapports intimes. Cette vérité doit servir de base à tous les gouvernements : si on n’y revient pas, si on l’altère, on ne fait que modifier l’anarchie. Je n’entre point dans tous les développements de ce principe, mais les esprits exercés les sentiront facilement.

Dans une guerre, par exemple, qu’on fait sur terre et sur mer, il faut combiner incessamment ensemble les forces qu’on veut déployer. Le commerce, l’agriculture et les subsistances doivent être aussi considérés relativement à l’état de guerre et à l’état de paix. Le maintien de la tranquillité intérieure de l’Etat ne peut se séparer non plus de la situation des relations extérieures ; et enfin les finances, ce principe de vie, tiré de toutes les veines de la nation, et qui doit y circuler, exigent impérieusement la connaissance parfaite de toutes les parties de l’administration générale.

On voit donc que dans le gouvernement tout est rapports ; que ce sont ces rapports qui forment les points de lumière, et que si l’on sépare les objets, qui de leur nature doivent être rapprochés, toute lumière est éteinte, et ce n’est pas merveille si on gouverne mal, lorsqu’on gouverne dans les ténèbres. (Applaudissements).

Le second caractère que nous avons assigné à un bon gouvernement, c’est une grande force et une grande puissance : dans le gouvernement actuel, la puissance et la force, dispersées dans treize comités, et dans un nombre infini de commissions et d’agences, ne se font voir et ne se font sentir nulle part avec grandeur ; elles n’existent réellement nulle part. A chaque instant un comité ou une commission sont obligés d’avoir recours à une autre commission, à un autre comité, pour la moindre mesure : la plus petite affaire est trainée ainsi d’une compétence incertaine en une compétence plus incertaine encore. Le peuple ne peut prendre aucune considération pour des comités et des commissions qui déclarent si souvent qu’ils n’ont pas le droit de prononcer.

Une espère ce dédain que la faiblesse inspire toujours, s’attache ainsi aux dépositaires de la force nationale ; et c’est sur ce dédain principalement que tous les perturbateurs de l’ordre fondent leurs espérances et leur audace.

Jamais le gouvernement n’aura de force, s’il n’est concentré tout entier dans les mêmes mains. Quelque chose que l’on substitue à cette organisation, il n’aura qu’une correspondance difficile dans ses parties ; il n’aura point d’uniformité dans ses mouvements, l’exécution sera lente et difficile, surtout dans les opérations mixtes ; il n’aura jamais cette rapidité et cette consistance nerveuse qui assure son unité et son action, en ramassant toutes ses forces pour les diriger vers un but commun.

Vous avez à gouverner une vaste république, une immense population, à faire marcher des ressorts multipliés à l’infini et compliqués en tout sens, à faire mouvoir tous les membres de ce grand corps, à les mettre en harmonie les uns avec les autres, à diriger des armées considérables, à pourvoir à tous leurs besoins, à vivifier et à étendre vos relations extérieures.

Plus le territoire d’un état est considérable et sa population nombreuse, plus son gouvernement exige d’ensemble, de promptitude et d’activité. Ce principe, fondé sur l’expérience de tous les temps et de tous les gouvernements, reçoit encore plus de poids des circonstances où nous nous trouvons. Nous ne devons jamais perdre de vue que les résistances ouvertes ou cachées des ennemis de la liberté exigent dans le gouvernement une ardeur, une activité et une vigilance extraordinaires.

Le troisième caractère que nous avons assigné à un bon gouvernement, c’est l’impossibilité de mettre la volonté personnelle de ses agents à la place de la loi et de la pensée du législateur : c’est enfin l’impossibilité de substituer l’arbitraire aux décrets.

Mais, dans le gouvernement actuel de la république, lorsque la compétence de tant de comités, de tant de commissions, est si mal déterminée, il est impossible que quelques-uns d’entre eux, que mêmes tous peut-être ne restent souvent en deçà, et n’aillent souvent au-delà de leur véritable compétence. Dans un tel état de chose, nul ne peut savoir précisément quelle est la mesure de ses devoirs et de son pouvoir, et l’on manque également à ses devoirs, soit qu’on étende trop ses pouvoirs, soit qu’on les restreigne trop ou qu’on les affaiblisse. Ceux qui font le mal peuvent le faire sans s’en apercevoir, et ceux qui le souffrent ignorent s’ils ont ou s’ils n’ont pas le droit de s’en plaindre. Un mécontentement sourd se répand de toutes parts ; tantôt ceux qui souffrent étouffent leurs plaintes, parce qu’ils ne savent sur quoi la motiver, parce qu’ils ignorent si c’est la loi qui est mauvaise ou ses exécuteurs inhabiles. Quelquefois, au contraire, les plaintes et les accusations excèdent toute mesure, parce que ne voyant pas avec précision les torts du gouvernement, on le soupçonne et on le charge de tous ceux que l’on imagine. Cette situation est, sans aucun doute, la plus mauvaise et pour ceux qui gouvernent et pour ceux qui sont gouvernés ; cette situation est la nôtre.

