Chapitre III - Comment le Pouvoir Exécutif en Amérique, a plus de force que le Pouvoir Exécutif en France.


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CHAPITRE III

Comment le Pouvoir Exécutif en Amérique, a plus de force que le Pouvoir Exécutif en France.




On a vu, dans les Chapitres précédens, les principales circonstances, qui imposoient l'obligation de donner à l'autorité du Gouvernement, en France, un degré d'action & de force, dont la République Américaine n'avoit pas éprouvé la nécessité.

Que seroit-ce donc, si nos Législateurs avoient adopté des proportions absolument contraires ?

Il faut, pour examiner cette question, faire un double parallèle, & rapprocher le Pouvoir Exécutif de France, non-seulement du Pouvoir Exécutif, institué dans les États particuliers de l'Amérique, mais encore du Pouvoir Exécutif, établi pour le maintien de la fédération. [p.33] Ces deux comparaisons peuvent répondre un nouveau jour sur des vérités importantes.

Je fixerai d'abord l'attention fur le Pouvoir Exécutif confié au Président du Congrès[1], & sur les divers instituts qui secondent l'action de ce Pouvoir.

Les lois qui émanent du Congrès, ont, comme celles du Parlement d'Angleterre, le grand avantage sur les lois de France, d'annoncer à la Nation, le vœu réuni de deux Chambres, & de présenter ainsi un caractère de maturité & de réflexion, qui impose plus de respect & rend l'obéissance plus assurée.

Les Députés qui composent la première Chambre, désignée sous le nom de Sénat, doivent rester six ans en place, & cette circonstance est une sauvegarde contre la variabilité de principes, à laquelle la seconde[2] [p.34] est exposée par le renouvellement de ses Députés, tous les deux ans.

Les Sénateurs doivent avoir plus de trente ans ; l'on exige d'eux qu'ils ayent été citoyens des États-Unis, au moins depuis neuf ans, & l'on est averti, dans toute l'Amérique, de choisir ces Députés parmi les hommes les plus sages de la Nation. Toutes ces circonstances servent à préparer la considération du Sénat, & disposent les esprits à honorer le Corps Législatif, dont ce même Sénat fait partie.

Il n'y a que les sots, les simples théoristes, ou les apprentis en philosophie morale, qui mettent à part l'opinion dans leurs combinaisons politiques ; son secours est éminemment nécessaire à tous les Gouvernemens ; elle sert les Despotes, en prenant les formes de la crainte, & c'est, en empruntant l'image plus douce du respect & de la confiance, qu'elle assure aux Chefs [p.35] d'une Nation libre, la déférence dont ils ont besoin.

Cette considération, si nécessaire à la première Chambre du Corps-Législatif de la fédération Américaine, est encore augmentée par le Statut Constitutionnel, qui l'a déclarée juge de toutes les accusations intentées par la Chambre des Représentans, ou pour trahison, ou pour toute autre malversation publique.

Enfin, les Sénateurs doivent leur élection au vœu réfléchi du Corps Législatif de chaque État d'Amérique. Circonstance très-essentielle, puisque le caractère éprouvé des Électeurs, la connoissance qu'ils ont acquise des difficultés du Gouvernement, & l'intérêt qu'ils ont déjà, par leurs places, au maintien de la considération des hommes publics, sont autant de conditions qui assurent la circonspection de leurs choix, conditions dont aucune n'est remplie par les formes d'élection établies en France.

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Une disposition particulière, contribue encore au maintien de l'ordre & de l'unité, dans les délibérations du Congrès ; c'est que les deux Chambres n'ont point, comme en France, des Présidens successifs & amovibles tous les quinze jours. La Chambre des Représentans choisit un Orateur, qui lui sert de Président pour toute la Session; & le Chef du Sénat est déterminé par la Constitution même ; elle a désigné, pour cette place, le Vice-Président des États-Unis, celui qui doit aider le Président général dans ses fonctions, & le remplacer au besoin. Le Législateur, par cette institution, semble avoir voulu former un commencement de lien, entre l'autorité Législative & le Pouvoir Exécutif.

Cependant, si l'on joint ces divers éclaircissemens aux informations que l'on peut facilement acquérir sur le caractère & la réputation des hommes, appelés à composer le Congrès Américain, l'on jugera, peut-être, qu'une telle Assemblée Législative, à [p.37] l'aide uniquement de sa considération, donnerait plus de force à ses Décrets, qu'une Assemblée armée, comme la nôtre, de toute l'autorité Nationale, & s'environnant sans cesse de menaces & de proscriptions.




