Chapitre XIV - Droit de Paix & de Guerre


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CHAPITRE XIV.

Droit de Paix & de Guerre.

Le choix que fait une Nation de l'un des Pouvoirs dont son Gouvernement est comparé, pour lui confier, le droit de contracter des alliances, le droit de déclarer la guerre, le droit de signer la paix ; ce choix qui doit fixer, en quelles mains sera déposée la plus importante des attributions politiques, ne peut être étranger à la dignité du Monarque ; mais comme des intérêts encore plus essentiels, doivent influer sur une déternation d'un genre si grave, je n'ai pas dû mêler cette discussion aux réflexions générales que je viens de présenter sur la Majesté du Trône, & sur les diverses circonstances propres à la relever ou à l'affoiblir.

Tout le monde fait, qu'en Angleterre, le [p.274] Roi peut faire la guerre & la paix, & contracter toutes sortes d'engagemens de politique & de commerce, sans le concours d'aucune autre autorité que la sienne.

On présente ainsi le Monarque aux Puissances étrangères, avec toute la dignité nécessaire pour traiter honorablement & avantageusement des affaires de la Nation ; mais le Gouvernement n'est: pas moins contenu par deux freins salutaires. Il ne peut avoir des fonds pour la guerre, ni pour aucune entreprise hostile, sans le consentement du Parlement; & la responsabilité des Ministres, est une garantie efficace du soin qu'ils prendront de consulter l'opinion publique, dans toutes leurs transactions guerrières ou pacifiques.

Nous avons voulu aller plus loin, & l'imperfection de notre loi sur la paix & la guerre, a montré la justesse de la ligne de démarcation, observée par les Anglois, dans la fixation des Pouvoirs destinés à décider ces importantes questions. Elle nous a fait [p.275] bien du tort, cette Nation, en occupant, à l'aide du temps, à l'aide d'un sens calme, le poste de convenance dans le vaste systême de l'Administration ; car, entraînés par amour-propre, à vouloir une place à nous, une place nouvelle & jusques là vacante, nous nous sommes vus forcés de la prendre à côté de la raison, & souvent encore, à plus grande distance.

Il faut, pour montrer le rapport de ces réflexions avec le sujet que je traite, rappeler d'abord les termes mêmes de la Loi Constitutionnelle de France, relative au droit de paix & de guerre[1].

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Cette loi, sans être plus favorable au maintien de la paix, que la loi d'Angleterre, obscurcit inutilement la Majesté du Trône, entrave les négociations politiques, & donne [p.277] à la Nation une grande infériorité dans ses transactions au dehors.

Si les divers Souverains de l'Europe, fidèles aux règles de la plus parfaite loyauté, ne se faisoient jamais la guerre, qu'après s'être avertis de leurs desseins par une déclaration formelle, une Assemblée nombreuse, qui délibéreroit publiquement sur l'adoption ou sur la rejection d'une mesure de cette importance, seroit à-peu-près au niveau d'un Roi, méditant dans le secret de ses Conseils. Mais, on est instruit par l'expérience, que la politique des Princes s'affranchit, quand il leur plait, de ces gênes morales. Et alors il n'y a aucune égalité entre un Monarque qui déclare la guerre en la faisant, & une Assemblée Nationale qui discute à huis ouverts une pareille question, & qui manifeste ainsi, ses dispositions, bien avant l'époque, où son action devra commencer. Elle peut, sans doute, adopter ou rejeter la proposition d'une guerre, avec une telle promptitude que les inconvéniens d'une publicité prématurée, [p.278] soyent essentiellement écartés ; mais une telle accélération ne peut exister qu'aux dépens de la sagesse, aux dépens des règles d'une prudente circonspection, & c'est un autre malheur. Comment d'ailleurs attendroit-on une délibération rapide sur un sujet si grave, à moins que l'opinion n'eût été préparée dans ces Clubs ou ces Sociétés qui dominent l'Assemblée des Législateurs? Mais alors l'objection seroit la même, & son application seule seroit changée.

