Discussions importantes débattues au Parlement d'Angleterre par les plus célèbres orateurs, tome 3


Mots clés : Parlement d'Angleterre

DISCUSSIONS IMPORTANTES, DÉBATUES AU PARLEMENT D'ANGLETERRE, PAR LES PLUS CÉLÈBRES ORATEURS, Depuis trente ans ; Renfermant un choix de Discours, Motions, Adresses, Répliques, &c. accompagné de Réflexions politiques analogues à la situation de la France, depuis les États-Généraux.
Ouvrage traduit de l'Anglois.
TOME TROISIÈME.
À PARIS,
Chez Maradan &Perlet, Libraires, hôtel de Châteauvieux, rue S. André des Arcs.
1790.

[p.1]

 

Table des matières contenues dans ce troisième volume.

 

Neuvième section. Des affaires de religion.

 

Discours du lord Littleton, pour révoquer le bill qui naturalisait les Juifs, 1753. ______ 1

Remercîmens des catholiques d'Irlande, au comte d'Harcourt, sur son administration,

1777. _________________________________________________________________ 8

Pétition des catholiques d'Édimbourg et de Glasgow, sur les persécutions qu'ils

éprouvent, 1779. _______________________________________________________ 10

Discours du comte de Carlisle, sur l'adultère, 1779. ___________________________ 21

Discours du duc de Richmont, sur le même sujet, 1779. _______________________ 27

Discours de M. Fox, sur le même sujet, 1779. _______________________________ 29

Idem, par lord Beauchamp, 1779. ________________________________________ 30

Discours du lord Nugent, sur le même sujet, 1779. ___________________________ 32

Discours de M. Yelverton, sur les catholiques d'Irlande, les Turcs, &c. 1780. _______ 35

Discours de M. Walter Burgh, sur le même sujet, 1780. ________________________ 36

[p.2]

Précis des loix pénales contre les catholiques, 1780. __________________________ 38

Discours de l'évêque de Landaff, en faveur des catholiques, 1780. _______________ 43

Exhortation à tous les catholiques d'Irlande, 1780. ____________________________ 44

Discours de lord Beauchamp, sur les avantages de favoriser les catholiques,1780. __ 47

Discours de lord North, en faveur des catholiques, 1 780. ______________________ 51

Discours de l'alderman Bull, sur les dangers de tolérer le papisme, 1780. _________ 54

Exclamation de M. Burke, sur l'obstination à rejetter tout ce qu'on avoit avancé

en faveur de la tolérance, 1780.___________________________________________ 58

Discours de l'archevêque de Cantorbéry, en faveur d'un prêtre catholique romain,

1780. ________________________________________________________________ 59

Discours du marquis de Rockingham, sur le même sujet, 1780. _________________ 62

Discours de l'évêque de Bath-And-Wells, sur les catholiques, 1780. ______________ 65

Discours du lord chancelier, sur l'interdiction aux catholiques d'enseigner, 1780. ___ 67

Autre du lord chancelier, sur le même sujet, 1780. ___________________________ 76

 

Dixième section. De la guerre d'Amérique.

 

Discours du comte de Chatham, dans lequel il démontre l'injustice et les conséquences

de la guerre d'Amérique, 1775. __________________________________________ 81

[p.3]

Discours de M. Wilkes, sur le même sujet, 1775. ____________________________ 93

Discours de lord Mansfïeld, sur l'inculpation intentée contre lui dans la guerre

d’Amérique,1775. ____________________________________________________ 104

Discours de M. Wilkes, tendant à punir les auteurs de cette guerre injuste, 1775. __ 107

Discours du marquis de Rockingham, contre la guerre d'Amérique, 1775. ________ 115

Discours du comte Temple, sur la situation déplorable de l'Angleterre, 1776. ______ 117

Discours du duc de Manchester, contre la guerre d'Amérique, 1776. _____________ 123

Harangue de Jean Rutledge, au conseil législatif et à l'assemblée-générale, tenue à

Charles-Town, pour les féliciter sur les derniers avantages, 1776. _______________ 129

Remercîmens du conseil, au discours précédent, 1776. ________________________ 132

Réponse de Jean Rutledge, à ces remercîmens, 1776. _________________________ 134

Proclamation, qui ordonne un jeûne général, 1776. ___________________________ 135

Discours de M. Wilkes, sur le rappel des flottes et la révocation, les actes injurieux

aux Américains, 1776. __________________________________________________ 138

Invective de M. Burke, sur le refus d'entendre les remontrances de New-Yorck,

1776. ________________________________________________________________ 148

Adresse des représentans de l'état de la baye de Massachuset, sur l'injustice des armes

angloises, 1777. _______________________________________________________ 152

Discours du général Conway, sur l'opiniâtreté des ministres contre les colons d'Amérique,

1777. ________________________________________________________________ 161

[p.4]

Réplique de M. Fox, au solliciteur général qui l'avoit entrepris dans un discours précédent.

Reproches piquans, 1777. _______________________________________________ 163

Discours de Washington à ses soldats, 1777. ________________________________ 166

Discours du gouverneur Johnston, présentant à la chambre la requête du propriétaire

d'un navire pris par des vaisseaux Espagnols, 1777. __________________________ 167

Reproches de M. Temple Luttrell, au ministre, sur quelques propos indiscrets, 1777. __ 169

Discours du chevalier Asteley, sur le même sujet,1777. _________________________ 171

Remercîmens des habitans de Rhode-Island, au comte de Percy gouverneur, 1777. __ 173

Réponse, 1777. _________________________________________________________ 175

Discours du comte de Chatham, sur la nécessité d'arrêter la guerre d'Amérique, 1777. __ 176

Acte de la république de Pensylvanie, pour obliger les habitans de cet état à prêter le serment

spécifié, 1777._____________________________________________________________ 183

Manifeste de Washington, sur la proclamation anti-constitutionnelle de Burgoyne, 1777. __ 185

Discours du duc de Richmont, sur les dangers et l'injustice de la guerre d'Amérique,

1777. _____________________________________________________________________ 191

Discours de M. Wilkes, contre l'opiniâtreté des ministres, à continuer cette guerre, 1777. __ 211

Discours du même, contre les dépenses que cette guerre nécessite, 1778. ______________ 232

Adresse du Congrès aux États-Unis d'Amérique, contenant un tableau de toutes les injustices

commises contre eux, 1778.____________________________________________________ 236

[p.5]

Extrait du message du gouverneur Livinghston, à l'assemblée de New-Jersey, 1778. ______ 25o

Extrait de quelques considérations politiques du même, à la même assemblée, contre les hypocrites ;

danger d'accorder une amnistie, 1778. ___________________________________________ 254

Discours des Chefs ou Sachems Oncides, à une troupe de jeunes Indiens, prêts à joindre

les drapeaux de Washington, 1778. ______________________________________________ 265

Discours de M. Wilkes, au sujet de sa majesté, soutenant que la paix est dune nécessité absolue,

et que l'alliance de la France les confirme dans leur indépendance, 1778. _______________ 268

Discours du comte d'Abingdon, contre la proclamation de S. M. concernant les sujets d'Amérique,

1778. ______________________________________________________________________ 293

Discours du lord Gower, sur quelques objections des membres qui avoient parlé contre le manifeste,

1778. ______________________________________________________________________ 298

Discours du duc de Richmont, sur l'atrocité de la guerre d'Amérique. Preuves, 1778. ______ 300

Discours du lord Littleton, sur l'espoir desubjuguer l'Amérique, 1778. ___________________ 307

Réponse du lord Stormont, à qui l'on demandoit s'il avoit eu connoissance des intentions de la France

à l'égard de l'Amérique, 1778. __________________________________________________ 312

Invectives du lord Shelburne, contre les ministres, 1778. ____________________________ 316

Discours de M. Burke, contre la guerre d'Amérique, 1778. ___________________________ 317

Discours du lord Nugent, à l'effet de cesser toute querelle, 1778. _____________________ 325

[p.6]

Réplique du lord North, à une motion, de rétablir la paix avec l'Amérique, 1779. _________ 326

Discours de félicitation sur l'anniversaire de la liberté Américaine, 1779. _______________ 327

Pétition des négocians de la Jamaïque, sur le danger où cette île est exposée, 1780. ______ 332

Réponse du lord Sandwich, 1780. _______________________________________________ 336

Réplique du marquis de Rockingham, à cette réponse, 1780. _________________________ 338

Motion du comte de Sandwich, pour remercier l'amiral Rodney, 1780. __________________ 340

Discours du marquis de Rockingham, ayant le même objet, 1780. _____________________ 341

Discours du général Conway, sur les désavantages de la guerre incitée par les évêques ;

nécessité de tourner les forces contre la maison de Bourbon, 1780. ____________________ 343

Proclamation contre les rebelles, 1780. ___________________________________________ 350

Adresse aux assesseurs des différentes plantations de Massachusetts-Bay, 1780. _________ 353

Adresse du conseil suprême de Pensylvanie à ses habitans, 1780. _____________________ 368

Discours de lord Lewisham, dans lequel il recommande une vigueur constante à soutenir la guerre

d'Amérique, 1780. ____________________________________________________________ 380

Réplique de M. Townshend, au discours précédent, 1780. _____________________________ 383

 

Onzième section. Accusations contre particuliers.

 

Dénonciation, par M. Wilkes, des attentats envers sa personne, 1763. ___________________ 385

[p.7]

Discours de lord Clive, sur les accusations intentées contre lui, 1772. ____________________ 389

Autre du même, sur la manière dont on prépare les sujets destinés au service de la compagnie

des Indes, 1772. _______________________________________________________________ 395

Réponse de lord Clive aux imputations avancées contre lui, 1773. _______________________ 401

Réponse de sir Hugh Palliser à une accusation, 1778. _________________________________ 402

Plainte du général Howe, contre le ministre de la guerre, 1778. _________________________ 404

Réplique de lord Germaine, à quelques inculpations, 1778. _____________________________ 406

Discours de lord Shelburne, sur la conduite de l'amirauté, dans l'accusation contre Keppel,

1778. ________________________________________________________________________ 408

Discours touchant Keppel, dans lequel il demande une enquête publique sur sa conduite,

1778. ________________________________________________________________________ 410

Discours de l'amiral Keppel, servant d'introduction à sa défense, 1779. ___________________ 412

Discours du président du conseil de guerre, à Keppel, en l'absolvant, 1779. ________________ 425

Discours de l'orateur des communes à l'amiral Keppel, 1779. ____________________________ 427

Réponse de l'amiral Keppel, 1779. __________________________________________________ 430

Discours de M. Fox, contre la négligence du premier lord de l'amirauté, 1779. _______________ 432

Réponse de lord North, au discours précédent, 1779. ___________________________________ 438

Réplique de M. Townshend, 1779. ___________________________________________________ 440

Discours de l'amiral Keppel, 1779. __________________________________________________ 442

Discours de M. Fox, contre le premier lord de[p.8]l'amirauté coupable envers Keppel, 1779. __ 444

Réplique de lord Mulgrave, 1779. ___________________________________________________ 455

Continuation du même sujet, par lord North, 1779. ____________________________________ 462

Discours de M. Fox, pour faire déclarer à la chambre que l'état actuel de la marine ne répondoit pas

aux assertions des ministres, &c., 1779. _____________________________________________ 468

Réplique de lord Mulgrave à M. Fox, 1779. ___________________________________________ 470

Discours de M. Luttrell, dans lequel il discute la motion proposée, 1779. ___________________ 473

Observation préalable, au président de la cour, par sir Hugh Palliser, par rapport à Keppel,

1779. _________________________________________________________________________ 478

Discours du même, servant d'introduction à sa défense, 1779. ___________________________ 479

Discours de lord Nugent, qui s'oppose à l'enquête proposée de la conduite de lord Howe et

de sir William, 1779. _____________________________________________________________ 485

Discours du général Burgoyne, sur la production à la chambre, d'une lettre privée, 1779. _____ 489

Fragmens concernant l'amiral Keppel, dans l'affaire d'Hugh Palliser, 1779. _________________ 499

Pétition du comte de Ponfret, à la chambre des pairs, 1780. _____________________________ 504

Fin de la table du tome troisième.

[p.1]

 

DISCUSSIONS IMPORTANTES, TIRÉES DU PARLEMENT D'ANGLETERRE.

 

Neuvième section. Des affaires de religion.

 

Discours éloquent de lord Littleton, sur la nécessité de révoquer l'acte du Parlement qui naturalisoit les Juifs. Il pense que le Bill de révocation fera taire les bruits les plus injurieux qui s'étoient élevés contre les Évêques les plus respectables, pour avoir favorisé cet acte. Troubles & divisions qu’occasionneroit nécessairement la naturalisation des Juifs. Dangers du fanatisme. La tolérance, au contraire, & la liberté, font le bonheur d'un État.

 

Du 16 Février 1753.

Monsieur l'Orateur,

Je ne vois pas qu'il soit nécessaire dans ce moment, de priser le bill passé dans la dernière session en faveur des Juifs, qui les naturalise ;[p.2]parce que je suis convaincu, que, vu le caractère & le sentiment actuel de notre nation, pas un Juif ne croira lui être avantageux de profiter de cette faveur ; c'est pourquoi la révocation de cet acte, ne nous sait rien perdre. Je donnai l'année dernière, mon consentement à ce bill, espérant qu'il pourroit attirer ici quelques riches familles de Juifs, pour s'établir parmi nous. Dans cette vue, j'y trouvai de l'utilité, & je fus plus porté à le recevoir qu'à le désapprouver. Mais qu'il y ait sous le ciel, un homme qui puisse s'échauffer d'un beau zèle, pour ou contre cet acte, je vous avoue que je ne m'en serois jamais douté. Ce qui tient à notre auguste religion, est assurément d'une très-grave importance ; Dieu nous garde d'avoir jamais de l'indifférence à cet égard ! Mais ici, j'avais pensé qu'il n'y avoit pas plus de rapport entre ce bill & la religion, qu'il n'y en auroit entre elle & un acte de droits d'entrée, que nous viendrions d'établir. Au reste, malgré tout ce que vos théologiens ont pu dire sur ce sujet, je n'aurai jamais d'autre manière de penser.

La résolution & la fermeté, sont des qualités excellentes, sans doute, mais il faut savoir les appliquer à propos. Un sage gouvernement, M. l'Orateur, ne s'y trompe point ; il sait quand il faut céder ou résister ;& il n'y a point de[p.3]marque plus assurée d'un esprit étroit, en fait d'administration, que de s'obstiner pour des misères ; la prudence dans le gouvernement public, exige, en certaines occasions, de condescendre à de certaines folies populaires, surtout chez une nation libre, où l'on doit consulter l'humeur du peuple, comme on considère, avec soin, dans une monarchie, l'humeur & le caractère du souverain. Dans l'un & l'autre gouvernement, un ministre sage & vertueux doit céder quelque chose à des folies de peu de conséquence, tandis qu'il s'opposera, avec force, à des écarts d'une plus grande importance. Ne pas savoir se prêter quelquefois à ces fantaisies du peuple, seroit, de la part d'un ministre, montrer qu'il ne connoît pas les hommes ; comme ne pas résister en tout tems, avec fermeté à ses débordemens, seroit en lui, une petitesse reconnue, & une basse lâcheté.

Non, Monsieur, je ne vois point le bill, qui, dans ce moment, fait l'objet de nos débats, comme un sacrifice fait au désir du peuple ; en effet, il ne sacrifie rien : je le regarde plutôt comme une sage considération des conséquences & de la nature du soulèvement & des clameurs, que le dernier acte de naturalisation avoit occasionnés, & qui semble exiger de vous une attention particulière.[p.4]Le règne de sa majesté a été jusqu'ici un exemple rare & digne d'être envié, de félicité publique : ses sujets ont joui d'une tranquillité si bien affermie, tellement exempte de toutes disputes & de haines de religion, qu'on ne peut pas comparer avec ce règne aucun de ceux des siècles précédens. Le véritable esprit du christianisme, celui de modération, de charité & de bienveillance universelle, a prévalu chez le peuple, il a prévalu dans toutes les classes du clergé, & il a pris la place des principes étroits, des préjugés superstitieux, du zèle ignorant, furieux & implacable, qui souvent ont bouleversé l'église & l'état. Mais aujourd'hui, par rapport à un acte du parlement, qu'on a mal saisi, qui en lui-même ne dit rien, & sur lequel il vous faut revenir, on va prendre occasion de nous enlever ce trésor inestimable. Ce sera, monsieur, un prétexte pour troubler la paix de l'église, pour semer dans les esprits de fausses craintes, & pour rendre la religion elle-même une arme & un instrument de divisions. Il est donc de la piété & de la sagesse du parlement d'étouffer tout ce qui tend à ce but.

Le tort le plus sensible qu'on puisse faire à la religion, c'est, monsieur, d'en pervertir l'usage ; c'est de la faire servir à des projets de factions. Il n'y a pas plus de distance entre le ciel & la[p.5]terre, qu'il y en a entre la violence, entre l'esprit de parti & la douceur de l'évangile. On a appellé saintes les guerres les plus atroces qu'on connoisse. Celui qui hait un autre homme, parce qu'il n'est pas chrétien, ne l'est pas lui-même. Le christianisme, monsieur, inspire la paix, il respire l'amour & la bienveillance envers nos semblables. La conformité à la doctrine de cette sainte religion, a distingué, dans ces derniers tems, cette nation ;& certes, monsieur, c'est pour elle une glorieuse distinction Mais, prenez garde que dans tous les tems, il y a caché dans les esprits de la multitude, une étincelle d'enthousiasme ;& que si le vent de quelque parti vient à la ranimer, elle peut, au moment qu'on la croyoit toute-à-fait éteinte, soudain se rallumer, & produire un incendie. L'acte du parlement de la dernière session qui naturalise les Juifs, a fourni sans qu'on y songeât, un aliment à cet incendie : jusqu'où l'embrasement, s'il continuoit plus long-tems, pourroit il s'étendre ? C'est ce que personne ne peut dire : mais ôtez cet aliment, & de lui-même le feu s'éteindra.

C'est un malheur pour tous les pays catholiques Romains, que l'église & l'état, que la puissance ecclésiastique & civile aient des intérêts différens, & que ces deux pouvoirs soient rarement d'accord. Ce qui sait notre bonheur, c'est pour tous,[p.6]la forme d'un seul & même système : tant que cette harmonie existe, ce qui frappe la hiérarchie, frappe l'état ;& tout ce qui peut affoiblir le crédit de ceux qui gouvernent l'église, enlève à la puissance civile une partie de sa force, & en même-tems, ébranle toute notre constitution.

Je crois, monsieur, & j'ose assurer, qu'en passant promptement le bill proposé, vous ferez taire tous les bruits injurieux contre nos révérendissimes prélats, (la plupart les plus respectables qui aient encore orné l'église anglicane), touchant la part qu'ils ont prise à cet acte que vous allez annuller. Et toute la nation est infiniment intéressée à ce que, pour des clameurs populaires contre une démarche, de peu de conséquence en elle-même, les évêques ne perdent pas le respect qui leur est dû. Mais, si en vous désistant de votre premier plan, vous ne détruisez pas les préjugés qui s'étoient élevés si méchamment, je m'assure que pour les dissiper, vous feriez inutilement de nouvelles démarches ; aussi j'espère que vous vous arrêterez-là. Ce sera une juste & sûre condescendance, qui ne peut offenser personne : mais tout ce qui iroit au-delà, deviendroit d'une foiblesse dangereuse pour le gouvernement : ce seroit ouvrir la porte au zèle le plus étrange, & autoriser les attaques les plus à craindre de la haine politique, armée par le[p.7]fanatisme. Que si vous l'encouragez, si vous laissez tomber ses coups sur la synagogue, bientôt il s'attaquera à nos églises & aux palais de nos rois : nous devons donc être très-attentifs à réprimer ses premières atteintes. Plus notre zèle pour le christianisme sera véritable, plus nous en aurons à maintenir la tolérance. Si nous ramenons au contraire la persécution, nous rappellons avec elle l'esprit le plus anti-chrétien & de papisme. Or, où règne cet esprit, suit bientôt tout le système conforme à ses principes. La tolérance est la base de la tranquillité publique, c'est un caractère de liberté, accordé à l'esprit, je pense plus estimable que tout ce qui assure nos vies & nos fortunes. La tolérance & la liberté se tiennent inséparablement ; car où l'esprit est contraint, où la conscience est subjuguée, il n'y a plus de liberté. La tyrannie spirituelle porte avec elle des chaînes cruelles, & c'est le despotisme civil qui la suit, qui les rive & les assujettit. Voilà ce que nous voyons en Espagne & dans plusieurs autres pays. Nous avons été en Angleterre, dans les derniers siècles, nous-mêmes témoins & victimes de ces scènes sanglantes : par la miséricorde de Dieu, nous sommes délivrés de toute espèce d'oppression, prenons garde que jamais elle puisse revenir[1] !

[p.8]

 

Humble adresse des Catholiques d'Irlande, présentée à son Excellence Simon, Comte d'Harcourt, Lord-Lieutenant & Commandant général de ce Royaume, de remercimens, sur la justice, la sagesse & la douceur de son administration.

 

Du 20 janvier 1777.

Nous, les catholiques romains d'Irlande, formant une portion considérable des fidèles & loyaux sujets de sa majesté, prenons la liberté d'offrir à votre excellence nos très-humbles remercimens, de la douceur & de la protection que nous avons éprouvées sous le gouvernement de notre très-gracieux souverain, pendant l'administration juste & sage de votre excellence.

Nous sommes unanimement pénétrés de reconnoissance des loix sages & utiles faites sous les auspices de votre excellence pour le bien général de ce royaume : en particulier nous nous trouvons heureux que ce soit durant la vice-royauté de votre excellence qu'il a plu à sa majesté d'approuver le nouveau serment de fidélité (duquel on exclut la partie qui regarde la suprématie ecclésiastique du roi) auquel notre clergé[p.9]& nous avons souscrit avec autant de satisfaction que de bonne volonté.

Nous remarquons avec joie, que pendant que des scélérats de différentes sectes ont, de tout temps, cherché à troubler la paix & la tranquillité de ce royaume, tandis qu'une rébellion dénaturée se manifestoit dans les colonies de sa majesté, votre excellence a vu le corps des catholiques romains tenir une conduite constamment paisible, & marquer la plus exacte soumission aux loix & à la personne de notre souverain.

Nous nous plaisons dans l'idée qu'une conduite qui résulte de la reconnoissance dont nous sommes pénétrés pour la tendresse & l'humanité avec laquelle votre excellence nous a toujours traités, sera regardée comme la preuve la moins équivoque de la sincérité de notre attachement. Nous nous flattons que sa majesté en étant instruite par votre excellence, nous serons honorés de l'approbation de notre souverain, & qu'il en résultera beaucoup d'honneur & d'avantage pour tous les sujets de sa majesté, & les effets les plus salutaires pour le royaume d'Irlande en particulier.

Cette adresse est signée par des députés, au nom des catholiques d'Irlande.

[p.10]

 

Pétition des Catholiques Romains hahitans d'Édimbourg & de Glasgow, présentée à la Chambre des Communes par M. Burke[2]. Ils y exposent dans le plus grand détail les persécutions sanguinaires qu'ils éprouvent de la part de leurs ennemis qui s'opposent à ce qu'on leur accorde les droits des sujets. Ils protestent de leur innocence, de leur fidélité & de leur dévouement à l'État. Ils supplient la Chambre de leur accorder quelque dédommagement des pertes ruineuses que beaucoup d'entre-eux ont essuyées, ou de les mettre au moins à l'abri des outrages incendiaires de la populace, en attendant qu'on puisse s'occuper des Loix qui ont rapport à eux.

 

Du 18 Mars 1779.

Nous, vos supplians, les catholiques romains résidans dans les cités d'Édimbourg & de Glasgow, demandons avec le plus profond respect & la plus humble déférence, qu'il nous soit permis d'exposer à cette honorable chambre le traitement[p.11]que nous avons récemment éprouvé de la furie d'une populace effrénée, & d'implorer les réparations & la protection que cette honorable chambre jugera être dues aux torts qui nous ont été faits, & que la justice, ainsi que l'humanité connues de la législation britannique, nous donnent lieu d'en attendre.

Nous & tous nos autres frères habitans d'Écosse, avons pendant une longue suite d'années, par une conduite soumise & irréprochable cherché à prouver que nous étions des sujets utiles & dont on n'avoit rien à craindre : on nous a toujours vus prêts à saisir avec empressement toutes les occasions de servir notre pays aux dépens de nos biens & de notre sang : encouragés par l'esprit d'humanité & de tolérance que nous étions fondés à croire être le caractère distinctif d'un siècle éclairé & généreux ; ayant immédiatement sous les yeux les adoucissemens apportés dans les loix pénales en faveur de nos frères habitans de l'Angleterre, nous avons osé espérer que nous pourrions participer à la même indulgence, nous nous sommes flattés que la conduite soumise & loyale que nous avons tenue en cette occasion, la docilité avec laquelle nous nous sommes prêtés à ce que l'on différât à notre égard. Ces mêmes bontés, lorsque le bill en faveur des catholiques Romains d'Angleterre[p.12]fut présenté au parlement, nous donnoient quelques droits à cette grâce.

Intimement pénétrés de l'innocence de notre conduite, & de la justice de nos espérances, nous avons vu avec douleur que la modération même de cette conduite & la soumission avec laquelle nous nous sommes prêtés à ce délai, au lieu de calmer les esprits de quelques personnes qui nous voient d'un mauvais œil, n'ont servi qu'à enflammer dans le bas ordre du peuple ses dispositions séditieuses : les papiers publics furent remplis d'avertissemens inflammatoires ; on publia & l'on distribua à la populace des écrits dans lesquels nous étions peints des plus odieuses couleurs comme ennemis de la société, indignes même de l'existence : on fit circuler dans l'Écosse ces écrits tendants à inviter tous les ordres de la nation à se réunir pour empêcher qu'on ne nous accordât la plus légère partie des droits des sujets ; les suites de toutes ces manœuvres ont répondu à ce qu'on s'en étoit promis, le bas peuple se livra par-tout contre nous aux derniers excès de la fureur & de la rage, & l'on vit journellement les papiers publics remplis des résolutions prises, par des bourgs, des communautés, des paroisses, &c, &c. aux fins de s'opposer à tout ce qui pourroit être arrêté pour nous par le parlement.[p.13]Nous de notre côté, considérant le danger des préventions qui avoient été élevées contre nous avec un artifice si blâmable, & les vues séditieuses que déceloient plusieurs des moyens que l'on avoit employés pour enflammer le peuple, redoutant les conséquences de cette fureur enthousiaste si elle étoit portée à un certain point : nous avons renoncé de plein gré & de bon cœur à l'idée de solliciter le parlement ; tandis que ce serment opéroit, préférant de renvoyer les soins de notre bien être à des tems plus tranquilles, à la douleur de troubler la paix de notre pays, & nous signifiâmes immédiatement cette résolution de notre part, à l'officier d'état qui devoit en connoître.

Nous espérions que si cette preuve convaincante, cette preuve, la plus grande que nous puissions donner de notre soumission au gouvernement & de nos dispositions pacifiques, ne nous réconcilioit pas avec le peuple, elle mettroit du moins un terme à ces animosités que des craintes mal fondées avoient suscitées contre nous ; mais en cela nous nous trompions considérablement ; la fureur enthousiaste qui s'étoit emparée des esprits parvint tout-à-coup à un point de violence si extrême, que le peuple n'en parut que plus obstinément acharné à notre destruction : la populace d'Édimbourg & de Glasgow[p.14]paroissant la plus enflammée contre nous ;& cette effervescence étant soigneusement entretenue par l'artifice, il s'éleva une violente émeute, malgré les efforts des magistrats de ces deux cités : la multitude se porta aux dernières extrémités, pilla nos effets, brûla & détruisit nos maisons, insulta nos personnes & menaça d'arracher la vie à plusieurs de nous, s'ils fussent tombés entre leurs mains : notre intention n'est pas d'exagérer les désordres auxquels elle se livra, pas même d'exposer en entier à cette honorable chambre ce que nous voudrions pouvoir ensevelir dans le sein d'un éternel oubli.

Dans ces circonstances alarmantes, de qui attendrons-nous des secours & de la protection, si ce n'est de la justice & de l'humanité du parlement ? Par la sévérité des loix qui subsistent contre nous, nous sommes à beaucoup d'égards incapable d'obtenir aucune satisfactions légale : par cette même raison les cours inférieures n'ont pas en leur pouvoir de nous secourir, le corps législatif seul peut nous protéger, & c'est de sa bonté seule que nous attendons de la protection : mais en nous livrant avec confiance à la merci du parlement, nous demandons avec la soumission la plus profonde qu'il nous soit permis de faire pleinement connoître à ce très-respectable corps la nature de notre requête.[p.15]En premier lieu, nous sommes éloignés très-éloigné d'avoir du ressentiment contre qui que ce soit, & de désirer que l'on demande à aucune personne compte de ce qui s'est passé, à plus forte raison que quelqu'un soit puni à raison des torts qui nous ont été faits ; nous leur pardonnons du fond du cœur, & si quelqu'un étoit arrêté ou poursuivi à notre sujet, en supposant qu'on nous crût dignes d'être entendus, nous prendrions la liberté de solliciter son pardon avec les dernières instances : si nous faisons cette déclaration, ce n'est pas que nous sentions intérieurement que nous avons fait quelque chose qui ait mérité le traitement cruel que nous avons éprouvé : notre conscience, à cet égard, est parfaitement tranquille, notre conduite, comme sujets & comme citoyens, a été irréprochable & nous défions nos plus grands ennemis, même ceux qui ont brûlé nos maisons & attenté à notre vie, de prouver qu'à l'un & à l'autre égard, nous ayons manqué à notre devoir : nous la faisons (cette déclaration), parce que telle est la disposition réelle de nos esprits, parce que la raison nous la dicte, & notre religion nous l'enjoint.

En second lieu, nous renonçons de bon cœur à toute idée de demander, dans ce moment-ci, aucun adoucissement a la sévérité des loix qui sont en vigueur contre nous : à la vérité, il ne[p.16]peut que nous paroître bien dur que nous soyons les seuls à qui l'on refuse les adoucissemens qui ont été accordés à un certain point à nos frères dans toutes les autres parties des domaines de sa majesté, puisque nous avons les mêmes droits que les autres à sa justice. Mais nous sentons que vu l'effervescence actuelle des esprits échauffés contre nous, insister sur ce point, ce seroit peut-être troubler la paix de notre pays ;& c'est dans cette considération seule, que dans les circonstances présentes, nous nous abstenons de le demander, protestant toujours à cette honorable chambre & à l'univers que notre conscience nous décharge de toute espèce d'offense, soit en opinion, soit en action, qui ait pu nous faire mériter la rigueur extrême des loix auxquelles nous nous soumettons parfaitement, prêts à donner les preuves les plus efficaces que la sagesse du corps législatif puisse suggérer de notre fidélité envers sa majesté & de notre attachement à la constitution de notre pays.

Mais quoique nous renoncions entièrement aux ressentimens, quoique consultant le devoir de citoyens, nous différions nos requêtes à l'égard des droits de sujets, dont, en toute humilité, nous croyons être revêtus, ce que nous devons d'ailleurs à notre propre conservation, ne permet pas que nous renoncions de même, aux[p.17]droits de toute espèce de protection : la situation étroite dans laquelle nous nous trouvons comme particuliers, ce que plusieurs de nous doivent à leurs malheureuses familles absolument ruinées, ne permettent pas que nous renoncions aux humbles efforts que nous pouvons faire pour obtenir de l'équité & de l'humanité de la nation, quelque compensation des pertes accablantes que nous avons essuyées.

Si la sévérité des loix pénales eût été légalement mise en exécution, contre nous ; si nous eussions été légalement jugés & condamnés à subir quelque peine, pour offrir au Dieu tout-puissant le culte que nous dictent nos consciences ; vu le profond respect que nous portons aux loix de notre pays, nous eussions supporté notre sort avec patience, quelque dur qu'il put être, comme nous l'avons fait sans plainte & sans murmure. Mais il nous est impossible de ne pas trouver extrêmement dur de nous voir exposés à la furie d'une multitude qui ne connoît point de loix, sans qu'il y ait la plus légère provocation de notre part, & d'être traités si inhumainement, si cruellement, sans aucune forme de procès, sans être entendus, sans être examinés & légalement condamnés.

Ce que nous demandons très-humblement ; la requête que nous osons présenter avec la plus[p.18]profonde soumission, tend à ce que cette honorable chambre, ne prenant considération l'état où nous nous trouvons, veuille bien, dans sa gracieuse bonté, & de la manière qu'elle jugera convenable de déterminer quelques moyens de compensation pour ceux d'entre nous qui, absolument, ne peuvent pas supporter les pertes accablantes qu'ils ont si injustement essuyées, & considérant que nous sommes inévitablement exposés à la férocité du même traitement, de la part d'un peuple furieux, guidé par un zèle aveugle & effréné, si nous n'obtenons pas une protection efficace, que cette honorable chambre ait la bonté de pourvoir à notre sûreté pour l'avenir.

Notre requête tend enfin à ce que, jusqu'au moment où l'on pourra, de sang froid, reprendre en considération les loix qui ont rapport à nous, nos personnes & nos biens puissent avoir, à l'avenir, quelque espèce de sécurité contre de pareils outrages, en prenant les mesures qui paroîtront à la chambre les plus propres à remplir cet objet.

Nous demandons très-humblement à cette honorable chambre qu'il nous soit permis de l'assurer que ce n'est pas sans en avoir les plus fortes raisons, que nous sollicitons instamment sa protection ; car ces mêmes ennemis que nous n'avons pas provoqués, & qui nous ont jusqu'à présent[p.19]persécutés d'une manière si cruelle, loin d'être satisfaits de leurs succès récens, ont cru y trouver des motifs de violences ultérieures : ceux qui ne nous ont jamais menacés sans mettre leurs menaces en exécution, ont publié & distribué une espèce de manifeste tendant à exciter toutes les classes de citoyens à mettre strictement en force les loix très-sanguinaires qui subsistent contre nous, niant que le parlement eût l'autorité de révoquer ces loix ou aucunes autres loix faites avant l'union (de l'Angleterre & de l'Écosse), menaçant les magistrats des mêmes violences qui ont été employées contre vos supplians, s'ils ne faisoient pas exécuter ces loix ; représentant comme leurs droits & privilèges les moyens de bannir & de mettre à mort vos supplians, proposant des associations à l'effet d'empêcher que l'on achette, vende, prête, emprunte, ou qu'enfin on entretienne aucun commerce social avec ceux de notre religion, & menaçant de traiter comme papistes tous ceux qui refuseront de concourir dans ces mesures. Par les actes de violence qu'ils se sont récemment permis contre quelques-uns des membres les plus respectables de l'église dominante en Écosse ; ils ont prouvé jusqu'à quel point ils sont capables d'agir contre ceux qui mettent quelque différence dans leurs sentimens. Rien, en un mot, n'est plus déplorable[p.20]que notre condition, & sans l'assistance efficace de la législation, quelles doivent être nos alarmes & nos craintes ! nous nous flattons humblement que cette requête de notre part ne paroîtra à cette honorable chambre ni déraisonnable, ni dérogeant au respect qui lui est dû ; nous espérons de la justice & de l'humanité de ce corps respectable, dont la prérogative la plus noble, & qui lui est la plus chère, est de protéger l'opprimé & de défendre les droits du peuple qu'il représente, qu'il aura la bonté de nous prendre favorablement sous sa protection ; nous qui n'avons rien plus à cœur que de nous comporter en sujets soumis & en bons citoyens, nous qui, par notre loyauté envers notre prince, par notre conduite irréprochable & modérée, avons pour objet constant de nos efforts de mériter la faveur & l'approbation de cette honorable chambre.

[p.21]

 

Discours du Comte de Carlisle, par rapport au Bill présenté par l'Évêque de Landaff aux fins de prévenir l'adultère qui devient plus fréquent que jamais en Angleterre. Il approuve l'objet de ce Bill, mais il voudroit que la sévérité de la loi frappât sur les hommes autant que sur les femmes, parce que c'est à eux qu'on doit essentiellement attribuer la fréquence de ce crime.

 

Du 30 Mars 1779.

Il faut convenir que depuis quelques années l'habitude de l'adultère a fait parmi nous des progrès étonnans, & que les demandes en divorce ont été plus fréquentes que jamais : le désir que témoigne le révérend prélat, qui présente le bill, de mettre un frein à la rapidité alarmante de ce désordre, mérite donc l'approbation la plus distinguée & les remerciemens non-seulement de cette chambre, mais même de tout ce qu'il y a d'hommes dans le royaume, capables de concevoir l'étendue & l'importance de l'objet que le bill a en vue, & de se former une idée des biens inappréciables qui découlent de la félicité domestique, des conséquences de la pureté & de la chasteté dans les femmes, & de[p.22]l'importance dont il est à la politique que le lit conjugal conserve la sainteté que la morale & la religion, se plaisent également à y trouver. Quoique pénétré de toutes ces vérités, je ne pense pas que le bill, tel qu'il est, réponde suffisamment à son objet : il n'a en vue que la partie la plus foible de la création, il ne tend qu'à punir la fragilité du sexe le plus frêle, sans circonscrire en aucune manière le libertinage ni la licence des hommes, à qui, il me semble, que l'on doit essentiellement attribuez la fréquence de l'adultère & la multitude des divorces que ce crime occasionne : il y a de la dureté, pour ne pas dire de l'injustice, dans l'idée qui sert de fondement à la loi proposée : tout bill dont l'objet est de réprimer quelque vice, ne devroit pas être une satyre de l'une ou l'autre partie de la création ; il doit être général dans son étendue, égal dans ses conséquences : je suppose même qu'on ne me passe pas l'assertion que j'ai faite en disant que l'on doit essentiellement attribuer la fréquence de l'adultère à la conduite des hommes, on m'accordera du moins qu'à cet égard les hommes méritent autant d'être blâmés que les femmes ; que par conséquent des deux portions qui composent le genre humain, chacune doit prendre pour son lot la moitié de la censure, que dans quelque tems qu'il arrive que la législation inflige[p.23]Une peine à l'adultère, cette peine doit être également distribuée. En un mot, je m'oppose à ce bill, non quant à son objet, mais quant à sa forme, il me paroît injuste dans son principe, & ma conscience ne me permet pas de concourir aux dispositions d'une loi qui, laissant aux hommes toutes les prérogatives de la licence, réserveroit les restrictions pour les femmes seulement.

 

Continuation du même sujet par le lord Chancelier. Il appuie le Bill proposé par l'Évêque de Landaff. Il soutient que des statuts sévères réussiroient par la honte qu'ils infligeroient, à arrêter les progrès du crime de l'adultère. Il juge convenable de condamner la femme adultère à n'épouser son complice que douze mois après le divorce. Il fait sentir aux Pairs de quelle conséquence est pour eux cette espèce de désordre qui altère la pureté du sang dans les descendans des familles nobles.

 

Du 30 Mars 1779.

Le titre même du bill annonce que son objet est de décourager plus efficacement le crime d'adultère ; il est présenté par un révérend prélat, dont il est parfaitement clair que les vues sont de[p.24]mettre un frein à l'habitude dominante d'un crime qui frappe jusqu'aux racines de la félicité domestique, altère la pureté du sang dans les descendans des familles nobles, & tend à la ruine de la population, le premier objet politique de ce royaume ; son titre seul doit le recommander assez à l'attention de milords, & les engager à lui donner du moins une interprétation favorable : on a avancé qu'il étoit absurde de faire des loix contre la corruption des mœurs : le noble lord, qui a posé cette assertion, a tâché de l'appuyer, en établissant pour maxime que lorsqu'un esprit est assez dépravé pour secouer les devoirs que prescrit la morale, on s'efforceroit en vain de rectifier des dispositions naturellement vicieuses par une loi expresse ; cette doctrine est vraie en un sens : il est certain qu'un acte de la législation, soit de ce pays, soit de tout autre que ce puisse être, ne peut rien contre la dépravation de la nature humaine ; mais il n'en est pas moins vrai que lorsque les crimes contre les mœurs se multiplient à un point si frappant, lorsqu'ils sont portés à un tel excès, & qu'ils deviennent un objet de notoriété publique, l'interposition du pouvoir législatif devient non-seulement expédient, mais nécessaire : il doit exister quelque peine infligée par les statuts, à l'effet d'arrêter le libertinage dans ses progrès, de forcer les libertins à[p.25]circonscrire leur conduite de manière que leurs mauvaises mœurs n'aient pas d'influence sur les mœurs d'autrui ;qu'en un mot, le crime d'adultère ne soit pas sanctifié par le nombre d'exemples donnés par les femmes adultères. Le livre des statuts fournit des exemples sans nombres de loix promulguées contre la corruption des mœurs, loix non-seulement regardées comme sages, mais consacrées par l'expérience comme utiles & salutaires :ce qu'on objecte avec plus de fondement contre le bill, est le défaut probable d'efficacité : je conviendrai qu'il n'est pas au pouvoir de la législation de prévenir efficacement l'adultère, mais comme la honte est le sentiment qui exerce le mieux son empire sur l'esprit humain, le révérend prélat, qui présente le bill, a tâché d'en tirer le meilleur parti possible en faveur de ses vues.

Un noble lord a dit qu'au lieu d'obliger une femme adultère à ne se marier que douze mois après l'époque du divorce, il vaudroit mieux la condamner à épouser son complice douze heures après le divorce prononcé ; parce que dans le premier cas, c'étoit condamner la femme à douze mois d'infamie. Eh bien ! quand cela seroit ; je suis persuadé que c'est précisément cette peine d'infamie que le révérend prélat se propose d'infliger aux femmes adultères, il a espéré que la[p.26]crainte de s'exposer à un genre d'infamie si notoire, seroit efficace contre ce crime ; je parle ici devant une assemblée de pairs Britanniques, c'est-à-dire devant les hommes du royaume les plus intéressés aux conséquences du bill ; quoique tout mari, tout père de famille y prenne un intérêt personnel, celui qu'y doit prendre un pair du royaume est d'une nature plus pressante : si les égards dus à sa postérité sont de tous les états, s'ils sont chers à tous les hommes, ils sont pour la noblesse le plus important objet dont elle puisse s'occuper ;& les pairs assemblés qui composent cette chambre ne peuvent donner trop d'attention à un bill dont l'objet est de transmettre un sang pur à ses descendans : je suis tellement frappé de l'importance dont il est pour la pairie, que si le sang de quarante générations nobles couloit dans mes veines, on ne me verroit pas plus empressé à solliciter en sa faveur l'accueil & la concurrence qu'il mérite.

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Discours du Duc de Richmond sur le même sujet. Il n'approuve pas que l'on permette à l'homme & à la femme adultères de se marier. Il désireroit que la loi s'opposât à la dissolution des mariages, & il pense que ce seroit un moyen efficace de contenir les maris & leurs femmes dans le devoir.

 

Du 30 Mars 1779.

Je ne puis me prêter à l'idée de permettre à la femme adultère de se remarier, n'importe en quel tems ; je pense fermement que s'il est un moyen de prévenir un crime si funeste à la société, ce ne peut être que l'impossibilité où l'on mettroit la femme & l'homme adultères de se marier du vivant des deux parties : je suis persuadé que la fréquence des divorces est essentiellement occasionnée par la mauvaise conduite des maris, qui, en négligeant leurs femmes, en ne leur marquant ni tendresse ni égards, les engagent dans la malheureuse carrière où elles s'égarent : la plupart du tems en proie à de nouvelles passions, ennuyés de leurs femmes & cherchant à s'en débarrasser, ils leur fournissent eux-mêmes les moyens de devenir adultères, & sont enchantés & jaloux de prouver leur déshonneur, s'ils ont un prétexte collusoire de former au parlement[p.28]une demande en divorce. Autrefois la dissolution d'un mariage ne se prononçoit pas si aisément ; mille difficultés plus rebutantes les unes que les autres, refroidissoient dans les époux ce goût vagabon qui les porte aujourd'hui à passer d'un lit dans un autre ; il falloit qu'une femme eût renoncé à toute idée de pudeur ; qu'elle se fût livrée à un excès d'abandonnement absolu, pour qu'elle eût le front de fournir ce qu'on appelloit alors la preuve nécessaire pour justifier une demande en divorce. On a très-mal fait de se départir de l'usage où l'on étoit d'exiger rigidement la preuve directe & complette du crime. Le savant lord qui nous préside s'est fait beaucoup d'honneur en remettant quantité de demandes en divorce, & il seroit tems de ramener les choses à l'esprit qui a dirigé sa conduite à cet égard. Je finis en répétant & en posant pour principe immuable que la fréquence des divorces modernes doit être plutôt attribuée à la mauvaise conduite des maris, qu'à l'incontinence des femmes ; que par conséquent l'unique moyen de les rendre plus rares, seroit d'engager les hommes à rendre l'intérieur de leurs maisons plus agréables, en leur faisant sentir que lorsqu'ils seront une fois mariés, la loi ne souffrira pas la dissolution de leurs mariages, sous quelque prétexte que ce puisse être.

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Discours de M. Fox. Il pense que le Bill proposé, loin de prévenir l'adultère, n'est propre qu'à l'encourager & à le rendre plus fréquent.

 

Du 19 Avril 1779.

Je conçois que les progrès que l'adultère a récemment fait parmi nous, sont aussi rapides qu'alarmans ; je fais qu'en aucun tems, depuis l'exigence de cette monarchie, les divorces n'ont jamais été aussi fréquens qu'ils le sont de nos jours ; mais parce que le mal est grave dans sa nature & dans ses conséquences, s'ensuit-il que le remède soit facile ? Croit-on qu'il ne s'agisse que d'imaginer un préservatif, pour le prévenir efficacement ? C'est ce que je suis très-éloigné de croire : il y a plus, lorsqu'on en viendra à la discussion du bill, je suis certain qu'il sera facile de démontrer, que non-seulement il n'est point propre à remplir son objet, qui est, dit-on, de prévenir l'adultère, mais qu'il paroît merveilleusement combiné pour produire précisément l'effet contraire, c'est-à-dire, pour encourager l'adultère, pour ajouter à sa fréquence.

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Continuation du même sujet par lord Beauchamp. Il désapprouve le Bill en ce qu'il tend à punir les femmes exclusivement, quoique dans ces occasions, les hommes soient toujours les plus criminels. Il s'élève sur-tout contre la clause qui déclare bâtard l'enfant dont la femme adultère se trouve enceinte.

 

Du 19 Avril 1779.

Il y a quelques années que le Parlement a envisagé l'objet de ce bill sous le même point de vue, & l'honorable membre nous en rappelle le souvenir ; lorsqu'on le présenta, il fut si froidement accueilli, qu'on le laissa trois semaines sur la table sans y faire la moindre attention ; enfin, à la réquisition d'un révérend prélat, on en fit la lecture, & il fut rejetté : ce bill, ainsi que celui dont il s'agit aujourd'hui, étoit manqué dans le principe, il tendoit à punir les femmes, & assuroit l'impunité aux hommes, qui, en matière d'adultère, sont, généralement parlant, toujours plus coupables que les femmes ; mais indépendamment de cette objection, il en est une que je crois sans réplique, & qui frappera sans doute, messieurs, comme elle m'a frappé : non-seulement ce bill[p.31]tend à punir la femme, mais si la coupable se trouve enceinte, le malheureux enfant qu'elle porte dans son sein est puni : lorsqu'il voit le jour, votre loi le déclare bâtard ! Cette idée est révoltante ; elle fait frémir l'humanité & rougir la justice ! Si quelqu'un de vous, messieurs, ne frémissoit pas avec moi, qu'il se rappelle la malheureuse affaire du sieur Savage, fils du comte de Rivers : c'est cette horreur, dont on se propose aujourd'hui de multiplier les exemples.

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Discours de lord Nugent. Il ne regarde pas non plus le Bill de l'Évêque de Landaff comme capable d'empêcher l'adultère ; il remonte à la source de ce désordre, & il croit la trouver dans l'acte qui casse les mariages clandestins, où il y a une disproportion marquée de fortunes & de familles entre les deux contractans. Dans le cas ou le Bill contre l'adultère passeroit, il demande la révocation de cet acte.

 

Du 19 Avril 1779.

Veut-on remonter à la source de l'adultère, à la cause de sa fréquence ? On trouvera l'un & l'autre dans l'acte concernant le mariage[3], statut abominable, qui détruit jusqu'au principe de la liberté personnelle : bill également absurde, injuste, & contraire à toutes les notions de la politique, & qui fut présenté à la chambre des pairs, pour complaire à la vanité de quelques lords, qui se trouvoient très-offensés de ce qu'une lady Betti, une lady Jenny ou lady Susan avoit pris la fuite avec un homme qu'elle[p.33]aimoit, mais qui n'étoit pas né, disoit-on, pour épouser la fille d'un noble lord ! C'est dans le vain espoir de tranquilliser quelques-uns de ces nobles lords qui avoient des filles à marier, que l'on passa cet acte inique dont nous recueillons les fruits ; cet acte, qui d'abord introduisit l'adultère dans les familles, & le justifia ensuite aux yeux du public, par la raison du monde la plus simple ; c'est que le public est généralement juste, c'est qu'il n'a pas vu avec satisfaction, que l'on empêchât une jeune fille pétillante de santé & d'amour, d'épouser un jeune garçon brûlant d'amour & de santé ; qu'on la forçât à céder aux dispositions de l'avarice & de l'orgueil, dont l'habitude, pour ne pas dire l'odieux plaisir, est d'accoupler la jeunesse avec l'âge avancé, la beauté avec la difformité, la santé avec l'infirmité ! Le bel acte, le beau chef-d'œuvre de jurisprudence, qu'un bill jette dans la société, comme une barrière dont l'usage est de séparer deux cœurs faits l'un pour l'autre, qui volent l'un vers l'autre ! Ne sont-ce pas là de puissans secrets pour prévenir l'adultère ? Aussi, je borne tous les argumens qui naissent du sujet même, à une question unique, je demande si depuis que ce malheureux acte a parmi nous force de loi, on n'a pas compté dix divorces pour un, qui avoit lieu avant cette époque ? Je[p.34]n'ai pas vérifié le calcul ; mais n'importe, je pose en fait que depuis ce bel acte, il y a eu plus de divorces dans notre île, qu'il n'y en avoit eu auparavant, depuis que l'Angleterre est Angleterre ! Quant à celui qu'on nous propose, j'ignore si, comme le prétend un honorable membre, il encourageroit l'adultère ; mais je suis certain qu'il ne le décourageroit pas, qu'il le préviendroit encore moins : les statuts contre les passions, contre les habitudes, sont précisément ce que sont les ordonnances contre la contrebande ; perverses ou non, il faut que la nature aille son train ; le pouvoir législatif n'a pas plus d'empire sur les dispositions du cœur & de l'esprit, que sur les élémens : au reste, si l'on croit pour l'honneur des mœurs, devoir tenter quelques préservatifs contre l'adultère, lorsqu'on en viendra à la discussion du bill, je ne voterai pas contre, mais je proposerai qu'il y soit inséré une clause pour révoquer l'acte concernant le mariage, acte détestable, dont la tendance est une atteinte directement portée aux privilèges du cœur humain.

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Discours dé M. Yelverton, dans lequel il s'oppose à un nouveau Bill de naturalisation proposé dans la Chambre des Communes d'Irlande, qui admettroit à l'exclusion des Catholiques de ce Royaume, des Juifs, des Turcs, &c.

 

Du 29 Mai 1780.

Je suis de l'avis de l'honorable membre qui vient de parler ; cet acte, tel qu'il est à présent, nous déshonore, puisqu'il ouvre la porte à la plus criante des injustices. Un Juif, un Turc, un Païen, renonceront aisément au pape & au prétendant, prêteront le serment d'usage, tandis que les malheureux papistes de ce royaume sont seuls exclus. Ces citoyens infortunés, déjà vexés par la loi pénale qui restreint à deux le nombre des apprentifs que chaque artisan peut avoir, ne sont-ils pas assez lésés, sans voir encore leurs enfans croître, pour être, en quelque sorte, les esclaves d'un étranger qui viendroit s'établir parmi nous, parce que sa conscience ne l'aura point empêché de renoncer à l'évêque de Rome ? Si l'acte a pour objet la population, que n'encourage-t-on ceux de nos compatriotes, qui, malheureusement pour eux, ne sont point[p.36]de la religion dominante ! Qu'on les affranchisse de ces restrictions aussi infamantes qu'injustes, & par-là, vous rendez moins urgente la nécessité d'appeller les étrangers parmi vous. Enfin, le bill, tel qu'il est à présent, ne peut, ni ne doit parler sans amendement ; je conclus donc à ce qu'il soit révisé.

 

Discours de M. Walter Burgh, sur le même sujet. Il rejette aussi le Bill de naturalisation dans sa forme actuelle. Il propose une clause qui en écartant de l'Irlande des étrangers sans principes, tels que les Quakers, les Juifs, &c, n'exclueroit cependant pas de la naturalisation les étrangers respectables qui la demanderoient au Parlement. Il réclame aussi le même avantage pour les Catholiques nés dans le Royaume d'Irlande.

 

Du 29 Mai 1780.

J'ajoute aux observations de l'honorable membre qui vient de parler, que vu l'état de la constitution, il est impossible que l'acte ait son plein & entier effet dans sa forme actuelle.

Le Quakre ne voudra jamais consentir à découvrir sa tête ; le Turc voudra garder son turban ; le Juif conservera sa barbe, il sera alors[p.37]très-plaisant d'entendre dire dans cette chambre au milieu des débats… L'honorable membre au chapeau rabattu, on au turban ; mon respectable ami le circoncis à la longue barbe. Les dames, d'ailleurs, se disputeroient peut-être l'honneur d'entrer dans le sérail de ces très-honorables membres. Mais, raillerie à part, est-ce donc l'intention de la chambre de se voir infestée d'espions de tous pays ! Les papistes, nos compatriotes, si persécutés, qui méritent si peu de l'être, doivent-ils être exclus des avantages offerts aux papistes, qui, comme eux, n'ont pas eu le malheur de naître citoyens de ce royaume ! Si cela est, on doit regarder le bill proposé, comme une invitation générale, faite à la lie de toutes les nations, de venir ici se livrer librement au désordre. Je conclus donc en faveur de la clause, qui ne peut servir qu'à écarter de nos bords, des gens aussi dénués de principes, qu'incapables de nous être vraiment attachés, sans qu'un étranger respectable doive renoncer à une naturalisation qu'il peut en tout tems obtenir, en s'adressant au parlement.

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Précis des Loix pénales portées par plusieurs Rois de la Grande-Bretagne contre les Catholiques, dont la prétendue mitigation a si fort échauffé en différens tems, le cerveau exalté de quelques fanatiques Protestans.

 

Du 8 Juin 1780.

Pour mieux entendre l'histoire des différentes émeutes qui se sont élevées contre les catholiques depuis quelques années, dans diverses provinces de l'Angleterre, dont lord Gordon étoit un des principaux chefs & fauteurs, que la prudence & l'autorité du roi & du parlement réunies, eurent bien de la peine à étouffer, & qui occasionnèrent, dans les deux chambres, un nombre de discours dont quelques-uns sont imprimés dans ce recueil, il ne sera pas inutile de donner ici un précis des loix pénales, portées par plusieurs rois, contre les catholiques romains, & dont la prétendue mitigation a si fort échauffé le cerveau exalté de quelques fanatiques protestans,Elisabeth, qui méprisoit autant les catholiques qu'elle avait les puritains en horreur, passa contre les premiers cinq actes qu'elle crut être le moyen[p.39]le plus sûr de mettre la dernière main à la réforme introduite dans le culte religieux par son père Henri VIII. Nous allons donner une idée des trois principaux de ces statuts, passés alors contre les catholiques romains.

Par le premier, passé dans la vingt-troisième année de son règne, tout catholique cherchant à faire des prosélites, tout protestant devenu catholique, ipso facto, est déclaré coupable de haute trahison. Pour dire la messe, l'amende est de 200 marcs ; pour l'avoir entendue, 100 marcs, & un an d'emprisonnement. Quiconque ne se présente pas à l'église paroissiale ou aux chapelles qui en dépendent, est condamné à 200 livres sterlings d'amende, & à donner caution, s'il s'en absente pendant une année : ce dernier article regarde autant les puritains que les catholiques.

Par le second, passé dans la vingt-septième année de son règne, elle pourvoit, par une nouvelle clause, à l'expulsion totale des jésuites & des prêtres.

Par le troisième, passé dans la trente-cinquième année de son règne, elle condamne ceux qui n'assistent pas au service divin, suivant le rit protestant, à un emprisonnement jusqu'à ce qu'ils s'y conforment ;& s'ils refusoient de le faire, sous trois mois, la même loi les force à quitter[p.40]le royaume, sous peine d'être traités comme félons.

Jacques Ier, effrayé de la conjuration, connue sous le nom de complot des poudres dont on accusa les catholiques romains, renouvella contre eux les édits d'Elisabeth, & voulut qu'ils fussent exécutés à la rigueur ; il y ajouta d'autres clauses ; entr'autres, il défendit l'accès de la cour aux récusans[4], les déclara incapables de nommer aux bénéfices, d'exercer les fonctions d'exécuteurs-testamentaires, de tuteurs & de curateurs. Dans ce supplément au code d'Elisabeth, il est expressément défendu d'imprimer aucuns livres de la religion romaine, sous peine de 40 shelings d'amende, pour chacun, & le port d'armes est interdit aux papistes.

Charles Ier, plus par nécessité que par choix, passe l'acte qui rend les papistes inhabiles à suivre des procès, & confisque les biens de ceux qui enverroient leurs enfans, ainsi que de ceux qui seroient envoyés outre-mer, pour être élevés dans la religion romaine.

Charles II, dans la vingt-cinquième année de son règne, ordonna que toute personne entrant, en charge, prêtât serment d'allégeance, reconnût, par serment, la suprématie spirituelle dans la[p.41]personne du roi, & reçût la communion suivant le rit anglican. Trois ans après, le même prince déclara les papistes inhabiles à être élus membres du parlement, ou à y prendre séance.

Guillaume II, appellé à la couronne pour remplacer un roi qui professoit ouvertement la religion romaine, devoit se signaler par la persécution des papistes ; il le fit, & passa contre eux les trois actes suivans.

Dès l'instant de son avènement, il ordonna que le lord maire de Londres exigeroit le serment de tout papiste ou particulier soupçonné de l'être, domicilié dans ladite ville ou à dix milles à la ronde.

Dans la seconde année de son règne, il fut statué que les papistes refusant de prêter ledit serment, ne pourroient avoir en leur possession aucune arme offensive, & que tour cheval à eux appartenant de la valeur de plus de 5 livres sterlings seroit confisqué.

Dans la onzième & douzième année de son règne, il fut déclaré, par un acte, que tout évêque & prêtre romain disant messe ou tenant une école, seroit condamné à une prison perpétuelle. Il est aussi porté que tout papiste, âgé de dix-huit ans, sera déclaré inhabile à succéder ou à posséder en propre aucun bien-fonds, à moins que dans les six mois, il ne fasse abjuration. Les personnes[p.42]convaincues d'avoir envoyé outre-mer un enfant pour y être élevé dans la religion catholique, sont condamnées à une amende de 100 l. sterlings ;& dans le cas où des pères & mères catholiques refuseroient d'accorder à leurs enfans devenus protestans, un revenu convenable, il y sera pourvu par le chancelier. '

Lorsque les partisans des Stuarts firent un effort inutile pour remettre cette famille infortunée sur le trône, Georges Ier renouvella les loix & ordonnances contre les catholiques romains, ordonnant en outre que tout papiste récusant, de l'âge de vingt-un ans, seroit tenu de se faire enregistrer, & de donner un état de la valeur réelle de ses biens.

Son successeur, afin d'accélérer les progrès du protestantisme, passa un acte qui réhabilite les papistes qui renonceroient à leurs opinions, & les décharge des peines portées contr'eux dans les règnes précédens.

Les choses en sont restées là jusqu'à la dix-huitième année du règne du roi actuellement régnant, qui, convaincu que les papistes étoient aussi bons sujets que le reste de leurs concitoyens, révoqua les loix portées contr'eux par Elisabeth & Guillaume, en tant qu'elles condamnent les évêques & les prêtres romains disant messe ou tenant des écoles, à une prison perpétuelle ;&[p.43]aussi en tant qu'elles déclarent les papistes inhabiles à succéder, hériter en vertu de leur naissance, ou acheter des biens-fonds ; changeant aussi en leur faveur, le serment d'allégeance & de suprématie, du spirituel au simple temporel.

La postérité voudra-t-elle croire que cette indulgence fondée sur la justice & la saine politique, ait donné lieu, dans le dix-huitième siècle, chez une nation philosophe, à des excès qui ont mis la capitale à deux doigts de sa ruine ?

 

Discours de l'Évêque de Landaff, en faveur des Catholiques qu'on vouloit vexer par un nouveau Bill.

 

Du 18 Juin 1780.

J'ai cherché, avec le plus grand soin, à découvrir si les abus supposés avoient été la suite de l'indulgence accordée aux catholiques, & je puis dire, avec vérité, que depuis deux ans qu'ils en jouissent, je n'ai pas remarqué qu'ils en aient fait un mauvais usage ; pourquoi donc vouloir revenir sur nos pas & les dépouiller une seconde fois des privilèges que la justice & l'humanité leur avoient rendus ? Je sais ce que je dois à la religion anglicane, & combien il faut se tenir en garde contre l'accroissement du papisme ; mais je[p.44]ne dois pas oublier non plus qu'un évêque anglois doit se distinguer par l'esprit de tolérance, & régler sa conduite sur les principes de la charité chrétienne.

 

Exhortation faite pour être lue dans toutes les Chapelles Catholiques du Royaume d'Irlande[5]. On recommande aux Catholiques la tranquillité, l'activité dans le commerce & dans les devoirs de leurs professions respectives.

 

Du 18 Juin 1780.

À tous les Catholiques Romains de ce Royaume.

Les catholiques de ce royaume sont tenus, par les liens de l'intérêt & de la reconnoissance, de donner, dans toutes les occasions, des preuves non équivoques de leur ferme attachement envers ceux qui les gouvernent. Quoique nous vous ayons souvent averti de ce devoir, nous croyons qu'il nous convient de le répéter dans les circonstances[p.45]présentes, de crainte que le moindre écart que vous feriez hors du chemin de la paix & de la régularité, ne vous rendent indignes des bienfaits déjà reçus, ou de ceux qui vous attendent. En donnant une nouvelle activité à votre commerce, on a ouvert le champ le plus vaste à votre industrie & multiplié les moyens d'augmenter vos fortunes. Nous vous exhortons donc, par les entrailles de Jésus-Christ, à vous rappeller les devoirs de votre état.

C'est en rejettant avec horreur ces assemblées tumultueuses où se plaît la fainéantise ; c'est en pratiquant la tempérance & la sobriété ; c'est enfin en vous adonnant tout entier aux différentes branches de votre commerce respectif que vous vous assurerez, à vous & à vos familles, un sort tranquille & un droit à l'estime générale. Votre gracieux souverain & ceux à qui est confiée une partie de son autorité, vous regarderont comme de bons & fidèles sujets, & vos concitoyens ne verront en vous que des compatriotes affectionnés. Les bénédictions temporelles ajouteront une nouvelle vigueur à vos efforts ; la postérité s'instruira par votre exemple, & l'univers applaudira le pouvoir législatif qui vous aura fourni les moyens d'ajouter à votre bien-être. Enfin, n'oubliez jamais que vous travaillez à votre salut éternel ;[p.46]lorsque, guidés par la prudence chrétienne, vous vous occupez des devoirs de vos professions respectives, & que l'approbation du pouvoir temporel qui vous gouverne, est le sceau de celle de la puissance suprême qui règne dans les cieux.

[p.47]

 

Discours de lord Beauchamp, dans lequel il tâche de ramener les esprits trop échauffés, qui croient avoir lieu de se plaindre de la trop grande douceur de l'Acte passé dans la dix-huitième année du règne de Sa Majesté pour les Catholiques, Acte qu'ils regardent comme incompatible avec la Religion Protestante & la sûreté du Royaume. Il expose les avantages qui résulteroient pour la Nation de favoriser les Catholiques, & le danger qu'il y auroit de se prêter contre eux à cet acharnement, qui gagne dans les provinces, & qui forme ces associations multipliées, ridicules & dangereuses qu'on a trop écoutées. Il conclud à une tolérance qui puisse cependant ne porter aucune atteinte au Protestantisme, ni donner au Papisme aucun moyen d'introduction.

 

Du 20 Juin 1780.

Ce qu'on a fait pour altérer la vérité & semer l'alarme, passe la conception : l'autorité de la chaire a été employée : on a vu nos ministres, oubliant qu'ils étoient chrétiens, prêcher contre la tolérance, contre la modération, la facilité avec laquelle la chambre se prête dans toute circonstance,[p.48]à recevoir jusqu'aux plaintes mal fondées, l'ayant malheureusement engagée à admettre celles de quatre-vingt cinq prétendues sociétés de Glasgow, les associations de cette espèce se sont multipliées ;& en vérité, celles qui se sont formées depuis, n'avoient cependant pas sujet de s'enorgueillir de leur origine ou de leurs modèles ; car la chose examinée de près, il s'est trouvé que ces quatre-vingt-cinq sociétés Écossaises étoient des clubs (petites coteries, petites sociétés particulières) tenant leurs conciliabules dans des cabarets à bierre. Eh ! de quoi se plaignoient ces clubs, de quoi se plaignent ceux qui se sont formés en Angleterre sur leur modèle ! Des choses qu'ils n'entendent point, qui leur ont été mal présentées ; de la révocation de quelques clauses déshonorantes pour la nation, insérées dans un acte que tout le monde sait avoir été passé contre le gré de Guillaume III ; d'un bill qui, respirant l'humanité, a produit l'effet salutaire de la tolérance en Irlande ; d'un bill destiné à établir la maxime précieuse que la liberté religieuse doit toujours marcher à côté de la liberté civile ; mais, disent-ils, à la faveur de ce bill, les catholiques achettent des biens-fonds ;eh bien, quel mal y a-t-il à cela ? J'y vois deux avantages ; premièrement, le nombre des acquéreurs étant plus considérable, les terres perdent moins de[p.49]leur valeur, en second lieu, les catholiques étant assujettis à payer double pour la taxe foncière, plus ils paient à l'état, moins les protestans ont à payer. Il en est de même de toutes les objections élevées contre le bill, elles sont également chimériques : toutes ces écoles, ces séminaires, ou n'existent que dans l'imagination, ou ne présentent rien de dangereux ; car enfin, dira-t-on que les enfans des protestans sont attirés dans ces écoles ? On sait que quand bien même ils se présenteroient dans les deux principales, ils n'y seroient pas reçus. Si l'on suppose qu'ils peuvent être admis dans quelques écoles obscures, cette considération mérite l'attention du corps législatif, & il est facile de remédier à cet inconvénient, en passant une loi qui le prévienne efficacement. ……………………………………………………

Je conclus donc à ce qui suit :

1°. Que l'opinion de ce comité est, que d'une part on a présenté sous de fausses couleurs ; de l'autre, on a mal entendu l'effet & l'opération d'un acte passé dans la dix-huitième année du règne de sa majesté actuelle, intitulé, &c.

2°. Que l'opinion de ce comité est, que ledit acte ne révoque point, n'altère point, n'annulle point, ne rend, en aucune manière, inefficaces[p.50]les statuts divers, faits pour interdire l'exercice de la religion papiste, antérieurement aux statuts passés dans la onzième & la douzième année du règne de Guillaume III.

3°. Que l'opinion de ce comité est, que ledit acte n'attribue ni au pape, ni au siège de Rome, aucune jurisdiction ou autorité ecclésiastique ou spirituelle.

4°. Que l'opinion de ce comité est, que cette chambre veille & veillera toujours, avec la plus confiante attention, aux intérêts de la religion protestante, que toutes les tentatives qui seroient faites pour décacher la jeunesse de ce royaume de la religion établie, & lui faire embrasser le papisme, sont infiniment criminelles aux yeux des loix actuellement en vigueur, & doivent être l'objet de quelques réglemens ultérieurs.

5°. Que l'opinion de ce comité est, que tous les efforts qui seroient faits dans la vue de troubler l'esprit du peuple, en lui représentant ledit acte passé dans la dix-huitième année du règne de sa majesté, comme incompatible avec la sûreté & avec les principes de la religion protestante, tendent manifestement à troubler la paix publique, à dissoudre l'union nécessaire dans ce moment-ci,. à déshonorer le caractère national, à décréditer la religion protestante aux yeux des[p.51]autres nations, & à fournir une occasion au renouvellement des persécutions contre nos frères protestans, résidens en d'autres pays.

 

Discours éloquent de lord North, en faveur des Catholiques. Atrocité de la conduite qu'on voudroit tenir contre eux, sans aucune raison. Avantages de la tolérance par-tout où elle règne. Éloge de ces Catholiques qu'on persécute & d'un caractère bien différent de leurs ennemis acharnés, ignorans & imbéciles.

 

Du 20 Juin 1780.

Quoi ! milords, condamner à un emprisonnement perpétuel un prêtre qui, en disant la messe, a cru remplir le devoir le plus saint de son ministère ! Quoi ! adjuger à un fils dénaturé les biens de son malheureux père, que le monstre dénonce pour être catholique ! Quoi ! ôter à un père, à une mère la liberté d'élever ses enfans dans les principes de sa religion ! Et pourquoi se souiller de toutes ces injustices ? Pour complaire à qui ? À des gens qui… Ce qu'il y a de certain, c'est que les catholiques Romains, résidens en Angleterre, sont de parfaitement honnêtes gens, & se conduisent admirablement[p.52]bien. Plût à Dieu que l'on en pût dire autant de tous les protestans ! mais ce sont des monstres, se disant protestans, qui ont mis, il y a deux jours, cette métropole, fumante encore, à deux doigts de sa destruction totale !

Pourquoi persécuterions-nous les catholiques Romains ? Les jours de délire sont passés ; le Prétendant n'est plus à nos portes, il n'y paroîtra plus. Maisdit-on, la religion Romaine est intolérante, elle force à l'intolérance. Ne croiroit-on pas que c'est en Angleterre que les Romains s'attachent à établir ce principe, le seul peut-être blâmable de leur persuasion ? Ne sembleroit-il pas qu'ils exigent de nous que nous pensions comme eux ? Les pauvres gens, ils vous demandent paix & protection, vous leur devez l'une & l'autre : je ne vois pas, d'ailleurs, que les principes du papisme soient, comme on affecte de le faire croire, si incompatibles avec le gouvernement, avec la liberté civile. Si je jette les yeux sur la Suisse, je vois la démocratie fleurir dans les cantons catholiques avec plus d'éclat que dans les autres. Oh ! que l'univers se prosterne devant le trône de la tolérance ! Elle a pour amis, pour adorateurs, tout ce qui existe de gens de bien chez toutes les nations éclairées. Quels sont ses ennemis, ses persécuteurs ? Il est aisé de s'en former une idée. Quels sont, par exemple, les[p.53]gens qui nous présentent les pétitions dont la discussion nous occupe ? Quels sont ces citoyens ? Ceux qui, dans un moment où la nation succombe sous le poids d'une infinité de griefs divers, & en demande de toutes parts le redressement, ne s'occupent point des maux qu'ils sont censés partager, qui devroient être les leurs, & se bornent à demander la persécution de leurs frères !Quels sont ces gens ? Encore une fois, il est aisé de les apprécier ; il ne faut que jetter les yeux au bas des pétitions ; on y observe plus de croix ou de marques que de signatures : ce sont donc d'honnêtes ignorans, sans éducation, qui ne savent ni lire ni écrire : il est naturel que ces braves gens ne pardonnent jamais à un Romain qui saura lire & écrire.

[p.54]

 

Discours contradictoire de l'Alderman Bull, qui, le 2 Juin, de terrible mémoire, avoit secondé la Motion de lord George Gordon. Il insiste sur les dangers de tolérer le Papisme.

 

Du 20 Juin 1780.

Je me lève, monsieur, pour déclarer avec empressement, que j'adhère en tous points à la teneur des pétitions présentées par les diverses associations protestantes : je m'estime heureux d'avoir, à cet égard, la sanction du corps auquel j'ai l'honneur d'appartenir, (le corps municipal de la cité) & je suis charmé de voir qu'enfin, la fermeté d'une opposition louable tient contre l'encouragement que le papisme a trop long-tems reçu de la part des serviteurs de la couronne.

Lorsque l'on établit à Québec ce système de superstition sanguinaire & intolérante, cette première démarche eût dû répandre une alarme générale dans toute la nation : le dessein étoit trop évident, pour qu'on pût s'y méprendre ;& je crois fermement que le dernier acte par lequel le papisme est toléré dans le royaume, est un sombre complot de ministres, complot dont l'objet est la destruction des libertés du[p.55]peuple, & l'établissement d'un gouvernement despotique : rien de si favorable à de pareilles vues que le papisme, particulièrement distingué par le précepte d'obéissance passive, dont le prêtre enjoint, à son gré, l'observance, sous peine de damnation éternelle.

Je ne voudrois pas que l'on me regardât comme l'avocat de la persécution ; l'idée seule me révolte. Ce n'est pas à raison d'aucun principe religieux que je répugne à ce que les papistes soient tolérés, c'est parce que dans un gouvernement protestant quelconque, ils ne peuvent donner aucune sûreté qui asservisse leur obéissance au gouvernement civil : ils sont les ennemis implacables de tout protestant : dès leur plus tendre enfance, toutes les obligations, qu'ils contractent, tendent à les armer contre tout ce qu'ils appellent hérésie, à détruire tout ce qu'ils appellent hérétique ; c'est-à-dire, tout ce qui ne pense pas comme eux ! Est-ce là une religion ? Non, monsieur, c'est une fourbe de prêtre, une fourbe d'état : s'opposer à des gens infectés de ces opinions horribles, ce n'est point persécution, c'est encore moins une persécution religieuse : c'est prudence ordinaire ; c'est bienveillance & notre propre égard, à l'égard de tout ce que nous avons de plus cher ; c'est défense de soi-même : tous ces motifs ont des droits à l'appui de quiconque[p.56]respecte les droits du genre humain !

Quelle est, monsieur, la conduite que, dans la mémorable année 1745, tinrent nos évêques & notre clergé ? On les vit alors, avec une ardeur infatigable, s'écrier par-tout : défiez-vous du papisme, défiez-vous d'une religion, faussement appellée religion, qui a plongé l'Europe dans des flots de sang, qui, actuellement n'a pour objet que le détrônement de sa majesté, que l'éloignement de sa famille royale, & la ruine entière de notre constitution & de nos libertés ! C'est ainsi que s'exprimoient alors nos ministres : aujourd'hui, parce qu'il plaît à la cour & à ses créatures d'encourager le papisme, évêques, ministres, tout est muet ;& cette religion, contre laquelle on cherchoit, il y a trente-cinq ans, à nous inspirer tant d'horreur, est aujourd'hui la chose du monde la plus innocente, qui mérite le plus notre encouragement, notre appui ! Il y a dans tout ceci de l'imposture, & cette imposture peut avoir les suites les plus funestes.

