Chapitre XIII - Formes observées envers le Monarque


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CHAPITRE XIII.

Formes observées envers le Monarque.

Ce n'est pas seulement, à l'aide des prérogatives réelles attribuées au Pouvoir Exécutif, que la haute considération, dont il a besoin, & le caractère imposant de dignité, nécessaire à son action, se forment & se maintiennent. Il est indispensable encore d'environner le Chef de l'État, de tout ce qui peut servir à dominer l'imagination. Nous sommes tous accessibles à divers genres d'impressions ; une longue éducation de nos facultés spirituelles, cet apanage du loisir & de la richesse, permet à quelques-uns d'entre nous, de soumettre leurs sentimens & leurs principes aux lents résultats d'une méditation éclairée ; mais le grand nombre des hommes, ceux qui sont obligés de consacrer [p.251] à des travaux lucratifs, le premier développement de leurs forces, resteront toujours sous l'empire des idées les plus simples. Ce n'est pas un reproche à leur esprit, mais une suite inévitable de leur humble fortune. C'est par un effet de ces vérités indestructibles, de ces vérités liées, & à notre nature, & à notre position sociale, que, pour maintenir dans un vaste Royaume, les liens mystérieux de la subordination & de l'obéissance, il faut captiver également, & les sentimens rapides, & les sentimens réfléchis.

La plupart des hommes, uniquement attentifs aux idées d'orgueil ou de vanité, qu'ont inspirées aux Princes l'éclat de leur rang, ont été entraînés à considérer cet éclat, comme indifférent à l'intérêt social ; & les petits philosophes du temps, faisant un pas en avant, ont présenté comme un avilissement, toutes les marques de respect: destinées à relever la majesté du Monarque; mais les illusions des Rois, sur l'origine & l'esprit [p.252] de ces divers hommages, ne doivent pas nous égarer nous-mêmes, & distraire nos regards des idées premières & des vues générales, qui ont fait un élément politique de la splendeur du Trône & de sa douce autorité sur l'imagination des hommes.

L'Assemblée n'a pas eu ces idées premières, assez présentes à son souvenir, ou bien, elle les a sacrifiées trop légèrement à des sentimens passionnés. Cependant, c'était en diminuant, chaque jour, les prérogatives réelles du Monarque, qu'il devenoit plus essentiel de ménager soigneusement l'habitude du respect pour son rang suprême ; c'était en réduisant ses moyens effectifs d'ascendant & d'autorité, qu'il ne falloit pas obscurcir encore son auréole ; mais je ne sais pourquoi, nos Législateurs ont toujours regardé l'obéissance d'un grand Peuple, comme une idée simple, & qu'il suffisoit de fixer par un article de la loi. On avoit décrété, que le Pouvoir Exécutif seroit remis entre les mains du Monarque, & l'on ne s'étoit point [p.253] occupé de la constitution de ce Pouvoir; on a déclaré de même le Gouvernement François, Monarchique, & l'on n'a point examiné de quelle manière on composeroit la majesté du Trône. Cependant, l'utilité d'un Monarque n'est pas dans son titre, mais dans tous les accompagnemens de la Royauté, dans ces attributs divers, qui captivent les égards, imposent le respect, & commandent l'obéissance. Enfin, & c'est peut-être un grand sujet de réflexion que je vais indiquer, on a méprisé tous les sentimens, qui naissent de l'habitude & de l'opinion, & l'on n'a pas vu que c'étoit, par l'autorité du Monarque sur ces mêmes sentimens, qu'un Roi devenoit véritablement distinct de la loi, & lui prêtoit de la force.

L'Assemblée Nationale auroit apperçu, peut-être, toutes ces vérités, si, de bonne heure, elle ne s'étoit pas abandonnée à un esprit de jalousie. Elle a vu constamment le Roi comme un rival, au lieu de s'enhardir en Législatrice, à le considérer [p.254] comme l'acteur principal dans un Gouvernement Monarchique, & à lui faire à temps, sa part avec prudence. On s'est indiscrètement amusé, pendant la durée de la Session, à lui donner le nom de Premier Fonctionnaire public ; & c'est après avoir combiné, après avoir dicté, pour ainsi dire, tous les articles de la Constitution, sous ce titre, qu'on s'est avisé tardivement, & en faisant la clôture des travaux de l'Assemblée, de l'appeler, pour la première fois, le Représentant héréditaire de la Nation. L'on n'a pas songé que cette seule dénomination très-sensée, exigeoit des Législateurs, qu'ils refissent en entier leur ouvrage. Que diroit-on d'un peintre, qui, après avoir voulu rendre sur la toile les traits du premier des Dieux de la fable, & s'appercevant au dernier coup de pinceau, qu'il avoit oublié de placer dans le ciel le maître de la Terre, imagineroit tout réparer, en mettant en gros caractère le nom de Jupiter au bas de son tableau.