Supposons maintenant l'hypothèse, où deux puissances, après avoir examiné long-temps s'il leur convient ou non de faire la guerre, se déterminent à rester en paix. L'une d'elles a pu renfermer ses incertitudes dans le secret d'un Cabinet politique, & n'a point éveillé la défiance, L'autre, par sa Constitution, a laissé voir ses doutes à toute l'Europe, elle a montré peut-être qu'une légère majorité, dans une Assemblée nombreuse, a déterminé son systême pacifique ; les alarmes naissent au dehors, les mesures de défense [p.279] y font ordonnées; ces mesures amènent des précautions réciproques, la querelle s'engage, & la guerre devient le résultat, d'une simple discussion faite avec publicité.

Le même Décret sur la paix & la guerre, que j'examine en ce moment, présente un autre sujet de critique. On y défend au Monarque, de déclarer la guerre sans le consentement du Corps Législatif, & l'on y suppose néanmoins formellement, que des hostilités auront pu être commencées par le Gouvernement ; mais des hostilités sont communément la plus expressive des déclarations de guerre. On ne pourvoit donc, que d'une manière très-douteuse & très-imparfaite, aux conséquences de ces hostilités, en réservant au Corps Législatif, le droit de les faire cesser, & en rendant les Ministres responsables des délais; car des hostilités commencées, en entraînent d'autres de la part de la Nation attaquée, & l'on n'est pas sûr d'en suspendre l'action en s'arrêtant soi-même.

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Il faut donc que les hostilités, comme les déclarations de guerre, émanent de la même décision, & les préparatifs, avant-coureurs de ces démarches, doivent encore être soumis à la même autorité, car souvent ils suffisent pour engager une querelle politique.

On ne sait comment expliquer, la manière dont l'Acte Constitutionnel s'exprime sur le droit de commencer les hostilités; il ne délègue, ni ne refuse ce droit au Pouvoir Exécutif, & l'on a besoin de chercher l'esprit de la loi dans quelques paroles transitoires.

Cependant, on ne peut pas mettre en doute, qu'aux termes du Décret, le Gouvernement ne soit tacitement autorisé à déterminer une semblable mesure, puisqu'on y lit ces paroles : « Dans le cas d'hostilités imminentes ou commencées, le Roi en donnera, sans délai, la notification au Corps Législatif, & en fera connoître les motifs. »

C'est bien des hostilités commencées par le Roi, & non par une autre Nation, dont [p.281] en veut parler, puisqu'on oblige le Gouvernement à en faire connoître les motifs, & que, dans un autre article, il est dit que, sur le vœu du Corps Législatif, le Roi prendra sur le champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les Ministres, demeurant responsables des délais. Comment pourroient-ils faire cesser les hostilités des autres Nations, sous leur responsabilité !

Cette explication, d'ailleurs, paroît confirmée par un article, où il est dit : « Si le Corps Législatif trouve que les hostilités commencées, soient une agression coupable de la part des Ministres, ou de quelqu'autre agent du Pouvoir Exécutif, l'auteur de l'agression sera poursuivi criminellement. » Ce sont donc uniquement les agressions coupables, & non toutes les hostilités indistinctement que l'on interdit.

Mais, ce n'étoit point d'une telle manière, ce n'étoit point d'une manière indirecte qu'une Assemblée Législative, devoit s'expliquer sur une question d'une si grande conséquence ; [p.282] & l'on peut d'autant moins se rendre raison d'une tournure si extraordinaire, que l'Assemblée, en parlant du droit de déclarer la guerre, & du droit de faire des préparatifs, s'est exprimée très-distinctement, & en ces termes :

La guerre, ne peut être décidée que par un Décret du Corps Législatif.

Le Roi seul, peut faire des préparatifs de guerre, proportionnés à ceux des États voisins.

Pourquoi donc, le Décret Constitutionnel ne fait-il mention des hostilités, que d'une manière ambiguë, en cas d'hostilités imminentes ou commencées, & c? Une telle forme est si bisarre, qu'on est forcé de croire à l'embarras des rédacteurs de ce Décret. Mettre en article : Le Roi a le droit de commencer des hostilités, tandis qu'on avoit dit: la guerre ne peut être décidée, que par un Décret du Corps Législatif, auroit fait rire toute l'Europe, & l'on couroit le risque, que, dans l'Aréopage National, une voix s'élevât pour demander, si des hostilités [p.283] n'étoient pas une déclaration de guerre, & pour rappeler, que depuis long-temps, la plupart des guerres avoient commencé par des hostilités, & que les déclarations de guerre avoient été changées, en manifestes justificatifs d'une agression faite sans aucun avertissement.