Nous savons qu'il existe des écoles ouvertes, où les enfans pauvres sont instruits gratuitement. Nous savons même qu'il existe des prêtres, des jésuites, faisant publiquement métier d'augmenter le nombre de leurs prosélytes ; de substituer leur doctrine au système d'honnêteté morale, &[p.57]d'accréditer les principes qui tendent visiblement à la subversion de la paix & du bon ordre : quelles suites ne doivent pas avoir de pareils abus ? Je crains bien, monsieur, que le résultat ne soit le despotisme du prince, l'esclavage du peuple ; j'ai cette crainte en commun avec les milliers de protestans qui s'adressent aujourd'hui à cette chambre, & qui remplissent ce qu'ils se doivent à eux-mêmes & à leur postérité, en nous suppliant de réviser le dernier acte passé en faveur des papistes, Quoiqu'au moyen de l'influence corrompue de la couronne on ait méprisé & foulé aux pieds les pétitions précédentes, je me flatte que la chambre prendra, sans délai, celles-ci en considération, crainte que non-seulement la multitude qui, dernièrement obsédoit votre porte, mais le peuple en général, ne soupçonnent que sous le masque spécieux d'humanité & d'égards pour les personnes des papistes, notre dessein soit de sacrifier devant l'autel du papisme même, l'héritage précieux acquis au prix du sang de nos ancêtres, la sûreté de la religion protestante. Tels sont mes sentimens, ils sont fondés sur les argumens les moins équivoques, l'observation & l'expérience.

[p.58]

 

Exclamation de M. Burke, sur l'obstination de l'ignorance & du mensonge à rejetter tout ce que des gens instruits avoient avancé de plus lumineux en faveur de la tolérance. Il s'étonne de ce que l'Alderman Bull, non-Conformiste lui-même, refusoit à d'autres non-Conformistes la tranquillité dont il jouissoit.

 

Du 20 Juin 1780.

Est-il possible (s'écria M. Burke avec indignation) qu'après avoir entendu ce que les hommes les plus habiles, les plus éloquens, les plus instruits de la nation ont exposé de plus lumineux, de plus convaincant en faveur de la tolérance, on soit condamné à entendre ce que l'ignorance la plus crasse, du plus illettré des hommes peut emprunter de plus absurde de ses fidelles compagnes, le mensonge & le fanatisme…………

Apres une longue suite d'observations judicieuses, de citations, de discussions instructives, M. Burke, revenant à l'Alderman Bull, lui demanda comment un homme comme lui, un[p.59]non conformiste[6], jouissant de toutes les douceurs qui émanent de la tolérance, pouvoit en conscience, refuser à d'autres non-conformistes les consolations qui faisoient son bonheur, & qu'il ne devoit qu'à l'indulgence d'un gouvernement éclairé ?

 

Discours de l'Archevêque de Cantorbéry, dans lequel il s'élève avec force contre le projet d'un nouveau Bill, dont l'objet étoit de condamner un Prêtre Catholique Romain, à l'emprisonnement perpétuel, & d'adjuger une somme de cent livres sterlings à celui qui le dénonceroit. Il fait l'éloge de la tolérance prescrite par la Doctrine Anglicane, lorsqu'elle est compatible avec les vues du gouvernement civil.

 

Du 11 Juillet 1780.

À quoi tend ce bill ? À quoi peut-il tendre ? à faire imaginer que celui qui a été passé en 1778, a été reçu inconsidérément ; qu'on s'en est apperçu[p.60]deux ans après ; que l'on cherche à réparer une erreur que l'on reconnoît enfin ? Peut-on concevoir une impression plus désavantageuse, plus incompatible avec la dignité de la chambre ? Est-il un seul des nobles pairs qui se respecte assez peu pour déclarer aujourd'hui qu'il se repent d'avoir voté en faveur d'un acte, tendant à révoquer deux clauses déshonorantes pour la nation, insérées dans l'acte de la onzième & douzième année de Guillaume, contre le gré de ce prince, contre l'intention de ceux mêmes qui suggéroient ces horribles clauses ? Est-il un seul des nobles pairs qui regarde comme compatibles avec l'humanité & le christianisme ces dispositions de l'acte en question, dont l'une condamne un prêtre catholique Romain à l'emprisonnement perpétuel ; l'autre adjuge une somme de cent livres sterlings à celui qui dénonce ce prêtre ! Cependant, revenir contre le bill qui abroge ces odieuses clauses, c'est déclarer que l'on se repent d'avoir concouru à leur abrogation ; comme chef d'une église chrétienne, je dois veiller au maintient de l'honneur de cette église, à ce que l'esprit du christianisme se conserve dans toute sa pureté : quel est le premier précepte de cette religion sainte ? La charité ! Conçoit-on que la charité puisse exister sans tolérance ? Conçoit-on une religion dépourvue[p.61]de générosité ? Et la générosité peut-elle subsister avec l'esprit d'intolérance ? Si dans le christianisme, considéré en général, ont veut distinguer les nuances, si mal-à-propos confondues avec l'idée que l'on attache au mot secte, on trouvera dans la doctrine anglicane, plus particulièrement encore que dans toute autre, ces principes épurés & saints qui prescrivent strictement l'indulgence religieuse, autant qu'elle peut être compatible avec les vues du gouvernement civil ; la question consiste donc à savoir si l'indulgence accordée aux catholiques Romains a mis l'état en danger ? C'est ce que poseront en fait l'ignorance, l'envie & le fanatisme : mais vous, milords, qui allez décider de ce bill que je prétends être plus qu'inutile, vous savez parfaitement que cette assertion est fausse, si la religion prescrit la charité, à ne considérer les choses que sous les rapports humains. Certainement le premier devoir de la société est l'humanité ; or, consultez vos devoirs comme hommes & comme chrétiens, vous verrez que l'humanité & la charité s'élèvent avec une égale indignation contre l'idée absurde, tyrannique, je dirais impie, de forcer un homme quelconque à rendre au créateur un culte qui répugne à sa conscience, à sa manière de penser & de croire ; telles sont mes idées sur la religion, je me fais un devoir de les rendre publiques.

[p.62]

 

Discours du Marquis de Rockingham, sur le même sujet. Il fait l'apologie de l'Acte de révocation qui avoit été fait en 1778 du même Bill proposé de nouveau. Il s'élève contre la malignité de ceux qui prétendent qu'une propriété plus considérable pourroit donner trop d'influence dans la Communauté aux Catholiques Romains.

 

Du 11 Juillet 1780.

Il est certain que les deux clauses de l'acte de Guillaume III, révoquées par celui de la dix-huitième année du règne actuel, étoient odieuses, injustes, cruelles, oppressives, déshonorantes pour l'Angleterre ; on n'a pas encore contesté cette vérité ; que trouvera-t-on donc de répréhensible ou d'alarmant dans l'acte de 1778 ? Quelle clause de cet acte peut justifier les inquiétudes auxquelles il a donné lieu ? Où trouvera-t-on que le corps législatif ait accordé aux catholiques Romains de nouvelles indulgences ? Nulle part, tout ce qu'il y a d'hommes sensés dans la nation en est convaincue : répondre à l'ignorance & à la prévention aveugle, c'est perdre son tems & sa dignité, il est un point, par exemple,[p.63]sur lequel on s'est beaucoup récrié ; mais, on dit les gens à pétitions, n'est-ce donc point une indulgence dangereuse que de permettre aux catholiques d'acquérir des biens fonds, & de les transmettre par voie de succession ? À cela je réponds que la clause ne change rien au fond des choses, mais seulement dans la forme ; croit-on parce qu'il existoit une loi qui leur défendoit d'acquérir, que les catholiques industrieux n'avoient point de propriété ? Croit-on parce qu'une clause de cette loi défendoit à un père catholique de transmettre sa propriété à ses enfans, que ce père en mourant n'assuroit pas tout ce qu'il possédoit à ses enfans ou à quiconque en possédoit les droits dans son cœur ? Ce seroit croire ce qui est improbable ; non, le catholique Romain avoit constamment recours au fidéi-commis, & le nom du fidéi-commissaire paroissoit dans l'acte, au lieu de celui de l'acquéreur on du testateur ; or, il étoit de la plus saine politique de ramener ainsi les choses à leur cours naturel, parce que les véritables noms des catholiques Romains étant actuellement consignés dans tous leurs actes d'acquisitions, & de transmission testamentaire, le corps législatif sera désormais à portée de connoître, quand il le jugera à propos, le degré d'influence qu'une propriété plus ou moins considérable peut donner aux catholiques Romains[p.64]dans la communauté. Si cette influence devenoit un jour assez sensible pour mériter l'attention des législateurs, alors la prudence leur dicteroit ce qu'il seroit expédient de faire, pour qu'il n'en résultât pas des abus dangereux, en général, depuis quelque tems, la malignité & le mensonge ont développé de concert toute leur fourberie, toutes leurs odieuses ressources, pour abuser de la simplicité du peuple, en lui présentant, sous de fausses couleurs, tout ce qui a eu rapport aux catholiques ; on a pris une peine infinie à établir en fait que depuis l'acte qui a fait tant de bruit, occasionné tant de malheurs, les chapelles papistes s'étoient multipliées à un point alarmant ; que le nombre des papistes eux-mêmes, s'étoit triplé ou quadruplé : le fait est cependant que depuis l'acte, il n'y a pas eu une seule chapelle catholique ajoutée à celles qui existoient ; il en est de même du nombre des individus, évidemment diminué & diminuant tous les jours ; il en est de même enfin de toutes les calomnies, de toutes les fables inventées par la noirceur, accueillies par l'ignorance, dont l'esprit de rapine a fait récemment le prétexte des excès les plus coupables.

[p.65]

 

Discours de l'Évêque de Bath-and-wells, dans lequel il prouve d'après le dénombrement fait vers 1720 par le Docteur Gastrell, que loin d'augmenter à la faveur de la tolérance, comme l'esprit d'animosité vouloit le persuader que le nombre des Catholiques avoit toujours diminué progressivement, jusqu'à l'époque actuelle.

 

Du 11 Juillet 1780.

Mon intention n'est pas de m'opposer à cette motion ; mais je me fais un devoir de déclarer que je me suis occupé de ces recherches avec quelqu'assiduité, & j'ai eu la satisfaction de trouver que loin d'augmenter, comme l'esprit d'animosité vouloit le persuader, le nombre des catholiques a toujours diminué, depuis l'époque à laquelle il m'a paru être plus considérable : voici le résultat de mon travail à cet égard.

Il y a environ soixante ans que le docteur Gastrell fit ce dénombrement, qui donna le total de soixante-huit mille ; dans le comté de Chester, asyle favori des catholiques, il en existoit alors trente-sept mille. En 1767, on fit un second dénombrement dans ce même comité de Chester le total ne monta qu'à vingt-cinq mille ; on est[p.66]revenu, il y a trois ans, à la même opération ; dans ce comté de Chester, où il ne s'est plus trouvé que seize mille catholiques ; depuis ces trois dernières années, par conséquent depuis que l'acte dont il s'agit a été passé, de forts indices font présumer que ce nombre est encore infiniment diminué.

[p.67]

 

Discours éloquent du lord Chancelier, au sujet de la clause du Bill proposé qui interdisoit aux Catholiques d'enseigner même dans les écoles qui ne sont ouvertes que le jour, & où les enfans ne sont logés ni le jour ni la nuit. Il appuie la motion de l'Évêque de Rochester qui proposoit qu'on substituât au mot d'enseigner celui de gouverner. La seconde de ces deux expressions se rapporteroit aux principes & aux documens de la religion Catholique Romaine qu'il seroit dangereux de ne pas empêcher ; l'autre ne regarderoit que les sciences & les arts, espèce d'instruction qu'il seroit également dangereux & ridicule de ne pas tolérer.

 

Du 11 Juillet 1780.

Cette distinction établis par le noble prélat, entre les mots enseigner & gouverner, n'est pas une distinction d'école, elle ne conduit pas à une discussion purement grammaticale ; l'effet du bill qui nous occupe, dépend entièrement du choix que l'on fera de l'une ou de l'autre de ces expressions. Certainement, milords, votre intention n'est pas d'ôter aux catholiques la liberté d'enseigner les sciences & les arts ; il importe peu à un père de famille si le maître qui instruit ses enfans[p.68]dans l'art de lire ou d'écrire est protestant, presbytérien, ou catholique Romain ; aussi long-tems donc que les maîtres catholiques se borneront à enseigner les arts & les sciences, je ne vois pas qu'ils puissent raisonnablement donner le moindre ombrage ; s'ils franchissoient ces limites posées par la saine politique. S'ils se mêloient de gouverner, c'est-à-dire, s'ils se chargeoient à tous égards de l'éducation des enfans protestans, de sorte que les matières religieuses fissent partie de leurs leçons, alors ils deviendroient dangereux, & c'est à ce point qu'il faut les arrêter.

Je me trouvai dans une position singulière, lorsqu'en 1778 on présenta le bill, tendant à révoquer les clauses de l'acte de Guillaume III ; je fus le seul pair du royaume en qui il trouva une légère opposition ; non pas qu'il ne me parût alors comme il me paroît aujourd'hui, humain, juste, nécessaire, mais parce que la session tirant à sa fin, je craignis que l'on n'eut pas le tems de le considérer avec l'attention qu'il méritoit ; il passa, & l'ayant mûrement médité depuis, je l'ai regardé & je le regarde encore comme un monument qui fera toujours honneur au parlement Anglais.

II n'est aucun de vous ; milords, qui ne connoisse les circonstances bisarres dans lesquelles[p.69]fut passé l'acte dont le bill en question révoquoit les clauses les plus révoltantes, (l'acte de Guillaume III), lorsque les communes l'envoyèrent à la chambre haute, ceux des pairs qui désiroient qu'il fut rejetté crurent réussir en y ajoutant des clauses si rigides qu'il leur paroissoit impossible qu'elles fussent admises ; ils se trompoient ; le bill original déjà porté à un point de sévérité extrême, passa avec les clauses additionnelles. Lorsqu'en cet état, il fut renvoyé aux communes, ceux des membres de cette dernière chambre qui désiroient qu'il ne passât pas, eurent recours au même expédient, ils renchérirent sur la chambre haute, & à toutes ces clauses injustes & barbares, ils en ajoutèrent d'autres plus dures encore ; ils se trompèrent aussi, le bill passa avec les clauses ? L'évêque Burnet nous a transmis précieusement le détail de ces circonstances, & cet historien a porté l'impartialité jusqu'à les approuver ! Cela n'a pas empêché que cet acte n'ait déshonoré le siècle dans lequel il fut passé, & celui qui a souffert qu'il restât en force : il y a deux ans qu'on l'a révoqué en partie, mais on y a laissé subsister des clauses également déshonorantes, & pour leurs fabricateurs & pour ceux qui les ont laissé subsister ;& j'avouerai que lorsqu'il a été question d'y faire des amendemens, j'avois[p.70]cru que l'on se proposoit de supprimer ces clauses ; j'étois bien éloigné de penser qu'au contraire on vouloit ajouter à leur sévérité ? Me permettra-t-on de demander quel peut être l'objet de ce nouveau bill, qui, loin de remplir mon espoir, ajoute, comme je viens de l'observer, à la honte d'avoir laissé subsister si long-tems un monument de barbarie ? Depuis l'acte passé il y a deux ans en leur faveur, les catholiques se sont-ils souillés de quelque crime ? Leur impute-t-on une seule action qui ait mérité l'animadversion du corps législatifs ? Nomme-t-on parmi eux un seul individu qui ait été convaincu, je ne dis pas d'un crime, mais de la plus légère imprudence ? N'est-ce pas un fait connu de vous, milords, connu de la nation entière, connu des ennemis même des catholiques Romains, que leur conduite a été constamment & à tous égards irréprochable ? Quel peut donc être l'objet de ce nouveau bill ? Pourquoi, dans quelle vue, à quelle fin nous est-il présenté ? Ce moment d'ailleurs est-il celui qu'il falloit choisir pour présenter un pareil bill ? Est-il ici un noble pair qui ne sente pas avec émotion qu'il ne pouvoit pas être présenté plus à contre-tems ? Mais, dit-on, le bill qu'on se propose de modifier, n'avoit pas été assez approfondi, il avoit passé à la fin[p.71]d'une session : eh quoi ! n'est-ce pas à la fin d'une cession qu'on nous présente celui-ci ! Mais sans chercher à tirer parti de cette réflexion, allons au fait ; encore une fois quel est l'objet de ce nouveau bill ? De modifier, d'amender, de perfectionner le premier : fort bien. Quel étoit l'objet du premier ? De révoquer dans l'acte de Guillaume III les clauses qui paroissoient plus particulièrement révoltantes & tyranniques, telles que celle qui encourageoit le père à être le délateur de son fils, le fils à être le délateur de son père, clauses abominables, éternels objets de mon exécration ! Pourroit-on sans vous outrager milords, vous supposer assez dénués de politique, de sagesse, d'humanité, pour croire que vous vous prêteriez à ce que ces clauses fussent remises en force ! L'idée seule fait frémir !

Le même acte, qui a révoqué ces clauses atroces, a laissé subsister les restrictions que semble autoriser la politique : si ces restrictions subsistent, a-t-on besoin d'un nouvel acte ? Je ne suis pas un partisan si outré de la tolérance que l'a été M. Locke, mes notions à cet égard sont plus limitées que les siennes : je pense que tout non-conformiste ne doit pas avoir la liberté de faire des prosélytes parmi les Anglicans ; mais pourquoi un non-conformiste, privé de cette liberté, n'auroit-il pas celle d'enseigner l'art d'écrire, de[p.72]lire, la géographie ou les langues ? C'est donc ici qu'il faut établir cette sage distinction du noble prélat, entre les mots enseigner & gouverner ; que les catholiques enseignent, mais qu'ils ne gouvernent pas ; il n'est pas possible que le bill qu'on nous présente ait un objet plus étendu en vue : si son objet se borne à ce point essentiel le bill est inutile : si ses vues sont plus étendues, il est tyrannique.

Quelqu'erronnée que puisse être la religion des catholiques Romains, tout ce qu'on peut faire à cet égard, c'est d'empêcher qu'elle ne propage ses erreurs ; la voie des restrictions est la seule praticable ; celle des punitions ne l'est qu'à l'égard de ceux de cette communion qui seroient des sujets dangereux : or je demande si un homme est dangereux parce qu'il croit à la présence corporelle ou à l'invocation des saints ? Si l'on découvrait qu'une secte quelconque eût adopté des principes dangereux pour la société, le devoir du magistrat seroit d'infliger à ces sectaires des peines proportionnées au danger de leurs principes : si, par exemple, les catholiques Romains croient que le pape a le pouvoir de déposer les rois, qu'ils ne sont point liés par la bonne-foi envers ce qu'ils appellent des hérétiques, qu'ils soient exterminés. Mais ces absurdités font-elles partie de leur doctrine ? Les en a-t-on convaincus ; [p.73]aucun de vous, milords, en a-t-il jamais entendu un seul poser de pareils principes ? Ce qui, dans ces deux suppositions, a rapport au pape ; premièrement, ne peut avoir lieu en Angleterre ; secondement, je demande en quel endroit de la terre cette doctrine conserve son influence ; croyez-vous, milords, qu'elle en ait conservé en France, en Espagne ? On a découvert qu'elle en avoit en Irlande, & en vérité, c'est ce qu'on peut appeller une découverte étrange, une découverte qui a dû beaucoup faire rire la France & l'Espagne.

Au reste, les catholiques Romains abjurent, par serment, ces notions ridicules, & leur serment me paroît aussi sacré que celui de tout autre membre de n'importe quelle communion, ils sont sujets de la couronne britannique, & comme tels, ont des droits à la confiance, à la protection du corps législatif : si parmi eux, comme dans toute autre secte, il s'est trouvé quelques individus pervers, je crains bien que le gouvernement ne soit l'auteur des crimes qu'il s'est réservé le droit de punir. Lorsque, par exemple, vous avez tenté de convertir le fils d'un catholique, lorsque pour le séduire plus sûrement, vous lui avez présenté l'appât de la fortune de son père, confisquée à son profit, vous avez fait un monstre de ce fils, vous avez par conséquent d'un[p.74]côté, fait l'acquisition d'un mauvais citoyen ; de l'autre vous avez fait naître dans le cœur du père une haine implacable, il ne vous a jamais pardonné ce crime contre nature, & vous n'avez jamais dû attendre un sujet affectionné dans un malheureux père, qui vous reproche d'avoir fait un monstre de son fils, en qui il chérissoit une créature sensible. Dieu & la nature ont attribué au père & à la mère l'éducation de leurs enfans, vos actes tyranniques ont contrarié ces dispositions éternelles : en donnant l'exemple de la sévérité, vous avez encouragé l'ignorance & le fanatisme à commettre des actes de cruauté contre des sujets qui, s'ils sont dans l'erreur par cette raison, ils n'en sont même que plus intéressans, parce qu'ils sont plus à plaindre, l'erreur étant une infortune en elle-même, c'est cependant de cette erreur qu'on a fait un crime : or, punir un crime pareil, est, à mon avis, le plus grand crime dont la nature humaine puisse se rendre coupable, crime atroce, infâme crime que j'abhorre hautement ! Je dirois que je l'ai en exécration en présence d'une armée fanatique, quoiqu'il en pût arriver ?

Après vous avoir ainsi exposé & mes principes, & les motifs de mon opposition, je crois, milords, pouvoir vous recommander de laisser les maîtres catholiques en possession de leurs écoles de jour,[p.75]tant qu'ils se borneront à enseigner l'art de lire & d'écrire ; du moment où ils s'ingéreront à enseigner leurs erreurs aux protestans, il sera tems d'y mettre ordre : une clause du nouvel acte leur permet d'enseigner à danser ; pourquoi ne leur pas permettre également d'enseigner le Français & l'Italien, tout enfin, excepté des erreurs dangereuses pour l'état ? Je ne vois point de danger pour l'état dans les leçons de lecture, d'écriture, de géographie, d'arithmétique, &c ; au nom de Dieu, milords, permettez donc qu'un maître d'école papiste enseigne tout cela, enseigne tout autre art, toute autre science, excepté sa religion : si vous lui ôtez cette liberté, vous lui ôtez, en pure perte pour vous-même, ce qui lui est d'une utilité infinie, vous commettez donc un acte d'injustice ; si quelque chose peut justifier des restrictions imposées par le gouvernement sur quelque classe particulière de sujets, ce ne peut être que le bien qui résulte de ces restrictions pour la nation en général : quel bien peut résulter pour la nation des restrictions imposées sur les maîtres, si utiles à tant d'égards, & qui ne peuvent être nuisibles qu'à un seul ? enfin, milords, considérez que cet acte ruine une infinité de sujets ; ruiner des sujets est une chose conséquente, qui ne doit pas être faite inconsidérément : lorsqu'un homme est ruiné, lorsqu'on lui a[p.76]ôté son emploi, de ce moment, il devient un homme désœuvré ; un homme désœuvré est toujours un homme dangereux ;& en vérité, milords, Dieu fait qu'un homme à qui l'on a ôté les moyens de vivre est un homme infiniment plus dangereux, un homme qui, probablement, fera beaucoup plus de mal à la société que n'en peuvent faire deux maîtres d'école obscurs, deux pauvres maîtresses d'école qui enseignent à épeler : je vous invite donc très-instamment, milords, à adopter cette distinction faite par le noble prélat, & à substituer, en forme d'amendement, le mot gouverner au mot enseigner.

 

Autre Discours du lord Chancelier, sur le même sujet en réponse à quelques objections qui lui avaient été faites par plusieurs Membres & en particulier par un Évêque. Il soutient que l'empressement de se faire des prosélytes que l'on reproche aux Catholiques, leur est commun avec toutes les autres sectes, & que leur doctrine n'est pas incompatible avec un Gouvernement libre.

 

Du 12 Juillet 1780.

Je croyois, milords, que nous nous étions suffisamment expliqués hier, je croyois la matière épuisée,[p.77]& je ne m'attendois guère à voir renaître des difficultés mûrement discutées, victorieusement dissipées ; on oppose aujourd'hui des fantômes à des réalités, des inquiétudes, des craintes à des faits établis par la démonstration : il a été prouvé que, loin d'augmenter & de s'accroître, comme on affectoit de le faire croire, le nombre des papistes & le papisme lui-même déclinoient journellement en Angleterre ;& aujourd'hui un révérend prélat veut nous persuader que si l'on ouvre les portes des écoles, l'Angleterre va être inondée de papistes : quelle raison en donne t-il ? C'est que les papistes aiment à faire des prosélytes ; je ne vois pas qu'en cela ils diffèrent des autres hommes, & certainement, milords, le révérend prélat ne nous apprend rien de nouveau ; vous savez comme lui, que le zèle religieux porte tout sectaire à faire des prosélytes, rien de si naturel : un homme qui croit sa religion meilleure que toute autre, croit remplir les devoirs de l'humanité, en engageant ses semblables à participer au bonheur qu'il se promet de l'exercice de cette religion : ce principe est établi dans notre église, qui ouvre son sein avec complaisance aux nouveaux convertis, & qui aime à voir leur nombre s'augmenter. Si, en sortant de l'église anglicane, vous jettez les yeux sur les non-conformistes, divisés en plusieurs sectes différentes, sur les[p.78]méthodistes, &c. Vous les verrez se réunir toutes dans ce seul point ; vous verrez les communions de toutes les dénominations, empressées à s'enlever respectivement des prosélytes, en un mot, à faire ce qu'on appelle des conversions : ce reproche ne doit donc pas, ne peut donc pas être plus particulièrement attribué aux catholiques romains qu'à tout autre communion religieuse ; il reste donc à savoir si, en ouvrant les écoles de jour, on fournira aux catholiques plus de moyens de satisfaire cette manie universelle de convertir : cette idée nous mèneroit bien loin, si loin que je prévois qu'il faudroit finir par interdire toute communication entre les enfans, protestans & catholiques, parce que l'infection qui ne se gagneroit pas à l'école, se gagneroit ailleurs, & on n'y trouveroit de remède que dans une séparation totale ; au reste, peut-on imaginer que ces maîtres, ces maîtresses, payés pour enseigner à lire, à écrire, vont donner leur tems à la controverse religieuse ? L'idée est trop absurde pour que l'on puisse s'y arrêter un instant. L'autre objection du très-révérend prélat, fondée sur ce que les principes & la doctrine des catholiques romains sont incompatibles avec un gouvernement libre, est infiniment plus imposante : si cette assertion n'est point certainement hasardée, non-seulement l'amendement dont on[p.79]demande la suppression, mais le bill entier doit être rejeté ; ce sont d'autres mesures qu'il faut prendre, si l'on peut prouver que des papistes, des juifs ou des gens de n'importe quelle secte ou communion, professent une doctrine incompatible avec un gouvernement ; lorsque vous en serez bien convaincus, milords, ne les opprimez point, ne les persécutez point, ne passez point contre eux des loix qui les dépouillent des droits communs à l'humanité entière ; bannissez-les du royaume eux & leur doctrine ; mais, je le répète, milords, ne prenez ce parti extrême que quand vous serez bien convaincus, & vous ne le serez pas aisément. Il sera difficile de prouver à des hommes sensés, que les catholiques romains admettent des principes incompatibles avec un gouvernement lire ; pour prouver le contraire, il n'est pas nécessaire de remonter au concile de Constance ; jettez les yeux sur votre propre pays, & voyez la multitude de faits qui déposent contre cette assertion ; parcourez les états catholiques, demandez à leurs habitans s'ils redoutent le pouvoir du pape, si ce pouvoir est assez considérable pour détruire la subordination qui règne parmi eux, pour empêcher que le peuple n'obéisse à ses magistrats, à ses princes : racontez-leur ensuite tout ce qui se dit à Londres & dans toute l'Angleterre au sujet du pape, du papisme, & des papistes : les uns[p.80]riront de votre ignorance, les autres en auront pitié & ne vous écouteront qu'avec le mépris qu'elle mérite ; mais certainement, personne ne vous répondra sérieusement, personne ne prendra la peine de vous convaincre de l'absurdité de vos doutes, du ridicule de vos notions ; mais, milords, j'ai un raisonnement plus victorieux à opposer aux difficultés que l'on voudroit faire renaître : en deux mots, pensez-vous réellement que les catholiques romains professent une doctrine incompatible avec votre constitution ? si vous l'avez pensé, vous les avez traités avec bien de l'inhumanité ; vous vous êtes conduits bien scandaleusement, lorsqu'en passant le bill de 1778, vous les avez assujettis au serment par lequel ils abjurent cette doctrine : vous avez reçu le serment de soixante-dix mille hommes que vous avez rendus parjures de gaieté de cœur : mais non, vous ne doutez pas que ce serment n'ait été prêté de bonne foi, parce que vous savez, avec tout l'univers, qu'il n'existe pas un catholique qui n'ait abjuré cette doctrine dans son cœur, avant de l'abjurer par serment.

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Dixième section. De la guerre d'Amérique.

 

Discours éloquent du Comte de Chatham, dans lequel il démontre l'injustice & les conséquences du commencement de la Guerre d'Amérique. Il soutient que la manière dont on a procédé contre Boston, a été la proscription d'un peuple sans l'avoir entendu. Il compare la précipitation & l'emportement de l'Administration Anglaise avec la sagesse & la modération du Congrès. Il conclud par demander qu'il soit présenté une adresse au Roi, à l'effet de l'engager à une conciliation avec l'Amérique, & à évacuer Boston.

 

Du 20 Janvier 1775.

Il y a deux choses en quoi les ministres se sont efforcés de tromper le peuple, & qu'ils lui ont persuadé, d'abord, qu'il ne s'agissoit que de Boston ;& en second lieu, qu'un seul régiment n'auroit qu'à s'y montrer, & que tout rentrerait promptement dans l'ordre.[p.82]J'ai prédit la fausseté de ces deux assertions. J'ai été beaucoup en relation avec ce pays, beaucoup d'années, beaucoup plus que personne ; & j'ai vu que la cause de Boston alloit devenir la cause de l'Amérique ;& que si l'on vouloit la traiter militairement, on ne réussiroit point.

La manière dont on a procédé contre Boston, a été la proscription d'un peuple, sans l'entendre dans aucun tribunal, ni dans les cours ordinaires de justice, ni dans les cours supérieures du parlement, où peuvent être établies les forfaitures. Oui, l'on a refusé aux Américains de les entendre ;& condamnés sans avoir été admis à se justifier, ils ont le droit de ne pas se soumettre.

Dire par quels conseils on a suivi des principes de vengeance, par quels conseils on a donné de faux états, par quels conseils on a pris tous les moyens que pouvoient suggérer l'animosité & la haine pour gouverner un peuple libre ? Voilà sans doute de belles & intéressantes questions. Pour moi, mon intention est de n'inculper personne, qu'autant que ses fautes l'exigeront.

Il est instant de travailler à un arrangement, avant de donner audience aux députés du congrès. Mon but est d'entrer dans des vues de paix, de leur montrer, de leur ouvrir des voies[p.83]de conciliation. Je veux (à moins que je ne sois malade, & au lit, comme ma foible santé me le fait craindre) ; je veux suivre entièrement cette affaire, jusqu'à ce que je voie l'Amérique obtenir la satisfaction aux injustices qu'elle a éprouvées, & que je crois lui être due ; toujours, bien entendu, qu'elle reconnoîtra la suprématie de sa métropole.

Mon avis est, que Sa Majesté fasse cesser cette querelle le plutôt possible, car notre devoir est son repos. Quel est le malheureux dont les mauvais conseils ont enfoncé dans son sein une épine, en semant la division contre un peuple qui n'avoit d'autre but que ce repos & la tranquillité ?

Tout foibles qu'ils puissent être, j'offre mes services : j'ai un plan, un plan de règlement honorable, solide & durable.

L'Amérique ne demande que la sûreté de ses propriétés, & la liberté personnelle ; voilà les deux objets ;& c'est à tort qu'on l'a accusée de ne vouloir que l'indépendance.

Je renonce à toute distinction métaphysique. Leur acte formel vous donne le droit, quand vous le voudrez, de recevoir leur argent.

Je me garderai de combattre l'opinion de personne, je laisserai chacun, comme il s'en est d'abord expliqué lui-même, suivre la sienne,[p.84]Mon plan est essentiellement d'établir, pour les Américains, le droit non équivoque de ne tenir leurs propriétés que d'eux seuls, de leur propre consentement, & dans leurs propres assemblées.

Huit semaines perdues ne permettent plus de nouveaux délais, pas même d'un moment. Bientôt il ne sera plus tems, & une goutte de sang peut rendre immedicabile vulnus, (la blessure sans remède).

Demander actuellement s'il peut y avoir jamais de vraie réconciliation, c'est avouer tout ce que l'Amérique est en droit d'exiger. Mais faites cesser, des deux côtés, toute mauvaise volonté, car ce n'est point la révocation d'un petit acte du parlement qui peut opérer la paix. Croyez-vous que la suppression d'un monceau de parchemin en viendroit à bout, que par là vous satisferez trois millions d'hommes en armes ? Non, c'est aux principes de justice qu'il faut remonter. Il n'y a point de temps à perdre : vous êtes au moment précis qu'on ne peut reculer davantage ;& chaque instant qui n'est pas un acheminement pour tempérer, adoucir et rapprocher les esprits, ne peut qu'enfanter des choses étranges, mettre en péril la liberté résolue des Américains, & en même tems l'honneur de la mère patrie.[p.85]Le succès & les effets durables des meilleures mesures ne peuvent résulter que de la bienveillance mutuelle de part & d'autre.

Une partie de ce plan fait ma motion, & je commence par prouver notre bonne volonté.

Ma motion est de présenter au Roi une adresse pour éloigner les troupes de la ville de Boston.

Les assemblées de l'ancienne Grèce n'étoient pas plus prudentes ni plus mesurées que l'ont été les membres du congrès américain. Milords, vous avez lu Thucydide, & dans cet ancien historien, vous n'avez rien vu de plus respectable, de plus honorable que ces assemblées du congrès, qu'on méprise tant ici.

On a traité durement le congrès… Eh ! je voudrois qu'on voulût imiter ici la sagesse de leurs mesures. Il a été ferme, j'en conviens ; mais il a su joindre à cette fermeté, la modération. Je voudrois que notre chambre des communes déployât la même liberté, & comme eux, qu'elle fût à l'abri de tout reproche de corruption.

La manière dont on a procédé contre les Américains, provient de l'ignorance où l'on a été des circonstances où s'est trouvée l'Amérique. Il étoit absolument inutile, & contre toutes[p.86]raisons, d'y envoyer des troupes pour les contenir.

La colère a été votre seul mobile dans tout ce que vous avez fait. « Quoi ! l'Amérique présume-t-elle être libre ? châtiez-les ; ne les écoutez point. » Tel a été votre langage, castigat auditquœ ; c'est-à-dire, que vous avez commencé par les frapper avant de les entendre : le juge le plus sévère entend les parties avant de les condamner.

Tous les malheurs sont provenus de votre emportement ; de n'avoir pas fait correspondre ensemble la fin & les moyens. La violence & des troupes étoient de mauvais acheminemens vers la paix.

On a dit que le gouvernement n'avoit pas été satisfait du commandant de vos troupes, qu'il avoit été trop lent à répandre le sang : on a même plaisanté sa modération. Mais je sais que ce brave officier, éprouvé par de longs services, s'est comporté avec prudence ;& dans ce pays, il en falloit beaucoup, à la tête d'une armée… J'ai entendu parler d'armées d'observation, celle-ci, on peut le dire, a été d'irritation.

Dans la guerre civile de Paris, deux grands hommes, le Prince de Condé & le Maréchal de Turenne étoient à la tête de deux partis,[p.87]On disoit que le maréchal s'étoit souvent trouvé près du Prince de Condé. La Reine étoit fâchée, & ne voyoit pas pourquoi ayant été si près, il ne l'avoit pas fait son prisonnier. Offensée, & comme si on lui eût manqué, elle demanda avec un mouvement de colère, à M. de Turenne :Quand vous étiez si près pourquoi n'avez-vous pas pris le prince ? Et ce grand capitaine qui savoit le métier de la guerre n'hésita pas de lui répondre avec sang-froid :j'avois peur, madame, qu'il ne m'eût pris[7].

Le ministère vous dit, que les Américains ne se laisseront pas conduire par le congrès, qu'ils sont las d'associations. Plusieurs négocians, il est vrai, peuvent l'être. Mais ce n'est point ici une affaire de commerce :& tous les bruits qu'on répand, ne viennent pas des principaux négocians, mais des émissaires du gouvernement. Et quand des mécontentemens si considérables viendroient des marchands, ces bruits ne peuvent avoir de rapport à la situation de l'Amérique.[p.88]Cette nation, qui a les vertus du peuple dont elle sort, voudra être libre. Leur langage est :« si le commerce & l'esclavage se tiennent, nous abandonnons le commerce. Que le commerce & l'esclavage aillent où ils voudront, ils ne sont pas faits pour nous. »

Votre colère les représente comme des ingrats & des révoltés, qui ne se soumettent point à la mère qui leur a donné le jour. Mais dans la vérité, ils n'ont fait jusqu'ici qu'augmenter les forces de cette mère patrie ; ils sentent l'importance de leur service : ils ne demandent qu'à vous les continuer ;& quoique cette union ne puisse que les affoiblir & les exténuer, ces enfans simples & bons, d'une même mère, ne veulent pas s'en séparer.

Deux ans après la révocation du bill du timbre, je m'avançai dans cette contrée, à la distance de cent mille, un gentilhomme qui connoît le pays, me dit que si des régimens eussent abordé dans ce tems, & qu'on eût envoyé une flotte pour détruire leurs villes, ils les auraient abandonnées, qu'ils en avoient pris la résolution : c'est un fait. Un noble lord en sourit. Si je nommois ici ce gentilhomme, le lord ne riroit pas davantage.

Au reste, ces Américains qu'on vous représente si défavorablement, je souhaiterois que[p.89]nos jeunes gens d'aujourd'hui voulussent leur ressembler ; je souhaiterois qu'ils voulussent imiter leur frugalité, qu'ils voulussent imiter leur dévouement à la liberté, que les Américains préfèrent à la vie, & qu'ils eussent ce courage que produit l'amour de la liberté.

Un mot encore ; Si le mauvais état de ma santé me retient au lit, j'enverrai mon plan. Son but est de finir la querelle. « Quoi ! direz-vous, avant de savoir s'ils veulent en venir à des termes, à des conditions ? » Oui, quelques soient mes espérances, je voudrois qu'on rappellât d'abord les troupes ; car je regarde comme presque nulle toute soumission contrainte par la force des armes.

Je l'ai prédit, vos bills sont à révoquer ; & je veux être appellé sot, s'ils ne le sont pas. Trois millions d'hommes sont prêts à prendre les armes, & vous parlez de les réduire !

Il y a des hommes biens malheureux dont les conseils perfides veulent persuader l'esclavage de l'Amérique !.… S'ils ne mettent pas la couronne en danger, ils la rendent bien peu digne d'être portée.

La cause des Colonies tient à tout véritable Whig. Ils ne souffriront point l'esclavage de l'Amérique : quelques-uns pourront préférer à leurs principes, leur propre fortune ; mais le[p.90]corps des Whigs se réunira, & s'opposera à cet esclavage. Toute la nation Irlandoise, tout véritable Whig, Anglois, toute la nation de l'Amérique ; (& réunis ils forment des millions de Wighs ;) tous combattront ce système. La France a les yeux fixés sur vous : la guerre est à votre porte.… & la gloire de l'emporter ici dans un débat parlementaire n'est pas ce qui sauvera la patrie dans ces dures extrémités.

D'après cet état des choses, mon avis est de travailler à rapprocher les esprits. Je voudrois que dans ce moment même, on s'occupât de ce qui peut adoucir & appaiser tout ressentiment.

Ma motion, vous jugez bien, regarde les armées & leur dangereuse position. Il ne faut point mésestimer le général Gage, qui a servi avec honneur : il a agi d'après ses instructions, s'il n'a pas été assez prompt à répandre le sang. Non dimicare quam vincere maluit[8] ;& il a bien vu. Les Américains se sont également comportés avec une modération, avec une prudence qui étoit bien digne d'être imitée, si nous avions été sages : car si l'on a épargné nos troupes aussi long-tems, nous devons leur salut à cette modération.[p.91]Notre malheureuse administration a toujours été en avant tant qu'elle a pu ; il ne lui reste plus un pas à faire, ce que j'appelle un échec & mat.

Quarante mille hommes ne suffisent pas pour répondre à l'idée que vous vous faites de soumettre les Américains à vos taxes ;& nous ne connoissons pas de taxations sans représentans : Au reste traitez-les de bonne amitié, avec douceur & qui sait où les portera leur générosité ?

Non : je n'entends point que votre révocation soit simple & sans conditions, je demande qu'à tout événement on maintienne la supériorité de ce pays.

Mais vous êtes embarrassés de savoir qui mettra bas les armes le premier ? Ce grand poète, &peut-être plus sage & plus grand politique encore qu'il ne fut poète, vous a donné le conseil le plus prudent, suivez-le :

Tuque prior tu parce, genus qui ducis Olympo projice tela manus[9].

Quel est l'homme qui puisse adopter ce système de violence comme praticable !& ce système[p.92]avoué impraticable, n'est-ce pas la plus haute folie de le suivre ?

Je conclus donc à ce qu'il soit présenté au roi, une très-humble adresse « à l'effet que sa majesté soit très-humblement conseillée & suppliée d'ouvrir une voie à un heureux & solide arrangement par rapport aux troubles qui désolent l'Amérique ; dans cette vue, de commencer par y appaiser & calmer la fermentation des esprits ;& cependant, pour prévenir tout événement subit & fatal contre Boston, qui souffre dans ce moment d'une armée sous ses yeux, dans cette ville même, & qui ne peut de jour en jour, qu'éloigner toute idée de paix ; il plaise au roi donner immédiatement ses ordres au général Gage, pour faire retirer de la ville de Boston les troupes de sa majesté, dès que la saison & d'autres circonstances nécessaires à la commodité & à la sûreté de ces troupes, pourront rendre cet éloignement praticable ».

[p.93]

 

Discours plein d'énergie de M. Wilkes ; sur le même sujet. Il insiste sur l'injustice de la guerre qu'on est prêt d'entreprendre. Il représente que par les termes de leur dernière pétition, les Américains sont eux-mêmes des offres de subsides, & prouvent par-là leur loyauté & leur fidélité, qu'ils ne demandent que la paix, la liberté & la sûreté, sans aucune prétention contre la Couronne. Différence de la conduite de l'Administration à leur égard. Impossibilité de jamais réussir dans cette guerre. Ses conséquences sont terribles. Il finit par espérer que la juste indignation du peuple Anglais punira, les auteurs de ces pernicieux conseils, & que les Ministres payeront de leurs têtes, la perte de la première province Américaine.

 

Du 2 Février 1775.

Messieurs,

Jamais on ne fournit au jugement de la chambre, une affaire plus importante que celle des Colonies Anglaises dans l'Amérique septentrionale. Elle comprend, ou peu s'en faut, toutes les questions relatives aux droits communs du genre humain, tous les points capitaux de politique[p.94]& de législation. Je n'entrerai pas dans une carrière si vaste & si battue, je me renferme dans la grande affaire du jour.

L'adresse que le comité apporte à la chambre, me paroît mal fondée, téméraire & sanguinaire : Elle tire l'épée injustement contre l'Amérique. Mais, avant que de permettre au pouvoir exécutif de plonger la nation dans les horreurs d'une guerre civile, avant que de l'autoriser à tourner les armes de la mère-patrie contre sa fille, j'espère que la chambre voudra peser dans la balance de l'humanité, la cause & le fondement de cette malheureuse querelle. La justice est-elle de notre côté ? Peut-elle donner la sanction aux hostilités qu'on projette ?

Le droit prétendu de taxer des sujets sans leur consentement, est évidemment la première source de la querelle. Avons-nous, en effet, messieurs, ce droit arbitraire sur les Américains ? Voilà le point saillant de la question. Les loix fondamentales de la société en général, & les principes de la constitution Anglaise en particulier, répugnent également à cette prétention. L'idée exacte de propriété, exclut le droit de tout autre à prendre quoique ce soit du mien, sans mon consentement, autrement le mien n'est plus le mien ; nos possessions seroient aussi précaires que la volonté d'autrui. Quelle est en effet la propriété[p.95]qui me reste dans une chose dont un autre peut s'emparer à son gré ? Certes, si une partie de mon bien est soumise à la discrétion de quelque pouvoir, il en est de même de la totalité. Si nous pouvons taxer les Américains sans leur consentement, ils n'ont plus de propriété, rien qu'ils puissent appeller le leur avec assurance ; car nous pourrions exiger le tout comme une partie : les mots de liberté& de propriété, si chers aux Anglais, si doux à leurs oreilles, ne seroient plus qu'une cruelle moquerie, qu'une insulte aux Américains.

Les loix de la société en général, je le répète, sont manifestement calculées pour assurer la propriété de chaque individu, de chaque sujet de l'état. Ce point essentiel n'est pas moins clairement déterminé par les grands principes de la constitution sous laquelle nous vivons. Tous les subsides que nous donnons à la couronne, sont toujours expressément qualifiés de concessions gratuites de la part des communes, de dons libres de la part du peuple. Son plein consentement est statué, est exprimé dans le don même.

Mais, messieurs, il y a dans notre histoire un fait bien remarquable qui décide la question. Cherchez dans les registres sur la cour, vous y trouverez que la ville de Calais, en France, tant qu'elle a appartenu à la couronne Britannique,[p.96]n'a jamais été taxée, sans avoir des représentans dans notre parlement, & par conséquent, sans son consentement. Thomas Fouler, & d'autres encore, y prirent séance, & y votèrent comme bourgeois de Calais.

Je prévois une objection : quoi donc ? L'Amérique jouira-t-elle de la protection de la métropole, sans contribuer au soutien de cette tendre mère qui l'a nourrie, qui l'a élevée avec tant de soin, à qui elle doit sa force & sa grandeur.

L'Amérique a fait une réponse victorieuse à cette objection, par sa conduite durant une longue suite d'années, & par nombre de déclarations les plus positives. Elle a démontré en paroles & en actions, sans le moindre nuage, son amour, son ardeur, sa piété filiale envers la mère-patrie. Oui, les Américains ont toujours été prompts à contribuer, non-seulement aux dépenses de leur propre gouvernement, mais encore aux besoins, aux nécessités du nôtre. Ils n'ont hésité, ils n'ont contesté, que lorsqu'il s'agissoit des folles dépenses, des surprises fiscales de la royauté. Dans les deux dernières guerres avec la France, emportés par le zèle, ils ont passé les froides bornes de la prudence : ils vous ont prodigué leurs richesses, ils ont combattu à vos côtés, disputant de valeur avec vous,[p.97]& partageant la victoire sur l'ennemi commun des libertés de l'Europe & de l'Amérique, l'ambitieux, le perfide Français[10] que nous craignons, que nous flattons aujourd'hui.

Il y a plus : le siège & la prise de Louisbourg avec d'autres opérations militaires, dont nous n'avons partagé, ni les travaux, ni les dépenses, que nous n'avons même connus qu'après le succès, prouvent assez l'attachement des Colonies à notre pays, & leur disposition à porter plus que leur part du fardeau de la dette publique. Mais, messieurs, ne perdons pas de vue le point décisif de la question. Les contributions qu'elles ont fournies, c'étoient des dons que des hommes libres, aussi libres que nous, mettoient sur l'autel de la patrie.

Quel est leur langage à ce moment même que nous les flétrissons de la marque odieuse de rébellion, que nous méditons leur perte ? Dans la dernière pétition du congrès au roi, ils déclarent qu'ils sont prêts, comme ils l'ont toujours été, à lui prouver leur fidélité & loyauté, en faisant les plus généreux efforts pour fournir des subsides &[p.98]lever des forces, lorsqu'ils en seront requis constitutionnellement. Voilà le mot que tout Anglois doit entendre.

J'ai entendu parler d'un plan qui concilieroit tous les différends. Il ne vient pas d'un ministre, mais du noble lord, (le lord Chatham) à qui l'Angleterre est redevable de ses derniers triomphes. Ce plan est d'assembler un autre congrès au printems prochain, pour régler avec le parlement de la Grande-Bretagne & les députés des Colonies, la contribution de chaque province ; car je persiste à dire, qu'on ne peut pas lever sur elles un shelling, sans leur consentement. Mais je crains fort que le plan du noble lord ne soit rejetté, & que tout moyen de conciliation ne devienne impraticable.

On a calomnié les Américains dans cette chambre & ailleurs. Ils se plaignent, dit-on, de l'acte de navigation, & ils demandent qu'on le révoque. Fausse assertion, nous avons la preuve du contraire dans la résolution du congrès. Ils demandent seulement d'être remis sur le même pied qu'ils étoient à la fin de la dernière guerre. On assure aussi qu'ils ont assez d'humeur, assez d'audace, pour vouloir secouer la suprématie de la métropole. Rien de tout cela. Les résolutions du congrès général, & des assemblées provinciales, résolutions trop nombreuses[p.99]pour être citées, sont autant de preuves de leur soumission. Leurs vœux sont clairement exprimés dans leur dernière pétition au roi ; je demande permission de la lire à la chambre :Nous ne demandons que la paix, la liberté & la sûreté. Est-il aucune demande plus juste & plus raisonnable ? Nous ne demandons, ni la diminution de la prérogative royale ni aucun nouveau droit en notre faveur, résolus à supporter & maintenir votre autorité royale sur nous, & à serrer les nœuds qui nous lient avec la Grande-Bretagne. Quel contraste, messieurs, avec les procédés de l'administration Britannique ? Ils tendent directement à rompre ces précieux liens qui attachent les Colonies à la métropole.

L'adresse qu'on nous propose, présente nommément la province de Massachuset, comme levant l'étendart de rébellion, & les autres provinces comme complices. Des personnages éclairés dans cette chambre, ont employé leur éloquence à les envelopper toutes dans le crime de rébellion. Leur état présent est-il effectivement un état de rébellion, Ou n'est-ce qu'une résistance convenable & juste à des coups d'autorité qui blessent la constitution, qui envahissent leur propriété & leur liberté ? Mais voici ce que je sais très-bien. Une résistance couronnée du succès, est une révolution& non une rébellion.[p.100]La rébellion est écrite sur le dos du révolté qui fuit ; mais la révolution brille sur la poitrine du guerrier victorieux. Qui peut savoir, si, en conséquence de la violente & folle adresse de ce jour, les Américains, après avoir tiré l'épée, n'en jetteront pas le fourreau, aussi-bien que nous, & si dans peu d'années, ils ne fêteront pas l'ère glorieuse de la révolution de 1775, comme nous célébrons celle de 1688[11] ? Si le ciel n'avoit pas couronné du succès, les généreux efforts de nos pères pour la liberté, leur noble sang aurait teint nos échaffauds, au lieu de celui des traîtres &rebelles Écossais ;& ce période de notre histoire qui nous fait tant d'honneur, aurait passé pour une rébellion contre l'autorité légitime du prince, & non pour une résistance autorisée par toutes les loix de Dieu & de l'homme, & non pour l'expulsion d'un tyran.

Mais, messieurs, je ne comprends pas plus la sagesse que la justice de cette délibération. Votre force répond-elle à l'entreprise ? Où sont vos armées ? Comment les maintiendrez-vous ? Les recruterez-vous ? Réfléchissez que la seule province de Massachuset a dans ce moment même[p.101]trente mille hommes armés & disciplinés ;& ne savez-vous pas que, dans un dernier effort, elle peut en mener au combat près de quatre-vingt-dix mille ? Elle le fera, lorsque tout ce qu'elle a de plus cher sera en danger, lorsqu'il faudra défendre ses biens, ses libertés, contre de cruels oppresseurs. Vous n'aurez pas même assez de force pour conquérir & conserver cette seule province.

Le noble lord au ruban bleu, (le lord North, chevalier de l'ordre de la Jarretière) ne demande que dix mille hommes de nos troupes avec quatre régimens Irlandais, en reconnoissant que l'armée ne peut excéder le nombre qui a été statué par le dernier acte du parlement. Où l'enverrez-vous, cette armée ? Peut-être pourrez-vous mettre Boston en cendres, ou le munir d'une forte garnison ; mais la province sera perdue pour vous. En ce cas, Boston sera un autre Gibraltar. Vous posséderez dans la province de Massachuset, comme vous faites en Espagne, une seule ville, tandis que tout le pays restera au pouvoir de l'ennemi. Vos bottes, vos armées, pourront prendre quelques villes sur les côtes de la mer, du moins pour quelque-tems, Boston, Newyorck, Saint-Augustin : mais le vaste continent de l'Amérique sera perdu pour toujours, La peau de bœuf qui détermina le circuit[p.102]de Cartilage, va se renouveller ; vous l'empêcherez de s'étendre aux places maritimes où vous commercerez, s'il vous en reste ; mais elle s'étendra de mille autres côtés. Vous pesez aujourd'hui votre destinée dans la grande balance des empires. Je la vois baisser, tandis que l'indépendance Américaine s'élève au pouvoir & à la grandeur des États les plus florissans ; car elle bâtit sur une base solide, la liberté.

Oui, messieurs, je tremble sur les conséquences presque certaines, d'une adresse qui n'est fondée que sur l'injustice & la cruauté, & qui est si contraire aux solides maximes de la vraie politique, comme aux règles infaillibles du droit naturel. Les Américains voudront certainement défendre leurs propriétés & leurs libertés, avec le courage qu'elles inspirent à des hommes qui fuient la tyrannie, avec le courage que nos ancêtres ont montré dans des occasions pareilles. . Ils se déclareront indépendans, n'en doutez pas : ils en risqueront les suites, quelles qu'elles puissent être, plutôt que de courber leur tête sous le joug que l'administration leur fabrique. Une adresse de nature sanguinaire, ne peut manquer de les jetter dans le désespoir. Ils sentiront que, non contens de tirer l'épée, vous en voulez brûler le fourreau. Vous les déclarez rebelles de la façon la plus irritante.

[p.103]

Toute idée de réconciliation va s'évanouir. Ils prendront les mesures les plus vigoureuses pour se défendre ; tout le continent du nord de l'Amérique va se démembrer de l'Angleterre, & la grande arche que nous avons élevée, pour la joindre avec nous, est au moment de se rompre. Mais non, j'espère que la juste indignation du peuple Anglais, punira les auteurs de ces pernicieux conseils ; & que les ministres qui ont imaginé ces fatales mesures paieront de leur tête, la perte de la première province Américaine.

[p.104]

 

Discours de lord Mansfield, dans lequel il se défend d'avoir eu aucune part aux mesures présentes contre l'Amérique, quoiqu'il regarde comme très-juste la guerre qu'on entreprend. Il repousse aussi l'accusation de popularité, en même tems qu'il avoue qu'il a toujours été jaloux de l'estime du peuple. Il finit par défier ses accusateurs d'effectuer les menaces qu'ils osent lui faire.

 

Du 7 février 1775

On fait entendre ici, milords, que j'ai été l'auteur des mesures présentes contre l'Amérique, & que je les ai dirigées. Je serois glorieux de l'avouer, si cela étoit, parce que je les crois sages, politiques & justes. Mais on me permettra de répéter encore une fois, que je n'ait été ministre que de nom[12], une partie du dernier règne, & durant tout le règne actuel ;& que depuis l'époque dont il s'agit dans le présent débat, je n'ai eu aucune sorte d'intérêt, ni part au conseil de sa majesté. L'on me menace ouvertement,[p.105]& l'on me prédit des enquêtes. Je souhaite de toute mon âme qu'elles ne tardent point à se faire : Je suis tout prêt à cet examen, & je défie, à cet égard, de toutes les manières, ceux qui s'y disposent.

L'on s'est beaucoup récrié contre moi, comme si c'étoit aujourd'hui un crime de ma part, d'avoir recherché la faveur du peuple : mais non, je ne l'ai jamais courtisée ; seulement, j'ai tâché par tous les moyens de la mériter. La faveur du peuple fuit qui la poursuit, & suit qui doit l'obtenir. Je n'entends pas dire ici, que je fais peu de cas de l'estime du peuple ; au contraire, elle fait l'objet de mes vœux, pourvu qu'elle ne soit point achetée à un trop haut prix, aux dépens de ma conscience & de mon devoir. Mais, si c'est en étant fidèle à l'un & à l'autre, que je puis me la procurer ; je veux alors me montrer toujours le courtisan zélé de la faveur populaire : jusqu'ici, autant qu'il a été en moi, j'ai agi sur ce plan, & j'espère continuer de même jusqu'à la fin. Je me suis trouvé dans beaucoup de parlemens, de cours & cabinets des princes ; j'y ai vu souvent de près les moyens honteux employés pour gagner l'affection du peuple, puis, le but & la fin méprisable auxquels cette popularité a servi. J'ai observé dans les cours, que les plus grands mouvemens qu'on y remarque, ne[p.106]sont point à l'avantage du bien public ; que le principal but des politiques, n'est point de fortifier les mains du gouvernement par des secours mutuels & par la réunion des esprits ; mais au contraire, que des jalousies, des cabales, & une méfiance réciproque, ne font que croiser les desseins, les uns des autres, & qu'on ne cherche mutuellement qu'à se supplanter, dans la vue d'obtenir soi-même l'autorité & la prééminence. Je n'ai pas été moins attentif à observer les effets de la popularité, lorsqu'elle a été recherchée & acquise par des vues personnelles. Pour moi, j'ai abandonné tous les engagemens qui pouvoient me procurer quelque avantage particulier ; ou je ne les ai gardés, que lorsqu'inutiles à tout intérêt personnel & à toute vue d'ambition, ils ne pouvoient servir à mon avancement :& après cette conduite, on me menace ! Je défie les auteurs de ces menaces de les mettre en exécution : prêt à en soutenir tout le poids, je suis préparé à tout événement, soit à couvrir mes adversaires de honte & d'infamie, soit, s'il m'arrivoit de succomber, à sacrifier les restes d'une vie qui s'éteint, & par cette raison, qui mérite peu qu'on s'en embarrasse.

[p.107]

 

Discours très éloquent de M. Wilkes, dans lequel il appuie l'adresse à Sa Majesté proposée par l'Alderman Oliver, tendante à ce qu'il soit procédé à la recherche & à la punition des auteurs de cette guerre injuste, qui a déjà inondé de sang la moitié de l'Amérique, & qui a fait perdre à l'Angleterre une partie de ses Colonies. Il développe les avantages de cette motion, qui peut opérer une réunion plus sincère & plus durable que les proportions trompeuses du Ministère. Il finit par défier le principal auteur de ces maux, de se nommer, afin de pouvoir, en suivant la loi, immoler au salut de la patrie, sa tête criminelle.

 

Du 27 Novembre 1775.

Messieurs,

L'adresse à sa majesté, qu'un honorable membre (l'Alderman Oliver) propose aujourd'hui, est si différente des dernières, qu'elle me paroît propre à enlever tous les suffrages. Oui, messieurs, je crois qu'il est de la plus grande conséquence de connoître l'auteur ou les premiers auteurs de cette guerre injuste &[p.108]pernicieuse, qui a déjà inondé de sang une partie de l'Amérique, qui a semé l'horreur & la dévastation dans ce continent. Déjà plusieurs de nos colonies sont perdues, & le reste est engagé dans une guerre civile ; convient-il que nous restions dans une incurie criminelle ? Il est de notre devoir, à la requête de la nation, de découvrir & de punir ceux qui ont causé tant de maux par leurs funestes conseils. Nous le devons au peuple en général ;& plusieurs de nous en sont chargés expressément par leurs constituans.

Nous sommes à la veille d'une éternelle séparation, avec le nouveau monde, à moins qu'une sincère & prompte réconciliation ne nous réunisse. Mais, si la présente motion réussit, je suis sûr qu'elle opérera une réunion plus sincère & plus durable que les proportions captieuses & fallacieuses de l'administration. Lorsque les Américains verront la vengeance que le parlement exercera contre les auteurs des calamités communes, leur confiance renaîtra, & ils désireront de se réconcilier avec nous : les principes de violence & d'injustice qui ont prévalu jusqu'à présent, disparoîtront à leurs yeux, pour faire place aux sentimens d'équité & de modération. Une négociation s'arrangera, & la tranquillité générale se rétablira dans un empire ébranlé jusques dans ses fondemens.[p.109]Je suis fortement persuadé que c'est le seul moyen qui nous reste, de nous tirer avec honneur des troubles allarmans où nous sommes engagés. Vous avez voté des flottes & des armées. Vos forces figurent grandement dans les annonces du ministre de la guerre, & dans l'estimation des dépenses qu'on a laissées sur notre bureau.

Mais, le ministre sait fort bien que ni les forces ni l'argent demandé ne feront pas réussir le projet insensé de subjuguer le vaste continent de l'Amérique, pas même si on employoit toutes les ressources de notre empire. Dans la première & sanguinaire campagne, vous avez conquis un seul poste, Bunker'shill, grâce à ce qu'on vous a reçus comme amis dans le seul port de mer important que vous possédez encore.

Je souhaiterois que le noble lord, élevé dernièrement à une des places civiles les plus éminentes, reprenant le service militaire, voulût tenter, à la tête de toute la cavalerie Britannique, d'avancer seulement l'espace de dix milles dans le pays. Il ne le voudra pas, il est trop prudent pour avoir le courage d'une telle entreprise. Mais y a-t-il aucun ministre assez confiant pour se flatter de la conquête de toute l'Amérique ? Les Américains disputeront chaque pouce de terre, chaque passage, chaque défilé, chaque thermopyle, chaque bunker'shill. . Une chaîne[p.110]d'événemens infortunés se nouera. Ils vous ôteront le pouvoir de recruter, peut-être même de subsister ;& dans une si grande distance, vos forces affoiblies de plus en plus s'anéantiront ;& enfin, après une guerre de plusieurs années, lorsque les manufacturiers & les marchands ruinés viendront assiéger les portes du parlement, l'allarmer par leurs cris, vous penserez peut-être à envoyer, non des commissaires, mais des ambassadeurs au Congrès général, pour crier paix, lorsqu'il n'y aura plus de paix.

C'est pourquoi, messieurs, il est absolument nécessaire de ne pas différer un moment de travailler à cette paix ;& c'est ce qui me fait approuver la motion de ce jour ; elle présente la branche d'olivier, ne la rejettons pas. Les Américains font des progrès rapides dans la population & dans tous les arts utiles. Ah ! messieurs, ils en sont aussi dans l'art destructeur de la guerre. Le dernier & digne gouverneur de Pensylvanie[13] a déclaré à la barre de la chambre des pairs, que cette province produit plus de bled qu'il n'en faut pour nourrir ses habitans ; qu'elle en exporte considérablement chaque année ; qu'elle a tiré du salpêtre de son propre sol ; qu'elle connoît l'art de la poudre, l'art de[p.111]fondre des canons de fer & de bronze ; qu'elle est habile aussi à fabriquer des armes légères ; qu'elle entend la construction des vaisseaux aussi bien que les Européens, qu'elle a enrôlé vingt mille hommes, qui n'ont pas encore de paie, mais qu'en attendant quatre mille sont prêts à marcher au premier signal.

Ajoutez à tout cela les rapports authentiques des préparations qui se font dans la baie de Massachuset & dans la Virginie, pour former, dresser & discipliner des troupes. Même agitation dans les autres provinces. N'est-ce pas une infatuation de compter sur nos forces ?

Tous les sages législateurs ont calculé la force d'une nation sur le nombre des habitans actifs, robustes & laborieux qu'elle renferme. La population, dans la plus grande partie de l'Amérique, se double dans la révolution de dix-neuf ou vingt ans, tandis que celle de notre île a diminué depuis l'année 1692. Les dernières émigrations étonnent & allarment. Elles ont fui un gouvernement oppressif. Les Américains sont un peuple pieux & religieux, ils observent avec ardeur & succès le premier commandement du ciel :croissez & multipliez. Tant qu'ils continueront dans cette ferveur de fidélité conjugale, tant que les femmes mettront leur bonheur à être fécondes, tous vos efforts pour les subjuguer[p.112]seront vains ; ils les regarderont avec autant de mépris que d'horreur. Leurs forces croissent de jour en jour ;& si vous perdez le moment de la réconciliation, vous perdez tout. L'Amérique peut être regagnée, mais jamais conquise.

Le grand nombre parmi nous semble n'avoir pas assez mûrement considéré avec quel désavantage nous nous engageons dans cette guerre Américaine. C'est contre un peuple bien éloigné de nous, c'est contre un empire naissant, qui est dans toute la vigueur de la jeunesse. Le Congrès, qui gouverne, n'est pas chargé, comme notre parlement, de la monstrueuse dette de cent quarante millions sterlings, dont les intérêts à payer menacent d'engloutir toutes les taxes que nous pouvons imposer. Le Congrès n'a pas ce nombre famélique de gens en place & de pensionnaires inutiles que nous avons. Le luxe n'a pas encore énervé le corps & l'esprit des Américains. Chaque schelling que le gouvernement lève va à l'homme qui combat pour sa patrie. Ce peuple se présente comme un jeune héritier, avec une belle fortune, sans dettes ; tandis que ses grands parens se montrent sous la forme de la vieillesse, de la foiblesse, de la caducité & de la ruine qu'ils ont méritée par leur perversité, leur prodigalité & leurs débauches.

J'entends tous les jours, dans cette chambre,[p.113]des contes injurieux qui défigurent le zèle des Américains pour la liberté ;& le ministère est très-exact à répandre des calomnies. Le noble lord au ruban bleu, pour jetter sur le Congrès, une note odieuse de tyrannie, assure que la liberté de la presse est perdue dans toute l'Amérique. Le noble lord nous trompe en ceci comme en tant d'autres choses. La liberté de la presse n'a disparu qu'à Boston, où les troupes ministérielles gouvernent encore. La presse est libre à Water-Town, qui n'en est qu'a six milles. Elle l'est à Philadelphie, à Newport, à Williamsbourg, & dans tout le reste de l'Amérique. Comment ne sait-il pas que la proclamation du général Gage contre Samuel Adam & JeanHancock, a été imprimée dans les papiers Américains : elle méritoit bien l'impression par sa singularité : elle déclare traîtres & rebelles ces deux vrais patriotes, qui ne font que conseiller, tandis que les généraux Washington, Putnam&Lée, avec tous les chefs de la marine, les armes à la main, ne sont point frappés du même anathème.

L'honorable membre qui a parlé le dernier, prétend que « l'adresse proposée est futile & dérisoire, car nous connoissons, dit-il, l'auteur & le conseiller des mesures qu'on a prises contre les Américains. Il s'avouera lui-même, [p.114]il l'a déjà fait. Qui est-ce qui ne sait pas que c'est le noble lord au ruban bleu ? » Certes, je désire fort d'entendre cet aveu de sa propre bouche. Qu'il ose le prononcer dans cette chambre, qu'il ose avouer une seule de ces mesures criminelles, celle qui tend à établir le papisme, & le pouvoir arbitraire dans le Canada ! Le père d'une idée aussi monstrueuse, fait fort bien de se cacher à la chambre jusqu'à ce moment.

Le même honorable membre nous avertit que l'adresse en question ne signifie rien, ne mène à rien ; il faut lui apprendre ce qu'elle signifie, & à quoi elle mène : à l'impeachement. En effet, celui qui a imaginé, conseillé un plan d'opérations, qui nous a déjà fait perdre une partie de notre empire, n'est-il pas assez coupable, pour être immolé à la gloire de l'Angleterre & à la paix de l'Amérique ? Est-il une tête plus criminelle, plus dévouée ?

Espérons que le mot foudroyant impeachement aura toujours assez de force pour frapper de terreur l'oreille & le cœur des ministres pernicieux & arbitraires. Les livrer au bras vengeur, c'est la plus belle & la plus importante prérogative de ce peuple libre ; prérogative qui nous a été confirmée ; par notre grand libérateur Guillaume III, dans l'acte pour limiter le pouvoir[p.115]de la couronne, & pour mieux assurer les droits & les libertés des sujets. Cette loi déclare que « le pardon du roi, sous le grand sceau même d'Angleterre, ne peut être plaidé en faveur du coupable, contre l'impheachement des communes assemblées en parlement ; que ce pardon ne sauroit le soustraire à la punition qu'il mérite. » C'est ici le vrai moment d'employer la prérogative.

 

Discours du Marquis de Rockingham, contre la guerre d'Amérique. Comparaison des moyens de persécution imaginés par le Ministère pour fortifier les mesures contre l'Amérique, à celui du Maréchal Rozen, Général Français de Jacques second en Irlande, qui pour forcer à rendre les Citoyens révoltés & les autres défenseurs de Londondery, les réduisit à la famine.

 

Du 16 Mars 1775.

Les moyens de persécution & d'inhumanité imaginés pour fortifier nos mesures contre l'Amérique, ressemblent exactement à celui employé par le maréchal Rozen, général Français de Jacques second, en Irlande, dans la vue de réduire les citoyens révoltés & les autres défenseurs de Londondery.[p.116]Ces assiégés, (braves gens comme nos Américains), furent traités de rebelles & de traîtres ;& comme nos rebelles sujets de l'Amérique, on les réduisit à mourir de faim, pour les forcer à se rendre ; moyen tout-à-fait digne de la justice & de la bonté de la cause. Le maréchal donna ordre à la garnison de se rendre ; ce qui vouloit dire, de rassembler les femmes, les enfans, les vieillards de la garnison, puis de les chasser comme un troupeau sous les murailles de la ville ;& là, de les y faire périr a la vue de leurs amis, de leurs parens, de ce qu'ils avoient de plus cher :& s'ils osoient retourner en arrière, l'ordre portoit de faire feu sur eux & de les massacrer. Mais tout foible, superstitieux & entêté que fut le monarque[14], son cœur fut révolté d'un moyen aussi horrible, pour soumettre des ennemis ;& aussi-tôt que la nouvelle fut venue à sa connoissance, il contremanda sur le champ l'ordre barbare de son général, & il laissa libre & sans insulte, ceux qui n'en avoient point fait, & qui étoient innocens.

[p.117]

 

Discours du Comte Temple, dans lequel il reconnoît que toutes les fautes que l'administration a commises par rapport aux Colonies de l'Amérique, ont mis l'Angleterre dans une situation déplorable, d'où elle aura peine à se retirer. Il se déclare porté pour des propositions de paix ; mais il ne voudroit pas quelles fussent ignominieuses.

 

Du 5 Mars 1776.

J'ai toujours été persuadé, milords, que ce pays a le droit d'exercer par des taxes, sa souveraineté sur l'Amérique. Je n'ai eu aucune part au bill du timbre, aucune au bill qui impose les thés & une infinité d'autres commodités de la vie : je ne me suis pas mêlé davantage de la révocation de ce bill, révocation où la partialité a eu tant de part ; enfin, je ne suis nullement entré dans la sottise d'envoyer en Amérique des thés sans en avoir auparavant supprimé les droits. Ces fautes, & d'autres encore, ainsi que l'imbécillité de l'administration, ont réduit ce pays à un état si déplorable, que les plus honnêtes gens & les plus expérimentés n'ont rien à proposer qui nous promette une issue heureuse & honorable.[p.118]Je sens que je parle dans les fers : par cette raison, je ne donnerai point à mes argumens toute l'étendue ni toute la force dont ils pourroient être susceptibles. Le premier vent d'est ne manquera point de porter aux Américains tout ce qui sera échappé à chacun des membres de cette chambre : ce que je souhaite, c'est que d'après ce qui aura été délibéré, l'autorité & la sanction de notre propre témoignage ne leur confirment pas notre manque de troupes & toute notre foiblesse.

Il est un tems où il faut agir sans parler ;& aujourd'hui, il importe de faire beaucoup & de parler peu. Le dé de la guerre est sorti, l'épée est tirée, & le fourreau jetté à terre en est à une grande distance. Mais, milords, malgré tout le respect que je vous dois, tout sages & prudens que je vous reconnoisse, & bien que vous soyez le conseil suprême & permanent du roi & de la nation, vous me permettrez de vous dire, que vous n'êtes point en état de décider sur des objets d'une conséquence aussi importante & aussi difficile, sans avoir sous les yeux les matériaux les plus essentiels, que très-certainement vous n'avez point. Les ministres ne peuvent pas se flatter d'avoir les meilleures informations, & ils sont maîtres d'agir : ils ont décidé la question, & il est bien à désirer qu'enfin leur plan soit pesé[p.119]& réfléchi : car il ne suffit point de lever toutes les troupes qu'on peut trouver, & de les enrôler à toutes sortes de prix ; il faut prendre garde encore comment nous supporterons cette surcharge, il faut songer à les équiper, à les soutenir, & à les mettre en état d'en tirer tout l'avantage possible : en un mot, il faut un plan qui offre à la fois une infinité de ressources dont on a besoin.

Si j'avois l'honneur d'être du conseil du roi, (& je loue Dieu de n'avoir pas cet honneur), j'attendrois les plus amples informations avant de prendre aucun parti ;& si j'en prenois un, je voudrois m'y tenir. Mais, retiré comme je vis, & peu instruit des affaires, je ne m'ingère point à ouvrir un avis, & je ne me crois nullement appellé pour cela.

Certes, ma patrie est réduite à une déplorable extrémité ; nous avons été jettés entre Carybde & Sylla ;& il est aujourd'hui de la plus grande difficulté de ramener dans le port, sans péril, le vaisseau de l'état. S'il m'est permis de confesser ici librement, que je n'ai pas bonne opinion des serviteurs du roi ; l'expérience du passé justifie ce que j'avance. Je ne puis répondre ni à moi-même ni à mon pays de la confiance que peuvent mériter de tels hommes dans le maniement de dix millions sterlings : dans les profusions de sommes[p.120]beaucoup plus considérables, la dernière ressource de l'état ; profusions, qui (je le crains bien,) jointes aux mesures du ministère, ne peuvent qu'accélérer la banqueroute de l'état, devenue, tôt ou tard, inévitable.

D'un autre côté, je ne suis pas assez leur courtisan, pour déclarer notre extrême inhabileté à pouvoir réduire les Américains, dans la vue de leur faire un pont d'or, afin d'en obtenir, aux conditions les plus défavorables & les plus accablantes, une paix déshonorante. Je ne puis consentir à voir ce grand empire, qui, jadis, avoit acquis de la gloire & une considération méritée ; je ne puis le voir se mettre aux pieds de l'Amérique, & là, humblement, en implorer une paix aussi ignominieuse ; comme si nous ne devions attendre que de sa généreuse magnanimité, cette grâce. Non ; je ne puis me faire à l'idée d'arborer le pavillon blanc, comme le signal que nous nous hâtons de nous rendre.

