Jacques Necker, De la révolution, tome II, Paris, F. Dufart, 1797 (extraits)


Jacques Necker, De la révolution, tome II, pp.44-48.

[p.44]

[...]

Une pensée m'est souvent venue, en remarquant [p.45] la facilité, ou plutôt la résignation avec laquelle le roi donna son consentement à plusieurs décrets dont il désapprouvoit le but et les principes. Il vouloit, je le crois, ménager et rassembler toutes ses forces, pour obéir à sa conscience, en s'opposant à la loi destructive des instituts ecclésiastiques, lesquels, dans son opinion, étoient étroitement liés à la conservation pure du culte religieux et de la foi catholique; et l'on a vu sa longue résistance et toute l'expression de sa douleur, quand il fut contraint de céder.

Le roi, cependant, avant l'époque du décret sur la destruction des rangs dont je viens de parler, mais lorsqu'il étoit encore à Versailles, s'étoit opposé avec fermeté à un systême de désorganisation dont les progrès ont été si rapides. Il tempéra le zèle inconsidéré des deux premiers ordres, lorsque la nuit célèbre du 4 août 1789, et dans l'ivresse d'une générosité fastueuse, ils prodiguèrent à l'envi leurs sacrifices, et consacrèrent le noviciat d'un parfait désintéressement, par un entier oubli de la chose publique. Les observations du conseil, adressées à l'assemblée nationale, et qui doivent la ramener à une marche plus prudente, produisirent une grande sensation; et le public impartial, si l'on n'avoit pas étouffé sa voix, auroit approuvé de même le langage du roi le jour où on lui [p.46] proposa de donner son assentiment aux premiers principes constitutionnels, et à la déclaration des droits qu'on y avoit réunie. La réponse du roi à l'assemblée nationale, est remarquable par son époque, la veille du 5 octobre; elle l'est aussi par le rapprochement de ses expressions sages et mesurées avec les mouvements tumultueux auxquels elle servit de prétexte. Je la transcris ici:

"Messieurs, de nouvelles loix constitutives ne peuvent être bien jugées que dans leur ensemble; tout se tient dans un si grand et si important ouvrage. Cependant, je trouve naturel que dans un moment où nous invitons la nation à venir au secours de l'état, par un acte signalé de confiance et de patriotisme, nous la rassurions sur le principal objet de son intérêt. Ainsi, dans la confiance que les premiers articles constitutionnels que vous m'avez fait présenter, unis à la suite de votre travail, rempliront le vœu de mes peuples, et assureront le bonheur et la prospérité du royaume, j'accorde, selon votre désir, mon accession à ces articles, mais à une condition positive et dont je ne me départirai jamais, c'est que par le résultat général de vos délibérations, le pouvoir exécutif ait son entier effet entre les mains du monarque. Une [p.47] suite de faits et d'observations, dont le tableau sera mis sous vos yeux, vous fera connoître que dans l'ordre actuel des choses, je ne puis protéger efficacement, ni le recouvrement des impositions légales, ni la libre circulation des subsistances, ni la sûreté individuelle des citoyens. Je veux cependant remplir ces devoirs essentiels de la royauté. Le bonheur de mes sujets, la tranquillité publique et le maintien de l'ordre social en dépendent; ainsi je demande que nous levions en commun tous les obstacles qui pourroient contrarier une fin si désirable et si nécessaire.

" Vous aurez sûrement pensé que les institutions et les formes judiciaires actuelles ne pouvoient éprouver de changemens, qu'au moment où un nouvel ordre des choses y auroit été substitué ; ainsi je n'ai pas besoin de vous faire aucune observation à cet égard.

" Il me reste à vous témoigner avec franchise, que si je donne mon accession aux divers articles constitutionnels que vous m'avez fait remettre, ce n'est pas qu'ils me présentent tous indistinctement l'idée de perfection; mais je crois qu'il est louable en moi de ne pas différer [p.48] d'avoir égard au vœu présent des députés de la nation, et aux circonstances allarmantes qui nous invitent si fortement à vouloir par-dessus tout, le prompt rétablissement de la paix, de l'ordre et de la confiance.

" Je ne m'explique point sur votre déclaration des droits de l'homme et du citoyen; elle contient de très-bonnes maximes, propres à guider vos travaux; mais des principes susceptibles d'applications, et même d'interprétations différentes, ne peuvent être justement appréciés, et n'ont besoin de l'être qu'au moment où leur véritable sens est fixé par les loix auxquelles ils doivent servir de première base."

Telle fut la réponse du roi; elle donne une idée de son anxiété de ce moment-là, et elle fait connoître aussi le degré d'exaltation auquel le parti dominant devoit s'être élevé pour marquer, comme il le fit, son mécontentement avec tant de violence.