D'un autre côté, prendre une marche opposée, & mettre en article : les hostilités ne peuvent être décidées, que par un Décret du Corps Législatif, c'eût été ménager un grand avantage aux autres Nations ; & quelqu'un dans l'Assemblée, se rappelant que les dernières guerres maritimes, avoient commencé par l'enlèvement subit de tous nos vaisseaux & de tous nos gens de mer, auroit demandé s'il étoit politique de rendre, à l'avance, impossible, toute revanche de ce genre & d'augmenter ainsi la sécurité d'un pareil genre d'agression envers nous.

Les Membres du Comité Législateur, au milieu de leur embarras, se seront dit, peut-être, esquivons la difficulté en parlant [p.284] transitoirement & d'une manière obscure, de l'article des hostilités ; on ne s'en appercevra pas, & en réduisant la question aux vaines déclarations de guerre, nous pourrons, en apparence & sans contradiction, adjuger au Corps Législatif, le premier rôle politique. Le Comité ne s'est point trompé, & ce Décret, où l'on autorise le Monarque à ordonner les préparatifs de la campagne & à commencer les hostilités, & où l'on réserve au Corps Législatif le droit de décider de la guerre, ce Décret a été trouvé dans Paris la plus belle chose du monde.

Portons, maintenant, notre attention sur les dispositions relatives aux Traités de Paix, d'alliance & de commerce : on voit que le Roi, selon les Décrets Législatifs & Constitutionnels, jouira de l'autorité nécessaire, pour arrêter & signer ces diverses conventions ; mais elles n'auront de validité, qu'après la ratification du Corps Législatif.

Cette condition, simple en apparence, se compliquera beaucoup dans son application [p.285] politique, & il en résultera, que les Traités seront plus difficiles à négocier, ou moins avantageux à la Nation Françoise. Une partie contractante, ne se détermine communément à faire connoître sa dernière cession, qu'au moment où elle est certaine de pouvoir terminer à ce prix. Jusques-là, elle craindroit de donner avantage sur elle, en faisant connoître le sacrifice, auquel sa position ou ses intérêts la contraignent ; & sa réserve augmenteroit, si la foiblesse Constitutionnelle du Pouvoir négociateur, n'offroit aucune garantie morale de l'approbation du Corps politique, auquel la ratification des Traités est attribuée. D'ailleurs, si l'on cumule ensemble, & cette disproportion de forces, & la supériorité du privilège départi à l'Assemblée Nationale, & l'influence encore d'un autre droit qu'elle s'est réservée, celui de réquérir le Pouvoir Exécutif de négocier la paix, il est évident que le Corps Législatif demandera d'être instruit du cours des négociations ; & cette information devenant [p.286] un sujet de controverse au milieu d'une Assemblée nombreuse, la Nation étrangère contractante sera parfaitement éclairée sur les dispositions du Corps Législatif ; & comme la nature de son Gouvernement la rendra maîtresse de toutes les parties de son secret politique, la supériorité dont elle jouira, sera pareille à l'avantage d'un négociant, qui, par une puissance magique, connoîtroit les dernières intentions des vendeurs ou des acheteurs, sans être jamais obligé de découvrir les tiennes à l'avance. Il seroit à coup sur, avec ce talisman, la plus grande fortune.

Souvent, d'ailleurs, il n'est qu'un moment pour terminer convenablement une négociation politique, car l'assentiment de la Puissance contractante, peut dépendre de plusieurs circonstances passagères, de plusieurs circonstances même, que la publicité seule de la négociation commencée, dénature absolument. Et quand on pense encore, que, par un débat introduit au milieu d'une Assemblée nombreuse, que par la seule nécessité [p.287] de ce débat préalable, la fin d'une guerre seroit peut-être retardée d'une année ; quand on pense qu'une paix indispensable pourroit être éloignée, par les discours fanfarons de tous les quêteurs d'applaudissemens, on frémit d'un pareil danger, & l'on ne peut s'empêcher de croire, que les Anglois ont agi sagement, en remettant au Chef de l'État, le pouvoir nécessaire pour traiter de la paix d'une manière définitive, & pour conduire à leur dernier période toutes les négociations politiques. Et peut-on douter, que, dans une Constitution libre, la responsabilité des Ministres, n'offre une sauve-garde suffisante contre leur trahison, ou contre leur mépris de l'opinion publique ? Il est donc un terme, où, pour l'intérêt de l'État, pour son avantage évident, la défiance doit être contenue ; mais ce point d'arrêt a presque toujours été manqué par nos Législateurs, & il ne faut pas s'en étonner; les hommes, naturellement entraînés vers les extrêmes, le sont bien davantage, lorsqu'ils [p.288] ont, par-dessus tout, le désir de plaire au Peuple; car les idées de sagesse & de mesure, échappent communément a cette multitude flottante, qui regarde avec distraction la marche des hommes d'État, & dont on ne fixe l'attention, dont on ne gagne les suffrages, que par des nouveautés colorées, & par des exagérations frappantes.