Quant à ceux qui déplorent le très-fâcheux état présent des Colonies, autrefois si florissantes qu'on ne voit point d'exemples dans l'histoire d'une telle prospérité ; on peut leur répondre, que ce témoignage fait honneur au gouvernement Britannique, puisque c'est par son influence & par ses soins, qu'elles ont si merveilleusement prospéré.[p.121]Je crois, avec fondement, que jusqu'à ces derniers troubles, elles ont eu beaucoup moins à se plaindre de la mère-patrie, que séparées, comme elles le sont par le vaste Atlantique, il étoit impossible qu'elles n'eussent pas eu bien des sujets de plainte ; ce qui ne peut toutefois justifier leur ingratitude envers un pays qui leur a donné l'être.

Je ne puis blâmer qu'on se détermine à la paix la plus prompte, l'épée à la main, pourvu que les conditions en soient raisonnables, sûres, honorables, & les meilleures pour l'avantage des deux pays. Je n'ai jamais encore osé déclarer, si je trouvois qu'il fût d'une saine politique, d'imposer sur l'Amérique de nouvelles taxes, & je me garderai bien aujourd'hui de le décider. J'ai entendu appeller cette guerre injuste ; je ne sais qui, dans cette chambre, a des raisons de le dire. Il sera besoin d'une sagacité & d'une prudence infinies pour parvenir à ce que tous, (je me le persuade) tous souhaitent ardemment : (la paix). Lorsque l'instant favorable d'une heureuse réconciliation sera venue ; j'espère que des ministres ne le laisseront point échapper, & je désire sincèrement leurs succès. Pour moi, dans ce moment de crise, je n'irai point me frotter contre les ressorts du gouvernement, dans la crainte,[p.122]en y touchant, de rendre impraticable, ce qui étoit déjà très-difficile.

 

Discours éloquent du Duc de Manchester. Il soutient que la guerre contre l'Amérique est injuste & atroce en elle-même désastreuse pour l'Angleterre, & qu'elle a porté à la gloire des armes Britanniques une tache qui ne s'effacera jamais. Il exalte la valeur des Américains dont on s'étoit efforcé de donner, avant d'entreprendre cette guerre, comme une idée défavorable.

 

Du 10 Mai 1776.

Milords,

Je n'ai point la prétention de penser que, ce que je vais soumettre à vos lumières, ait échappé à la sagacité de votre vigilance ; je n'ai point la vanité d'imaginer que ce que de foibles talens ont pu me suggérer ait la faveur d'obtenir la majorité des voix, à moins que je ne me trouve d'un même avis avec quelques personnes dont le suffrage est du plus grand poids. Par malheur, plusieurs membres d'une grande autorité, dont j'ai lieu de regretter ici la perte, sont absens : mais, milords, si ce que je puis vous exposer,[p.123]peut répandre quelque jour sur le sujet le plus intéressant qui se soit offert depuis que la Grande-Bretagne a étendu sa puissance au-delà des bornes de cette île, je me flatte que mes peines ne seront point inutiles. Dans cette circonstance, j'ai tâché de ne rien oublier de ce que je dois à mon rang, à moi-même & à chacun des membres de cette assemblée.

Milords, pour un vain assemblage de mots vuides de sens, pour une réclamation déraisonnable de pouvoir, pour une fausse assertion d'autorité impraticable, pour rien que du vent, pour une ombre, une vision de revenu idéal, pour des contributions que convoite notre soif ardente, & qu'on ne peut établir que par le consentement de ce peuple, dont nous-mêmes méprisons le consentement, l'Angleterre s'est aveuglément jettée dans une guerre atroce, où la victoire, ainsi que les défaites, ne peuvent que ruiner cet empire, naguère considérable.

Cette guerre, on l'a portée contre une portion de nos compatriotes, dont le nombre égale le cinquième des habitans de la Grande-Bretagne. L'étendue du pays qu'ils habitent est si considérable, que toute l'Angleterre, en comparaison de cette étendue, peut être regardée comme une tache dans le disque du soleil. Je n'influerai point sur les désavantages que nos armes doivent[p.124]attendre de la distance considérable de ces contrées éloignées : la moindre carte géographique, mieux que les discours les plus éloquens, le prouvera aux esprits les plus bornés. Mais, milords, il vous a plu d'entrer dans cette guerre : la matière sous vos yeux, mise en délibération, & souvent débattue, vous avez jugé cette guerre nécessaire, pour corriger des enfans devenus déjà grands ; pour contenir une effervescence de liberté & une forte ambition ; pour réprimer dans vos enfans d'Amérique, cet esprit d'indépendance, cet enthousiasme de la liberté, qui, où il prend racine, passionne tellement l'homme, qu'il est devenu jusqu'ici la sauve-garde & la gloire de cette île. Vous avez cru raisonnable de repousser des idées de propriété, qui leur faisoient imaginer que nous n'avons pas le droit de prendre quelque partie de ces propriétés, sans leur propre & libre consentement.

Milords, je respecte les décisions auxquelles la majorité de cette chambre a donné sa sanction : mais si ces décisions doivent le jour à des circonstances qui n'existent plus aujourd'hui ; si de faux exposés, si des erreurs leur ont donné lieu ; si enfin, l'état des choses, par de nouveaux événement, est changé, & s'il est tout-à-fait différent, il est digne de votre sagesse d'examiner de nouveau ce que vous avez décidé vous-mêmes,[p.125]de revoir vos jugemens, & de revenir sur nos pas, tracés à la hâte & trop légèrement.

Milords, dans le commencement de nos malheureuses contestations avec l'Amérique, ceux qui, de la part de la cour, du côté du pouvoir imposant de l'administration, discutèrent cette affaire, établirent d'abord, non-seulement la nécessité, mais la facilité de forcer aisément les Colonies à se plier à toutes les demandes du gouvernement, sans oser faire la moindre résistance. On vous a dit que les Américains n'avoient ni forces, ni moyens, ni ressources à vous opposer ; qu'il n'y avoit point d'union entre-eux ; qu'ils manquoient d'argent : qu'ils n'avoient ni officiers ni discipline. Pour tout dire, en un mot, & pour vous les rendre méprisables & comme déjà soumis, on a osé vous avancer qu'ils n'auroient point la hardiesse d'envisager un soldat Anglois qui, dans notre climat, naît doué d'une force & d'une valeur telle, qu'un Américain que la nécessité auroit habitué aux plus rudes travaux, ne pourroit jamais y atteindre.

Les décisions de l'administration, milords, ont été le signal de leur réunion : le refus qu'on a fait d'entendre leurs pétitions, a consolidé ce nœud, & les a déterminés à une résistance réfléchie, décidée, & sans espoir de retour. L'argent, qui n'est que la représentation & le type de la[p.126]propriété, a été promptement suppléé par un antre type, pour sa valeur & ses avantages. La liberté, même personnelle, a préparé la voie à la sécurité publique, & la propriété privée s'est sacrifiée pour la cause d'un état naissant. La désaffection envers le gouvernement Anglais, a été générale ;& de ce moment, l'Amérique s'est, soustraite à l'administration Britannique.

Combien l'assertion que l'esprit belliqueux manquoit aux Américains, a été prouvée fausse ! Que nos militaires, qui virent couler le sang dans la guerre civile à Lexington, le disent. J'en appelle à ces guerriers, qui dans l'affaire sanglante des lignes forcées de Bunkers-Hill, sauvèrent l'honneur de cette journée, où toute la valeur Anglaise fut obligée de leur céder. Je m'en rapporte avec assurance à leur témoignage : ils savent combien il a été absurde de mettre en problème, si les Américains avoient une même origine ;& que n'ayant plus rien à perdre, & persuadés de la justice de leur cause, ils n'ont point, comme un vil troupeau d'Asiatiques énervés, abandonné à l'ennemi une victoire aisée.

Milords, l'histoire du genre-humain nous apprend, que souvent les plus grands talens se trouvent cachés sous le masque, & dans l'obscurité des plus basses conditions de la vie, jusqu'à[p.127]ce que des événemens particuliers & des tems fâcheux, fassent éclater le génie & briller sa divine étincelle : alors, ces météores jettent un feu auquel on ne s'attendoit point. L'on a vu dernièrement l'apprentif d'un apothicaire, à la tête d'une puissante armée, montrer toute l'intrépidité, déployer toute l'habileté des plus grands capitaines, & rencontrer sur le champ de bataille, une mort, qu'un Romain lui eût enviée. Un autre, qui dans le tems de la paix, eût borné toute son ambition à être un bon marchand de chevaux, malgré la rigueur de la saison, & dans un pays difficile, nous étonne par une marche savante qu'Annibal eût admirée ;& il porte l'allarme dans une grande cité, qui, sans le secours de Carleton, eût infailliblement succombé sous la hardiesse de cette entreprise. Il me siéroit mal de faire ici le panégyrique de la valeur Américaine ; mais je ne puis parler sans éloges de ces expéditions éclatantes, & ne pas rendre, même à un ennemi, la justice qu'il mérite : je n'ai fait, d'ailleurs, que rapporter des faits connus & incontestables.

Revenons, milords, à ce qui a porté une tache ineffaçable à la gloire des armes Britanniques ; à ce qui doit soulever l'indignation de tout Anglois qui est capable de sentir la honte de cette disgrâce. L'armée Angloise, munie de[p.128]tout l'attirail & de toutes les provisions nécessaires pour la guerre ; cette armée d'élite, commandée par des officiers d'élite, & appuyée du secours dune flotte considérable ; cette armée envoyée pour corriger des sujets révoltés, pour châtier une ville rebelle, pour maintenir l'honneur & l'autorité Britannique ; cette même armée, dans cette ville, devient durant plusieurs mois, prisonnière de quelques troupes provinciales. Leur garde vigilante, qui brave tous les efforts, qui défie toute la science & toute l'habileté imaginables dans la guerre, leur ferme tout passage dans le pays. Un seul moyen de salut, oui, un seul leur restoit ; la flotte étoit encore respectée, ils y ont recours :& les généraux de la Grande-Bretagne, dont les noms jusqu'ici avoient été hors de toute atteinte de déshonneur, sont obligés d'abandonner cette ville, le premier objet de la division, la cause immédiate des hostilités, & le foyer d'une guerre qui a déjà coûté à l'Angleterre plus d'un million sterling[15].

[p.129]

 

Harangue prononcée au Conseil-Législatif, & à l'Assemblée générale tenue à Charles-Town ; par Son Excellence Jean Rutledge, Écuyer, Président & Commandant en chef de la Caroline méridionale ; pour les féliciter sur les derniers avantages remportés contre les différens ennemis de leurs libertés ; sur les nouveaux succès qu'ils peuvent se promettre ; sur leur indépendance assurée aujourd'hui ;& par rapport aux mesures à prendre pour améliorer l'état actuel des forces nationales.

 

Du 19 Septembre 1776.

Honorables Messieurs du Conseil-Législatif,

Monsieur l'Orateur, & vous, Messieurs, formant l'assemblée générale, il est de mon devoir de payer un juste tribut de louanges à ces braves soldats qui ont fait éclater un courage de Romains vétérans, en repoussant à l'île Sullivan, cette flotte formidable, que la présomptueuse Angleterre avoit crue suffisante pour nous subjuguer : permettez-moi donc, messieurs, de vous féliciter d'abord sur cet événement, qui doit nous remplir de confiance dans le reste de[p.130]nos troupes, & qui ne nous permet plus de douter, que des hommes enflammés de zèle pour la liberté sacrée de leur pays, & qui se confient dans la divine providence, sont capables de venir à bout des entreprises les plus glorieuses.

Les Indiens Cherokees ont commis les actes les plus barbares d'hostilité sur nos frontières, tandis que l'ennemi étoit sur le point d'attaquer la ville ; pour en tirer une vengeance exemplaire, on fit partir un corps de troupes considérable, qui montrèrent beaucoup de courage. Il a plu au ciel de leur accorder des avantages signalés, & j'espère qu'en continuant de bénir nos armes, secondées de celles de la Caroline septentrionale & de la Virginie, qui m'ont promis leurs secours, la divine providence mettra bientôt fin à cette guerre.

Depuis votre dernière assemblée, le Congrès a déclaré les Colonies, états libres & indépendans ; dégagés de toute allégeance envers la couronne d'Angleterre, & toute union politique entre la Grande-Bretagne & l'Amérique entièrement dissoute.

La nécessité, non seulement justifie cette démarche, mais la rendoit indispensable. J'aurai soin de faire mettre sous vos yeux cette déclaration, & les autres décrets de ce respectable corps, tels qu'on me les a transmis pendant les[p.131]vacations ;& je ne doute pas que vous ne preniez des résolutions en conséquence.

Comme rien n'est plus essentiel au maintien de nos libertés, qu'une milice bien établie, je me flatte que vous seconderez mes vues, en faisant des loix qui tendent à améliorer l'état actuel de ces forces nationales, desquelles nous devons tout attendre.

Il est probable qu'au tems marqué pour votre réunion, (le printems) les affaires seront de nature à ne pouvoir pas vous permettre de vous occuper de la législation ; il est donc important, pendant que l'ennemi est éloigné & inactif, de nous mettre dans le meilleur état de défense, & de faire les loix que les circonstances présentes rendent indispensables. J'ai cru en conséquence, que mes soins pour le bien public, exigeoient que je convocasse cette assemblée, afin que vous puissiez délibérer plus à loisir sur ce que le bonheur & la tranquillité de l'état, demandent de vous & de moi. Je prendrai la liberté de vous faire part de ce que je regarderai comme les moyens les plus capables d'assurer l'un & l'autre, au reste, je recevrai vos avis avec reconnoissance, & je vous promets de concourir à tout ce que vous pourrez aviser ou faire pour le bien public.

[p.132]

 

Humble Adresse & Remercimens du Conseil de Législation, au Discours de Son Excellence Jean Rutledge.

 

Du 19 Septembre 1776.

Sous le Bon plaisir de Votre Excellence,

Nous, les membres du conseil de législation, &c, rendons grâces à votre excellence du discours qu'elle a bien voulu nous adresser, il contient des choses importantes & glorieuses qui doivent être bien agréables à tout citoyen vertueux : la défaite des Anglois près de Charles-Town sera une époque mémorable dans notre histoire. Nos troupes s'y sont couvertes de gloire, & c'est à leur intrépidité, après Dieu, que nous devons le salut de cette province.

La guerre des Cherokees, dans ces momens critiques, nous remplit d'indignation contre ces barbares, que l'ingratitude arme contre nous, & nous a convaincus d'une chose dont nous n'avions aucun sujet de douter, de la cruauté & de la tyrannie sans exemple de ceux qui conduisent la guerre que nous fait l'Angleterre : mais il a plu au Seigneur de prendre sous sa protection un peuple indignement insulté, & de[p.133]nous donner la force de vaincre, non-seulement nos ennemis Européens, mais aussi les Sauvages, leurs dignes alliés. Avec nos propres forces, avec les secours que votre V. E. nous fait espérer de nos bons amis & voisins, habitans de la Caroline septentrionale & de la Virginie, nous viendrons plutôt à bout de ces ennemis cruels & sanguinaires : ces ennemis vaincus, nous attendrons sans les craindre, ceux de nos libertés.

Nous remercions V. E. d'avoir bien voulu nous communiquer ce qui s'est passé au Congrès depuis notre dernière assemblée, nous nous en réjouissons, & sommes fermement déterminés à maintenir les décisions de cette auguste & respectable assemblée, quelques puissent être les conséquences de notre opposition à la tyrannie & au despotisme : au moins, après avoir soutenu la justice de notre cause, après avoir arrosé cette terre de notre sang, nos descendans auront assez de reconnoissance pour bénir notre mémoire, en jouissant des biens que nous leur aurons procurés.

Les réflexions de V. E. sur la milice nationale sont justes, & nous allons nous occuper sans relâche des moyens de la mettre sur le meilleur pied.

Permettez-nous de témoigner à V. E. combien[p.134]nous sommes satisfaits de votre conduite, pendant le cours de votre administration.

Signé, par ordre de l'honorable chambre,

Thomas Shubrigk.

 

Réponse de Son Excellence aux Membres du Conseil-Législatif. Il les félicite de la résolution où ils sont de maintenir leur indépendance, & il les remercie de l'approbation qu'ils venoient de donner à la sagesse de son Administration.

 

Du 19 Septembre 1776.

Honorables Messieurs,

La résolution dans laquelle vous persistez, de maintenir l'indépendance de cet état, à quelque prix que ce soit, prouve que vous savez aussi bien apprécier que mériter justement de jouir des libertés pour lesquelles l'Amérique ose s'opposer à l'oppression tyrannique d'un pouvoir usurpé.

C'est me flatter infiniment, que de me donner un témoignage aussi authentique de votre approbation, c'est m'engager puissamment à la mériter de plus en plus.

[p.135]

 

Proclamation qui ordonne un Jeûne général, le vendredi 13 Décembre suivant, pour implorer l'aide du Tout-Puissant dans la Guerre contre les rebelles d' Amérique.

 

Du 30 Octobre 1776.

George Roi,

Ayant sérieusement considéré la nécessité où nous nous trouvons, d'employer la force contre nos colonies & provinces rebelles de l'Amérique septentrionale ;& mettant notre confiance dans le Dieu tout-puissant, dans l'espérance qu'il voudra bien bénir nos armes sur terre & sur mer, nous avons résolu, & de l'avis de notre conseil, ordonnons que le vendredi 13 décembre, soit & sera observé comme un jour de jeûne & d'humiliation dans cette partie de notre royaume, appellée Angleterre, notre principauté de Galles, & la ville de Berwick, sur la rivière Tweed, afin que nous & nos peuples, en nous humiliant devant le Dieu tout-puissant, puissions obtenir le pardon de nos péchés ;& qu'en offrant de la manière la plus fervente nos prières & supplications à la divine majesté, elle écarte de nous ces jugemens terribles que nos[p.136]offenses & nos crimes multiplies ont mérités ;& qu'elle daigne répandre ses bénédictions pour délivrer nos loyaux sujets de l'Amérique septentrionale, de la violence, injustice & tyrannie de ces rebelles audacieux qui se sont arrogé un pouvoir arbitraire ; qu'elle daigne dessiller les yeux de ceux qui se sont laissés séduire & entraîner à des actes de révolte & de trahison par des mensonges spécieux ; qu'elle change les cœurs de ceux qui sont les auteurs de ces calamités ; qu'elle rétablisse enfin mes peuples de ces provinces & colonies, dans l'heureuse situation de vivre en liberté, sous un gouvernement libre, tel que celui sous lequel ils ont si long-tems fleuri & prospéré : enjoignons strictement à tous nos bons sujets, dans l'étendue de l'Angleterre, de la principauté de Galles, &c. d'observer ledit jeûne, avec révérence & dévotion ; nous réservant d'infliger envers les contrevenans telles peines que nous croirons être encourues par ceux qui dédaigneront ou négligeront de remplir ce devoir religieux ;& afin que ledit jeûne s'observe avec plus d'ordre & de régularité, nous avons chargé les très-révérends évêques & archevêques, de composer une forme de prière, analogue à la circonstance, pour être récitée dans toutes les églises, chapelles & autres endroits de dévotion publique : voulant qu'ils aient soin de[p.137]répandre ladite prière dans l'étendue de leurs diocèses respectifs.

Donné en notre cour à Saint-James, ce 30 octobre, l'an du Seigneur 1776, & de notre règne le dix-septième.

Dieu sauve le Roi.

Cette proclamation est suivie d'une ordonnance, tendante à ce que le même jeune soit observé en Écosse, le jeudi 12 décembre 1776.

[p.138]

 

Discours éloquent de M. Wilkes, dans lequel il représente que la guerre entre l'Angleterre & ses Colonies fixe l'attention du peuple Anglois & de toute l'Europe ; que depuis la dernière session, la scène est tout-à-fait changée, & que ce sont les torts de la Grande-Bretagne qui ont assuré l'indépendance des Américains ; que ce qu'on appelle trahison, rébellion, n'est qu'une défense légitime, de la guerre qu'on leur fait depuis deux ans, injuste, pyraticale, & déshonorante pour le nom Anglois, les a forcés à cette résistance, que la Constitution Britannique se trouvant ruinée au-dedans & au-dehors par la corruption la situation des choses devient extrêmement critique. Qu'enfin on ne sauroit trop répéter à des Ministres insensés & obstinés, qu'il est impossible à l'île de la Grande-Bretagne de subjuguer & de conserver l' Amérique, qu'il faut nécessairement rappeller les flottes, révoquer les actes injurieux aux Américains & les rétablir dans tous leurs droits.

 

Du 31 Octobre 1776.

Messieurs,

La longue & importante dispute de l'Angleterre avec ses colonies, fixe l'attention du peuple[p.139]Anglois, & celle de toute l'Europe. Les plus grands intérêts, non-seulement de notre île, mais encore de toutes les puissances du continent, sont compromis dans cet événement. Le sacrifice de tant de sang & d'argent seroit pour tout état un objet de la plus haute considération, il l'est bien plus pour nous, dont l'empire semble se dissoudre & passer. Je vois avec tremblement que nous sommes au penchant de notre ruine.

Depuis notre dernière session, Messieurs, la scène en Amérique est totalement changée. Au lieu de négociations entamées avec plusieurs assemblées provinciales ; an lieu de chercher des raisons pour assurer notre supériorité absolue sur les Colonies ; au lieu de prétendre au droit de les lier dans tous les cas, il faut examiner, à présent, si nous le pouvons pour un seul, car aujourd'hui, nous avons à pousser la guerre avec les états libres & indépendans de l'Amérique : guerre funeste, allumée par le souffle violent & obstiné de nos ministres ; guerre dont l'histoire fournit peu d'exemples.

L'année dernière, au commencement de septembre, le congrès Américain envoya une pétition au roi, pour supplier sa majesté de fournir à ses fidèles colonistes, quelques moyens justes & raisonnables, pour parvenir à une réconciliation heureuse & permanente. Il n'y avoit pas un mot[p.140]dans la pétition qui ne sentît la soumission & loyauté. Cependant le Lord Darmouth,. secrétaire d'état, dans le département de l'Amérique, fit une réponse pleine de hauteur & d'aigreur, ou plutôt il n'en fit point :vous n'aurez aucune réponse. C'est-à-dire, nous ne voulons pas traiter avec vous, nous rejettons toute négociation, nous exigeons l'obéissance passive sans condition. Quel nom mérite une telle réponse ? Elle est marquée au coin de l'indignité & de l'insulte ! Elle a jetté les Américains dans le désespoir ;& bientôt suivie de la violation des perfides promesses du Lord Hilsborough, dans sa fameuse lettre officiale & circulaire aux Colonies, elle les a forcées à se déclarer indépendantes.

On a beaucoup parlé, messieurs, de la prophétie des ministres, que les Américains se déclareroient enfin indépendans. Il étoit fort aisé aux ministres d'être prophètes, en prenant toutes les mesures injustes & sanguinaires qui devoient vérifier leur prophétie. Ceux qui prédisoient la mort du Grand Henri IV, roi de France, étoient bien sûrs de leur fait en dirigeant la main qui devoit l'assassiner.

L'honorable membre assis à côté de moi, attaque la déclaration d'indépendance d'une façon assez singulière. Il l'appelle, pitoyable composition [p.141]mal écrite, bonne seulement à captiver le peuple. Si elle atteint ce but, elle est bien faite, bien écrite, & politiquement très-sage ;car c'est au peuple à décider cette grande affaire ; les périodes polies, les expressions heureuses, harmonieuses, les grâces, l'élégance de la diction que nous admirons ici, feroient peu d'impression sur le peuple Américain. Il n'aime que les sentimens mâles & nerveux, quoique revêtus d'expressions rudes & sauvages. Toute éloquence qui subjugue, qui produit l'effet qu'on désire, est, à mon avis, la meilleure sur le grand théâtre de la politique, comme sur les théâtres d'amusement.

Un autre honorable membre, qui approuve l'Adresse, a dit que la déclaration de l'indépendance Américaine ne l'étonne point. Je le crois : il ne faut que le sens commun pour n'en être pas surpris, après nos hostilités, nos cruautés, & à la vue de cette carrière, où une administration phrénétique s'engage toujours plus ;& ce qu'il y a de vraiment étonnant, c'est avec l'applaudissement de la majorité de cette chambre.

On fait valoir, pour nous tranquilliser, les assurances d'amitié que sa majesté continue à recevoir de plusieurs cours de l'Europe. Pure illusion ! ne vous souvient-il pas que le même[p.142]ministre, au comencement de notre dernière session, nous communiqua des assurances encore plus positives dans le discours du roi. « Je me tiens heureux, disoit le prince, de pouvoir vous annoncer, que sur les assurances que je reçois, & sur les apparences des affaires de l'Europe, il n'est nullement probable que les mesures que vous prenez pour réduire les rebelles, puissent être interrompues par quelques puissances étrangères ». Belles assurances, journellement contredites par les préparations hostiles de la France, de l'Espagne, & de toute la maison de Bourbon. Sommes-nous donc assez simples pour nous fier à des expressions vagues & polies contre l'évidence des faits ? Notre ministère fait fort bien que la cour de Madrid a fait relâcher & approvisionner un corsaire Américain, arrêté à Bilbao en Biscaye. L'Espagne est une de ces puissances étrangères qui nous flattent avec les assurances miéleuses de l'amitié. Le destin a-t-il donc réglé que nous n'aurions pas assez de capacité pour juger de l'avenir par le passé.

Dans la première année du présent règne au mois de septembre 1761, la gazette de la cour nous disoit :« que le roi catholique n'avoit été, en aucun tems, plus porté à entretenir une correspondance amicale avec[p.143]l'Angleterre ». Cette déclaration fut reçue ici sérieusement ; mais elle fit rire le reste de l'Europe. En effet, au mois de janvier suivant, sans qu'il se fut rien passé de nouveau, de quelqu'importance, l'Espagne nous déclara la guerre.

Le dissimulé, le doucereux François pourra-t-il également nous bercer, nous endormir dans une fatale sécurité contre l'évidence de l'histoire ? Devons-nous espérer qu'il nous traitera autrement qu'il traita les Espagnols dans la révolte du Portugal. Il envoya des troupes bien conditionnées, bien payées, au service de la maison de Bragance, tandis qu'il déclaroit son horreur pour la rébellion & les rebelles ; tandis qu'il ajoutoit proclamation sur proclamation, pour rappeller ses déserteurs. Il n'est point de puissance en Europe qui ne souhaite un heureux succès aux Américains. On nous voit dans tout ou presque tout le Continent, sous l'odieuse apparence d'oppresseurs, de tyrans, nous Anglois, nous apôtres de la liberté.

Le roi, dans son discours, avance que « si on permet à la trahison de prendre racine, il en peut naître de grands maux pour les loyales Colonies ». Hélas ! messieurs, ce que nous appelions trahison, rébellion, & les Américains juste résistance, glorieuse révolution, a déjà[p.144]pris racine, racine profonde, & qui s'étend à toutes les Colonies, ou peu s'en faut. Les loyales Colonies sont au nombre de trois, les provinces à présent libres & indépendantes montent à treize. En mettant l'embargo sur le commerce de l'Angleterre avec les Colonies, le ministre qui a composé le discours, fait dire au toi :« Je permets le commerce avec toutes mes Colonies, excepté treize, Massachuset, Connecticut, &c. » L'exception, plus forte que la règle, ne présente-t-elle pas un sens trop ridicule ?

Depuis deux ans nous faisons une guerre sauvage, piraticale, injuste. Chaque demande du gouvernement a été accordée. Les grandes forces qu'il a déployées par terre & par mer n'ont pu nous regagner une province. Loin de là, le mal s'augmente, le désespoir se montre. L'année dernière, douze colonies adressoient de très-humbles pétitions au trône. À présent, par l'accession de la Géorgie, nous voyons une union fédérative de treize florissantes provinces, qui se déclarent aussi indépendantes que les plus puissans empires, & qui défient notre puissance. Cette déclaration a été faite dans des circonstances qui marquent un courage auquel la postérité rendra justice. C'étoit après que toutes nos forces furent débarquées dans leur continent.[p.145]Pour vous venger, vous avez saccagé leurs côtes, incendié des villes ouvertes, des villages sans défense, avec une barbarie qui déshonore le nom Anglois. Devant vos armes se présentoit le jardin d'Éden, derrière elles un désert affreux, mais sur tant de ruines le courage Américain est resté debout. Non, vous ne pourrez vaincre cette fierté d'âme dans les braves descendans des Anglois. En combattant pour une cause honnête, ils honorent, ils estiment les avantages de la liberté, ils sont déterminés à vivre & à mourir libres. C'est une entreprise insensée de vouloir mettre aux fers l'immense Continent du Nord de l'Amérique. Ce ministre tire légèrement d'heureuses conséquences des événemens dans la province de New-Yorck, Ils ne prouvent pas que nous puissions seulement subjuguer la Virginie, ou l'une des Carolines. Quelques succès dans deux ou trois combats ou sièges, ne peuvent conclure pour le succès final d'une guerre si étendue & si compliquée dans le pays qu'elle embrasse.

Quant à la constante unanimité de la chambre, que le ministre prophétise pour la poursuite de la guerre, l'idée même en est absurde, impossible, tant que le système présent d'injustice & d'oppression durera. Plusieurs membres, dès le commencement, ont déclaré la[p.146]guerre Américaine injuste, inconstitutionnelle dans son principe, & ruineuse pour nous dans ses conséquences. Nous n'avons ni la force pour conquérir, ni les moyens pour conserver des conquêtes si vastes. Mais à supposer que nous réussissions, l'Angleterre pourra-t-elle continuer, par ses basses complaisances, par le sacrifice de l'honneur national, à persuader à son ancienne ennemie, à présent sa fausse amie, la France de porter le masque politique de l'amitié, & de maintenir une paix précaire ? La France, tressaillit en secret, en voyant l'Angleterre tourner ses armes contre elle-même & déchirer son propre sein.

Notre situation, Messieurs, devient extrêmement critique. Notre constitution est minée au-dedans par la corruption ;& au-dehors, en Amérique, elle est attaquée par la violence & la force des armes. Le succès trop fatal de la corruption intérieure dans une nation dévouée à périr, n'est que trop évident ; mais je me flatte, comme ami du genre humain, que la tyrannie de l'ancien monde tombera sans effet. On ne sauroit trop répéter à des ministres insensés & obstinés, qu'il est impossible à notre île de subjuguer & conserver l'Amérique : ce vaste continent est uni par les liens de la force & de la résolution générale. Vos flottes, à la vérité[p.147]pourront, chaque année, porter la terreur sur leurs côtes, vos armées s'empâteront peut-être de quelques-uns de leurs ports, le peuple fuira pour se retirer dans l'intérieur des terres, où des villes, des villages paisibles couvriront des pleines fertiles, où la liberté fixera son trône, où les heureux habitans se réjouiront d'être éloignés des dieux malfaisans, & de leurs foudres.

J'accède de tout mon cœur à l'avis du noble lord (Cavendish), qui propose un amendement à l'adresse votée ; mais je vais plus loin : mon opinion est que, si nous voulons sauver notre empire, conserver le Canada avec les îles occidentales, & recouvrer quelque partie de l'immense territoire que nous venons de perdre, il faut rappeller nos flottes, révoquer tous les actes injurieux aux Américains, passés en 1763, & rétablir toutes leurs chartres ; nous pourrons alors, s'ils veulent bien nous pardonner & se fier à nous, traiter avec eux à des conditions justes, honnêtes, égales, sans le moindre mélange de contrainte. C'est la seule voie ouverte au rétablissement de la paix, à la tranquillité intérieure, & à l'unité de cet empire convulsif, déjà démembré.

[p.148]

 

Invective véhémente de M. Burke, au sujet du refus que l'on faisoit d'entendre les remontrances qu'il étoit chargé d'apporter de New-Yorck. Il remarque que Philippe II, Roi d'Espagne, eut plus d'égards pour les Pays-Bas, que les Anglois n'en avoient envers les Américains leurs frères. Il cite des actes de clémence de Jacques II, & de Louis XV. Il s'élève vivement contre la Proclamation impie & scandaleuse qui convoque le peuple Anglais aux pieds des autels, pour l'y fortifier dans des intentions sanguinaires & fratricides.

 

Du 2 Novembre 1776.

J'ai lu un ouvrage, lequel, je crois, ne paroît pas encore imprimé dans un pays d'où il ne sort que d'excellentes productions, l'Histoire de Philippe II ;& j'y ai lu que ce monarque tyrannique, jamais ne songea à la tyrannie exercée par ses ministres[16]. Quoi ! Monsieur, direz-vous, que vous ne pouvez nombrer tous les torts des Américains ; que vous[p.149]voulez rompre avec des rebelles, parce qu'ils se sont déclarés pour l'indépendance ? Et vous comporterez-vous ainsi aujourd'hui, pendant que le tyran Philippe eut plus d'égard pour les Pays-Bas, dans une pareille circonstance ? Par son édit, le roi d'Espagne permit à leurs navires d'entrer dans se port, & il les en laissa sortir paisiblement. Il les écouta, leur fit des propositions, traita avec eux ;& il leur déclara positivement, qu'il vouloit réparer tous les torts qu'ils avoient pu essuyer.

Lorsque Jacques II, à son retour de France, fit voile à la tête d'une puissante armée, renforcée comme la vôtre, de troupes auxiliaires, ayant d'ailleurs un grand parti dans ce royaume, il nous offrit cependant des conditions favorables : il excepta même peu de personnes du pardon général, parmi lesquelles étoit un ancêtre de mon honorable ami, M. Etienne Fox. Pour vous, aujourd'hui, vous ne vous prêtez a aucune condition, à l'égard des Américains ; vous ne leur dites autre chose, sinon de mettre bas les armes d'abord, & après cela que vous verrez ce que vous aurez à faire pour eux ; c'est comme il vous plaira. Le plus cruel conquérant pourroit-il leur accorder moins ? En eussiez-vous dompté le diable d'enfer, pourriez-vous être plus dur envers votre ennemi vaincu ? Non,[p.150]monsieur, vous ne voudriez pas lui faire grâce. Vous voulez forcer les Américains à se déclarer pour l'indépendance. Après ce qui est arrivé, vous auriez dû, au contraire, vous comporter de manière & par vos offres, à les faire revenir de leurs écarts ; mais vous refusez d'écouter les remontrances que je suis chargé de vous apporter de New-Yorck, parce que, dites-vous elles sont contraires à vos droits & privilèges. Le dernier roi de France ne rejetta point les remontrances de ses parlemens, qui blessoient ouvertement les prérogatives dont le monarque étoit en possession de jouir par un usage constant. e roi y répondit & il fit réformer les abus dont ces parlemens se plaignoient, sans leur accorder toutefois, ce qu'il savoit être positivement préjudiciable aux droits de sa couronne.

Et c'est dans cette position (où, pour ainsi dire, affreuse) qu'on nous appelle par une autre proclamation, aux pieds des autels du Tout-puissant, la guerre & la vengeance dans le cœur, au lieu de la paix de notre divin Sauveur. Il nous dit :« Je vous donne ma paix », mais vous, vous imposez un jeûne public pour ne parler que de guerre, contre vos frères. Pour moi, jusqu'à ce que nos églises soient purifiées de ce service abominable, je les considérerai, non comme[p.151]les temples de Dieu, mais comme de vraies mosquées de satan, & je regarderai votre bill aussi infâme dans la politique, que votre prétendu acte de dévotion national est impie & blasphématoire. Le peuple, en effet, est aujourd'hui convoqué de la manière la plus solemnelle de la plus propre à inspirer la crainte & le respect, pour se rendre dans nos églises, & là, pour y participer au sacrement de l'autel ; disons mieux, pour y commettre un sacrilège. Oui ; vous y êtes appellés pour vous parjurer, en chargeant publiquement vos frères du crime de haute trahison, en répandant contre eux des mensonges spécieux : également coupables, soit que faussaires insignes, vous avanciez des calomnies évidentes, ou soit, qu'ignorant la vérité des choses, vous preniez à témoin l'Éternel, des faits qui, loin d'être vraisemblables, ne sont proprement que des mensonges les plus hardis & les plus atroces.

[p.152]

 

Adresse éloquente arrêtée dans l'assemblée des Représentans de l'État de la Baye de Massachuset Ils y exposent à tous leurs concitoyens, de la manière la plus énergique & la plus pressante, l'injustice & l'atrocité des armes Anglaises contre leur pays, sans aucun sujet d'offense de leur part : ils leur représentent le danger imminent de l'État, & ils les conjurent, par tout ce qu'ils ont de plus cher, de concourir chacun de tout leur pouvoir, à sauver leur pays, leurs fortunes & leurs vies[17].

 

Du 28 Janvier 1777.

Aux Colons de la Baye de Massachuset.

Amis et Concitoyens,

Lorsqu'une nation, au moment d'atteindre le sommet du plus grand bonheur qui puisse écheoir en partage aux hommes, est prête à se[p.153]voir arracher à toutes ses espérances, par un ennemi dont chaque pas est marqué de sang, & qui vient lui offrir en échange les horreurs de la misère la plus affreuse, dont le poids doit accabler ses descendans pendant la durée des siècles, il est important, sans doute, de réveiller le courage des uns, d'exciter la générosité des autres, d'animer ceux qui chancellent, & de leur ouvrir les yeux sur les dangers affreux qui les menacent ; le péril où vous êtes de vous voir enlever vos villes, vos familles, vos campagnes fertiles, & tous les biens que vous tenez de l'industrie & de la sagesse de vos respectables ancêtres, les plus vertueux & les plus braves de tous les hommes. Le moment qui approche, où tout ce que vous possédez va devenir la proie d'une troupe de misérables qu'aucune loi ne peut réprimer, & dont le dessein formé est de fouler aux pieds, les droits les plus sacrés de l'humanité : ces considérations seules seroient capables d'inspirer du courage aux plus lâches, & de porter aux plus grandes actions l'homme qui n'auroit aucun sentiment d'honneur, & le plus apathique. Lors donc que l'Amérique, cet asyle du bonheur & de la liberté, est attaquée par un ennemi dont l'intention est de dépouiller ses habitans de toutes les douceurs qui rendent la vie désirable, vous ne sauriez manquer de courir aux armes, afin de protéger votre patrie, vos femmes, vos enfans[p.154]vos biens, contre la rapine, la violence & la destruction dont vous êtes menacés.

Ce fut pour remplir ces vues si dignes de tous nos braves citoyens, (& nous le disons avec une humble confiance, si agréables au Dieu tout-puissant) que vous vous êtes assemblés en conseil, par vos députés pendant tant d'années : ce fut pour la même raison, qu'au mois d'avril 1775, vous courûtes aux armes ; que vous défîtes & mîtes en déroute à Bunkers-Hill, cette horde de Bretons qui, sans y être portée par le souvenir d'aucune offense de votre part, est venue, comme une bande de brigands & d'assassins, troubler le repos de vos habitations paisibles : ce n'est donc pas sans fondemens que nous nous flattons que vous serez prêts dans tous les tems, à verser votre sang, & à épuiser vos trésors pour le soutien de cette même cause.

Ce seroit vous regarder comme insensibles à vos propres intérêts, si, pour vous exciter à une juste défense, nous allions retracer ici les motifs de vos justes alarmes, ces humbles & nombreuses requêtes que vous avez présentées pour obtenir la paix & pour prévenir l'effusion du sang de vos frères ;& enfin, l'indignité, le mépris sans exemple, avec lesquels on a traité vos supplications. Il suffira de vous rappeller, qu'après que vous eûtes épuisé toutes les ressources que le désir[p.155]de la paix pouvoit vous inspirer ; lorsque pour toute réponse à vos remontrances humbles & modérées, vos maisons furent en flammes, vous-mêmes exposés au glaive du meurtrier, vos biens au pillage ; quand l'armée Britannique & celle des Alliés se disposoient à vous arracher à la tranquillité & à l'abondance, pour vous réduire à l'état de vassaux & d'esclaves ; alors le Congrès des États-Unis, ne voyant plus d'autres moyens d'établir solidement votre sûreté & de la rendre durable, publia cette déclaration, par laquelle vous devîntes indépendans de la Grande-Bretagne, & c'est dans cette indépendance seule que vous pouvez retrouver la paix & la félicité.

Mais, comme à mesure que le pouvoir & l'opulence des États-Unis augmentent, on voit aussi croître la terreur & l'envie de ces âmes basses, avides & ambitieuses, dont le dessein a toujours été de s'en assurer la possession exclusive, il nous faut une armée considérable pour nous défendre, le Congrès a voté la levée de quatre-vingt-huit bataillons, & cet État est taxé à en fournir quinze. La milice qui s'est avancée au secours de l'armée, sous la conduite d'un général (Washington) dont la magnanimité, la vertu, la patience, sont peut-être sans exemples ; car cet homme qui s'expose à chaque instant, sans aucune[p.156]vue d'intérêt (il jouit de neuf mille livres sterlings) n'a d'autre espoir de récompense que le témoignage satisfaisant de sa conscience ; cette milice, disons-nous, va bientôt revenir : l'ennemi, outré du châtiment qu'il a reçu pour les cruautés peu méritées qu'il a exercées contre nos frères de Jerseys, ne médite que les moyens de se venger. Cependant ce seroit un fardeau si pesant pour les habitans de cet État d'enrégimenter la milice, que cette assemblée ne peut y penser sans peine & sans y trouver beaucoup de difficultés. En conséquence, sachant que vous n'avez besoin d'autre aiguillon pour vous porter à faire votre devoir que de vous en tracer les obligations, il a été décidé qu'un homme sur sept, en état de porter les armes, depuis & au-dessus de l'âge de seize ans, sera enrôlé incessamment pour servir dans l'armée du continent. Les personnes ainsi enrôlées recevront la gratification offerte par le gouvernement, gratification que nous croyons supérieure à ce que l'on a jamais offert aux plus intéressés des hommes ; nous avons donc tout lieu de nous flatter de voir courir aux armes un peuple qui combat, non pour les intérêts des princes & des rois, mais pour sa propre liberté, pour son propre bonheur.

Afin que les vues du gouvernement soient mieux remplies, eu égard à la gratification promise,[p.157]nous avons établi un tarif de ce que doivent coûter les denrées du pays, soit de nécessité ou de convenance, nous avons fixé le prix des marchandises étrangères, d'après le taux auquel elles sont portées dans l'endroit d'où elles viennent, avec une juste compensation des risques que courent les propriétaires, en les apportant parmi nous. Il ne manque, pour donner de la valeur à la paie des soldats & de la stabilité à notre monnoie, que de se conformer avec la plus scrupuleuse ponctualité à la lettre de cet acte, lequel sera bientôt mis en exécution avec ce zèle & cette vertu civique qui animent tous les membres de l'état dans la cause commune de leur patrie.

Mais dans la crainte que quelques-uns d'entre vous ne se laissent séduire par les fausses représentations de ceux qui sont intéressés à vous tromper, nous croyons devoir vous rappeller que la prétendue disposition à la réconciliation & à la paix, dont la proclamation des commissaires du roi de la Grande Bretagne, a fait un si pompeux étalage, n'a d'autre objet que de vous inviter à trahir votre patrie, & à vous soumettre aveuglément au gouvernement du parlement Anglois. Les commissaires vous disent que leur roi est favorablement disposé à réviser tous les actes qui lui paroissent incompatibles avec vos privilèges ;[p.158]mais le bon sens doit vous dire, que si ce prince méritoit de commander à un peuple libre, s'il étoit protecteur des droits de l'humanité, il y a long-tems qu'il auroit prononcé sur la justice ou l'iniquité de ces mêmes actes qui lui eussent paru fondés sur des principes de despotisme, & tendans à faire des esclaves : mais, vous ont-ils jamais dit que leur souverain ne révoqueroit aucun de ces actes oppressifs ? Que pourriez-vous donc attendre d'une simple révision ? Suffiroit-elle pour vous tranquilliser & alléger les fardeaux dont ils vous accablent ?

Quoique ces commissaires s'annoncent comme des ambassadeurs de paix, & qu'ils vous invitent à vous soumettre à ce qu'ils appellent le gouvernement doux & modéré de la Grande-Bretagne, on les voit marquer tous leurs pas de sang, se rendre coupables de rapine, des cruautés les plus inouïes, & étendre les effets de leur horrible & sauvage férocité sur ceux qui se soumettent comme sur ceux qui refusent de le faire : ni le rang, ni le sexe, ni l'âge ne peuvent mettre personne à l'abri de leurs atrocités.

Si l'Amérique est vaincue ou se soumet, nous ne voyons qu'une image imparfaite des maux qui nous attendent dans la situation affreuse des habitans malheureux de l'Irlande, qui, désarmés, & n'ayant qu'une foible part dans le produit de[p.159]leurs sueurs, arrachent le pain de la main de leurs tendres enfans pour se procurer, en le vendant, de quoi payer leur maître orgueilleux ou un collecteur avide & insolent.

Cette société heureuse dans laquelle l'homme n'obéit qu'à des loix qu'il a choisies & approuvées, est l'objet le plus désirable, & tend plus que toute autre chose à assurer la félicité de l'homme. C'est un privilège précieux, auquel un peuple ne sauroit renoncer sans se rendre infiniment coupable envers le distributeur suprême de qui découle tout ce qui est grand & bon.

C'est donc pour l'amour de cette religion, pour le libre exercice de laquelle nos ancêtres se sont réfugiés dans cette partie du monde, c'est pour vos loix, pour votre félicité que nous vous exhortons à vous conduire avec vigueur & fermeté dans la situation critique où se trouve votre patrie, & nous ne doutons pas que le ciel favorisant vos nobles efforts, vous ne veniez à bout de vous assurer ce succès & cette liberté qui sont la récompense du sage & zélé citoyen.

Nous vous exhortons sur-tout à contribuer de tout votre pouvoir à faire régner ces vertus, à l'observation desquelles l'Être suprême a promis d'accorder ses bénédictions, & à écarter ces vices pour lesquels on l'a vu punir & renverser les empires. Adressez-vous à lui par la prière & les[p.160]supplications, pour qu'il lui plaise de vous délivrer ces calamités de la guerre ; vous pénétrant de plus en plus de cette vérité, que sans sa bonté infinie & son secours tout-puissant, tous vos efforts deviendroient vains & sans effet.

La présente est envoyée pour recevoir l'approbation.

Samuel Fréemar, Orateur.

En Conseil, ce 28 Janvier 1777.

Lue & approuvée. Jean Avery, D. Secrétaire.

[p.161]

 

Discours du Général Conway, au sujet de l'emportement & de l'opiniâtreté des Ministres contre les Colons d'Amérique. Il se plaint de la trop grande facilité du Parlement à cet égard ;& il donne à entendre combien il est à craindre que la fin de cette guerre sanguinaire & impolitique ne prouve la solidité de ses plaintes & de ses réflexions.

 

Du 17 Février 1777.

Le ministre n'a été que trop loin ; les mesures qu'il a prises n'ont été que trop décisives, quoi qu'en dise l'honorable membre qui vient de s'asseoir. Il est impossible de faire éclater plus d'emportement, de se conduire avec plus d'opiniâtreté que n'ont fait les ministres ; ils ont eu recours aux moyens les plus violens, & depuis l'instant fatal où ils ont commencé la guerre en Amérique, leur conduite n'a été qu'une suite de vexations, seules capables de réduire les Colons au désespoir, & de les armer pour défendre leurs possessions & leurs libertés, que l'on s'est toujours proposé d'envahir. Ce qui me surprend, c'est que ces violences n'ayant produit aucun effet, on trouve encore le ministre disposé à les continuer ! Sommes-nous plus prêts[p.162]à conquérir les Colonies, que nous ne l'étions il y a un an ? Non, au contraire : je dis plus, si nous nous obstinons à les vouloir assujettir, nous allons nous attirer sur les bras une guerre formidable. Nous voyons les plus redoutables puissances de l'Europe, former entr'elles des alliances ; elles finiront par fondre sur nous, lorsque nous n'aurons à leur opposer, ni les forces nationales qui seront affoiblies, ni les troupes de nos petits alliés, dont le nombre & l'influence ne suffiront pas pour contrebalancer le pouvoir de nos ennemis. Je ne saurois finir, sans observer, que, malgré tout ce que la complaisance du parlement lui a laissé faire, malgré les promesses que nous avons tant de fois reçues des ministres, nous ne voyons pas que l'on ait fait aux Américains aucune proposition sérieuse d'accommodement, aussi, nous n'avons pas même le moindre espoir de faire naître une utile division parmi les membres du congrès, ou de détruire la confiance que les Colonistes ont mise dans cette assemblée. Qu'on ne croie pas que mon opinion soit fondée sur un esprit d'opposition & de faction, ou sur aucun motif d'intérêt ou de jalousie ; les motifs qui m'animent sont purs, & ma conduite fut toujours uniforme ; mais je n'ai que trop de raison de craindre que la fin de cette guerre sanguinaire[p.163]& impolitique, ne prouve que ma façon d'en augurer, n'est que trop bien fondée !

 

Réplique fine & ironique de M. Fox au Solliciteur général qui l'avoit entrepris dans un Discours précédent où il proposoit un Bill tendant à suspendre l'habeas corpus. Il lui reproche d'une manière piquante sa passion pour les châtimens publics & exemplaires. Il finit par s'opposer au Bill.

 

Du 17 Février 1777.

Je ne puis m'empêcher d'admirer la candeur & sur-tout la complaisance de mon bon & savant ami ; il nous a fait entendre qu'il auroit volontiers souscrit à la clause, si on l'eût demandée avec le respect & la soumission qu'exigeoit une pareille grâce ;& sur-tout, si on ne l'eût point ennuyé par la longueur des débats, qui le retiennent plus tard que ses affaires ou ses plaisirs ne le permettent. Cependant, quoique délicate que soit sa façon de penser, quelqu'empressé qu'il paroisse à se retirer de la foule, quelqu'indifférence qu'il veuille affecter à l'égard du bill ; n'auroit-il pas cru, en quelque sorte, satisfaire son ressentiment contre l'Amérique conquise, sa haine naturelle (le solliciteur est Écossois)[p.164]contre tout ce qui est rébellion[18], son zèle pour le gouvernement, & son attachement personnel à la famille qui occupe le trône, sans presser si vivement l'admission pure & simple de ce bill[19], dans l'étendue illimitée qu'il voudroit qu'on lui donnât. La passion que ce savant membre paroît avoir pour les châtimens publics & exemplaires, ne pourroit-elle pas s'appaiser, en se rappellant que sept malheureux rebelles ont été renfermés dans une maison à New-York ;& là, dévorés par les flammes, que le zèle des royalistes y avoit allumés ; si ce n'est pas assez, un honorable membre (Adam) encore plus zélé, s'il est possible, pourroit lui faire partager la douceur de contempler les hauts & glorieux faits dont toutes les parties de l'Amérique sont depuis long-tems le théâtre ; ces lieux où les sauvages ont inhumainement, & de sang-froid, massacré les habitans, où les esclaves révoltés font main-basse sur leurs maîtres, à l'instigation de ces mêmes personnes que l'on a accusé si injustement de mettre trop de lenteur[p.165]dans leurs opérations, de ne suivre que des plans formés par la douceur même, & exécutés avec trop de ménagement.

J'ai voulu essayer de parler plusieurs fois, mais la frayeur a lié ma langue ; en fixant mes yeux sur mon savant ami, j'ai cru m'appercevoir que l'effervescence de son zèle commençoit à animer ses joues ; j'ai redouté les terribles effets de sa colère, à laquelle il eût, sans doute, sacrifié la clause, & ceux qui osoient en démontrer la nécessité : enfin, nous l'avons échappé belle, & nous pouvons nous féliciter d'avoir sauve la nation des fers que l'on vouloit forger pour elle. Ce n'est pas cependant que je pense que nous en avons fait assez ; ce bill même, tel qu'il est a présent, est une arme bien dangereuse, & un particulier, que ses plaisirs ou ses affaires appelleront hors du royaume, n'en sera pas moins exposé à son retour, à ressentir les effets de l'inimitié, bien ou mal fondée, du ministre & de ses créatures. Quant à moi, qui ai suivi pas à pas les démarches du ministère, je l'ai vu de tout tems chercher à se procurer tous les jours des pouvoirs, dont l'exercice sera enfin fatal à la nation : persuadé de cette triste vérité, je m'oppose formellement à ce que le bill soit reçu, même dans son état actuel.

[p.166]

 

Discours du Général Washington à ses soldats au moment qui précéda l'affaire de Trenton[20].

 

Du 4 Mars 1777.

Mes amis,

Ce n'est pas seulement la liberté de l'Amérique qui dépend aujourd'hui de votre valeur réfléchie ; il s'agit de quelque chose qui vous est certainement plus cher que la liberté, plus cher que la vie même ! Il y va de votre honneur. Réfléchissez sur l'infamie dont vous vous couvririez aux yeux de vos compatriotes & de l'univers qui vous regardent, si cette campagne se terminoit sans quelque coup d'éclat, qui prouvât à ce même univers, que votre courage est égal à la justice de votre cause ? Ce que je dis est pour vous ; quant à moi, mes amis, je ne survivrai point à une défaite que je ne pourrois imputer qu'au soin que vous prendriez d'épargner votre sang. On a voulu obscurcir la gloire pour laquelle vous êtes nés : cherchez à laver[p.167]dans une mort honorable, les taches que l'on a imprimées sur vous injustement : croyez-moi, c'est le seul chemin qui puisse vous conduire à la victoire, à la vie, & à l'honneur.

 

Discours du Gouverneur Johnston, présentant à la Chambre la Requête des sieurs Irwine & Blair, le premier Propriétaire, le second Commandant d'un navire pris le 30 Avril 1776 par des vaisseaux Espagnols, dont l'équipage fut mis aux fers & enfermé dans un cachot par ordre du Gouverneur. Il reproche au Ministre lord Germayne, la négligence avec laquelle il a amusé les plaignans en ne les renvoyant qu'a la dernière extrémité au Secrétaire ayant le département des affaires de l'Espagne auquel il savoit bien dès le commencement de la plainte, à qui appartenoit la connoissance de cette affaire.

 

Du 4 Mars 1777.

Je proteste sur ma parole d'homme d'honneur, que mon dessein, en présentant cette requête, n'est pas de tracasser le ministère ; qu'en cherchant à la faire examiner pour qu'on y fasse droit, mon intention n'est pas d'engager la Grande-Bretagne dans une nouvelle guerre.[p.168]Non, nous n'avons déjà que trop d'ennemis ; ce moment n'est pas propre à entrer dans des éclaircissemens, qui, peut-être, nous plongeraoient dans de nouvelles difficultés ; je crains que nous n'ayons déjà trop d'affaires sur les bras, & je serois le dernier dans cette chambre, qui voudrois chercher à accroître l'embarras & les obstacles que les ministres ont à vaincre : mais je distingue dans l'affaire actuelle, des objets qui n'ont rien de commun avec un débat public & national. Il s'agit ici d'une indemnité privée & personnelle, que les supplians ont droit de demander.

Le fait est que le docteur Irvine& le capitaine Blair, son associé, ont hasardé la meilleure partie de leur fortune, sur la foi du ministère, & sur celle des traités ;& aujourd'hui, par l'effet d'un outrage qui n'avoit point d'exemple, pas même de prétexte, les voilà dépouillés de tout ce qu'ils possédoient. La probité de ces deux respectables citoyens, est trop connue, pour qu'on puisse seulement les soupçonner d'avoir voulu faire la contrebande. En supposant donc que nous ne soyons pas dans des circonstances à pouvoir demander une réparation authentique, je ne vois pas comment le ministère pourra se refuser à les dédommager, du moins en partie. Dans le cas ou la chambre ne jugeroit pas à propos d'en[p.169]prendre connoissance, un objet qui me paroît mériter de la part du ministre une sérieuse attention, c'est l'état cruel ou se trouve l'équipage du navire : les malheureux qui le composoient, chargés de chaînes, périssent peut-être au moment où je parle, sous le poids de l'oppression, de la misère & de la maladie, dans quelques prisons des Indes Occidentales. Sur les premières plaintes portées par le capitaine Blair a lord Germayne, on lui fait entendre que c'est à quelque corsaire Américain qu'il doit attribuer ses malheurs ; on l'a ainsi amusé depuis le mois de Septembre jusqu'à la fin de Décembre ; cependant, lorsque la déposition juridique du nommé Sund, devant le premier juge de la Jamaïque, charge positivement les Espagnols, lord Germaine n'a plus de subterfuges à employer ;& par une évasion aussi honteuse qu'indigne d'un ministre de la Grande-Bretagne, il renvoie le capitaine Blair pardevant lord Weymouth (secrétaire au département des affaires du Sud, & par conséquent, de l'Espagne). Pourquoi ne l'avoir pas fait d'abord ? Pourquoi l'amusoit-on de vaines promesses, puisque l'on savoit à ne pas douter, que c'étoit des Espagnols qu'on avoit à se plaindre ? Et enfin, pourquoi après avoir éclairci le fait, lord Germaine[p.170]finit-il par dire aux supplians, que cette affaire n'est pas de son ressort ?

 

Reproches de M. Temple Luttrell adressés au Ministre, sur quelques propos indiscrets qui venoient de lui échapper dans son Discours, & dont les ennemis de l'Angleterre ne manqueroient pas de profiter.

 

Du 4 Mars 1777.

Cette conduite est inexplicable ; les portes de cette chambre, qui devroient toujours être ouvertes, sont continuellement fermées ;& par un contraste singulier, aujourd'hui on les ouvre pour qu'il y ait plus de témoins de la démarche honteuse du ministre, qui va mettre aux pieds d'une puissance étrangère les droits les plus inaliénables de cette nation, parmi les étrangers qui sont présents, il en est peut-être qui n'auroient pas dû entendre de la bouche du ministre, certains discours qu'on ne marquera pas de regarder comme les honteux effets de la crainte & de la pusillanimité. Il est difficile de juger ce que nos ennemis pourront demander dans la suite, mais ils enchériront sans[p.171]doute, en conséquence de ce beau début de notre part ; ils apprendront sans doute avec une satisfaction faite pour les encourager, que les ministres décréditent le commerce de la baie d'Honduras, afin d'avoir une excuse pour l'abandonner & renoncer aux droits qui en résultent.

 

Discours du Chevalier Astley, sur le même sujet. Il recommande beaucoup de prudence à l'égard de l'Espagne.

 

Du 4 Mars 1777.

Je suis bien éloigné de vouloir faire naître des discussions qui pourroient nous susciter un ennemi puissant. Ce n'est pas le tems de montrer du ressentiment aux puissances étrangères ; nous avons déjà plus d'ennemis que nous n'en pouvons combattre. Mais d'un raisonnement que suggère la prudence, on ne doit pas conclure qu'il faut renoncer à des droits de commerce & de possessions territoriales. Si nous nous relâchions sur le moindre point, les mêmes raisons qui nous engageroient à nous en départir, amèneroient bientôt la nécessité d'en abandonner un second, un troisième, jusqu'à ce qu'il ne nous restât plus rien. Si donc l'intention[p.172]de nos ennemis du dehors étoit de nous éprouver dans cette guerre, la saine politique veut que nous nous opposions avec vigueur à la première tentative : à Dieu ne plaise que nous voyons l'honneur & la dignité de notre patrie sacrifiés à la foiblesse ou à l'ambition des ministres, ou au projet insensé de subjuguer nos propres sujets ! Je crois donc que quelque chose que l'on fasse, il est nécessaire de commencer par s'assurer des faits, afin que l'Espagne sache que nous en sommes instruits, & que nous avons le courage aussi bien que l'intention de nous faire justice, si l'on persiste à nous la refuser.

[p.173]

 

Adresse des Habitans de Rhode-Islande de remercimens à Son Excellence Hugh Comte de Percy, lors de son départ de cette Île dont il étoit Gouverneur.

 

Du 3 Mai 1777.

Sous le bon plaisir de Votre Excellence.

Nous les habitans de la ville de Newport, apprenons avec douleur que votre excellence se dispose à nous quitter ; qu'il nous soit permis de vous témoigner les sentimens que nous inspire la reconnoissance, & que le bonheur dont nous avons joui sous la protection de votre excellence ne peut manquer d'exciter vivement nos cœurs.

Nous reconnoissons avec gratitude que le pouvoir entre vos mains a pris l'aimable forme de l'autorité paternelle, que vous n'avez eu recours à la rigueur que lorsqu'elle a été absolument inévitable, que l'oppression n'a pas été connue parmi nous, & qu'enfin, au milieu des horreurs d'une guerre civile, les troupes commandées par votre excellence se sont conduites avec une modération qui leur eût fait honneur dans des tems de paix et de tranquillité.[p.174]La crainte seule de vous offenser, nous empêche de chercher à exprimer les sentimens que nous ont inspirés les vertus dont votre excellence nous a donné tant de preuves. Nous nous taisons à regret sur cette intégrité des mœurs, ce respect pour la décence & la religion, qui donneroient du lustre à l'état le plus vil ; cette affabilité, qui, sans aucune vue d'intérêt, veut bien s'occuper de l'avantage des particuliers ;& sur-tout cette générosité sans bornes qui a souvent attiré à votre excellence les bénédictions de ceux qu'elle a soustrait aux horreurs de la misère.

Les grandes vertus, milord, dans une personne éminente sont comme l'astre qui nous éclaire, rien n'échappe à sa bénigne influence ; ce sont elles qui vous ont rendu cher à tous les habitans de cette ville ;& nous pouvons dire avec vérité, que cet instant qui nous apprend votre départ, est la seule douleur que nous ayons ressentie depuis que vous êtes parmi nous.

C'est avec la plus grande répugnance que nous nous soumettons à la triste nécessité, qui va nous priver de la protection de votre excellence. Nous vous souhaitons un heureux voyage vers le pays qui vous a vu naître, puissiez-vous jouir d'une santé constante ; votre rang[p.175]élevé, les vertus qui vous distinguent ne nous laissent point d'autres vœux à former ! Ce qui nous console dans nos malheurs, c'est que le bruit de vos exploits vous a précédé, & que vous allez jouir de la seule récompense qui puisse toucher une âme comme la vôtre, l'approbation du meilleur des princes & la reconnoissance d'un peuple aussi libre que brave.

 

Réponse de Son Excellence à l'Adresse précédente.

 

Du 3 Mai 1777.

Ce témoignage public est d'autant plus flatteur pour moi, qu'il prouve que j'ai eu le bonheur de remplir les intentions de notre très-gracieux Souverain.

Ce que vous voulez bien ajouter d'obligeant sur la conduite des troupes que j'ai eu l'honneur de commander, est une louange qui n'appartient qu'à elles seules. Le devoir & l'inclination porteront toujours les soldats Anglois & Hessois à protéger & défendre ceux des Américains qui vivent paisibles & tranquilles.

Permettez-moi, messieurs, de vous assurer que ce n'est pas sans beaucoup de regret que[p.176]je quitte cette île dont les habitans ont acquis un droit éternel à mon estime ;& soyez assurés que quand j'aurai l'honneur de paroître devant sa majesté, je ne manquerai pas de leur rendre la justice que leur conduite leur donne droit d'attendre de moi.

 

Discours du Comte de Chatham, à la Chambre des Pairs. Il démontre la nécessité de faire sans délai toutes les avances propres à arrêter la guerre d'Amérique. Danger de la continuer. La faire cesser est le vœu de la Chambre, & il doit être celui de Sa majesté. En s'y résolvant, elle s'assurera l'amour de tous ses sujets. Il finit par proposer qu'il soit présenté une Adresse au Roi, à l'effet de l'engager à faire cesser toutes raisons de plaintes de la part des Colons, & à mettre fin par-là à toute hostilité.

 

Du 30 Mai 1777.

Milords,

Nous voici arrivés à un moment critique, saisissons l'occasion, à peine nous reste-t-il six semaines que nous puissions employer efficacement[p.177]à écarter les dangers qui nous menacent de toutes parts. Le tonnerre gronde, il peut percer la nue qui s'ouvre déjà en plusieurs endroits. Il seroit dur sans doute pour le gouvernement, de tendre la main à ceux qui ont osé défier le Roi, le parlement & le peuple. Je ne défie personne, mais si l'on ne met pas une prompte fin à cette guerre, c'en est fait de cette nation. Dans l'état d'infirmité où je me vois réduit, je ne m'en rapporterois pas à mon propre jugement, les lumières que je cherche à répandre, je les dois à quarante ans d'expérience & d'application à bien connoître les intérêts de la mère-contrée & des Colonies. On traite les Américains de rebelles, mais pourquoi le sont-ils ? Qu'ont-ils fait jusqu'à présent ? Je me souviens qu'avec quatre régimens qu'ils avoient eux-mêmes levés, ils forcèrent des troupes bien disciplinées & aguerries depuis long-tems, à évacuer Louisbourg. Mais, dira-t-on, ils se sont portés à de grands excès. Je ne viens pas ici pour être leur panégyriste, je me contenterai d'observer qu'ils paroîtront moins coupables, si l'on fait attention au prestige & à l'erreur qui depuis si long-tems président à nos conseils. On leur a fermé tout accès à la clémence & à la justice ! Jettons un coup d'œil sur l'importance dont nous est l'Amérique ; elle[p.178]vous fournit mille choses utiles, & reçoit en échange vos marchandises, elle vous a soutenus dans quatre différentes guerres, elle va maintenant creuser sous vos pieds un abîme qui vous engloutira, si vous ne vous arrêtés pendant qu'il en est encore tems. Si les mesures que vous avez prises jusqu'à présent ont été mal-concertées, revenez sur vos pas ; vous avez fouillé dans tous les coins de la Basse-Saxe ; mais croyez-vous que quarante mille paysans Allemands puissent jamais conquérir un nombre dix fois plus considérable de citoyens libres ? Ils pilleront sans doute, ils feront des ravages, ils ne vaincront pas ! Mais, dites-vous, nous voulons les soumettre en les conquérant… Eh ! où sont les forces capables de conquérir ces territoires immenses ? En est-il d'assez puissantes à notre disposition ? J'en appelle à tout officier impartial & désintéressé. Que ferez-vous, quand vous ne serez-plus sous le canon de vos flottes ? Pendant l'hiver, si vos soldats sont rassemblés, ils meurent de faim ; s'ils se dispersent, ils sont faits prisonniers, & votre armée se détruit en détail. Je sais à quoi m'en tenir sur ces espérances & ces promesses que l'on renouvelle au commencement de chaque campagne ; je n'ignore pas que c'est le tems où le ministre donne l'essor à son imagination ; mais[p.179]l'équinoxe vient enfin ; les contre-tems se multiplient, & l'on ne manque pas de renouveller les mêmes espérances & les mêmes promesses au printems suivant ! L'on vous dit que votre armée sera aussi nombreuse que la dernière, belle nouvelle ! mais cette même armée n'étoit pas suffisante ; mais vous n'avez gagné que des postes sur les Américains, ceux ci ont fait trois campagnes, & je ne doute pas que vous ne trouviez parmi eux des officiers peu inférieurs aux vôtres. Vous avez en Amérique trop de monde pour faire la paix, vous n'en avez pas assez pour soutenir la guerre.

Mais supposons que vous avez fait la conquête de l'Amérique : quel bien en résultera-t-il ? ses habitans vous en respecteront-ils davantage ?pouvez-vous les forcer à tirer leurs draps de vos manufactures ? Je veux bien croire ce que les ministres nous disent, que la France ne prendra point parti contre nous ; elle auroit bien tort, puisque nous nous dépêchons, à grands frais de l'enrichir de nos ruines ! enfin, nous allons donc perdre l'Amérique, nos trésors & notre honneur ! En différens tems j'ai ouvert des avis analogues aux circonstances ; le plan que j'ai tracé lors du premier acte passé contre les Américains, ne peut plus avoir lieu maintenant. La motion que l'on va entendre,[p.180]vous fera voir où vous en êtes, & à quoi vous devez vous attendre. Si ce que j'y propose est approuvé, cela pourra opérer une heureuse division parmi les états Américains, & ramener parmi nous la concorde & l'unanimité : j'offre une alternative aux colonistes, on ne leur avoit point encore donné de choix ; vous leur avez crié :mettez bas les armes ;& ils vous ont répondu comme les anciens Spartiates :venez les prendre.

Je conclus donc « à ce qu'il soit présenté une humble adresse à sa majesté, tendante à remontrer à sa sagesse, que cette chambre est sensiblement affligée à la vue des dangers & de la ruine qui menacent ce royaume, par la guerre dénaturée qui se continue contre les Colonies. Conseille très-humblement sa majesté de prendre les mesures les plus promptes & les plus efficaces, pour mettre fin à ces hostilités, par le juste & unique moyen que l'on puisse employer, celui de faire cesser toutes raisons de plainte de la part des colons. Proteste d'ailleurs à sa majesté que cette chambre entreprendra cette affaire essentielle, avec tout le zèle & l'empressement dont elle est capable, afin d'ouvrir à sa majesté la seule voie qui lui reste de regagner l'affection de ses sujets de l'Amérique, & d'assurer à la nation les avantages[p.181]précieux que le commerce de ces contrées lui a toujours procurés pour fruit de la bonne intelligence entre la mère-contrée & ses colonies. Qu'enfin, la chambre est persuadée qu'il est plus conforme à la bonté & à la grandeur de sa majesté, ainsi qu'à la dignité d'un peuple libre de conserver, de guérir & de rendre justice plutôt que d'avoir recours aux châtimens & aux horreurs d'une guerre civile, moyens détestables qui n'ont jusqu'à présent servi qu'à accroître l'animosité & à la fois serrer plus étroitement les nœuds de l'union que les Colonies ont formé entr'elles ; les moyens enfin, qui, si l'on continue de les employer, finiront par élever pour jamais, un mur de séparation entre la Grande-Bretagne & l'Amérique ».

Ce que je propose ici m'a paru si clair, que je n'ai pas cru devoir m'étendre sur les différens chefs ; je dirai seulement en général que j'entends que l'on répare tous les torts dont les Américains ont raison de se plaindre, qu'on leur rende ce droit inhérent à tout peuple libre de disposer à son gré de ce qui lui appartient ; voilà ce qu'il faut faire sur le champ. Lundi je quitterai mon lit de douleur pour venir faire cette double motion, elle sera le hérault de la paix, elle ouvrira le chemin à des négociations, & fera voir que le[p.182]parlement est sincèrement disposé à la paix. Nous avons essayé de réduire ces colons à une soumission sans bornes, voyons ce que pourra produire une réparation illimitée. Il nous sera moins déshonorant de nous relâcher sur quelques points avec nos concitoyens, de révoquer quelques actes dont ils ont à se plaindre, que de nous soumettre, comme nous le faisons, aux demandes altières de petits pinces Allemands. Dès l'instant où vous aurez fini un traité avec les insurgens, n'eussiez-vous que dix vaisseaux de ligne, déclarez la guerre aux ennemis du dehors. Quant aux Américains, vous ne sauriez trop promptement leur faire justice. Nous nous plaignons de ce que les Espagnols ont voulu faire une invasion dans cette île, avec moins de prétexte, nous avons traité de même les habitans du nouveau monde ! Enfin, c'est le seul moyen qui vous reste de replacer le trône de sa majesté dans le cœur de ses sujets, & bientôt un million d'âmes qui sont révoltées contre le roi, ou qui le traitent avec mépris formeroient des vœux pour sa prospérité.

[p.183]

 

Acte de la République de Pensylvanie, qui oblige les habitans de cet État de donner les assurances de leur allégeance à ladite République, en prêtant le serment spécifié.

 

Du 28 Juin 1777.

Attendu que les Treize États-Unis s'étant séparés du gouvernement, de la couronne & du parlement de la Grande-Bretagne ; le bon peuple de cet état de Pensylvanie est devenu libre & indépendant de ladite couronne & dudit parlement, qui (par les actes d'oppression & de cruauté, mentionnés dans la déclaration d'indépendance, publiée par le congrès, en date du 10 juillet 1776) ont rendu cette séparation absolument nécessaire de la part desdits États, pour leur propre bonheur, & pour celui des générations à venir.

Attendu que par des motifs sordides & mercenaires, ou par d'autres causes incompatibles avec le bonheur d'un peuple libre & indépendant, plusieurs personnes ont été induites ou peuvent encore l'être à refuser leur service & leur allégeance à la république de Pensylvanie, déclarée par le congrès un État libre & indépendant :[p.184]attendu aussi que plusieurs autres personnes, aux risques de leur vie, ou de leur fortune, ou de l'un & l'autre, ont rendu, suivant leurs facultés, des services éminens, pour la défense & le maintien de ladite indépendance, & peuvent continuer de le faire : comme ces deux classes de personnes sont actuellement mêlées, de manière qu'à quelques égards on ne peut les distinguer l'une de l'autre, & que la classe ennemie reçoit de la classe amie & fidèle, des services qu'elle n'a pas mérités : attendu que l'allégeance & la protection sont réciproques ;& que ceux qui refusent la première, n'ont point, ne doivent point avoir de droits aux avantages de la dernière. Ce considéré, il est statué par les représentans des hommes libres de la république de Pensylvanie en assemblée générale, & en vertu de leur autorité, que tout blanc mâle, habitant de cet état au-dessus de l'âge de dix-huit ans ; le premier juillet prochain, ou avant, prêtera & souscrira le serment ou l'affirmation suivante devant quelque juge de paix dans la ville ou comté ou ledit blanc mâle se trouvera résider.

Je jure, ou affirme (les Quakres ne jurent point) que je refuse toute allégeance à George III, roi de la Grande-Bretagne, à ses héritiers & successeurs, que je serai fidèle à la république de Pensylvanie, qui est un état libre & indépendant : [p.185]qu'en aucun tems je ne ferai ni ne ferai faire aucune chose au préjudice ou détriment de ladite indépendance déclarée par le congrès : je jure aussi de découvrir & de donner connoissance à quelque juge de paix dudit état, de toute trahison, de toute conspiration perfide, que je sais actuellement, ou que je pourrois ci-après savoir être formée, contre cet état ou aucun autre des États-Unis de l'Amérique.

 

Manifeste éloquent, publié par le Général Washington, Commandant en chef les forces des États-Unis de l'Amérique, en réponse à la Proclamation anti-constitutionnelle, anti-chrétienne & dénaturée mais peu redoutable, du Général Burgoyne.

 

Du 19 Juillet 1777.

Les armées associées de l'Amérique agissent par les motifs les plus nobles, & dans les vues les plus pures ; leur objet commun est la liberté ! Le même principe dirigeoit les armes de Rome aux jours de sa gloire, & le même objet fut le prix de la valeur romaine.

