Chapitre XX - Dernière réflexion sur le parallèle des deux Constitutions de France & d'Angleterre


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CHAPITRE XX.

Dernière réflexion sur le parallèle des deux Constitutions de France & d'Angleterre.

L'Assemblée Nationale de France, qui vouloit à tout prix de la gloire, & qui se trouve aujourd'hui si déconcertée, avoit une route ouverte, pour arriver à ce terme, le premier objet de ses vœux. Quel rôle magnifique elle pouvoit jouer, au milieu des Nations, si, occupée à rédiger un Code de lois pour un grand Peuple, elle eût rassemblé vers un centre ses idées éparses, & se fût rangée, en quelque manière, autour de la Constitution politique la plus renommée de l'Europe, avec le noble dessein de la prendre pour modèle, dans toutes les dispositions, qui pouvoient convenir à la France & qui n'avoient pas été contredites par l'expérience ! Les Anglois, car on présume bien [p.400] que c'est de leur Gouvernement dont je parle, se fussent empressés eux-mêmes de nous dénoncer les corrections dont leur systême politique avoit besoin ; & toutes les Nations, attentives à l'examen qui devoit précéder la plus auguste des adoptions, auraient été persuadées, que c'étoit de leurs intérêts, dont on traitoit à l'avance ; puisque la même liberté politique une fois établie, chez deux Peuples rivaux & les premiers de l'Europe, ce double exemple d'une liberté sans désordre, aurait acquis une telle autorité, qu'entraînant avec force toutes les opinions, il auroit fait la destinée du Monde.

Il eût fallu se prosterner devant des Législateurs qui auraient suivi cette marche ; & loin qu'un sage esprit d'imitation, leur eût rien fait perdre en renommée, la terre entière eût rendu des hommages, à la moralité de leurs intentions & aux heureux effets de leurs foins généreux. Quelles idées ingénieuses, quels traits d'originalité, auraient pu être mis en parallèle avec une semblable réussite ! [p.401] & c'est toujours, par le résultat de leurs travaux, qu'on apprécie les Législateurs ; ils touchent, dans l'exercice de leur Pouvoir, à une telle immensité d'intérêts, qu'il est impossible de les en séparer, & de leur faire un sort, à part du bonheur & du malheur des Nations.

Toutes les ambitions, tous les genres de gloire, ne conviennent pas non plus à un Corps collectif. Les honneurs d'une métaphysique primitive, ne relient jamais en propre à aucune Assemblée ; car on ne suppose point que le grand nombre ait pu percer dans ces arrières-retraites, où l'espace se rétrécit toujours en remontant ; & c'est par ce motif, entre beaucoup d'autres, que le succès est la seule gloire qui puisse suffire à un grand partage.

C'étoit donc d'idées positives, dont les Législateurs de la France dévoient s'environner ; c'étoit à des réalités qu'il leur importait de s'attacher. Le long chemin, qui prend son commencement à l'origine des [p.402] choses, avoit été décrit par tant de voyageurs, que l'Assemblée Nationale n'avoit pas besoin de s'engager dans la même route, pour nous le faire connoître. Elle nous eût bien mieux instruits, elle nous auroit bien mieux servis, si, la Constitution d'Angleterre à la main, elle se fût demandée ouvertement & publiquement : Qu'aurions-nous à ajouter à cette Constitution, pour assurer davantage l'ordre public? Qu'aurions-nous à retrancher des diverses autorités dont elle est composée, afin de perfectionner le systême de la liberté? Quelles institutions nouvelles aurions-nous à préparer, pour étayer plus surement la moralité du Peuple? Ces premières questions auroient amené toutes les autres ; & bien loin alors, que le Pouvoir Exécutif eût pu rester parfaitement oublié, chaque partie de ce Pouvoir auroit été recensée, & l'on auroit connu, si, parmi les prérogatives attribuées au Monarque Anglois, il en existoit d'inutiles au maintien de l'ordre public & à [p.403] l'action du Gouvernement. On auroit vu peut être, que l'étendue de l'Armée de ligne rendoit raisonnable, une circonscription dans le nombre des grades qui seroient laissés à la nomination du Prince; on auroit vu de même, que, dans un Royaume aussi vaste que la France, des Administrations collectives réunissoient de grandes convenances; mais qu'il étoit indispensable de les soumettre au Pouvoir Exécutif suprême, par tous les liens & tous les rapports qui constituent une véritable dépendance. On auroit vu peut-être, que ces mêmes Administrations pouvoient servir à éclairer, d'une manière régulière, & à resserrer même, dans un cercle, les divers choix remis à l'autorité du Monarque. On auroit vu peut-être, que l'on pouvoit adopter un terme moyen, entre la brièveté de nos Législatures & la longueur des Parlemens. On auroit vu peutêtre, que le nombre des Pairs du Royaume devoit être limité, & leur nomination soumise à de certaines conditions. On auroit [p.404] surtout évité, comme l'a fait sagement l'Assemblée Nationale, l'inégale distribution des droits de représentation. On auroit encore prévenu les élections turbulentes, dont l'Angleterre présente souvent le scandale, en adoptant, ou les moyens dont nous faisons usage, ou d'autres encore plus propres à remplir le même but. Enfin, toujours en respectant les grands principes & les grands moyens, qui forment, ensemble & de concert, ce lien si difficile entre l'ordre & la liberté, entre l'action de l'autorité & la modération des Pouvoirs, on eue apporté à la Constitution d'Anglete[r]re, tous les amendemens, que la raison & l'expérience auroient conseillés. Quel monument superbe on auroit élevé, si l'on n'avoit pas voulu que tout fût neuf, ou en eut l'apparence ! si l'on n'avoit pas voulu que chaque pierre de l'édifice fût marquée du signe de notre imagination, & datée de l'Ere de notre génie. Ah! que la vanité nous a fait de mal ! Il existoit, là, un Gouvernement, où la tranquillité, la [p.405] confiance, l'ordre public, & le mouvement régulier de l'Administration se trouvoient unis à la plus parfaite liberté civile & politique. Et nous avons fait, ici, un Gouvernement, où le désordre est partout, où tout le monde commande, où personne n'obéit, où la loi du plus fort est la seule observée, où la liberté n'est qu'en dévise, la morale en maxime, & le bonheur en vanterie. Mais avant d'arrêter plus particulièrement notre attention, sur les tristes effets de nos fautes & de nos erreurs, avant de jeter un dernier regard sur l'état de la France, considérons encore, sous de nouveaux rapports, le sujet important que nous avons entrepris de traiter.

Fin du Premier Volume.