Ce n'est pas seulement la sage composition du Corps Législatif, qui facilite & seconde l'action du Pouvoir Exécutif, c'est encore l'organisation prudente de l'Ordre Judiciaire ; or, tandis que les Magistrats, en France, sont tous nommés par le Peuple, & pour un temps limité, deux circonstances contraires à l'indépendance des Juges, les Tribunaux de la fédération, en Amérique, sont composés d'hommes, choisis par le Sénat & le Président des États-Unis, & nul terme n'est assigné à leurs services.




Que si l'on fixe maintenant son attention, sur l'autorité attribuée au dépositaire du Pouvoir Exécutif de l'union en Amérique, on trouvera qu'elle surpasse, à plusieurs [p.38] égards, les prérogatives du Monarque François.

La Sanction du Président est nécessaire au complément des lois. Il est vrai, que cette Sanction ne peut pas être refusée purement & simplement, comme celle du Roi de France, pendant la durée de deux Législatures ; mais, dès que l'une & l'autre de ces Sanctions ne sont pas applicables aux Lois Constitutionnelles, je crois le droit de Veto du Monarque François moins significatif que le droit d'opposition, attribué au Président des États-Unis ; & je dois en rappeler les conditions, pour mettre chacun à portée d'avoir un avis sur cette question.

Ces conditions sont fort simples : le Bill ou le Décret, revêtu de l'approbation des deux Chambres, doit être présenté au Président du Congrès, & s'il refuse d'y donner son consentement, il est tenu d'expliquer ses motifs par écrit. Les deux Chambres, toujours assemblées séparément, en prennent connoissance, & il faut que les deux tiers des [p.39] opinans, dans chacune de ces Chambres, donnent de nouveau leur suffrage au Bill proposé pour rendre nulle l'opposition du Président des États-Unis. Je dois ajouter que les noms des opinans, par oui ou par non, doivent être inscrits sur le régistre journal de chaque Chambre, & l'on doit y inscrire pareillement en entier, les objections du Président qui ont formé l'objet de la délibération.

On sent aisément combien il est peu vraisemblable, qu'un Mémoire d'observations de ce Président, le Chef suprême du Pouvoir Exécutif, n'entraîne pas les voix d'un tiers des Membres de l'une ou l'autre Chambre, & l'on apperçoit aussi quelle force de considération peut obtenir le Président, en défendant la raison à haute voix, & en s'expliquant noblement & convenablement ; hélas ! il n'eût fallu souvent que l'exercice d'un pareil droit de représentation, de la part du Gouvernement François, pour empêcher l'Assemblée Nationale de faire beaucoup de [p.40] fautes ; mais en sa qualité de Législatrice Constituante, elle a contraint le Monarque à n'exprimer ses refus de Sanction, que par une simple formule ; & de cette manière, elle l'a séparé de l'appui qu'il auroit pu trouver dans l'opinion publique. Il est résulté, cependant, d'un pareil isolement, qu'au moment où l'on présente un Décret à la Sanction, il ne suffit pas au Monarque d'examiner, si cette loi n'est point contraire à la morale ou au bien de l'État ; il a malheureusement besoin de considérer encore, s'il peut, avec sureté, la rejetter, quand il ne lui est pas permis d'éclairer, en même temps, le Corps Législatif & la Nation, sur les motifs de son refus. L'Assemblée Constituante, par une misérable jalousie, a toujours refusé de confier au Roi l'autorité de la raison, & jamais elle n'auroit admis un Véto, pareil en toutes ses circonstances, au droit d'opposition dont le Président du Congrès est investi.

Une grande & importante remarque doit [p.41] encore être faite. La Constitution Américaine, bien différente de la Constitution Françoise, n'a point soustrait au consentement du Chef suprême de l'administration, plusieurs délibérations Législatives, & entr'autres les plus essentielles de toutes, les dispositions qui concernent l'établissement, la prorogation & la perception des impôts.

Ce n'est pas les lois seulement, qu'on a soumises à la Sanction du Président du Congrès; la Charte Constitutionnelle y assujettit, d'une manière générale, les Votes & les résolutions qui dépendent du suffrage réuni des deux Chambres Législatives, & l'on n'a excepté de cette disposition, que les délibérations relatives aux ajournemens.

On voit ainsi, que la Sanction du Chef des États-Unis, a des applications plus nombreuses & plus étendues, que la Sanction du Monarque en France.