Lorsque ces idées sacrées sont profanées ; lorsque le mélange abominable d'une force mercenaire,[p.186]étrangère & sauvage, ose faire mention de la patrie, des privilèges généraux du genre humain, les hommes libres de l'Amérique protestent contre un pareil abus d'expressions, contre une pareille prostitution de sentiment.

Nous savons parfaitement que de pareilles forces sont destinées à agir de concert avec la flotte & les armées de sa majesté Britannique, & nous croyons fermement qu'elles s'acquitteront de leur devoir en proportion de leurs facultés, avec la justice & l'humanité dont ces flottes & ces armées ont déjà donné l'exemple.

Mais nous prenons la liberté d'observer que si les forces réunies des flottes & des armées de sa majesté britannique ont été obligées d'évacuer Boston, ont été repoussées de Charles-Town, défaites a Irentown, chassées des Jerseys, & si actuellement presqu'à la fin de la troisième campagne, elles commencent à peine leurs opérations, ce sont des forces que nous ne craignons point.

Si la justice des forces de sa majesté Britannique & des Allemands ses alliés, se déploie dans les déprédations illimitées & jamais réprimées qu'elles exercent indistinctement sur ce qui appartient à tout Américain, ami ou ennemi ; si leur humanité ne se manifeste que par leur manière cruelle de traiter leurs prisonniers, par leur refus de faire quartier, par leur usage de[p.187]massacrer de sang-froid, usage perfectionné par la sensibilité Indienne & son adresse à manier le tomahawk, (infiniment offensif dont se servent les Sauvages) ; c'est une justice à laquelle nous n'appellerons point, une humanité que nous ne solliciterons point.

Il est un point sur lequel nous serons d'accord avec l'éloquent auteur de la proclamation ; nous conviendrons que la querelle dont il s'agit, a servi de fondement au système le plus complet de tyrannie que jamais Dieu, dans sa colère, ait permis que l'on exerçât sur une génération opiniâtre & perverse : l'emprisonnement arbitraire, la confiscation des biens, les persécutions, les tortures dont en ne trouve pas d'exemples dans l'inquisition de l'église romaine, se trouvent au nombre des atrocités qui prouvent cette assertion; ces peines sont infligées par des assemblées & des comités qui osent professer leur attachement pour la liberté ; elles ont infligées sur le sujet le plus paisible, sans distinction d'âge ni de sexe, pour le crime, souvent pour le soupçon seul du crime, qui consiste à avoir été attaché par principe au système de gouvernement sous lequel on est né, auquel on est attaché par toutes sortes de liens, divin ou humain.

Les habitans de Boston avoient leur charte en naissant ; ils devoient leur allégeance à cette[p.188]charte & au gouvernement libre que cette charte devoit confirmer, & parce qu'on les a soupçonnés d'adhérer par principe (peut-être irrégulier) à l'esprit de cette charte & de ce gouvernement libre, on les a privés de l'une & de l'autre avec violence, on les a enveloppés pêle-mêle dans la même ruine, sans distinction d'âge ou de sexe, d'innocence ou de délit Les loix Angloises en suspendant l'acte d'habeas corpus, ont donné leur sanction à l'emprisonnement arbitraire.

L'acte contre la piraterie autorise solemnellement la confiscation de nos biens sur terre & sur mer : chaque bill respire la persécution, la famine, l'épée, quelque chose de pis que la torture ; en faisant revivre la tyrannie sanglante de Henri VIII, le meurtre reprend racine en Angleterre, revêtu des formes de la loi ; ceux qui ont fondé l'église romaine dans le Canada, savent mieux que personne si ces énormités révoltantes ont des exemples dans leurs tribunaux d'inquisition.

Toutes ces peines ont été infligées par des assemblées & des comités qui osent s'appeller parlement britannique, & qui font profession d'être les appuis de la constitution, pour laquelle Hampden a combattu & est mort ; pour laquelle Russel & Sidney ont répandu leur sang ; pour laquelle[p.189]nos ancêtres ont méconnu la race dégénérée qui ne pouvoit plus la défendre ; qu'ils ont sauvée au moment du naufrage de la liberté Angloise, & que nous avons enfin fixée avec succès sur ces heureuses côtes, aujourd'hui le palladium de la liberté & du bonheur.

Ainsi Dieu, dans sa colère, a souffert quelque tems qu'on exerçât le système le plus complet de tyrannie sur le malheureux peuple de la Grande-Bretagne, tyrannie la plus cruelle & la plus barbare. Puisse le Dieu de bonté & de justice éclairer leurs esprits, changer leurs cœurs ! Puissent-ils bientôt reconnoître l'illusion & l'atrocité de leurs efforts, pour opprimer un peuple vertueux, déterminé à être libre ! Animés par l'esprit du christianisme, nous désirons ardemment que l'union & la paix règnent parmi les hommes ; nous invitons toutes les nations à l'amitié, à l'amour fraternel ; nous concevons que l'on ne peut atteindre à ce but vraiment chrétien qu'en prenant les moyens qu'offre le christianisme ; nous ne tirons donc point l'épée qui n'épargne rien ; nous ne prenons pas à notre solde la cruauté étrangère ; nous n'aiguisons pas le couteau cruel des barbares Indiens ; nous ne dénonçons pas les anathèmes de la dévastation, de la famine & de toutes les horreurs qui forment leur cortège ; mais fatigués d'une persécution opiniâtre,[p.190]obligés par toutes forces de liens de repousser la violence par la violence ; pressés par le cri de notre propre conservation, de faire le meilleur usage possible des forces que la providence nous a données pour défendre nos droits naturels contre l'agresseur, nous en appellons aux cœurs droits du genre humain entier pour prononcer sur la justice de notre cause. Quant à l'événement nous le soumettons à celui qui tient dans sa main, le destin des nations, à l'œil de qui rien n'échappe, qui donne la pâture aux plus petits des oiseaux, & qui ne refusera pas son appui à un peuple juste & humain, qui se met sous sa protection toute-puissante pour défendre & maintenir les principes les plus nobles dont il ait orné l'humanité.

(Signé) G. Washington.

Au nom & en faveur de l'armée des États-Unis de l'Amérique.

[p.191]

 

Discours éloquent du Duc de Richmond. Danger de la guerre d'Amérique toujours opiniâtrement continuée sans succès ; dangers sur-tout pour la Constitution Britannique, provenant de la corruption dans le Parlement, par l'influence trop considérable des Ministres. Injustice de cette guerre. Atrocité des moyens employés. Craintes qu'on devroit avoir pour la mère-patrie des suites & de la férocité de la soldatesque, d'abord exercée contre les Américains, & habituée aujourd'hui à un genre de vie qui peut devenir funeste à l'Angleterre. Le Duc invite la Chambre, toute la Nation, & les Évêques à la pacification.

 

Du 20 Novembre 1777.

Milords,

Je n'ai jamais été dans le cas de vous développer ma façon de penser sur un objet plus délicat que celui de la discussion actuelle, car j'avoue que je vois peu d'apparence à ce que nous puissions nous tirer heureusement de la situation dangereuse à laquelle nous sommes réduits.

Mes craintes ne prennent pas seulement leur source dans les dangers de la guerre actuelle,[p.192](Dieu sait cependant que ces dangers sont assez grands), elles portent sur notre existence comme peuple libre.

Notre gouvernement n'a peut-être jamais reçu le degré de solidité nécessaire ; mais depuis la révolution, époque à laquelle il a plus approché de la perfection qu'en aucun autre tems, il a insensiblement perdu de vue ces droits constitutionaux, qui appartiennent, non-seulement à l'Anglois, mais à l'homme, droits fondés sur des principes auxquels tout peuple jaloux de sa liberté, est obligé de revenir de tems à autres ; à mesure que les gouvernemens s'écartent de ces principes, ils deviennent usurpateurs.

Dans un ouvrage écrit sur les loix d'Angleterre, par un savant juge[21] assis parmi nous, il a été observé que depuis l'époque que je viens de citer, quoique la voix impérieuse de la prérogative ait cessé de tonner, elle n'avoit fait que changer ses accens imposans, avec ceux de la douce influence, dont l'effet est d'agir avec une énergie si persuasive, si invincible, qu'elle dédommage amplement de la perte qu'a pu faire la prérogative extérieure.

Cette influence à ne rien dissimuler, acquiert tous les jours des forces nouvelles ; tous les jours[p.193]ses effets deviennent plus frappans, & ne tendent à rien moins, qu'à renverser les barrières que la constitution avoit opposées à la volonté arbitraire du Souverain ; à annihiler les précautions qu'elle avoit prises pour empêcher qu'il ne fût l'unique pouvoir dominant sur l'état. Je ne prétends pas dire que l'on abroge dans les formes, l'intervention du parlement ; mais si par l'influence de la corruption, on parvient à détruire indirectement cette liberté, l'atteinte est d'autant plus dangereuse, qu'elle est en quelque façon secrette ; son succès est d'autant plus assuré, que cette influence agit insensiblement, & d'une manière presque imperceptible, jusqu'à ce que son objet étant à-peu-près rempli, elle soit assez forte pour se maintenir & s'aggrandir elle-même.

Le noble comte[22] qui a fait la motion concernant l'addition à faire à l'adresse, a justement observé que ces momens-ci ne sont pas propres à la flatterie ; qu'ils sont de nature à imposer à tout homme de bien, le devoir de parler. Je suis fâché de dire que l'étendue de cette influence semble être le système unique, que des ministres pervers ont conseillé à sa majesté d'adopter dans tout le cours de son règne. Ce système a été soigneusement suivi dans chaque département[p.194]de l'administration dans toutes les parties de l'empire, c'est de cette source, que sont émanés nos démêlés actuels avec l'Amérique ; ces taxes, que l'on y a voulu établir avec tant d'aveuglement & d'obstination, n'ont jamais pu faire espérer raisonnablement de produire un revenu assez considérable, pour alléger effectivement dans ce pays, le fardeau des impôts, mais le surcroît d'influence, que promettoit la disposition des nouveaux emplois qu'exigeoit une recette nouvelle, a été une considération suffisante, pour que l'on s'y attachât avec cette opiniâtreté qui caractérise le système actuel dans toutes ses parties.

Ce seroit, peut-être, mal prendre son tems, que d'entrer aujourd'hui dans la vaste carrière que ce sujet ouvre devant nous, je me bornerai donc à n'en examiner que la partie qui a rapport à l'Amérique……………………………………. Tous ces événemens désastreux que je viens de récapituler, forment la partie principale des opérations des trois campagnes. Je ne prétends pas faire rejaillir aucun blâme sur les officiers qui ont commandé ; il se peut que non, d'après quelques légères informations données au parlement, si même on lui en a donné aucune, personne ne peut former un jugement ; mais en[p.195]supposant qu'ils aient fait leur devoir, tout le monde doit actuellement voir clairement ce que l'on a souvent prédit dans cette chambre, que vu la nature du pays, il est impossible à la Grande-Bretagne de forcer l'Amérique à se soumettre. Nous avons actuellement trois années d'expérience, & dans les deux dernières, nous avons déployé toutes nos forces ; combien d'années encore se propose-t-on de nous faire continuer ces essais ? L'année dernière, le roi nous dit que malgré nos succès (on parloit alors de succès), malgré la perspective de terminer promptement la guerre, nous devions nous préparer pour une autre campagne : on a donc essayé de cette autre campagne, & nous nous trouvons dans une situation plus triste qu'elle ne l'étoit avant cette malheureuse tentative, le fer & la maladie ont considérablement diminué notre armée ; en fouillant tous les recoins de l'Allemagne & en purgeant nos prisons, nous ne pouvons pas former des recrues égales à nos pertes. Tandis que les Américains se perfectionnent dans les connoissances & les exercices militaires ; la discipline se relâche dans nos armées ; tandis que le gouvernement Américain acquiert de la consistance, notre situation devient incertaine. Cette année, nous n'avons point de succès dont nous puissions nous enorgueillir ; quels sont ceux que nous pouvons[p.196]envisager dans l'avenir ? Avant que l'on eut rien hasardé, on pouvoit entrevoir une ombre d'espérance, mais actuellement que nous avons échoué dans trois funestes tentatives, je voudrois savoir ce qui pourrais nous engager à en risquer une quatrième, tandis qu'aujourd'hui nos moyens de réussir sont atténués.

Mais, milords, je vous prie de prendre garde à un objet qui n'est pas le moindre de ceux qui nous occupent. Je veux parler de l'inhumanité révoltante qui a présidé à la conduite de cette guerre, inhumaine que je n'ai pas le courage de vous décrire & qui répugne à tous les sentimens du chrétien & de l'homme. Lorsque nous entendions parler des cruautés exercées dans le cours des autres guerres civiles, nous nous félicitions de n'être point nés dans des siècles ou dans des contrées qui fussent le théâtre de ces scènes d'horreurs. Aujourd'hui voir l'Angleterre, jadis célèbre par son humanité, souffrir de sang-froid que l'on exerce sur les enfans les actes de barbarie les plus révoltans ; être insensible aux malheurs qu'elle cause, parce qu'ils existent loin d'elle & qu'elle ne les éprouve pas ! C'est un spectacle bien humiliant pour quiconque a placé quelqu'orgueil dans le hasard qui l'a fait naître Anglois.

Si jamais une nation mérite d'attirer la vengeance[p.197]divine sur ses écarts, ce sera certainement celle-ci dans le cas où elle souffroit qu'on continuât une guerre si horrible. En mon particulier, comme je crois que nous avons tort dans le principe, elle me paroît doublement impardonnable ; mais en supposant que nous fussions fondés à la faire, il n'en est pas moins certain que nous sommes les causes de cette guerre, & je ne pense pas qu'aucune considération politique puisse justifier les sacrifices que nous avons fait à notre droit, les droits les mieux établis peuvent être achetés trop cher, & les moyens que l'on peut employer pour les faire valoir ne sont pas tous légitimes. Armer des esclaves noirs contre leurs maîtres, armer des sauvages que nous savons devoir faire périr leurs prisonniers dans les plus affreux supplices & les manger à la lettre, ce n'est pas, à mon avis, faire une guerre honnête à des concitoyens. Lorsque nous avons le malheur d'entrer en guerre avec d'autres nations, les troupes se portent une estime mutuelle ; une humanité réciproque, adoucit également pour elle les fléaux très-nombreux, toujours inséparables de la guerre, mais dans celle dont il s'agit, on a employé les artifices les plus bas pour encourager la soldatesque à se conduire avec une rigueur qu'il est actuellement à la mode d'appeller alacrité.[p.198]Au lieu de prendre des mesures pour contenir le soldat dans les limites les plus étroites de la discipline ; au lieu de lui faire sentir qu'ayant des concitoyens à combattre, il devroit employer tous les moyens possibles d'épargner leur sang & leur propriété, & marquer de la compassion à des hommes dont la faute n'existoit que dans des notions fausses, & qu'il falloit toujours considérer comme sujets du même roi ; au lieu de tout cela, l'autorité elle-même a encouragé ces soldats à regarder leurs adversaires comme des lâches, des traîtres, des rebelles, tout ce qu'il y a de plus vif, & la loi a déclaré que leurs dépouilles étoient un butin légitime. Les effets de cette inhumanité ont été tels qu'on devoit les attendre, la soldatesque se voyant non-seulement lâchée, mais même excitée, s'est livrée à cette barbarie qui dégrade la nature humaine ; la discipline & le bon ordre ont disparu.

Le noble lord qui a voté l'adresse[23]& qui a servi en Amérique, a présenté les choses sous un autre aspect ; mais je demanderai toujours des informations authentiques ; je ne regarderai pas comme telles quelques paroles qu'échappent dans un discours. Le noble lord veut il subir un examen régulier & répondre aux questions[p.199]que je pourrois lui faire sur cet objet ? Ou bien le ministre consentiroit-il à ce que je fasse paroître à la barre de la chambre les personnes qui doivent y donner sous serment, des informations authentiques ? Les rapports qui me sont parvenus sont que le désordre règne dans nos armées en Amérique, que la rapine & la déflation y font de rapides progrès.

Je ne suis pas étonné de ce que des Indiens & des étrangers qui ne peuvent avoir dans notre querelle d'autres intérêts que le salaire stipulé avec eux, n'aient que le pillage en vue ; il n'est pas étonnant non plus que des hommes qui ont mis un prix à leur vie, vendent leurs bras pour arracher la vie à d'autres, en épousant une querelle à laquelle ils n'entendent rien, & qu'ils se livrent à des excès de cruauté auxquels sont sujets tous les hommes qui se font dépouillés de toute espèce de principe ; mais que des Anglois soient les instrumens d'une pareille oppression, c'est ce qui tend aux plus dangereuses conséquences.

Milords, je crains beaucoup de voir cette armée rentrer dans le royaume ; autrefois les droits des sujets étoient protégés par les loix, & respectés par l'armée ; la propriété étoit sûre :& si l'on privoit un Anglois de la vie, sa patrie entière crioit vengeance ; on appelloit ces attentats[p.200]meurtres atroces ; & les coupables n'échappoient jamais à un châtiment juste & ignominieux, aujourd'hui on a donné d'autres notions à notre soldatesque ; son service ne se borne plus à donner au besoin son secours à l'autorité civile. On ne lui interdit plus tout acte de violence étrangers au devoir de repousser la force par la force ; on lui permet de fouiller dans les maisons, de mutiler les femmes, de commettre tous les genres d'outrage : on cite entre autres le trait d'un soldat qui pour avoir la bague d'une femme lui a coupé le doigt ;& l'on ne cite ce trait que comme faisant partie d'une infinité d'autres exemples de cruauté. Une armée de cette espèce de retour dans son pays, peut anéantir entièrement ce qui lui reste de liberté ; si vous la licenciez elle se convertira en bandes de brigands ; si vous la conservez sur pied, elle sera une arme bien dangereuse entre les mains des ministres qui ont marqué si peu d'égards aux droits des hommes libres ; cette armée est déjà accoutumée à verser le sang Anglois ; il ne s'agira que d'appeller rebelles ceux qui donneront de l'ombrage, & votre armée est prête à traiter ces proscrits comme elle a traité les Américains, peut-être même avec plus d'ardeur.

Milords, je ne voudrois pas être accusé de mal parler d'une profession qui est la mienne à[p.201]moins qu'elle ne le méritât ; je sens en moi cet esprit de corps qui me rend jaloux de son honneur ; mais des liens bien plus forts que ceux qui m'attachent à l'armée, m'unissent à la nation, & je sens que suis encore plus Anglois que soldat. Tant que l'armée a été formée d'hommes de quelque consistance, tant que l'on y a pensé que le premier devoir d'un soldat le lioit à son pays, une pareille armée n'étoit pas dangereuse ; mais depuis que l'on a fait passer des camps dans le conseil, les maximes qui établirent qu'un soldat n'a point de choix à faire, qu'il ne doit point raisonner, mais obéir implicitement ; depuis que l'on a donné tant d'étendue à cette doctrine, que l'on regarde les officiers comme obligé de se battre contre leurs concitoyens même, en pensant que leur résistance est fondée sur une cause juste ; je le répète, milords, je regarde une pareille armée comme méprisable ; je ne vois plus en eux qu'un instrument vénal du pouvoir qui a renversé tant de constitutions libres.

Je conserverai toujours beaucoup de respect & de reconnoissance pour le noble comte[24] assis parmi nous, & pour quelques autres officiers qui ont préféré la démission de leurs emplois au[p.202]chagrin de servir à de pareilles conditions, & d'agir d'une manière opposée à leurs sentimens intérieurs ;& je me défierai toujours de ceux qui ont conseillé au roi de souffrir que de si honnêtes gens quittassent le service, & qui ont en même tems persuadé à sa majesté de décréter ces maximes pures, sous la seule influence desquelles une armée ne peut être dangereuse pour l'état. Milords, c'est parce que j'ai acquis quelques connoissances militaires, que je connois la nécessité de la discipline ; je parle le vrai langage d'un militaire, je parle comme vraiment affectionné à l'armée, lorsque je recommande que l'on s'attache à ce qui peut rendre cette discipline plus stricte, en employant à cet effet le seul moyen qui soit efficace, celui d'inspirer aux officiers du respect pour les loix & pour les libertés du peuple.

Mais on m'assure que nos armées, en Amérique, sont guidées par des notions bien différentes, que par-tout où elles passent, elles jettent la désolation parmi ceux que nous voudrions cependant appeller encore Anglois & sujets ; entre les différens objets qui demandent vos recherches, celui-là, milords, semble devoir être un des premiers.

Pouvons-nous trop-tôt mettre un terme à ces scènes d'horreur ? Je sais, milords, que ce que[p.203]je vais dire n'est pas un langage à la mode ; mais un tems viendra où tous tant que nous sommes, nous rendrons compte à Dieu de nos actions ; comment nous justifierons-nous d'avoir fait perdre la vie à tant d'innocens, à nos concitoyens qu'il étoit de notre devoir de protéger ?… Dans ce moment où il s'agit d'une œuvre à laquelle le Christianisme doit prendre sans doute quelqu'intérêt, à peine osé-je inviter nos révérends évêques à se joindre à moi, pour faire cesser l'effusion du sang chrétien protestant : il suffit d'adresser la voix aux évêques, pour exciter le rire ; ils rient eux-mêmes, mais cela leur sied bien mal ; ils devroient considérer que s'ils siègent ici pour veiller à leurs intérêts personnels, ce n'est pour eux qu'un objet secondaire ; que leur premier devoir est d'adoucir nos délibérations par leur exemple, par le pouvoir de la douce persuasion, & plus que jamais dans les circonstances où la religion est aussi immédiatement intéressée que la morale ; dans des cas d'une étendue aussi vaste que celle qui fait l'objet de la délibération actuelle : les évêques se retirent lorsqu'on amène un malheureux criminel à la barre de la chambre, parce qu'ils ne peuvent donner leurs voix lorsqu'il s'agit d'effusion de sang ; cet usage est un jeu, s'ils peuvent voter & donner des conseils[p.204]sanguinaires, dont l'effet doit être la mort de plusieurs milliers d'hommes ; mais, milords, comme je l'ai déjà dit, je sais que les raisonnemens que l'on tire de la religion ou de l'humanité ne sont guères d'impression ; je reviens donc à ceux que fournit la politique, & dont la force devient plus invincible de jour en jour.

Enfin, s'il paroît évidemment impossible de subjuguer l'Amérique par la force, considérons ce que nous risquons en nous obstinant dans cette entreprise aussi vaine que coupable : le discours du roi nous donne lieu de penser que S. M. ne se repose pas sur les assurances qu'elle reçoit de la part des puissances étrangères, relativement à la continuation de la paix, & que leurs armemens exigent que nous fassions de notre côté ; réfléchissons actuellement sur l'état dans lequel nous nous trouvons pour soutenir en Europe cette guerre à laquelle on nous dit de nous préparer ; notre armée principale, celle de nos alliés & la plus grande partie de nos frégates sont en Amérique. Aux premières hostilités qui auroient lieu en Europe, ne serons-nous pas dans la nécessité de les rappeller, & par conséquent d'abandonner l'Amérique ? Ces armées reviendront-elles sans essuyer quelque perte ? Sommes-nous certains qu'elles arriveront[p.205]à tems pour sauver notre pays ? ne courent-elles pas le risque d'être interceptées ? Cependant, voyons sur quoi nous pouvions compter pour notre défense intérieure ; le noble lord qui préside au département de la marine, dit que nous avons une bonne flotte, bien fournie de monde, & supérieure à tout ce que la France & l'Espagne peuvent nous opposer en combinant leurs forces : il doit garantir son assertion, je désire qu'elle soit exacte : mais sommes-nous certains qu'en cas de rupture, une flotte supérieure mettroit cette Isle à l'abri d'une descente, n'ayant, entre l'ennemi & nous, qu'un canal, que d'un nombre infini de ports, il peut traverser en une seule nuit d'hiver, nous savons que presque toute les fois que des forces étrangères ont essayé de prendre terre sur notre Isle, elles ont réussi ; si un pareil événement se renouvelloit, quelle défense avons-nous. Je me rappelle qu'au commencement de la dernière guerre, on étoit si frappé de la crainte d'une invasion, bien que nous eussions autour de nous presque toutes nos troupes, presque tous nos vaisseaux, nous fîmes venir douze mille Hanovriens ou Hessois pour nous défendre & nous rassurer. Peut-être cette précaution étoit superflue & inutile, mais nous donnons dans un excès contraire, lorsque nous[p.206]nous reposons sur le peu de force que nous avons actuellement en Angleterre & en Irlande. Quelqu'utile que puisse être la milice, j'espère que nous ne compterons pas sur elle seule pour notre défense, sur-tout ayant à sa tête des officiers tels qu'ils sont à présent, des hommes qui n'ont pas même la qualité essentielle qui fait l'essence de leur profession.

De toutes les nations de la terre je crois que l'Angleterre seroit la plus aisée & la plus promptement conquise, si un corps considérable de troupes étrangères effectuoit une descente dans ce moment où notre armée est loin de nous ; nos peuples n'ont absolument aucun usage des armes ; le pays n'a ni forteresses ni postes forts, & l'on n'a point de confiance dans notre gouvernement.

L'état de nos finances me paroît également inquiétant, cet objet comprend trop de détails pour qu'on puisse le traiter dans une séance qui n'est pas destinée particulièrement à cette discussion ; il suffit de dire à cet égard que nous avons considérablement aggravé cette dette que l'on regardoit à la fin de la dernière guerre comme toute prête à nous accabler, & dont le poids nous détermina alors à faire la paix : pour ajouter à cette dette, à son accroissement[p.207]prodigieux, je crains bien que nous n'ayons perdu l'Amérique & les ressources que nous en tirions.

S. M., dans un discours émané du trône, nous dit qu'elle sera toujours attentive à saisir l'occasion de mettre un terme à l'effusion du sang de ses sujets, mais un noble lord[25] a dit que les proportions de paix ne doivent pas venir de la part du parlement. Je dois poser en faits, milords, que le roi n'a actuellement aucun sujet d'entamer une négociation relative à la paix. La guerre présente n'a pour objet que les droits prétendus du parlement, & le roi, de sa propre autorité, ne peut pas faire aucune espèce de traité où il s'agiroit de se départir du moindre de ses droits ; l'acte qui détermine le pouvoir des commissaires ne les autorise qu'à recevoir la soumission des peuples, à accorder des pardons en conséquence ; il en résulte qu'en supposant que les deux partis seroient également enclins à traiter, c'est-à-dire à se relâcher réciproquement sur leurs prétentions respectives ils n'ont aucun moyen légal de faire un traité de cette espèce : d'ailleurs, les véritables intentions du parlement sont incertaines ; aujourd'hui nous disons que nous[p.208]n'entendons pas taxer les colonies ; demain nous ne nous occuperons que des moyens d'accroître le revenu public ; un ministre nous dit qu'il n'exige rien de l'Amérique, sinon, qu'elle reconnoisse la suprématie du parlement ; un autre nous parle de soumission sans conditions.

Un secrétaire d'état nous a dit que la négociation entamée à Staten-Island fût rompue aussi-tôt que commencée, parce que les députés Américains exigeoit qu'on reconnut leur indépendance ; c'étoit une condition sine quâ non ; je crois que le défaut de pouvoirs de nos commissaires est uniquement cause de ce qu'on a pu aller plus avant ;& quoique je sois persuadé que le noble lord n'a pas eu intention d'en imposer à la chambre, je suis fondé à croire que les choses ne se sont point passées comme il les a présentées : que le noble lord mette sous les yeux de la chambre le rapport qui a été fait à la cour ; tel est l'usage ordinaire lorsqu'il s'agit de donner une information régulière au parlement ; je désire que ce corps lève l'obstacle qui subsiste en réalité, & qu'il autorise des commissaires à traiter efficacement.

À l'égard de l'addition à l'adresse telle qu'elle est proposée, je n'y trouve point d'objection, si ce n'est qu'elle semble propre à faire croire à la nation que nous sommes encore à tems[p.209]de recouvrer les précieuses provinces de l'Amérique ; je crains bien que ce tems ne soit passé. Je ne dis pas qu'il soit impossible de réunir l'Amérique & la Grande-Bretagne d'une manière ou d'une autre ; je dis encore moins qu'il ne faut pas l'essayer, mais je ne voudrois pas que l'on fit concevoir à nos concitoyens des espérances que je crains de voir s'évanouir.

Je n'en désespère pas absolument, parce que je suis persuadé qu'une union fondée sur la bonne foi & sur la justice seroit très-avantageuse aux habitans des deux contrées ; mais vu l'état désespéré auquel on a porté les choses, je doute que les Américains veuillent jamais dépendre en aucune manière d'une nation dont ils ont reçu des injures impardonnables.

Un secrétaire d'état[26] a dit qu'il étoit bien aise d'entendre déclarer au noble comte[27] qui a proposé l'addition, qu'il opinoit toujours à ce que l'Amérique fût dépendante & de voir que tous ceux qui appuyoient la motion du noble lord, étoient du même avis. J'ignore de quels principes on tire ces conséquences ; mais, crainte que mon silence ne soit pris pour un assentiment à son opinion, je déclare que désirant[p.210]sincèrement voir les Américains rentrer volontairement dans un état de dépendance raisonnable : je ne dis pas cependant qu'il faille rejetter aucune proposition d'alliance que nous pourrions former avec eux, en reconnoissant leur indépendance. Si pour prix de notre protection nous pouvons recueillir les profits de leur commerce ; voilà l'essentiel, & il faudroit se contenter de moins. En un mot, je voudrois que l'on traitât, & que l'on tirât de leur consentement le meilleur parti possible du traité ; mais que l'on renonçât à toutes prétentions sur l'Amérique plutôt que de continuer une guerre civile, injuste & cruelle.

Je suis charmé que le noble comte qui a proposé l'addition, s'est à quelques égards départi du bill qu'il a proposé il y a trois ans, & qu'il pense actuellement qu'il faudroit rassurer les Américains sur la crainte de voir dans leur pays des troupes sans leur consentement ; en vérité la triste expérience qu'ils ont, rend cette précaution d'autant plus nécessaire, que sans elle tout ce qu'on pourroit leur proposer, seroit inutile.

[p.211]

 

Discours énergique de M. Wilkes, dans lequel il s'élève fortement contre l'opiniâtreté des Ministres à continuer cette guerre injuste, dénaturée & toujours sans succès, malgré les belles paroles avec lesquelles on flatte la Nation. Nécessité de commencer par cesser toute hostilité. Mensonges ministériel lors du lord Darmouth, Secrétaire d'État. Proclamation extravagante du Général Burgoyne Atrocité de l'emploi des Sauvages Indiens. Allégations fausses du Discours du Roi. M. Wilkes soutient que la France bien loin de demeurer attachée à la Grande-Bretagne, fournit ouvertement des forces aux Insurgens. Il conclud à des moyens de conciliation & de paix.

 

Du 20 Novembre 1777.

Monsieur l'Orateur,

Conformément à la doctrine établie dans le parlement, je suis autorisé à regarder le jour de l'ouverture des séances comme étant singulièrement le jour du ministre ; je le regarde plutôt sous ce point de vue que le jour qui termine les séances que l'on appelle le jour de son triomphe, parce que ce jour-là il ouvre son portefeuille (Budjet), & que le ministre soumet à[p.212]l'inspection de la chambre l'état des finances du royaume, le compte des sommes diverses qui ont été votées dans le cours de la session, les voies & moyens qu'il propose pour asseoir les subsides, l'état fixe ou probable des dépenses de l'année, les taxes nouvelles, & en général un état des revenus & des ressources de l'empire. Ce premier jour de la session est plus intéressant, sans doute, & présente à notre considération des objets plus importans. L'ouverture d'une session est régulièrement faite par un discours prononcé du haut du trône ; quoique ce discours sorte de la bouche du roi, en style de parlement, on l'appelle toujours discours du ministre ; afin que lorsqu'on vient à en examiner la teneur, le nom sacré de sa majesté ne puisse pas être employé pour donner des entraves à la liberté des débats ; liberté qui est l'essence, & qui constitue la dignité d'une chambre des communes de la Grande-Bretagne : le ministre, monsieur, dans le discours que nous venons d'entendre, nous présente le tableau général de notre situation au-dedans & au-dehors, ce qu'il y a de probable dans la continuation de la paix, ou l'expectative de la guerre, l'état des puissances étrangères, relativement à ce qui peut concerner plus ou moins cet empire ; en un mot, une esquisse de tout ce qui a rapport à notre sûreté intérieure, ou à[p.213]nos liaisons étrangères avec les alliés de la couronne ; mais, monsieur, tout cela n'est que le coup-d'œil du royaume que le ministre nous présente : ce qu'il nous dit est seulement ce qu'il pense de la situation des affaires publiques ; c'est une espèce de carte ministérielle, que cette chambre peut adopter ou rejetter à son gré ; elle peut suivre sa direction, ou en prendre une directement opposée ; j'ai cru, monsieur, devoir faire ces remarques préliminaires avant d'examiner le papier déposé sur le bureau. Je ne me ferai point un scrupule de tirer avantage du droit que je réclame en ma qualité d'un des représentans du peuple, en traitant cette production comme ne contenant autre chose, sinon l'esquisse du système du ministre, & la substance de la foi politique qu'il voudroit voir adoptée par la nation.

Ce discours, monsieur, suivant mon idée, annonce clairement à cette chambre une résolution décidément prise de continuer, jusqu'à ce que notre destruction absolue soit consommée, cette guerre dénaturée, injuste & barbare. Il respire un esprit de rage qui ne peut être assouvie, dont l'objet est la cruauté & le carnage ; il respire une soif atroce du sang, & les torrens de celui déjà versé, la prodigalité avec laquelle on a épuisé le trésor de la nation, ne nous ont pas encore valu des succès bien brillants : depuis[p.214]trois ans que la guerre dure, nous n'avons rien vu de décisif ; le sang coule encore de toutes nos veines pour soutenir cette guerre contre l'Amérique, & je n'y vois point de terme prochain. Il nous est impossible de rien remarquer dans la déclaration du ministre, si ce n'est cette persévérance dans l'erreur, cette obstination fatale dans la poursuite de son plan pernicieux, dont le résultat est la ruine infaillible de ce pays, & l'élévation de quelqu'empire puissant sur les débris de la monarchie Britannique ; à peine un foible rayon d'espoir luit sur nous ; les ministres, en croyant courir à une conquête imaginaire, nous précipitent dans une ruine certaine & irréparable, car si l'on continue la guerre sur le plan atroce & dispendieux que l'on suit actuellement, la nation fera nécessairement banqueroute. On nous dit, monsieur, dans ce discours que le ministre est fondé à croire avec confiance que la conduite & le courage de nos officiers, la valeur & l'intrépidité de nos forces de terre & de mer seront couronnés de succès importans. On n'a jamais douté de la valeur & de l'intrépidité des Anglois : plut à Dieu, monsieur, qu'ils eussent à en multiplier les preuves dans une bonne cause, dans une querelle droite & juste ; mais, monsieur, jusqu'à présent, nous n'entendons pas parler de succès importans ; tout le cours[p.215]de cette campagne nous offre à peine la certitude d'un événement favorable : les ministres, eux-mêmes, frémissent de l'état où se trouve le général Burgoyne ; n'importe, je supposerai que tous les avantages publiés sans preuves par les partisans les plus zélés de l'administration, sont effectifs & authentiques, que Philadelphie est prise, & que l'armée de Washington est complettement défaite : rappellons-nous, monsieur, ce qui s'est passé après que les troupes Angloises eurent pris Boston. Notre général fut bientôt assiégé dans cette capitale de la Nouvelle-Angleterre, il y fut ignominieusement claquemuré, pendant plusieurs mois, avec vingt régimens, & finit par en être chassé.

Je connois les couleurs que les partisans de la cour, qui siègent parmi nous, ont données à cette retraite, on a débité par-tout que nos généraux avoient changé leurs quartiers, leur position, &c. Je sais cela, mais je sais aussi que tout en changeant de quartiers ils ont abandonné leur artillerie &leurs munitions. Tous les militaires Anglais avouent hautement aujourd'hui que la retraite de Boston effectuée par le général Gage étoit une suite absolue, comme celle de Mahomet s'appelle suite de la Mecque. Si l'on prend Philadelphie, il est vrai que nous aurons une ville de plus en notre possession,[p.216]si cependant nous ne la réduisons pas en cendres comme nous l'avons fait de plusieurs autres villes & villages : mais serons-nous en état de la garder plus long-tems que nous n'avons gardé Boston ? L'expérience ne m'autorise-t-elle pas à soupçonner qu'avant la fin de l'hiver nous apprendrons que le général Howe est assiégé dans Philadelphie, & qu'enfin il s'en est retiré en abandonnant sa grosse artillerie & ses munitions de guerre, comme il l'a déjà fait à Boston. L'objet de l'avant-dernière campagne étoit la conquête des deux Jerseys, il fut rempli : cette année, nos troupes ont été obligées d'évacuer les deux Jerseys que l'on a récemment déclarées n'être plus sous la paie du roi : je supposerai donc encore, monsieur, que ce qu'on dit de la défaite du généralWashington se trouve confirmé, & que son armée est totalement dispersée, je me rappelle qu'environ un mois avant l'affaire de Trenton, l'armée de ce général se trouvoit dans un état de réduction si absolue, qu'il ne lui restoit pas cinq cent hommes, cependant la possibilité apparente de battre en cet endroit les mercenaires Allemands, lui fournit dans ce moment critique, une armée petite, mais composée de braves gens ;& la juste vengeance des Américains fut funeste à presque tous les Hessois qui se trouvèrent à[p.217]Trenton : admettons que le général Washington a reçu un échec considérable, n'est-il pas à portée de recouvrer son armée dans une étendue immense de pays dévoué à sa cause & à sa personne : d'un autre côté, monsieur, ne voyons-nous pas deux autres armées qui ne laissent pas d'être formidables à un certain point ; l'une est dans la province de Massachusetts-Ray, l'autre dans la Caroline méridionale ; ces armées n'ont point essuyé d'échec, elles peuvent marcher contre celle du général Howe, qu'elles trouveront réduite & épuisée par les victoires mêmes dont on lui fait honneur. Pour donner à cette manière de raisonner tout le degré de force dont elle est susceptible, je vais poser en fait que toutes les troupes provinciales de l'Amérique sont dispersées sans exception, & que le Congrès est dissous ; même dans ce cas-là qu'elle pourroit être la conduite de la Grande-Bretagne, comment conserverez-vous des contrées qui s'étendent de la baie d'Hudson à l'extrémité méridionale de la Floride ? Mettrez-vous des garnisons dans toutes les villes ? Séparerez-vous votre armée, & lui assignerez-vous des cantonnemens épars ; si vous prenez ce parti, par-tout où vous serez foibles, vous serez attaqués, & vos troupes éprouverons vraisemblablement le sort des Hessois à Trenton.

Non, monsieur, notre pays n'a pas, ne peut[p.218]pas mettre sur pied une armée telle qu'il la faudrait pour remplir cet objet, quand nous pourrions prendre à nos gages tous les sauvages enrégimentés que l'Allemagne & la Russie produisent, tous ces meurtriers employé de tous tems à la destruction de l'espèce humaine, nous succomberions encore dans l'entreprise : cet effort ne feroit que réduire plus vite la nation à la dernière extrémité : le noble lord qui est à la tête de nos finances ne tarderoit pas à voir l'édifice du crédit public ébranlé jusque dans ses fondemens, toutes les sources de richesses nationales épuisées & taries. Or, l'acquisition de l'Amérique est trop chère à ce prix.

Je sais, monsieur, que l'on me répondra que dans le cas où vos armes seroient couronnées d'un succès général, les Américains renonceroient à leurs prétentions & se soumettroient aux termes que vous leur prescririez : pour répondre à cette assertion, il suffit de citer la dernière expérience que le général Burgoyne vient de faire, il nous dit que ces provinciaux mêmes qui marquoient le plus d'empressement à déclarer leur loyauté, à prêter le serment d'allégeance& à se soumettre au lieutenant-colonel Baum, ont été les premiers à faire feu sur lui, qu'ils donnèrent aux autres troupes l'exemple dont l'effet fut la destruction entière de son détachement ; il blâme[p.219]beaucoup un particulier provincial de ce qu'il a eu l'imprudence de laisser en liberté ceux qui avoient prêté le serment ! Ce seroit une étrange manière de persuader aux Américains de vous prêter ce serment, que d'emprisonner au moment même ceux qui viendroient de le prêter ; ce n'est pas, monsieur, en portant la baïonnette sur la poitrine des gens, ce n'est pas en les emprisonnant qu'on les persuade ; ces actes sont du ressort du voleur de grand chemin ; il prend votre bourse ; mais si vous êtes plus fort que lui, vous la lui reprenez, & il n'y a pas de trahison de votre part ; la force avoit produit le premier effet ; la force supérieure le détruit : au surplus je crois que l'on tenteroit vainement de tromper les Américains, & plus vainement encore de les dépouiller par la force de leur liberté & de leur propriété. J'adhère donc, monsieur, à l'addition proposés par l'excellent lord ; je pense comme lui, qu'il faut dans l'adresse à sa majesté la supplier d'ordonner une cessation d'hostilités, comme étant l'unique moyen d'entrer eu traité & d'effectuer une réconciliation avec nos frères de l'Amérique : la continuation des mesures prises & l'adresse approuvée ne produiroit aucun bon effet ; elle ne serviroit qu'à affermir l'indépendance des colonies, à ajouter un degré de vigueur[p.220]à la. résistance : ce n'est pas à la force que nous pouvons devoir des succès, & si nous le pouvions dans un pays commerçant comme le nôtre, ce ne seroit pas la peine d'y recourir : portons aux pieds du trône cette vérité simple, & que le parlement désormais tienne à la nation un langage différent de celui que les ministres nous ont tenu jusqu'à présent.

Il y a plusieurs années, monsieur, que la nation est dupe d'une suite de mensonges publiés par les ministres : lorsque l'on passa le bill concernant le port de Boston, le ministre déclara que nous verrions bientôt l'Amérique à nos pieds, & que les autres habitans de Massachusetts-Bay abandonneroient ceux de Boston ; il nous assura que les autres provinces par un principe de jalousie enracinée, se réjouiroient de l'humiliation de cette capitale, & partageroient ses dépouilles eu divisant son commerce. Lorsque la province entière se réunit de manière à ne plus former qu'un seul & même corps, on nous dit que les colonies méridionales désapprouvoient la conduite de la Nouvelle Angleterre. Lorsque les colonies du midi & du nord furent réunies & eurent fait cause commune, on nous dit que l'on avoit trouvé le moyen d'empêcher que le Congrès s'assemblât. Le général Gage déclara qu'il se trouveroit au milieu de ses membres ;[p.221]cependant il eut alors ses raisons pour ne pas changer de position, le Congrès s'assembla sans lui, & délibéra dans l'esprit de l'unanimité la plus parfaite, car les querelles & les criailleries de ses membres n'ont jamais été entendues que par ces messieurs qui siègent ici sur le banc du trésor. On déclara alors que les conventions faites relativement à la non-importation & à la non-exportation ne pouvoient être remplies de la part d'un essaim de contrebandiers connus ; le tems a cependant prouvé combien ces conventions ont été strictement observées. On posa en fait avec la même assurance que les poltrons Américains n'oseroient jamais s'assembler les armes à la main, que deux régimens suffiroient pour parcourir toutes les colonies rebelles & les subjuguer ; il est vrai que cette assertion est antérieure au moment où le général Howe, & ses vingt régimens se sont vus assiégés dans Boston.

Je ne fatiguerai pas, monsieur, l'attention de la chambre en récapitulant dans l'ordre d'une succession régulière toutes les fables & toutes les fictions de la cour, il y a long-tems qu'elles amusent l'Europe entière ; cela n'empêche pas que les ministres n'affectent encore de croire qu'ils pourront conquérir treize colonies, qui pendant trois ans ont bravé tous nos efforts sur[p.222]terre, & sur mer, qui ont exercé & discipliné leurs habitans, établi leur gouvernement respectif à la satisfaction des colons, levé des armées considérables, engagées pour le tems illimité de la durée de la guerre, qui ont pourvu à la solde de ces armées, fermé des magasins immenses d'artillerie, d'armes & de munitions : en un mot treize colonies fondées par le zèle de l'Amérique entière, & par quelque chose de plus que l'approbation & l'applaudissement de toute l'Europe, si l'on en excepte les personnes qui parmi nous for ment la faction de la cour… Cependant, monsieur, si l'on ne peut pas conquérir l'Amérique, peut-être peut-on la recouvrer encore par l'attrait de la justice, de la douceur & de la modération ; il faut commencer par remettre l'épée dans le fourreau conformément à la proposition du noble lord ; alors nous pourrons parler de paix, d'une manière honnête & solide, d'un ton de légalité. En un mot, comme frères cohéritiers d'une constitution libre j'oserois espérer que les choses ne sont pas encore absolument désespérées. Je suis certain que la paix seroit le bien le plus désirable pour l'une & l'autre nation, peut-être même est-elle plus nécessaire à ce pays quelle ne l'est à l'Amérique. Cet état dans son enfance paroît avoir la vigueur & la force que l'on remarqua[p.223]dans Hercule, lorsqu'il étoit enfant : cette force semble de même destinée à terrasser les monstres de la tyrannie & de la violence. Quant à nous, nos ennemis connoissent notre état d'épuisement, ils triomphent à la vue de nos dissensions funestes, & se préparent à tirer avantage de notre situation déplorable. Je le répète, monsieur, je le répéterai encore, il est de toute nécessité pour ce pays de se réconcilier avec l'Amérique ; un traité solide & durable, fondé sur la justice, (car sans cela sa durée seroit courte) elle peut seule nous soustraire à la ruine qui nous menace.

Le discours du roi, Monsieur, semble nous promettre que l'on a en vue le rétablissement de la paix ; on nous dit :« Je serai toujours attentif à saisir l'occasion de mettre un terme à l'effusion du sang de mes sujets, & aux calamités inséparables de la guerre ». Les ministres, Monsieur, ont indignement rejetté cette heureuse occasion de mettre un terme à l'effusion du sang, lorsque même après les batailles de Lexington, de Concord& de Bunkers-Hill, le congrès supplia humblement sa majesté de lui indiquer & de lui prescrire la manière au moyen de laquelle les requêtes que ses fidèles colons avoient à porter aux pieds du trône, pourroient[p.224]servir d'ouverture à une réconciliation heureuse & permanente.

C'est à l'insulte insensée que fit aux supplians lord Darmouth, alors secrétaire d'état au département de l'Amérique, c'est à la réponse extravagante qu'il fit aux agens des colonies, lorsqu'au mois de septembre 1775, il leur dit au nom du roi, qu'ils ne recevroient point de réponse ; c'est à ce moment qu'il faut attribuer toutes les calamités de la guerre dénaturée qui en a été la suite, & peut être la perte de la moitié de notre empire.

Il est certain, Monsieur, que beaucoup de calamités sont inséparables de la guerre, mais celle que nous faisons à nos frères de l'Amérique est singulièrement caractérisée par des circonstances, par des traits de cruauté qui font frémir d'horreur. Au nombre des calamités inséparables de la guerre, faut-il compter le tomo-hawk[28]& le scalping-knife[29] ; ces instrumens sont-ils inséparables de la guerre ? Dieu nous en préserve !

J'ai lu, Monsieur, une proclamation de M. Burgoyne, ce grand général, ce sublime prédicateur ! [p.225]Cette pièce est une insulte faite à une nation civilisée, à un peuple généreux considérée comme faisant partie de nos transactions politiques, elle déshonore l'état. La cour impériale a souvent employé différentes espèces de troupes irrégulières, telles que des Croates, des Pandours, &c. Mais ces noms ne font rejaillir aucun déshonneur sur la cour qui employoit ces sortes de troupes ; elles étoient avides de butin, mais elles ne mettoient point à la torture.

Le pieux sermoneur, M. Burgoyne, se plaint de cette génération opiniâtre & perverse, & tout en exaltant ses sentimens de christianisme, il manifeste un esprit de cruauté qui répugne à tout principe d'humanité. Il se promet, sous son commandement, toute la forme & toute l'étendue possibles aux armes Indiennes, & il fait monter ces Indiens à des milliers… Dieu bon & miséricordieux ! Des milliers de sauvages lâchés, pressés contre nos frères d'Amérique ! À cet horrible tableau, la nature se révolte & frissonne. Comme une meute de chiens à ses talons, la famine, l'épée & le feu seront ses fidèles satellites ! Lorsqu'on prisera les talens militaires de ce grand capitaine, on ne vantera pas assurément ses sentimens d'humanité. Dans ce moment, j'ai pour lui, & pour ceux qu'il emploie, la pitié qu'ils n'ont pas eux-mêmes pour les autres. Quelle a[p.226]toujours été, Monsieur, quelle est encore aujourd'hui la conduite des Sauvages de l'Inde dans la guerre ? Ne consiste-t-elle pas à exercer sur leurs ennemis les cruautés les plus révoltantes sans distinction d'âge ni de sexe ! Tel est le principe sur lequel on a réglé la conduite de la guerre actuelle ! A-t-on jamais vu le foible vieillard, l'enfant dépourvu de secours, la femme privée de tous moyens de défense, émouvoir la compassion d'un sauvage Indien ? Il boit le sang de son ennemi, & son mêts favori est la chair humaine ;& c'est par le manifeste public d'un général du roi, qu'on lâchera dix milliers de ces Cannibales, qu'il dirigera contre nos frères ! J'ose avancer, Monsieur, que de tels ordres sont indignes du général de tout prince chrétien ; ils sont de nature à n'être donnés que par un prêtre juif à un roi juif ; par un Samuël à un Saül. Dans l'histoire des juifs, la plus barbare, la plus atroce de toutes les histoires, on lit les ordres des prêtres conçus en ces termes :« Allez & combattez les Amalécites, détruisez entièrement tout ce qu'ils ont, ne les épargnez point, tuez l'homme, la femme, l'enfant, celui même qui est à la mamelle, le bœuf, le mouton, le chameau & l'âne ».

Cela, Monsieur, me rappelle un trait ; j'ai entendu ici un honorable membre, profond dans[p.227]la connoissance des loix[30], aujourd'hui présent à sa place, non-seulement proposer très-charitablement dans sa façon de penser, & en digne Écossois, mais insister avec ravissement, sur ce qu'il dénommoit avec tant de pureté de langage[31], un bill de starvation (pour affamer), contre nos malheureux Américains.

Au reste, j'attends de leur courage qu'ils ne se laisseront pas traiter comme les Amalécites, qu'ils n'éprouveront pas le même sort, & d'un autre côté, qu'ils seront assez humains pour ne pas se venger des Sauvages de l'Europe.

Cette année, Monsieur, on nous donne encore dans le discours des assurances répétées de la part des puissances étrangères de leurs dispositions pacifiques : le noble lord[32], qui a voté l'adresse, pense que la France ne changera pas de résolution, & l'honorable membre[33] qui a secondé la motion nous assure de l'amitié parfaite des puissances voisines. Croyez-vous, Monsieur, que la France[p.228]puisse gagner autant à changer de résolution qu'elle gagnera tout le tems que nous persévérerons dans le système actuel ? L'Amérique porte toutes ses richesses en tribut à la maison de Bourbon, qui a la satisfaction de voir son ancien ennemi dépérir journellement, déchiré par la guerre civile. Le ministre lui-même commence à sortir de sa longue létargie ; car le discours nous dit :« Comme dans ce moment-ci les armemens se continuent dans les ports de France & d'Espagne, on croit convenable de faire une augmentation considérable dans nos forces navales ».

On auroit dû mettre dans tout le jour de la vérité, sous les yeux du parlement, la perfidie de la France : je suis certain, Monsieur, & je ne serai pas contredit en affirmant que le gouvernement de France assiste les Américains, non pas d'une manière indirecte, non secrettement, & par le moyen de ses marchands, mais directement, ouvertement & comme corps politique. On répare actuellement à l'Orient, sur la côte de Bretagne les deux vaisseaux de guerre du congrès, qui ont été attaqués par le Druide ;& l'on tire des arsenaux du roi sur les lieux mêmes toutes les choses qui leur sont nécessaires ; ce fait est connu du ministre, on en[p.229]passe par-là sans sourciller, & l'on fait tout ce que l'on peut pour dérober à la nation la connoissance de cette insulte.

On ne fait pas au Portugal, l'ancien allié de cette nation, l'honneur de le nommer une seule fois dans le discours, j'en donnerai la raison à la chambre ; le Portugal est non-seulement perdu pour nous, mais en accédant au pacte de famille[34], il est devenu une acquisition pour la maison de Bourbon. En vertu de ce pacte ou traité, Monsieur, tous les sujets de la maison de Bourbon,[p.230]n'importe dans les états de quel souverain de cette maison ils se trouveront participer comme les regnicoles aux privilèges respectifs attachés à la navigation & au commerce : un pareil traité, Monsieur, est directement contraire à ceux d'Utrecht, d'Aix-la-Chapelle& autres, particulièrement à ceux que nous avons passés avec l'Espagne, & en vertu desquels nous devions être traités comme la nation la plus favorisée ; en quelque tems que ce soit, lorsque la maison de Bourbon mettra ce pacte en exécution, le commerce de ce royaume recevra un coup mortel.

Tandis, Monsieur, que notre hémisphère politique se couvre de nuages épais & n'annonce que des tempêtes, les ministres nous invitent à parler au roi, comme s'il ne s'agissoit pour nous que d'un revers passager, comme si nous ne touchions pas au moment d'une ruine totale. Depuis la dernière augmentation faite a la liste civile, nous avons étonnamment perfectionné le ramage des adresses : ces momens ne sont cependant pas propres aux concerts de la paix ; rien de si absurde que des complimens de notre part dans un tems de calamités, dans le cours d'une guerre qui désole les deux hémisphères, & qui est l'ouvrage de l'oppression des ministres ; l'horison du côté de l'Amérique se perd dans les nuages & dans les ténèbres : il[p.231]semble que l'addition proposée par le noble lord, nous ménage encore un rayon de lumière ; si l'on n'en profite pas, je crains bien que la nation ne soit bientôt plongée dans le désespoir : je regarde cette proposition comme le premier pas fait vers la réconciliation, immédiatement après la cessation des hostilités, j'espère que l'on rappellera nos flottes & nos armées, que l'on abrogera tous les actes injustes qui ont été récemment passés, & que l'on rétablira les chartes. Traitons avec la magnanimité qui convient à des hommes libres, à des Anglois enfin, une soumission sans conditions, est contraire à la constitution, & ne peut convenir qu'aux esclaves d'un monarque arbitraire : l'expérience nous apprend que la force est inutile contre le vaste continent de l'Amérique, tous nos actes de violence n'ont servi qu'à nous faire échouer dans nos projets, à multiplier nos embarras, à nous couvrir de confusion ; écoutons donc enfin la voix de la modération & de le raison : le tems recèle dans son sein des évènemens qui doivent décider de cet empire, qui fut jadis puissant. Laissons-nous guider par les principes de la douceur & de la justice, afin que les trésors de la paix & de l'union puissent nous être rendus, & que l'empire entier en jouisse à jamais !

[p.232]

 

Discours du même contre les dépenses énormes que nécessite la guerre d'Amérique. Il prend de-là occasion de s'élever vivement contre le droit établi par l'Acte déclaratoire, de taxer les Américains & tout homme libre sans son consentement. Il demande la révocation de cet Acte.

 

Du 9 Avril 1778.

Cette chambre, monsieur l'Orateur, a voté 60 mille matelots, y compris près de 12 mille soldats de marine : elle a voté plus de 20 mille hommes effectifs de troupes de terre, y compris les officiers brevetés & non brevetés, soit pour recruter nos garnisons diverses, soit pour la défense de la Grande-Bretagne, de Jersey, de Guernesey ; nous avons de plus, à notre solde, cinq bataillons d'Hanovriens, formant, à la honte éternelle de l'Angleterre, les garnisons de Gibraltar & de Minorque ; les troupes de Hesse-Cassel, de Hanau, de Waldech, de Brunswick, du Brandebourg, d'Anspach & d'Anhalt-Zerbst, montant à 69 mille mercenaires, que nous avons également sur les bras, ensorte que nos troupes de terre excèdent le nombre de 89[p.233]mille hommes en totalité : il n'y a pas encore trois semaines que cette chambre est assemblée, & nous avons déjà voté huit millions, 642004 l. sterl. de l'argent du peuple ; je crois que ce jour est le seizième depuis l'ouverture de la session, & chacun de ces jours, d'après un calcul exact, a coûté plus de 500 mille liv. sterl. au peuple ! Quel adoucissement peut apporter aux craintes de ce peuple l'ajournement de près de six semaines que les ministres viennent de nous proposer ? Hélas ! ils cherchent un moment de relâche, & nous les verrons revenir dans un redoublement de furie, pour ajouter encore aux fardeaux sous lesquels succombe déjà cette nation épuisée.

Au milieu des préparatifs immenses que l'on fait pour la guerre, on n'a pas vu un soupir échaper à nos ministres pour la paix ; l'administration n'a pas fait une seule démarche pour mettre un terme à cette guerre ruineuse, pour arrêter l'effusion du sang humain ! Un noble lord (le marquis de Granby), digne héritier des vertus patriotiques de son illustre père, proposa, le premier jour de la cessation immédiate de toute hostilité ; la proposition fut rejettée par une majorité considérable : à peine a-t-on vu aucun membre de l'administration donner même à entendre qu'il désiroit la paix.[p.234]Cependant, Monsieur, je ne suis point découragé, quelques nouveaux événemens forceront les membres les plus violents à revenir aux mesures salutaires qui ont été rejettées avec dédain, dans l'insolence de nos triomphes imaginaires ; les préliminaires de la paix que je prendrai la liberté de soumettre à la considération de la chambre, frappent à la racine, la cause reconnue de la guerre que nous faisons à l'Amérique ; je parle du droit d'imposer des taxes, de ce droit établi par l'acte déclaratoire dont je propose la révocation ; je crois que conformément à l'usage de la chambre, je dois commencer par prier le comité d'en faire la lecture : il est passé la sixième année du règne actuel, & se trouve chapitre 12.

Le commis ayant lu l'acte, M. Wilkes reprit : faire des loix qui assujettissent dans tous les cas possibles les colonies & le peuple de l'Amérique ! Je crois, Monsieur, que l'on n'a jamais offert un tableau de l'esclavage si oppressif, si astreignant ; jamais la tyrannie ne s'est élevée sur une base, plus large… dans tous les cas possibles, par conséquent en matières de taxes. Quoi, trois millions d'hommes libres seront taxés au gré & suivant la volonté arbitraire de cette chambre, sans y avoir un seul représentant qui puisse faire entendre ses observations[p.235]sur la manière dont leur argent sera dépensé ! Si les Américains se soumettoient tranquillement à cette indignité, c'est alors qu'ils mériteroient d'être esclaves ; ils seroient plus méprisables que les Cappadociens, d'infâme mémoire, qui refusèrent la liberté que leur offroient les Romains. Si, sans leur consentement nous pouvons prendre une partie de ce qui leur appartient, nous pouvons également prendre le tout ; il seroit impossible de tracer la ligne où l'on pourroit s'arrêter. La chambre pourroit voter pour tel ou tel usage la propriété entière de l'Amérique, sans le consentement d'un seul des habitans de ce vaste continent : la supposition seule de cette iniquité, non-seulement répugne à toutes les idées que l'on s'est formées des droits de l'humanité, mais comme lord Coke le décide, il est contraire aux franchises du pays de taxer des hommes libres sans qu'ils y donnent leur consentement en parlement.

[p.236]

 

Adresse éloquente du Congrès à tous les États-Unis de l'Amérique[35], contenant un tableau pathétique de toutes les injustices & atrocités commises contre eux dans la guerre dénaturée que leur fait l'Angleterre. On y fait voir la protection visible de Dieu sur la Nation ; la lâcheté qu'il y auroit à céder à un ennemi qui ne cherche en ce moment qu'à les séduire par des proportions de paix captieuses, pour les réduire ensuite dans l'esclavage le plus humiliant ;& qu'un peu de tems encore de résistance & de courage suffit pour les rendre entièrement & pour toujours libres & heureux.

 

Du 9 Mai 1778.

Amis et Compatriotes,

Trois années se sont actuellement écoulées depuis le commencement de la guerre présente, guerre dont on ne trouve point d'exemple dans les[p.237]annales du genre humain, guerre qui a présenté à l'univers le spectacle le plus solemnel qui ait jamais fixé son attention ! d'un coté nous voyons la fraude & la violence travailler à la solde du despotisme ; de l'autre, la magnanimité & la vertu sublime appuyer & établir les droits de la nature humaine !

Il est impossible que vous ne vous rappelliez pas avec combien de répugnance nous nous sommes vus entraînés dans une entreprise qui présentoit tant de difficultés ; combien de fois, avec quelles instances & quelle modération nous avons demandé quelque adoucissement à nos maux, à celui qui devoit être le père de son peuple ; envain en avons-nous imploré sa protection ; envain en avons-nous appellé à la justice, à la générosité des Anglois, de ces mêmes hommes qui dans une longue suite de siècles, s'étoient montrés les protecteurs, les vengeurs de la liberté, qui, l'épée à la main, avoient élevé autour de cette même liberté, une barrière solide, cimentée du sang des héros : tous nos efforts ont été vains ! dans le tems même où nous étions prosternés aux pieds du trône, le coup qui nous sépare à jamais, a été frappé ; joués, méprisés, insultés, forcés par nos ennemis mêmes à prendre des mesures contre lesquelles nos cœurs se révoltoient, nous en appellâmes[p.238]enfin solemnellement à ce tribunal de sagesse & de justice, où l'erreur n'eut jamais accès, au Maître tout-puissant qui gouverne les princes, & dont l'empire s'étend sur tout ce qui est !

Nous étions alors absolument sans défense, sans armes sans munitions, sans vêtemens pour les troupes, sans vaisseaux, sans argent, sans officiers expérimentés dans l'art militaire ; nous ne pouvions compter que sur la bravoure de nos peuples & sur la justice de notre cause ; nous avions à soutenir les efforts d'une nation rendue puissante par les arts, formidable par ses armes, dont les flottes couvraient l'Océan, dont le pavillon avoit parcouru en triomphe toutes les parties du globe. Quelque fut l'inégalité qui naissoit des circonstances, ce qui nous rendoit plus foibles encore, étoit le nombre des ennemis que l'Amérique elle-même avoit nourrit dans son sein.

Ainsi exposés d'une part aux ennemis du dehors, aux divisions intestines ; forcés de l'autre à boire la coupe amère de l'esclavage & à traîner le reste de nos jours dans la douleur ; dans cette triste alternative, nous préférâmes le premier de ces dangers : nous étions réduits à cette alternative par des hommes qui eussent dédaigné de tirer un avantage si bas de notre situation,[p.239]s'ils eussent conservé dans leur sein une seule étincelle de générosité ; qui, s'ils eussent eu le moindre égard pour les règles de la justice, eussent regardé avec horreur la proposition même qu'on leur faisoit de nuire à un peuple qui avoit combattu pour eux avec une fidélité confiante, & qui avoit tant contribué à élever l'édifice de leur gloire.

Mais quelque puisse avoir été l'injustice de nos ennemis en commençant la guerre, elle n'est rien en comparaison de la cruauté avec laquelle ils l'ont conduite ; la marche de leurs armées a laissé par-tout les traces de la rapine & de la dévastation ; des milliers d'habitans, sans distinction d'âge ni de sexe, ont été arraché à leurs paisibles demeures & exposés à l'inclémence des saisons : les flammes des villes incendiées, pour le plaisir seul de détruire, ont insulté la face du ciel. Lorsque nos ennemis ont été victorieux, ils ont massacré de sang froid ceux des vaincus qui n'opposoient plus de défense, ceux des nôtres qui ont échappé aux premières fureurs du courage, assaillis par le froid, la faim & la nudité, ont traîné leur misérable existence dans l'obscurité des prisons, ou se sont vus forcés à devenir les meurtriers de leurs compatriotes, de leurs amis, peut-être de leurs pères, de leurs enfans… Cette idée fait frémir ! il faut observer[p.240]que ces horreurs n'étoient point l'acte barbare de quelques individus féroces, elles étoient l'effet d'un plan de noirceur délibéré d'un système qui portoit l'empreinte de la législation Britannique, qui avoit reçu la sanction de la loi avec toutes ses formalités. II y a plus, déterminés à dissoudre les liens les plus étroits de la société, nos ennemis ont employé des valets pour égorger leurs maures dans le paisible sein de la société domestique : il y a plus encore, toutes ces horreurs ne suffisant pas pour étancher leur soif du sang, du sang de leurs frères, de leurs frères qui ne les avoient pas offensés ; ils ont suscité les Indiens contre nous ! Un général qui se dit chrétien, qui marche sur les pas d'un Dieu de miséricorde, a osé proclamer à la face de l'univers, qu'il se proposoit de lâcher sur nous des légions de ces sauvages qui ne connoissent d'autres règles en guerre que le courage indistinctement répandu, qui se font une fête de massacrer l'enfant souriant dans les bras de sa mère, qui trouvent un rafinement de plaisir à faire souffrir à leurs prisonniers les plus horribles tourmens, & qui portent à tous les égards les horreurs de la barbarie à un point qui fait frémir la nature !

S'il leur eut été possible, ils eussent encore ajouté de l'autorité à l'atrocité de leur système,[p.241]car ils ont proposé aux habitans de ces états de les faire transporter à bord de leurs vaisseaux marchands dans les climats mal-sains de l'Inde, où la mort les eut accueillis : si ce projet n'a pas été mis en exécution, c'est qu'il s'est trouvé impraticable.

Quelque provoqués que nous ayons dû être par ces indignités, nous avons traité avec une tendresse fraternelle ceux des leurs qui sont tombés entre nos mains, nous nous sommes fait une étude d'adoucir en eux le sentiment de leur situation ; nous avons même porté si loin ces égards délicats, que nos ennemis en ont conclu que nous étions sans courage, tandis que nos amis nous regardoient comme des insensés ; mais ce n'étoit pas sur le jugement des hommes que nous nous reposions, c'étoit sur celui qui nous a commandé d'aimer nos ennemis, & de rendre le bien pour le mal ; ce n'est pas envahi que nous avons espéré en lui ; est-il rien de plus étonnant que la manière dont il nous a délivrés ? Combien de fois n'avons-nous pas été réduits à une extrême détresse ? Combien de fois ne nous sommes-nous pas vus relevés ? Lorsque les moyens de soutenir la guerre nous ont été ravis, nos ennemis eux mêmes n'ont-ils pas contribué à nous en fournir de nouveaux ? Nous en avons des exemples si variés,[p.242]& qui annoncent si évidemment l'interposition de la providence, que ne pas reconnoître sa protection manifeste, n'en être pas pénétrés de la plus vive reconnoissance, ne seroit-ce pas le comble de l'impiété & de l'ingratitude !

Enfin ce Dieu des batailles, en qui nous avions placé notre confiance, nous a conduits par les sentiers du danger & de la détresse aux portes de la sécurité : actuellement, il est moralement certain que si nous avons le courage de persévérer, nous assurerons nos libertés & notre indépendance ; le prince qui nous regardoit sous ses pieds de l'œil du dédain & du mépris ;& le parlement qui nous avoit proscrits, s'abaissent à présent jusqu'à nous offrir des termes de conciliation ; lorsqu'ils parcouroient la carrière de la victoire, ils avoient levé le masque, ils ne nous faisoient pas mystère de leurs prétentions au despotisme ; mais ayant prodigué envain le sang & les trésors de leurs sujets dans cette exécrable entreprise, ils tâchent actuellement de nous attirer dans leurs pièges, en nous faisant d'insidieuses propositions de paix ; leur but est de nous engager par la réduction à rentrer dans l'état de dépendance qui, nécessairement, inévitablement vous conduiroit à celui du plus humiliant esclavage.

Se flattent-ils donc en effet que vous accueillerez[p.243]ces funestes proportions ? Est-ce parce que vous avez été en proie aux détresses de la guerre, qu'ils se flattent de vous voir baiser bassement la poussière des pieds de vos destructeurs ? Pour se dégrader ainsi, est-il un seul Américain assez dénué des sentimens qui sont l'ornement de la nature humaine, assez dépourvu de cette fierté généreuse, de cette élévation d'âme qui seule peut apprécier la dignité attachée à la liberté ? En existe-t-il un seul qui n'ait pas en exécration, l'idée seule de dépendre de ces mêmes hommes qui ont inondé le pays d'un déluge du sang de vos concitoyens ? C'est ce que nous ne pouvons pas supposer, & il n'est pas possible que nos ennemis se flattent de pouvoir y parvenir. Quelle est donc cependant leur intention ? Celle de vous amuser avec de trompeuses espérances de paix, tandis qu'ils formeront de nouvelles armées pour consommer enfin leurs projets corrompus.

S'il n'en étoit pas ainsi, pourquoi font-ils donc tous les efforts possibles pour lever des hommes dans leurs îles ? Pourquoi font-ils bassement la cour à tout ce qu'il y a de petits tyrans en Europe, pour les engager à leur vendre leurs malheureux esclaves ? Pourquoi continuent-ils à envenimer les sauvages contre nous ? Certainement tous ces moyens ne sont pas ceux de[p.244]se concilier l'affection de l'Amérique ! Ne vous abuser donc point il vous reste encore un choc terrible à soutenir : vos alliances étrangères assurent votre indépendance, mais ne peuvent pas soustraire votre pays à la désolation, vos habitations au pillage, vos femmes à l'insulte & au viol, ni vos enfans au massacre : vos ennemis ayant échoué dans leur projet essentiel, vous devez vous attendre de leur part à toutes les fureurs qui marchent sur les pas de l'ambition déconcertée. Préparez-vous donc ! Volez à vos tentes ! Armez-vous pour le combat ! Le tems est venu où il faut détourner le fléau de la vengeance sur la tête de vos destructeurs : ils ont comblé la mesure de leurs abominations, ils sont comme le fruit parvenu à sa maturité qui de lui même ne peut tarder à tomber de l'arbre.

Quoique l'on ait beaucoup fait, il reste beaucoup à faire encore ; n'attendez point de paix, tant que vos ennemis resteront en possession de la plus petite partie de l'Amérique ; il faut que vous les expulsiez de cette terre promise, de cette terre où coulent le lait & le miel ; des extrémités du continent, vos frères implorent déjà votre amitié & votre protection ; il est de votre devoir de les leur accorder ; leur faim, leur soif n'ont que la liberté pour objet ; que le vôtre soit de leur dispenser ce don céleste ! Eh ! qui[p.245]pourroit vous en empêcher ? Après avoir résisté aux efforts continuels de nos ennemis, nous nous trouvons plus forts que nous ne l'étions auparavant ; les coupables émissaires qui se donnent tant de peine en faveur de leur cause, ne peuvent assigner aucune raison propre à faire craindre que nos forces ne s'accroissent pas tous les jours : ils vous disent, à la vérité, que votre monnoie courante n'a point de valeur intrinsèque ; que vos dettes sont si énormes, qu'elles ne pourront jamais être acquittées : nous vous assurons que si la Grande-Bretagne hasarde encore une campagne, cette campagne seule lui coûtera plus que nous n'avons dépensé jusqu'à présent.

C'est donc cet immense fardeau que l'on vous conseille de prendre sur vos épaules, en sacrifiant vos droits les plus chers ; car nous ne croyons pas qu'il existe un homme assez absurde pour supposer que l'on puisse conserver en Amérique l'ombre même de la liberté, tant que l'on aura quelque connexion avec l'Angleterre. Par la nature de la chose même, il est évident que l'unique sûreté que vous puissiez attendre, seroit la justice & la modération d'un parlement, qui a vendu les droits du peuple qu'il représente ! Cette sûreté, toute foible qu'elle est en elle-même, s'affoiblit encore, si l'on considère que quelque fût la nature des engagemens que le[p.246]parlement contracteroit avec nous, il ne manqueroit pas de se dire un jour, qu'il a traité avec des rebelles, dénomination injuste, qu'il lui plaît de donner au bon peuple de ces états ; ou, ses principes sont qu'en traitant avec des rebelles, aucune loi ne l'oblige à garder la foi du traité : c'est ainsi qu'en suivant ses instructions, vous vous précipiteriez vous-mêmes, pieds & mains liés, parmi des hommes en qui votre généreuse résistance vient d'allumer le feu de la vengeance ; c'est ainsi que vous forceriez vos enfans & les enfans de vos enfans à partager avec vos ennemis le fardeau de leurs dettes, de leurs guerres, de leur luxe, de leurs crimes ! Et c'est sous ce prétexte du dérangement de vos finances que l'on ose vous induire à adopter ce système insensé & plus impie encore !

Réfléchissez mûrement sur ce sujet : Est-il une nation sur la terre qui ait autant de ressources que l'Amérique, pour payer les dettes qu'elle a contractées ? En est-il une qui possède un territoire si étendu, si fertile, dont le climat soit plus heureux, les productions plus abondantes & plus variées ? Certainement il n'en existe aucune. Il n'en est point non plus à qui les sages Européens voulussent livrer leurs marchandises avec autant de confiance qu'ils en ont en vous. Si vous nous demandez pourquoi votre monnoie[p.247]courante est tombée en discrédit ? Nous vous répondrons, c'est parce qu'on ne vous a point imposé de taxes pour soutenir la guerre ; parce que votre commerce a été interrompu par les flottes de vos ennemis, parce que leurs armées ont ravagé & désolé une partie de votre pays, parce que leurs agens ont eu l'infamie de contrefaire vos billets de crédit, parce qu'il s'est trouvé parmi vous des exacteurs, qui, pour assouvir leur faim insatiable du gain, ont fait hausser le prix de toutes les choses du premier besoin ; parce qu'enfin, on a eu l'art de persuader à des hommes foibles que ce papier n'avoit point de valeur.

Mais, demanderez-vous encore, peut-on remédier à ce mal dangereux ? Que ceux d'entre vous qui ont du loisir, & qui sont à portée de rendre ce service public, recueillent l'argent que les particuliers de leur voisinage ont intention de placer dans les fonds publics ; que les corps législatifs des divers états amortissent les différens billets qu'ils ont mis en circulation, de manière, qu'en ne laissant subsister dans le commerce qu'une seule & même espèce de papier-monnoie, il soit plus difficile de le contrefaire ; abstenez-vous aussi, pour quelque tems, d'acheter les choses qui ne sont pas d'un besoin absolu, de sorte que les monopoleurs, qui, dans l'espoir du[p.248]gain, se sont surchargés des choses dont vous pouvez vous passer, se trouvent trompés dans leur calcul, & perdent, comme ils le méritent, au lieu de gagner ; mais avant tout, mettez vos armées en campagne ; ne vous fiez point aux apparences de paix & de sûreté ; soyez assurés qu'à moins que vous ne persévériez, vous serez exposés à toutes les espèces de cruauté ; que si au contraire vous faites usage des moyens de défense que vous avez reçus de Dieu & de la nature, le tems n'est pas éloigné où chacun de vous pourra, sans craintes, se reposer tranquillement à l'ombre de sa treille & de son figuier.

