Chapitre XV - Des inductions que l'on peut tirer, en faveur de la Constitution Françoise, du Discours du Roi du quatre Février 1790


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CHAPITRE XV.

Des inductions que l’on peut tirer, en faveur de la Constitution Françoise, du Discours du Roi du quatre février 1790.





Vers la fin de Janvier 1790, de nouveaux troubles, accompagnés de violences personnelles, de pillages & d'incendies, désoloient plusieurs Provinces, & une grande agitation régnoit au milieu de la Capitale. Toute cette fermentation, dont on redoutoit les progrès, étoit généralement attribuée aux défiances répandues sur les intentions politiques du Roi ; & l'on annonçoit ouvertement, que, sans une manifestation particulière de ses sentimens, la tranquillité du Royaume ne se rétablirait point. Ce furent ces confédérations, si dignes de l'intérêt d'un Monarque, qui déterminèrent la démarche de Sa Majesté, du quatre Février. Le Roi, [p.301] ni personne en France, ne pouvoit, à cette époque, avoir une opinion éclairée sur une Constitution, dont on ne connoissoit encore que les prémices. Le Roi désiroit sincérement & généreusement, qu'un Gouvernement libre pût s'établir en France ; mais il sentoit avec tous les esprits sages, que, pour le bonheur & la prospérité d'un État, le soin de la liberté ne devoit jamais distraire les Législateurs du maintien de l'ordre public, & que ces deux grands intérêts méritoient également de captiver leur attention. Le Roi, pénétré de ces vérités, s'expliqua dans les termes les plus propres à interpréter fidèlement sa pensée ; & il ne la trahissoit point, sans doute, lorsque, s'associant de nouveau aux principes généraux de la Constitution, il prononça ces paroles remarquables : « Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté Constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré les principes, &c. »

Voilà comment il s'exprimoit sur la liberté ; [p.302] mais immédiatement après, il fixe l'attention de l'Assemblée Nationale, sur les soins qu'elle devoit prendre de l'autorité, destinée au maintien de l'ordre, & il lui parle en ces termes :

« Je ne dois point le mettre en doute, en achevant votre ouvrage, vous vous occuperez surement, avec sagesse & avec candeur, de l'affermissement du Pouvoir Exécutif, cette condition, sans laquelle il ne sauroit exister aucun ordre durable au-dedans, ni aucune considération au-dehors. Nulle défiance ne peut raisonnablement vous rester ; ainsi, il est de votre devoir, [p.303] comme Citoyens, & comme fidèles Représentans de la Nation, d'assurer au bien de l'État & à la liberté publique, cette stabilité, qui ne peut dériver que d'une autorité active & tutélaire. Vous aurez surement présent à l'esprit, que, sans une telle autorité, toutes les parties de votre systême de Constitution, resteraient à la fois, sans lien & sans correspondance ; & en vous occupant de la liberté que vous aimez, & que j'aime aussi, vous ne perdrez pas de vue, que le désordre en Administration, en amenant la confusion des Pouvoirs, dégénère souvent, par d'aveugles violences, dans la plus dangereuse & la plus alarmante de toutes les tyrannies. »

L'Assemblée, à l'époque du quatre Février, étoit encore à temps, de donner au Pouvoir Exécutif, l'autorité nécessaire pour remplir sa destination ; & l'on avoit assuré qu'elle le seroit, au moment où elle seroit rassurée sur les sentimens du Monarque ; mais, après le discours du Roi, elle ne songea qu'à se prévaloir de la disposition des esprits, pour faire prêter serment à une Constitution qui n'étoit pas faite. Et depuis cette époque, loin de s'occuper du Pouvoir Exécutif, loin de penser à garantir, par la médiation de ce Pouvoir, l'ordre public & l'action du Gouvernement ; loin de compléter, de cette manière, la Constitution politique de la France, elle suivit des principes absolument contraires. C'est postérieurement au quatre Février, que les dispositions [p.304] positions suivantes, toutes destructives de la Majesté du Trône & des prérogatives Royales, ont été décrétées Constitutionnellement.

L'organisation Judiciaire a privé le Monarque, de toute espèce d'influence sur la nomination des Juges Civils, des Juges Criminels & des Juges de Paix.

L'organisation des Jurés, a confié à des Officiers publics, nommés par le Peuple, la confection de la Liste des Jurés d'accusation & des Juges du fait.

L'organisation de la Haute-Cour Nationale, a confié à des Électeurs, nommés par le Peuple, le choix des Hauts-Jurés.

On n'a laissé au Monarque, aucune influence sur la nomination des Officiers publics, qui doivent exercer des fonctions de Police.

La nouvelle Constitution Ecclésiastique, a dépouillé le Roi, de toute espèce de participation au choix des Évêques & des autres Ministres de la Religion.

L'organisation de la Garde Nationale, a de même exclu Sa Majesté, de toute espèce d'influence [p.305] sur la discipline de ce Corps & fur la nomination des Officiers.

L'intervention du Monarque, dans la formation du Corps de Gendarmerie destiné à remplacer l'ancienne Maréchaussée, a été presqu'entièrement détruite.

C'est encore, postérieurement à l'époque du quatre Février, que la Constitution Militaire a circonscrit, dans le cercle le plus étroit, les prérogatives Royales, en ne conférant au Roi, qu'un petit nombre de nominations, & en rendant l'introduction, dans le service de Terre & de Mer, indépendante de la volonté du Monarque.