Enfin, les Législateurs Américains n'ayant pas déclaré Constitutionnels, une multitude d'articles, admis comme tels dans le Pacte [p.42] François, le règlement de ces différentes dispositions se trouve compris dans l'étendue des Pouvoirs confiés au Corps Législatif; & comme l'exercice de ces mêmes Pouvoirs est soumis à la Sanction du Président général, son influence se trouve augmentée, de tout ce qui n'a pas été fixé invariablement dans la Convention Nationale.




L'une des prérogatives les plus éclatantes, attribuées au Président du Congrès, c'est le droit de faire grâce, & ce droit s'applique à toutes les offenses commises envers les États-Unis, à l'exception, cependant, des procédures criminelles, suivies à la réquisition de la Chambre des Représentans. On s'est conduit bien différemment en France, où l'on a refusé, presqu'inhumainement, au Monarque, le plus précieux, le plus honorable & le plus imposant des antiques privilèges de la Couronne. J'ai déjà traité ce sujet dans l'effusion de mon cœur, ainsi je ne me servirai point de la nouvelle arme [p.43] que m'offre, en ce moment, la disposition adoptée par un Peuple jaloux de ses droits & dans toute la ferveur de la liberté.




Le Président des États-Unis, a le droit de conclure des Traités, pourvu qu'il se soit assuré du consentement des deux tiers du Sénat ; & comme les Députés dont ce Conseil National est composé, ne sont qu'au nombre de trente-deux, on voit que le Président du Congrès, en négociant avec les Nations étrangères, ne s'expose a aucune fausse démarche, & peut leur inspirer une parfaite confiance. Il n'en est pas de même en France, où les Traités ne pourront avoir aucune réalité, sans l'approbation d'une Assemblée de sept cents quarante-cinq Députés, qui, la plupart absolument nouveaux dans les affaires politiques, ne pourront acquérir à temps les lumières nécessaires, dans le court règne de deux années.




Le Président doit nommer à toutes les places, sans aucune exception, avec le [p.44] consentement du Sénat ; & dans ces places ; sont compris les Offices de Juges de la Cour suprême. Ce concours du Sénat fera dire, sans doute, que, selon la Constitution Françoise, le Roi, de sa seule autorité, choisit les Ambassadeurs & quelques autres Officiers publics ; mais le Gouvernement est soumis, on le fait, à l'empire de l'opinion, & il se trouve ainsi dans la nécessité de consulter un maître très-difficile à contenter, un maître dont il faut deviner les volontés, quand il en a, & auquel on en suppose encore, quand il n'en a point ; & de cette manière on est forcé de se dévouer au culte d'une Divinité mystérieuse, dont on redoute également, & le silence & le bruit. Peut-on douter, que, dans une telle position, le Gouvernement ne préférât la garantie d'un Sénat, sur lequel, avec un esprit de sagesse & de raison, il auroit nécessairement une grande influence. On doit observer, d'ailleurs, que si, pour le petit nombre de nominations attribuées, en France, à l'autorité seule du [p.45] Monarque, le Président du Congrès a besoin de se concerter avec le Sénat, sa prérogative, ainsi limitée, s'applique à tous les Emplois qui dépendent des États-Unis, au lieu qu'on a privé le Monarque François de toute espèce de participation, au choix du plus grand nombre des Officiers publics, tels que les Juges, les Chefs de la Police, & les Conducteurs de toute la partie économique de l'Administration dans les Provinces; enfin, même pour les places, laissées à la disposition du Roi, l'on a établi des règles de promotion, qui réduisent le plus souvent les fonctions du Monarque, à une simple formalité.

Le Président des États-Unis remplit encore, de sa seule autorité, toutes les places qui deviennent vacantes, pendant la suspension des Séances du Sénat ; & les Commissions qu'il accorde doivent subsister jusques à la fin de la Session suivante.

On découvre, cependant, une vérité à la suite des explications précédentes, c'est [p.46] que le concert avec le Sénat, dont on a fait un devoir au Président général, associe à l'Administration unit à ses intérêts, l'une des deux Chambres dont le Congrès Américain est composé ; & il doit résulter d'une telle disposition, une harmonie plus parfaite & plus assurée, entre le Gouvernement & le Pouvoir Législatif.

Cette vue, est l'idée originale de l'organisation du Congrès, dans ses rapports avec l'Administration suprême ; elle fait même exception au principe commun de la séparation des Pouvoirs. Qu'importe, si cette exception atteint de plus près au bien général !




Mais la responsabilité du Pouvoir Exécutif n'est-elle pas ainsi diminuée, s'écrieront quelques-uns de nos nouveaux politiques, ceux, surtout, qui attachent leur gloire & leur plaisir à l'espoir d'exercer un jour cette responsabilité, & qui ne voudroient jamais consentir au plus léger abandon des mille & une manières, avec lesquelles ils peuvent [p.47] attaquer ou blesser les premiers Agens du Gouvernement !