Les douceurs d'un commerce libre avec toutes les parties du globe, vous dédommageront bientôt de toutes les pertes que vous aurez faites : les richesses du monde entier viendront couvrir vos rivages : elles ne seront point arrêtées dans leur course par le monopole arbitraire de ceux dont l'intérêt & la politique avouée étoient d'empêcher que vous deveniez riches & puissans ! Alors vos intérêts seront confiés à des gouvernemens qui, tenant de vous mêmes leur autorité, se trouveront dans la nécessité absolue d'en faire usage à votre profit.

C'est pour vous mettre en possession de ces biens inestimables, que nous vous exhortons à développer les efforts les plus vigoureux & les[p.249]plus assidus ;cependant nous ne croyons pas que vos forces seules soient suffisantes pour vous sauver ; non, c'est du ciel seul que vous pouvez attendre votre salut ; & pour mériter son secours, vous devez implorer assidûment sa bonté, par les actes que vous savez lui être agréables ; c'est ainsi que la puissance & la prospérité de ces états, souverains, libres & indépendans, se trouveront fondées sur la vertu de leurs habitans, s'accroîtront, s'étendront & dureront jusqu'au moment où il plaira au Tout-Puissant d'effacer de la terre tous les empires qui dominent sur sa surface.

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Extrait du Message de Son Excellence le Gouverneur Livinghston à l'Assemblée générale de New-Jersey, de félicitation sur les traités d'alliance récemment conclus avec la France, & d'encouragement sur la fin prochaine de la guerre la plus injuste, la plus barbare & la plus redoutable.

 

Du 3 Juin 1778.

Messieurs,

C'est du fond de mon cœur que je vous félicite, à raison des nouvelles agréables que nous avons reçues de France, depuis la dernière assemblée, où j'eus le plaisir de me trouver parmi vous : les traités d'alliance, d'amitié & de commerce, conclus entre sa majesté très-chrétienne & les États-Unis de l'Amérique, ces traités par lesquels notre liberté, notre souveraineté & notre indépendance sont pleinement reconnues, ratifiées & garanties, notre commerce rendu libre & dégagé de toutes entraves : ces traités, dis-je, sont si avantageux pour nous, annoncent tant de générosité, tant de magnanimité de la part de notre illustre allié, qu'ils ne peuvent manquer de faire naître dans nos âmes le respect le plus affectueux pour ce puissant monarque, & en même-tems la[p.251]reconnoissance la plus intimement sentie pour les bienfaits de cette providence propice, qui, agissant sur le cœur d'un prince étranger, l'a déterminé, par son influence, à interposer son secours, & à nous délivrer des poursuites sanguinaires d'un autre prince qui, si récemment, étoit le nôtre.

Ayant été forcé à déclarer notre indépendance, il étoit de la plus haute sagesse de rechercher une alliance propre à la confirmer, à l'affirmer ; cette seconde démarche étoit une suite nécessaire de la première, & nous pouvons prendre à témoin le monde entier, que nous avons été forcés à l'un & à l'autre, par un prince tyrannique, un parlement vénal, un ministre corrompu.

Il faut avouer que dans tout le cours de la guerre la conduite de nos oppresseurs a été si insensée, a décelé en eux des âmes si peu susceptibles de remords, qu'il semble que le ciel leur ait ôté jusqu'au bon sens, tandis que l'enfer leur suggéroit toutes ses noirceurs ; mais bientôt le jour approche où ils recevront une correction nationale ! Les cruautés inouïes qu'ils ont exercées dans les deux mondes, ont enfin allumé la vengeance divine, & les jugemens de Dieu vont éclater sur une nation qui a rempli la mesure de son iniquité, qui a long-tems été la plus impie, la plus irréligieuse de toute la chrétienté ! Les[p.252]forces de la France & de l'Amérique sont actuellement unies par une ligue indissoluble, à l'effet de châtier son insolence. Combien ces nouvelles affreuses pour la Grande-Bretagne n'affligeront-elles pas son orgueil ? Combien ne maudira-t-elle pas les conséquences funestes de sa politique insensée ? Il me semble voir sa puissance, sa grandeur, ses honneurs se dissoudre, tomber des nues, & se rouler dans la poussière ! Cette influence prépondérante qu'elle a long-tems conservé dans la balance de l'Europe, tend aujourd'hui rapidement à l'impuissance morne ;& la dominatrice de l'Océan est l'objet du mépris de ces mêmes potentats qui naguères révéroient ses conseils, sur qui ses armes imprimoient la terreur ; mais quelque rapide que puisse être la ruine à laquelle elle est condamnée, il est de notre devoir de nous tenir en garde contre les derniers efforts de sa vengeance expirante : lorsqu'en proie à toutes les horreurs du désespoir, elle sera convaincue qu'il n'y a plus de conquête à attendre pour elle, & qu'elle cherchera encore à s'élever au-dessus d'elle-même en se distinguant par quelque acte signalé de barbarie atroce & monstrueuse, elle peut essayer de désoler ce qu'il lui est impossible de subjuguer : il est donc de notre intérêt de réunir tous nos efforts pour prévenir les ravages & les excès destructeurs, auxquels nous savons,[p.253]par expérience, qu'il n'est pas au-dessous de sa dignité de se livrer. Encore un effort général & vigoureux, & nous chassons du continent ce qui reste de ces misérables tyrans, & par une espèce d'émancipation, nous nous mettons pour jamais en possession d'une liberté complette & non interrompue : une seule campagne mettra un terme à cette guerre importante : or, en faveur de qui est-il à présumer qu'elle sera décidée ? C'est ce que la main de la providence a écrit en caractères trop lisibles pour que l'on puisse s'y méprendre.

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Extrait de quelques considérations politiques du même Gouverneur à la même Assemblée, contre ceux de leurs concitoyens qui n'étant attachés à aucun parti, hypocrites & perfides, attendent les occasions pour se déclarer pour ou contre leur pays. Nécessité & moyen de les démasquer. Danger qu'il y auroit d'accorder une amnistie à ces traîtres. Il finit par une invective violente contre ces ennemis de la patrie & contre la Grande-Bretagne leur protectrice.

 

Du 29 Mai 1778.

J'espère, Messieurs, que, dans le tems convenable, vous considérerez quelles sont les mesures que l'on doit prendre contre ces citoyens amphibies, qui, toujours prêts à tirer de l'état les avantages & la protection qu'il présente à ses membres, jamais à lui payer le tribut du devoir réciproque, paroissent avoir formé la résolution de conserver, jusqu'à la fin de la querelle, une sorte de neutralité honteuse & perfide ; contre ces gens qui espèrent qu'en n'épousant ouvertement aucun parti, mais servant indirectement l'un & l'autre, selon que les circonstances l'exigent de leur duplicité, ils se rendront à la fin agréables à celui des deux qui l'emportera sur l'autre, sans faire de distinction entre l'opprimé & l'oppresseur. Le serment du test, généralement[p.255]prêté, seroit le moyen sûr d'arracher ces hypocrites politiques à leur embuscade, à l'asyle où se réfugient la duplicité & le mensonge ; en passant un acte qui les auroit en vue, on leur apprendroit que, quelque portée que la législation puisse être à imiter l'exemple du père de famille généreux qui paya également ceux qui allèrent cultiver sa vigne à la première & à la onzième heure ; cependant elle est déterminée à ne pas donner à l'Univers le premier exemple de payer un salaire à ceux qui n'ont voulu entrer dans la vigne, qu'après que les raisins, fruit du travail d'autrui, sont parvenus à la maturité, & qui alors n'y sont entrés que dans la vue de la piller bassement, pour s'enivrer du jus que d'autres mains avoient cultivé.

Il existe dans cet état quantité de citoyens estimables & austères, qui se font scrupule de prêter un serment dans la forme actuelle, avec la cérémonie Angloise de baiser le livre, cérémonie qu'ils regardent comme superstitieuse, & comme un reste de papisme ; dans un siècle qui semble être particulièrement illustré par la tolérance & par l'horreur qu'inspire l'idée seule de violer les droits de la conscience, est-il compatible avec la saine politique, avec l'esprit généreux de notre constitution, de priver un honnête homme, à raison d'un scrupule religieux, des privilèges de la société, tandis qu'on en laisse la jouissance la[p.256]plus étendue au débauché le plus effréné ? Je me flatte que notre législation ayant égard à l'innocence de ce scrupule, aura l'indulgence d'autoriser les magistrats, lorsqu'ils recevront le serment, à supprimer de sa formule le parti qui n'est propre qu'à gêner les consciences délicates, qui n'est évidemment que de pure forme, & qui n'est, à aucun égard, essentielle à sa nature & à sa solemnité.

J'ai, Messieurs, à mettre encore sous vos yeux une résolution du congrès du 23 avril, par laquelle il est recommandé aux corps législatifs des différens états de passer des loix, ou bien à l'autorité exécutive de chaque état, en la supposant revêtue des pouvoirs suffisans, de proclamer des offres de pardon, avec les exceptions, limitations & restrictions qui seront jugées convenables, en faveur de ceux des habitans & sujets qui, ayant porté les armes contre ces états, ayant adhéré à l'ennemi, l'ayant aidé & favorisé, se présenteront avant le 10 juin devant quelque officier civil ou militaire de l'un de ces états, & se rendront à celui desdits états auxquels ils appartiendront ; recommandant aux bons & fidèles citoyens de ces états de recevoir avec compassion & bonté ceux de ces pénitens qui retourneront à eux, de leur pardonner, & d'ensevelir dans l'oubli leurs fautes passées.

Quoiqu'il soit de mon devoir de soumettre[p.257]cette résolution à votre mûre considération ; parce qu'elle est recommandée par le congrès ; je ne me crois pas également obligé de le recommander à votre approbation, parce qu'elle ne me paroît pas dictée par la saine politique. Sans manquer à la vénération profonde due à cette auguste assemblée, on peut croire qu'elle est moins instruite des circonstances particulières, & de la police intérieure de quelques état :, que les personnes qui ont été plus à portée de l'être ; il faut convenir qu'il paroît noble & magnanime d'accorder l'amnistie à des criminels qui ne le méritent pas, au moment où ils se rendent à la merci de leur pays ;& que d'un autre côté, on trouve quelque chose de si chrétien, de si divin dans le pardon des injures, que toute objection faite a un acte de clémence, présente au premier coup d'œil je ne sais quoi d'odieux, mais si l'on réfléchit ensuite, on reconnoît que cette religion bienfaisante, aux préceptes de laquelle nous devons essentiellement conformer notre conduite, qui défend dans tous les tems, dans tous les cas, de se livrer à la haine, à l'animosité contre des individus, ne défend pas que pour sa conservation personnelle & pour le bien général de la société, on prenne les mesures nécessaires contre des ennemis nationaux, contre des coupables municipaux. Quant à l'humanité, je ne[p.258]pourrai jamais me persuader qu'elle consiste à traiter nos ennemis Anglois & domestiques avec une identité qui les a enhardis à nous rendre un échange de cruauté portée au décuple, cruauté à laquelle nous eussions mis des bornes, si, dès qu'ils s'en sont permis le premier acte, nous eussions usé du droit de représailles, de manière que ce qui, dans certains cas, eût pu paroître inhumain de notre part, eût été dans son effet ultérieur, un véritable acte d'humanité. Hélas ! de combien de citoyens n'eût-on pas sauvé la vie ! Quelles horreurs, quels désastres n'eût-on pas prévenus, si, dès les commencemens nous eussions traité, avec une sévérité convenable, les traîtres que nous nourrissons dans notre sein, si nous eussions intimidé, par la loi des représailles, un ennemi trop féroce, pour qu'aucune autre considération le rendît sensible au cri de l'humanité ! Comme le pardon & le châtiment politiques me paroissent n'avoir d'autres règles que des considérations politiques ; comme ce n'est qu'en s'assurant s'ils sont utiles ou nuisibles au bien commun, que l'on peut déterminer si leur usage est convenable ou non, je ne puis concevoir de quel avantage il peut être d'inviter à rentrer dans les bras de leurs concitoyens une race d'hommes, dont je crois que tout autre pays s'estimeroient heureux de se voit séparé par[p.259]la plus vaste distance : Est-il probable que des malheureux qui nous ont abandonnés pour s'unir aux connoisseurs les plus experts dans les rafinemens de la cruauté, & qui ont épuisé tous les secrets de l'art pour varier les instrumens des tortures ; que des gens, dis-je, qui les ont aidés à introduire parmi nous le pouvoir arbitraire & toutes les horreurs de l'esclavage : que des gens que le remords ne ramènera jamais, & qui ne reviendroient à nous, que parce qu'ils auroient échoué dans leur coupable entreprise, est-il possible que de pareilles gens puissent jamais être de loyaux sujets dans un état fondé sur la liberté, & inflexiblement déterminé à réprimer jusqu'aux usurpations de l'autorité-légitime ? les trente-un criminels, récemment convaincus de trahison, qui, en vertu de l'interposition gracieuse du gouvernement, fondée sur les signes du repentir le moins équivoque, ont été généreusement pardonnés ; qui alors, avec un empressement hypocrite, sont entrés au service des états, ont desserré tous, sans en excepter un seul, ils ont passé chez l'ennemi, & portent une seconde fois les armes contre leur patrie, chargés du double crime de les tourner contre un pays, qui non-seulement leur a donné la vie, mais qui la leur a rendue, lorsque leurs forfaits les avoient condamnés à la perdre ![p.260]Cette circonstance indique avec probabilité qu'il n'est point de moyens humains propres à convertir un vrai Tory ; que la vertu innée & le patriotisme naturel à l'homme, sont si parfaitement éteints en lui, qu'il ne lui en reste pas une foible étincelle pour rallumer la flamme primitive : aussi, faut-il convenir qu'il est contre toute probabilité, que des hommes dégénérés au dernier point possible, qui ont eu la lâcheté de préférer la tyrannie à un gouvernement libre, soient capables de concevoir, même l'existence d'une seule vertu, à moins que la toute-puissance ne fasse pour eux un miracle ! Ceux de ces infâmes, que l'Amérique a produits, ont étonné le monde par les efforts surnaturels qu'ils ont fait, pour surpasser en atrocité une race de meurtriers, qui avant eux ne connoissoient point d'égaux ; si ces scélérats ne nous eussent détrompés, nous eussions cru que les enfans des Bretons étoient les premiers hommes du monde pour répandre la désolation sans fruit, pour commettre de sang froid des actes de cruauté. Mais si l'on considère le genre d'éducation que reçoivent ces derniers, si l'on observe que cette éducation les familiarise avec l'habitude de verser le sang innocent, dans l'unique vue d'étancher la soif du gain, on sentira qu'ils ont été effacés dans ce genre d'excellence[p.261]qui leur est particulier, par ce vil rebut de l'Amérique, par ces monstrueux rejettons qui non-seulement ont préféré l'esclavage à la liberté, mais ont fait une guerre à ceux de leurs amis & de leurs parens les plus chers, qui n'ont pas fait ce choix abominable ! Ce sont ces monstres, qui ont forcé dans leurs retraites, chassé, pillé, massacré quantité de nos plus estimables, de nos plus précieux citoyens ; ce sont eux qui ont aidé la Grande-Bretagne à soutenir & traîner en longueur la guerre actuelle ! Ils doivent rendre compte par conséquent de ce qu'ils ont ajouté à l'effusion de notre sang, en ajoutant des forces aux forces ennemies qui le répandoient : on a vu des multitudes de ces scélérats ajouter le parjure à la trahison ; on les a vus au moment où nous commençâmes à montrer de l'opposition, marquer plus d'empressement, faire plus de bruit que les autres ; on les a vus former des associations, ouvrir des souscriptions, & faire serment de nous aider à repousser les attaques de nos oppresseurs impitoyables ; ils se sont engagés avec une solemnité importante, sur leur foi & sur leur honneur, à combattre pour le Congrès, à côté de leur général, à sacrifier leur sang & leurs fortunes à la défense de cette même liberté, contre laquelle ils ont depuis tourné leurs armes, & qu'ils ont fait serment d'anéantir ! [p.262]Qu'est-il résulté de cette perfidie ? Là, un digne citoyen a perdu son vénérable père ; ici, le frère pleure un frère bien aimé ; ailleurs, la perte d'un fils unique fait le deuil d'une famille ! Toutes ces victimes ont été livrées par des traîtres à un ennemi, qui, sans en avoir l'intention, mais éprouvant par hazard un accès momentané d'humanité, se trouvoit porté à ménager le sang humain, lorsque ces scélérats exigèrent qu'on ne fît point quartier, & menacèrent de se plaindre de ce qu'un officier ne fît pas son devoir, parce qu'il n'étoit pas diabolique meurtrier comme eux.

D'un autre coté, cet acte d'amnistie ne rendra pas à leurs concitoyens ceux des coupables qui mériteroient peut-être cette indulgence ; ceux qui, embarqués malgré eux, formeroient le désir de revenir à nous, n'auroient pas la liberté de le faire ; ils en seront empêchés par leurs vigilans satellites. Quelques-uns peut-être en obtiendront la permission, sous prétexte de soustraire leurs biens à la confiscation ; mais ils reviendront sans remords, sans repentir, sans avoir changé de sentimens, sans que leur cœur soit touché, ce sont ces gens qui ayant déjà fait des sermens, se parjureront ensuite sans scrupule, lorsqu'ils auront le moindre espoir d'introduire la tyrannie dans leurs pays : eh ! si vous[p.263]accueillez de pareilles gens, que diront ceux de nos citoyens qui, dès le commencement des troubles, ont hazardé leurs personnes & leurs biens ? Regarderont-ils comme juste d'associer ces êtres malfaisans à la pleine jouissance des avantages prêts à résulter de leur indépendance, de cette indépendance due à leurs généreux efforts, protégés par la faveur toute-puissante de la providence ? L'aspect seul de ces lâches, révoltera tous les gens de bien, & l'imprudence qu'ils auroient de reparoître parmi nous, ne seroit qu'ajouter à la bassesse du crime dont ils se sont souillés, lorsqu'ils nous ont abandonnés… Ah, purgeons le continent de nos ennemis, mais purgeons-le de tous nos ennemis ! Ceux que j'ai en vue sont une peste qui infecteroit l'air que respirent les honnêtes enfans de l'Amérique.

Le seul moyen de laver cette terre de l'infâmie dont ils l'ont couverte, c'estde les effacer eux-mêmes : qu'ils se bannissent donc volontairement, qu'ils aillent s'établir sur quelque terre inhabitée, & couverte de rochers aussi durs que leurs cœurs ; là ils auront la satisfaction de ne pas voir la face d'un homme honnête : tous également parjures & parricides, également souillés des mêmes crimes, le traître ne dira pas à un autre : tu es un traître ; ni le scélérat, tu l'es plus que moi. Là cette confrairie fraternelle[p.264]jouira du moins, de l'avantage de la plus parfaite égalité : elle pourra rafiner ses principes sur la tyrannie, & créer quelque système qui réponde à son goût pour le plus vil esclavage. … Mais, sans chercher une terre inhabitée, un doux asyle les attend dans une certaine île déjà peuplée : ce refuge leur convient à tous égards, parce que tous les genres d'infamie y fleurissent : là, ils ne seront point privés de la faveur royale pour avoir trempé leurs mains dans le sang de leurs frères, & la pairie sera le prix réservé à ceux qui ont égorgé ou fait périr par la famine des milliers de leurs semblables : là, enfin, quelque coupable quel'on puisse être, on ne doit pas désespérer de trouver son nom sur la liste des promotions.

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Discours des Chefs ou Sachems Oncides, adressé à une troupe de jeunes Indiens prêts à joindre les drapeaux du Général Washington, sous la conduite du Major de Tousard. Ils les engagent à ne point se laisser aller à. des excès de cruauté. Ils leur recommandent sur-tout la subordination & la sobriété.

 

Du 4 Juin 1778.

Neveux, Guerriers, ouvrez vos oreilles.

Vous allez vous séparer des Sachems vos oncles ; en pareille circonstance, il est à propos de vous donner quelques conseils, souvent un jeune guerrier en a besoin ; vous allez entreprendre un long voyage, vous allez être exposés à la fatigue & à beaucoup de tentation ; vous trouverez beaucoup d'observateurs, non-seulement Américains, mais parmi les premiers officiers de notre père le roi de France : gravez profondément dans votre esprit que les guerriers ont un rôle important à soutenir, qu'ils peuvent faire beaucoup de bien, ou se livrer à d'affreuses atrocités ; ils peuvent faire du bien en écartant les maux qui menacent la paix : c'est sous ce point de vue qu'ils développent le caractère du héros ; mais il faut éviter avec soin tout ce qui tient à la vengeance[p.266]privée, personnelle : il est indigne d'un brave militaire d'insulter, de piller une famille dénuée de secours, & qui peut être innocente.

Neveux, souvenez-vous que vous allez servir dans la grande armée d'Amérique ; que vous serez présentés au général Washington, & à un éminent officier de notre père le roi de France, le marquis de la Fayette, & que c'est à sa demande que vous allez joindre la grande armée ; le moindre écart de votre parti, quelque léger qu'il puisse être, sera de la plus fâcheuse conséquence, il sera difficile d'en laver la tache : formez-vous donc un plan de conduite digne de la profession des guerriers ; que la bonne intelligence règne toujours parmi vous ; n'ayez tous qu'un même esprit, n'ayez qu'un seul & même objet en vue ; que chacun de vous n'aille pas croire qu'il est un chef, & qu'il peut se permettre ces petites libertés que l'indulgence tolère auprès de nos foyers, mais que tous & chacun obéissent implicitement au major de Tousard, qui marchera à votre tête, & combattra avec vous.

Défiez-vous des liqueurs fortes, leur usage est la perte des Indiens. Neveux, si vous observez le bon ordre, si vous êtes sobres, si vous jouez le personnage qui convient à des hommes, votre conduite sera appréciée, exaltée par l'armée[p.267]Américaine, le général Washington, guerrier en chef, la remarquera avec distinction : le rapport en viendra un jour aux oreilles de notre père le roi de France, & nous Sachems nous nous réjouirons en entendant parler de vous.

 

Discours de M. Wilkes, au sujet de celui de Sa Majesté. Il insiste sur la nécessité de la paix. Il soutient que le seul moyen de la rétablir est de reconnoître l'indépendance des Américains. Impossibilité de continuer cette guerre. L'odieux & la barbarie de cette entreprise a révolté les Américains & a doublé leur courage. L'alliance de la France les confirme aujourd'hui dans leurs prétentions à l'indépendance. Caractère dangereux des Commissaires de Sa Majesté Britannique choisis pour porter aux Insurgens des propositions de paix ; ils ont osé recevoir de la couronne des pouvoirs sacrés & plus amples que ceux accordés par la législation. Leur conduite est suspecte. C'est ici une usurpation manifeste des droits du corps législatif. Leur dernier offre faite au Congrès, est une insulte faite à l'existence du Parlement. Reproches par rapport à quelques autres inepties de leur part. Comparaison de l'Angleterre & de la France à l'avantage de celle-ci. Influence[p.268]funeste du Ministre le Comte de Burke & de son fils lord Mount-Stuard. M. Wilkes finit par demander qu'il soit fait une enquête sur ceux qui par leurs conseils, ont occasionné le démembrement de cet empire.

 

Du 26 Novembre 1778.

J'ai donné toute l'attention dont je suis capable au discours prononcé sur le trône, & qui depuis, a été lu deux fois dans cette chambre, conformément à nos usages de forme ; je souffre de me trouver dans la nécessité d'observer que ce discours contient à peine deux phrases, auxquelles je ne sois pas forcé de refuser mon approbation : ces phrases sont, celle qui dit « que nous sommes rassemblés dans des conjonctures qui demandent l'attention la plus sérieuse ; »& celle qui dit, « que le retour des bénédictions de la paix devroit être notre premier vœu, & le grand objet de nos efforts. »

En vérité, monsieur, il faut convenir que la conjoncture est des plus critiques, & que non-seulement la paix est actuellement à désirer, comme dans tous les tems, mais paroît être d'une nécessité absolue, pour soustraire à une ruine prochaine l'état en convulsion ; c'est relativement[p.269]à ces deux raisons que l'unanimité règne sans doute parmi nous, mais je vais passer à d'autres objets.

Plusieurs membres demandent comment il est possible à présent d'obtenir cette paix ? Est-il quelqu'un qui puisse indiquer la manière de nous rendre ces bénédictions ? Je hasarderai, monsieur, une opinion dont mon esprit est pleinement convaincu, je ne vois qu'un moyen possible de sauver ce pays dans la situation effrayante où il se trouve ; situation dans laquelle nous avons été précipités par des ministres, dont la conduite demande l'enquête la plus stricte, & qui, en perdant leurs têtes, si leur crime est prouvé, ne feront que donner un chétif dédommagement à une nation perdue ! La proposition que je vais faire est humiliante, j'en conviens, mais elle est fondée sur la nécessité ; je crois que reconnoître l'indépendance des Colonies révoltées, est l'unique voie qui puisse ramener sa tranquillité publique ; je pense sincèrement qu'elle la rétabliroit à l'égard de l'Amérique & de la France, que probablement elle préviendroit une guerre avec l'Espagne, & que peut-être dans ce moment, elle fermeroit le temple de Janus. La tyrannie & la conduite insensée d'une administration inepte & perverse, ont rendu cette mesure d'une nécessité absolue, si[p.270]nous voulons conserver ce qui nous reste ; il faut sauver notre pays, chancelant sur les bords de sa ruine, éviter la banqueroute publique & la misère finale. Un mécontentement universel éclate actuellement de toutes parts : le peuple n'a point de confiance dans des ministres qui conservent leurs places, précisément parce que la nation les déteste, les affaires de l'Amérique, nous arrachent des larmes, & tous les partis se réunissent pour gémir, en voyant que nos flottes ont fait si peu de chose contre la France, après avoir dépensé pour la marine des sommes immenses de l'argent public.

L'honorable membre qui a fait la motion relative à l'adresse, nous a dit, monsieur, que les Américains étoient déterminés à séparer leurs droits des nôtres, & à dissoudre toute espèce de connexion entre nous ; le fait n'est que trop vrai : les Américains ne se regardent plus comme embarqués avec nous à bord du même vaisseau, prêt à couler à fond ; ils nous évitent, parce qu'ils ne voient en nous qu'une nation tyrannique, sans principes, livrée à la rapacité, & ruinée : tout ce qu'ils craignent, c'est que le luxe & le libertinage de ce pays ne pénètrent dans le leur. Avant que l'idée de se détacher de la mère contrée prît quelque consistance parmi eux, ils avoient long-tems & patiemment souffert. Ils[p.271]ont été forcés à cette démarche par notre injustice & notre violence : des atteintes multipliées portées à leurs droits, des injures accumulées, des insultes faites sans objet, des cruautés qui révoltent la nature humaine, ont produit cette étonnante révolution : actuellement, il me paroît impossible de ramener les Américains à aucune espèce de dépendance de ce royaume ; leurs premières démarches ont été marquées par la modération ; ils ont porté aux pieds du trône les supplications les plus humbles, les plus soumises ; mais comme on leur dit qu'il ne leur seroit point fait de réponse, de ce moment leurs esprits ont été totalement aliénés. Lorsqu'ils ont fait les premiers actes de résistance, facile à justifier, ils n'ont point été intimidés par toutes les horreurs de la guerre : cependant, ils n'étoient encore que des habitans paisibles de la campagne, des villes & des villages sans défenses ; depuis la déclaration de leur indépendance, la fermeté & la vigueur ont présidé à toutes les délibérations du Congrès, & cette déclaration, ils l'ont faite dans un moment propre à prouver qu'ils ne connoissoient pas la crainte, & qu'ils se croyoient supérieurs à tous les efforts dont nous étions capables ; ce fut en juillet 1776, immédiatement après l'arrivée d'une flotte complexe de transport, de navires chargés de vivres[p.272]& de munitions, dont il ne s'étoit pas perdu, pas même séparé une seule barque : après que les troupes de sa majesté, sous les ordres du général Howe, avoient été débarquées à Staten-Island sans opposition, sans la moindre interruption, ainsi que nous en avons été informés par notre propre gazette ? Depuis cette époque fatale, le Congrès, aucun des treize États-Unis ont-ils donné le moindre signe du désir de rentrer dans l'obéissance envers notre souverain ? Personne n'aura la hardiesse de répondre oui ; au contraire, la haine des Américains s'est accrue, ainsi que leur aversion pour le joug que nous leur préparions depuis que nous avons fait entrer dans la querelle les mercenaires de l'Allemagne & les sauvages de l'Amérique, depuis que le pillage & la cruauté ont marqué les progrès de l'armée royale & de ses alliés.

Je vais tracer le tableau de notre situation à l'égard de l'Amérique septentrionale ; des torrens de sang & du plus pur, ont déjà coulé pour cette querelle, & nous avons été obligés d'abandonner le peu de conquêtes que nous avons faites ; vers la fin de l'année dernière, nous nous félicitions de la prise de Philadelphie, que dans le langage insultant de l'administration, on appelloit alors la cité la plus importante de l'Amérique septentrionale, le siège du Congrès errant. Avant[p.273]que l'année actuelle fût à demi-écoulée, conformément aux instructions de sa majesté, sir Henri Clinton a évacué Philadelphie à trois heures du matin, & a gagné New-York, en s'échappant au milieu des difficultés infinies, & évitant très-sagement le chemin direct où il savoit que l'ennemi étoit en force.

Le Congrès rentre en triomphe dans Philadelphie, & félicite les habitans de l'Amérique, de l'importante victoire remportée à Montmouth, sur la grande armée Britannique, & de l'évacuation de Philadelphie, ainsi qu'il l'avoit fait précédemment, lors de l'évacuation de Boston par le général Howe.

Les Américains, monsieur, ont supporté avec fermeté toutes les adversités de la fortune, & sont actuellement à-peu-près certains de résister à la tempête ; ils ont beaucoup souffert, mais ils l'ont fait avec courage, parce qu'ils défendoient la cause de la vertu publique ; ils ont supporté l'adversité en hommes fermes & courageux, dont l'honneur & les principes sont déterminés, qui se trouvoient engagés dans une cause juste, ils ont formé la résolution de ne jamais se courber devant l'oppression : la guerre de leur part étoit fondée sur les idées primitives de la défense personnelle & de la justice ; c'est avec vérité que le grand historien Romain a dit, justum bellum,[p.274]quibus necessarium, & pia arma, quibus nulla, nisi in armis, relinquitur spes.

Quelle est actuellement la situation des Américains ? Un allié puissant s'est déclaré en leur faveur ; la déclaration de la France s'étend beaucoup au-delà de ce que ces messieurs paroissent le concevoir : on en fait mention ici seulement comme d'un acte, par lequel l'indépendance de l'Amérique est reconnue, mais dans les préliminaires que M. Gérard a communiqués le 16 décembre à Paris aux commissaires Américains, au nom de S. M. T. C. ; il est dit que sa majesté soutiendra l'indépendance de l'Amérique par tous les moyens qui sont en son pouvoir : pouvons-nous après cela, dire sérieusement qu'il est probable que les Américains rentreront dans l'obéissance, dans une soumission sans conditions, ou dans une soumission quelconque ? La crédulité la plus simple, l'ignorance la plus bornée, la plus entêtée, ne peuvent pas adopter une idée aussi absurde : si, avant la capitulation de Saratosga, ils ont rejetté nos offres spécieuses ; est-il probable qu'actuellement ils puissent accepter aucune espèce d'offre ? Espère-t-on pouvoir les y forcer ? Verra-t-on une autre armée Britannique essayer de marcher de Montréal à Albany ? Attaquera-t-on encore les batteries de Sullivans-Island ? Sir Peter Parker croira-t-il encore convenable[p.275]de faire une tentative sur Charles-Town dans la Caroline méridionale ? Promettra-t-il que si les troupes peuvent coopérer dans l'attaque, sa majesté rentrera en possession de Sullivans Island ? Quelque général Anglois commandera-t-il en Amérique une armée mieux disciplinée que celle de sir William Howe ? Une chaîne de disgrâces & de défaites successives, dans le cours de quatre années, doit certainement suffire pour nous convaincre de l'impossibilité absolue où nous sommes de réduire l'Amérique par la force, & je crains bien que les moyens de la douce persuasion ne nous soient également enlevés : nous n'avons donc que la dernière ressource de nous séparer de nos anciens amis, que nous ne pouvons ni forcer ni persuader de rester avec nous : certainement la politique nous dicte, que nous ne devons pas effectuer cette réparation, de manière à les forcer à rentrer dans les complots de nos anciens ennemis, à l'effet d'affoiblir, peut-être de ruiner la mère-contrée : il me partît également superflu & indécent de se répandre en invectives & en reproches contre l'ancien ennemi de ce royaume, & de parler de la malignité des desseins de la France.

Il n'est pas, monsieur, de plan de négociations dont on n'ait fait l'essai, mais rien n'a réussi ; car nous apprenons par le manifeste des commissaires[p.276]du 3 octobre dernier, qu'ils se sont déterminés à la démarche décisive de repasser en Angleterre, peu de semaines après cette date.

Après que l'épée & la baïonnette, instrumens honorables de la guerre, ont été mis en usage ; après que le scalpel & le tomahawk des assassins non alliés, ont été aiguisés pour servir contre nos concitoyens, nos ministres nous ont enfin prêché la paix, & l'on s'est déterminé à créer une commission, à l'effet de rétablir l'harmonie & l'union entre les deux pays. Pour donner du poids & de la dignité à cette nouvelle mesure, les deux chambres du parlement ont donné à cet emploi important trois de leurs membres, trois héraults de paix, afin que la sanction d'une partie du corps législatif imprimât sur cette mesure quelque chose de plus solemnel. Pour ajouter de de l'éclat à la commission, pour captiver les membres farouches du Congrès, pour civiliser les habitans sauvages d'un pays grossier, ils ont fait l'heureux choix d'un noble pair, que l'on, met à la tête de l'ambassade honorable, députée près du Congrès : sa seigneurie, à la grande surprise & admiration de cette partie du nouveau monde, emporte avec lui un ruban verd, des manières agréables, l'air engageant & insinuant d'un homme de qualité du tems moderne, & d'un courtisan de profession : les muses, les[p.277]grâces, le groupe riant des amours forment sa suite, & pour la première fois traversent l'océan.

Le second commissaire n'étoit connu que par ses principes, merveilleusement adoptés à l'esprit d'oppression & de cruauté, qui caractérise le système actuel ;ses principes des loix pénales, (ouvrage dont le sieur Eden est l'auteur) : ce commissaire, monsieur, emportoit avec lui le vrai secret de toute la négociation, & peut-être des pouvoirs plus étendus que ceux de ses collègues ; il avoit connoissance de l'ordre concernant l'évacuation de Philadelphie, cet ordre si contraire à l'honneur de nos armes & à la saine politique ; il en étoit instruit long-tems avant qu'aucun des autres commissaires put même en soupçonner l'existence, & il ne voulut pas leur en confier le secret : le troisième commissaire, qui fut tiré de notre chambre, étoit un homme d'un entendement supérieur, d'un caractère rempli de dispositions heureuses, un homme consommé dans la connoissance des affaires ;& si le succès eût été possible, je suis persuadé que l'Angleterre eût été redevable du retour de la paix à la sagesse, à la prudence & à la modération de cet habile négociateur ; mais, hélas ! monsieur, toutes les offres les plus brillantes, & non autorisées des commissaires, ont été vaines & rejettées.[p.278]J'ai fait mention, monsieur, des offres non autorisées qui ont été faites au Congrès : les commissaires ont excédé de beaucoup les bornes du pouvoir qui leur étoit assigné par l'acte du parlement, source unique de ce pouvoir : ils ont osé, monsieur, accepter de la couronne des pouvoirs secrets & plus amples que ceux qui leur ont été accordés par la législation : leur conduite est très-suspecte. Je me rappelle très-bien, que par une lettre des commissaires, en date du 9 juin, il a été fait au Congrès six propositions, dont les trois premières étoient de consentir à une cessation libre, tant à l'effet de faire revivre l'affection mutuelle, que de donner au commerce toute la liberté que nos intérêts respectifs pouvoient demander ; ces offres, monsieur, étoient fondées sur l'autorité de l'acte du parlement, qui a créé la commission : les trois dernières sont une usurpation directe des droits du corps législatif.

Les commissaires ont offert de concourir dans les mesures propres à liquider les dettes de l'Amérique, & à faire hausser le crédit & la valeur du papier mis en circulation, cette offre étoit conçue en termes artificieux ; mais, monsieur, on n'en a pas moins entendu parfaitement, tant en Amérique qu'ici, qu'il s'agissoit de prendre sur nos épaules, déjà affaissées jusqu'à terre, le[p.279]fardeau des dettes de l'Amérique, des sommes immenses votées par le Congrès, à l'effet de nous combattre : il s'agissoit de consolider en une masse énorme les dettes de deux pays, & un parlement complaisant, devoit, de la même manière, assigner des fonds à ce double objet ! Une idée si extravagante doit frapper tous les esprits d'étonnement & d'indignation : je fais à ce sujet mon compliment aux membres des comtés ; jamais ils ne s'écartent de leur maître, quelqu'acharné qu'il puisse être à leur ruine, à celle de leur pays ; ils vont certainement exalter avec reconnoissance, la droiture, la sincérité, l'amour extrême & la bonté de leur ministre favori ; sur le premier bruit qui se répandit sur la possibilité de voir la guerre s'allumer entre la Grande-Bretagne & l'Amérique, le noble lord au cordon bleu, leur fit expressément envisager un revenu solide, provenant des taxes que l'on imposeroit sur l'Amérique, & destiné à diminuer leur taxe foncière & le poids de quelques autres fardeaux : aujourd'hui, loin de songer à alléger ce poids, il offre à l'Amérique de jetter sur les épaules de l'Angleterre le surcroît du fardeau de ses taxes accumulées : de tous les animaux possibles, celui qui a la vue la plus courte, est sans contredit le sénateur campagnard, de franche race Tory : à peine a-t-il la sagacité de son[p.280]chien d'arrêt jadis il étoit opiniâtre & rétif, on ne pouvoit pas le faire aller en avant ; aujourd'hui, parfaitement apprivoisé, il caresse la main qui le nourrit, on le presse comme on veut. M. Pitt, qui sut le premier s'en emparer, après quelque résistance, l'a plongé dans la guerre d'Allemagne par-dessus tête & oreilles.

Le noble lord a été plus loin, il l'a épuisé, excédé & transporté au-delà de l'océan, où il est probable qu'il séjournera plus long-tems qu'il n'a fait en Allemagne.

Les commissaires sont convenus de même qu'il ne seroit point entretenu de forces militaires dans les différens états de l'Amérique septentrionale, sans le consentement : du Congres général, ou des assemblées particulières ; certainement, convenir que l'on n'entretiendra pas des forces militaires dans un pays, pour y contenir les mutins, y assoupir les révoltes, c'est en effet déclarer ce pays souverain & indépendant, cette concession ne se trouva pourtant pas dans aucune des clauses de l'acte qui constitue la commission : elle est une usurpation manifeste & scandaleuse du pouvoir inutile d'un parlement servile.

La dernière offre est une insulte grossière faite à l'existence même du parlement & du peuple qui constitue seul la chambre des communes, Les commissaires proposent une députation réciproque[p.281]d'un agent ou de plusieurs agens des divers états, lesquels auront le privilège de siéger & de voter dans le parlement de la Grande-Bretagne : Ceux qui seront envoyés par la Grande-Bretagne auront également un siège avec suffrage dans les assemblées des divers états près desquels ils auront été députés respectivement, à l'effet de veiller aux intérêts divers de ceux qui les auront constitués. Dans les trois actes conciliatoires il ne se trouve pas un seul mot qui indique que la législation a jamais une intention pareille ; comment des agens des divers états de l'Amérique auroient-ils voix dans cette chambre pour taxer la Grande-Bretagne, tandis que par ces actes conciliatoires mêmes il est statué que l'Amérique ne sera pas taxée ?

Il est possible, monsieur, que les commissaires ne se soient pas plus occupés d'assurer sérieusement & efficacement aux Américains le résultat de leurs offres, qu'ils n'ont pris de peine à leur marquer de la bonne foi ; ils ont hazardé, monsieur, d'assurer au Congrès, que les trois actes conciliatoires ont passé avec une unanimité singulière : on fait précisément le contraire : actuellement, monsieur, je vois à leurs places beaucoup de membres qui se sont opposés aux trois bills. Lorsqu'un bill d'une grande importance passe avec unanimité, je crois, monsieur,[p.282]que vous regardez comme étant de votre devoir de lui ajouter du poids en déclarant qu'il a été voté nemine contradicente. Vous n'avez donné cette sanction à aucun des trois bills conciliatoires. C'est avec le même égard pour la vérité que le savant secrétaire Écossois de la commission, fait déclarer aux commissaires dans leur proclamation, que la monarchie Françoise a toujours été & par sa constitution doit toujours être ennemie de la liberté civile & religieuse.

J'avoue, monsieur, que j'ai été surpris de voir une assertion pareille couler de la plume d'un homme qui s'est acquis beaucoup de réputation au-delà de la Tweed, comme professeur de philosophie morale à l'université d'Édimbourg : je croyois que les François s'appelloient autre-fois Franks, à raison de la liberté de leur constitution : j'ai lu dans les meilleurs auteurs (entre autres lord Molesworth) que le peuple François ne connoissoit de loix que celles qui avoient reçu la sanction de ses parlemens ; qu'il étoit consulté sur les chefs de toutes les loix nouvelles ; qu'après y avoir donné son consentement il imprimoit son sceau sur chaque article.

Mais j'en reviens à cet important papier d'état, la lettre du 9 Juin, adressée au Congrès par les commissaires. Cette lettre dit, que malgré la[p.283]date prétendue, ou la forme actuelle des offres faites par la France à l'Amérique septentrionale, il est notoire que ces offres ont été faites en conséquence des plans d'accommodement antérieurement concertés par la Grande- Bretagne, dans la vue d'empêcher la réconciliation, & de prolonger cette guerre destructive. Ce fait est également mal posé. Les proportions conciliatoires n'ont été faites par le noble lord au cordon bleu, que le 19 Février ; le traité de la France étoit signé le 6 du mois précédent, & l'on étoit convenu des préliminaires le 16 Décembre. Le parlement avoit été prorogé le 10 Décembre au 20 Janvier, malgré la vigoureuse opposition de la minorité, qui pensoit qu'à cette époque, il étoit encore possible d'obtenir la paix. La vérité du fait, est que la trame s'est conduite très-légèrement avec l'Amérique, jusqu'à ce qu'elle eut reçu la nouvelle de la capitulation de Saratoga : il y avoit de part & d'autre beaucoup d'humeur, circonstance dont nous n'avons pas tiré parti, comme nous aurions dû faire : le spectacle d'un général Anglois prisonnier, d'une armée entière prisonnière, donna lieu à la France de croire sérieusement à l'indépendance de l'Amérique : avant cette époque elle n'avoit vu dans cette prétention qu'une chimère, que le fantôme d'un cerveau échauffé : c'est ainsi que[p.284]la connexion de cette puissance avec l'Amérique, foible dans son enfance, s'est fortifiée avec le tems & est parvenue à la maturité : l'Espagne a traité plus sérieusement la chose, & dès les commencemens de la contestation, a fourni au Congrès des secours amples & efficaces de toutes les espèces, tirés de la Havane.

La capitulation fut signée à Saratoga le 16 Octobre : la nouvelle en parvint à Versailles dans la première semaine de Décembre, & le 16 du même mois, les articles préliminaires furent arrangés : en cette occasion la trame, par une inadvertance légale, laissa percer dans le public une expression remarquable que voici :« Il est manifestement de l'intérêt de la France que la puissance d'Angleterre soit diminuée par sa séparation de l'Amérique ». C'étoit parler le langage de la saine politique. Lorsque l'amour de la liberté a été étalé à la cour de France en grand appareil, il est devenu ridicule à l'excès : nous savons que l'amour de la liberté n'a pas plus d'asyle à la cour de France qu'à la nôtre, mais je me réjouis de voir que la liberté trouvera cet asyle en Amérique contre la persécution de tous les princes de la terre. La conduite de nos ministres, monsieur, a effectué la séparation de l'Amérique : jamais elle ne reviendra d'elle-même, jamais vous ne la[p.285]ramènerez par la force ; si vous l'essayez encore vous attirerez une guerre certaine & immédiate de la part de la France, probablement un peu éloignée de la part de l'Espagne ; les conséquences m'alarment pour mon pays dans l'état d'épuisement où il se trouve. Le premier ministre des finances nous dira-t-il qu'il sait comment se tirer d'affaire, même pour les quatre ou six premières années à venir ?

Je crains même pour notre propre honneur, pour notre sécurité, que l'on dit dans un discours (du roi) demander hautement notre plus sérieuse attention, lorsque je considère notre royaume désolé & désuni ; lorsque je compare son état avec celui de la monarchie Françoise, avec l'esprit actif d'une nation contenant vingt-quatre millions d'hommes unis par l'affection qu'ils portent à un seul souverain. Tant que l'Angleterre a été unie à l'Amérique, elle n'a eu rien à craindre ; lorsque quelques négocians considérables se sont rendus chez le premier lord de l'amirauté, S. S. leur a dit : j'ai assez de vaisseaux, mais je manque d'hommes, pouvez-vous m'en procurer ? Nous n'avons plus de ressources en Amérique. Nous voilà donc privés de ces ressources ; il y a plus, elles sont actuellement dans le bassin opposé de la balance, il faut que ce bassin emporte l'autre : reconnoissez donc[p.286]aujourd'hui l'indépendance de l'Amérique, il est possible que vous la détachiez de la France, que vous contractiez avec elle un traité plus avantageux de commerce & de confédération ; je pense réellement qu'alors vous pourriez éviter une guerre générale.

Depuis l'avènement du roi actuel (Louis XVI) je sais que l'idée principale & l'objet favori de la cour de France ont été de mettre les finances de ce royaume dans un ordre parfait, mais elle ne pouvoit pas négliger le moment favorable d'humilier son ancienne rivale, en profitant de sa contestation avec l'Amérique ; malheureusement la France a réussi, on ne peut ni le dissimuler ni le déguiser. L'Amérique à mon avis est perdue sans ressource ; il lui est indifférent que vous jugiez à propos de reconnoître son indépendance, ou que vous appelliez ses enfans vos sujets, ses provinces vos colonies ; le reste de l'univers rira de vous entendre les appeller ainsi : vous ne pourrez jamais faire exécuter aucun acte de votre législation, excepté dans les endroits où vos armées seront en quartier, & vos flottes en station, la dépense qu'entraîne l'entretien de ces flottes & de ces armées doit nécessairement épuiser votre pays : vous l'avez éprouvé pendant quatre ans, n'ayant a faire qu'à des fermiers & des campagnards indisciplinés,[p.287]vous avez actuellement à combattre des soldats expérimentés : que l'orgueil cède donc aujourd'hui à la prudence, rappellez vos flottes & vos armées, renoncez à une guerre injuste, barbare & destructive, & faites des recherches pour découvrir ceux qui vous ont embarqués dans ce funeste système de politique.

Monsieur, l'honorable membre, qui a secondé l'amendement avec une éloquence rarement égalée, jamais surpassée dans l'enceinte de ces murs, a traité le discours du roi avec une juste indignation, il a dit qu'il étoit faux, il a prouvé qu'il étoit tel, & l'a qualifié de libelle du roi contre le parlement ; il a fait dans ce champ une moisson abondante, & m'a laissé peu à glaner, si ce n'est à l'égard du secours d'armes prétendu donné clandestinement par la France aux Américains ; ces secours, monsieur, n'ont pas été clandestins, ils ont été fréquens, & considérables, & donnés de la manière la plus ouverte à la face de toute la terre. J'ai eu plus d'une fois l'honneur d'informer cette chambre que les arsenaux & les magasins du roi de France, tant sur l'Océan que sur la Méditerranée avoient fourni à des navires Américains armés & à des vaisseaux de guerre de la même nation, du canon, des armes, de la poudre, des boulets, des balles & autres munitions de guerre ;[p.288]j'ai donné dans le tems le nom de ces navires ou vaisseaux avec tous les détails relatifs à ces procédés, étoient-ce là des secours clandestins ?

On a traité beaucoup de sujets divers, comme il arrive ordinairement le premier jour d'une session ; l'honorable membre qui a proposé l'amendement, a saisi l'occasion de peindre de ses vraies couleurs la dernière race de nos rois ; il l'a appellée la maudite race des Stuarts, le fléau de l'Angleterre : j'honore ces principes des Whigs, auxquels je le crois déterminément & sincèrement attaché : personne, monsieur, ne déteste comme moi la mémoire de ces tyrans ; cependant je ne puis me défendre de faire dans ce moment-ci une remarque : tout ce que les Stuarts ont perdu, leur vie, leur couronne, ont été des pertes particulières qu'ils ont supportées seuls ; l'empire restoit entier dans toutes ses parties, il n'y avoit rien de perdu pour nous ; sous le troisième prince de la ligne de Brunswick, l'administration nous a déjà perdu la moitié de la monarchie Britannique, & ce qui nous en reste paroît devoir bien-tôt se réduire à rien : rien parmi nous ne paroît stable que la majorité que les ministres conservent dans cette chambre : sous le règne dernier, de glorieuse mémoire, les limites de l'empire ont été étendues dans toutes les parties du monde, sous les auspices d'un[p.289]souverain également brave, guerrier, humain, héroïque ; aujourd'hui on nous dépouille ignominieusement, non-seulement de quelques-unes de nos acquisitions récentes, mais même de la majeure partie de nos anciennes possessions ; certainement cette chambre étant le siège de l'enquête nationale, il est de notre devoir de faire des recherches sur les causes de cette différence.

L'honorable membre qui a secondé l'amendement, a fait, monsieur, quelques remarques sur ce qui a été récemment publié par les familles de deux nobles comtes il a dit que d'après la lettre du fils (lord Mount Stuard) il étoit clairement prouvé que le père (le comte de Bute) si longtems soupçonné de diriger les affaires de l'état, n'avoit effectivement ni pouvoir ni influence secrette dans les conseils ; l'honorable membre a de plus témoigné qu'il portoit un respect sans bornes & une sorte d'égard de famille au noble comte : j'ai le malheur de différer beaucoup en cela de l'honorable membre : j'abhorre le caractère public du noble lord, non que j'en aie reçu d'offense personnelle, non que je le juge d'après la prévention nationale ; je l'abhorre comme un mauvais ministre ; il a fait la paix honteuse de Paris :

Ex illo fluere, ac retro sublapsa referri Spes Danaum ; fracta vires. Æneid. lib. II. v. 169. (*).

(*) Depuis ce tems, les Grecs virent leurs espérances s'évanouir, & leurs forces s'affoiblir de jour en jour.

[p.290]

Il se vantoit dans une grande assemblée d'avoir fait cette paix, je l'ai entendu déclarer qu'il en faisoit gloire, & qu'il désiroit que l'on mît sur sa tombe cette inscription :Cigit l'homme qui a fait la paix de Paris. Cette expression étoit plus frappante que neuve[36] ; mais souvent l'espèce d'orgueil que l'on attache au crime de la trempe la plus énorme, est la plus enthousiaste de toutes.

Il nous a perdu la Terre-Neuve, a passé l'impôt odieux sur le cidre & le poiré, impôt en vertu duquel l'homme chargé de lever cette taxe a droit de s'ouvrir un accès dans les maisons des particuliers ; il a violé la foi nationale à l'égard du roi de Prusse, s'est rendu coupable d'une profusion scandaleuse de l'argent[p.291]public, en négociant l'emprunt de trois millions & demi sterlings pour l'année 1763 ; a conseillé une proclamation inhumaine au moyen de laquelle il a persécuté les braves Corses, comme je crois qu'il a persécuté depuis les Américains. Tels sont, monsieur, les fondemens de la haine que je lui ai portée ouvertement ; je m'accorde à dire avec un grand homme d'état qui n'est plus (lord Chatham) qu'il a plongé le roi & le royaume dans la ruine : quant à ce qu'on dit que son influence est passée, plût à Dieu, monsieur, que cela fût vrai ! Mais l'héritier de cette noble famille, récemment créé pair Anglois est-il une preuve que cette influence n'existe plus ?

La lieutenance d'un comté considérable, donnée à ce même seigneur, prouve-t-elle que son pouvoir est éteint ? Je ne cite pas d'anecdotes particulières, j'expose des faits publics ; je les tire d'un papier auquel on ne peut s'en rapporter, qu'à l'égard de ces sortes de choses, la gazette de Londres (de la cour) ; j'ai été charmé, monsieur, de voir l'héritier de cette noble famille, créé pair Anglois ; mais j'aurois cru que la réputation sans tache de noble lord, que son mérite intrinsèque & ses qualités aussi solides qu'aimables, lui faisoient plus d'honneur qu'il n'en pouvoit recevoir d'une pairie moderne en Angleterre,[p.292]& j'ai senti en même-tems qu'il ne devoit pas moins cette pairie que la naissance à son père.

Un général brave, mais infortuné, nous presse, monsieur, de rechercher, les causes qui ont fait avorter le succès d'une expédition qu'il commandoit récemment ; il demande une enquête parlementaire ; je suis d'avis qu'elle ait lieu : lors de la clôture de la dernière session, il a formé la même demande ; il a reçu un refus de la part de cette même majorité, à laquelle il présente encore une nouvelle requête : je fais le plus grand cas d'une enquête parlementaire, mais il est encore un tribunal supérieur, celui du peuple qui nous constitue, qui est toujours prêt à faire justice à l'opprimé : qu'il en appelle au peuple, qui le constitue juge de sa conduite & de son honneur dans la cause pendante entre l'administration & lui : il nous observe que le jour d'enquête viendra ; il viendra certainement lorsqu'il jugera à propos de publier les papiers qu'il a fournis aux ministres qui les dérobent à la connoissance du public : ces papiers, suivant la déclaration qu'il en a faite dans cette chambre, sont de la plus haute importance pour l'état, pour le parlement & pour le public.

L'amendement que l'on propose de faire à l'adresse de remerciemens au roi, s'étend plus[p.293]loin encore ; il a pour objet de rechercher les funestes conseils qui ont occasionné le démembrement de cet empire ; la justice de la nation sollicite hautement cette enquête ; en conséquence, ma foible voix sera en faveur de cette mesure sage & nécessaire.

 

Discours du Comte d'Abingdon contre la Proclamation sanguinaire de Sa Majesté concernant ses sujets d'Amérique, & sur-tout contre les Ministres, auteurs de cet horrible manifeste.

 

Du 4 Décembre 1778.

Milords,

La motion faite par mon digne ami, le noble marquis, correspond si parfaitement avec ce que je pense, ce que je sens, que je ne puis me dispenser de me lever pour lui donner du fond de mon cœur, mon approbation & ma concurrence. Milords, cette motion a été faite en conséquence de l'esprit sauvage que respire une proclamation de sa majesté promulguée par les commissaires du roi en Amérique ; je dis, milords, une proclamation de sa majesté, parce que toute promulgation est la proclamation du roi, notre constitution ne connoît point d'autre pouvoir dont elle puisse émaner.[p.294]Mais je détournerai mes yeux de cet horrible manifeste, pour les fixer sur ceux qui en sont les auteurs & qui l'ont conseillé : oui, milords, ceux qui en sont les auteurs, qui avouent eux-mêmes qu'ils l'ont conseillé, en l'avouant sans pudeur, sont dix fois plus coupables puisqu'ils n'en rougissent point ! Ce sont ces conseillers, milords, dont l'infamie personnelle a fouillé le caractère national, & qui lui ont ôté toute sa renommée.

Milords, j'ai entendu dire dans cette chambre que le tomahawk & le scalpel étoient les instrumens que Dieu & la nature ont mis entre les mains des Anglois : d'abord, pour mettre à la torture, en faite pour massacrer nos concitoyens, & pourquoi cela, milords, parce que semblables aux Anglois des anciens tems, semblables à nos aïeux, ils ont refusé de se soumettre à l'esclavage, & ont pensé avec la grandeur d'âme des Romains :« Qu'il vaut mieux mourir glorieusement pour la patrie, que de traîner dans l'esclavage & l'opprobre, une vie misérable[37]. Milords, il est dit dans ce manifeste qu'après avoir fait toutes les tentatives hostiles pour empêcher, que l'Amérique soit libre, on la rendra auparavant inutile[p.295]à elle-même & à ses connexions » :& cette même proclamation, milords, a été faite dans l'enceinte de ces murs ; proclamation révoltante pour mes oreilles, si révoltante, que depuis j'ai honte d'être pair du royaume.

Montaigne a eu raison de dire que l'âme d'un porte-faix & d'un souverain sont jettées dans le même moule. Qu'est-ce donc qui constitue la différence que l'on remarque entre celle d'un roi & d'un porte-faix, entre cette chambre & la dernière classe du peuple ? C'est, milords, cette urbanité, c'est cette civilité supérieure, c'est cette élévation d'âme qui donne de l'énergie à tout ce que nous sentons, & d'où découle comme des sources la compassion pour la foiblesse de la nature humaine, l'habitude de s'abstenir de toute insulte à l'égard de ceux que le hazard a placés au-dessous de nous dans la chaîne de la subordination ; tels sont les sentimens qui ont été recommandés par ce modèle d'humanité, le noble lord, qui a fait la motion avec tant d'habileté, tant de force, & si pathétiquement, qu'il me reste peu de chose à dire après lui…

L'objection faite au Congrès dans ce premier passage, est précisément celle que je me propose de faire au corps législatif de ce pays ;& l'appel fait dans le second aux habitans libres[p.296]de l'Amérique est le même, que je suis dans la résolution de porter devant le corps collectif du peuple Anglois : il n'y a plus rien à espérer du corps législatif de ce pays : si l'on ne trouve point de salut dans le corps collectif de la nation, la constitution de l'Angleterre est anéantie : le corps législatif (ainsi qu'on le reproche au Congrès) a fait ce que la constitution ne l'autorisoit pas à faire ; il s'est arrogé des pouvoirs auxquels il n'avoit point de droit ; il a osé tenter de lever des taxes sans l'aveu & le concours d'aucun représentant ; il a osé dire qu'il a droit d'assujettir dans tous les cas : par cette assertion, il assujettissoit les droits des Anglois à sa volonté, & établissoit une tyrannie sans limites dans un gouvernement limité ; la hiérarchie, qui jusqu'à nos jours étoit dans l'usage de parler du roi comme de l'oint du Seigneur, actuellement transfère l'allégeance de la couronne à l'état, & ceux qui composent cette hiérarchie, pour mieux s'ériger en petits tyrans, retirent la suprématie au roi & l'attribuent au parlement : tout cela, milords, n'est pas la constitution ; que le roi soit roi, & le parlement ce qu'il est ; que la chambre des pairs veille soigneusement à la conservation de ses privilèges, qui sont intimement liés aux droits du peuple ; que celle des communes, qui n'est qu'un assemblage[p.297]d'hommes commis par le peuple pour un tems limité, conserve aussi ses droits, mais ne prétende pas, en concurrence avec les deux autres branches de la législation, à cette toute-puissance qui n'est pas seulement une absurdité morale, mais un mensonge politique. Il faut donc que ce système soit changé, il faut bannir la corruption qui est son principe ; que le roi règne dans les cœurs de son peuple, dans un état libre, il n'y a pas d'autre ressource : grâce à ses ministres, il a régné assez long-tems dans leurs bourses : l'attachement que l'on se procure à prix d'argent, perd plus par l'oppression qu'il ne gagne par la dépense.

Milords, je demande pardon de la chaleur que j'ai marquée dans cette occasion, mais celui que les circonstances où nous vivons n'échauffent pas, ne mérite point le nom d'Anglois, qu'il étoit jadis honorable de porter.

[p.298]

 

Discours de Lord Gower, Président, par lequel il répond sommairement à quelques objections faites par les Membres qui avoient parlé contre la teneur & la tendance du manifeste. Il déclare que l'ayant relu avec attention, il n'y trouve rien d'atroce qui ne soit d'ailleurs conforme à l'usage confiant de désoler & de presser l'ennemi, pour le forcer à demander la paix.

 

Du 7 Décembre 1778.

Avant qu'il fût question du manifeste dans cette chambre, je l'avois lu avec l'attention qu'il est naturel de donner à un papier d'état, & il m'avoit paru conçu en termes aussi convenables, aussi modérés que pouvoit le permettre la situation des commissaires au moment où ils l'ont publié ; ayant été informé depuis de la sensation singulièrement différente qu'il a faite sur l'esprit de quelques personnes, & de l'interprétation rigoureuse que l'on donnoit à quelques-uns de ses passages ; j'ai cru devoir le lire encore, & cette seconde lecture faite dans le calme de la froide réflexion, loin d'apporter le moindre changement dans la première opinion que j'en avois conçue, n'a fait que la[p.299]confirmer ; j'en appelle à quiconque a l'esprit droit : les expressions auxquelles le noble marquis fait allusion, prises dans le sens naturel qu'elles présentent, si on ne leur donne pas une interprétation forcée, indiquent-elles en aucune manière l'adoption d'un système de guerre contraire à l'esprit du christianisme ? N'est-il pas naturel de chercher à désoler l'ennemi ? Ne sait-on pas qu'il n'a lui-même que cet objet en vue, & la guerre n'est-elle pas un état de désolation respectives ? Je demande aux nobles lords s'ils ne pensent pas qu'il eût été très-à-propos de désoler le pays dans une grande étendue aux environs de Boston, lorsque l'on a su que M. d'Estaing alloit mouiller dans ce port avec sa flotte : au surplus, je m'oppose à la motion, parce qu'elle tend à censurer la conduite des commissaires qui, étant absens, ne peuvent pas se défendre, parce qu'elle attache aux expressions employées dans le manifeste, un sens une signification qu'elles ne comportent point, parce qu'enfin l'objet de ce manifeste n'est ni d'aggraver les horreurs de la guerre en encourageant les actes de cruauté, ni de séparer pour jamais l'Amérique de la Mère-contrée, mais de procurer une paix honorable, de réunir l'Amérique à la Grande-Bretagne, & de punir la France de sa perfidie.

[p.300]

 

Discours du Duc de Richmond. Il cite pour preuves l'atrocité de la guerre d'Amérique, niée par Lord Gower l'emploi des sauvages Indiens dans l'Armée Angloise, & l'incendie de plusieurs villes commise par des Généraux Anglois. La continuation de cette guerre ruineuse nécessitera des frais immenses auxquels il n'y a plus moyen de satisfaire. Toutes les ressources sont épuisées. Conduite de la France en opposition. Éloge de M. Necker. Allusion de ce Ministre au premier Lord de la Trésorerie. Le Duc finit par offrir gratuitement ses services à l'État.

 

Du 7 Décembre 1778.

La maxime confiante des ministres est de nier que les mesures qu'ils adoptent soient susceptibles de l'interprétation que leur donnent nécessairement la raison & le sens commun : deux nobles lords (Suffolk & Gower) posent en fait que les expressions désolation & extrêmes de la guerre, ne présentent point du tout le sens que le marquis, mon noble ami, leur attribue. Pour bien apprécier cette assertion, considérons quel a été jusqu'à présent leur système de guerre.[p.301]Nont-ils pas employé les Sauvages ? N'ont-ils pas brûlé les villes de Norfolk& de Charles-Town ? Je ne prétends pas dire que la destruction de cette dernière place n'étoit pas une opération nécessaire, peut-être l'étoit-elle : je n'en parle que pour faire sentir que ces coups de main sont partie du système que les ministres nous disent aujourd'hui être absolument étranger à leurs idées : n'a-t-on pas également vu le général Vaughan remontant la rivière du nord, brûler la ville d'Esopus, & en donner pour raison que c'étoit une nichée de voleurs, excuse pareille à celle que l'on donna pour le meurtre commis à Glenco ! Je ne vois pas dans la chambre le noble lord qui s'est distingué par des faits aussi notables dans son gouvernement de Virginie ; s'il étoit présent, je serois bien aise de lui faire une question ou deux relativement aux Indiens & aux esclaves.

Cette guerre en générai a été caractérisée dès le commencement par tous les actes d'oppression & d'injustice, qui pouvoient rendre le nom des Anglois odieux en Amérique ; il y a deux ans que l'on a publié, par ordre du Congrès, les détails des cruautés exercées en Amérique, par les officiers de sa majesté, & ceux qui servent sous leurs ordres ; la gazette de Leyde avoit essayé d'en donner la traduction par fragmens, mais après en avoir publié une partie, elle y renonça, &[p.302]l'éditeur en donna pour raison que cela souilloit son papier… Que dire des ravages & des rapines que se permet notre soldatesque qui, à l'exemple des Hessois, n'a cessé de piller les pauvres habitans, & de voler tout ce qui lui tomboit sous la main ; tandis que l'armée du général Washington observoit la plus stricte discipline, payoit tout ce qu'elle demandoit pour son usage, par-tout où elle se trouvoit, & donnoit une satisfaction générale à tout ce qui l'environnoit. J'ai reçu récemment une lettre de Jersey, par laquelle on m'apprend que nous n'avons pas un seul ami dans cette province, parce que notre armée y a séjourné, & s'y est conduite si mal, qu'elle a révolté toutes les classes des habitans ! C'est ainsi que tout se conduit : je demande si la nation peut avoir la moindre confiance dans ceux qui, à tous les égards, dans tous les départemens, à tant de diverses reprises, se sont rendus coupables de bévues si grossières : en un mot, ceci est fort, j'ai entendu moi-même sir William Howe, dire en face du secrétaire-d'état au département de l'Amérique, en présence d'une grande assemblée (la chambre des communes) « qu'il étoit impossible que la Grande-Bretagne eût des succès en Amérique, tant qu'il auroit la conduite de la guerre. » Je vous prie, milords, de considérer un instant toute l'étendue, toute la[p.303]signification d'une déclaration pareille : de peser sur-tout l'autorité de celui qui la fait ; l'officier qui parle ainsi n'est rien moins que celui qui, récemment commandoit en chef en Amérique, celui qui, plus que tout autre officier, a été dans la confiance intime de l'administration ! Et cependant c'est ce même secrétaire-d'état qui va continuer de diriger en Amérique une guerre qui coûte déjà trente trois millions sterlings à la nation, qui, chaque année, tant qu'on la continuera, nous coûtera huit ou neuf millions sterlings de plus… Ce que je serois curieux de savoir, c'est où l'on prendra l'argent ? Il me paroît assez notoire, n'en jugeât-on que par la quantité des banqueroutes qui se déclarent tous les jours, que l'argent est si rare que l'on ne peut s'en procurer, à quelque prix que ce soit ; en un mot, je ne vois rien autour de nous qui n'indique un commerce déclinant avec rapidité, un crédit dépérissant à vue d'œil : il n'en est pas de même de la France, je suis fâché de le dire, il s'en faut beaucoup que la France soit réduite à ces extrémités. J'ai vu, ces jours-ci, un édit publié le mois dernier, enregistré au parlement de Paris, & dont la teneur, il faut l'avouer, est d'une nature bien alarmante, je l'ai traduit en Anglois, & je vais en faire la lecture.[p.304]Sa grâce lut alors sa traduction de l'édit du roi, portant création de quatre millions de rentes viagères ; ensuite elle continua ainsi :

Voilà, milords, voilà ce qui s'appelle une opération de finances : voilà un emprunt fait d'après les principes de cet homme véritablement honnête, le docteur Price, qui a démontré que l'emprunt le plus avantageux à celui qui le fait, est en rentes viagères ; il est possible que les lords, de l'autre côté de la chambre (qui ne sont point de l'opposition) allèguent & réussissent à faire croire un instant que cet édit est pure gasconade Françoise, que son objet est de fasciner les yeux des sujets, & d'en imposer aux ennemis par une supercherie : je vous proteste, milords, que cet édit est trop solemnel, trop bien revêtu des formes usitées & authentiques, pour donner lieu au doute le plus léger sur la réalité de son énoncé : au surplus, si l'on vouloit à toute force le regarder comme un étalage affecté d'économie, qui n'existeroit pas : je défie les ministres de France je défie ceux de toutes les nations de la terre, d'égaler en supercheries politiques le premier lord du trésor d'Angleterre : tout le monde sait que ce noble lord se fait une affaire essentielle de payer précisément & exclusivement tout ce dont le paiement ne peut être différé, & de laisser tout le reste en arrière, ensorte que ses[p.305]comptes, au premier coup-d'œil, ont l'apparence de l'honnêteté, quelqu'opposé que puisse être à cette apparence ce qui reste caché derrière le rideau… Quelle différence en France ! J'ai eu l'honneur de dîner avec M. Necker, avant qu'il fût ministre, & depuis ; j'ai trouvé en lui un homme d'un grand sens : en changeant de situation, il n'a rien changé dans sa dépense, &à cet égard, on ne remarque point de différence entre l'homme privé & l'homme public, il n'a pas attelé un cheval de plus à son carrosse, lorsqu'il a été appellé au ministère : on n'a pas servi un plat de plus sur sa table ; en général, son économie & son intégrité sont sans exemple. Je conviens que M. Necker a un noble enthousiasme, & l'esprit plein de son objet, afin de le remplir plus efficacement, qu'il a refusé lui-même les émolumens attachés à sa place : exemple frappant de désintéressement aussi rare qu'utile à l'état qu'il sert ; les avantages que le ministre tire de sa conduite à cet égard, sont infinis : il met un frein à la rapacité des autres, en se trouvant en état de pouvoir leur prouver par son propre exemple, la nécessité de l'économie dans toutes les branches du service public : lord North pourroit-il en faire autant ? Si remarquant que tel intéressé dans les affaires, a des profits trop énormes, il s'avisoit de vouloir les réduire,[p.306]l'intéressé n'auroit-il pas droit de lui répondre ? Vous raisonnez très-bien, je reconnois que ce que vous dites est juste, & pour réduire moi-même mes profits, je n'attends que votre exemple, renoncez aux revenus que vous tirez de vos places diverses, de votre survivance, &c, &c. Je renoncerai sur le champ aux minces avantages que je reçois du gouvernement. Quelle figure seroit le noble lord qui est à la tête du trésor, si on lui faisoit une pareille réponse ! En général, il est tems que l'on songe enfin à former un système d'économie, & c'est au roi qu'il convient d'en donner le premier exemple.

Quant à moi, afin que l'on n'ait pas lieu de m'objecter que je donne à autrui des avis que je ne prendrois pas pour moi-même, je déclare que je suis prêt à servir mon pays sans aucune espèce d'émolumens dans tous les postes ou emplois, auxquels il peut me croire propre ; je suis prêt à me transporter au-delà de l'océan, si l'on me fait envisager que mon voyage puisse procurer la paix ou soustraire la nation à la ruine qui la menace.

[p.307]

 

Discours du Lord Lyttleton. Il ne désespère point de pouvoir subjuguer l'Amérique. Il regarde son traité avec la France, comme une alliance monstrueuse qui n'est pas de nature à se soutenir long-tems. Il ne voit rien d'injuste ni de trop cruel dans la conduite vigoureuse & sévère à laquelle le Roi dans son manifeste se détermine à l'égard des Américains ingrats & pervers. Il rejette le reproche d'atrocité sur l'Amérique même. Il finit par déclarer comme indispensable la résistance la plus ferme.

 

Du 7 Décembre 1778.

On nous dit, on nous répète tous les jours que l'Amérique est perdue pour jamais ; il s'en faut de beaucoup que je voie de même ; je ne m'aveugle point ; je ne regarde pas la chose comme absolument facile, mais enfin je pense que l'on peut encore recouvrer l'Amérique ; j'espère qu'on réussira à lui faire secouer le joug de la France, à lui rendre la liberté & le bonheur que peut seule lui assurer la douce constitution de ce pays : je ne me dissimule pas qu'il existe en Amérique des hommes obstinés & intéressés, que l'avidité du pouvoir rend industrieux dans le choix des[p.308]moyens les plus propres à abuser le malheureux peuple des diverses provinces ; mais, je vous prie, milords, considérez combien est monstrueuse l'alliance que ces hommes pervers s'efforcent de faire goûter à leurs concitoyens : quoi ! des citoyens libres, armés par l'esprit républicain, s'allieroient avec les esclaves d'une monarchie absolue ! Quoi ! l'on verroit des Presbitériens unis avec des papistes ! C'est ce que l'on ne verra pas, c'est du moins ce qui ne peut pas se soutenir ; quelque soit l'aveuglement momentané & volontaire qui empêche pour le moment les fauteurs de cette union, de sentir combien elle est contraire à la politique, à la raison, à la nature, il n'est pas dans l'ordre des choses qu'elle puisse subsister ; les yeux peuvent être fascinés quelque tems, mais le moment arrive où ils recouvrent l'usage de la vue, la folie monstrueuse d'une alliance pareille, ne peut tarder à se faire sentir sur le continent, & c'est dans cette attente infaillible qu'il faut s'empresser d'aller au-devant de ceux des Américains, que cette révolution subite ne manquera pas de nous ramener ; le nombre de ceux qui, s'ils pouvoient compter sur notre appui, ne tarderoient pas à se déclarer pour nous, est déjà très-considérable ; ils n'attendent que le moment où le gouvernement leur fournira l'occasion de manifester hautement le[p.309]vœu de leur cœur, en joignant nos drapeaux.