Les Anglois, jaloux à l'excès de leur [p.255] liberté, & qui portent, jusques dans les habitudes de la vie sociale, un caractère d'indépendance, ont toujours voulu rendre à leur Roi les plus grands honneurs ; &, loin de se sentir abaissés par ces hommages, c'est presque avec orgueil qu'ils s'y complaisent ; ils considèrent l'éclat du Trône de la Grande-Bretagne, comme une sorte d'image ou de reflet de la dignité Nationale, & ils veulent, par leurs propres respects, assurer au Chef de leur union politique les égards de l'Europe entière.

Sans doute, que, dans les momens où les sages de cette Nation arrêtent leurs pensées sur les grands principes de Gouvernement, ils apperçoivent, qu'entre tous les moyens, dont on peut armer le Pouvoir Exécutif, les plus doux & les plus consonans avec la fierté d'un Peuple libre, c'est l'ascendant, qui naît de la majesté de la loi, interprêtée d'une manière sensible, par la majesté du Chef de l'État. Aussi, tandis que l'on plaçoit, en France, le fauteuil du Roi a côté [p.256] du fauteuil du Président éphémère de l'Assemblée Nationale, & qu'on s'assuroit, par un alignement exact, de leur position parallèle, la Chambre des Communes de l'Angleterre, la même qui fit des Rois & leur prescrivit des conditions, la même, qui, sans effort, repousseroit, d'une main assurée, la plus légère atteinte aux libertés Nationales, alloit à la Chambre des Pairs, entendre debout & dans la contenance la plus séante, le discours, que, du haut de son Trône, le Monarque adressoit à son Parlement. L'Orateur des Communes y répondoit ensuite, avec des formes de respect, infiniment plus honorables pour la Nation, que ce langage de pair à pair, artistement travaillé, ou laborieusement tâché par divers Présidens de l'Assemblée Nationale. Toute cette roguerie civique, n'est pas de la grandeur, il s'en faut bien, ou à coup sûr, du moins, elle n'en présente ni l'habitude, ni l'accoutumance, & l'on pourroit appliquer à certains sentimens exaltés, dont nous sommes tous les jours [p.257] les témoins, ce mot que le Chancellier d'Aguesseau, dit un jour de l'érudition politique d'un homme de lettres. On voit bien qu'il ne sait tout cela que d'hier.

Je n'entrerai pas dans le détail de tous les manques d'égards envers le Roi, dont le cours entier de la dernière Assemblée Nationale a présenté le continuel exemple ; je ne veux fixer mes regards que sur la Constitution: mais il n'est pas moins vrai, qu'il est résulté de la légèreté des discours tenus par divers Députés, une sorte d'encouragement ou de prétexte à cette multitude d'écrits, dont le langage, véritablement licentieux, a formé, par degrés, l'habitude générale d'un manque de respect pour le Trône & pour le Monarque ; habitude qui n'a point été changée par la peine tardive, prononcés contre ceux qui provoqueraient à dessein l'avilissement des Pouvoirs constitués. Expression vague, susceptible de toutes sortes d'interprétations, & qui sera constamment expliquée selon l'esprit du moment. Il faut, de plus, [p.258] attendre qu'un Accusateur public, nommé par le Peuple, & souvent près du terme de son existence amovible, veuille prendre fait & cause pour l'honneur de la Couronne. Enfin, la Reine dont la considération tient si intimement à celle du Roi, leur fils, l'héritier du Trône, & les Princes du Sang Royal, sont, relativement aux injures, dans la même classe que tous les citoyens, & ils devront poursuivre eux-mêmes leur vindicte ; ils devront s'exposer, en présence du public, à tous les nouveaux outrages qu'un homme, attaqué par eux en réparation, se permettra peut-être, ou pour essayer de se justifier, ou simplement pour attirer sur lui l'attention. On est bien sûr que des personnes d'un rang illustre, & même de simples citoyens, amis de la tranquillité, ne voudront pas, à de telles conditions, courir le hasard d'une poursuite contentieuse.