Je défendrois bien, cependant, la partie de la Constitution, relative au droit de paix & de guerre ; mais ce seroit, en rejetant le blâme sur la Constitution entière ; ce seroit en disant, que, dans l'état de foiblesse & d'inconsidération où l'on a mis le Gouvernement, il ne pourroit, lors même qu'on lui en laisseroit le droit, conclure aucun Traité, sans le concours de l'Assemblée Nationale. Il est de certaines proportions dans l'édifice social, comme dans les ouvrages d'architecture, qui en exigent nécessairement d'autres; & supposer qu'un Gouvernement, sans aucune influence au dedans, eût le moyen & le droit d'exciter ou d'appaiser au [p.289] au dehors les orages politiques, ce seroit une idée absolument désordonnée.

Que l'on y prenne garde, la séparation des Pouvoirs, à tel objet qu'on l'applique, ne peut jamais être l'effet d'une décision arbitraire, consacrée sous l'un ou l'autre titre de l'Acte Constitutionnel. Cette disposition est d'un ordre si grand, par sa nature, qu'elle sera toujours, avec les lois, ou malgré les lois, le résultat nécessaire de l'organisation générale du systême social. Ainsi, sans m'astreindre à lire l'article du Code politique, où les relations extérieures d'une Nation sont déterminées, je saurois que, par tout où l'on a, comme en France, remis tant de pouvoir entre les mains du Peuple, c'est lui qui directement, ou par ses Représentans, ou par ses Chefs de cabale, fera la guerre & la paix.

Sans doute, il importe à une Nation, que ses vœux ayent une grande influence dans les déterminations de ce genre ; mais l'empire de l'opinion est susceptible d'abus [p.290] comme tous les autres, & son pouvoir aussi, a besoin d'être soumis à des règles sages. Rien n'est si difficile que de poser habilement tant de barrières. La Constitution Angloise elle-même, n'a pu simplifier le droit de guerre, puisqu'en le confiant au Monarque, elle s'est réservé la liberté d'accorder, ou de refuser les fonds nécessaires à toute espèce d'entreprise extraordinaire. Ces deux principes se combattent évidemment, & ils ne sont mis en accord que par la pression supérieure de l'opinion publique, & par l'influence de l'harmonie, établie dans le systême général du Gouvernement ; mais, sous telle forme que ce soit, il est précieux, pour un pays, que l'assentiment national soit nécessaire aux projets de guerre ou à leur exécution. Il peut arriver, sans doute, que les Représentans du Peuple soyent les premiers moteurs d'une aggression politique, & l'Angleterre en fournit plusieurs exemples; mais le nombre de ces entreprises, décidées par le mouvement de l'opinion [p.291] publique, ne peut être mis en parallèle, avec le nombre des guerres, dues au génie inquiet & ambitieux des Gouvernemens, qui n'avoient à compter avec personne ; & il suffit d'ouvrir l'histoire, pour être convaincu de cette vérité. Peut-être même, que le premier bienfait d'une Constitution sage, d'une Constitution où les Représentans de la Nation environnent le Monarque, c'est la diminution, dans un temps donné, des querelles politiques & des malheurs qui les accompagnent. On ne sauroit apprécier ce que vaudroit pour l'humanité, une seule guerre de moins dans un siècle ; mais dans ce vague incalculable, on sent avec plaisir, qu'une grande pensée morale a plus d'influence sur le bonheur, que tous les développemens de cette science politique, placée au premier rang de nos richesses spirituelles, par tous ceux qui habitent les moyennes régions de la philosophie.