À l'égard du manifeste des commissaires, il est inconcevable qu'il ait pu être l'objet d'une discussion sérieuse : jamais on n'a forcé d'une manière si affectée le sens naturel des expressions les moins susceptibles d'interprétation désavantageuses je suis très-éloigné de convenir que cette pièce indique le projet de traiter les Américains avec une sévérité particulière ; mais si ce projet existoit en effet, qu'auroit-il de répréhensible ? Qu'y trouveroit-on d'étonnant ? Dans quelle occasion une nation offensée sévira-t-elle contre des sujets rebelles, si ce n'est lorsque la rébellion & l'ingratitude, d'une part, se liguent de l'autre, avec la duplicité & la perfidie ! L'Amérique, l'enfant de la Grande-Bretagne, devient l'alliée de la France, de cette puissance l'ennemie invétérée, l'ennemie éternelle de la Grande-Bretagne & de l'Amérique elle-même, malgré les apparences contraires ! Quel est l'objet de cette ligue de la part de l'Amérique ? S'agit-il des intérêts de son commerce ? Non ! Elle a formé cette alliance, dans la vue infernale de poignarder l'existence politique de la mère-contrée :& cet enfant dénaturé devient un poignard dans la main de la France, contre sa mère. En envisageant les choses sous ce point de vue, est-il un noble lord qui puisse balancer un instant à procurer au gouvernement[p.310]tout ce qui peut seconder les efforts qu'il doit faire pour anéantir cette coupable alliance… On parle des cruautés qui ont été exercées dans le cours de cette guerre ; elles ont été multipliées, sans doute, mais de quelle part ? Ce n'est pas de celle de la Grande-Bretagne, c'est de la part de l'Amérique ? N'est-ce pas elle qui a réduit en cendres la ville de Norfolk ? N'est-ce pas elle qui a fait aux prisonniers le traitement le plus féroce, le plus sauvage ? N'est-ce pas elle enfin qui a donné l'exemple de la cruauté ; s'il est imité, elle ne doit s'en prendre qu'à elle-même. Mais, disent quelques nobles lords, si l'on se livre à ce système, il faut craindre des représailles de la part des François ; eh ! qu'est-ce donc que la guerre, si ce n'est un échange de représailles ? Peut-on s'attendre à autre chose de part & d'autre ? Dans le cours de la guerre dernière, lorsque le grand Chatham étoit à la tête des affaires, on se conduisit précisément de la manière qui paroît aujourd'hui si répréhensible à quelques nobles lords ; ce fut lord Chatham, qui projetta lui-même les expéditions contre le Havre-de-Grace&Rochefort ; ce fut lui qui ravagea les côtes de la France, & qui jetta la désolation dans ceux de ces ports de mer qu'il parut avantageux de désoler : que fit la France ? Incendia-t-elle nos ports de mer ? Non, la raison en est simple, c'est que notre[p.311]flotte les protégeoit… Grâce à Dieu nous sommes encore maîtres des mers, notre marine nous protégera encore : c'est raisonner en pure perte que de parler de représailles ; lorsque l'on est en guerre, il faut faire à notre ennemi tout le mal qui est en notre pouvoir, parce que nous ne pouvons pas douter qu'il ne nous fasse tout celui qu'il pourra ; cet usage est reçu chez toutes les nations policées. Au reste, milords, ce moment est un moment de danger allarmant, mais non pas de découragement ; la France s'est unie à l'Amérique, dans l'espoir de nous anéantir, d'autres puissances peuvent nous être contraires ; ce que nous avons de plus sage à faire, c'est de nous regarder comme abandonnés à nos propres forces, & de développer toutes ces forces avec une vigueur unanime : c'est en prenant ce parti que nous convaincrons la France & l'univers que nous ne manquons ni de ressources ni de courage, & que nous sommes également dans la résolution & en état de punir la rébellion & la perfidie.

[p.312]

 

Réponse de Lord Stormont, à qui l'on demandoit « s'il avoit eu connoissance des intentions de la France à l'égard de l'Amérique, avant que le Marquis de Noailles eut présenté le rescrit de sa Cour ». Il avoue qu'il connoissoit depuis long-tems le traité avec l'Amérique, mentionné dans ce rescrit ; mais que la France le couvroit du prétexte des intérêts de son Commerce, & que ce traité illusoire étoit indépendant d'un autre traité tenu secret, dont l'objet étoit de couper les ailes à la Grande-Bretagne.

 

Du 7 Décembre 1778.

Quoique je ne sois pas médiocrement surpris de voir que le noble duc, qui lui-même a rempli les postes élevés de l'état, oublie qu'un ambassadeur fait toujours serment de garder le secret le plus inviolable sur toutes les affaires relatives à sa mission, ou qui peuvent parvenir à sa connoissance ; cependant, je ne puis garder un silence qui pourroit autoriser quantité d'imputations injustes &de faux rapports faits contre moi, en ma qualité de dernier ambassadeur à la cour de France : je sais que je ne suis pas dans l'obligation de répondre ni au noble duc, ni à aucun de[p.313]vous, milords, mais comme la question qui m'est faite, tient purement à un fait historique, comme il ne s'agit que d'une affaire de notoriété, j'y répondrai.

Oui, j'ai été instruit des desseins de la France à l'égard de l'Amérique, long-tems avant que l'ambassadeur de France eût délivré le rescrit de sa cour à l'un des secrétaires d'état de sa majesté ; il étoit de mon devoir de faire l'impossible, pour démêler les intentions de cette puissance, & découvrir les plans qu'elle pouvoit former, autant qu'ils pourroient avoir rapport aux intérêts de la Grande-Bretagne ; j'ai rempli ce devoir. Long-tems avant que le traité fût notifié formellement à Londres, j'étois parfaitement convaincu qu'il étoit terminé, & j'en ai fait immédiatement part aux ministres de sa majesté ; ayant pris sur moi de donner cet éclaircissement à la chambre, je puis faire un pas de plus : la question que le noble duc ma faite, porte entièrement sur le traité ostensible conclu entre la France & l'Amérique : est-il possible que sa grâce soit si peu informée de cette affaire, qu'elle prenne l'ombre pour la réalité ? Sa grâce pense-t-elle que le traité que la France avoue, & qu'elle couvre du prétexte spécieux des intérêts de son commerce, soit l'unique traité que cette puissance a conclu avec l'Amérique ? Cela m'étonne : l'opposition[p.314]en général est toujours mieux informée que ne paroît l'être le noble duc ; elle prend des peines infinies, & dépense des sommes considérables, pour recevoir de la France les premiers avis possibles ; cependant, dans cette circonstance, elle a été trompée de la manière la plus absurde.

J'apprendrai donc au noble duc que le traité dont la France a fait mention dans son rescrit, étoit purement illusoire, que son objet étoit de couvrir les desseins profonds que cette puissance a formés contre la Grande-Bretagne, & qu'elle espère de pouvoir mettre en exécution avec l'assistance de l'Amérique : la France a voulu donner à sa conduite le prétexte des intérêts de son commerce, qui exigeoient qu'elle conclut le traité qu'elle a notifié, mais elle en a fait un autre qui intéresse infiniment plus ce pays ; celui-ci est fondé sur l'intention de couper les ailes à la Grande-Bretagne, & de l'empêcher de prendre son essor vers ces régions supérieures, où elle est parvenue dans le cours de la dernière guerre, & qui l'ont rendue la gloire du monde, ainsi que l'objet de son envie.

Si quelqu'un de vous, milords, pouvoit encore avoir le moindre doute sur la nature & la profondeur de ces desseins, je l'invite à réfléchir un instant sur les ordres donnés au comte d'Estaing & au sieur Gérard. Quelle a été la conduite du[p.315]comte d'Estaing, lorsqu'il est arrivé sur les côtes de l'Amérique ?& qu'a fait le sieur Gérard, au moment où il est entré dans Philadelphie ? Il a dit au Congrès, qu'il arrivoit pour lui donner du secours contre l'ennemi commun ;& afin que l'objet de sa mission fût plus intelligible, il s'est servi des expressions Angloises qui reviennent à celles d'ennemi commun, il a dit, the common enemy. Dans le fait, il est évident qu'en s'unissant à l'Amérique, la France n'a eu en vue que la destruction de la Grande-Bretagne, ou du moins, l'espoir de la ranger dans la classe des états du second ordre, d'en faire une petite souveraineté dépendante, & méprisable : je ne doute point qu'en rédigeant leurs traités, la France & l'Amérique se regardant déjà comme maîtresses de la Grande-Bretagne & de ses possessions, elles n'aient fait entr'elles le partage de leurs dépouilles, selon leur convenance respective.

[p.316]

 

Courte Invective de Lord Shelburne, contre tous les Ministres sans exception, dont se plaignent dans leurs différens postes toutes les personnes qu'ils ont employées. Il avertit le Vicomte de Weymouth qui venoit d'entreprendre leur apologie, de se préparer lui-même, à l'enquête prochaine.

 

Du 7 Décembre 1778.

Je suis convaincu que sans exception tous les ministres sont à blâmer. Toutes les personnes qu'ils ont employées dans tous les postes divers, se sont acquittées de leur devoir, & toutes se réunissent à se plaindre de la conduite de l'administration ; les généraux se sont plaints, les amiraux se sont plaints, voilà les ambassadeurs qui se plaignent : le noble lord vient de nous prouver, d'une manière également claire & droite, qu'il a fait son devoir, & que les ministres ont négligé de profiter de l'information qu'il leur a donnée. Le noble vicomte (de Weymouth) a essayé de les défendre, mais je présume qu'une pareille défense ne seroit admissible dans aucune cour de justice ;& si, lorsque le jour d'enquête, ce jour indispensable, qui ne peut être différé, si, dis-je, lorsque ce jour viendra, le noble vicomte[p.317]n'en a pas de meilleure à faire pour lui-même, tout ce que je puis dire, c'est que je plains sincèrement son fort.

 

Discours de M. Burke, contre la guerre d'Amérique. II soutient qu'on ne sauroit empêcher son indépendance, ni jamais recouvrer ce vaste pays. Supériorité de finances, de sagesse & de ressources de la France ; qui n'a fait que ce quelle devoit faire, en s'unissant aux Américains. Il finit par approuver une levée de troupes plus considérable encore que celle qui venoit d'être votée, pourvu qu'elles soient employées ailleurs qu'en Amérique.

 

Du 11 Décembre 1778.

Si l'on ne cherche qu'à flatter les désirs de la chambre & de la nation, tout cela s'appelle parler à merveille ; on est sûr de plaire un instant, lorsqu'on parle aux passions le langage qui leur est propre ; mais il me semble qu'il vaudroit mieux parler au bon sens & à la raison ; c'est ce que je vais essayer : tant que l'on entretiendra les Anglois de leur magnanimité, de leur courage, encore une fois, on est sûr de leur plaire ; mais ne craint-on pas d'éblouir leur sens, de tromper[p.318]leur entendement ? Quant à moi, tant qu'il ne me sera point démontré que surchargés de trente millions sterlings de dettes occasionnées par la guerre de l'Amérique, nous sommes plus riches que nous ne l'étions avant que cette guerre nous coûtât un schelling : tant que je ne serai pas convaincu qu'avec des forces épuisées, nous ferons la guerre avec plus de succès que nous ne l'avons faite avec des armées fraîches, nombreuses, & plus belles que tout ce qu'on a vu d'armées en aucun tems, en aucun pays, je ne conviendrai pas qu'il soit avantageux pour nous d'adopter dans ce moment-ci le système qui nous a exposés à tant de dangers, je ne conviendrai pas qu'il soit expédient de continuer la guerre en Amérique, où nous avons vu successivement avorter tous nos projets de conquête ; où nous avons épuisé en pure perte des sommes immenses, où nous avons enfin sacrifié nos forces nationales. Quelques étendues que puissent être nos ressources, le moyen certain de les épuiser est de les envoyer à la poursuite d'un projet que l'expérience devroit dès long-tems nous avoir démontré être impraticable.

Une chose qui m'étonne, c'est d'entendre discuter sérieusement la question qui consiste à savoir si l'on reconnoîtra ou non l'indépendance de l'Amérique : on traite cette question comme[p.319]si elle étoit en effet soumise à notre décision, il semble que ce soit une affaire de choix : eh ! point du tout, c'est une affaire de pure nécessité ; je ne puis la voir autrement, & c'est parce que je la vois ainsi que je ne conçois rien de mieux à faire pour la Grande-Bretagne, que de reconnoître immédiatement cette indépendance ;& en vérité, si je suis pénétré de cette nécessité, du moins je ne dois pas être soupçonné de la voir d'un œil d'indifférence : je déclare que la première fois que j'entendis dire que les états Américains prétendoient à l'indépendance, je me sentis blessé au cœur, mon âme fut douloureusement frappée ; parce que je sentis à l'instant que cette prétention étoit funeste à la Grande-Bretagne, qui ne pourroit jamais en empêcher l'effet ; non, jamais. Voilà donc une partie perdue ; mais lorsqu'un joueur a perdu beaucoup d'argent, pour peu qu'il ait de prudence, il conserve ce qui lui en reste : telle est précisément notre situation ; ce que nous avons perdu est considérable, sans doute, mais l'existence même de notre empire, est plus précieuse encore, & c'est ce que nous avons la folie de risquer.

Tandis que j'en suis à remarquer les opinions que l'on hasarde dans cette chambre, je ne puis me refuser à quelques réflexions sur ce qui est échappé à un honorable membre (le gouverneur[p.320]Johnston) relativement à ce qu'il appelle la folie de donner les mains à l'indépendance de l'Amérique, & aux moyens plus que suffisans qu'il prétend nous rester de vaincre & de recouvrer ce vaste pays : l'honorable membre a dit que la majeure partie des Américains étoit dans le fond du cœur portée pour la Grande-Bretagne ; qu'elle ne formoit de vœux que celui de pouvoir déclarer ouvertement, & sans danger, ses sentimens de loyauté, & de rentrer dans l'allégeance : l'honorable membre a poussé l'assertion plus loin, il a dit que l'élection des membres du Congrès n'avoit pas été faite par le choix unanime du peuple de l'Amérique, qu'ils ne devoient leur nomination qu'à la force, & que leur tyrannie étoit insupportable ; il a ajouté que lorsqu'il avoit été question de voter l'indépendance, la majorité qui l'avoit déterminée n'étoit que d'une ou de deux voix ; qu'enfin, dans la province de Pensylvanie, où il a résidé lui-même, il nous connoît trente mille amis : si les choses sont ainsi, comment est-il donc arrivé qu'ayant à Philadelphie une armée de dix-huit mille hommes, la plus belle armée que l'on ait jamais vu, prête à protéger les trente mille provinciaux qui nous vouloient tant de bien ? Comment, dis-je, est-il arrivé que ces trente mille amis n'ont pas saisi cette occasion de prouver leur loyauté à la Grande-Bretagne, [p.321]& de méconnoître l'autorité des six cent tyrans qui composent le monstre appellé le Congrès ? Ce monstre qui les tenoit dans un état d'oppression si insupportable ! Si ces trente mille amis n'ont pas osé se soustraire au pouvoir usurpé du Congrès, tandis qu'ils avoient un appui si puissant à leur portée ; est-il probable qu'ils aient songé à en faire la démarche, lorsque cet appui s'est éloigné d'eux ? À tout prendre, il ne me paroît pas que le fond que nous pouvons faire sur l'affection de l'Amérique, puisse entrer pour beaucoup dans les motifs de cette confiance extrême qui éclate aujourd'hui parmi nous : cherchons donc ailleurs ces motifs : considérons quel est l'état actuel de la Grande-Bretagne, quelle est l'étendue de ses ressources effectives ? L'esprit entreprenant & le courage sont sans doute d'une grande ressource aux champs de Mars, mais ce sont de mauvais conseillers dans le cabinet, où le premier objet de l'homme d'état doit être de considérer d'un œil calme les ressorts qui doivent tout faire agir, & les ressources de la finance. Il est d'une politique dangereuse d'émouvoir les passions d'un peuple, dont les ressources déclinent visiblement : dans le fait, pour encourager aux grandes entreprises, je ne vois que deux choses, beaucoup d'hommes & beaucoup d'argent. Ces deux espèces s'épuisent : depuis le commencement[p.322]de cette guerre, nous avons dépensé trente millions sterlings : cette même guerre exigera neuf millions de plus cette année ; où les prendre ? Quelle différence entre la situation de la France & la nôtre à l'égard des finances !

Ici M. Burke, imitant ce qu'avoit fait le duc de Richmond dans la chambre des pairs, lut l'édit du roi de France, portant création de quatre millions de rentes viagères, ensuite il continua ainsi :

Par cet édit seul il est démontré que la France, pour mettre sa marine sur un pied respectable, n'a eu besoin que de dix-huit cent mille livres sterlings (équivalent à quarante millions tournois), qu'elle a pu lever cette somme avec facilité, sans être réduite à la nécessité de créer aucun impôt : non-seulement la France a l'avantage sur nous à l'égard des finances, non-seulement ses ressources dans ce genre sont supérieures aux nôtres, mais un autre avantage, sans lequel l'emploi n'est rien, c'est la sagesse de l'emploi, c'est l'usage qu'elle fait faire de ses ressources. On parle beaucoup de ses torts à notre égard, de sa perfidie, &c. Je ne sais si l'histoire nous trompe, mais il me semble que dans tous les tems, chez tous les peuples, on a constamment vu, constamment trouvé naturel que des sujets révoltés recherchassent l'alliance de la puissance[p.323]qu'ils savoient être la plus ennemie de celle à l'autorité de laquelle ils s'étoient soustraits ; l'histoire du moins nous fournit une infinité d'exemples de cette espèce ;& sans sortir de chez nous, nous voyons que la Grande-Bretagne a fait tout ce qui étoit en son pouvoir, pour empêcher que les Pays-Bas ne passassent sous la domination de la France, & pour en assurer la souveraineté à la maison d'Autriche : je ne vois donc rien que de très-naturel dans l'union de la France & de l'Amérique ;& je ne conçois pas comment une certaine classe d'hommes a pu se permettre la foiblesse de déclamer hautement contre ce que l'on appelle perfidie, d'une part, & ingratitude de l'autre : c'est ne pas vouloir considérer que l'Amérique n'a recherché cette alliance qu'après qu'elle s'est vue forcée à déclarer son indépendance, & que la France ne s'est prêtée à ses avances que lorsqu'elle a vu que les effors que faisoit la Grande-Bretagne, pour recouvrer ses Colonies, étoient décidément vains : ce qui m'eût beaucoup étonné, c'eût été de voir que la France eût refusé les offres avantageuses que lui faisoit l'Amérique : mais en trouvant la conduite de la France, que l'on ne peut pas plus naturelle, je ne prétends pas cependant insinuer qu'elle n'est point[p.324]hostile à notre égard ; nous devons certainement regarder cette puissance comme étant notre ennemie, & la traiter comme telle ; en conséquence, je ne puis trop recommander à l'administration de prendre contr'elle les mesures les plus formidables : votons une armée plus considérable encore que celle qui a été votée par l'honorable membre ; si toutefois on peut trouver des hommes, mais employons-la par-tout ailleurs qu'en Amérique.

[p.325]

 

Discours de Lord Nugent, dans lequel il engage le parti de l'opposition à étouffer toute animosité, à cesser toute querelle, Il recommande une résistance courageuse à l'égard des François, & il veut qu'il ne soit parlé d'enquête que pour savoir qui se sera le plus couvert de gloire.

 

Du 11 Décembre 1778.

Eh ! Messieurs, on se plaint de ce qu'un conseil de guerre a été ordonné, l'on en demande deux ; c'est multiplier les embarras, c'est porter des coups redoublés au service ! À quoi bon des conseils de guerre contre nos ennemis ? Ce n'est pas de cela que nous avons besoin, c'est de bons officiers : que ceux dont il s'agit se rendent à bord de leurs vaisseaux, qu'ils se mettent en mer, & battent les François, voilà le moyen d'étouffer les animosités des partis ; c'est alors qu'il sera permis de faire des enquêtes pour savoir qui s'est le plus couvert de gloire ; les François ont publié une infinité de gasconnades sur l'affaire du 27 Juillet ; ils ont dit à diverses reprises que l'honneur de la journée leur appartenoit. Ils mentoient en parlant ainsi, ils mentoient de la manière la plus révoltante, les[p.326]événement l'ont prouvé ;& pour achever de les en convaincre, il ne nous manque que de voir revivre l'unanimité parmi nos officiers : croyez-moi, messieurs, étouffons toute animosité, & que nos querelles particulières se perdent dans l'excès de notre zèle pour la cause publique.

 

Réplique de Lord North à la motion faite dans la séance précédente, à l'effet de supplier Sa Majesté de vouloir bien enjoindre à ses serviteurs de confiance, de prendre les moyens de conciliation, & de concerter les mesures les plus propres à opérer le rétablissement de la paix entre l' Amérique & la Grande-Bretagne. Il soutient que le Roi & ses serviteurs ne désirent rien tant que cette paix, mais que les propositions n'en peuvent & n'en doivent venir que des Américains.

 

Du 15 Juin 1779.

Rien de si désirable sans contredit qu'une réconciliation avec l'Amérique, pourvu qu'elle puisse s'effectuer sans compromettre l'honneur de ce pays : il est à croire qu'il n'est pas un sujet de l'empire Britannique qui ne désire ardemment cette réconciliation ; on ne peut douter[p.327]que le Roi vu la bienveillance naturelle de son cœur, ne soupire après le moment où elle pourra être effectuée : quant à ses serviteurs, à tous les égards, & par toutes sortes de raisons, ils doivent regarder cet événement comme le plus heureux possible pour le royaume, il est donc inutile de faire des motions à l'effet de faire naître en eux ce désir ou de les forcer à adopter des vues qui ne peuvent être que les leurs : si ces messieurs veulent seulement réfléchir un instant sur la situation dans la quelle nous nous trouvons à l'égard de l'Amérique, ils verront queles serviteurs du roi ne peuvent rien jusqu'à ce que l'Amérique elle-même ait fait quelques démarches tendantes au rétablissement de la paix : lorsque les commissaires du roi se sont adressés l'été dernier au Congrès, quelle a été sa réponse ? Que le Congrès n'entreroit en négociation avec l'Angleterre, que lorsqu'en forme de préliminaire elle auroit reconnu l'indépendance des états Américains, ou retiréses flottes & sesarmées : voilà tout ce qu'on a pu tirer du Congrès : c'est donc ce corps qui actuellement doit & peut seul faire des démarches relatives au rétablissement de la paix : s'il fait les moindres avances, il n'est pas douteux que les serviteurs du roi ne les encouragent & ne[p.328]fassent tout ce qui sera en leur pouvoir pour conduire la négociation à une issue heureuse & honorable.

 

Discours de félicitation prononcé après le Te Deum par le Chapelain du Ministre Plénipotentiaire à Philadelphie de S. M. T. Chr. dans la Chapelle de cette Excellence, où s'étoient rendus le Président du Congrès & le Conseil de cet État, pour y célébrer l'Anniversaire de la liberté Américaine.

 

Du 4 Juillet 1779.

Messieurs,

Nous sommes assemblés pour célébrer l'anniversaire de ce jour, que la providence a marqué dans ses décrets éternels pour devenir l'époque de la liberté & de l'indépendance des treize États-Unis de l'Amérique ; cet Être dont la main toute-puissante dispose à son gré de tous les empires, se plaît dans la profondeur de sa sagesse à produire ces grands événemens qui étonnent l'univers, & dont les hommes les plus présomptueux, quoique servant d'instrumens à leur accomplissement, n'osent s'attribuer le mérite ! Mais le[p.329]doigt de Dieu est encore plus particulièrement marqué dans la révolution glorieuse & fortunée qui a changé ce jour en un jour de fête : il a frappé les oppresseurs d'un peuple libre & paisible, de cet esprit d'illusion qui rend l'homme pervers l'artisan de ses propres malheurs : permettez-moi, mes frères bien aimés, citoyens des États-Unis, de vous féliciter dans cette grande circonstance.

C'est ce Dieu, ce Dieu tout-puissant qui a dirigé vos pas, lorsque vous ne saviez à qui vous adresser pour prendre des conseils ; qui, lorsque vous étiez sans armes, a combattu pour vous, armé de l'épée de la justice éternelle ; qui, lorsque vous étiez dans l'adversité, a versé dans vos cœurs l'esprit de courage, de sagesse & de fermeté ; qui, enfin a suscité pour votre appui un jeune souverain, dont les vertus sont l'ornement & le bonheur d'une nation sensible, fidelle & généreuse.

Cette nation a confondu ses idées avec vos intérêts, ses sentimens avec les vôtres ; elle participe à toutes vos joies, & unit aujourd'hui sa voix à la vôtre au pied des autels de l'Éternel, pour célébrer la révolution glorieuse qui a placé les fils de l'Amérique parmi les nations libres & indépendantes de la terre.[p.330]Nous n'avons plus rien à craindre que la colère du ciel, ou que la mesure de nos offenses excède la mesure de sa miséricorde : prosternons-nous donc aux pieds du Dieu immortel qui porte dans sa main les destins des empires, qui les élève à son gré, ou les réduit en poussière : conjurons-le d'éclairer nos ennemis, de disposer leurs cœurs à jouir de cette tranquillité, de ce bonheur que la révolution que nous célébrons aujourd'hui a dispensés à une portion considérable du globe : implorons-le, afin qu'il nous conduise par la voie que sa providence a marquée pour nous faire arriver à une fin désirable : offrons-lui des cœurs pénétrés des sentimens du respect, consacrés par la religion, par l'humanité & le patriotisme : l'auguste ministère de ses autels n'est jamais plus agréable à sa majesté divine, que lorsqu'il porte à ses pieds des hommages, des offrandes & des vœux si dignes du père commun du genre humain !

Dieu ne rejettera point notre joie, car il en est l'auteur ; il ne rejettera point nos prières, car elles ne demandent que le parfait accomplissement des décrets qu'il a manifestés : remplis de cet esprit, élevons de concert nos cœurs vers l'Éternel : implorons sa bonté infinie, afin qu'il, lui plaise inspirer aux chefs des deux nations, la sagesse & la force nécessaires à la perfection[p.331]de ce qu'il a commencé : en un mot, unissons nos voix pour le supplier de répandre ses bénédictions sur les conseils & sur les armes des alliés, afin que nous puissions jouir promptement des douceurs d'une paix qui cimente l'union & assure la prospérité des deux empires. C'est dans cette vue que nous ferons chanter le cantique que l'Église Catholique a consacré à être à la fois un témoignage de la joie publique, une action de grâces pour les bienfaits reçus du ciel, & une prière pour la continuation de ses miséricordes.

[p.332]

 

Pétition des Négocians de la Jamaïque, présentée par le Marquis de Rockingham, à l'effet de prouver le danger imminent où cette île avoit été exposée par la négligence impardonnable du Ministre. Le Marquis appuie cette pétition d'une lettre du Général Dalling à Lord Cornwallis, par laquelle il lui demandoit avec instance des renforts considérables.

 

Du 21 Février 1780.

Cette pétition, milords, est actuellement entre mes mains, & la voici ; comme elle sera appuyée de toutes les preuves nécessaires, je la regarde comme propre à produire un meilleur effet que toute espèce de motion que j'eusse pu faire : je me borne donc à demander qu'elle soit admise & déposée sur la table, jusqu'à ce qu'elle puisse être prise en considération : en attendant, milords, je vous préviens qu'elle tend à prouver incontestablement que l'île de la Jamaïque n'a pas été protégée : qu'elle n'a dû son salut qu'au hazard, qui a voulu que les François tournassent leurs armes d'un autre côté ;& que si le comte d'Estaing eut jugé à propos de l'attaquer, il l'eut infailliblement emportée.[p.333]Pour prouver cette assertion, le marquis lut en partie une lettre du général Dalling à lord Cornwallis, en date du 13 Août dernier, dans laquelle il déclaroit positivement qu'il s'attendoit journellement à être attaqué par le comte d'Estaing, & qu'à moins qu'on ne lui fit passer avec toute la célérité possible, des renforts considérables, il n'étoit pas possible qu'il espérât même de pouvoir se défendre avec le peu de forces qu'il avoit à ses ordres. Cette preuve est-elle complette, continua le marquis ? Et pour constater la négligence coupable du ministre, en peut-on désirer de plus décisive ? Je demande en même tems s'il étoit possible que cette négligence s'étendît sur un objet qui demandât davantage toute l'attention du ministère ? Jamais l'empire Britannique n'a été exposé à un danger d'une importance égale dans ses suites : si le comte d'Estaing eut fait complettement prisonnière l'armée qui défendoit Savannach, il ne nous eut pas à beaucoup près porté un coup aussi funeste que s'il nous eut enlevé la Jamaïque ; car dans ce dernier cas, c'en étoit fait du crédit national : dans le premier, je n'eusse vu qu'une petite armée sacrifiée à notre démence ; eh ! plût à Dieu que le revers ou la raison eut chassé ou retiré du continent tout ce que nous y entretenons de troupes en[p.334]pure perte ! Combien je serois satisfait, si j'en voyois une partie quelconque de retour en Angleterre : cette évacuation totale établiroit enfin l'indépendance des Colonies, & il en résulteroit le seul bien que nous puissions espérer dans les circonstances présentes : du moment où l'Amérique seroit décidément indépendante, elle sentiroit qu'il est de la saine politique & de son intérêt d'empêcher l'annihilation de la Grande-Bretagne, & elle ne manqueroit pas de faire tout ce qui seroit en son pouvoir pour empêcher que la maison de Bourbon n'acquît le degré de puissance que lui assureroit l'acquisition d'une île aussi importante que la Jamaïque. La négligence du ministre est donc impardonnable en tout sens, à tous les égards ! Elle consiste essentiellement, dans la légèreté, dans l'inattention totale avec laquelle il a traité toutes les pétitions, tous les mémoires qui lui ont été présentés par le conseil & par les habitans de l'île : dès 1773 il a été représenté au ministère qu'il ne restoit dans l'île que les débris de deux régimens, montant à environ cinq cent hommes : les supplians demandoient que ces deux corps fussent complettés & remis sur le pied de mille hommes chacun, qu'on leur fit passer un troisième régiment de mille hommes, du canon, des munitions, des approvisionnemens de toute espèce,[p.335]& que l'on réparât leurs fortifications. Loin d'avoir eu égard à cette demande, on leur a ôté l'un des deux régimens qu'ils avoient, on l'a fait passer en Amérique : on les a laissés en proie à leurs Nègres, qui, comme on l'avoit prévu, se sont soulevés quand ils n'ont plus vu autour d'eux les forces nécessaires pour les contenir. Depuis cette époque, les mémoires se sont succédés sans effet, ou du moins sans produire l'effet désiré : le capitaine Dalrymple y a été envoyé avec cinq cent hommes, on y a fait passer aussi les Bleus de Liverpool : en sorte que dans toute l'île de la Jamaïque, il peut y avoir actuellement douze cent cinquante hommes : or, en 1773, en tems de paix, les habitans regardoient que pour leur sûreté domestique seule, ils avoient besoin de deux ou trois mille hommes.

[p.336]

 

Réponse du Ministre, Lord Sandwich, à l'accusation précédente. C'est d'après la lettre du Général Dalling, qu'il a été envoyé un secours de cinq mille hommes à la Jamaïque ; & s'ils n'y ont point débarqué, c'est qu'on apprit à New-Yorck que le danger étoit dissipé. Il finit par se déclarer disposé à rendre compte de sa conduite à l'égard de la Jamaïque dès qu'on en viendra à l'examen de la pétition.

 

Du 21 Février 1780.

Je suis pénétré autant qu'on peut l'être de l'importance dont est pour nous la Jamaïque : je la regarde comme le bras droit de la Grande-Bretagne, comme la plus précieuse de toutes nos possessions détachées :& considérée comme telle, elle m'a toujours paru mériter une grande partie de l'attention du gouvernement : aussi, suis-je fort tranquille à l'égard de toute enquête dont elle pourroit être l'objet : je suis convaincu dans ma conscience qu'autant qu'il est au pouvoir d'un ministre seul, j'ai fait tout ce qui étoit de mon devoir : mais si la chambre juge à propos d'entamer l'examen de la pétition au moment même, je suis prêt à répondre[p.337]à toutes les aliénions qu'elle contient : je commence par nier la première, qui suppose que la Jamaïque n'a pas été protégée, qu'elle a été livrée au hazard ; je soutiens qu'autant que les autres branches du service l'ont permis on a particulièrement veillé au salut de cette île : le noble marquis en lisant une partie de la lettre du général Dalling à lord Cornwallis, n'a pas fait mention de l'effet qu'a produit cette lettre : au moyen de cette suppression, le public pourroit supposer que l'on n'y a pas eu égard, & le public se tromperoit ; à peine a-t-elle été reçue, que lord Cornwallis a reçu l'ordre de s'embarquer avec cinq mille hommes d'élite, & de faire voile immédiatement pour la Jamaïque avec cinq vaisseaux de ligne ; l'embarquement a été effectué, & la flotte alloit appareiller, lorsque l'on a appris à New-York que le danger étoit dissipé, & que le comte d'Estaing avoit quitté ces mers ; il étoit naturel que les troupes fussent désembarquées, & qu'on les employât à d'autres services ; au reste, encore une fois, lorsque l'on en viendra à l'examen de la pétition, je rendrai compte à la chambre de ma conduite à l'égard de la Jamaïque.

[p.338]

 

Réplique du Marquis de Rockingham à celle de Lord Sandwich. Il rétorque contre ce Ministre lui-même la preuve de l'envoi de cinq mille hommes, en prouvant que ce secours n'a été envoyé que trente-trois jours après la lettre du Général Dalling. Il déclare que sa pétition se borne à constater que la Jamaïque étoit sans défense le 13 Août, à la veille d'être attaquée, & que c’est à cela que le Ministre doit répondre.

 

Du 21 Février 1780.

Il est un peu fort d'employer contre moi l'argument que je regardois comme le plus victorieux, lorsque je l'employerois moi-même pour prouver combien pouvoient être funestes les effets de la négligence du ministre Je n'ai pas fait mention de ce qui a été fait immédiatement après la réception de la lettre du général Dalling ! Assurément, mon intention n'étoit pas de me taire à cet égard, & j'avois à la main la réponse de lord Cornwallis à cette lettre : j'en lirai aussi une partie à la chambre ; elle est datée de New-York le 16 Septembre ; elle porte que S. S. a reçu ordre de s'embarquer avec[p.339]cinq mille hommes, qu'elle espère que l'armement sera en état d'appareiller dans sept ou huit jours, Or, la lettre du gouverneur Dalling étoit du 13 Août : elle disoit positivement, qu'il attendoit dans ce moment-là même une attaque immédiate de la part du comte d'Estaing ; c'est trente-trois jours après que lord Cornwallis écrit, que dans sept à huit jours il espère mettre à la voile pour porter du secours à une île qui étoit en danger depuis cinq semaines ! Il est probable que si l'attaque n'eut eu lieu même qu'au commencement de Septembre, en supposant que l'armement n'eut essuyé aucun accident dans sa traversée, il fut arrivé un mois trop tard : au reste la pétition se borne à constater que le 13 Août, dans un moment où la Jamaïque se voyoit à la veille d'être attaquée, elle étoit sans défense ? Pourquoi étoit-elle sans défense ? C'est à cette question seule que le noble lord doit répondre.

[p.340]

 

Motion du Comte de Sandwich, tendante à ce qu'il soit fait un vœu de remercimens à l'Amiral Rodney, qui à la suite d'un seul combat avoit pris ou détruit plus de vaisseaux ennemis qu'il n'en avoit été pris ou détruit dans les deux dernières guerres.

 

Du 1 Mars 1780.

La motion que j'ai à faire, n'exige point de préambule : n'ayant point d'opposition à prévoir, il seroit superflu de chercher à préparer des esprits unanimement disposés à me seconder, il s'agit d'un vœu de remercimens pour l'amiral Rodney : il n'est aucun de vous milords, qui ignore jusqu'à quel point il les a mérités : aussi fortuné que judicieux & brave, l'amiral Rodney a attaqué, pris ou détruit, à la suite d'un seul combat un plus grand nombre de vaisseaux ennemis qu'il n'en a été pris ou détruit dans le cours des deux dernières guerres ; j'ai dit fortuné, parce que tout pénétré, que je suis du mérite de l'amiral, je suis persuadé qu'il est actuellement plusieurs officiers au service de sa majesté, qui, avec autant de zèle, autant de bravoure, autant d'habileté, n'ont jamais eu le[p.341]bonheur d'en donner de si éclatantes preuves, faute d'occasion :& je ne voudrois pas qu'en comparant les succès de l'amiral Rodney aux leurs, ils puisent s'offenser de la comparaison : entre plusieurs braves officiers, la fortune s'est plu à dispenser à l'un ce qu'elle a refusé à d'autres qui méritoient également ses faveurs.

 

Discours du Marquis de Rockingham, dans lequel il appuie la motion précédente. Il voudroit qu'on ne se bornât pas à un vœu de remercimens, qu'on remédiât au mauvais état de sa fortune, & que le Roi lui accordât la place vacante depuis long-tems de Lieutenant-Général des troupes de la Marine.

 

Du 1 Mars 1780.

Je ne me lève que pour la forme, une motion si universellement agréable n'a pas besoin d'être secondée. Mais quelqu'honorables que soient pour sir George les remercimens de cette chambre, il me semble que le mauvais état de la fortune assez généralement connu, exigeroit que l'on fît pour cet officier quelque chose[p.342]de plus ; en général il a été négligé[38], & si le bruit public est fondé, il paroît que nous devons les services qu'il nous a rendus aux recommandations de l'amitié, plutôt qu'à la pénétration & au choix du ministre ? Quoi qu'il en soit, mon intention n'est pas de suggérer au roi ce qu'il est convenable & décent de faire, je respecte trop la prérogative royale pour proposer même une adresse à cet effet : mais il seroit à souhaiter que pour récompenser, comme il le mérite, un si digne officier, on saisit l'occasion qui se présente ; il y a long-tems que la place de lieutenant général des troupes de la marine est vacante, il seroit difficile d'en disposer d'une manière plus agréable à la nation[39].

[p.343]

 

Discours du Général Conway, dans lequel avant de proposer un Bill à l'effet d'appaiser les troubles entre la Grande-Bretagne & l'Amérique, il rappelle à la Chambre l'injustice & les désavantages de cette guerre désastreuse à laquelle la Nation avoit été incitée sur-tout par les Évêques. Tandis qu'il luit un rayon d'espoir de pouvoir la faire cesser, nécessité de profiter de cet avantage, puis de tourner toutes les forces Britanniques contre la Maison de Bourbon.

 

Du 6 Mai 1780.

Deux puissants motifs m'ont porté à entreprendre la rédaction de ce bill : la nécessité indispensable dans laquelle nous nous trouvons de faire la paix avec l'Amérique : les dispositions favorables dans lesquelles je suppose les Américains.

Pour bien définir la nature de l'horrible guerre à laquelle je propose de mettre un terme, il faut remonter à son origine : je la trouve dans ce comité de ténèbres, qui s'assembla, il y a treize ans dans cette chambre tenue à minuit : dans cette troupe de noirs conspirateurs qui tramèrent dans leur conciliabule la perte de[p.344]l'empire Britannique, germe de tous les revers, de tous les maux, de tous les affronts dont l'Angleterre & l'Amérique ont gémi depuis l'instant fatal où ce comité insensé conçut l'extravagante idée de tirer un revenu des Colonies, en taxant des sujets dans une chambre où ils n'avoient point de représentans : grâces au ciel, je n'ai point de reproches à me faire ! je m'opposai dans le tems à cette horrible mesure, j'en prédis les suites funestes :& j'ai la douleur de voir toutes mes prédictions accomplies : de faux pas en faux pas, d'erreurs en erreurs, nous sommes arrivés au bord du précipice, au fond duquel nous nous sentons invinciblement entraînés par le poids de nos dettes.

Dès que le mot indépendance, parti de l'Amérique, a retenti dans cette chambre, on a cherché à persuader, à prouver que les Américains n'avoient originairement eu que cette indépendance en vue ; cependant les événemens ont démontré que rien n'étoit plus éloigné de leur idée : lorsque je m'exprime ainsi, je parle des Américains en général ; je ne prétends pas insinuer qu'il ne s'est pas trouvé parmi eux quelques hommes d'un rang inférieur, qui ont cru entrevoir leur intérêt personnel dans l'indépendance de leur pays ; dans de si vastes contrées, il est impossible qu'il ne se soit pas[p.345]trouvé des insensés de cette espèce, & je serois plus absurde, plus insensé que les plus insensés d'entr'eux, si je pouvois en douter un instant ; mais, encore une fois, la masse de la nation ne tendoit point à l'indépendance. Lorsqu'on eut forcé ce peuple paisible à une juste résistance, que se passa-t-il ici ? Nos jurisconsultes nous frayèrent le chemin de l'erreur, on ne se demanda pas comment l'on pouvoit s'y prendre pour étouffer ses troubles naissants ? des hommes graves, distingués par les talens les plus éminens, par les places les plus imposantes, parlèrent de conquête, & de soumission : le Rubicon est passé, disoit-on, l'épée est tirée ; si vous ne les tuez pas, ils vous tueront. Les jurisconsultes furent puissamment secondés par les révérends ministres d'une religion qui enseigne la paix, & recommande l'amour fraternel ; la robe & la mître de concert nous animant aux massacres, nous nous plongeâmes dans des fleuves de sang, répandant la terreur, la dévaluation & la mort sur le continent entier de l'Amérique ;nous épuisant chez nous d'hommes & d'argent, déshonorant à jamais nos annales, nous devînmes des objets d'horreur aux yeux de l'Europe indignée ! Et c'étoient nos révérends prélats qui conduisoient la danse, que l'on peut appeller, à juste titre, la danse[p.346]de mort ! Ces révérends prélats ont un terrible compte à rendre à Dieu, & aux hommes. Les évêques ont ouvert sur eux les yeux de la nation, qui les a justement nommés la partie pourrie de la constitution : telle est l'horrible guerre que nous soutenons depuis trois ans ; quels ont été ses horribles fruits ? Une nouvelle guerre plus ruineuse à soutenir contre les deux branches de la maison de Bourbon, nous voilà donc écrasés sous le fardeau d'une dette immense ; en guerre avec l'Amérique, en guerre avec la France ; en guerre avec l'Espagne, sans avoir un seul allié, pas une seule puissance pour amie ! Au contraire, voyant distinctement, à n'en pouvoir douter, que toutes les puissances étrangères agissent, directement ou indirectement d'une manière absolument contraire à nos intérêts, pour ne pas dire, d'une manière hostile : il n'y a pas jusqu'aux petits habitans de Lubeck, de Dantzick, d'Hambourg, qui ne soient contre nous ! Ce n'est pas tout, ce qui est bien pire encore, nous voyons le Hollande, notre alliée naturelle, opposée à nos intérêts, nous refusant le plus léger secours ; dans ce moment nous sommes exactement le daim marqué pour la chasse, détourné par le limier du troupeau qui nous abandonne.

Si notre situation est affreuse, il ne faut pas[p.347]croire que les Américains reposent sur des lits de rose, il s'en faut assurément de beaucoup ;& c'est précisément du sein de leurs détresses que part le rayon d'espoir qui, selon moi, nous luit aujourd'hui : nous les avons forcés à contracter une alliance avec la France, cette alliance n'étoit pas naturelle : la nature, l'habitude, l'idiome, la religion, tout conspire à élever une barrière entre la France & l'Amérique, tout tend à resserrer entre l'Amérique & l'Angleterre les liens naturels qui unissoient ces contrées jadis fortunées : les Américains n'ont pas trouvé dans leur grand & bon allié, l'ami qu'ils cherchoient en lui : ils ont une aversion naturelle pour le titre seul de roi : ils préfèrent les institutions républicaines à la monarchie absolue : ils sont surchargés d'une dette immense, dont la France n'a pas paru empressée d'alléger pour eux le fardeau : leur papier monnoie est parvenu à un tel point d'avilissement, qu'ils ont donné jusqu'à quarante dollars en papier pour un dollar en argent, valant quatre schelling & demi : la plupart d'entr'eux gémissent sous la tyrannie de ceux qui se sont emparés du pouvoir, & désirent ardemment la restauration de l'ancienne forme de gouvernement : leurs troupes, mal payées, plus mal vêtues encore, ont été réduites à de si affreuses extrémités, que l'été dernier,[p.348]dans le cours d'une marche pénible, elles se sont vues réduites à la ration d'une poignée de pois par jour : au reste leurs alliés en savent autant que nous sur ce point. Un François distingué par ses talens, envoyé il y a quelques années par sa cour en Amérique, pour y observer les dispositions du peuple, l'état des choses, &c, dans une lettre qu'il a écrite du lieu de sa destination, se sert de ces expressions remarquables :« On trouveroit dans un café de Paris beaucoup plus d'enthousiasme pour la cause de la liberté, que l'on n'en trouveroit dans aucune partie de l'Amérique ». Profitons de ces circonstances : mettons un terme à la guerre d'Amérique, afin de réunir plus efficacement tous nos efforts contre la maison de Bourbon : je ne crois pas qu'elle se trouve bien de la guerre : la France n'y a pas gagné, l'Espagne y a considérablement perdu : portons-leur, à l'une & à l'autre des coups plus décisifs : nous ne le pouvons qu'en faisant la paix avec l'Amérique, nous ne pouvons obtenir cette paix qu'en offrant des moyens raisonnables de conciliation. J'ai mûrement examiné tout ce qui a pu avoir déjà été proposé, je me suis rapproché autant qu'il a été possible du plan de conciliation tracé par le comte de Chatham : je pourrois même dire que je l'ai[p.349]pris pour modèle, mais je m'en suis écarté dans le point le plus décisif : le bill du comte de Chatham avoit pour fondement la condition expresse que l'Amérique reconnoîtroit la souveraineté de la Grande-Bretagne, & que chaque assemblée founiroit à la masse du revenu public sa quotepart : certainement, si l'on s'avisoit de faire aujourd'hui à l'Amérique une proportion pareille, elle nous riroit au nez & traiteroit ceux qui oseroient la leur faire, aussi lestement qu'elle a traité les commissaires qui l'ont visitée en 1778. Le grand objet de mon bill, est qu'il soit fait quelque chose de certain & de propre à convaincre l'Amérique de la sincérité des vues dans lesquelles nous l'invitons à entrer avec sa majesté dans quelque convention conciliatoire, en un mot le titre de mon bill en est l'analyse.

« Bill à l'effet d'appaiser les troubles qui ont subsisté pendant quelque tems entre la Grande-Bretagne, & l'Amérique, & aux fins d'autoriser sa majesté à envoyer des commissaires munis de pleins-pouvoirs pour traiter avec l'Amérique ».

[p.350]

 

Proclamation contre les sujets rebelles & obstinés de Sa Majesté, publiée par sir Henri Clinton, Général des troupes de Sa Majesté dans les Colonies situées sur l'Océan Atlantique depuis la Nouvelle Écosse jusqu'à la Floride Occidentale inclusivement.

 

Du 22 Mai 1780.

De par son excellence, sir Henri Clinton, chevalier du très-honorable ordre du Bain, général & commandant en chef de toutes les troupes de sa majesté dans l'étendue des colonies si tuées sur l'océan Atlantique, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu'à la Floride-Occidentale inclusivement.

Attendu que nonobstant les offres gracieuses qui ont été faites de recevoir sous la protection & la paix de sa majesté, en leur accordant un entier pardon & oubli de leurs offenses passées, tous les sujets séduits & trompés de sadite majesté qui voudroient rentrer dans leur devoir & sous l'obéissance des loix, il se trouve encore quelques hommes pervers & forcenés qui insensibles aux malheurs qui vont fondre sur leur pays, tâchent d'entretenir le feu de la révolte,[p.351]& qui, sous prétexte de l'autorité émanée d'une législation usurpée, font tous leurs efforts, en condamnant à des amendes exorbitantes, à des emprisonnemens oppressifs & à des châtimens sanguinaires, les sujets fidèles de sa majesté, pour les forcer contre leur gré à s'opposer, les armes à la main, à son autorité & à son gouvernement ; il est devenu indispensable, tant pour la protection desdits fidèles sujets que pour rétablir la paix & le bon ordre, d'arrêter le cours de ces crimes énormes par des exemples de terreur ; j'ai, en conséquence, jugé bon de publier la présente proclamation, déclarant qu'à commencer de ce jour, s'il se trouve une personne en armes pour s'opposer au rétablissement du gouvernement de sa majesté, ou tâchant, sous quelque prétexte ou autorité que ce puisse être de forcer aucun particulier à le faire, ou essayant d'intimider ou d'empêcher les sujets fidèles & loyaux de sa majesté de se joindre à son armée ou de remplir aucun des devoirs que leur prescrit leur allégeance, le contrevenant sera traité avec la sévérité que mérite une obstination aussi marquée & aussi criminelle ;& l'on se saisira par provision de tous ses biens, lesquels seront déclarés confisqués :& aux fins d'encourager les sujets fidèles & paisibles de sa majesté, je les assure de nouveau qu'ils peuvent[p.352]compter sur une protection & des secours efficaces ;& que dès que l'état de ce pays permettra le rétablissement du gouvernement civil & de la paix, ils seront réintégrés dans l'entière jouissance de leur liberté & de leurs biens, tels qu'ils les possédoient sous le gouvernement Britannique. Afin d'accélérer plus promptement cet événement, je somme toutes personnes quelconques, & je leur commande au nom de sa majesté d'aider & d'assister ses troupes, toutes les fois qu'elles en seront requises, pour extirper la rébellion, & par-là rendre à ce pays, à présent divisé & malheureux, la paix & la prospérité.

Donné sous notre seing manuel, au quartier-général à Charles-Town, ce 22 jour de Mai 1780.

[p.353]

 

Adresse au nom & d'après une résolution de la Convention (assemblée), envoyée circulairement aux premiers des différentes villes & aux assesseurs des différentes plantations de Massachusetts-Bay, en leur adressant le nouveau plan de Gouvernement de cet État. Cette Adresse leur expose les motifs qui ont dirigé, & les moyens dont se sont servis les auteurs de la nouvelle Législation. On la leur soumet entièrement pour la corriger & l'améliorer, autant qu'ils le croiront nécessaire. On trouve dans cette Adresse un précis exact des parties principales qui composent le système de la nouvelle Constitution.

 

Du 16 Juin 1780.

Amis et Concitoyens,

Conformément à vos ordres & à vos instructions, nous nous sommes chargés de la tâche difficile de préparer une constitution civile pour le peuple de Massachusetts-Bay ! nous la soumettons actuellement à votre considération : il est de votre intérêt de la revoir avec le plus grand soin, la plus grande circonspection ;&[p.354]votre droit indubitable est d'y faire les changemens & amendemens que vous jugerez convenables, ou de lui donner votre sanction dans la forme actuelle, ou enfin de la rejetter totalement.

Lorsqu'il s'agit de former une constitution qui doit être adaptée, autant qu'il est possible, aux circonstances dans lesquelles peut se trouver une postérité qui n'est pas née encore, vous trouverez qu'il doit être extrêmement difficile, peut-être impraticable de réussir dans toutes ses parties, de manière à satisfaire également tout le monde ; s'il eut été possible d'assembler le corps entier du peuple pour cet objet, on eût remarqué de même qu'il est impossible de compter sur l'unanimité parfaite de sentimens.

Dans cette affaire universellement intéressante, nous avons tâché de nous conduire comme il convenoit aux représentans d'un peuple sage, éclairé & libre, & comme nous sommes fondés à croire que vous vous fussiez conduits vous-mêmes. Nous nous sommes communiqués les uns aux autres nos sentimens avec candeur ; nous nous sommes mutuellement faits les concessions compatibles avec la plus grande utilité du plan, qui, d'après la mûre délibération de notre jugement nous a paru être le seul que nous puissions vous offrir à présent. L'intérêt de la société[p.355]est commun à tous ses membres ; le grand point est de découvrir en quoi cet intérêt consiste : lorsqu'il s'agit de déterminer cette question, on peut tirer beaucoup d'avantages de la variété de sentimens soumis sur ce sujet à la considération du public ; mais les hommes sages ne tiennent point obstinément à leurs opinions, ils sont toujours prêts à peser avec égard celles des autres hommes ; leur âme est sans cesse ouverte à la conviction. Dans le cas actuel, par exemple, en nous prêtant mutuellement à des idées qui ne sont pas précisément les nôtres, en nous relâchant sur celles que nous chérissons le plus, mais qui ne sont pas de première importance ; en un mot, en rapportant tout aux principes essentiels, aux considérations de l'utilité générale, le plan que nous vous offrons peut acquérir de la solidité ; mais sans cette condescendance réciproque dans tout ce qui n'est pas important, nous pouvons presque prédire que nous ne réussirons pas de sitôt ; que peut-être nous ne réussirons jamais à former une constitution digne d'un peuple qui a fait de si nobles efforts pour obtenir la liberté & l'indépendance : permettez-nous à ce sujet de vous faire part de nos inquiétudes ; nous craignons qu'il ne se trouve parmi nous quelques personnes mal disposées pour cette[p.356]grande cause, objet de nos efforts ; quelques personnes secrètement instruites par notre ennemi commun dans l'art de nous diviser, espérant empêcher que notre union n'acquière de la solidité, sous n'importe quelle forme de gouvernement, & nous priver ainsi, à la fois, & du plus honorable témoignage & du plus haut degré de sûreté que puisse jamais avoir notre liberté & notre indépendance : s'il existe parmi nous des hommes de cette espèce, la sagesse veut qu'on les fasse connoître, & que l'on prenne des mesures contre leurs sinistres projets.

Nous ne devons pas nous attendre à déterminer un système de gouvernement parfait : cela n'est pas dans l'apanage de l'homme : la grande fin du gouvernement est de produire le bien suprême de la société humaine : toutes les affections sociales dans ce moment doivent donc être intéressées à l'acte de former un gouvernement, & au jugement que l'on en peut porter quand il est formé : ne seroit-il donc pas prudent pour les individus, dans tous les cas où leur conscience n'est pas intéressée, de fermer les yeux sur les objets de peu de conséquence, & de se réunir à une majorité évidente ? Un sacrifice pareil fait en faveur de l'union, démontreroit puissamment l'affection publique :& cette union fortifiée par toutes les sensations sociales,[p.357]promettroit d'une part, une plus grande fiabilité dans la constitution, de l'autre un plus haut degré de bonheur pour la société. Ici il faut se rappeller qu'à l'expiration de quinze années, il pourra se former une autre convention à l'effet d'introduire dans le plan qu'on vous présente aujourd'hui, les amendemens que l'expérience, (la meilleure source d'instructions) marquera alors, comme étant convenables ou nécessaires.

Un gouvernement qui n'auroit pas le pouvoir de développer ses ressorts, seroit tout au plus un machine inutile ; il est probable que faute d'énergie, il ne tarderoit pas de perdre jusqu'à l'apparence de gouvernement, & de tomber dans l'anarchie : si l'on ne donne pas une juste proportion de poids à chacun des pouvoirs du gouvernement, la confusion s'emparera du tout, si le poids d'une de ses parties l'emportoit sur les autres, l'équilibre seroit détruit, la dissolution, la ruine du gouvernement seroit inévitable, d'un autre côté, un pouvoir qui n'est restreint par rien, est un pouvoir tyrannique ; il faut donc établir l'équilibre entre les pouvoirs du gouvernement : or établir cet équilibre avec exactitude demande l'habileté la plus consommée dans l'architecture politique : ceux qui doivent être appellés à l'administration doivent[p.358]être revêtus des pouvoirs nécessaires pour les rendre utiles dans leurs places respectives, & à chaque branche de ces pouvoirs, on doit attacher des conditions restrictives capables d'empêcher qu'elle ne devienne formidable ou nuisible à la chose publique : si nous avons eu le bonheur de réunir dans ce point de la plus grande importance, nous nous estimerons complètement heureux d'avoir pu jetter de bons fondemens pour plusieurs générations ; c'est à vous, amis & concitoyens, qu'il appartient de juger jusqu'à quel point nous avons réussi, & de décider si nous avons élevé notre édifice, conformément à la déclaration que nous avons faite de notre projet, sur les principes d'une république libre.

Pour vous aider à former ce jugement, nous avons cru nécessaire de vous expliquer brièvement les fondemens & les motifs sur lesquels nous avons formé notre plan. Dans le troisième article de la déclaration des droits, nous avons pourvu avec toute la précision dont nous étions, capables, à l'exercice libre des droits de la conscience : nous sentons parfaitement bien que nos constituans attachent à ces droits un prix infiniment supérieur à tous les autres ;& nous nous flattons qu'en considérant les mœurs, & le culte public que l'on rend à Dieu comme important[p.359]au bonheur de la société, nous avons suffisamment pourvu à ce que les droits de la conscience ne pussent jamais être violés. Cet objet a occasionné de longs débats, a pris du tems en proportion de son importance, & nous nous estimons singulièrement heureux de pouvoir vous informer que, quoique cette grande question ait été discutée par des personnes de communions diverses, elle a été décidée à la fin avec beaucoup plus d'unanimité qu'il n'en règne ordinairement dans les discussions de cette nature : nous désirons que vous examiniez cet objet avec l'attention & la candeur qu'il mérite : ce seroit certainement insulter le peuple de Massachusetts-Bay, que de tenter de le convaincre, que l'honneur & le bonheur d'un peuple dépendent de ses mœurs, & que le culte public que l'on rend à Dieu, tend à inculquer les principes qui constituent les bonnes mœurs, ainsi qu'à empêcher qu'un peuple ne se lasse du bonheur d'être civilisé, & ne tombe dans un état de barbarie sauvage.

Dans la forme de gouvernement que l'on vous présente, vous ne trouverez que les départemens absolument nécessaires au libre & plein exercice de ses pouvoirs ; la chambre des représentans est destinée à représenter les personnes ; le sénat, à représenter la propriété[p.360]de la république : ces deux chambres doivent être choisies annuellement, & siéger en corps séparés, chacune d'elles pouvant prononcer négativement sur les procédés de l'autre ; ce pouvoir négatif est toujours nécessaire, parce que tous corps d'hommes assemblés dans la même vue, unis par l'intérêt commun, attachés au rang, aux honneurs, à la fortune, sont sujets comme le simple individu à se laisser séduire par la prévention ; ces deux chambres sont revêtues des pouvoirs de la législation, & doivent être choisies par les habitans mâles qui ont atteint l'âge de vingt-un ans & ont, ou le revenu modique de trois livres sterlings par an, ou un principal de soixante livres sterlings, de quelque nature qu'il puisse être : vos délégués ont considéré que les personnes âgées de vingt-un ans & qui n'ont aucune propriété ne peuvent être que celles qui vivent d'une partie de la fortune paternelle, qui en attendent la possession, & commencent à entrer dans les affaires du monde, ou bien celles dont l'oisiveté & la vie déréglée ne permettront jamais qu'ils acquièrent aucune propriété : or, nous soumettons à la décision de la première classe la question qui consiste à savoir si les personnes qui la composent, ne doivent pas regarder comme étant de leur intérêt de suspendre pour quelque[p.361]tems, le droit de voter pour l'élection de leurs représentans, plutôt que de voir dans la suite leurs privilèges exposés à être contestés par des hommes qui auront d'autant moins d'égards pour les droits de la propriété, qu'ils n'ont rien à perdre.

Nous pensons que le pouvoir de revoir tout bill, ou toute résolution qui auroit passé dans les deux chambres, & d'y faire des objections, doit être placé entre les mains d'une seule personne, non-seulement peur empêcher que les loix ne paroissent tenir à aucun système, & ne pèchent par l'inexactitude, mais encore pour établir un juste équilibre entre les trois pouvoirs principaux du gouvernement. Les pouvoirs législatif, judiciaire, & exécutif, existent naturellement dans tout gouvernement ;& l'histoire de l'aggrandissemen :& de la décadence des empires du monde, nous fournit amplement la preuve que lorsque le même homme ou le même corps d'hommes fait, interprète & exécute les loix, la propriété devient trop précaire pour être d'aucun prix, & le peuple finit par être entraîné par le torrent de corruption qui jaillit de l'union de ces pouvoirs. Le gouverneur est authentiquement le représentant du peuple entier. Il n'est pas choisi par une seule ville, par un seul comté, mais par le peuple[p.362]en général, nous avons cru en conséquence que le plus sûr étoit de déposer ce pouvoir entre ses mains ;& comme la sûreté de la chose publique demande que quelqu'un soit commandant en chef des forces de l'état, nous avons attribué ce commandement au gouverneur, par la raison qui nous la fait envisager, comme étant la seule personne à qui l'ont pût confier le pouvoir de revoir les bills, & les résolutions de l'assemblée générale : mais lorsque le peuple jugera à propos, il peut choisir ses officiers.

Vous observerez que nous avons arrêté que la représentation devoit être fondée sur les principes de l'égalité : il ne faut pas entendre pour cela que chaque ville de la république aura un poids & une importance proportionnés au nombre de ses habitans, à la masse de leur propriété : une représentation exacte seroit impraticable, même dans un système de gouvernement tiré de l'état de nature : elle l'est à plus forte raison, dans un état déjà divisé en près de trois cent corporations ; mais nous sommes convenus que chaque ville ayant cent cinquante perches de territoire taillable, aura droit de fournir un membre :& pour empêcher que les grandes villes ne tirent avantage du nombre de leurs habitans, nous sommes convenus aussi qu'aucune ville ne fournira deux membres,[p.363]à moins qu'elle n'ait trois cent soixante-quinze perches de territoire taillable : enfin, les villes qui seront plus considérables encore, fourniront un membre pour chaque deux cent vingt-cinq perches de territoire taillable qu'elles auront en sus de trois cent soixante-quinze ; cette manière de calculer donnera une représentation plus exacte qu'aucune autre qui se soit présentée à notre idée, lorsqu'elle sera appliquée à toutes les villes de l'état.

Nous nous sommes cependant écartés de cette règle, en admettant les petites villes actuellement incorporées au droit d'envoyer des membres ; mais dans très peu de tems il n'y en aura guère qui, vu l'accroissement continuel de la population, ne se trouvent en état de fournir un membre conformément au plan tracé ci-dessus : le peu de celles qui probablement n'auront jamais le nombre fixé, ont jusqu'à présent joui de ce privilège, & y renonceroient difficilement aujourd'hui.

Pour empêcher que le gouverneur n'abuse du pouvoir qu'il est nécessaire de mettre en ses mains, nous avons pourvu à ce qu'il ait un conseil qui, en tout tems & dans toutes les occasions importantes, l'aidera de ses avis : c'est de l'avis de ce conseil qu'il nommera les officiers civils : vos délégués sont déterminés unanimement[p.364]à établir ce règlement, qui sera sans doute approuvé de leurs constituans ; car si les officiers destinés à interpréter les loix & à les mettre en exécution dévoient être choisis par le peuple, ils se trouveroient toujours dépendans de quelques hommes ambitieux & intéressés, qui exerceroient leur influence pour obtenir le plus grand nombre de votes : s'ils devoient être choisis par les chambres ou par l'une d'elles, le nombre des personnes qui les choisiroient seroit trop considérable pour qu'on pût leur demander compte de leur conduite, lorsqu'elles auroient mis en place des hommes foibles ou méchans ; d'ailleurs, la chambre est destinée à remplir les fonctions de censeur, d'inquisiteur d'état, à dénoncer les officiers qui se conduiroient mal ; le sénat doit décider si ces dénonciations sont fondées ou non : il ne seroit donc pas convenable que les officiers civils fussent créés par des chambres dont l'une peut les dénoncer, l'autre les casser ; nous pensons en conséquence, qu'il n'est pas possible de mieux faire que de revêtir le gouverneur de ce pouvoir, parce qu'il est, comme nous l'avons déjà observé, le représentant complet du peuple entier, sujet en tout tems à être dénoncé par la chambre au sénat, à raison de mauvaise administration. Nous observerons ici qu'il est nécessaire que tous[p.365]les pouvoirs que nous avons attribués au gouverneur soient confiés à un seul homme reconnu comme commandant en chef, & premier magistrat, parce que personne n'y a de plus justes titres que celui qui réunit annuellement les suffrages de la république entière : vous concevrez aisément qu'il est nécessaire à votre propre sûreté que vos juges exercent leurs emplois aussi long-tems qu'ils se conduiront bien ; car des hommes qui occuperoient ces places à des titres aussi précaires que le seroit une élection annuelle ou fréquente, ne s'appliqueroient jamais avec l'assiduité nécessaire aux études qu'exigent ces places, pour être occupées avec dignité ; des juges doivent se sentir en tout tems indépendans & libres.

Vos délégués ont pourvu de plus, à ce que le département de la judicature suprême, au moyen d'émolumens amples & fixes, soit en état de se dévouer entièrement aux devoirs de ces places importantes, & par cette raison, ainsi que dans la vue de séparer ce département des autres, ils ont exclu les juges du corps législatif : lorsque nos constituans considéreront que le sort de leur vie & de leur propriété doit être finalement décidé dans cette cour, nous croyons qu'ils approuveront universellement cette mesure. Les juges chargés de la[p.366]vérification des testamens & ceux des autres officiers dont la présence est toujours nécessaire dans leurs comtés respectifs, sont également exclus.

Nous avons considéré les inconvéniens que l'on nous a dit résulter de ce que dans chaque comté il n'y a qu'un juge chargé de la vérification des testamens ; mais comme créer ou réformer des cours de justice est du ressort de la législation ; nous avons laissé au corps législatif, que vous formerez, le soin de faire à cet égard les changemens que les circonstances pourront rendre nécessaires.

Vos délégués ne se sont pas cru revêtus du pouvoir de donner à une communion de Chrétiens la presséance sur une autre, car la religion doit être en tout tems une affaire entre Dieu & les individus ; cependant nous nous sommes vus dans la nécessité de pourvoir, par un serment solemnel, à ce que les personnes qui refuseroient d'abjurer les principes de jurisdiction spirituelle que les Catholiques Romains ont soutenus dans quelques pays, & qui tendent à la subversion d'un gouvernement libre, établi par le peuple, soient exclues de toutes les places. Nous trouvons qu'il est nécessaire de continuer les anciennes loix & formes de procédures jusqu'à ce qu'il existe un corps législatif pour les[p.367]changer ; car autrement, les titres de possession deviendroient précaires, les procès se multiplieroient ;& l'on verroit régner une confusion universelle. De plus, dans la crainte que faute d'administration, de la justice civile, la république ne tombe dans l'anarchie, nous avons proposé de continuer en exercice, les magistrats & officiers actuels, jusqu'à ce qu'on en ait nommé d'autres.

C'est ainsi que nous vous exposons avec simplicité & sincérité les motifs sur lesquels nous avons fondé les parties principales du système qu'on vous présente, & sur-tout ceux qui nous ont paru demander plus particulièrement des éclaircissemens : nous supplions très-humblement l'Être suprême, qui dans sa grandeur dispose de tous les événemens, de permettre que nous & notre postérité puissions jouir long-tems des bénédictions qui émanent d'un gouvernement libre & bien organisé.

[p.368]

 

Adresse du Conseil suprême exécutif de Pensylvanie aux habitans de cet État. Cette Adresse, éloquente & énergique leur rappelle d'abord leurs efforts incroyables dans la guerre la plus difficile & la plus désespérée, couronnée cependant jusqu'ici par la Providence, des succès les plus heureux & les plus inattendus. Elle leur demande ensuite, pour venir à bout de terminer cette guerre à leur avantage, de nouveaux efforts & une nouvelle vigueur, sur-tout la plus grande union. Cette Adresse est terminée par le tableau touchant & pathétique des douceurs de la paix & de la liberté dont les Pensylvaniens sont à la veille de jouir.

 

Du 7 Août 1780.

Amis et Concitoyens,

Lorsque nous prîmes la résolution de résister aux usurpations tyranniques de la Grande-Bretagne, & de la combattre comme ennemie, plutôt que de nous soumettre à sa domination illégale, le genre-humain contempla notre fermeté avec un étonnement mêlé d'admiration ;& rendant hommage à la justice de notre cause,[p.369]ainsi qu'à l'intrépidité avec laquelle nous la soutenions, il trembla pour l'issue ! D'un côté la Grande-Bretagne, parvenue au faîte de la gloire, maîtresse de l'océan, puissante par ses armes, liée par l'amitié ou par des traités avec toutes les nations de l'Europe ; de l'autre, l'Amérique sans ami, dont elle pût recevoir des conseils, sans alliés dont elle attendît du secours, sans expérience dans les armes, dénuée de fonds, de ressources : telle étoit l'inégalité qui se trouvoit entre les deux nations, elle parut si grande, que l'espoir de jouir long-tems des douceurs de la liberté, joint à la considération qui fait braver la mort, lorsqu'on la compare à l'esclavage, pouvoit seul justifier le parti que nous prîmes : nous recommandant à celui qui régie l'univers, & remplis de confiance dans la bonté de notre cause, nous nous déterminâmes à en appeller aux armes : il s'agissoit de combattre pour la liberté : à sa voix, nous bravâmes les difficultés, les dangers, nous eûmes la noble audace de compter pour rien la disparité des forces, & nous prîmes la résolution de soutenir notre cause, ou de succomber en la défendant : l'amour de la liberté & d'un gouvernement égal, nous inspira cette résolution ; en effet, succomber en combattant pour une cause si glorieuse, étoit une fin digne des hommes libres, qui se portoient à cette noble[p.370]extrémité : c'étoit ensuite à celui qui dirige les conseils des humains, qu'il appartenoit de récompenser pleinement cet effort généreux.

À cette époque, notre ambition eût été satisfaite, si nous eussions obtenu le redressement de nos griefs & la révocation de quelques actes du parlement, qui nous donnoient de l'ombrage : mais les décrets de l'Éternel nous appelloient à la gloire & à l'empire ; sa volonté étoit de nous tirer de l'humble état de dépendance qui nous asservissoit à une île éloignée de l'Atlantique, pour nous assigner un rang parmi les nations : sous la conduite de sa main toute-puissante, & sa direction immédiate, nous avons au-delà de ce que nous avions pu espérer de plus flatteur, au-delà de l'incroyable, humilié la nation la plus orgueilleuse de l'Europe ; mais pour mettre à jamais un terme à son insolence, à son pouvoir, à ses cruautés, il nous faut nécessairement faire encore quelques efforts vigoureux.

Le tems est arrivé où une paix honorable doit être le vœu le plus ardent de quiconque est ami du bonheur & du genre-humain ; la guerre a été conduite de la part de l'ennemi, de manière à convaincre ses adhérens, les plus obstinés, que quiconque se propose de résider en Amérique, doit concourir à maintenir son indépendance ; mais, pour parvenir à ces fins désirables, il faut[p.371]commencer par purger ces états de l'ennemi, on nous a souvent amusé de la perspective d'une paix prochaine ; les commotions survenues en Irlande, les comités d'association formés en Angleterre, & les sentimens favorables qu'entretiennent pour nous les puissances de l'Europe, nous ont été présentés comme autant de présages précurseurs de cet heureux événement ; mais il devroit être gravé dans le cœur de tout Américain, que l'orgueil, l'entêtement & l'esprit vindicatif de la puissance, à laquelle nous avons à faire, ne nous accorderont jamais une paix qui mérite d'être acceptée, tant qu'elle pourra se conserver un seul poste dans notre pays, ou l'ombre d'une armée parmi nous : la fureur de dominer, l'espoir de semer la division, les faux avis qu'elle reçoit de ceux qui sont mal intentionnés pour nous, la rapacité de ses troupes, la détermineront à chercher encore des renforts, & à tenter du moins de prolonger la guerre. Voulons-nous la forcer à la paix, comme la poussière dissipons ses armées de dessus la surface du continent : alors la démence Britannique ne pourra plus former l'espoir de les remplacer.

On doit regarder comme superflu tout ce que l'on pourroit dire aujourd'hui pour animer des hommes qui, dans les momens froids de la délibération modérée, ont déjà engagé ce qu'ils[p.372]ont de plus cher, leurs vies, leurs fortunes & leur honneur, à des hommes qui, en appellant au ciel de la justice de leur cause, de la droiture de leurs intentions, de la fermeté de leurs résolutions, ont tiré l'épée pour la défense de leur liberté. Cependant, comme à aucune époque de la guerre, il n'a jamais existé de motifs qui demandassent d'une manière si pressante qu'aujourd'hui tout le développement possible de la vigueur & de l'activité, comme jamais la combinaison des circonstances n'a offert une perspective si glorieuse, nous avons cru, dans une occasion de si haut intérêt, devoir vous adresser quelques réflexions.

Nos ennemis ayant dès long-tems abandonné l'idée de nous conquérir par la force des armes, ont changé une guerre telle qu'il convient à des hommes de cœur de la faire, en une guerre offensive de Pirates & de Sauvages atroces, dont le vil objet est de vous jetter dans la détresse, espérant ainsi parvenir à vous lasser : actuellement employant avec assiduité l'industrie scélérate dans laquelle on voit percer l'artifice & la fraude, ils s'occupent à semer la dissention parmi nous, pour vous plonger dans ces accès d'indolence momentannée, à laquelle ils doivent le petit nombre de succès dont ils s'enorgueillissent : telle est leur dernière ressource ;& c'est peut-être dans cette[p.373]seule circonstance que leur orgueil & leur ignorance ont cédé à des motifs de discrétion, mais il est généralement reconnu, qu'en faisant un effort commun, nous sommes en état d'extirper du continent ce qui reste des forces ennemies, de terminer la guerre, & de rester en possession de cette paix, de cette liberté, de cette sûreté, pour lesquelles nous avons jusqu'à présent surmonté tant de difficultés, & versé notre sang en si grande abondance.

Quand bien même les choses ne seroient pas ainsi, notre grand & généreux allié, animé du zèle le plus pur pour les intérêts communs, par l'affection qu'il porte à notre cause, par le respect que lui inspire notre vertu, nous a fait passer des renforts assez formidables, pour assurer à nos efforts une fin glorieuse : d'un autre côté, la providence, en accordant récemment à l'ennemi un succès partiel, a tellement divisé ses forces, qu'il est actuellement impossible qu'une partie de ses troupes prête du secours à l'autre. Si donc, nous ne nous manquons pas à nous-mêmes, en manquant à nos alliés, si notre intention n'est pas de renoncer à l'interposition favorable du ciel, de fournir un triomphe barbare à notre ennemi hautain, impassible à tout sentiment d'humanité, prouvons à ces ravisseurs cruels, par un effort héroïque, que nous pouvons[p.374](& que nous y sommes déterminés), les expulser entièrement de notre pays.

De tous les maux dont nous nous plaignons, il n'en est pas un qui ne soit compris dans la continuation de la guerre : plus cette continuation sera longue, plus ces maux s'accumuleront : mettez à l'une un heureux terme, les autres disparoîtront à l'instant : à l'instant le crédit de notre argent renaîtra, les taxes deviendront modérées, le commerce rentrera dans ses canaux naturels, l'avarice se verra forcée à se contenter de gains modérés, la spéculation & le monopole disparoîtront pour jamais ; vous verrez les étrangers de tous rangs accourir en foule dans notre pays, pour y jouir de cette liberté, pour laquelle nous avons généreusement combattu. Nous plaindrons-nous toujours des détresses du tems, tandis qu'il est en notre pouvoir d'y mettre un terme, au moment où nous le jugerons à propos ? Serons-nous sans cesse aussi parfaitement instruits que nous le sommes des desseins de l'ennemi ? Et ne prendrons-nous jamais de mesures pour les contrarier efficacement, pour les faire avorter ? Si nous formons des vœux pour le retour de la paix, de la prospérité, du bonheur, rien ne manque à leur accomplissement que la vigueur nécessaire pour chasser l'ennemi de notre pays. Ce n'est qu'au moment de son expulsion que[p.375]nous verrons cesser les trames secrettes de la perfidie & de la trahison ; c'est donc à nous-mêmes qu'il appartient de déterminer si nous serons les vainqueurs ou les vaincus ; si nous établirons un empire vaste, florissant & libre, ou si nous nous rendrons finalement à la discrétion, à la perfidie du torysme (principes des Torys), à la rapacité de la tyrannie.