La Majesté du Monarque est encore altérée, par la contenance subalterne de ses Ministres ; ils sont nommés par lui, ils sont [p.259] les interprètes de ses volontés, ils composent son Conseil, ainsi leur relief, leur considération extérieure, intéressent sa propre dignité ; cependant, ils sont ce que chacun les voit, obligés de chercher du soutien dans leur propre foiblesse, de l'existence dans leur nullité, de la sureté dans leur dépendance. Ils sont, de plus, abandonnés aux menus plaisirs des Écrivains folliculaires, & toutes sortes de motifs les contraignent à respecter cet amusement. Le Code correctionnel, imaginé pour eux, est encore, par ses petites recherches, & ses ignobles détails, une atteinte indirecte à la Majesté Royale.

L'Assemblée a mis de l'affectation à se jouer de toutes les idées, qui paroissoient soutenues par une vieille opinion ; & quand on étend cette exagération jusques aux formes envers le Monarque & envers ses Ministres, on est bientôt conduit à une familiarité & à une sorte de cynisme, très-propres, si l'on veut, à enchanter ceux qui comparent leur aisance & leur hardiesse du moment, avec leurs anciens [p.260] tremblemens & avec la politique de toute leur vie, mais qui inspirent un véritable dégoût, aux hommes simples en tout temps, & dans leur courage, & dans leur fierté.

Cette prétendue liberté de principes, dont on se glorifie, est encore une suite du mélange indiscret de principes Républicains & de principes Monarchiques, dont l'incohérence se fait sentir dans plusieurs parties de la Constitution Françoise. Ah! qu'ils ont été mieux épurés ces divers principes dans la Constitution d'Angleterre, les uns & les autres y ont pris leur place avec régularité; le temps & l'expérience ont, sans doute, amené cette concorde ; mais nous sommes venus les derniers, & si nous n'avons pas profité de notre âge, la faute en est à l'amour-propre dévorant de nos premiers Législateurs; ils ont mieux aimé se placer avant la raison, que de se tenir au second rang, & ils ont mieux aimé devenir Chefs de Secte, que de nous transmettre une heureuse & paisible croyance.

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Indiquerai-je encore, pour remplir l'intitulé de ce Chapitre, quelques dispositions éparses, où la Majesté Royale a été traitée avec une négligence, dont on ne trouve l'esprit dans aucune des institutions du Gouvernement libre, qui me sert, en ce moment, de parallèle ?

J'aurois à faire remarquer le cérémonial entier, suivi dans les rapports de l'Assemblée Nationale ou de ses Députés, avec le Chef de l'État ; ce règlement, qui interdit au Président, de faire jamais partie des Dépurations du Corps Législatif auprès du Roi ; le Décret qui limite le cortège du Monarque, au moment où il paroit dans l'Assemblée, & de telle manière, qu'il ne peut pas même être accompagné des Princes de son Sang; j'aurois à faire remarquer cette familiarité, observée dans toutes les communications avec le Chef de l'État; cette affectation à lui parler toujours à la seconde personne ; cette permission donnée au Président de quinzaine d'écrire au Roi, dans le [p.262] même style, précisément, qu'il employeroit avec un particulier ; cette manière, enfin, de chicaner à tel point sur toutes les formes, qu'un Chef de députation est couvert d'applaudissemens par l'Assemblée, lorsqu'il rend compte de sa mission en ces termes : Il m'a paru, quand nous sommes entrés, que le Roi s'est incliné le premier ; je me suis incliné ensuite vers lui, le reste s'est passé ainsi qu'il est d'usage. Vous croyez donc, Messieurs, qu'il est magnifique & superbe de disputer avec le Roi jusques sur les révérences ? D'héroïsme en héroïsme, vous aurez bientôt proscrit toutes les règles de la bienséance. Convenez, cependant, que, pour la célébrité de vos traits de courage, il ne faudroit pas avoir à les exercer auprès d'un Roi prisonnier, & qui peut voir de ses fenêtres, tantôt ses cours, tantôt ses jardins, remplis d'hommes armés de piques ou d'autres instrumens de violence. Je me souviens d'avoir lu dans l'histoire, que le jeune Edouard, le vainqueur du Roi Jean, le [p.263] servit à genoux après la bataille de Poitiers.