Le quatrième caractère que nous avons assigné à un bon gouvernement, c’est d’être entouré d’attributs et de formes qui lui concilient à la fois la confiance du peuple et le respect de toutes les nations.

Quand le gouvernement est divisé en tant de parties, aucune de ces parties et de ces subdivisions ne peut réunir les augustes attributs qui frappent l’imagination et le cœur des hommes. Si le peuple est heureux, il ne peut voir distinctement d’où lui arrive son bonheur ; il ne sait quelle mesure il doit louer ou bénir. La tradition des opérations sages ne s’établit point, et le gouvernement perd la partie le plus éminemment active et bienfaisante de sa force, celle qui résulte de ses droits à la reconnaissance publique. (On applaudit).

Le résultat de toutes ces réflexions, puisées dans la nature des choses et dans l’expérience, m’a déterminé à vous proposer de confier le gouvernement à un seul comité, le comité de salut public.

On dira que c’est reconstituer l’ancien comité de salut public, et exposer la république à tous les maux qui ont déjà pesé sur elle.

Le comité de salut public n’était point une institution vicieuse dans son principe ; elle l’est devenue par une foule de circonstances qui ne s’offriront jamais et que la Convention peut toujours empêcher de renaître.

Si l’on eût tenu fermement au renouvellement des membres de ce comité, si ses fonctions eussent été bien déterminées, s’il n’avait pas extorqué surtout le droit de vie et de mort sur les représentants du peuple, et l’initiative exclusive de toutes les lois, ce comité n’aurait pas opprimé la Convention et la république.

Vous trouverez dans la funeste expérience que vous avez faite de l’abus du pouvoir, les moyens de le prévenir : le principal, le plus sûr, est l’amovibilité rigoureuse des membres du comité de gouvernement à des époques fixes. Au surplus, ma dernière, ma seule réponse à toutes les objections, est dans votre courage, et si vous n’aviez pas la confiance de votre force, quelle que fût l’organisation du gouvernement, vous ne parviendrez plus à sauver la patrie. (Vifs applaudissements.)

Mais il faut circonscrire le comité de salut public dans les bornes qui lui avaient été prescrites lors de sa création, et par toutes les lois rendues depuis. Il doit avoir le gouvernement, c'est-à-dire la pensée, la volonté, la délibération ; mais il ne doit rien exécuter par lui-même ; c’est à des agents responsables que tous les détails, tous les ordres et toutes les mesures d’exécution doivent être renvoyés.

Il faut oser dire une vérité trop longtemps dissimulée, c’est que la confiance ne peut plus s’attacher à une forme de gouvernement qui présente encore la Convention, une partie de la Convention, un comité de la Convention, comme agent unique du pouvoir exécutif, comme pouvoir exécutif pour le fait et pour les formes. C’est là en effet la véritable raison de l’inertie ; lenteur dans la délibération, lenteur dans l’exécution ; incertitude dans l’une et l’autre ; voilà le résultat inévitable de l’absence de toute espèce de responsabilité.

Il ne faut donc plus confondre le gouvernement et l’administration, la volonté et l’exécution, la cause et l’effet. Nous avons acquis une forte preuve des malheurs que cette confusion doit produire. Lorsque le gouvernement était concentré, il était monstrueux, tyrannique, redouté et haï. Lorsqu’il a été divisé en treize comités, par une raison inverse, il a été sans vigueur, sans énergie, sans moyens, parce que la même erreur présidait à cette institution. Tout en professant que l’on voulait un gouvernement si improprement appelé révolutionnaire, on opérait dans un sens directement opposé à l’activité que la révolution exige. Le mal continuera tant que nous serons asservis à cette réunion de tous les pouvoirs, tant que la Convention sera chargée des détails multipliés de l’exécution et d’une responsabilité immense et cependant positive ; il est donc temps, il est absolument nécessaire de séparer le gouvernement de l’administration. La Convention doit seule gouverner par son comité de salut public ; des agents responsables doivent seuls exécuter, administrer, sous la surveillance du comité. Ce n’est donc point une innovation, c’est ramener les choses où elles étaient dans leur origine.

En effet, le comité de salut public fut créé, dans le principe, que pour remplacer la Convention dans les délibérations qui devaient demeurer secrètes ; telles que les opérations de la guerre et les relations extérieures ; mais il ne fut chargé que de surveiller et d’accélérer l’action de l’administration confiée au conseil exécutif provisoire ; et on lui donna le droit de suspendre ses arrêtés, lorsqu’il les croirait contraires à l’intérêt national, et de prendre, dans les circonstances urgentes, des mesures de défense générale extérieure et intérieure ; ses arrêtés devaient être exécutés par le conseil exécutif.