Nous sommes appellés comme les autres états, nos frères, à joindre un général accompli, sa brave & vertueuse armée, pour coopérer avec les forces de S. M. T. C., à la réduction de New-York. Est-il quelque chose qui puisse égaler l'avantage & la gloire attachée à l'issue de cette glorieuse entreprise ! Qui de vous, sentant encore au-dedans de lui-même une étincelle de courage & de patriotisme, pourroit souffrir que l'histoire apprît à la postérité que la Pensylvanie, dont les nobles efforts avoient également manifesté la bravoure & les facultés après avoir fait pendant cinq ans preuve de la fermeté la plus inébranlable, de la résolution la plus indomptable, après avoir sauvé le continent de la ruine qui paroissoit le menacer, au moment de crise qui devoit décider de son sort ; après avoir supporté si glorieusement le poids de la guerre, & soutenu par le crédit & la libéralité de ses citoyens, les armées des États-Unis, a lâchement[p.376]abandonné la contestation, au moment qui alloit la décider ;& par la folie d'une heure, a terni la gloire qu'elle s'étoit acquise pendant plusieurs années ?

Indépendamment de l'honneur & des avantages qu'une heureuse conclusion de la guerre assurera à cet état en commun avec les autres, la Pensylvanie a des raisons particulières de développer avec le plus d'énergie, les efforts dont elle est capable : l'accroissement immédiat que l'événement apportera dans la masse de ses richesses & de sa population, rend plus sensible encore l'intérêt qui la presse de pousser les opérations de la campagne avec une vigueur extraordinaire ; la nature, d'ailleurs, de nos affaires, a été telle, qu'il n'y a pas un homme dans l'état qui ne puisse se la rappeller avec satisfaction, qui ne puisse jouir du plaisir délicieux de raconter à ses enfans, dans les heures paisibles de la sécurité domestique, la part qu'il a prise à la décision de la grande querelle ; combien ses efforts particuliers ont contribué au salut de son pays. La main bienfaisante du ciel, infiniment bon, en nous dispensant d'abondantes récoltes, nous a fourni les moyens de pourvoir aux besoins de nos armées, dans le cours de la campagne, & c'est de ces moyens que dépend le succès de leurs opérations ; par conséquent, il n'est pas un habitant[p.377]parmi nous, qui, au champ de Mars, ou dans ses foyers, n'ait en son pouvoir de contribuer à la conclusion de la guerre, & au bonheur d'arrêter l'effusion ultérieure du sang.

Nous vous prions de réprimer l'esprit de mécontentement opposé à l'esprit de charité, tant à l'égard de ceux qui nous gouvernent, qu'à l'égard de vous-mêmes, les uns envers les autres ; rappellez-vous sans cesse que notre grande force consiste dans l'union, & que l'état de guerre est nécessairement inséparable des calamités & de la détresse : rappellez-vous aussi combien il est difficile, pour ceux à qui la conduite des affaires est confiée, de régler la police intérieure de la manière la plus avantageuse, de faire rendre compte aux hommes soupçonnés de péculat, tandis que leur tems est entièrement employé à vous fournir les moyens de repousser les attaques, ou d'arrêter les progrès de l'ennemi commun ; c'est en vain que nous déplorerons les calamités du tems, & les dévaluations auxquelles notre pays est exposé ; c'est injustement que nous blâmerons la conduite de ceux qui nous gouvernent, si nous ne nous présentons pas nous-mêmes avec l'activité la plus déterminée, pour soutenir les efforts de l'autorité, étouffer les murmures de l'entêtement, du mécontentement, & pour forcer tout ce que l'état a d'habitans, sans en excepter[p.378]ceux-mêmes qui sont mal intentionnés, à contribuer au secours immédiat de l'Amérique.

Placés à la tête du gouvernement, revêtus du pouvoir de mettre en exécution les mesures qui paroissent les plus salutaires, nous désirons devoir à vous-mêmes, à vos sentimens, à votre patriotisme le bien que nous pouvons faire, plutôt qu'au développement de toute notre autorité. Nous vous conjurons donc, au nom de tout ce qui est capable d'animer les hommes, d'ajouter de la vivacité à l'espérance, de la vigueur à la résolution, de ne pas souffrir, autant qu'il dépendra de vous, que les adversités d'une nouvelle campagne s'étendent sur l'Amérique ; l'armée de notre puissant allié a traversé l'océan ; elle est déjà entrée en campagne, prête à combattre pour nous, déterminée à partager avec nous le danger & la gloire de terminer la guerre, les yeux de l'Europe entière sont fixés sur nous : la dévaluation de nos frontières, les pleurs de nos femmes, de nos enfans, fuyant en détresse devant des Sauvages inhumains ; les cris des enfans innocens, massacrés en présence de leurs pères & mères prisonniers, vous indiquent le chemin qui conduit au champ d'honneur ; les ombres de nos concitoyens suffoqués dans les prisons des vaisseaux, morts de faim dans les cachots de New-York, vous demandent vengeance,[p.379]& il semble que la Providence nous déclare que son intention est, que les coupables soient punis dans le lieu même où ils ont commis leurs crimes : il semble que cette Providence qui vous les livre vous ait chargé de cet honorable emploi : amis, concitoyens, ranimez-vous à la voix de la patrie, donnez encore aux états, vos frères, un exemple digne de la Pennsylvanie : jettez les yeux sur cette liberté, sur cette chère liberté pour laquelle vous avez volé aux armes avec tant d'empressement ; envisagez cette paix, cette sûreté, cette indépendance, pour lesquelles vous avez si long-tems soupiré ; tous ces biens sont à vous & seront la récompense des efforts vigoureux que vous ferez : fournissez, dans le tems convenable, les choses nécessaires à l'entretien des troupes : suivez avec alacrité au champ d'honneur l'officier qui vous commande ; participez avec lui & avec vos frères des états voisins, à la gloire de terminer la contestation, accélérez le retour du moment précieux où vous verrez fleurir l'agriculture, revivre le commerce, la paix régner sur vos confins, & l'abondance embellir vos foyers.

Fait dans la chambre du conseil, le 7 Août 1780.

[p.380]

 

Discours de Lord Lewisham dans lequel après avoir appuyé la motion tendante « à ce qu'il fut fait par la Chambre des remercimens à sir Henri Clinton & au Comte de Cornwallis, à raison des grands & importans services qu'ils avoient rendus à la Grande-Bretagne dans la guerre d'Amérique », recommande une vigueur confiante à soutenir cette guerre. Il insiste sur-tout sur la destruction de la Marine Françoise, comme le moyen unique de la terminer heureusement.

 

Du 27 Novembre 1780.

Dans ce moment-ci, comme en toute occasion, je désire l'unanimité, je crains de parler de la guerre d'Amérique, sujet qui malheureusement, loin d'introduire parmi nous cette unanimité, principe de notre force, source de nos succès passés, semble, l'avoir bannie sans espoir de retour : je ne puis cependant me dispenser d'observer qu'aussi long-tems que l'Amérique continuera d'être l'alliée de la France & de former partie d'une confédération dont l'objet (qu'on ne prend pas la peine de déguiser) est évidemment la ruine de ce pays, j'espère que[p.381]l'on poussera la guerre avec vigueur contre cette même Amérique, à la réduction de laquelle on nous propose si souvent de renoncer. « Reconnoissez son indépendance », disent quelques membres ;« Retirez vos troupes du continent, disent quelques autres ; c'est-à-dire en d'autres termes : Abandonnez toutes vos possessions au-de-là de l'Océan ; livrez vos îles, votre commerce, tout ce qui constitue votre existence politique à la merci de vos ennemis ; abandonnez ce que vous avez d'amis en Amérique à la tyrannie du Congrès ;& si vous voulez conserver l'apparence d'exister encore comme nation indépendante, renfermez-vous dans l'enceinte de votre île où peut-être on vous laissera tranquilles » ! Alors nous ne laisserons à la postérité qu'une triste leçon ;& quelque historien, encore à naître, trouveroit un jour des matériaux plus utiles que ceux dont ses prédécesseurs ont fait usage, pour écrire l'histoire de l'aggrandissement lent & progressif d'un puissant empire & de son déclin rapide.

Personne assurément ne sent plus douloureusement que moi combien la guerre d'Amérique est malheureuse à tous égards pour la Grande-Bretagne, personne ne soupire plus sincèrement après une paix sûre & honorable ; mais on ne s'occupe pas assez du moyen d'y[p.382]parvenir, je dis le moyen, parce que je n'en connois qu'un seul. Delenda est Carthago (il faut détruire Carthage ; cette Carthage qu'il faut détruire est la marine de France ! Tant que cette marine existera, il n'y a point de paix à espérer avec l'Amérique : je voudrois entendre en ce moment toutes les voix s'élever, & faire retentir tous les coins & recoins de la salle de ces paroles décisives, delenda est Carthago ; je voudrois qu'à chaque instant, à chaque phrase elles fortifient de la bouche de tout honorable membre qui parleroit à son tour : qu'elles fussent répétées & répétées encore jusqu'à ce qu'elles, parvinssent aux oreilles de tous les individus qui composent la nation : jusqu'à ce que le royaume entier, frappé de la vérité qu'elles annoncent, se réunît, pour les repérer de concert, & prendre les mesures dont elles indiquent la nécessité ; que tous ceux qui ont à cœur la prospérité & l'honneur de l'empire Britannique ne se lassent pas de répéter delenda est Carthago, il faut continuer la guerre ; jusqu'à ce que la marine de France soit détruite ! Que tous ceux qui désirent que la sincérité & la bonne-foi de la Grande-Bretagne triomphent de la duplicité, de l'esprit insidieux qui caractérisent la politique d'un certain cabinet, prêchent avec moi la nécessité de détruire la marine de France : que tous ceux[p.383]enfin qui, attachés aux grands principes de la justice, désirent que l'Europe conserve cet équilibre de puissance, qui seul peut rétablir & maintenir une paix universelle, se réunissent à moi & prêchent hautement la nécessité de détruire la marine de France !

 

Courte réplique de M. Townshend, dans laquelle après avoir tourné en ridicule l'affectation de Lord Lewisham à conseiller la destruction de la Marine Française, par ces paroles continuellement & inutilement répétées, Delenda est Carthago, il le ramène au véritable objet de la motion actuelle qui tend à remercier les Officiers qui ont remporté des victoires en Amérique.

 

Du 27 Novembre 1780.

Delenda est Carthago, répondit M. Thomas Townshend, est bientôt dit ; je conçois comme le noble lord que la destruction de la marine de France seroit ce qui peut nous arriver de plus heureux : si en répétant & répétant sans cesse, delenda est Carthago, on effectuoit par degré cette destruction, ces paroles[p.384]entreroient dans toutes mes phrases, je les aurois sans cesse à la bouche ; mais je ne vois pas d'une part que crier sans cesse delenda est Carthago, contribue beaucoup à la destruction de la marine de France : d'une autre, je ne vois pas non plus que ces paroles mille fois répétées aient le moindre rapport à la motion actuelle ; il s'agit de remercier des officiers qui ont remporté des victoires en Amérique ; le noble lord pense-t-il que ces victoires aient tendu le moins du monde à la destruction de la marine Françoise ?

[p.385]

 

Onzième section. Accusations intentées contre quelques particuliers.

 

Dénonciation faite à la Chambre par Wilkes, des attentats commis en sa personne, envers les droits de toutes les Communes de l'Angleterre & les privilèges du Parlement.

 

Du 16 Novembre 1763.

M. l'Orateur,

Je crois qu'il est de mon devoir d'exposer à la chambre quelques faits arrivés depuis notre dernière assemblée, parce que dans mon humble opinion, (que je soumettrai toujours à cette chambre) les droits de toutes les communes de l'Angleterre, & les privilèges du parlement ont été hautement violés en ma personne. Dans ce moment, je me contenterai d'établir purement les faits, m'abandonnant à la sagesse de la chambre, pour procéder dans cette affaire de la manière qu'elle le jugera convenable.[p.386]Le 30 avril dernier, le matin, des messagers du roi vinrent m'appréhender au corps dans ma maison. Je leur demandai, de quel droit ils entroient de force dans ma chambre ?& ils me montrèrent un ordre (warrant) dans lequel il n'y avoit nommément personne de désigné, mais en bloc, les auteurs, imprimeurs & distributeurs d'un écrit respirant la révolte & la trahison, ayant pour titre, the North-Britain, n°45. Les messagers insistèrent pour que je comparusse à ce sujet pardevant lord Halifax : je le refusai absolument, parce que le warrant étoit, à ce qu'il me parut, illégal, & qu'il ne me regardoit point. Par l'entremise de mes amis, je me mis sous la protection de la cour des plaidoyers communs pour en obtenir un habeas corpus[40]1) qui me fut accordé, mais comme le bureau n'étoit pas ouvert dans ce moment, je ne pus l'obtenir d'abord. Je fus ensuite mené malgré moi pardevant les comtes d'Egremont & d'Halifax. Je les informai des ordres que venoit de donner la cour des plaidoyers communs pour l'habeas corpus, & je m'expliquai avec quelque détail, au solliciteur général de la[p.387]trésorerie, M. Webb. Malgré cela, je fus envoyé à la tour, par un nouvel ordre, lequel déclaroit formellement que c'étoit moi, qui avoit composé & fait imprimer un libelle très-séditieux, très-infâme, intitulé, the North-Britain, n°45 : dans ce dernier ordre, on avoit omis le mot de trahison. Je fus étroitement détenu prisonnier, de manière qu'on ne laissa approcher personne durant près de trois jours, quoique mon conseil & plusieurs de mes amis eussent demandé à me voir, pour travailler avec moi à mon élargissement. Ma maison a été pillée, mes secrétaires ont été brisés ; l'on s'est emparé de mes papiers, & cela, par les ordres de deux de vos membres, MM. Wood & Webb. Après six jours de détention, j'ai été déchargé de l'accusation par le jugement unanime de la cour des plaidoyers communs dont la teneur est :« que le privilège de cette chambre, s'étend à la position dans laquelle je me trouvois ». Malgré cette décision solemnelle d'une des cours de justice, je reçus peu de jours après un sub pœna (ajournement personnel) qui étoit la suite d'une information faite contre moi dans le banc du roi. Je ne perdis pas de tems, pour consulter les meilleurs livres de droit & les avocats les plus habiles :& d'après le résultat qui me parut le plus certain, je pensai que le sub pœna lancé contre moi étoit une nouvelle infraction du[p.388]privilège du parlement, que je n'abandonnerai & que je ne trahirai jamais. En conséquence, je ne voulus pas même prendre acte de comparution.

Aujourd'hui je soumets toute l'affaire à la sagesse & à la justice de la chambre, & j'en attends, avec la plus grande déférence, mon jugement. Qu'il me soit permis d'ajouter que, si après que cette importante affaire aura été mûrement pesée, discutée dans tous ses chefs, vous êtes de l'opinion qui autorise mon privilège, alors je serai non-seulement décidé, mais ardent à décliner le privilège & à me pourvoir pardevant un juré de la Grande-Bretagne[41].

[p.389]

 

Discours de Lord Clive, ancien Gouverneur de Bengale, dans lequel, avant de donner son avis sur la Motion tendante à mettre un meilleur ordre dans l'Administration des affaires de la Compagnie des Indes Orientales, il s'efforce de détruire les accusations d'exaction de concussions intentées contre lui.

 

Du 29 Mars 1772.

Monsieur l'Orateur,

C'est avec une grande répugnance que j'entreprends de parler dans cette chambre, mais je m'y trouve si expressément provoqué que je suis forcé de le faire, bien que je m'expose moi-même, en osant le tenter. Avec quelle confiance, en effet, puis-je hasarder de donner mon avis sur une motion proposée, dont le but est de mettre un meilleur ordre dans l'administration des affaires de la Compagnie des Indes Orientales ? Comment puis-je parler sur un sujet d'une telle importance nationale, moi qui suis accusé d'avoir été la cause de la triste situation actuelle de ses affaires dans le Bengale ? La chambre ne peut s'appuyer sur mon sentiment tant que subsistera, sans être repoussée, cette impression désavantageuse.[p.390]La chambre me permettra donc aujourd'hui d'en effacer la trace, & de faire ensorte de regagner l'opinion favorable qu'elle-même, j'ose m'en flatter, avoit de ma conduite, avant que ces accusations eussent été avancées contre moi, Et je ne prétends pas exposer ma conduite aux membres de cette chambre seulement, mais à tout mon pays, je me présente devant eux volontiers, de moi-même, & avec empressement.

Tout le monde sait que je fus appellé, en 1769, par une assemblée générale de la cour, pour me charger de la direction de ses affaires dans le Bengale, alors qu'elles étoient dans une situation bien critique, bien dangereuse. L'on sait encore que mes propres affaires très-multipliées, dont j'étois surchargé, me laissoient alors peu libre ; heureux d'ailleurs, à raison de ma conduite passée, de mes services rendus à la compagnie, heureux dans ma famille, dans mes liaisons, heureux en un mot, en toutes choses, sinon par rapport à ma santé, que j'ai perdue au service de la compagnie pour ne la plus recouvrer jamais. Ce bonheur, cette prospérité, je les ai abandonnés à l'invitation de la cour, pour aller sous un climat étranger & mal-sain, entreprendre la tâche ingrate d'une réforme. Mes ennemis supposeront que j'y fus poussé par des vues[p.391]de lucre ; mais cette chambre & mon pays, je l'espère, me rendront la justice de me juger bien différemment & d'une manière plus honorable ; ils croiront que j'ai entrepris ce voyage par un motif de gratitude, par un point d'honneur, par le désir de rendre un service important à la Compagnie des Indes Orientales, moi qui avois acquis ma fortune & ma réputation sous ses auspices.

La perspective qui s'offrit à moi d'abord, en allant aussi loin, ne fut nullement riante ni propre à m'encourager ; car après un violent débat entre les directeurs, treize seulement, parurent portés à augurer favorablement de mes efforts pour la servir utilement ; pendant que les onze autres, qui je ne sais trop s'ils étoient bien intentionnés pour la compagnie, ne pouvoient croire que je fusse propre à remplir son but. Ceux-ci firent d'abord tout ce qu'ils purent pour m'empêcher d'accepter ce gouvernement : ils éludèrent ensuite de m'investir des pouvoirs sans lesquels je ne pouvois agir efficacement à l'avantage de la compagnie. Quand j'arrivai au Bengale, je trouvai ces pouvoirs exprimés dans des termes si généraux, si vagues, si entortillés (jésuitiques) que le conseil me les contesta d'abord. De mon côté, je pris le parti, quoiqu'il en pût arriver, de leur donner au contraire l'interprétation[p.392]la plus étendue, parce que j'étois résolu de remplir ma tâche, & de faire ce que je devois à mon pays.

Trois sentiers s'offrirent devant moi ; le premier jonché, pour ainsi dire, d'une multitude de spécieux avantages Par le premier, je pouvois me mettre moi-même à la tête du gouvernement, tel que je le trouvois établi ; encouragé d'ailleurs par la nouvelle résolution que les membres de la compagnie, avoient prise eux-mêmes de ne point avoir égard à la convention qui défend d'accepter des présens : mais quoique je me fusse astreint à la nouvelle clause, j'aurois pu encore m'arranger pour revenir en Angleterre avec une fortune immense, ajoutée, avec infamie il est vrai, à la fortune que j'avois déjà acquise honorablement. Un tel accroissement de richesses n'auroit pu sans doute qu'ajouter à la considération dont je jouissois dans mon pays, mais non augmenter la paix de mon âme, parce que je savois que tout homme ayant des sentimens & de l'honneur n'eût pu que me désapprouver.

Le second sentier qui s'offroit, étoit, en me voyant contester mes pouvoirs, de laisser-là, de désespoir, le bien public, & d'abandonner le gouvernement de Bengale sans faire le moindre effort pour le sauver. Un pareil parti, sans doute,[p.393]auroit été regardé comme l'effet d'une haute folie ou d'une lâcheté insigne.

Le troisième sentier étoit embarrassé ; des difficultés, des dangers s'y offroient de tous côtés ; mais, j'étois résolu de le poursuivre ; en un mot, j'étois décidé à ne point manquer à ce que je devois au public, quoique je fusse assuré par-là, d'encourir la haine de tout établissement dans l'Inde. Le bien-être de la compagnie exigeoit un rigoureux effort, de prendre la résolution ferme de nétoyer l'étable d'Augias ; j'osai l'entreprendre.

Voilà, Monsieur, quelle a été ma conduite, qui a produit tous ces papiers publics qui ont enfanté tant de sottises, tant de choses abusives contre moi, depuis mon retour en Angleterre ; conduite qui a occasionné contre moi les accusations que vous savez ; mais conduite en même-tems qui me rend digne, quand le jour de mon jugement sera venu, de ne point craindre la présence de mes juges ; qui me donne l'assurance de déclarer la main sur ma conscience, & de la manière la plus solemnelle à cette chambre, à la galerie, à la face de toute la terre, que jamais & dans aucune circonstance de mon administration, je n'ai perdu de vue ce que j'ai pensé être l'honneur & le véritable intérêt de mon pays & de la compagnie ; que jamais je[p.394]n'ai été coupable d'aucun acte de violence ou d'oppression, à moins qu'on ne regarde comme tels d'avoir livré à la justice de vrais coupables. Quant à ce qu'on appelle concussion, jamais une pareille idée ne m'est entrée dans l'esprit, ni d'aller souffrir que ceux que j'ai employés eussent commis le moindre acte de violence, d'exaction, d'oppression ; ni de permettre que mon autorité eût servi à favoriser aucun employé qui n'auroit pas eu les principes les plus stricts d'honneur & de justice. Pour moi, bien loin d'avoir recueilli aucun bénéfice de ce gouvernement, je suis rentré dans ma patrie avec bien des mille livres sterlings de moins, au dépens de ma propre bourse.

[p.395]

 

Autre Discours de Lord Clive. Il démontre que les mages de l'Indostan, & la manière dont on prépare les sujets destinés au service de la Compagnie des Indes, sont autant de moyens de corruption ; & que les naturels du pays sont d'ailleurs les seuls auteurs des vexations dont on accuse ici les Anglois.

 

Du 30 Mars 1772.

Monsieur l'Orateur,

L'Indostan a toujours été un gouvernement absolu & despotique, ses habitans d'un état inférieur, sur-tout du Bengale, sont souples, soumis, bas & rampans, ceux d'un rang supérieur, adonnés à un luxe excessif, efféminé, ont le caractère vénal, traître, cruel & oppressif. Le pays de Bengale par prédilection, est appellé le paradis de la terre. Ce pays surabonde en toutes les choses nécessaires à la vie, & à un tel point, qu'il fournit avec cette surabondance une grande partie de l'Inde. Il y a de plus, une quantité de riches manufactures en choses recherchées & de grand prix, & assez abondamment, non-seulement pour l'usage du pays, mais pour celui de tout le globe. Depuis un[p.396]nombre d'années, l'or & l'argent de l'Orient & de l'Occident, y refluent avec profusion en retour des marchandises échangées, commerce qui accroît & qui porte le luxe du Bengale à un degré extravagant & incroyable.

Depuis un tems immémorial, c'est une coutume établie, qu'un inférieur n'y aborde jamais son supérieur sans un présent, & cela à commencer depuis le Nabab[42] jusqu'à l'homme du plus bas étage, qui a encore quelqu'un au-dessous de lui. Le Nabab m'a dit, à moi, que les petits présens qu'il recevoit, montoient à environ trois cent mille livres sterlings dans une année ;& je dois le croire aisément, puisque je sais moi-même que j'aurois pu en recevoir autant pendant le tems de mon dernier gouvernement. Les serviteurs de la compagnie ont toujours été habitués à en recevoir, même avant qu'elle prît part aux troubles du pays. Dès le tems où nos possessions étoient circonscrites & fort restreintes, le gouverneur & toutes les autres personnes attachées au service de la compagnie, avoient l'usage de recevoir des présens ;& je puis prendre sur moi d'assurer à la chambre, qu'il n'y a[p.397]pas eu jusqu'ici un officier, commandant sur les flottes de sa majesté ou commandant dans ses armées, qu'il n'y a point eu de gouverneur, point de membres du conseil, pas un individu dans le civil comme dans le militaire, dans quelque poste qu'il ait occupé, quelque liaison, quelque rapport qu'il ait eu avec le gouvernement du pays ; non, pas un, qui n'ait reçu des présens.

Eu égard à ce qu'est le Bengale, ils doivent assurément pleuvoir avec abondance. Que la chambre se figure un pays peuplé de quinze millions d'hommes, riche d'un revenu de quatre millions de guinées, avec un commerce proportionné à ces avantages. La compagnie s'étant donc rendue par degrés souveraine de cet empire, il est à supposer que ses commettans n'iront point se refuser à des avantages qui s'offrent d'eux-mêmes, à des bénéfices attachés leurs postes.

Au reste, les serviteurs de la compagnie n'ont point été les auteurs des actes de violence & d'oppression dont l'esprit du jour & le bon ton est de les noircir aujourd'hui : ces crimes ont été commis par les naturels du pays, qui travaillent comme agens des employés de la compagnie, & le plus souvent à leur insçu. Ces agens & les Banians ne s'arrêtent jamais qu'ils[p.398]n'aient, comme le dit leur proverbe ministériel, traînée leur maître dans le bourbier, & c'est de ce moment où commencent les actes oppressifs.

Que l'on considère la tournure de l'éducation des jeunes gens destinés à passer dans l'Inde. Les avantages qu'on retire du service de la compagnie sont si généralement connus, que toute l'ambition d'un père est que son fils obtienne une commission pour le Bengale, ce qu'on obtient ordinairement à l'âge de seize ans. Ses parens, ses amis ne manquent point de lui représenter combien il est assuré de faire une grande fortune ; que messieurs tels & tels, milords tels & tels, dans tel espace de tems, ont acquis des richesses immenses. Par là, & avant leur départ leurs principes sont déjà corrompus, & comme la tête échauffée par ces récits, ces employés, presque toujours partent plusieurs ensemble, durant le cours de leur voyage, ils s'enflamment encore les uns les autres par le tableau de ces brillantes expectatives, & ils ne sont pas arrivés qu'ils ont déjà fixé l'époque de leur heureux retour.

Actuellement, jettons un coup-d'œil sur l'un de ces employés qui n'a rien arrivant dans le Bengale. Il est à peine débarqué, qu'un Banian[43][p.399]dont l'avoir peut être de cent mille livres sterlings, sollicite l'honneur de servir notre jeune débarqué, à quatre schellings six sols par mois. La compagnie a fait préparer des chambres pour son employé, mais qu'il ne trouve pas assez bien pour lui ; le Banian lui en trouve de plus belles. Le jeune arrivant se promène dans les environs de la ville, & remarque que les autres employés qui ne l'ont précédé que d'un an, occupent des appartemans somptueux ou même des maisons qui leur appartiennent, qu'ils se font voir sur de superbes chevaux Arabes, ou dans des chaises, ou sur de riches palanquins ; qu'ils tiennent des sérails, donnent des fêtes où brillent les meilleurs vins. De retour de sa promenade, l'Anglois raconte au Banian tout ce qu'il a observé, & le Banian de l'assurer que tout arrivant, il peut jouir de la même bonne-fortune : alors l'Indien ne le laisse point manquer d'argent, & de ce moment, l'employé est à la discrétion du Banian. Les bénéfices de celui-ci grossissent à proportion de l'état que[p.400]tient le maître, qui en acquérant une fortune, dépense trois fois sa valeur. Mais le pire de l'affaire est que le maître est dans un état de dépendance sous le Banian, qui commet tous les actes de violence & d'oppression que lui suggère son intérêt, sous la prétendue sanction & autorité des serviteurs de la compagnie.

Voilà, monsieur, d'où proviennent les plaintes contre les Anglois, employés dans l'Inde ; mais examinons ces mêmes Anglois dans leur vie privée, lorsque rentrés dans leur patrie, ils ne sont plus Nababs ni souverains du Levant : voyons s'il y a quelque chose de tyrannique dans leur conduite à l'égard de leurs inférieurs, s'ils ne sont pas bons, humains dans leur domestique ; s'ils ne sont pas charitables, hospitaliers, bienfaisans, généreux ;& s'ils sont ainsi dans la société, des membres non-méprisables ; si dans toutes leurs actions à l'égard des autres hommes, leur conduite est même exactement respectable ; si, en un mot, on ne peut trouver parmi eux, un caractère assez méchant pour être présenté par M. Foote sur le théâtre de Haymarket ; ne devons-nous pas en conclure, que si des Anglois ont fait des fautes, ç'a été parce qu'ils étoient des hommes, & placés dans des postes, dans lesquels on connoît peu, ou plutôt où l'on ne connoît point de supériorité ni de contradiction.

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Réponse énergique de Lord Clive, aux imputations avancées contre lui, dans la Chambre des Communes. Il assure que loin d'avoir amassé des richesses criminelles dans son Gouvernement de Bengale, il y a mis beaucoup du sien, & qu'il se trouve réduit à un revenu très-modique.

 

Du 16 Février 1773.

Si la motion proposée obtient le suffrage de la chambre, il ne me restera que l'héritage de mes pères, montant à cinq cent livres sterlings environ par an. Réduit à ce modique revenu, je vivrai plus satisfait que dans l'abondance, rempli d'amertume & d'allarmes inséparables d'une fortune toujours inconstante & variable. Mais, m'appeller à rendre compte de mes acquisitions, après seize années de jouissance, me paroît une conduite indigne du sénat de la Grande Bretagne. Que si cependant, on veut la suivre, je m'y soumettrai : ma conscience ne me reproche rien. Oui, l'on peut me dépouiller de tout ce que j'ai ; l'on peut me réduire à la pauvreté ; je vivrai toujours heureux :Frangas, non flectes[44]. Aureste,[p.402]dans ce procès où la chambre aura à juger mon honneur, je n'ai qu'une prière à lui faire, c'est de ne pas oublier le sien.

 

Discours de sir Hugh Palliser, en réponse à l'Amiral Keppel qui l'accusoit d'avoir apporté un obstacle à ce que le combat recommençât le 27 Juillet. Il repousse sur-tout l'imputation de désobéissance aux signaux.

 

Du 2 Décembre 1778.

Je suis tellement certain de n'avoir apporté aucun obstacle à ce que le combat recommençât le 27 juillet, qu'il m'est indifférent que l'on fasse une enquête, ou qu'on n'en fasse point : il y a plus, quoique l'intérêt public puisse souffrir de cette enquête ; il est de mon intérêt particulier qu'elle ait lieu, parce qu'elle mettra en évidence que j'ai fait mon devoir : l'honorable amiral parle avec une réserve qui sembleroit indiquer qu'il ne veut pas tout dire ; je le prie de s'expliquer clairement, je fus prêt à répondre au genre d'accusation dont il semble qu'il me fasse grâce. Il paroît que ce qui affecte beaucoup l'honorable amiral, est la lettre que j'ai publiée : le fait est simple : à mon retour de la mer, après[p.403]l'affaire du 27 juillet, j'appris que l'on avoit insinué que j'avois été un obstacle à ce que le combat fût renouvellé : je me rendis chez l'amiral, pour le prier de me rendre justice, en dissipant cette insinuation, je n'ai pu rien obtenir ; il fallut donc m'adresser au public, je lui ai exposé les faits dans la plus stricte vérité ; je veux être absous ou condamné sur la teneur de ma lettre. À l'égard de ma prétendue désobéissance aux signaux, ce rapport est faux ; s'il étroit vrai, le service n'eût point souffert de cette désobéissance, toutes les circonstances de la journée le prouvent évidemment.

L'amiral Keppel répliqua : tout ce que je puis dire au sujet de la désobéissance aux signaux, c'est qu'un commandant en chef doit toujours être obéi, le signal indiquant au vice-amiral l'ordre de se porter dans les eaux du Victory, à l'effet de renouveller l'attaque de la flotte Françoise, a constamment été déployé à bord du Victory, depuis 3 jusqu'à 8 heures après midi.

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Plaintes amères du Général Howe, contre le Ministre de la guerre au département de l'Amérique. Il donne pour motif de sa résignation du commandement d'Armée de l'Amérique le refus que ce Ministre a fait de suivre ses avis, & de lui fournir les secours nécessaires. Il assure que tant que la guerre d'Amérique sera dirigée par un tel homme, on ne peut se promettre aucun succès. Il demande qu'il soit fait une enquête à son sujet.

 

Du 4 Décembre 1778.

Tout ce que l'on objecte contre ce manifeste, tout ce que l'on en peut penser de défavorable, ne me regarde nullement. Je sais que l'on s'est répandu sur mon compte en reproches, tirant sur l'invective, précisément parce que j'ai marqué trop de douceur dans la conduite de la guerre : j'ignore à qui je dois attribuer les atteintes portées, en mon absence, à ma réputation ; si elles ne partent pas directement des ministres, si du moins ils ne les ont pas encouragées ; tout ce que je sais, c'est qu'il n'ont rien contredit de ce qui a été hasardé à mon sujet : je crois qu'il est tems de m'expliquer enfin, & de profiter de l'occasion qui se présente, pour informer la[p.405]chambre & mon pays des raisons que j'ai eues de résigner le commandement de l'armée en Amérique : il est bon, en premier lieu, que l'on sache que l'on n'a jamais tenu aucun compte de mes avis, ni de mon opinion, que lorsque j'ai recommandé quelques officiers de mérite, je ne pouvois pas leur rendre un plus mauvais service ; que dans aucune circonstance, je n'ai eu la conduite de la guerre en ma disposition, & que souvent, lorsque j'ai demandé que l'on me fît du moins passer des instructions, je n'ai pu en obtenir : je conviens que le bureau du trésor m'a offert un appui efficace, mais le noble secrétaire-d'état, au département de l'Amérique, s'est très-mal conduit avec moi ; souvent à l'ouverture d'une campagne, il m'a laissé me tirer d'affaire, comme je le pourrois, sans me faire connoître comment l'on entendoit que je m'y prisse, en général, je pense, je suis même persuadé, que tant que ce secrétaire se mêlera de diriger la guerre en Amérique, il est impossible de se promettre le plus léger succès ; c'est ce qui seroit prouvé par une enquête parlementaire que je sollicite avec instance, & qui mettroit cette chambre, ainsi que la nation en général, à même de décider qui du secrétaire au département de l'Amérique ou de moi est à blâmer.

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Réplique du Secrétaire d'État, Lord Germayne, à quelques inculpations contre lui. Il objecte que l'Amérique étant liguée avec la France on ne peut plus la regarder comme faisant partie de l'empire Britannique, & qu'on doit par conséquent la traiter en ennemie. Il justifie les prétendus actes de cruauté arbitraire qui lui sont reprochés, & ne les regarde que comme des actes de nécessité, autorisés par l'usage & les droits de la guerre.

 

Du 4 Décembre 1778.

Je ne conçois pas que sans forcer à dessein le sens des expressions les plus simples, on puisse donner à la partie du manifeste, qui cause tant de rumeur, une autre signification que ceci : votre mère, dit-on, à l'Amérique, ne vous traitera plus comme un enfant que l'on espère ramener au devoir avec des corrections douces ; elle vous traitera désormais comme un ennemi qu'il faut ramener à la paix, en lui faisant une guerre ouverte & honorable.

L'Amérique liguée avec la France ne doit plus être traitée comme faisant partie de l'empire Britannique, mais comme étant une portion[p.407]des domaines appartenans à la couronne de France ; par leur alliance, les Américaine sont devenus François, & doivent être traités à l'avenir comme étant François, voilà le sens, voila l'unique sens qu'il étoit possible de donner au manifeste : les actes de cruauté arbitraire n'ont pu être ordonnés par aucun ministre à une armée Britannique ; s'ils eussent été ordonnés, jamais une pareille armée n'eut obéi ; mais qu'entend-on par actes de cruauté arbitraire & en pure perte ? Un magasin brûlé pour élever une batterie sur la place qu'il occupoit ; des maisons ou même des villes brûlées, parce que les unes étoient des espèces de magasins, remplis de munitions ; parce qu'on avoit fait des places d'armes des autres ; tous ces actes de nécessité ne sont pas des actes de cruauté ; ils ont été constamment pratiqués, par tous les états civilisés de l'Europe, je n'ai jamais entendu dire que l'on ait présenté une adresse au roi, pour lui marquer le déplaisir qu'avoit causé au parlement l'ordre donné à sir George Rodney de bombarder le Havre-de-Grace, &c, &c. L'adresse proposée aujourd'hui n'est pas plus raisonnable qu'elle ne l'eût paru alors ; en conséquence, je m'y oppose.

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Discours de Lord Shelburne, dans lequel après avoir blâmé sévèrement la conduite de l'Amirauté, sur-tout celle de son premier Lord dans l'accusation contre l'Amiral Keppel, il recommande aux Ministres, de songer à eux-mêmes, au lieu de détourner l'attention du public par de fausses accusations contre des hommes d'un mérite distingué ; & il déclare que l'affaire du 27 Juillet exige une enquête générale.

 

Du 11 Décembre 1778.

Je préviens le noble comte que sa conduite est surveillée de près, que tous ses pas sont comptés depuis que l'on a connoissance de la noire manœuvre de l'accusation ; accusation si étrange dans sa nature, tant à raison de son objet visible, que de la manière dont elle a été intégrée, & du tems que l'on a pris pour l'interner, qu'elle a jette une allarme universelle dans la nation. Quelques puissent être d'ailleurs les talens de sir Hugh Palliser, je crois qu'il se fût acquis plus d'honneur en suivant simplement sa profession d'homme de mer, qu'il n'est probable qu'il lui en reviendra de la mesure qu'il a prise à l'égard de son amiral : le premier lord de l'amirauté[p.409]nous dit aujourd'hui qu'il est inconsolable de ce que l'affaire a été poussée si loin : pourquoi donc ne l'a-t-il pas assoupie, lorsqu'elle a été portée à son bureau ? Il convient que cette affaire est fatale au service de la marine, fatale à la nation ; ne pouvoit-il pas prévoir alors que telles en seroient les conséquences nécessaires ? Son devoir étoit d'arranger les choses, tandis qu'elles pouvoient encore s'arranger ; en ménageant l'honneur des deux partis, il n'eût pas jetté la nation dans l'état de fermentation où elle se trouve, il n'eût pas semé une division funeste dans la marine : le noble lord nous annonce d'autres accusations qui doivent succéder à cette première : nous allons donc voir la réputation de l'élite de nos officiers, attaquée successivement : quelle sera la première victime de la vengeance ministérielle ? Sera-ce ce grand amiral, ce brave commandant lord Howe ? Sera-t-il accusé d'avoir sauvé l'armée, en paroissant devant Rhode-Island ? Donnera-t-on le pas à l'amiral Barrington, parce qu'il a passé par-dessus ses ordres & sauvé Antigoa avec les Indes occidentales ? Amusera-t-on l'année prochaine le public du spectacle des conseils de guerre accumulés l'un sur l'autre, dans la vue de distraire son attention, tandis que les François profiteront de nos divisions, tandis que nous recevrons des affronts dans toutes les[p.410]parties du globe ? Est-ce-là le voile dont on compte faire usage pour dérober aux yeux la pusillanimité, l'irrésolution, l'instabilité du système de nos ministres ? Qu'ils se tiennent sur leurs gardes : très-certainement l'affaire du 27 juillet demande une enquête ; mais, cette enquête doit être générale, &c, &c.

 

Discours touchant de l'Amiral Keppel dans lequel il demande une enquête publique sur sa propre conduite. Il rend justice à la bravoure de sir Hugh Palliser qui avoit désobéi à ses signaux, & qui récemment avoit eu l'ingratitude, avoit publié contre son Amiral, une lettre récriminatoire.

 

Du 11 Décembre 1778.

Je me trouve dans une situation particulière : c'est mon honneur que l'on attaque directement, ce je suis obligé de solliciter moi-même une enquête sur ma conduite, puisque c'est cette enquête seule qui peut me réintégrer dans l'état où je me trouvois. avant que l'on portât atteinte à ma réputation. Je vous supplie donc, messieurs, de de point vous opposer à ce que cette enquête publique ait lieu, je n'ai pour le moment que[p.411]quelques mots à dire ; lorsque j'aurai fini, je me retirerai.

On m'a confié les destins de l'Angleterre : j'ai donné à ce dépôt sacré tous les soins qui étoient en mon pouvoir ; j'ai la certitude d'avoir fait mon devoir dans l'étendue la plus complette ; plus on approfondira les circonstances de l'affaire du 27 juillet, plus on sera convaincu que j'ai défendu de mon mieux les intérêts & l'honneur de mon pays ; quant au vice-amiral, j'ai déjà dit qu'il a désobéi à mes signaux : je le connoissois cependant pour un officier si brave, que je me suis abstenu, dans le tems, de rendre plainte contre lui ; au contraire, dans mes dépêches à l'amirauté, j'ai fait de lui une mention honorable ; d'après mes procédés, je n'ai pu qu'être offensé, en voyant dans un papier de nouvelles, une lettre signée Hugh Palliser. J'avoue que j'y ai été très-sensible, mais ni ma sensibilité, que je n'ai pu cacher, ni mon ressentiment, ne sont capables de m'engager aujourd'hui à refuser au vice-amiral le juste éloge que je lui ai donné dans ma lettre : je répète que je le crois vraiment un brave officier : quant à moi, j'ai servi fidèlement la nation pendant quarante ans, je me flatte que ce n'est pas injustement que j'ai acquis quelque réputation : je laisse à cette chambre & à la partie impartiale du monde entier, le soin de décider si dans[p.412]l'action du 17 Juillet, j'ai conservé inviolables, & ma réputation personnelle, & la dignité du pavillon Anglois. Après avoir dit ce peu de mots, l'amiral se retira.

 

Discours de l'amiral Keppel, prononcé devant le Conseil de guerre tenu à Portsmouth, pour servir d'introduction à sa défense sur les différens chefs d'accusation intentés contre lui. Il fait une exposition exacte des circonstances qui précédèrent & qui accompagnèrent sa nomination au commandement de la flotte, & de la conduite qu'il a tenue depuis le mois de Mars 1778 jusqu'au 28 Juillet.

 

Du 30 Janvier 1779.

M. le Président,

Après quarante ans employés au service de mon pays, je ne m'attendois guère à me voir cité devant un conseil de guerre, pour y répondre à une accusation de mauvaise conduite, de négligence & de flétrissure, imprimée par moi sur l'honneur de la marine Angloise : mon accusateur, monsieur, a avancé contre moi ces différens chefs ; la cour décidera s'il a réussi ou non[p.413]à les prouver : avant qu'il me citât à ce tribunal, il eût été honnête de sa part de ne pas dissimuler sa façon de penser sur mon compte, & de ne pas employer les démonstrations de la bienveillance pour m'induire en erreur, & me faire supposer un ami dans l'homme qui, dans son cœur, étoit mon ennemi, & qui bientôt devoit être mon accusateur ! Au reste, monsieur, quelque mauvaise qu'ait été ma conduite, quelque répréhensible qu'ait été ma négligence à remplir mon devoir, quelque profonde qu'ait été la flétrissure que j'ai imprimée sur l'honneur de la marine Angloise, mon accusateur ne s'est pas fait un scrupule de faire voile une seconde fois avec l'homme qui avoir trahi sa patrie ; il y a plus, pendant tout le tems que nous avons été à terre ; il a entretenu avec moi la correspondance de l'amitié, & même dans ses lettres, il a approuvé ce qu'il condamne aujourd'hui, il a donné des éloges à cette même négligence, dont ses yeux ont été si offensés depuis : une pareille conduite de la part de mon accusateur, n'étoit pas propre à me faire soupçonner la démarche qu'il a faite, & je n'avois aucune raison de soupçonner que l'état inculperoit la mienne.

À mon retour, sa majesté me reçut avec les éloges les plus honorables ; le premier lord de l'amirauté lui-même, rendit un témoignage[p.414]flatteur à la droiture de ma conduite, & parut applaudir avec beaucoup de sincérité au zèle que j'avois montré pour le service : tout cela n'empêche pas qu'il ne paroisse, que dans le moment même de cette approbation marquée, on tramoit quelques complots contre ma vie, car sans que j'en aie reçu la plus légère notice, cinq chefs d'accusation ont été produits contre moi par sir Hugh Palliser, qui, bien malheureusement pour sa cause, étoit prévenu lui-même d'une accusation. de désobéissance aux ordres, dans le moment où il m'accusoit de négligence ! Il est certain que c'est une manière très-ingénieuse de prendre le change & les devant avec moi. Une accusation intentée contre un commandant en chef, étoit propre à distraire l'attention que le public eût donnée à la conduite d'un officier inférieur, coupable de négligence à remplir son devoir : la pitié que m'inspire mon accusateur, me feroit presque désirer que les apparences ne fussent pas si graves contre lui : avant que l'instruction de mon procès commençât, j'ai réellement pensé qu'il y avoit quelque raison plausible pour se conduire comme il l'a fait mais d'après la déposition des témoins, même telle qu'elle a été produite, pour justifier sa conduite dans l'après-midi du 17 Juillet : d'après cette disposition, dis-je, monsieur, je m'apperçois[p.415]que je me suis trompé ; le cours de l'instruction a laissé mon accusateur sans excuse, actuellement on remarque en lui les symptômes qu'il plaira à Dieu d'imprimer sur le front de tout calomniateur.

J'ai observé, monsieur, que l'on a consulté l'opinion de divers officiers de différens grades, quelques-uns ont refusé de donner la leur ; cela m'a paru étrange, parce que les meilleures preuves qui puissent venir à l'appui d'une bonne cause, sont la franchise dans la manière de parler, & les déclarations complettes.

Je désirerois, monsieur, que la cour voulût bien considérer que dans les grandes opérations navales & militaires, les diverses manœuvres peuvent avoir une apparence étrange aux yeux de quiconque n'est pas pleinement instruit du dessein de celui qui les ordonne ; on a appellé des maîtres d'équipage ; pour donner leur opinion sur les départemens supérieurs du commandement ; il eût fallu s'appuyer sur des autorités plus élevées, elles ne sont pas rares j'ai la satisfaction de pouvoir déclarer que jamais nation n'a été servie par des officiers de mer plus braves & plus habiles que ceux que l'Angleterre peut s'enorgueillir de posséder actuellement : à l'égard de cette cour, je vous supplie, messieurs, qui la composez, de vous rappeller qu'elle est une cour[p.416]d'honneur, aussi bien que de justice, que vous y siégez en cette double qualité, & que je parois devant vous, non dans la vue seule de sauver ma vie, mais rempli d'un objet bien plus important, celui de laver ma réputation.

Mon accusateur, monsieur, ne s'est pas médiocrement trompé dans les notions qu'il s'est formées du devoir d'un commandant en chef ; sans cela, il ne m'eût jamais accusé de la manière dont il l'a fait.

Dans une action, les officiers subordonnés sont, ou doivent être occupés de leur devoir, pour observer les manœuvres des autres : dans un engagement général, il est à peine possible qu'un même objet se présente sous un même point de vue aux commandans de deux vaisseaux différens ; l'inégalité des distances, des positions, les nuages, la fumée, interceptent, ou changent le point de vue ; de là, la différence qui doit se trouver dans l'opinion que se forment divers officiers, de telle ou telle autre manœuvre, sans que leur jugement soit soumis à l'influence d'une partialité volontaire : ai-je conçu les objets d'une manière exactement correspondante avec la vérité ! Les ai-je vus de l'œil de l'inexpérience, ou comme il plaît à mon accusateur de l'avancer ? les ai-je vus d'une manière indigne d'un officier ? Tous ces points sont encore à décider ; tout ce[p.417]que je puis dire, c'est que, ce que sir Hugh Palliser a imputé à ma négligence, étoit l'effet de la délibération & du choix, j'ajouterai que lorsque j'ai mis à la voile, je n'étois pas limité dans mes pouvoirs, il étoit laissé à ma discrétion d'agir comme je le croirois convenable pour la défense du royaume. J'ai manœuvré, j'ai combattu, je suis revenu, j'ai fait de mon mieux : si mes talens n'étoient pas proportionnés à l'importance du commandement, j'ai la satisfaction de penser que je ne l'ai pas sollicité, que je n'ai pas traité pour l'obtenir. Je reçus, il y a plus de deux ans, en novembre 1776, du premier lord du département de la marine, une lettre dans laquelle il observoit que, vu les mouvemens des cours étrangères, il pourroit devenir nécessaire de préparer une flotte d'observation ; ma réponse à cette lettre fut que j'étois prêt à recevoir de sa majesté les ordres donc elle daigneroit m'honorer, & je demandai en même tems l'honneur d'une audience ; elle me fut accordée, je fus admis dans le cabinet du roi, & je lui dis que j'étois disposé à le servir aussi long-tems que ma santé le permettroit, je n'en entendis plus parler qu'en mars 1778, époque à laquelle j'eus deux ou trois audiences, & je dis à si majesté que je n'avois aucune liaison avec ses ministres, mais que je plaçois ma[p.418]confiance dans sa protection & dans son zèle pour le bien public ; dans tout cela, il n'entroit pas de vues sinistres, ou bassement intéressées : je n'y gagnois rien ; je cédois seulement au défit qui me pressoit de servir mon pays : il y a plus, ce ne fut qu'avec répugnance, que j'acceptai le commandement en chef ; je craignois de n'être pas soutenu par le gouvernement, je prévoyois que plus le commandement étoit éminent, plus ma réputation étoit exposée, & que si j'essuyois quelques revers de fortune, on pourroit me les imputer comme des crimes ; pendant quarante ans de service, je n'avois reçu aucune marque particulière de faveur, seulement dans les tems de danger public, j'ai été honoré de la confiance de mon souverain : on n'avoit pas encore déféré au tribunal du public, mon défaut de talens, ni mon inconduite ;& il est un peu étrange, qu'instruit, comme il faut que l'ait été mon accusateur de ce défaut de talens de ma part, il est étrange, dis je, monsieur, que ce soit ce même accusateur qui m'a apporté le message qui me chargeoit du commandement de la flotte, & que ce soit lui qui me l'a annoncé, (en apparence, avec un plaisir sincère) ; dans ce tems-là, il existoit, ou il n'existoit point de raison de douter de mes talens, s'il en existoit, comment mon accusateur a-t-il pu désirer[p.419]de me voir accepter un commandement dont je n'étois pas capable ? S'il n'en existoit pas, il y a seize mois, depuis je n'ai donné aucun sujet de les faire révoquer en doute.

À mon retour de l'expédition, je ne me suis plaint de rien, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour empêcher qu'il n'éclatât aucun murmure, je me suis même ouvert au premier lord de l'amirauté comme je l'eusse fait avec mon ami le plus intime ; cela pouvoit être imprudent, cela pouvoit être dangereux : mais, monsieur, je suis naturellement ouvert & sans défiance, je ne m'attendois pas à voir tendre des pièges où l'on chercheroit à me prendre sur l'autorité de mes propres paroles.

Ce fut en mars 1778 que l'on me dit qu'une flotte étoit prête & attendoit que j'en prisse le commandement. Lorsque je me rendis à Portsmouth, je n'y trouvai que six vaisseaux prêts ;& en les examinant avec les yeux d'un homme de mer, leur condition ne me plut en aucune manière, avant que je quittasse Portsmouth, quatre ou cinq vaisseaux de plus étoient prêts, & je rendrai aux personnes employées dans ce département, la justice de déclarer qu'à dater de ce moment-là, elles ont apporté toute la diligence possible à mettre la flotte en état de servir ; le 30 Juin je mis à la voile avec vingt[p.420]vaisseaux de ligne ; très-heureusement je rencontrai la Belle-Poule& quelques autres frégates Françoises, à bord desquelles il se trouva des papiers & des lettres qui ont été d'un service important à l'état ; le capitaine Marshall se distingua infiniment en cette occasion : j'avouerai que lorsque je rencontrai ces frégates, je fus embarrassé sur le parti que j'avois à prendre ; je concevois d'une part que l'incident étoit favorable à mon pays, de l'autre, je craignois qu'on ne mît sur mon compte une guerre qui pouvoit en résulter avec la France, ainsi que toutes ses conséquences ;& c'est ce qui peut encore arriver : on peut réserver cette circonstance pour fournir contre moi un nouveau sujet d'accusation ; car au moment où je parle, ma conduite n'a pas encore reçu à cet égard ni approbation, ni censure officielles. Lorsque je fis voile avec vingt vaisseaux de ligne, trente-deux vaisseaux, également de ligne, mouilloient dans les eaux de Brest, non-compris un nombre incroyable de frégates : devois-je chercher à combattre une force supérieure ? Je n'ai jamais craint & je ne craindrai jamais d'engager une force supérieure à celle que je commandois alors, ou que je puis commander dans la suite ; mais je sais ce que des hommes & des vaisseaux, peuvent faire ; si la flotte que je commandois[p.421]eut été détruite, les François fussent reliés maîtres de la mer ; il faut du tems pour remettre une flotte en état ; vu la situation des affaires, on ne se procure pas promptement ce qui est nécessaire à la marine : jamais je n'éprouvai un chagrin si profond que lorsque je me vis obligé de tourner le dos à la France ; je quittai ma station, & jamais le courage ne fut mis à une si cruelle épreuve.

On me permit de faire voile une seconde fois, & je partis sans avoir reçu au sujet de ma conduite ni louange ni blâme officiels ; ces circonstances étoient décourageantes, mais elles ne m'affectèrent pas à un certain point : mon objet principal étoit de mettre en mer avec toute la hâte possible : à mon retour je fus très-surpris de me voir menacé du sort de l'amiral Byng, & encore de me voir accusé de lâcheté.

Au commencement de juillet j'appareillai avec trente vaisseaux de ligne, l'amiral François appareilla de Brest avec trente-deux. Je crois que lorsque les flottes furent en vue l'une de l'autre, les François ne furent pas peu surpris de me trouver si fort : mon intention n'est pas de jetter la plus légère imputation sur le courage de l'amiral François ; je le crois un brave homme, & je suppose que la conduite qu'il tint étoit fondée sur quelque raison particulière : comme j'avois[p.422]toute sorte de raison de penser que les François ayant évité le combat, tandis que durant quatre jours, il étoit en leur pouvoir de m'attaquer, atttendoient quelque renfort considérable, j'étois déterminé à les y forcer s'il étoit possible, « je pensois que le plutôt seroit le mieux ; d'autant plus que je savois que nos flottes des deux Indes pouvoient être interceptées, leurs convois traversés, & l'Angleterre eut tout perdu. Qu'il me soit permis de rappeller que sous le règne de Guillaume (William) le brave amiral Russel fut deux mois en vue d'une flotte Françoise & ne put l'engager au combat ; il n'est donc pas tout-à-fait si extraordinaire qu'on l'a représenté que j'aie été quatre jours dans la même position, avant d'en venir à une action, & sans le changement favorable qui survint le 27 dans le vent, je n'eusse pu engager les François à combattre dans le tems où je l'ait fait.

Je suis extrêmement fâché, monsieur, de ce que l'amirauté m'a refusé la liberté de produire mes instructions, lors de tous les conseils de guerre précédemment tenus, on a envoyé aux membres du conseil (ou de la cour) les instructions & les ordres avec les chefs d'accusation ; comme dans cette occasion, on me le refuse, je dois me soumettre, & je le fais.

Quoique le 27 Juillet j'aie combattu & battu[p.423]mon ennemi, quoique je l'aie forcé à chercher un asyle dans ses ports, il est certain que cet effort n'a répondu en aucune manière à mes désirs, j'ai forcé de voiles pour renouveller l'attaque, les témoins que je produirai expliqueront pourquoi je n'ai pu remplir mon dessein ; il est vrai que j'eusse pu chasser les trois vaisseaux que l'on découvrit dans la matinée du 28 Juillet ; mais avec peu d'apparence du succès : je préférai donc de retourner à Plymouth avec ma flotte désemparée, pour me mettre en état de reparoître en mer, n'oubliant pas cependant de laisser deux vaisseaux en croisière pour la protection de nos flottes marchandes, qui Dieu merci, sont toutes arrivées intactes.

À mon retour, monsieur, j'évitai soigneusement de prononcer une syllabe de plainte, parce que cela eut pu suspendre nos opérations navales, ce qui dans ce tems-là eut été infiniment dangereux : je ne pouvois m'occuper de conseils de guerre, lorsque l'on avoit des objets plus importans en vue.

La seconde édition du livre de Loc (journal de navigation) du Formidable, paroît avoir été plutôt fabriquée pour disculper mon accusateur que pour m'inculper moi-même, je passerai donc par-dessus, & je permets à l'accusateur d'en tirer le meilleur parti qu'il pourra ; mais je ne[p.424]puis pas être aussi civil à l'égard des altérations & des additions faites au livre de loc du Robuste, la conduite du capitaine Hood doit avoir frappé la cour d'étonnement, & quiconque en a été témoin, excepté mon accusateur.

On a cru, monsieur, tirer un grand avantage de ma lettre à l'amirauté, il s'y trouve un passage par lequel il paroît que j'ai approuvé indistinctement la conduite de tous les officiers de la flotte : la cour voudra bien observer que je ne devois pas informer l'Europe entière qu'un vice-amiral sous mes ordres, s'étoit rendu coupable de négligence, tant qu'il a paru possible qu'il excusât sa conduite : quant aux conseils de guerre, il résultera certainement de celui-ci un très-mauvais effet, il dégoûtera tout officier d'accepter la commission de commandant en chef, tant qu'il se verra exposé à être cité par le premier officier subordonné qui en formera le projet.

Ayant fait mention de mes lettres, j'observerai à ce sujet, monsieur, que je n'ai jamais eu de tâche si désagréable à remplir que celle d'écrire ma lettre du 30 juillet ; au reste si j'écris mal, je me flatte que je me suis bien battu. Le nombre des prises riches que nous avons faites, nombre qui, vu la courte période de tems, passe tout ce que l'on a jamais vu dans ce genre, prouve évidemment que le commerce de la[p.425]France a été abandonné, sa majesté en a fait mention dans le discours qu'elle a prononcé du haut du trône.

M. le Président,

Je désire actuellement que le juge avocat lise l'accusation ; je répondrai à ses chefs divers.

 

Discours adressé par le Président du Conseil de guerre à l'Amiral Keppel, en lui remettant son épée, & en le déclarant pleinement déchargé des chefs d'accusation intentés contre lui.

 

Du 11 Février 1779,

Amiral Keppel,

Ce n'est pas un plaisir médiocre pour moi que de recevoir de la cour que j'ai l'honneur de présider, l'ordre en vous rendant votre épée, de vous féliciter de ce qu'elle vous est rendue avec tant d'honneur, espérant qu'avant peu,[p.426]appellé par votre souverain, vous en ferez encore usage pour la défense de votre pays[45].

[p.427]

 

Discours de l'Orateur de la Chambre des Communes adressé à l'Amiral Keppel, le jour de sa rentrée dans cette Chambre, pour le remercier de la sagesse & du succès de sa conduite dans la dernière campagne, & pour le féliciter de la manière glorieuse dont il vient d'être déchargé par la sentence du Conseil de guerre.

 

Du 18 Février 1779.

Amiral Keppel,

J'ai l'honneur d'être chargé par la chambre de vous présenter ses remercimens, à raison de la conduite très-sage & couronnée de succès que vous avez tenue dans le cours de la campagne[p.428]dernière : après avoir occupé si long-tems cette chaire, je me flatte qu'il seroit superflu de dire que j'obéis de la manière la plus implicite à tous ses ordres : dans cette occasion, je les ai reçus avec une satisfaction particulière, & en m'y conformant, je satisfais autant mes propres sentimens que les siens. Cette chambre ne fait de remercimens que dans des occasions extraordinaires, & qu'à des hommes qui ont beaucoup mérité de leur pays ; aujourd'hui elle se conforme à cette règle, & c'est, monsieur, avec un plaisir particulier qu'elle vous voit si honorablement revenu à votre place ; il faut convenir que lorsque le jour d'une décharge glorieuse succède à celui de l'instruction d'un rigide procès, tout ce qu'il y a d'âmes honnêtes doit éprouver du plaisir.

Appellé par votre souverain, vous avez volé à la défense de votre pays dans un tems ou ses côtes étoient menacées d'une invasion ; toutes les classes de citoyens, apprirent avec la joie la plus sincère que vous étiez nommé au commandement de notre flotte, & cette chambre ressentit une satisfaction particulière en considérant que la confiance que l'état avoit mis en vous n'a pas été déplacée. On a intenté contre vous une accusation de mauvaise conduite & de négligence dans le devoir, aux journées des 27[p.429]& 28 juillet, la conduite que vous avez tenue ces deux jours, ayant été pleinement & délibérément examinée par les hommes de la nation les plus propres à l'apprécier, leur décret unanime vous a pleinement & honorablement déchargé d'accusation ; ils ont même déclaré que loin d'avoir donné lieu à une accusation de mauvaise conduite & de négligence dans le devoir, aux journées du 27 & 28 juillet, par votre conduite, au contraire vous avez prouvé dans ces deux journées que vous êtes un officier judicieux, brave & expérimenté, & que l'accusation intentée contre vous étoit mal fondée & malicieuse ; la chambre est parfaitement convaincue que votre conduite en général, lorsque vous commandiez en dernier lieu, vous a fait le plus grand honneur, & a tendu les services les plus signalés à la nation ; elle a donné de la protection & de la sûreté au commerce de votre pays, elle a écarté toute possibilité de l'invasion qui le menaçoit, & a fait honneur au pavillon Anglois ; la chambre se réjouit de voir qu'il existe encore dans ce pays des talents & un zèle égaux à ceux qui ont illustré les noms les plus révérés qui lui aient jamais fait honneur, talents & zèle capables d'assurer sa défense dans cette crise très-alarmante ; elle espère que votre souverain vous appellera encore pour tirer contre[p.430]l'ennemi de votre pays cette épée dont vous avez si souvent & si honorablement fait usage. Permettez que je vous répète avec combien de plaisir je m'acquitte envers vous de cet ordre de la chambre, & combien je me réjouis de vous y voir rentrer si honorablement.

 

Réponse de l'Amiral Keppel à l'Orateur de la Chambre des Communes. Après avoir exprimé sa reconnoissance, il s'empresse de reconnaître que ses efforts pour le service public ont été vivement secondés par beaucoup d'Officiers braves & habiles qui servoient avec lui.

 

Du 18 Février 1779.

M. l'Orateur,

Il m'est impossible de trouver des termes qui expriment combien me pénètre de reconnoissance l'honneur que me fait cette chambre, en approuvant ma conduite. La bonne opinion de mes concitoyens exprimée par les représentans de la nation ne peut qu'ajouter agréablement à la satisfaction que m'a récemment causée la sentence du conseil de guerre dont vous avez bien voulu faire mention ; sentence qui a été le résultat d'une enquête[p.431]pleine & délibérée, & qui a exprimé la façon de penser des membres du conseil, en termes également honorables pour eux & pour moi. Le plaisir que j'éprouve en ce moment, ne reçoit pas un degré médiocre de vivacité, lorsque je me rappelle involontairement les sensations différentes que j'ai éprouvé la dernière fois que je me suis trouvé dans cette chambre & à cette place.

Je serois coupable d'une grande injustice, si dans une occasion pareille, je négligeois d'informer cette chambre que les efforts que j'ai fait pour le service public & qu'elle a bien voulu distinguer, ont été secondés avec zèle par un nombre d'officiers aussi braves & aussi habiles que l'Angleterre en ait jamais produit, à l'attention & au courage desquels, après la divine providence, le succès de ces efforts doit être attribué en grande partie.

Je ne puis finir, monsieur, sans vous adresser personnellement mes remercimens particuliers, des termes infiniment obligeans dont vous vous êtes servi en exécutant l'ordre de la chambre.

[p.432]

 

Discours de M. Fox, dans lequel il s'élève fortement contre la négligence coupable du premier Lord de l'Amirauté, & contre l'oubli manifeste des promesses qu'il avoit fait hautement dans cette même chambre. De quarante deux vaisseaux qui, à l'en croire étoient au mois de Novembre 1777 prêts à mettre à la voile, il n'en avoit paru que vingt. M. Fox demande l'exposition de toutes les lettres relatives à l'équipement de cette flotte, ou bien une déclaration verbale de la part des Ministres ou des Lords-Commissaires de l'Amirauté.

 

Du 23 Février 1779.

J'ai prévenu la chambre, en ouvrant la séance, qu'aujourd'hui je demanderois en communication les papiers contenant les informations que le ministère s'est procurée dans le tems concernant la force, le nombre des vaisseaux, des hommes, des canons, &c. qui se trouvoient dans le port ou dans les eaux de Brest, lorsqu'au mois de mai dernier l'Amiral Keppel appareilla avec vingt vaisseaux de ligne. Comme le tems du danger est passé à cet égard, je me flatte que la communication de ces papiers ne[p.433]pouvant nuire en aucune manière aux intérêts de la Grande-Bretagne, ma motion ne rencontrera aucun obstacle : cependant comme il m'est revenu que la majorité se proposoit d'y former opposition, je me trouve dans la nécessité de déduire les motifs sur lesquels elle porte.

La chambre se rappelle qu'au commencement de la dernière session, en novembre 1777, le premier lord de l'amirauté déclara en parlement qu'il avoit trente-cinq vaisseaux de ligne prêts à mettre en mer, & que dans peu de jours il en auroit sept de plus, également prêts, que cette déclaration du noble lord fut suivie d'une seconde, dont les termes étoient :« Si un premier lord de l'amirauté n'entretenoit pas la marine d'Angleterre de manière à avoir en tout tems une flotte prête & supérieure à celles que les puissances combinées de France & d'Espagne pourroient envoyer contre ce pays, il devroit ne pas conserver sa place ». Il est à remarquer que cette dernière déclaration étoit spontanée de la part du noble lord, que comme telle, elle méritoit plus d'attention, en ce qu'elle annonçoit combien S. S. étoit pénétrée de l'étendue de ses devoirs. Que messieurs se rappellent actuellement ce qui a suivi cette déclaration, & jusqu'à quel point le noble lord a montré de prudence en conséquence.[p.434]Au commencement de la dernière session, j'informai la chambre qu'il venoit d'être signé un traité entre la France & les États-Unis ; le noble lord au ruban bleu, ses suppôts & ses créatures traitèrent l'information avec leur légèreté ordinaire : cela n'empêcha pas qu'au mois de mars suivant le marquis de Noailles n'en donnât la confirmation, en notifiant l'existence de ce traité.

Alors, l'amiral Keppel, ainsi qu'il paroît par sa défense, fut appellé & chargé du commandement de la flotte de Portsmouth ; il s'y rendit, & ne trouva que six vaisseaux prêts à mettre en mer : il est vrai que peu de tems après on en équipa quelques-uns de plus, & que d'encore en encore il se trouva en mai vingt vaisseaux avec lesquels l'amiral appareilla. Voilà donc deux grands mois employés à équiper quatorze vaisseaux, & il y en avoit alors six (en novembre), que le premier lord de l'amirauté avoit solemnellement affirmé, qu'il en avoit trente-cinq prêts à mettre en mer, que peu de jours après il en auroit quarante-deux. Dans le fait, ces quarante-deux vaisseaux dans le cours de deux mois se réduisirent à six, & dans le cours de six mois à vingt : les vingt-deux autres étoient encore dans le vuide de l'imagination ! on m'objectera qu'au mois de mai on avoit[p.435]détaché quelques escadres, entr'autre une de treize vaisseaux aux ordres de l'amiral Byron ? Cette objection ne répond pas à celle qui naît des promesses faites par le premier lord de l'amirauté, il s'étoit engagé à rassembler des forces navales supérieures à celles de la France & de l'Espagne ; or, il étoit de notoriété publique que la France avoit aussi détaché treize vaisseaux aux ordres du comte d'Estaing : il faut donc que les ministres conviennent qu'ils ont négligé de s'assurer la supériorité promise, ou qu'ils ont oublié qu'indépendamment des forces ennemies rassemblées à Brest, il existoit un port de Toulon : la négligence de l'oubli en pareil cas sont d'autant plus coupables que tout ce qui est arrivé étoit prévu, qu'on avoit dit, redit, répété cent fois dans cette chambre qu'une guerre avec la France étoit inévitable ! Suivons la marche du ministère, l'amiral Keppel met en mer au mois de mai avec vingt vaisseaux de ligne : il a le bonheur de rencontrer & de prendre deux frégates Françoises, dont les expéditions lui apprennent que la flotte ennemie, mouillant dans le port ou dans les eaux de Brest, est d'une force supérieure aux siennes : l'amiral, pour s'assurer du fait, se porte lui-même dans les eaux de Brest, & ses yeux confirment ce qu'il a déjà sçu : quel parti doit-il prendre ? Celui de[p.436]revenir à Portsmouth ; circonstance qui ne ressembloit pas mal à une fuite… À Dieu ne plaise qu'en faisant cette observation on puisse me soupçonner de censurer la conduite de l'amiral ! elle fut dans cette circonstance, comme dans mille autres, celle d'un officier sage & habile, & c'est à cette retraite peut-être que nous devons uniquement l'état de sûreté dont nous jouissons : je ne fais mention de ce fait que pour faire sentir à quoi aboutirent alors les promesses faites six mois auparavant par le premier lord de l'amirauté, relativement à la supériorité que nous devions avoir en mer sur les forces réunies de la France & de l'Espagne : il me paroît suffisamment prouvé que non-seulement nous n'avions pas alors des forces supérieures à celles de ces deux puissances, mais même qu'à peine en avions-nous d'égales à celles de la France seule ; or une matière d'une si haute importance doit certainement être l'objet d'une enquête publique, & la motion que je vais faire tend directement à faciliter cette enquête.

Qu'il soit présenté une humble adresse à sa majesté, à l'effet de la supplier de vouloir bien ordonner qu'il soit mis sous les yeux de cette chambre des copies ou extrait de toutes les lettres reçues par aucuns des ministres de sa majesté ou des lords commissaires de l'amirauté,[p.437]contenant quelqu'information relative à l'équipement, au nombre & à la force de la flotte qui appareilla de Brest au mois de juillet sous les ordres de M. d'Orvlliers.

En employant le mot extraits, on doit s'appercevoir que je préviens toutes les objections que pourraient faire les ministres, sous prétexte du danger qu'il y auroit à révéler telle ou telle circonstance : ils pourront supprimer tout ce qui leur paroîtra ne devoir pas être connu du public : si malgré cette précaution ils ont encore quelque répugnance à produire les extraits demandés, s'ils veulent nous apprendre verbalement quelle a été dans le tems la nature des informations ; s'ils ont su ou non quelle étoit la force de la flotte de Brest, avant que l'amiral Keppel appareillât avec vingt vaisseaux, cela me suffira : l'objet unique de ma motion est de poser les fondemens d'une enquête ; j'y renonce si l'on peut ordonner une enquête sans elle.

[p.438]

 

Réponse de Lord North, au Discours précédent. Il s'oppose à la communication des lettres relatives à l'équipement de la flotte, même de tout extrait de ces lettres, sous prétexte que des pièces de cette nature doivent être tenues secrettes. Il s'oppose aussi à la déclaration verbale, parce quelle entraîneroit nécessairement la production des lettres ministérielles. Au surplus, il ne convient pas qu'on ait jamais blâmé les mesures de l'Administration, & il consent volontiers à l'enquête que l'on désire.

 

Du 23 Février 1779.

Je ne formerai certainement aucune opposition à cette enquête, & je suis enchanté que l'honorable membre pense que l'on peut se passer des papiers désignés dans la motion ; car s'il eût fallu produire ces papiers, leur communication eût été peut-être infiniment plus nuisible qu'avantageuse, même en ne produisant que des extraits ; parce que des lettres de cette nature n'ont rien que de secret, & qu'il est impossible d'en rien extraire qui ne tire à quelque conséquence : je trouve les mêmes inconvéniens attachés à la déclaration verbale que l'honorable[p.439]membre propose de substituer à la production des lettres ; si l'on en vient à une enquête, si dans le cours de cette enquête les ministres se trouvoient accusés, ils seroient certainement obligés de produire pour leur défense les papiers demandés, mais je ne crois pas qu'ils se trouvent réduits à cette nécessité, parce que je n'ai jamais oui dire que l'on ait blâmé l'administration d'avoir envoyé une flotte dans la Manche ; au contraire, l'activité du premier lord de l'amirauté lui fit dans le tems un honneur infini : qui dit une enquête ne dit pas une accusation ; je répète qu'il est non-seulement convenable, mais même nécessaire, d'en faire une sur ce qui s'est passé dans le cours de l'été dernier, mais lorsqu'elle aura lieu, on trouvera les ministres parfaitement tranquilles sur les suites, & prêts à satisfaire le parlement & la nation entière à l'égard de leur conduite.

[p.440]

 

Réplique de M. Townshend, à la réponse de Lord North. Il s'étonne que ce Ministre ose avancer que personne n'a reproché à l'Administration sa conduite pendant l'été dernier. Il expose rapidement les principaux motifs du mécontentement auquel elle a donné lieu.

 

Du 23 Février 1779.

Il est assez étrange que pour prouver que l'administration est irréprochable, un ministre pose en fait que personne ne lui a reproché la conduite qu'elle a tenue l'année dernière ; cette assertion est un peu forte.

Je défie au flatteur le plus vil, tiré du troupeau nombreux qui rampe dans les bureaux du trésor, de regarder le noble lord en face, & d'oser lui dire sans rougir que la conduite du ministère n'a pas été blâmée ? Eh ! qui eut pu s'en dispenser ? Qui auroit le front de le nier aujourd'hui ? À raison de quoi eut-on pu approuver cette conduite ? Seroit-ce parce qu'on a souffert que les François s'emparassent entièrement de notre commerce dans la Méditerranée, & prissent tous les navires marchands que nous avons envoyés dans cette mer ; depuis que l'Angleterre[p.441]& la France sont deux monarchies distinctes, il n'est pas arrivé que la première n'ait pas eu quelques forces proportionnées aux circonstances pour s'assurer du Détroit : dans les circonstances présentes une escadre forte y étoit indispensable, & nous y avons l'amiral Duff, qui, la lunette en main, a le chagrin de voir prendre nos vaisseaux l'un après l'autre, sans pouvoir en protéger aucun faute de forces suffisantes… On assure que récemment six vaisseaux sont sortis du port de Toulon pour se joindre à la flotte de Brest ; on les a laissés passer tranquillement ; nos ministres ont jugé à propos de biffer Toulon sur la carte de l'Europe, &, débarrassés de la vue de ce port inquiétant, ils se persuadent qu'il n'existe plus.

[p.442]

 

Discours de l'Amiral Keppel, sur le même sujet II déclare qu'il a observé la plus grande discrétion sur les instructions ministérielles. Il se plaint ensuite avec la sensibilité & la fierté d'un brave militaire, de la froideur des expressions de la lettre que le bureau de l'Amirauté lui a écrite, pour lui annoncer que la suspension de ses fonctions n'avoit plus lieu.

 

Du 23 Février 1779.