Je réponds, que les prudens Législateurs de l'Amérique, ont préféré l'harmonie générale à ces petits ébats de l'envie & de la jalousie. Honneur leur en soit rendu de la part des hommes sensés de tous les pays.

Le Président du Congrès, obligé de s'entendre avec le Sénat, pour la nomination des Officiers publics & pour la négociation des Traités de commerce ou d'alliance, reste d'ailleurs l'unique dépositaire du Pouvoir Exécutif; il peut même convoquer les deux Chambres, ou l'une des deux séparément, avant l'expiration de leur ajournement ; & quoiqu'elles en fixent elles-mêmes le terme, le Président auroit le droit de le déterminer, si les deux Sections du Corps Législatif étoient divisées d'opinion, sur le choix de l'époque.

Tous les honneurs aussi sont réservés à ce premier Magistrat des États-Unis ; seul, il donne audience aux Ambassadeurs & aux [p.48] Ministres étrangers; il entre au milieu du Corps Législatif avec le plus grand cortège, & loin que sa dignité extérieure soit exposée à tous les petits harcelemens dont notre enfance politique se fait encore une gloire, les Américains se plaisent à respecter, dans le Chef de leur union, la Majesté d'un Peuple libre.




Je dois faire une dernière observation très-importante. On jugeroit mal des prérogatives respectives du Monarque François, & du Président général des États-Unis, si l'on se bornoit à comparer les Chartes Constitutionnelles des deux Nations. Le Code originaire des Américains, présente toutes les restrictions imposées à l'autorité du Chef de leur union, & le même Code, en France, n'indique qu'imparfaitement la situation politique du Monarque, au moment où cette Convention a été terminée. Expliquons la raison de cette différence.

Les Législateurs de la fédération Américaine [p.49] n'avoient d'autorité, que pour préparer, d'un commun accord, une bonne Constitution ; ils ne se sont donc occupés d'aucun autre objet, & le Gouvernement, dont ils ont été les fondateurs, n'a commencé, n'a eu son premier mouvement, qu'à l'époque où leur projet de Constitution a été adopté par les États-Unis. Ainsi, nulle loi antérieure, nulle loi adjacente à la Constitution, n'a joint son empire à l'autorité de la Convention Nationale.

Il n'en est pas de même en France, l'Assemblée Nationale a extrait son Code Constitutionnel, d'une multitude de lois faites par elle, pendant le cours de la Session, & celles qui n'ont point été comprises dans ce Code, ne sont pas abrogées; elles régissent l'État comme les lois Constitutionnelles, & la seule différence entre ces deux sortes de lois, c'est que les lois Constitutionnelles sont immuables, pendant un temps, & que les autres ne le font pas ; mais, si, pour changer ces dernières, il faut l'expresse volonté [p.50] d'une Législature, leur terme est pareillement incertain, & leur durée peut être aussi longue, aussi indéfinie, que la durée des lois Constitutionnelles.

Je choisirai un ou deux exemples entre un grand nombre, pour servir d'éclaircissement à la remarque essentielle que je viens de faire. Le Code Constitutionnel ne fixe point le terme des fonctions de tous les Juges, établis dans le Royaume, & cependant ce terme ne pourra s'étendre au-delà de six ans, si la loi, qui l'a réglé de cette manière, n'éprouve aucun changement. Le Code Constitutionnel ne fixe point le nombre des Municipalités, mais il n'en existera pas moins quarante-quatre mille, aussi long-temps que cette imprudente institution, décrétée par la première Assemblée Nationale, ne fera point abrogée. On se formeroit donc une idée imparfaite, des obstacles apportés en France à l'établissement de l'ordre & à l'action du Pouvoir Exécutif, si l'on formoit un jugement à cet égard, sur la simple lecture du Code Constitutionnel.

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Il existe nécessairement une différence marquante, entre une Constitution entée sur d'anciennes lois, & une Constitution antécédente à l'existence même du Gouvernement ; & les effets de cette première différence sont peut-être inaltérables, parce que, dans tous les pays ou l'action Législative doit dépendre de plusieurs Pouvoirs, l'extinction ou la modification des lois, qui restreignent l'une de ces autorités, devient infiniment difficile.




Les renseignemens abrégés, que je viens de donner, sur la Constitution des différens Pouvoirs en Amérique & sur les prérogatives attribuées au Président du Congrès, suffisent pour montrer, que les États-Unis ont assuré l'action du Gouvernement, d'une manière beaucoup plus forte & beaucoup plus respectable, que nous ne l'avons fait en France. Évaluons, maintenant, le petit nombre de circonstances, qui paroissent en contradiction avec cette vérité.