La Constitution de la Marine, a étendu les mêmes principes à l'Administration Civile.

Les Statuts, relatifs aux Emplois de Finances, ont ôté au Roi, sans aucune exception, le choix de tous les Receveurs ou Trésoriers des impositions directes ; & l'on a soumis la nomination des Agens du Fisc, chargés du recouvrement des Contributions indirectes, à des règles d'avancement, qui [p.306] du Gouvernement.

C'est encore, postérieurement à l'époque du quatre Février, que l'on a supprimé la Noblesse & les Titres, disposition qui affoiblissoit le Pouvoir Exécutif de deux manières, & en étant au Roi, un moyen d'accorder des grâces, & en détruisant un rang intermédiaire, favorable à la Majesté du Trône, sans remplacer cette suppression, par l'institution d'aucune dignité politique.

On peut appliquer le même genre d'observations, à l'abolition des Ordres de Chevalerie, postérieure également au quatre Février.

C'est encore depuis cette époque, que l'on a privé le Roi, de la faculté d'accorder la plus légère gratification, ou la plus petite pension, sans l'approbation de l'Assemblée Nationale.

C'est depuis cette époque, qu'on a interdit au Monarque de faire, ni la Paix, ni la Guerre, ni aucun Traité d'alliance ou de commerce, sans le contentement du Corps Législatif.

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C'est depuis cette époque, que l'on a soustrait à la Sanction du Monarque, toutes les lois relatives à l'établissement, à la réduction & à la répartition des impôts.

C'est depuis cette époque, que l'on a dépouillé le Roi, de la plus ancienne, la plus auguste & la plus précieuse des prérogatives de la Couronne, du droit de faire grace.

C'est depuis la même époque, que l'on a ôté au Roi, la liberté de choisir aucun Ministre, aucun Agent du Gouvernement, parmi les Députés à l'Assemblée Nationale, & qu'on a étendu cette prohibition jusqu'à Un intervalle de deux ans, après l'expiration de la Législature.

C'est postérieurement au quatre Février, qu'on a jeté une sorte d'avilissement sur l'autorité Royale, en contraignant le Roi, par des mouvemens populaires, à fonctionner, les dispositions les plus dures envers les propriétaires Ecclésiastiques, & plusieurs autres Décrets contraires à son opinion.

Enfin, c'est postérieurement à cette époque, [p.308] que, par divers réglemens, rappelés dans un Chapitre de cet Ouvrage, on a rabaissé de toutes les manières la Majesté Royale ; & pour dernier trait, l'on a soumis l'ensemble de l'Acte Constitutionnel, à une telle forme de révision, que, dans trois ans, à compter d'aujourd'hui, rien n'empêchera qu'une Législature ne propose aux suivantes, la destruction entière du Gouvernement Monarchique.

On peut donc dire avec exactitude, que les dispositions de l'Assemblée Nationale, postérieures au quatre Février, ont essentiellement détruit le Pouvoir Exécutif; & qu'en suivant un esprit différent, ce Pouvoir eut existé, & la France auroit eu une Constitution politique, non pas parfaite, mais où l'ordre public & la liberté, ne se seroient pas trouvés en désunion; & l'expérience auroit perfectionné cet ouvrage.

Cependant, si, comme je l'ai prouvé de tant de manières, le Pouvoir Exécutif forme la pierre de l'angle dans un édifice politique ; [p.309] & si ce Pouvoir a été détruit depuis le quatre Février, au lieu d'avoir été fortifié comme on l'annonçoit, il est évident, qu'on ne doit tirer du Discours du Monarque, aucune induction favorable à la Constitution Françoise, à cette Constitution, telle que nous l'avons aujourd'hui, telle que nous la tenons du génie de nos Législateurs & de leur munificence. Le Discours du Roi, du quatre Février, étoit dans une mesure convenable, & ses expressions étoient proportionnées à la circonstance. C'est l'Assemblée qui en étendit le sens, en faisant tout-à-coup prêter serment à une Constitution incomplète, à une Constitution à venir ; & cette résolution de sa part, dans un moment où le Pouvoir Exécutif n'étoit pas fondé, dans un moment, où, s'il est permis de s'exprimer ainsi, il n'étoit pas seulement dessiné, montre avec évidence, & sous un nouveau rapport, l'inattention de nos Législateurs aux lois du mouvement social & aux premiers principes de l'ordre public.

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Je devois, sans doute, examiner, comme je viens de le faire, les inductions que l'on auroit droit de tirer de la démarche du Roi, du quatre Février ; car, cette démarche motivée, sans doute, par des considérations graves, n'avoit cependant aucun des caractères apperçus dans l'Acceptation générale du 14 Septembre 1791. Les circonstances qui ont précédé cette dernière acceptation, celles qui l'ont accompagnée, celles qui l'ont suivies, ont tellement fixé l'opinion sur l'événement le plus éclatant de nos jours, que personne en Europe n'a besoin d'aide, pour asseoir son jugement à cet égard ; & si les discours sont divers, les sentimens sont les mêmes. D'ailleurs, l'acquiescement le plus libre d'un Monarque, à un systême de Gouvernement, ne présenteroit jamais que l'opinion d'un homme; & l'on doit à la haute gravité des sujets politiques, de considérer uniquement ces questions, dans leurs rapports avec l'intérêt des Nations & avec les saintes maximes de l'ordre & de la morale.