Je proteste à la chambre que je n'ai rien su de l'intention de mon honorable parent (M. Fox), que je n'ai aucune part à la motion qui vient d'être faite ; d'ailleurs que n'aimant à me plaindre de qui que ce soit, ni à parler de moi-même, il est dans mes principes d'en éviter l'occasion autant qu'il est possible ; aujourd'hui, cependant, je ne puis me dispenser de parier avec la sensibilité & la liberté d'un brave militaire : il est de mon devoir de déclarer que je n'ai pas laissé au pouvoir des ministres de m'accuser d'avoir divulgué leurs ordres ;& que personne au monde ne sait si j'ai violé leurs instructions. La personne à laquelle je suis le plus étroitement unie par le sang, ignore pourquoi je suis revenu à Portsmouth avec mes vingt vaisseaux ; [p.443]& si quelqu'un de mes amis eût eu l'imprudence de m'en demander la raison, il n'eût pas tiré de moi une syllabe relative à ce qu'il étoit indispensable que je susse des secrets du ministère : il est certain que les ministres n'ont donné aucune marque d'approbation à ma conduite, ni lorsque je suis revenu des eaux de Brest, ni après l'issue du conseil de guerre ; mais j'ai été amplement dédommagé, j'ai reçu ceux du public : c'est plus que ne méritoient mes services ; si j'ai à me plaindre de quelque chose, c'est de la lettre très-froide que l'amirauté m'a adressée pour m'annoncer que la suspension de mes fonctions n'avoit plus lieu ; si ce bureau eût inséré dans sa lettre quelques mots tirés de la sentence du conseil de guerre, j'eusse regardé cette attention de sa part comme une faveur, une consolation, un encouragement ; mais n'importe, au milieu des dégoûts je me regarde comme devant à mon roi & à mon pays mes services & mon sang, en reconnoissance des faveurs dont j'ai été comblé.

[p.444]

 

Discours de M. Fox, dans lequel il dénonce à la Chambre & à la Nation le premier Lord de l'Amirauté, pour avoir exposé par une négligence impardonnable l'Amiral Keppel à une défaite presque certaine, dont les suites, si elle eût eu lieu, auroient infailliblement ruiné durant plusieurs siècles l'existence de la Marine & de la Nation Angloise. Il demande, à ce sujet, l'enquête la plus sévère, au défaut des pièces officielles que Lord Sandwich refuse de produire.

 

Du 3 Mars 1779.

Avant de présenter ma motion, avant même d'assigner les motifs sur lesquels elle est fondée, j'ai quelques observations indispensables à faire. Je crois qu'il est à peu près généralement reconnu que dans les gouvernemens despotiques, où un seul homme est revêtu du pouvoir suprême, où ce seul homme est monarque absolu, les opérations de la guerre sont plus rapidement & plus aisément exécutées au commencement, qu'elles ne le sont dans les gouvernemens dont la liberté est la base : la raison s'en présente d'elle-même ; dans les monarchies où la voix d'un seul homme met le pouvoir en action,[p.445]lorsqu'il ouvre la bouche, il dit fiat, & tout se fait à l'instant : là les préparatifs sont par conséquent plus rapides que lorsqu'il faut soumettre leurs détails à diverses personnes qui, subordonnées dans leurs emplois, craignent de s'attirer la censure du corps législatif ; puisqu'en théorie, il est de principe qu'au commencement d'une guerre les gouvernemens arbitraires ont un avantage particulièrement attaché à leur constitution. Comment se fait-il cependant que les nations libres soient généralement les plus remarquables par leurs succès militaires, par la gloire qu'elles acquièrent aux champs de Mars ? Ce fait est cependant mille fois consigné dans les fastes de l'histoire ancienne : l'histoire moderne n'en fournit pas un si grand nombre d'exemples ; on y apprend cependant que les nations libres, qui ont eu à combattre des nations qui ne l'étoient pas ; ont eu une supériorité marquée sur leurs ennemis : à chaque page de notre histoire, nous trouvons de nouvelles preuves de nos succès militaires contre des puissances étrangères, qui, si l'on eut jugé d'après les probabilités, devoient être victorieuses ; mais si nous voulons apprécier les probabilités de succès, en comparant deux puissances belligérentes à l'égard de l'étendue de leurs états & de la quantité d'hommes qu'elles peuvent mettre sur[p.446]pied, l'histoire de la Hollande & de la Suisse nous prouvera ce que peuvent les efforts d'un peuple libre contre des princes arbitraires, dont les peuples sont esclaves.

Puisque la théorie établit que le prince despote au commencement d'une guerre à l'avantage sur un peuple libre ; puisqu'en même tems que l'on convient de ce fait, on est forcé par l'expérience de tous les siècles de convenir encore qu'avec le tems le peuple libre triomphe du prince despote, il existe entre la théorie & la pratique, une considération dont j'ai cherché à démêler le principe secret, je crois y avoir réussi.

Dans tout gouvernement libre, le peuple en général est essentiellement intéressé au succès de la guerre : cet intérêt exige qu'il le considère sous tous ses rapports : qu'il examine d'abord si elle est juste & nécessaire ; ensuite si elle est conduite avec sagesse & avec vigueur ; enfin si sa conclusion est avantageuse & honorable ; non-seulement il est une partie intéressée à son bon ou à son mauvais succès ; mais comme tel il a droit d'observer si elle est bien ou mal conduite, de faire des recherches sur toutes les démarches qu'elle a occasionnées ; de destituer ceux qui l'ont conduite, ou imprudemment ou négligemment ;& en se conformant aux formes[p.447]judiciaires, qu'il est toujours important de maintenir, le peuple libre a même le droit de procéder au châtiment de tout officier public contre lequel il peut être prouvé qu'il s'est rendu coupable de négligence dans ses devoirs. J'ai cru devoir faire ces observations avant de motiver plus particulièrement la motion que je me propose de faire.

Dans toutes les guerres que nous avons eu à soutenir, notre marine a toujours été notre boulevard principal, c'est dans cette partie de nos forces qu'en tout tems nous avons placé notre confiance : c'est au développement bien entendu de ces forces que nous avons toujours dû notre sûreté, l'accroissement de nos domaines, celui de nos richesses, de notre commerce, de notre gloire, de notre honneur & de la prospérité nationale ; c'est d'après ces notions distinctes & invariables que cette chambre dans tous les tems, mais jamais avec tant de profusion que sous l'administration actuelle, a voté des sommes considérables pour l'entretien & pour l'accroissement de notre marine : après avoir posé ces questions diverses, après avoir annoncé que l'objet de ma motion étoit de dénoncer une certaine personne comme coupable de négligence dans ses devoirs, il est sans doute inutile que je nomme le premier lord[p.448]de l'amirauté : je supplie seulement la chambre, avant que j'aille plus loin, de vouloir bien se convaincre, premièrement, que dans ma dénonciation, il n'entre aucun motif personnel, que je ne suis point ennemi du noble lord, que je n'ai aucune raison particulière de le citer au tribunal de la nation ; qu'au contraire je n'ai jamais personnellement éprouvé de sa part que beaucoup d'honnêteté & de politesse : qu'en un mot c'est uniquement pour remplir mon devoir à l'égard de la nation en général & du parlement en particulier, que je vais entamer une enquête de la nature la plus honteuse, il s'agit de prouver que sans l'excellente conduite de mon honorable parent (l'amiral Keppel), sans le hazard fortuné qui nous a servi l'année dernière, c'en étoit fait de la Grande-Bretagne ! Un autre point sur lequel je suis bien aise de m'expliquer avant d'entrer en matière, c'est qu'il n'est pas dans mon intention d'attaquer individuellement aucun membre de l'amirauté : dans le fait le noble lord doit répondre seul de la conduite de ce département : il est le seul à qui l'accès soit ouvert auprès du roi, le seul que l'on appelle aux comités du conseil : en un mot, dans toute l'étendue du terme, il est ministre au département de la marine.

C'est la conduite de ce ministre qu'il s'agit[p.449]d'examiner depuis le commencement de la guerre : or, je ne remonterai pour le moment qu'à 1777 ; au mois de novembre de cette année, le noble lord nous déclara qu'il avoit trente-cinq vaisseaux de ligne prêts à mettre en mer & sept autres presque prêts à les suivre : au mois de mars suivant, l'amiral Keppel part pour prendre le commandement de la flotte soit-disant assemblée à Portsmouth. Il arrive ;& trouve que cette flotte qui doit défier, couler bas, détruire les flottes combinées de la France & de l'Espagne, est composée de six vaisseaux ! Il examine ces six vaisseaux & n'en est pas content : quelque tems après, à force d'industrie, on parvient à en équiper vingt avec lesquels l'amiral met en mer : sa bonne fortune lui fait rencontrer les frégates, la Licorne, la Pallas, & les papiers qu'il trouve sur leur bord lui apprennent que la flotte Françoise est supérieure à celle qu'il commande, & il est obligé de revenir sur ses pas.

Que dirai-je de la faute impardonnable que l'on a faite en n'envoyant pas l'apparence d'une escadre dans la Méditerranée ? Que dirai-je du retard coupable que l'on a apporté au départ de l'amiral Byron ? Retard dont la conséquence, ne tendoit à rien moins qu'à la destruction de la flotte entière de lord Howe, à la captivité inévitable[p.450]de l'armée que nous avions en Amérique ; mais quoique cette idée seule soit alarmante, il en est une autre qui fait frémir : si l'amiral Keppel eut rencontré la flotte Françoise lorsqu'il n'avoit que vingt vaisseaux, & s'il eut été battu, quelles eussent été les conséquences de cet échec ? On sait ce que disent les François à ce sujet ; se battre avec les Anglois dans la Manche, c'est risquer quelques vaisseaux pour la ville de Londres ; ils sont certains que s'ils vous battent ils prennent possession de votre capitale ! En général la conduite du premier lord de l'amirauté fournit à ma motion plus de motifs qu'il n'est nécessaire d'en produire pour le citer à votre tribunal comme coupable envers l'état ; mais pour le moment il faut commencer par établir un fait : à qui faut-il s'en prendre ? À qui le public doit-il reprocher l'imprudence inouïe d'avoir fait appareiller l'amiral Keppel avec vingt vaisseaux, tandis que l'on étoit certain que les François en avoient trente-deux dans le port ou dans les eaux de Brest ? Si les ministres ont su que ces trente-deux vaisseaux étoient efficacement équipés & prêts à agir, ils ont été coupables au premier chef lorsqu'ils ont confié à vingt vaisseaux les destins de l'Angleterre ; s'ils n'ont pas su qu'il y avoit trente-deux vaisseaux dans les eaux de Brest, cette[p.451]ignorance a été on ne peut pas plus coupable : dans l'un ou l'autre cas ils sont également inexcusables. Or, puisqu'ils m'ont refusé la communication des pièces officielles qui auroient pu servir de fondement à ma motion, avec la permission de la chambre & celle de mon honorable parent, je ferai à l'amiral (Keppel) quelques questions qui suppléeront aux papiers qui me manquent.

Q. Combien de vaisseaux avez-vous trouvés prêts à Portsmouth lorsque vous êtes parti pour prendre le commandement de la flotte ?

R. Six.

Q. En quel état étoient ces six vaisseaux ?

R. Ils n'étoient pas en bon état, mais on les a réparés, & peu de tems après il s'est trouvé vingt vaisseaux à peu près en état.

Q. Combien de frégates ?

R. Quatre, dont deux étoient désemparées.

Q. Avant de rentrer, dans le port, combien avez-vous découvert de vaisseaux dans les eaux de Brest ?

R. J'en ai découvert vingt-sept dont j'étois certain, & les preuves que j'avois de l'existence de cinq autres, ne me permettoient pas de douter que la flotte ennemie ne fût composé de trente-deux vaisseaux effectifs.

Ici M. Fox lut cette partie de la défense de[p.452]l'amiral Keppel dans laquelle ce commandant rend compte de son départ pour Portsmouth ; de son étonnement lorsqu'il n'y trouva que six vaisseaux prêts, & en assez mauvais état ; des efforts rapides que fit l'amirauté pour en équiper vingt avec lesquels il mit en mer le 13 juin ; de la rencontre qu'il fit des deux frégates Françoises, de l'utilité extrême dont lui furent les papiers qu'il trouva à bord de ces frégates en lui apprenant que les François avoient trente-deux vaisseaux de ligne dans les eaux de Brest & trois fois plus de frégates qu'il n'en avoit, &c. M. Fox commenta sur toutes les circonstances.

Il est évident, continua ce membre, qu'immédiatement après avoir découvert la supériorité de la flotte Françoise, si l'amiral Keppel n'eut pas pris le parti de rentrer dans le port, l'Angleterre eut été, si non perdue, du moins exposée au plus grand danger. Lorsque les François disent que se battre avec nous dans la Manche, c'est risquer quelques vaisseaux pour Londres, ils se permettent sans doute une fanfaronade extravagante ; mais il faut convenir que dans le fait, s'ils battoient notre flotte, ils pouvoient effectuer une descente, & quoiqu'il ne songeassent même pas à faire une tentative contre la capitale, ils pouvoient nous faire assez[p.453]de mal ailleurs pour anéantir jusqu'au germe de notre marine, peut-être pour un siècle, peut-être pour plusieurs ! Il me paroît qu'une circonstance si sérieuse mérite l'attention de la chambre ; il est prouvé qu'en envoyant une escadre de vingt vaisseaux contre une flotte de trente-deux, le ministre de la marine a exposé jusqu'à l'existence de la nation aux risques les plus extrêmes ! Je prie messieurs de considérer que si les François eussent réussi à effectuer une descente en Angleterre, ne se trouvant qu'à une distance de trente milles de leurs propres côtes combien il leur eut été plus facile de fournir ici des vivres à leurs troupes, qu'il ne peut l'être pour nous d'en fournir aux nôtres au-de-là de l'Océan ? Je conçois qu'il n'est pas absolument probable que l'Angleterre soit une proie aussi facile à saisir que les François peuvent l'imaginer : en général ils ne se sont pas formé une idée bien exacte de la force intérieure de ce royaume, je crois même que peu de membres dans cette chambre ont imaginé que nos milices pourroient être mises si promptement sur un pied aussi excellent qu'elles nous ont paru l'être l'été dernier, grâce à l'activité & à la vigilance de leurs officiers ; mais malgré tout cela nous devons beaucoup à la prudence de l'amiral Keppel, qui n'a pas cru devoir hazarder[p.454]les destins de son pays contre des forces évidemment & infiniment supérieures aux siennes. Certainement une affaire de cette nature demande une enquête, exige que cette chambre prenne quelque résolution : le noble lord au ruban bleu a jugé à propos de supprimer les pièces officielles qui eussent servi de base à nos procédés ; lui & ses collègues ont fait ce qu'ils ont pu pour éluder l'enquête ; ils ont différé une semaine entière de produire les papiers demandés, & lorsqu'ils les ont produits ils ont eu soin de supprimer la lettre la plus importante de toutes : c'est donc sans le secours des preuves sur lesquelles j'avois compté, que je me trouve obligé d'entamer l'enquête la plus importante qui ait jamais pu intéresser une nation libre.

[p.455]

 

Réplique de Lord Mulgrave, l'un des Commissaires de l'Amirauté, au Discours de, M. Fox. Il commence par tourner en ridicule l'éloquence énergique de cet homme courageux. Il fondent ensuite que le nombre de quarante-deux vaisseaux étoit effectifs & qu'ils étoient distribués de différens côtés. Loin d'être en mauvais état, jamais flotte mieux équipée n'étoit sortie d'aucun port d'Angleterre. Les papiers trouvés par l'Amiral Keppel à bord de la Pallas & de la Licorne n'étoient d'aucune conséquence. Il est très-douteux que la flotte que les François avoient dans les eaux de Brest, fût aussi nombreuse qu'on le prétend ;& quand elle auroit été composée, comme on le dit, de trente-deux vaisseaux, les vingt vaisseaux de l'Amiral Keppel auroient pu la maltraiter & la forcer de rentrer dans son port.

 

Du 3 Mars 1779.

Pour résister les nombreuses assertions faites par l'honorable membre, j'aurai recours aux pièces officielles : j'en demande pardon à la chambre, & je sollicite son indulgence ; ces pièces arides dénuées de tout intérêt, perdent[p.456]sans doute beaucoup à être rapprochées de ces saillies brillantes, de ces images variées que produit sans effort une imagination toujours vive, toujours heureuse en invention. Au nombre des choses très-extraordinaires, dont vient de nous régaler l'éloquence coutumière de l'honorable membre, il nous a lu, comme faisant partie de sa harangue, un morceau détaché de la défense de l'amiral Keppel, défense aussi extraordinaire dans son genre, que par sa prolixité ; d'une longueur si énorme, que si quelque chose m'étonne, c'est que l'honorable amiral n'y ait pas inséré de suite & au long, l'histoire de sa vie entière ; il eut pu le faire à son aise tout aussi bien qu'il y a placé une infinité de choses que l'on ne devoit guère s'attendre à y trouver. Mon intention n'est certainement pas de suggérer que l'honorable amiral n'avoit pas le droit de produire une défense pareille ; mais à mon avis il a été mal conseillé, & s'il eut eu plus de confiance en ses propres lumières, sa défense eut nécessairement eu des rapports plus liés, plus immédiats avec l'accusation : en vérité quiconque a suivi les procédés du conseil de guerre, conçoit difficilement pourquoi on a pris, tant de peines à écrire une défense si travaillée, Elle pèche d'ailleurs par un endroit essentiel : quoiqu'il soit plus que permis, d'employer tous les[p.457]moyens de justification possibles ; il ne l'est certainement pas d'employer ceux de la récrimination contre autrui : l'honorable membre (M. Fox) a pris aussi beaucoup de peine à établir qu'en novembre 1777 le premier lord de l'amirauté a déclaré qu'il avoit trente-cinq vaisseaux de ligne prêts à mettre en mer, & sept à peu près dans le même état ; que malgré cette déclaration, au mois de mars suivant, lorsque l'amiral Keppel est allé à Portsmouth pour y prendre le commandement de la flotte, il n'a trouvé que six vaisseaux prêts : il n'est pas possible de concevoir une assertion plus mal fondée : dans le fait & dans la vérité, en novembre 1777, il y avoit quarante-deux vaisseaux presque prêts, & l'on n'en avoit pas promis à l'amiral plus de six complettement prêts en mars.

Ici lord Mulgrave lut une liste officielle des vaisseaux qui se trouvoient presque prêts, lorsqu'en novembre lord Sandwich fit la déclaration qu'on lui a tant rappellée depuis : tel nombre confié à l'amiral Byron, tel autre nombre envoyé aux Indes Orientales, &c, &c ; total 35, les sept autres firent partie de la flotte de l'amiral Keppel ; il produisit ensuite la lettre que l'amirauté écrivit dans le temps à l'amiral, pour le prier de le rendre à Portsmouth, & fit remarquer que les termes précis étoient pour prendre le commandement[p.458]des vaisseaux actuellement prêts : qu'ensuite elle expliquoit à l'Amiral comment se formeroit sa flotte, & d'où l'on devoit tirer les vaisseaux destinés à la composer.

L'honorable amiral a dit dans sa défense que les six vaisseaux qu'il trouva prêts à Portsmouth ne lui firent pas plaisir : cette déclaration ne me surprend pas médiocrement. Les six vaisseaux dont il s'agit sont regardés comme les meilleurs que nous ayons, & les marins conviennent généralement que jamais flotte mieux équipée ne sortit d'aucun port d'Angleterre.

Une manière de raisonner assez extraordinaire, & dont l'honorable membre (M. Fox) a fait usage, est de trouver un corps de délit dans ce qui présente naturellement quelque chose de louable : l'activité avec laquelle l'amirauté a équipé la flotte, immédiatement après l'arrivée de l'amiral à Portsmouth, est, selon lui, une preuve frappante de la négligence de l'Amirauté, l'honorable membre imagine sans doute que les vaisseaux naissent & croissent dans les chantiers, comme les champignons dans les bois : s'il croit que l'équipement d'une flotte prête à servir en juin, n'a pas occupé l'amirauté plusieurs mois auparavant, le fait est, que c'est à l'application la plus suivie, la plus assidue, secondée par l'attention laborieuse des officiers préposés à la[p.459]direction des travaux, que l'on est redevable si cette flotte s'est trouvée si promptement en état de mettre en mer : lorsque l'amiral mit à la voile avec vingt vaisseaux de ligne, il y en avoit vingt-deux de prêts : mais tout le monde sait que la maladie régnoit parmi les équipages du Shrewsbury& du Terrible, au point qu'il ne fut pas possible d'en faire usage. On fait beaucoup valoir les papiers trouvés à bord de la Pallas& de la Licorne ; en vérité, ils n'étoient cependant pas d'une grande conséquence, & prouvoient peu de chose ; l'un étoit simplement un ordre de mouillage, imprimé & sans date : si les François nous prenoient un vaisseau, dans lequel ils trouveroient la liste de tous ceux que nous avons à Portsmouth & à Plymouth, en concluroient-ils que la flotte que nous devons expédier contre eux est composée de tous les vaisseaux dont ils trouveroient les noms sur cette liste ! D'ailleurs tombe-t-il sous le sens qu'une nation quelconque puisse être imprudente ou point d'imprimer une liste de cette importance & de l'exposer au risque de tomber entre les mains de l'ennemi ? Je ne puis me persuader que la flotte que les François avoient dans les eaux de Brest ait été au moment dont il s'agit aussi nombreuse qu'on le prétend ; car enfin deux navires marchands traversèrent la nôtre & entrèrent immédiatement[p.460]après dans le port de Brest, où ils ne manquèrent pas de rapporter ce qu'ils venoient de voir ; si les François étoient si forts, pourquoi ne se sont-ils pas montrés sur le champ ? Pourquoi ne nous ont-ils pas attaqué ? L'honorable amiral allègue, qu'avant de rentrer dans le port il a pris l'avis de plusieurs officiers de la flotte ; tout ce que je puis dire, c'est qu'il n'a pas pris le mien ; j'étois séparé du reste des vaisseaux, & lorsque j'ouvris mes ordres de rendez-vous, je trouvai que l'intention de l'amiral étoit que l'on rentrât dans le port ; j'obéis sur le champ, sans même considérer s'il étoit convenable ou non de prendre ce parti, & concluant de mes ordres qu'ils étoient sans doute nécessaires puisque l'honorable amiral les avoit donnés.

L'honorable membre qui a fait la motion, a peint des couleurs les plus noires le crime énorme d'opposer à l'ennemi des forces navales inférieures aux siennes : Bon Dieu ! en supposant même le fait, l'honorable membre a-t-il jamais parcouru l'histoire de la dernière guerre ? Sait-il qu'en 1758 lord Hawke mit en mer avec six vaisseaux seulement pour une croisière de quinze jours, & qu'il la prolongea de huitaine ; l'amirauté apprenant que les François avoient des forces très-supérieures lui expédia l'ordre de revenir : cet ordre ne parvint pas[p.461]jusqu'à lui, & il revint de lui-même : maisil avoit écrit avant (lord Mulgrave produisit la lettre) que jamais il ne rentreroit dans le port tant que les François n'auroient sur lui qu'une supériorité peu considérable. Mais en supposant même que la flotte Françoise étoit effectivement de trente-deux vaisseaux lorsque l'amiral Keppel n'en avoit que vingt, en supposant qu'ils aient rencontré & battu l'amiral Keppel, s'ensuivoit-il, comme veut le faire entendre l'honorable membre, que l'Angleterre étoit perdue ? Est-il à supposer qu'après un combat, les François se seroient trouvés assez frais, assez à leur aise pour remonter tranquillement la Tamise & prendre possession de Londres ? Il me paraît que c'est faire un mauvais compliment à l'amiral Keppel, aux officiers & aux équipages de sa flotte : il me paraît plus conforme à l'idée que l'on doit se former du courage Anglois, de supposer que nous eussions du moins assez mal traité la flotte Françoise pour lui faire prendre, comme le parti le plus sage, celui de rentrer elle-même dans son port pour y réparer ses dommages ; l'honorable membre a ajouté que si l'amiral Keppel eut été battu notre marine eut été anéantie pour des siècles entiers ? L'honorable membre a-t-il oublié que nous avons été battus plus d'une fois sur mer : l'histoire[p.462]nous apprend que les François nous ont battus sous lord Torrington, leur victoire fut-elle suivie d'une descente ? L'Angleterre fut-elle envahie ? Non, ils gagnèrent leur port dont ils avoient bien besoin pour réparer leurs dommages.

 

Continuation du même sujet, par Lord North, Chancelier de l'Échiquier, en réponse au Discours de M. Fox. Il prend le parti du premier Lord de l'Amirauté, en supposant qu'il peut n'avoir aucunement eu part à l'opposition inégale de la flotte Angloise à la flotte Françoise ou même avoir été forcé de l'exécuter après l'avoir combattue dans le Conseil. Il révoque en doute le nombre de trente-deux vaisseaux auquel on prétend que se montoit la flotte des François ; il prétend qu'on exagère beaucoup le danger auquel on croit avoir échappé, & il soutient que la première sortie de l'Amiral Keppel a protégé efficacement l'arrivée & le départ des flottes marchandes de la Grande-Bretagne.

 

Du 3 Mars 1779.

L'honorable membre avec ce torrent d'éloquence qui le rend remarquable, a hazardé[p.463]contre les serviteurs du roi quantité d'insinuations qu'il n'a soutenues d'aucune preuve : il est à remarquer, que si ces insinuations étoient fondées, elles inculperoient tous les ministres de sa majesté aussi bien que le noble lord qui préside à l'amirauté, car une mesure d'une importance aussi sérieuse que celle d'opposer une flotte à celle de France, n'est pas de nature à être adoptée sur la suggestion seule & sous la direction d'aucun ministre particulier : il y a quelque chose de plus, il est possible que le noble lord, objet principal des débats actuels, soit celui des serviteurs du roi qui a eu le moins de part à cette mesure, ou qu'il se soit trouvé dans la nécessité de la mettre en exécution après l'avoir combattue dans le conseil ; je ne prétends pas dire que la chose s'est passée ainsi lorsqu'il a été question de faire partir l'amiral Keppel avec vingt vaisseaux, je dis seulement que tel a pu être le cas ; en rendant justice aux membres de l'amirauté & au noble comte qui la préside, je crois devoir déclarer que pour peu que la mesure paroisse criminelle en elle-même je suis aussi coupable que le noble comte, & qu'il n'est pas un seul serviteur du roi qui ne soit coupable comme nous.

La motion de l'honorable membre porte sur des faits dont il faut fournir la preuve pour[p.464]la rendre admissible : cette preuve doit être de deux espèces : il faut premièrement prouver qu'il y avoit trente-deux vaisseaux dans le port de Brest lorsque l'amiral Keppel mit en mer au mois de juin : ensuite que si les ministres on su qu'il y avoit trente-deux vaisseaux, ils se sont rendus coupables en n'opposant que vingt vaisseaux à des forces si supérieures. A-t il été prouvé qu'il y avoit trente-deux vaisseaux dans le port de Brest ? Si ce nombre existoit effectivement, a-t-il été prouvé que tous ces vaisseaux étoient en état de mettre en mer lorsque l'amiral Keppel appareilla en juin ? il s'en faut de beaucoup ; l'honorable amiral lui-même a dit expressément qu'il ne pouvoit pas prouver qu'en juin 1778, il y eut dans le port de Brest trente-deux vaisseaux de ligne en état de mettre en mer : avant donc que l'on puisse admettre la motion de l'honorable membre, il doit constater les faits sur lesquels elle porte ; en attendant, jugeons de leur probabilité par les apparences.

Au mois de juin dernier il fut publié que l'amiral Keppel avoit appareillé avec vingt vaisseaux de ligne pour se mettre en station devant Brest ; on sut également que pendant la nuit deux navires marchands traversèrent sa flotte & entrèrent dans le port de Brest ; n'est-il pas naturel de conjecturer que s'il se fut effectivement[p.465]trouvé dans ce port trente-deux vaisseaux de ligne en état de mettre en mer, sachant de leurs navires marchands que nous n'en avions que vingt, ils n'eussent pas laissé échapper une occasion si favorable de nous attaquer avec tant d'avantage ? Il est cependant de notoriété publique, que les François n'en firent rien, qu'ils restèrent dans leur port, & que ce ne fut qu'en juillet, lorsque l'amiral Keppel appareilla pour la seconde fois avec un renfort considérable, qu'ils parurent en mer non pas avec supériorité, mais avec des forces à peine égales aux nôtres : si les François avoient en juin trente-deux vaisseaux de ligne prêts, n'est-il pas à croire qu'ils en eussent eu un plus grand nombre en juillet ? Paroît-il qu'ils l'aient eu ? C'est ce que l'honorable membre n'a pas hazardé d'avancer, & il n'a pas encore prouvé qu'en juin ils en aient eu trente-deux : les preuves que l'on prétend tirer des papiers trouvés à bord des frégates, la Licorne& la Pallas, étoient, comme l'a, très-judicieusement observé un noble lord, (Mulgrave) d'une nature très-douteuse : ces papiers étoient sans date, il étoit par conséquent impossible de décider s'ils avoient rapport à un ordre de mouillage précédent, actuel ou postérieur ; il n'est donc pas prouvé que les François aient eu en juin dans le port de Brest trente-deux vaisseaux[p.466]de ligne prêts à mettre en mer ; il n'est pas prouvé non plus que l'administration ait su que ces trente-deux vaisseaux en état de mettre en mer, étoient dans les eaux de Brest lorsqu'en juin l'amiral Keppel appareilla avec vingt vaisseaux ; je déclare pour mon compte que je l'ignorois absolument, & si je suis coupable de l'avoir ignoré, mon crime est double, puisque j'ai l'impudence d'avouer mon ignorance, impudence d'autant plus criminelle que j'ai celle d'avouer que je l'ignore encore.

Au surplus, en supposant qu'en juin 1778 il se trouvoit effectivement trente-deux vaisseaux de ligne dans le port de Brest & que l'administration en étoit instruite, prétend-on établir pour maxime que lorsque nous sommes en guerre avec la France nous n'avons aucuns risques à courir ? Dans toutes les guerres précédentes nous avons couru des risques beaucoup plus marqués, que celui d'opposer vingt vaisseaux de ligne à des forces qui pouvoient être supérieures, & si nous voulons terminer honorablement celle-ci, nous avons de plus grands risques à courir encore : mais en envisageant les choses du côté qui présente l'image du danger, pourquoi ne pas les envisager en même-tems de l'autre ? Peut-on se dissimuler que cette première sortie de l'amiral Keppel a favorisé & efficacement protégé l'arrivée[p.467]& le départ de nos flottes marchandes ? Si dans la crainte d'une supériorité possible que l'on pouvoit rencontrer, on eût abandonné l'empire des mers au pavillon François, n'eut-on pas exposé ces flottes précieuses à un danger beaucoup plus imminent que celui que l'on affecte d'envisager seul ? Des flottes allant aux Indes Orientales, des flottes allant aux Indes Occidentales, des flottes destinées pour la Méditerranée, pour l'Espagne, pour le Portugal ? (Ici un éclat de rire presque universel interrompit l'orateur qui reprit) : messieurs peuvent rire ; mais quelque malhonnête, quelque peu civil qu'il soit d'interrompre ainsi le fil d'un discours, je ne le perdrai pas de vue ; je le répète, l'amiral Keppel en mettant en mer au mois de juin dernier protégea effectivement le départ & le retour de nos flottes marchandes.

[p.468]

 

Discours de M. Fox. Après avoir prouvé par un examen strict que les Anglois sont par-tout inférieurs à la Marine seule de la France, il appuie de nouveau sa motion tendante à ce que la Chambre déclarât que l'état actuel de la Marine ne répondoit pas aux assertions des Ministres, aux sommes accordées pour son entretien, ni à l'importance des services auxquels les Ministres de Sa Majesté devoient se préparer.

 

Du 8 Mars 1779.

D'après les relevés les plus exacts, il paroît que de l'époque de la paix d'Aix-la-Chapelle à celle de la paix de Paris, il a été passé à l'amirauté, année commune, neuf cent mille livres sterlings ; que depuis la paix de Paris jusqu'à ce jour, il lui a été passé par année dix-sept cent mille livres sterlings ; qu'au commencement de la dernière guerre nous avions quatre-vingt-un vaisseaux de ligne prêts à mettre en mer ; qu'au commencement de notre guerre actuelle avec la France, même en prenant les ministres au mot, nous n'en avions que trente-cinq en état de mettre en mer, & sept à peu-près en état, en tout quarante-deux.[p.469]Le premier lord de l'amirauté a déclaré qu'un ministre de la marine qui n'entretiendroit pas une flotte supérieure à celles que la France & l'Espagne pourroient équiper contre nous, ne seroit pas digne de conserver son poste. Quel a été l'effet de cette déclaration ? Nous avons vu que bien loin d'être supérieurs aux forces combinées de la France & de l'Espagne, nous n'en avons pas même eu d'égales en aucune partie du monde à celles de la France seule : au commencement de la guerre nous étions inférieurs en Amérique à cette puissance seule, certainement, la flotte de lord Howe ne pouvoit pas faire face à celle du comte d'Estaing : lorsque l'amiral Keppel sortit la première fois de Portsmouth sa flotte étoit considérablement inférieure à celle que commandoit le comte d'Orvilliers : il est évident que nous étions inférieurs dans la Méditerranée, puisque nous n'y avions pas de flotte du tout ; il est donc de fait que par-tout nous étions inférieurs à la marine seule de France : ces faits étant démontrés, je crois que la chambre ne peut se dispenser de prendre la résolution contenue dans la motion suivante.

« Qu'il paroît à cette chambre que l'état de la marine ne répond pas à ce que la chambre & la nation étoient en droit d'attendre,[p.470]soit des assertions faites par les ministres de sa majesté, soit des sommes accordées pour son entretien, qu'il ne répond pas non plus à l'importance des services auxquels les ministres de sa majesté dévoient se préparer ».

 

Nouvelle Réplique de Lord Mulgrave, à M. Fox. Il observe que toute nation libre en guerre contre un monarque, est toujours lente dans ses premières opérations, mais quelle acquiert de la vigueur & de la célérité en les continuant. II applique cette observation à l'Angleterre, & il promet que ses efforts prochains surpasseront ceux de la dernière, & lui rendront son ancienne supériorité sur la France, Il nie d'ailleurs que les Anglois aient été l'année dernière, inférieurs aux François dans toutes les parties du monde, & il reproche à M. Fox de hasarder des assertions dénuées de preuves & de toute vraisemblance.

 

Du 8 Mars 1779.

Il faut poser en fait que quelque favorable que puisse être notre constitution à la liberté, à la sûreté, & à la prospérité des sujets, elle est de nature à rendre moralement impossible, qu'au[p.471]commencement d'une guerre avec la France ou avec quelqu'autre puissance absolue, nous soyons aussi prompts qu'elle dans nos préparatifs ; mais il faut en même tems convenir que dans le cours de la guerre nous avons sur ces mêmes puissances un avantage infini, soit à l'égard de nos ressources, soit à l'égard de notre activité, & des moyens que nous employons pour entretenir & augmenter nos forces. C'est par cette raison que l'on a presque toujours vu la France développer d'abord ses plus grands efforts, & se trouver rarement en état de rien entreprendre de considérable dans la suite : au contraire on a toujours vu l'Angleterre lente dans ses premières opérations, acquérir de la vigueur & de la célérité en les continuant : c'est un exemple qui vient de se renouveller : nos efforts de l'année dernière ne sont rien en comparaison de ceux que nous ferons dans la suite, & il n'est pas à douter que nous ne nous trouvions en état de reprendre dans toutes les parties du monde la supériorité que nous avons toujours eue sur la France, supériorité marquée à tous les égards ; car dans presque toutes les guerres que nous avons soutenues contre cette puissance, on a vu notre commerce fleurir tandis que le sien languissoit, parce qu'elle étoit épuisée par son premier effort : il est de fait que jamais le[p.472]commerce de la France ne se relève de la première commotion de ses préparatifs militaires ; rien de si aisé que de fonder des assertions sur des faits hazardés, dénués de preuves & même de vraisemblance ; mais il est plus facile encore de résister ces assertions, puisqu'il suffit de nier qu'elles soient vraies ; il n'est pas vrai que l'année dernière nous étions inférieurs à la France dans toutes les parties du monde ; nous avons fait de puissans efforts, & si les succès n'ont pas répondu à ce que nous pouvions raisonnablement en attendre, c'est que nous n'avons pas été heureux, c'est que les hazards ont été contre nous ; il est malheureux que l'amiral Byron n'ait pas pu devancer le comte d'Estaing en Amérique ; il est malheureux que le comte d'Estaing ait échappé à lord Howe ; il est malheureux que le comte d'Estaing ait échappé à l'amiral Barrington avant que l'amiral Byron ait pu le joindre ; il est malheureux que le comte d'Orvilliers ait fui devant l'amiral Keppel.

Ces traits ironiques lancés contre lord Howe & contre l'amiral Keppel furent vivement sentis.

[p.473]

 

Discours de M. Luttrel, dans lequel il discute la Motion proposée. Il entre pour cela dans un nombre de détails instructifs, concernant la Marine Angloise depuis une douzaine d'années, dont il résulte que les sommes immenses & additionnelles successivement accordées sur la foi des déclarations officielles, n'ont point été fidèlement employées à leurs destination.

 

Du 8 Mars 1779.

Je pense que la manière la plus convenable de discuter la motion, dont l'objet est certainement d'inculper le premier lord de l'amirauté, est de considérer les moyens qui ont été mis entre les mains du noble lord, d'entretenir & d'augmenter la marine, d'examiner l'usage qu'il a fait de ces moyens, de comparer son administration avec celle de ses prédécesseurs, ainsi que les déclarations qu'il a faites au parlement, avec l'état actuel de la marine du roi : en 1767, 68, 69 & 70, lord Hawke présidoit au bureau de l'amirauté : les sommes qui, pendant ce tems-là, lui ont été accordées par le parlement pour l'entretien de la marine, sur le pied de l'établissement ordinaire en tems de paix,[p.474]montoient annuellement à environ un million cinq cent cinquante mille livres sterlings.

L'excédent des dettes de la marine, exclusivement des intérêts accumulés de ces dettes, ne montoit pas, année commune, à quarante mille livres sterlings, il faut convenir que la dernière année de l'administration de lord Hawke fut plus dispendieuse. On se rappelle qu'en septembre 1770 on fut obligé de faire des préparatifs de guerre contre l'Espagne :& il paroît qu'en décembre on avoit levé treize mille matelots au de-là du nombre voté par le parlement ; à ces objets de dépense, il faut ajouter les efforts extraordinaires que l'on fit pour équiper diverses escadres nombreuses composées de vaisseaux des premiers rangs.

Au commencement de janvier 1771, le comte de Sandwich succéda à lord Hawke ; il trouva vingt-huit mille tant matelots que soldats de marine, quatre-vingt-un vaisseaux de ligne qui n'attendoient que le moment où leurs équipages seroient complets sur le pied où ils doivent l'être en tems de guerre : les arsenaux étoient pleins de tout ce qui pouvoit completter leurs approvisionnemens divers : quinze jours après la promotion du comte de Sandwich le prince Masserano & le lord Rochfort signèrent à Londres la convention qui rendoit tous ces[p.475]préparatifs inutiles. Il étoit certainement convenable de diminuer à l'instant même les dépenses de la marine, & de désarmer la majeure partie des vaisseaux de guerre qui avoient été en commission ; mais comme au mois de septembre précédent le parlement avoit voté quarante mille matelots sur le pied de quatre livres sterlings par mois pour chaque homme, le bureau du trésor & celui de l'amirauté ne jugèrent pas à propos d'épargner les deniers publics, de sorte que dès la première année de l'administration du noble comte, la caisse du trésor versa dans celle de l'amirauté une somme de deux millions huit cent quatre-vingt mille livres sterlings, non comprise celle de deux cent mille livres sterlings que les communes avoient votée cette année pour liquider en partie les dettes de la marine. Or, si l'on consulte les journaux de 1770 & de 1771, l'état des dettes de la marine, prouvera que de cette somme énorme il n'a pas été employé un schelling à la liquidation des dettes contractées par lord Hawke en 1770 : je passerai en compte environ cent mille livres sterlings employées à remplir les magasins consumés par l'incendie de Portsmouth, & il faut convenir qu'à cette époque les arsenaux, les magasins, & la marine en général se trouvoient dans un état infiniment [p.476]supérieur à tout ce que l'histoire de notre marine peut nous offrir de plus florissant.

En 1772, 73,74, années antérieures aux troubles survenus en Amérique, les sommes votées par le parlement pour l'entretien de la marine ont excédé tout ce que l'on connoît de ce genre en tems de paix ;& les dettes se sont accumulées en proportion de la profusion des sommes accordées. Depuis cette époque il est impossible de calculer avec la même précision : on me dira que la guerre d'Amérique a été plus dispendieuse qu'aucune autre guerre, à la bonne heure : je connois la vérité de l'ancien adage qui dit :« La guerre en tous tems est un monstre si vorace qu'il est impossible de conjecturer ce qu'il peut dévorer ».

Quoi qu'il en soit, on ne peut nier que le parlement n'ait accordé toutes les sommes qui ont été demandées pour le service de la marine. Ont-elles été fidèlement employées à leur destination ? Non certainement, on a successivement présenté d'année en année des estimations immenses concernant la réparation de vaisseaux auxquels on n'a jamais touché : le Héro, le Dragon, l'Arrogant, & d'autres que l'on nous a si souvent dit être presque finis, pour la réparation desquels nous avons voté des sommes[p.477]additionnelles sur la foi des déclarations officielles ; aucun de ces vaisseaux n'est encore en état de servir. Le seul article dont l'administration actuelle ait augmenté nos magasins, est celui des bois de construction tirés de l'étranger ; on a été prodigue en achats de cette espèce, mais ce n'est pas pour la conservation, c'est pour la destruction de notre marine, qu'on a préféré ces bois à notre chêne Anglois. Cette manie a pu enrichir les villes de Bremen, Rostock & Stettin ; mais les bois qu'elles fournissent sont d'une mauvaise qualité, & l'on devroit n'en jamais faire usage : si l'on eut donné à un objet de cette importance l'attention qu'il méritoit, on eût pu se procurer des bois du produit de la Grande-Bretagne, & leur donner les préparations nécessaires.

M. Luttrell entra dans un dédale de citations & de calculs qui fatigueroient la plus grande partie de nos lecteurs.

[p.478]

 

Observation préalable faite au Président de la Cour par sir Hugh Palliser, en présence des Officiers Commissaires du Conseil de guerre. Il déclare qu'en sollicitant la tenue d'un Conseil de guerre, il n'a point eu en vue, comme on le prétend de soumettre la conduite de l'Amiral Keppel à un nouvel examen, mais de se justifier personnellement.

 

Du 12 Avril 1779.

À l'ouverture du conseil de guerre, il est un point que je désire éclaircir ; dans la vue de nourrir & de fortifier les préventions que l'on a fait naître contre moi, on a répandu dans le public, que j'ai sollicité moi-même la tenue d'un conseil de guerre, dans la vue de soumettre la conduite de l'amiral Keppel à un second examen ; je déclare solemnellement que je n'ai eu d'autre objet que celui de me justifier personnellement, & que je suis déterminé à ne faire, dans le cours de l'instruction, aucune question qui ait rapport à l'amiral Keppel, ou à qui que ce soit, me bornant strictement à ce qui me regarde.

[p.479]

 

Discours du même, servant d'introduction à sa défense. Il cherche à exciter l'indulgence des Juges par l'exposé de ses longs services. Il fait valoir les anciennes marques d'approbation de l'Amiral Keppel démenties aujourd'hui par une inculpation contradictoire. Il se félicite d'avoir réussi à prouver qu'il avoit, la nuit du 27 au 28 Juillet, allumé sur son vaisseau les feux nécessaires pour répondre aux signaux qui lui étoient donnés. Il réclame la bienveillance & la sagesse de ses Juges, & il les prie de suppléer à ce qu'il peut avoir oublié d'essentiel à sa défense.

 

Du 12 Avril au 1 Mai 1779.

Avant d'entrer dans la justification de ma conduite contre les attaques nombreuses & cruelles que j'ai essuyées, me sera-t-il permis d'en appeller à des hommes, dont les âmes compatiront à ma situation infortunée ? Je puis assurément me dire infortuné, car après quarante-quatre ans de services rendus à mon pays, services dans lesquels j'ai eu ma portion de fatigues, qui m'ont toujours procuré l'estime de mes concitoyens ; enfin, après avoir joui pendant quarante-quatre ans du bonheur[p.480]de voir que l'on marquoit quelques égards à mes travaux, lorsqu'il parut expédient d'équiper un armement considérable, quoique le nombre des places dont je jouissois me mît en état de vivre à l'aise, je fus honoré du troisième poste dans le Commandement de cet armement, & je reçus l'approbation de l'amiral Keppel, à l'égard de ma conduite.

La flotte n'ayant pas eu le succès que nos concitoyens en attendoient à notre retour en Angleterre, quelques amis ou créatures de l'amiral Keppel, commencèrent à donner à entendre dans les papiers publics, que ce défaut de succès devoit être entièrement attribué à ma mauvaise conduite. Je m'adressai à l'amiral Keppel, pour qu'il me rendît justice ; mais je ne pus l'obtenir du commandant en chef ; il ne voulut ni me justifier, ni me disculper : je me déterminai à me faire rendre justice, & en prenant ce parti, j'attirai sur moi toute la furie d'un parti forcené. Lors de la décision du dernier conseil de guerre, je renonçai à tous mes postes honorables & lucratifs, excepté à mon grade d'amiral, que je réservai pour me ménager le droit de demander un conseil de guerre.

J'ai une multitude d'ennemis qui m'accusent secrettement, mais aucun ne se présente pour me dire en face en quoi je suis répréhensible :[p.481]chaque témoin que l'on interroge prétend avoir droit de m'accuser, tout cela n'a pas suffi pour les satisfaire, ils ont fait la démarche de supplier sa majesté de m'exclure de son service, & si je ne me trompe, l'adresse à été signée par deux amiraux, & plusieurs Capitaines, qui, en la signant, savoient qu'ils seroient appellés comme témoins, & qu'ils déposeroient contre moi ; n'importe, rassuré par mon innocence & par l'impartialité de cette cour, je me livre à son jugement, dont j'attendrai l'issue sans connoître la crainte……………………………….

Fin de sa défense.

J'ai déjà rappellé à la cour plusieurs traits frappans d'approbation que l'amiral donna dans le tems à ma conduite, je l'ai fait pour que ces traits divers fussent mis en opposition avec la nature de sa déposition, tendante à m'inculper. Ce contraste suffisoit sans doute, pour faire sentir l'inconséquence de cette double conduite, & je ne cherchois pas à rien ajouter à cette démonstration, lorsque le hasard m'a fourni de nouvelles armes ; ce qu'a déposé sir William Burnabi, relativement aux complimens que me fit faire l'amiral, & à la conversation qu'il eut à mon sujet,[p.482]le lendemain du combat, est une preuve nouvelle de la satisfaction, que ma conduite lui donna dans le tems ; s'il eût pensé que j'avois désobéi à ses signaux, il ne se fût pas tant empressé à me faire ses complimens, & à s'écrier avec une espèce d'intérêt que j'avois reçu plus de dommages qu'aucuns vaisseaux de la flotte : c'est avec une satisfaction singulière que j'ai vu qu'il a enfin été prouvé que les feux propres à distinguer mon vaisseau, ont été allumés pendant toute la nuit du 27 au 28. Il est également satisfaisant pour moi d'être parvenu à prouver que j'ai répété des signaux & particulièrement celui pour former la ligne ; le dangereux état où se trouvoit le mât de misaine du Formidable, & qui formoit l'obstacle principal qui s'opposoit à ce que mon vaisseau portât assez de voiles pour être en état de marcher aussi vite que le Victori, étoit le point le plus essentiel à prouver pour me mettre à l'abri du reproche de n'avoir pas fait tout ce qui étroit en mon pouvoir pour garder ma station ; c'est donc avec beaucoup de sollicitude que j'ai employé tous les moyens possibles d'éclaircir le jugement de la cour sur ce fait important ; quoique le charpentier se soit expliqué confusément sur le tems où il a découvert que ce mât étoit pourri, mon capitaine & mes lieutenans ont si bien[p.483]montré que nous étions instruits de cette circonstance dans l'après midi du 27, que je crois le fait suffisamment constaté.

Dans le cours des interrogatoires de l'amiral Keppel, il a eu grand soin de déclarer qu'il n'étoit pas mon accusateur, & d'en remercier Dieu ; mais sa déposition a-t-elle l'air de répondre à cette déclaration ? Dans presque toutes ses parties ne tend-elle pas à m'inculper ? Ses amis ne se sont-ils pas unis à lui pour former contre moi un corps d'accusation ? N'ont-ils pas scellé cette accusation du sceau du serment ? Ne pardonnera-t-on pas à autrui une accusation ouverte naissant de la nécessité de se défendre soi-même. & l'accusation tacite d'un témoin qui prête serment, échappera t-elle entièrement à la censure ? Il ne convient pas que je pousse la comparaison plus loin ; que les cœurs de ceux qui m'entendent sentent le reste.

Il est tems que je laisse la cour à son propre jugement ; s'il m'est arrivé d'oublier quelque chose d'essentiel à ma défense, sa sagesse & son humanité y suppléeront ; si je me suis trompé, soit sur quelque fait, soit sur la manière dont j'ai raisonné en conséquence, sa bienveillance rectifiera l'erreur & ne m'imputera pas légèrement le dessein prémédité d'exposer les choses comme elles ne sont pas.[p.484]Monsieur le président & messieurs qui composez la cour, pour conclure, je me flatte que comme la recommandation de l'amiral Keppel m'a procuré l'approbation de mon souverain, la sentence que vous prononcerez, en me déchargeant honorablement d'accusation, dissipera les préventions qui se sont élevées contre moi, & me rendra l'opinion favorable que mon pays avoit conçue de moi.

Du 12 avril au 1 mai : jour du jugement.

Extrait de son jugement.

Par la sentence du conseil de guerre, répréhensible en un point, la cour l'acquitte, d'ailleurs (ne pensant pas qu'il ait mérité d'être censuré à d'autres égards) la cour l'acquitte, & il est par la présente acquitté en conséquence.

Voici ce qu'ajoute un papier du tems.

Il est inutile de faire remarquer à nos lecteurs que cette sentence implique une censure directe, que si elle acquitte le prisonnier, elle ne l'acquitte ni unanimement ni honorablement, en sorte que le mot absous seroit plus propre que le mot acquitté ; la manière dont le président a rendu l'épée au prisonnier, n'a guère été plus flatteuse pour lui, il lui a dit sèchement ; monsieur, la cour me charge de vous rendre votre épée. Ainsi les espérances que le parti[p.485]de sir Hugh avoit conçues se sont évanouies ; ainsi des milliers de beaux rubans rose-pâle ornés de belles devises en or qui devoient faire la nargue aux beaux rubans bleu-céleste sur lesquels le nom de Keppel avoit été tracé en lettres d'or, n'ont point orné une belle procession. Ce dénouement, grâce au ciel, conservera les vitres de quelques particuliers, & mettra enfin un terme à nos éternels extraits des minutes des conseils de guerre.

 

Discours de Lord Nugent, dans lequel il s'oppose vivement à une enquête proposée de la conduite de Lord Howe & de sir William Howe, l'un Général d'armée, l'autre Vice-Amiral. Il représente que ces matières purement militaires ne sont pas du ressort du Parlement. Il ajoute que des intérêts plus pressans, l'Irlande & la France doivent aujourd'hui l'occuper exclusivement.

 

Du 29 Avril 1779.

Je n'ai jamais entendu dire ni dans la chambre ni ailleurs que ces deux nobles frères fussent accusés de mauvaise conduite ; j'ai vu au contraire tous les ordres de l'état se réunir pour[p.486]faire l'éloge de ces deux braves commandans, particulièrement j'ai vu l'amiral Keppel, sans contredit le plus grand homme de mer qu'eut actuellement l'Angleterre, marquer quelque jalousie sur le compte de lord Howe, je lui ai entendu dire qu'il échangeroit volontiers la réputation que ses services lui avoient acquise, pour la portion de gloire dont s'étoit couvert le noble lord par les manœuvres savantes qu'il fit lors de l'arrivée du comte d'Estaing en Amérique.

À l'égard de l'enquête en elle-même, j'y ai toujours eu de la répugnance, j'ai toujours senti qu'elle prendroit une tournure contraire aux usages du parlement : la motion de l'honorable vice amiral (Howe) me confirme dans mon opinion ; elle tend à faire interroger lord Cornwallis sur des matières purement militaires ; ces matières ne sont point du ressort de la chambre ; ce n'est pas à elle qu'il appartient d'examiner militairement la conduite de la guerre ; elle n'est pas en état de déterminer s'il étoit plus à propos de marcher à droite qu'à gauche, de construire une redoute que d'attaquer un retranchement ; je dis plus, quand bien même les cinq ou six cent, membres qui la composent seroient tous militaires, il leur seroit impossible de porter un jugement sain sur chaque manœuvre[p.487]particulière qui a été faite dans le cours de la guerre ; il est donc certain que rien n'est si déplacé que cette enquête dans cette chambre ; mais je la suppose moins absurde en elle-même, sur quoi porteroit-elle ? Quel en seroit le motif ? l'honorable général (sir William Howe) se plaint de ce que l'on attaque sa conduite dans des écrits satyriques, dans des papiers de nouvelles, dans des conversations de café ; de ce que sans produire l'ombre d'une preuve on l'accuse de n'avoir pas fait son devoir, & d'avoir laissé échapper plus d'une occasion de mettre un terme à la guerre d'Amérique. Je demande s'il est un membre de cette chambre qui ait formé cette opinion ; la justification écrite que le général nous a lue est la plus claire, la plus satisfaisante qu'il est possible de concevoir. Les termes dans lesquels elle est conçue sont l'expression de la vérité ; je suis prêt à déclarer que je suis convaincu que non-seulement le général a rempli ses devoirs dans toutes les occasions, mais qu'il a mérité les remercimens & les louanges de son pays. Je demande donc encore à quoi bon cette enquête ? À quoi aboutira-t-elle si on la pousse plus loin ? Le résultat sera de renvoyer les honorables commandans à un conseil de guerre. La chambre sera-t-elle ce double affront à un général, à elle-même ?[p.488]d'une autre part ce qui rend plus superflue, plus ridicule encore l'enquête générale, c'est l'impossibilité où se trouve la chambre de prendre aucune résolution efficace relativement au général Burgoyne, vu la position dans laquelle il se trouve : si toutes ces considérations ne suffisoient pas, en voici une plus puissante & irrésistible ; cette enquête prendra un tems immense, & le parlement a sur les bras une affaire de la plus pressante importance, une affaire qui demande l'attention immédiate de la chambre ; quiconque possède une maison, un domestique, y est intéressé : d'un autre côté tandis que nous perdons ici notre tems en paroles oiseuses, en enquêtes inutiles, la France s'occupe dans le silence de quelque invasion, & cette invasion ne peut regarder que l'Irlande ; lorsque le projet sera consommé, on en aura l'obligation à l'entêtement de la chambre, qui s'obstinant, à refuser toute espèce de redressement à un peuple opprimé. & réduit à la mendicité, l'a plongé dans le désespoir, en sorte qu'aujourd'hui l'Irlande regarde avec indifférence toutes les révolutions possibles, parce qu'elle sent qu'il est impossible qu'elle perde rien en changeant ; de maître.

[p.489]

 

Discours du Général Burgoyne, dans la Chambre des Communes formée en Comité d'enquête. Il se plaint d'abord de l'indiscrétion de Lord Germayne d'avoir produit à la Chambre une lettre privée dont l'interprétation maligne pouvoit lui faire beaucoup de tort, & d'avoir en même-tems supprimé une partie essentielle de sa correspondance publique. Il repousse ensuite diverses inculpations avancées contre lui, & il s'attache sur-tout à prouver la nécessité du train considérable d'artillerie qu'on lui reprochoit d'avoir pris avec lui en sortant de Ticondérago.

 

Du 20 Mai 1779.

Je commence par observer à la chambre que la lettre que j'avois écrite le premier janvier 1777 à lord George Germayne (datée d'Hertford-street ; étoit d'une nature privée ; il me paroît étonnant que l'on ait cru pouvoir produire cette lettre à la chambre, tandis qu'en mon absence elle s'occupoit de l'examen de ma conduite : ce trait de la part du noble lord est malhonnête, & ne fait pas honneur à sa droiture. Sous prétexte d'obéir à un ordre de la chambre qui demande en communication notre correspondance [p.490]publique, il a la perfidie d'exposer une lettre écrite dans l'intimité d'une liaison privée, une lettre qu'il savoit, propre à me nuire, parce qu'à moins que l'on ne connût le fond des choses comme le noble lord lui-même, elle devoit me représenter comme un homme brigant dans le secret la faveur du souverain, ayant l'ambition de commander à quelque prix que ce fût, sollicitant le commandement de l'armée du Nord au préjudice de mon commandant en chef sir Gui-Carleton ; en un mot cette lettre devoit produire à mon égard les impressions les plus défavorables ; or le noble lord savoit qu'elles ne pouvoient être que mal fondées ; il savoit que le commandement de l'armée du Nord m'étoit dévolu par l'ordre naturel du grade & de l'ancienneté ; que par conséquent lorsque dans une lettre privée j'ai paru être pénétré de la bonté de mon souverain, j'ai sollicité la protection du ministre auprès de sa majesté ; je me livrois avec chaleur à l'impulsion du double sentiment dont j'étois pénétré, respect envers mon souverain, reconnoissance envers mon ami ; encore une fois ces expressions qui couloient dans le secret de l'intimité de la plus pure confiance, devoient être appréciées par le noble lord & ne pouvoient l'être par le public.[p.491]Au reste, si le noble lord a cru dans le tems devoir produire cette lettre, il lui étoit du moins facile de dissiper les impressions défavorables qui devoient en résulter, sur-tout à l'égard du dessein que l'on m'auroit supposé de supplanter sir Gui-Carleton : il savoit que des raisons fortes avoient déterminé les ministres à ne pas employer ce général au-là des limites du Canada ; ils avoient poussé à cet égard la précaution au point de consulter les jurisconsultes de la couronne, pour savoir si l'énoncé de sa commission n'attribuoit aucun pouvoir militaire à sir Gui-Carleton au-delà de ces limites ; c'est à ces circonstances que je dûs le commandement de l'armée du Nord ; après sir Gui-Carleton & sir William Howe, il n'y avoit que sir Henri Clinton, commandant en second sous sir William Howe qui eut un grade supérieur au mien ; par conséquent ce que l'administration avoit à déterminer, se bornoit à savoir si l'on donneroit le commandement de l'armée du Nord à sir Henri Clinton, auquel j'eusse succédé pour le commandement en second sous sir William Howe, ou si on lui laisseroit ce second commandement, en me donnant le premier ; on se détermina pour le dernier parti : tel est le simple exposé des faits. Je m'en rapporte à la candeur du comité ; il décidera si dans cette marche il découvre des[p.492]traces d'intrigue ; si j'ai obsédé le cabinet du roi, brigué la faveur du ministre pour supplanter sir Gui-Carleton. Mais le noble lord ne s'est pas contenté de publier dans la vue de me nuire ma correspondance privée, qu'on ne lui demandoit pas ; j'ai une plainte bien plus grave à former contre lui, il a supprimé dans la même vue une partie de ma correspondance publique, & il l'a fait avec tant d'affectation, que la partie supprimée est précisément celle qui touche de plus près à mon honneur, à ma réputation, à tout ce qui peut m'être cher : je parle du plan relatif à l'expédition du Canada, tel que je le présentai au noble lord, lors de mon retour en Angleterre dans l'hiver de 1776 ; indépendamment de ce que le public connoît de ce plan, j'y demandois des pouvoirs à discrétion dans deux cas particuliers ; premièrement lorsque je serois arrivé à la rivière d'Hudson, je demandois que selon les circonstances il me fût permis, si je le jugeois convenable, de faire du côté de Connecticut une diversion qui m'eût mis à portée de pousser mes opération dans un pays inculte & inhabité, dans la vue de distraire l'attention que les rebelles du Nord donnoient à New-Yorck, & de les empêcher de coopérer avec Washington dans les Jerseys. Si ce premier objet se fût trouvé être impraticable,[p.493]je voulois qu'il me fût libre de tourner sur la droite, & de faire tout ce qu'il eût été possible à mes efforts pour favoriser les opérations de sir William Howe en Pensylvanie, ou seconder les forces qui remontoient la rivière d'Hudson pour me donner du secours. Mais lorsque le noble lord me remit le plan, il y avoit effacé ces deux articles, & lorsqu'en mon absence il le soumit à la considération de la chambre, il les supprima : or, le plan étoit dénaturé par cette infidélité. Qu'il me soit permis de faire à ce sujet deux observations au comité, premièrement si le plan eût paru tel que je l'avois délivré, il eût été évident que j'avois désiré des pouvoirs à discrétion, & non péremptoires ; en second lieu, le noble lord prévoyant les conséquences que l'on eût tirées de ces deux articles, les a supprimés & en les supprimant m'a imposé l'ordre péremptoire de m'ouvrir à tout événement un passage jusqu'à Albani. S'il étoit possible de douter que les ordres du noble lord, eussent été péremptoires, pour dissiper à cet égard toute espèce d'incertitude, il suffiroit de prouver qu'il a effacé dans le plan les articles dont l'objet étoit de solliciter des pouvoirs à discrétion ; certainement biffer ces articles, c'étoit me dire assez que le noble lord vouloit être obéi sans restriction,[p.494]sans exception des circonstances : c'est sous ce point de vue que je considérai mes ordres. Lorsque les difficultés commencèrent à m'assaillir, mais pas encore au point de m'empêcher de me retirer à Ticondérago ; je me suis demandé mille fois ce que j'avois à faire, & plus j'y ai réfléchi, plus je me suis senti convaincu que mes ordres étoient péremptoires ; je ne devois, je ne pouvois m'en écarter en aucune manière.

On a dit, on a répété au sujet de l'expédition du Canada, que j'étois naturellement & par habitude téméraire & imprudent. Ce qui a donné lieu à cette opinion si légèrement conçue sur mon compte, est un des événemens de la guerre dans laquelle je servois en Portugal : je dois observer qu'alors mon service étoit subordonné, je servois, sous le feu comte de la Lippe, l'un des plus grands officiers de l'Europe ; il s'agissoit de défendre toutes les frontières du Portugal, avec six mille Anglois & un corps de troupes nationales & indisciplinées, contre un corps infiniment supérieur de troupes vétéranes Françoises & Espagnoles. La ligne des frontières étoit si étendue que tout ce que nous avions de troupes loin de pouvoir faire face à l'ennemi en pleine campagne, ne suffisoit pas pour former la chaîne des postes de manière à entretenir entre eux une communication ouverte.[p.495]Dans ces circonstances, que fit le comte de la Lippe ? lorsque je l'instruisis des difficultés qui commençoient à m'environner, au-lieu de m'ordonner de me replier sur lui, & de laisser le passage ouvert à l'ennemi, sans le lui disputer, il m'envoya l'ordre positif & péremptoire de rassembler telles & telles troupes, de tenir ferme à tel passage, & de le défendre jusqu'à ce qu'il ne me restât plus un homme, quelques nombreux que pussent être les ennemis, quelque improbable que pût paroître le succès. Voilà certainement un trait de témérité dans lequel j'étois simple acteur subordonné : eh bien ! on ne s'est jamais avisé de le reprocher au comte de la Lippe ; en vérité dans mes embarras j'ai mille fois pensé à ce trait dont l'histoire militaire fournit d'ailleurs mille exemples : lorsqu'incertain du parti que j'avois à prendre, voyant tout espoir évanoui je me rappellois l'ordre de ce grand commandant ; je me pénétrois de la nécessité dans laquelle je me trouvois de dévouer mon armée pour faciliter les opérations de sir William Howe… On m'a beaucoup reproché d'avoir pris avec moi un train si considérable d'artillerie de campagne en sortant de Ticondérago : on a prétendu que ma marche en avoit été embarrassée, retardée, qu'en conséquence je n'avois pu exécuter ces[p.496]mouvemens rapides si propres à faire sur l'ennemi des impressions subites. Je réponds à cela qu'en quittant le Canada mon artillerie n'étoit pas plus considérable que celle que sir Gui-Carleton avoit lui-même prise à sa suite l'année précédente pour le même objet ; que le siège de Ticondérago, en supposant qu'il eût été défendu, comme on avoit lieu de s'y attendre, exigeoit beaucoup d'artillerie ; que d'ailleurs cet arrangement s'étoit fait de concert avec le général Phillips, officier qui s'est si éminemment distingué dans la dernière guerre en Allemagne, & qui a rendu son nom immortel par la conduite qu'il a tenue dans les plaines de Minden ; qu'enfin, ce train regardé comme si considérable, ne consistoit, en sortant du Canada, qu'en quatre-vingt canons depuis trois jusqu'à vingt-quatre livres de balle, environ vingt tant mortiers qu'obusiers & pierriers ; que j'en ai laissé les deux tiers à Ticondérago, que je n'ai emmené avec moi en sortant de cette place qu'une trentaine de pièces de campagne, dont seulement deux étoient de vingt-quatre livres de balle, six ou huit de douze livres, le reste de six, quatre & trois ; trois ou quatre mortiers ou obusiers : si l'on persiste à soutenir que c'étoit encore trop d'artillerie, qu'il me soit permis de représenter au comité que vu les[p.497]dispositions de l'ennemi & la nature de sa défense ; le canon étoit d'une utilité extrême : il tenoit la milice, la partie principale des forces rebelles, à une distance forcée d'où elle ne pouvoit nous harceler sans cesse ; il alloit chercher les partis ennemis dans les endroits où ils se tenoient cachés, les chassoit de leurs embuscades, les forçoit souvent à abandonner des postes fortifiés par la nature & par l'art, sans avoir recours à la mousqueterie, & sans sacrifier à tous propos nos gens, ce qui sans l'artillerie eut été indispensable à chaque instant ; le canon enfin inspiroit à ces milices indisciplinées une terreur dont la mousqueterie ne les eût jamais frappées : ce n'est pas que je prétende rien insinuer de désavantageux sur le compte des Américains à l'égard de leur bravoure personnelle, je ne conçois pas qu'il puisse exister nulle part de meilleures troupes que celles que les Américains nomment continentales, c'est-à-dire, leurs troupes réglées : il n'en est pas de plus propres à tenir ferme dans une ligne. Quant à leurs milices, comme troupes légères, elles sont propres à tout, & valent des troupes vétéranes, dans tous les cas possibles, excepté dans celui où il faut tenir ferme dans une ligne. Je dois la même justice à leurs talens pour la fortification ; je les ai vu élever en très-peu d'heures,[p.498]des ouvrages de campagne, aussi solides, aussi bien entendus qu'il soit possible d'en avoir nulle part : rien de si judicieusement construit… Au reste, il est radieux qu'ayant de pareils ennemis à combattre les troupes que je commandois n'aient pas été complètement Angloises, les Allemands sont lents dans leurs mouvemens : une preuve que j'en puis donner, entre beaucoup d'autres, c'est que si le détachement aux ordres du colonel Braymor eût fait deux mille dans le cours de vingt-quatre heures le désastre de Bennington ne fut jamais arrivé : en général, comme les Allemands ne sont pas propres à surprendre, ils sont très-sujets à être supris.

[p.499]

 

Fragmens concernant l'Amiral Keppel, dans l'affaire de sir Hugh Palliser, Vice Amiral de la Bleue, accusé d'insubordination, &c. remise à un Conseil de guerre. L'Amiral Keppel interrogé & pressé à différentes fois par le Juge-Avocat de déclarer tout ce qu'il savoit relativement à la conduite du Vice-Amiral, pendant la nuit du 27 au 28 Juillet[46], persiste à garder le silence, accorde quelques éloges à l'accusé, & finit par regretter d'être contraint d'avouer qu'il ne l'a vu obéir à aucun signal.

 

Du 12 au 14 Avril 1779.

Lors de l'ouverture du conseil de guerre les spectateurs s'étant retirés à la réquisition d'un des membres, la cour délibéra ;& lorsque tout le monde fut rentré, le juge-avocat déclara que la résolution de la cour étoit de faire usage des minutes du dernier conseil de guerre ; alors on procéda à entendre les témoins, le premier appelé fut l'amiral Keppel, qui parla au président en ces termes :

[p.500]

M. le Président,

Avant de prêter serment, permettez que je fasse quelques observations sur la liste des témoins appelés par la couronne : je remarque que mon nom est le premier ; il s'en faut de beaucoup que ce soit volontairement que je me trouve ici ; ma situation est on ne peut pas plus pénible : au reste, je me flatte que ma déposition n'aura rien qui annonce le ressentiment ou le désir de la vengeance : ce n'est pas à ma requête que ce procès s'instruit ; je désirerois que la cour voulût bien me dispenser d'y paroître, ce qui me le fait désirer plus ardemment, c'est que je ne puis répondre simplement oui ou non aux questions qui me seront faites ; je me trouverai dans la nécessité d'exposer à la cour les raisons, les motifs, les opinions qui ont dirigé ma conduite, toutes ces considérations, étant inséparables de l'affaire : si instruit de mon intention à cet égard le prisonnier persiste à me vouloir pour témoin, ou si la cour exige ma déposition, je répondrai ouvertement à toutes les questions qui me seront faites.

La cour ayant pris ce discours en considération, le juge avocat déclara à l'amiral qu'elle ne pouvoit le dispenser de comparoître comme[p.501]témoin, alors il prêta serment & le juge-avocat continua ainsi :

Vous êtes prié de rendre compte à la cour de ce qui s'est passé le 27 juillet, autant que le récit peut avoir rapport à la conduite de sir Hugh Palliser.

Mon intention, répondit l'amiral, étoit absorbée toute entière par les soins qu'exigeoient chaque heure, chaque minute dans le cours de cette journée, ensorte qu'il est moralement impossible que je sois en état de rendre compte à la cour de tout ce qui s'est dit ou fait, de tous les signaux qui ont été donnés, de toutes les circonstances qui se sont succédées dans chaque partie de la flotte ; je suis prêt à répondre à toute question directe. Si l'on exige que je réponde à celle qui vient de m'être faite, je le ferai du mieux qu'il me sera possible, mais je supplie la cour de considérer son étendue illimitée, & de sentir que dans un récit si compliqué, il ne me seroit pas possible d'embrasser tous les détails.

La cour ayant encore délibéré sur cette réponse, le président déclara, que concevant l'étendue trop vaste de la question telle qu'elle avoit été posée, la cour seroit satisfaite si l'honorable amiral vouloit bien répondre aux questions détachées qui lui seroient faites : alors le juge-avocat fit la première question.[p.502]

Q. En combien de vaisseaux consistoit la division du vice-amiral de la Bleue ?

R. En dix, &c. &c…………………….

Q. Avez-vous connoissance de quelque autre chose qui ait rapport à la conduite de sir Hugh Palliser, soit avant, soit après l'action, & dont il soit nécessaire que la cour soit informée ?

R. Je prie la cour de permettre que je ne réponde pas à cette question : si j'étois accusateur, & Dieu merci je ne le suis pas, je croirois de mon devoir d'informer la cour de tout ce dont j'aurois connoissance ; mais tous les faits sur lesquels elle peut désirer des éclaircissemens sont consignés dans mon procès ; si elle me presse d'entrer dans les détails, il faudra la satisfaire ; mais l'exiger, c'est déclarer mon âme ; il est mille choses que je ne pourrois rapporter sans souffrir infiniment : la situation où je me trouve est horrible, elle est sans exemple : quoi ! déposer contre un officier qui… On ne me mettra pas à cette épreuve.

La cour ayant délibéré sur cette réponse, le juge-avocat déclara que sa résolution. étoit que l'honorable amiral entra dans tous les détails de ce qu'il savoit de relatif à la conduite tenue par sir Hugh Palliser les 27 & 28 juillet.[p.503]Sir Hugh Palliser pria alors le président d'exiger de l'amiral qu'il ne parleroit que de ce qu'il savoit par lui-même & non par oui dire : alors l'amiral Keppel continua en ces termes :

Après un examen aussi long que celui que j'ai subi, ce qui me reste à dire en général est que j'ai donné les éloges qui sont dûs au vice-amiral, ainsi qu'aux autres officiers, relativement à la manière dont il a prolongé la ligne Françoise ; je lui ai donné ces éloges très-étendus devant le bureau de l'amirauté. On en a tiré contre moi beaucoup d'avantages, ce sont mes affaires particulières, je ne me plains de rien ni de personne, je suis prêt à louer encore le vice-amiral à cet égard ; mais encore une fois ma mémoire ne me rappelle pas de l'avoir vu obéir à aucun signal que j'aie fait, à aucun ordre que je lui aie envoyé ; le prisonnier m'interrogera probablement sur quelques points à l'égard desquels il sait qu'il a rempli son devoir ; je m'estimerai heureux, si sans blesser la vérité je puis lui rendre quelque service ; mais je remarque que dans la dernière résolution de la cour, on a ajouté le 28 juillet au 27 dont il étoit seulement fait mention ; je dois déclarer que depuis le moment où le jour disparut le 27, je ne sais absolument rien qui ait rapport à la conduite de sir Hugh Palliser.

[p.504]

 

Pétition du Comte de Pomtfret à la Chambre des Pairs qui l'avoit envoyé à la Tour de Londres, où il étoit détenu pour s'être mal comporté dans une affaire particulière. Il reconnoît ses torts, & se soumet à en demander le pardon.

 

Du 15 Novembre 1780.

Représente humblement,

Que depuis que votre suppliant a encouru le déplaisir de cette honorable chambre, il a été extrêmement affligé d'avoir mérité en aucune manière de se voir séparé de cette chambre dont il a l'honneur d'être membre ; que votre suppliant reconnoît en toute humilité & ses offenses & votre justice dans tout ce que vous avez ordonne à son sujet. Qu'il plaise donc à votre sagesse de prendre dans votre très-honorable considération la persuasion intime dans laquelle est votre suppliant, d'avoir justement mérité le déplaisir de votre sagesse. Il implore très-humblement la faveur de cette honorable chambre, lui demande en grâce de pardonner ses offenses, & de le réintégrer dans votre bonne opinion.[p.505]Cette pétition ayant été lue ; le marquis de Carmarthen informa la chambre qu'il avoit cherché dans ses journaux des exemples qui pussent servir de règle à sa conduite : il fut convenu que l'on s'y conformeroit.

Le jeudi 10, il fut ordonné que le commandant de la Tour présenteroit le lendemain le comte de Pomtfret à la barre de la chambre, & arrêté que lorsque ledit comte auroit reçu la réprimande, & fait les soumissions convenues, il seroit élargi.

Fin du tome Troisième