Post-Scriptum


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POST-SCRIPTUM.

Le travail qu'on vient de lire a été écrit, il y a un mois, à cent cinquante lieues de la capitale.

Je n'ai rien à retrancher de cet écrit; j'aurais beaucoup à y ajouter : mais je puis, je crois, me reposer avec confiance sur l'intelligence du public. Ce qui se passe depuis quelques jours au palais Bourbon a beaucoup éclairci la question.

On ne dira plus maintenant que j'ai soulevé un débat vain et inopportun; il est trop visible que c'est, au contraire, la question fondamentale, la question qui domine toute notre situation.

Sans doute on peut se dispenser, si l'on veut, de la discuter. — Mais cela empêche-t-il que l'usurpation de la prérogative royale par le pouvoir électif ne soit la cause réelle de tout le désordre que nous voyons?

Je ne crains pas de m'expliquer clairement. Je dis que la chambre élective est, depuis huit ans, en état d'usurpation morale sur la royauté; qu'un tel état de choses n'est pas un gouvernement, mais une négation permanente de gouvernement.

Cependant, le mal n'a pas encore paru dans toute sa réalité. — Pourquoi? — Parce que la chambre n'a point une intention coupable; elle est usurpatrice malgré elle, en quelque sorte sans le savoir et sans le vouloir.

On lui a tant répété qu'elle a le droit de former le [p.212] ministère et de diriger le gouvernement, qu'elle le croit de la meilleure foi du monde. Ce droit lui plaît, elle en est fière; mais en même temps, quand il s'agit de le mettre en pratique, un instinct de conservation, plus fort que les préjugés qui la dominent, lui fait sentir que sa conscience, d'une part, son impuissance, de l'autre, lui interdisent également un essai périlleux. Alors, après avoir levé la main pour prendre l'autorité gouvernementale, elle recule, et tout reste suspendu. — Puis, le lendemain, la souveraineté élective, qui n'a pas osé dominer, recommence à nier le gouvernement du roi, et monte de nouveau à l'assaut pour reculer encore une seconde, une troisième, une vingtième fois, quand la brèche est praticable. Mais le pouvoir n'en reste pas moins démantelé.

On a beaucoup parlé du gouvernement représentatif dans la discussion de l'adresse; — mais toujours en le confondant avec le gouvernement électif, toujours en supposant, comme un fait incontestable, que la chambre des députés était la représentation du pays. — Mais si la chambre des députés représente le pays, que représentent donc la royauté et la pairie?... Rien, apparemment; car une fois le pays représenté par la chambre élective, que reste-t—il à représenter encore?... Qu'on me le dise, qu'on me l'explique, on me rendra service. Jusque-là je dirai que M. Guizot et M. Duvergier de Hauranne nous ramènent au trône entouré d'institutions républicaines, et l'on sait où cette route conduit.

Le ministère, dit-on, est responsable devant la chambre : il ne faut pas le couvrir sous l'inviolabilité royale.

Dieu me garde d'en avoir la pensée! Tous les actes de la couronne, légalement considérés, sont l'œuvre du [p.213] ministère; il en répond. Il doit en porter le poids, et la peine, s'il y a lieu. Personne ne le conteste. Quoiqu'on en ait dit, jamais le ministère actuel n'a méconnu cette règle. Il a déclaré à la chambre cent fois qu'il répondait de tout ; jamais il n'a justifié aucun de ses actes, en prétextant le nom ou la volonté du roi.

Mais il est un acte dont le ministère ne peut pas répondre : c'est la formation, c'est la nomination du ministère.

Le ministère, avant d'exister, ne peut pas nommer le ministère. Il ne peut pas se créer lui-même. Il n'y a aucune fiction constitutionnelle qui puisse autoriser une pareille absurdité.

Quand on attaque la nomination du ministère, ce n'est donc pas le ministère qu'on attaque, c'est le pouvoir qui a nommé le ministère : en d'autres termes, le roi.

Benjamin Constant lui-même vous l'a dit, et je vous ai cité ses paroles textuelles.

Mais quand le pouvoir électif ne se contente pas d'attaquer la nomination du ministère, quand il veut nommer lui-même le ministère, alors il est bien évident qu'il ne se borne pas à attaquer la prérogative royale, il l'usurpe.

Or, voilà toute la question.

Eh bien ! Tant qu'il en sera ainsi, aucun gouvernement durable n'est possible en France. — Une nouvelle révolution frappe à votre porte. — Loin de la fermer et de la défendre, insensés!... vous discutez gravement pour savoir quand et comment vous l'ouvrirez !

Le pouvoir royal?... Avec vos principes, il n'y en a plus vestige. Les hommages apparents que vous lui rendez sont une dérision, une insulte, un outrage. Vous [p.214] voulez, dites-vous, couvrir la royauté, en lui imposant votre ministère et vos lois?... Et, pour la couvrir, vous commencez par lui ôter le plus précieux de ses droits, par l'anéantir, par la tuer. Vous la couvrirez ensuite comme la pierre du sépulcre couvre le cadavre qu'on lui confie!