Mais, laissant à part tous les devoirs de la puissance & tous les procédés de la magnanimité, je demanderois de nouveau, s'il y a le moindre génie politique à vouloir une Monarchie, & à négliger, en même temps, la Majesté du Monarque ? L'Assemblée Nationale a toujours évité d'aborder cette question, ou de la considérer dans sa plénitude. Le principe général, auquel elle a trouvé commode de tout rapporter, c'est son dicton sur l'égalité, & cette maxime applicable à l'empire des abstractions, à la région des chimères, est devenue la principale origine des fautes, qui ont été commues, dans la composition du nouveau Gouvernement de la France.

Indiquons, cependant, quelques autres dispositions Législatives, où l'on remarque un oubli complet de la dignité Royale, & qui n'existent point en Angleterre. Je mets de ce nombre, l'obligation imposée au Roi, de ne jamais s'écarter à plus de vingt lieues [p.264] du Corps Législatif, obligation qu'il faut rapprocher de la liberté laissée à toutes les Législatures de fixer leurs séances dans le lieu où il leur plait, & de les continuer sans aucune interruption ; ensorte qu'aux termes précis de la Constitution, un Roi de France pourroit arriver à quatre-vingt ans, sans avoir jamais pu parvenir au centre de la Brie ou du pays Chartrain.

Je ferois remarquer aussi, l'impuissance où l'on a mis le Roi de commander jamais les armées ni au-dehors, ni même au-dedans du Royaume, à moins que les ennemis ne s'approchaient à vingt lieues de distance de l'Assemblée Nationale ; car le Monarque est tenu de rester dans cette circonférence, lorsque le Corps Législatif est assemblé, & il est tenu de le convoquer, dès que les hostilités commencent. Voilà, comme en deux temps, on a rendu le Roi de France étranger aux dangers de la guerre, sans que personne y ait pris garde. Certainement, une telle disposition, lorsqu'on la déclare [p.265] Constitutionnelle, est manifestement incompatible avec les divers élémens, dont la haute dignité d'un Roi se compose.

On pourroit observer encore, l'espèce d'inconsidération jetée sur les Princes du Sang Royal, en les éloignant à la fois de toute fonction, & dans le Corps Législatif, & dans le Conseil du Roi, & en privant le Monarque de la faculté de les appeler, ou aux Ambassades, ou au Commandement des Armées, à moins d'avoir obtenu, préalablement, le consentement de l'Assemblée Nationale.

On remarqueroit, peut-être, cette Garde Nationale, placée près du Monarque, sous le nom de garde d'honneur, & qui, par l'indépendance constitutionnelle où elle est de ses ordres, ressemble beaucoup à une garde de surveillance.

On auroit besoin d'un peu plus d'attention pour découvrir tout ce qu'il y a d'irrévérent, dans la formation de la Garde ordinaire du Roi. On a trouvé le secret de diminuer [p.266] tout à la fois, & le relief de ce Corps, & l'intérêt de ses Chefs à mériter l'approbation du Monarque.

On a diminué son relief, en n'admettant point les Officiers, à concourir avec l'Armée de ligne aux avancemens militaires, en lui interdisant toute espèce de service, ailleurs qu'au Palais du Monarque, & en lui ôtant la perspective de servir une fois militairement, puisque le Roi de France, comme je viens de l'expliquer, n'aura jamais la liberté d'aller à la guerre.

On a diminué l'intérêt des Officiers des Gardes à mériter l'approbation du Roi, en appliquant à ce Corps, absolument séparé de l'Armée, les règles de promotion, établies pour les Troupes de ligne; institution qui réduit la prérogative du Monarque dans le Corps de ses propres Gardes, au choix du Commandant, & de trois fois l'une, à la nomination des Colonels & Lieutenans-Colonels, qui sont au nombre de dix-huit ; & c'est encore parmi les Officiers du grade, [p.267] immédiatement inférieur, que le Roi devra les prendre, lorsque son tour d'élection arrivera.

Tous les autres Officiers, pourront garder le Roi malgré lui.

Je considère encore, comme une atteinte à la Majesté Royale, la disposition Législative, en vertu de laquelle, l'Assemblée s'est emparée des propriétés territoriales du Monarque, & s'est substituée aux droits qu'il avoit, de retirer tous ses Domaines anciennement engagés. L'Assemblée Constituante, pour justifier son Décret, a été obligée de rappeler les anciennes lois Françoises, qui avoient prescrit la réunion des Domaines des Rois, à la propriété publique ; mais l'esprit de ces lois supposoit évidemment, comme je l'ai déjà fait observer dans mon précédent Ouvrage, que la fortune de l'État, administrée par le Prince, pouvoit être confondue avec la sienne propre, & servir à l'accroissement de ses revenus particuliers ; mais du moment que, par un changement [p.268] absolu de Constitution, la réparation des deux fortunes & la division de leur administration, étoient faites de manière à rendre leur confusion impossible, il n'y avoit aucun motif légitime pour garder, au profit de l'État, les propriétés territoriales & personnelles du Roi, en y substituant une rente mobiliaire & dépendante de la volonté d'autrui.