Ainsi, l’intention de la Convention ne fut point de donner alors à son comité de salut public l’administration générale de la république, mais seulement la surveillance de cette administration. Le comité n’était point exécutif, mais chargé de hâter l’action du pouvoir exécutif ; il n’était qu’une espèce de conseil d’État chargé de vouloir pour la Convention dans les matières qui n’étaient pas susceptibles d’être discutées ou délibérées publiquement.

Le comité de salut public ne resta point dans les bornes que lui prescrivaient également et la loi et l’intérêt général ; les ambitions particulières, l’avidité du pouvoir y attirèrent presque toute l’administration ; il devint, pour ainsi dire à la fois, ordonnateur et exécuteur.

Le 12 germinal de l’an II, le comité vous proposa la suppression du conseil exécutif provisoire ; il vous disait :

« Les six ministres et le conseil exécutif provisoire supprimés, remplacés par douze commissions rattachées au comité de salut public sous l’autorité de la Convention nationale ; voilà tout le système. »

« Le comité de salut public se réservant la pensée du gouvernement, proposant à la Convention nationale les mesures majeures, prononçant provisoirement sur celle que le défaut de temps ou le secret à observer ne permettent pas de présenter à la discussion de l’Assemblée, renvoyant les détails aux diverses commissions, se faisant rendre compte chaque jour de leur travail, réformant leurs actes illégaux, fixant leurs attributions respectives, centralisant leurs opérations pour donner la direction, l’ensemble et le mouvement qui leur sont nécessaires ; tel est succinctement le tableau de la nouvelle organisation. »

Le décret de la Convention fut conforme à ces principes ; mais le comité de salut public continua de se charger d’une grande partie des détails de l’administration ; c’est ce qu’il s’agit de réformer aujourd’hui, si vous ne voulez pas voir périr la chose publique. Les décemvirs vous parlaient souvent de la garantie du gouvernement, il est temps de stipuler la garantie des gouvernés.

Ce que j’ai dit des commissions exécutives, ce que l’expérience a fait connaître à tous les citoyens, prouve qu’il y a des réformes à faire ; cependant je ferai observer que lorsqu’on s’occupe d’organiser un gouvernement définitif et stable, il faut être extrêmement circonspect sur les changements provisoires.

La création subite de douze commissions à la place du conseil exécutif, a dû nécessairement occasionner de grandes dépenses. Il n’y a rien de plus simple en apparence que l’idée d’un nouveau système de gouvernement ; mais c’est dans l’exécution que se présentent toujours les difficultés, et souvent une interruption funeste dans les affaires, surtout lorsqu’on change tout-à-coup le matériel et le personnel.

Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point ; tout le monde connaît le mal ; il ne s’agit plus que de trouver le remède.

Je pense qu’on pourrait supprimer beaucoup d’agences, qui sont une sorte de pouvoir, et qui tendent souvent à se rendre indépendantes des commissions auxquelles elles appartiennent, pour les rendre ce qu’elles doivent être, de simples divisions intérieures dans les commissions. (Nouveaux applaudissements.)

Qu’il serait nécessaire de rapprocher les parties de l’administration que la nature des choses rend dépendantes l’une de l’autre, qui doivent marcher ensemble, et qui ne peuvent marcher qu’ensemble à cause de leurs analogies respectives.

Tout le monde sent bien la nécessité de réduire le nombre d’employés subalternes : il en faut dans les administrations ; mais cette profession cesse d’être honorable, lorsqu’elle n’est pas utile, et ceux qui l’exercent ne sont estimés qu’en raison de leur nombre.

Mais je pense aussi qu’on doit faire tous ces changements, toutes ces améliorations sans secousses, et les préparer avec sagesse : ce soin appartiendra à votre comité de salut public qui vous le proposera.

Quelle que soit l’organisation matérielle de votre administration générale, le succès dépendra toujours du choix des agents qui seront chargés de la diriger. Si l’ignorance, la vanité et l’inexpérience restent au timon des affaires ; si on confie l’administration de la chose publique à des hommes incapables de gérer leurs affaires personnelles ; si on veut continuer à n’employer que des instruments tout neufs et proscrire aveuglément ceux que de grands services et une longue expérience ont fait connaître, alors tout est perdu. En vain aurez-vous construit un bon vaisseau ; s’il n’est pas conduit par un pilote habile, il périra.

