Note D.


Numérisation et relecture des OCR réalisées par la Bibliothèque Cujas

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NOTE D.

Extrait de la Presse, 19 juillet 1838.

« De cette définition, puisée non pas dans des théories écrites, dans des systèmes abstraits, mais dans la juste appréciation des faits, résulte, pour notre pays, cette conséquence absolue que la majorité légale, la majorité [p.84] constitutionnelle, en France, ce n'est pas celle de la chambre des lords dominant la royauté et les communes, comme ce fut longtemps en Angleterre; ce n'est pas la majorité du conseil des ministres voulant maîtriser les deux chambres législatives, comme le prétendait M. de Polignac ; ce n'est pas la majorité de la chambre des députés soumettant à sa volonté le roi et la pairie, comme l'entend M. Duverger de Lauranne, c'est la majorité, non pas des membres composant un pouvoir contre les deux autres, mais la majorité relative de deux pouvoirs contre un. Voilà ce que veut la Charte de 1830; voilà comment elle sera la Charte-Vérité. Ce serait la Charte-Mensonge avec M. de Polignac ou avec M. Duvergier.

» La Charte veut la majorité dans les trois pouvoirs, c'est-à-dire la volonté de deux pouvoirs réunis quels qu'ils soient, contre le troisième pouvoir, quel qu'il puisse être, Pairs et députés doivent décider le pouvoir royal ; roi et pairie doivent maîtriser les députés ; députés et roi doivent imposer à la pairie; voilà la Charte-Vérité; voilà le gouvernement des trois pouvoirs tel que la Charte nous l'a donné. Hors de là, il n'y a que sophisme, tyrannie ou révolte ; il y a mensonge, impuissance ou anarchie. Qui que vous soyez, roi, pairs ou députés, ayez la majorité de deux pouvoirs contre un ; vous aurez pour vous la justice et la vérité ; vous aurez le pays.

» Croyez-vous, par exemple, que le roi, la royauté de juillet résiste jamais, en France, à la démonstration claire et formelle des vœux bien constatés, bien exprimés, des deux majorités des deux chambres sur quelque question que ce soit ? Vous ne le croyez pas; vous ne pouvez pas le croire ; vous ne trouverez depuis 1830, dans nos fastes parlementaires, aucun indice qui serve de prétexte à une crainte de ce genre ; la royauté reconnaîtra et acceptera toujours les propositions qui auront réuni les suffrages de la grande majorité des deux chambres législatives.

» Croyez-vous que la chambre des pairs, pour sa part, entame jamais une lutte contre la volonté bien avérée, bien positive, de la chambre des députés et de la royauté réunies ? Vous ne le croyez pas davantage ; vous savez bien que la chambre des pairs, qui porte tour à tour son contrepoids d'un côté ou de l'autre, selon qu'il lui semble que la chambre des députés, ou le ministère responsable, a besoin de trouver appui ou résistance, la chambre des pairs n'imaginera jamais de faire contrepoids, à elle seule, aux deux autres pouvoirs réunis. Dans la question de l'hérédité, n'a-t-elle pas cédé aux suffrages de la chambre des députés, mollement soutenus par les doutes du pouvoir royal ?

» Eh bien ! à quel titre prétendez-vous qu'un seul, pouvoir ait droit de soumettre les deux autres à sa volonté, quand, ce pouvoir unique c'est la chambre des députés, et quand les deux autres ce sont la royauté et la [p.85] pairie? vous avez caché, ou plutôt vous avez révélé votre pensée dans ces mots : Prépondérance de la chambre élective.

» Ici, nous touchons à une des profondeurs les plus intimes de la question. La chambre élective, dites-vous ! mais si la pairie n'est pas élective, n'est-elle pas sortie néanmoins, en grande partie, des sources de l'élection ? La chambre des pairs ne compte-t-elle pas sur ses bancs un grand nombre d'anciens députés, membres de toutes nos assemblées législatives depuis cinquante ans, et qui, à diverses époques et à plusieurs reprises, ont réuni, ou totalisé sur leur tète un plus grand nombre dé suffrages électoraux qu'aucun des jeunes députés qui leur contestent aujourd'hui un caractère national, une origine parlementaire? La royauté, le roi de 1830, n'est-il pas lui-même le premier élu, l'élu le plus populaire, qui, à aucune époque, ait réuni le plus grand nombre de vœux et de voix ? Ouvrez le Moniteur de 1830 ! voyez ces députations accourues de tons les points du royaume ! entendez ces acclamations élevées du milieu des rangs de toutes les gardes nationales ! Quel est le député à qui le roi de juillet n'ait pas le droit de répondre : « Que parlez-vous de deux » cents voix ! je suis plus élu que vous ! j'ai réuni tous les suffrages de » la France ! je sais ce qu'elle me demande, ce qu'elle attend de mes » efforts ; je sais qu'une grande responsabilité pèse sur moi, plus grande » que celle qui vous est imposée. Je suis l'élu permanent du pays; vous » êtes ses élus temporaires. Je représente les intérêts fondamentaux de la » France ; vous exprimez ses vœux accidentels. A moi donc le droit de » satisfaire à ses besoins les plus durables; à vous l'honneur de m'y » aider ; vous devez votre concours à mon gouvernement. »

Il faut remarquer que lorsque ces articles ont été écrits, le journal d'où je les extrais était, momentanément, sous la direction d'un écrivain rédacteur officiel de la pensée ministérielle depuis beaucoup d'années, et qui passe pour recevoir, à ce titre, un traitement annuel du ministre de l'intérieur.