L'Assemblée Nationale a reconnu, elle-même, & sans y penser, la grande étendue de ces propriétés ; car, dans un de ses Décrets, rendus au mois de Novembre 1790, on y lit que l'ancien Domaine, auquel on donne le nom de public, se seroit bientôt anéanti, si ses pertes continuelles n'avoient été réparées de différentes manières, & surtout par la réunion des biens particuliers des Princes, qui ont successivement occupé le Trône.

L'Assemblée n'a pas moins persisté dans sa jurisprudence, & tandis qu'elle remontoit à l'esprit des lois, & en méprisoit la lettre, pour changer diverses propriétés particulières, [p.269] en propriétés publiques, elle a suivi une marche absolument inverse, & a préféré la lettre à l'esprit, quand elle n'a pu justifier, d'aucune autre manière, l'usurpation des propriétés foncières de la Maison Royale.

Le Roi d'Angleterre jouit aussi d'une liste civile, accordée par la Nation, mais on n'exige pas une indemnité de ce salaire Royal ; on ne prend pas d'une main ce qu'on donne de l'autre ; & toute réunion forcée de la fortune du Monarque au Trésor de l'État, seroit surement rejettée par les Anglois, comme incompatible avec les principes d'une Constitution libre.

Mais l'Assemblée Constituante, qui vouloit installer le Monarque, dans sa nouvelle qualité de Premier Fonctionnaire public, avoit été entraînée, par une sorte d'harmonie, à le réduire, en même temps, à l'état de Pensionnaire ; & lorsqu'à la fin de leurs travaux, nos Législateurs sont revenus à l'idée de donner au Monarque, le titre de Représentant héréditaire de la Nation, il n'étoit [p.270] plus temps de reformer toutes les dispositions, qui avoient servi d'accompagnement à leur première invention.

Ne soyons donc point étonnés, qu'au milieu de tous ces changemens, & sous la main novice de tant de peintres de Constitution, la Majesté Royale ait perdu ses couleurs primitives. Nos premiers Législateurs, étonnés eux-mêmes de leur toute-puissance, & s'y confiant aveuglement, ont eu la témérité de présumer, que leur agreste autorité, pourroit suppléer à l'empire de l'imagination, à cet empire fondé sur notre nature & sur son éternelle essence. Eux-mêmes, cependant, de combien de fictions n'ont-ils pas eu besoin, pour entretenir leur domination ; les illusions leur ont bien autant servi que les réalités. Ils ont peur encore tous les jours, que l'opinion ne leur échappe ; & lorsqu'ils ne peuvent pas la gagner, ils mettent tout en usage pour la fatiguer, & pour l'obliger à se rendre ; mais, délicate dans ses principes de vie, elle exige [p.271] un traitement plus doux, & des Législateurs, qui ne peuvent rien saisir qu'à pleines mains, ne doivent pas y toucher sans ménagement.

L'Assemblée a séparé le Trône de tout son appareil, la Royauté de tous ses attributs, le Roi de tout son cortège, & n'a point examiné préalablement, si, à de telles conditions, la Majesté du Chef de l'État pouvoit être maintenue, & si cette majesté imposante, qui dispose les Peuples au respect & à l'obéissance, n'étoit pas l'un des principaux avantages, attachés à l'institution d'un Roi & à l'établissement d'un Gouvernement Monarchique.

C'étoit surtout, dans un Gouvernement composé de tant de ressorts, comme l'est aujourd'hui celui de la France, que l'on devoit mettre un grand intérêt & un intérêt patriotique, à la dignité extérieure du Chef suprême de l'Administration ; il eût fallu inventer cette sorte de suprématie, si l'on n'en avoit jamais eu l'idée ; il eût fallu [p.272] l'inventer, afin d'imprimer un mouvement régulier, à un assemblage de tant de parties. C'est donc un plaisir d'enfans, que de chercher à rabaisser la Majesté du Trône. La liberté qui vieillit les Nations, en accélérant le progrès de leurs lumières, ne tardera pas à rendre générale & commune une si importante vérité.