Tous les citoyens sont sans doute appelés aux fonctions publiques ; il n’y a d’autres distinctions que celle des talents et des vertus ; mais rappelons souvent ce principe consacré dans la Déclaration des droits, dont l’oubli a causé de si grands maux à la patrie.

Il faut aussi rendre aux agents de la république cette force morale sans laquelle il est vrai de dire que le pouvoir est impuissant. Il y a eu un système d’avilissement qui avait pour but de flétrir tout ce qui tenait à la république. Il fut un temps où un ministre était plus responsable envers une société ou une fraction du peuple, qu’envers la représentation du peuple toute entière. Faut-il s’étonner ensuite que les hommes de bien aient eu de la répugnance pour ces fonctions ? Que la convention ait toujours les yeux ouverts sur la conduite des agents du gouvernement, qu’elle les frappe quand ils sont coupables ; mais qu’elle entoure leurs fonctions du respect et de la confiance sans lesquels il est impossible de faire le bien.

Ici se présente une question intéressante, celle de l’envoi des représentants du peuple dans les départements.

Cette mesure serait désormais plus désastreuse qu’utile. Avec les pouvoirs illimités dont ils sont revêtus, ils continueraient évidemment à entraver la marche du gouvernement, et à détruire son unité. (Vifs applaudissements.)

Le système des commissaires n’est véritablement qu’une calomnie ambulante contre les autorités constituées des départements.

Il est temps d’accoutumer les administrations à n’obéir qu’à la loi, et à marcher seules dans la ligne des fonctions qui leur sont déléguées ; il est temps de mettre un terme à ces épurations indéfinies, à ces destitutions arbitraires qui ont réduit les autorités constituées à la nullité, et les fonctionnaires publics, comme tous les citoyens, à la servitude ; car, dans un tel régime, les hommes vertueux et instruits n’acceptent une place que comme une charge ; et l’homme ignorant ou ambitieux, pour exercer le pouvoir et se procurer des jouissances.

Rendez à tous les citoyens cette énergie qui signala les premières années de la révolution ; le temps n’est pas éloigné peut-être où ils en auront besoin. Rapprochez du peuple l’élection de ses magistrats, en attendant que vous puissiez, par une organisation des diverses branches de la constitution, lui remettre la plénitude de ses droits. Que la liberté ne soit plus un vain mot ; tous les Français la réclament ; vous la devez à des millions de citoyens qui combattent depuis cinq ans pour elle ; alors tous les cœurs, longtemps flétris par l’oppression et par tous les crimes de la tyrannie, s’ouvriront à l’espoir du bonheur. (On applaudit vivement.)

Cependant il faut encore, dans cette partie, ne pas perdre l’occasion de faire le bien, en voulant, par une précipitation irréfléchie, le faire tout d’un coup. L’envoi des représentants du peuple près les armées est encore utile, et n’a pas les mêmes inconvénients ; et dans le cas où vous croirez devoir en envoyer dans les départements, je propose de limiter leurs pouvoirs à l’objet de leur mission.

Sans doute le gouvernement que je propose sera revêtu d’une grande puissance ; mais vous ne pouvez plus, sans compromettre le salut public, laisser durer longtemps le relâchement qui se manifeste de toutes parts et jusque sous vos yeux, dans l’exécution des lois et de toutes les mesures de gouvernement : tout le monde commande, personne n’obéit. (On applaudit.)

Vous ne pouvez plus souffrir que la représentation nationale soit exposée aux attentats d’une poignée de factieux, et que, lorsque la république française a porté dans toute l’Europe l’étendard de la victoire, elle soit outragée par quelques ennemis insolents, ou par quelques mécontentements individuels. Il faut savoir, enfin, si, lorsque vous faites une paix glorieuse avec l’Europe, au nom de la république française, on espère rétablir la royauté dans son sein, vous faire trembler par des mouvements intérieurs, et avilir, dans vos personnes, la dignité et la souveraineté du peuple français.

Représentants, vos ennemis vous sont connus, hâtez-vous de neutraliser leurs forces. Osez frapper, ils disparaîtront bientôt ; songez que la faiblesse aliène tous les esprits, et qu’il n’y a qu’une volonté forte et confiante qui puisse inspirer de la confiance aux sincères amis de la liberté (On applaudit de toutes parts.)

J’espère que vos comités vous indiqueront bientôt les moyens de déjouer les espérances coupables que l’on a l’audace de manifester depuis longtemps ; mais ils seraient inutiles si vous n’organisez pas votre gouvernement.

Républicains, ne perdez point courage ; ceux qui disposent contre vous de nouvelles attaques, vous préparent de nouvelles victoires. Apôtres incorrigibles de la royauté et de l’anarchie, les mêmes mains qui ont fondé la république, sont encore là pour creuser votre tombeau. (De vifs applaudissements éclatent de toutes parts.).