Couvrir la royauté !... Avez-vous bien réfléchi à l'excès de votre audace ? — Qui, vous, M. Guizot ; vous, M. Thiers, couvrir la responsabilité morale du Roi des Français?... Mais êtes-vous bien sûrs, après ce qui vient de se passer, qu'il vous reste assez de consistance politique pour vous couvrir vous-mêmes?

Apprenez, apprenez, c'est moi qui vous le dis, et la France entière entendra mes paroles, que si l'omnipotence des minorités coalisées au palais Bourbon, vous livrait le palais des Tuileries, et vous installait en dominateurs souverains dans les conseils du roi, ce n'est pas vous qui le couvririez, c'est lui qui vous couvrirait; c'est lui dont la majesté royale arrêterait la méfiance de l'opinion publique indignée contre votre marche usurpatrice; c'est la confiance que nous avons dans la sagesse du roi qui obtiendrait grâce pour l'inconsistance et le peu de moralité de votre ministère. — S'il n'y avait que vous, vous et la coalition, pour constituer votre prétendu gouvernement représentatif, vous verriez ce qu'il deviendrait avant quinze jours; vous verriez ce que deviendraient votre importance personnelle et votre prépondérance élective : le premier souffle populaire emporterait tout. — Mais rassurez-vous : la grandeur et la bonté du roi vous couvriront.

Si l'on veut savoir à quel degré les idées sont perverties, il faut lire le projet d'adresse, miraculeux contre-sens [p.215] qui commence par nier et par détruire la dynastie pour couvrir la royauté !

Ce qui consacre la royauté, c'est l'hérédité; ce qui confirme l'hérédité, c'est la dynastie ; la dynastie, c'est la filiation qui porte la couronne du père au fils, de telle sorte que la transmission soit de droit, et que rien ne puisse s'y opposer. — C'est cette fixité qui seule assure la stabilité des États et le sort des peuples.

Il suit de là, que rappeler à une dynastie son origine, c'est nier son droit, c'est nier son existence, c'est la détruire dans l'esprit des peuples.... car toute dynastie a pour origine un acte ANTI-DYNASTIQUE !... toutes, sans exception. Ouvrez l'histoire et lisez.

Une dynastie n'existe donc réellement que lorsque son origine est oubliée, lorsque le temps l'a soudée au passé ; quand, de générations en générations, le droit dynastique est devenu un fait, un fait actuel, dominant, un fait que la société reconnaît et contemple comme le soleil dans sa splendeur, sans s'informer de quelles régions il s'avance et dans quels climats il s'est levé.

Lorsque Hugues Capet fonda la troisième dynastie de nos rois, il s'associa son fils pour devancer l'action du temps. C'était déjà une génération de roi anticipée. Encore ne fut-il qu'un roi provisoire, et non pas un roi dynastique, tant qu'il put trouver sur sa route un des seigneurs qui l'avaient couronné, pour lui dire : — Qui t'a fait roi?

Et vous, législateurs imprudents, lorsque, avec tant de peine, nous avons constitué un commencement, une ébauche de dynastie; lorsque, dans ces huit années révolutionnaires, nous avons eu Louis-Philippe, roi ; le duc d'Orléans, prince royal; le comte de Paris, prince royal futur, possesseur [p.216] désigné de la couronne, quand la mort aura deux fois couvert le trône de son manteau funèbre, que faites-vous? Vous détruisez solennellement, au nom de la nation qui vous a nommés, le commencement de l'œuvre dynastique du temps; vous arrachez au comte de Paris la sanction royale de son père et de son aïeul ; vous reportez violemment son berceau jusqu'aux barricades, et vous lui donnez pour baptême l'insurrection populaire!... Et vous manifestez ainsi, par la plus claire des inductions, l'intention d'employer contre le trône nouveau, les moyens qui ont renversé le trône ancien, si la nouvelle race ne courbe pas le front sous votre prépondérance !... et vous faites, par conséquent, peser sur elle une suspicion terrible et fatale !... Et vous appelez cela une adresse monarchique !... et vous appelez cela fonder une dynastie, et couvrir la royauté!

Et M. Guizot, ce grave professeur d'histoire, qui probablement a su une fois dans sa vie, quoiqu'il paraisse l'avoir oublié, comment une dynastie s'établit et se fonde, a signé cette adresse!... lui!... lui, le promoteur de la quasi-légitimité[1], qu'il vient de renier à la tribune,... il vient, dans une sourde et longue paraphrase, protester [p.217] devant l'Europe attentive que ses principes n'ont pas changé! Il rêve sans doute aussi que l'Europe le croira, et qu'en France il est toujours le chef du parti conservateur... sous la protection de M. Odilon-Barrot.

Quand Guillaume vit que la convention britannique voulait le revêtir d'un simulacre de royauté, et se constituer souveraine pour régner sur lui par sa femme, il leur dit :

« C'est fort bien, c'est votre droit. Moi, je m'en vais, » je pars. Régnez à votre aise. »

On sait ce qui arriva. Pensez-y.

Paris, 10 janvier 1839.