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Le Chef des États-Unis peut être traduit en jugement devant le Sénat, par une accusation de trahison, ou d'autre crime capital, intentée au nom de la Chambre des Représentans.

En France, la personne du Monarque a été déclarée inviolable.

La différence est grande, sans doute, mais il faut des circonstances si rares & si peu vraisemblables, pour ramener la pensée vers un tel genre de franchise ou d'assujettissement, qu'il n'en résulte, ni aide, ni contrainte, pour le Pouvoir Exécutif. Il n'en est pas de même de la responsabilité, à laquelle on a soumis, en France, non pas le Roi, mais tous ses Ministres ; celle-là est d'une application continuelle, & l'on a tant de dispositions à s'en servir, comme d'une arme offensive, qu'elle devient entre les mains des hommes inquiets ou jaloux, un moyen continuel d'agitation. Il vaut mieux, sans doute, pour le maintien du Gouvernement, que le Roi soit inviolable, & que ses Ministres puissent être pris à partie ; mais sous le [p.53] rapport du Pouvoir Exécutif uniquement, l'inviolabilité du Monarque, ne compense pas les inconvéniens attachés à l'extrême violabilité de ses Ministres.




L'hérédité du Trône, comparée au règne passager du Chef des États-Unis, est encore une particularité favorable à la consistance du Gouvernement ; mais il ne faut pas se dissimuler, que la considération, attachée à une autorité héréditaire, est souvent balancée par les mauvais coups de dez, inséparables des hasards de la naissance. Washington en possession, par descendance, d'une telle autorité, auroit eu, peut-être, un plus grand pouvoir que Washington, Chef passager des États-Unis ; mais c'est aux Géomètres, consommés dans la science & le calcul des probabilités, c'est à eux à nous dire, en combien de siècles un homme, doué d'autant de qualités éminentes, seroit devenu le Chef d'une Nation, par la simple succession des lois de la nature

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Il n'y a point de Troupes réglées en Amérique, ainsi leur secours manqueroit au Pouvoir Exécutif, s'il en avoit besoin ; mais il réclameroit l'appui de la milice. Le rassemblement de cette force militaire ne peut avoir lieu que par un Statut du Corps Législatif, mais le droit de la commander est attribué, par la Constitution, au Président général. Il seroit aussi le Chef de l'Armée extraordinaire de terre & de mer, s'il y avoit guerre, & l'on n'a pas rendu cette prérogative absolument nulle, comme on l'a fait artistement en France, en assujettissant le Monarque à ne jamais s'écarter de plus de vingt lieues du Corps Législatif, & en l'obligeant à convoquer cette Assemblée, au moment des premières hostilités.

La Constitution, l'organisation de l'Armée en Amérique & ses réglemens d'Administration, sont soumis à l'autorité Législative ; mais la Sanction du Président, fait partie de cette autorité ; ainsi, l'opinion du Chef de l'État, & sur l'admission dans le service, & [p.55] sur les promotions, ne fera point mise à l'écart, comme on l'a fait en France, en comprenant ces dispositions dans les Articles Constitutionnels.




Je ne puis terminer le parallèle que j'ai entrepris, sans mettre au rang des grandes facilités, assurées au Pouvoir Exécutif des États-Unis, une circonstance très-remarquable ; c'est l'heureuse distance où se trouvent tous les Chefs d'un Gouvernement fédératif, du premier mouvement des passions individuelles, mouvement toujours dangereux, & dont ils sont garantis par l'interposition des autorités, qui exercent, dans chaque État particulier, les devoirs habituels de la Souveraineté. Cette heureuse distance maintiendra long-temps dans son intégrité la considération du Congrès; & peut-être, que le trait de génie de toutes les Constitutions fédératives, c'est d'élever, au milieu de plusieurs Gouvernemens, une Puissance suprême, qui, sans aucune connexion avec les [p.56] prétentions hostiles & journalières dont ces Gouvernemens ont à le défendre, apparoit d'une manière imposante, lorsque les événemens rendent son intervention nécessaire. Une telle Puissance devient le Corps de reserve, au milieu des divisions intestines ; elle fait alors, un emploi salutaire d'un crédit qu'elle n'a point usé, d'une fermeté qu'elle n'a point compromise ; d'une bonté qu'elle n'a jamais rendue familière, & c'est ainsi, que les grandes pensées politiques ont toujours un rapport avec le moral des hommes.